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CHAPITRE II CADRE THÉORIQUE

2.1 L’approche subjective en lecture littéraire

2.1.3 Les écrits de la réception

Un troisième concept faisant partie de l’approche subjective en lecture littéraire est celui des « écrits de la réception ». Le Goff et Fourtanier (2017) définissent l’écriture de la réception comme « […] l’expression d’une lecture, la traduction volontaire ou prescrite, métatextuelle ou hypertextuelle, synchrone ou différée, d’une rencontre avec un texte et, de façon extensive, avec toute création artistique, indifféremment du support ». L’attention accordée à la compétence esthétique ainsi qu’à l’activité du lecteur offre également de nouvelles voies liées à l’écriture du commentaire et l’écriture créative, c’est pourquoi la notion des « écrits de la réception » se devait d’être approfondie. Des exemples d’écritures de la réception peuvent être un simple signe graphique, comme une croix, le surlignement pour marquer un passage mémorable dans un texte ou bien la production d’une écriture créative inspirée d’une lecture (Le Goff et Fourtanier, 2017). L’écriture de la réception conserve des traces d’une expérience de lecture, mais elle devient aussi un objet digne d’une attention esthétique en soi. La diversité des écrits de la réception demande donc un enseignement axé sur l’apprentissage à parler de soi en tant que lecteur éprouvant une expérience esthétique de lecture (Le Goff et Fourtanier, 2017). Mazauric et al. (2005) définissent l’expérience esthétique comme la manière dont un lecteur se voit affecté par une œuvre et la manière dont, à l’inverse, l’œuvre se voit affecté par une lecture. Bien que les productions scripturales relèvent du champ des écrits de la réception, Brillant Rannou (2018) avance que des vidéos de lecteurs relèvent du même champ d’études, car elles

représentent des traces et des reconfigurations subjectives d’œuvres lues par des lecteurs singuliers.

Langlade et Fourtanier (2007) sont d’avis que de nouveaux types de productions orales et écrites, pour illustrer et reconstituer l’expérience d’une lecture, sont à inventer. Bien que nous soyons d’accord avec ces chercheurs, nous croyons également que certains types de productions orales et écrites créées par les jeunes et poursuivant les mêmes objectifs existent déjà. C’est pourquoi nous souhaitons, dans le cadre de ce mémoire, nous pencher sur le phénomène du booktubing et plus particulièrement sur le booktube comme genre numérique.

2.1.3.1 Le texte de lecteur et les activités fictionnalisantes

Un autre concept faisant partie de l’approche subjective en lecture littéraire est celui de

« texte de lecteur ». Langlade (2007) explique que le dialogue entre une œuvre littéraire et les apports fictionnels subjectifs que lui apporte un lecteur produit ce qu’on appelle un « texte de lecteur ». Langlade et Fourtanier (2007) vont dans le même sens et mentionnent que ces apports du lecteur dans l’œuvre amènent une reconfiguration de celle-ci pour créer un « texte de lecteur ». Langlade et Fourtanier (2007) ajoutent également que ces apports fictionnels sont appelés, selon leurs travaux de recherches, les « activités fictionnalisantes », puisqu’elles permettent de multiples déplacements de fictionalité à la suite de l’implication d’un lecteur. Langlade et Fourtanier (2007) ainsi que Lacelle et Langlade (2007) ajoutent que les activités fictionnalisantes sont les suivantes: la concrétisation imageante, la cohérence mimétique, l’activation fantasmatique, l’impact esthétique et la dimension axiologique. Toujours selon les mêmes auteurs, la concrétisation imageante (ou auditive) est la production d’images ou de sons en complément d’une œuvre; la cohérence mimétique représente les relations de causalité qu’un lecteur élabore entre les événements et les personnages d’une histoire; l’activation (ou l’activité) fantasmatique est l’action de (re) scénariser des

éléments d’une histoire à partir de son imagination; l’impact esthétique est la réaction à des caractéristiques formelles d’un texte, tandis que la dimension (ou réaction) axiologique est l’action de porter des jugements sur l’action ou la motivation des personnages. Plusieurs études abordant la notion de sujet lecteur ont utilisé les activités fictionnalisantes comme cadre conceptuel de référence. Lacelle et Langlade (2007) ont analysé et comparé les parcours interprétatifs d’élèves passant de la lecture d’un roman à la spectature de son adaptation cinématographique, ou réciproquement. Les auteurs mentionnent que pour avoir des résultats fructueux, les manifestations des sujets lecteurs en utilisant les activités fictionnalisantes doivent faire l’objet d’un traitement didactique en offrant une certaine stabilité par rapport aux compétences et modalités d’évaluation à adopter. Brillant Rannou et Le Baut (2017) ont analysé les gestes de lecture en jeu dans un blogue de lecture littéraire, dont les activités fictionnalisantes du lecteur blogueur. En ce qui concerne les récepteurs du blogue, la concrétisation imageante est l’expérience la plus évidente leur étant offerte. Il est plausible de croire que les lecteurs du blogue configurent ce qu’ils lisent en images. De plus, l’impact esthétique ressenti par les lecteurs est palpable tout au long de leur lecture du blogue, car ils souhaitent également produire un texte de lecteur esthétique. La réaction axiologique de la lecture est une dimension importante du blogue, puisque les lecteurs évaluent, qualifient les œuvres lues, mentionnent leurs préférences, argumentent leurs intérêts et discutent des valeurs véhiculées par les textes et les auteurs. La cohérence mimétique et l’activation fantasmatique sont plus rares dans le blogue. Mazauric et al.

(2005) ont analysé un triple corpus de journaux et de mémoires de lecteurs en laissant de côté l’impact esthétique, un des volets de l’activité fictionnalisante. Les auteurs ont utilisé des verbatim de journaux et de mémoires de lecteurs pour illustrer les différentes activités fictionnalisantes. Les résultats démontrent la singularité de chaque lecture et la diversité des activités fictionnalisantes utilisées. Lacelle (2014) a analysé un dispositif didactique alliant un roman et un jeu vidéo de la même histoire et ses effets sur le sujet en choisissant, elle aussi, de laisser de côté l’impact esthétique. Tout comme Mazauric et al. (2005), Lacelle (2014) a utilisé des verbatim de questionnaires écrits et

oraux pour observer les activités fictionnalisantes des différents joueurs-lecteurs et lecteurs-joueurs. La chercheuse arrive à la conclusion que l’ajout du jeu vidéo au parcours de lecture enrichit les interprétations des élèves, puisque les textes de lecteurs profitent d’ajouts langagiers multimodaux (combinaison texte-image-son) pour s’élaborer.

En ce qui concerne le « texte de lecteur », Langlade et Fourtanier (2007) ajoutent que pour analyser des expériences de lecture, il faut s'interroger sur le « texte de lecteur » en utilisant la notion de « dispositif de lecteur ». Toujours Langlade et Fourtanier (2007) définissent cette notion comme : « un espace de représentation, un lieu figurable, où entrent en coalescence […] les éléments stables et structurés d’une œuvre (personnages, intrigue, motifs, ancrages génériques, etc.) et les inférences conjoncturelles […] de l’activité fictionnalisante des lecteurs » (p.113). Le « dispositif de lecteur » cherche à faire apparaître dans des productions discursives, physiologiques ou iconiques ce qui provient de l’imaginaire de l’œuvre singularisée par l’activité de lecture. Pour rendre concrète cette notion théorique, Langlade et Fourtanier (2007) donnent des exemples de « dispositif de lecteur » qui témoignent de manifestations d’un sujet lecteur. Un tel dispositif pourrait donc être des autobiographies de lecteurs (Rouxel, 2004), écrites ou orales, des journaux de lecture ou bien des critiques littéraires.