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ÉCONOMIE DES AGENTS ET ENJEUX POUR LES USAGERS

3.1.

I

NTRODUCTION

La première partie de cette thèse avait pour objectif de définir le terme agent intelligent et de montrer dans quelle mesure les moteurs de recherche ont intégré ces programmes à plusieurs niveaux : celui de l’indexation et de la récupération des documents disponibles sur Internet ; celui du traitement des requêtes en amont (dans le moteur) et en aval (sur l’interface de l’usager) grâce au déploiement de la barre d’outils. Aussi jouent-ils un rôle primordial pour la société de l’information émergente en rendant ses ressources accessibles. Qui plus est, les moteurs centralisent les documents du Web et dans une certaine mesure les conservent en mémoire-cache. Ils sont en passe de devenir la mémoire du Web. Ce phénomène, d’ailleurs, est rendu possible par la baisse considérable du coût de stockage.

La deuxième partie avait pour ambition de vérifier nos hypothèses concernant les usagers et leurs pratiques. Nous savons à présent que le public a adopté les moteurs de recherche et n’utilise guère les logiciels agents à part quelques professionnels. De surcroît, la plupart des personnes interrogées pensent que l’efficacité des moteurs augmente. L’analyse des représentations montre une certaine inquiétude vis-à-vis de cette nouvelle technologie.

Si cette technologie facilite la recherche et augmente la productivité du travail intellectuel, des outils de profilage et de datamining s’installent sur les serveurs des moteurs et des portails. L’information fait l’objet d’un échange bi-directionnel entre l’usager et les systèmes d’information. La troisième partie de cette thèse a pour ambition d’examiner les implications économiques et sociétales de cette relation complexe. On peut se demander si cet échange est inéluctable. Pour répondre à cette question, il nous faut analyser les

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modèles économiques, qui le déterminent, et regarder de près l’enjeu économique des portails, inséparable du commerce en-ligne.

Une seconde question se pose : avons-nous des moyens de protéger l’usager d’éventuels problèmes concernant la confidentialité et la protection de la vie privée? Il nous faut examiner à cet égard la protection offerte par la législation, la déontologie affichée par les moteurs, et les tentatives d’introduire un système de labellisation.

Cependant, la société ne peut pas accorder une liberté absolue sur Internet. On peut se demander dans quelle mesure il ne faudrait pas filtrer certains sites ou suivre de près certaines pratiques contrevenant à la loi. La technologie agent, par exemple, facilite ce filtrage. Des systèmes de surveillance et de contrôle d’accès s’intègrent au niveau des fournisseurs d’accès et des moteurs de recherche. Aussi est-il possible d’interdire tel ou tel site et d’imposer des limites à la liberté d’accès à l’information.

Si la collecte de données sur les comportements et les goûts des usagers vont entraîner des bouleversements considérables concernant la liberté individuelle et la vie privée, les moteurs et portails pourraient apporter des transformations importantes dans nos modes d’achat. En effet, ils innovent et étendent leur présence non seulement sur le disque dur de l’internaute mais sur l’interface de son téléphone portable.

Cependant, si les moteurs ont besoin du commerce en-ligne et de certaines informations sur nos intérêts et pratiques pour financer leur développement, voire leur pérennité, ces outils ont pour mission essentielle de conserver en mémoire l’activité de l’humanité, notamment les connaissances, les savoirs et les diverses formes de communication qui passent par les réseaux. Les moteurs indexent et conservent toute la documentation récupérable. Ils traitent toutes sortes de données provenant des usagers dans leur recherche sur le Web, dans les forums et dans le courrier électronique. Si cette énorme masse d’informations peut être conservée, l’historien futur aura à sa disposition une gigantesque quantité de renseignements sur les goûts, intérêts, comportements et préoccupations de notre époque. Encore faut-il savoir les traiter. Non seulement l’écrit mais aussi l’image (fixe, vidéo) peuvent être stockés. Allons-nous vers une Bibliothèque d’Alexandrie virtuelle, vers une nouvelle Galaxie Gutenberg ?

Il nous semble intéressant d’examiner de près les divers projets de stockage et de mise en réseaux de tous les ouvrages, ceux encore protégés par les droits d’auteurs et ceux déjà

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entrés dans le domaine public. La puissance d’indexation et de recherche documentaires des moteurs rend possible, à partir de thèmes ou de mots-clés, l’accès à des pages précises dans les livres. Ce projet laisse entrevoir d’énormes possibilités pour le développement de la science et de la connaissance sur le plan planétaire.

Le dictionnaire Le Petit Robert330 définit un enjeu comme « ce qu’on peut gagner ou

perdre dans une compétition, une entreprise ». La technologie agent peut faciliter

l’émergence d’une société de l’information, planétaire, dans laquelle tout être humain jouit d’un libre accès à l’éducation, aux connaissances, au savoir, c’est-à-dire à une bibliothèque universelle, en temps réel (instantanéité) et à partir de n’importe quel pays (ubiquité). Elle peut aussi faire émerger une société surveillée en permanence, favorisant les puissants et augmentant de plus en plus la fracture numérique.

330 Édition 2000.

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3.2.

E

CHANGE BI

-

DIRECTIONNEL DE L

INFORMATION

Examinons d’abord les problèmes posés par l’échange entre moteurs et usagers. Si la plupart du temps la recherche informationnelle est gratuite, la réalité économique, la nécessité de financer tout un système informatique complexe et en innovation permanente, implique un échange entre l’usager et le moteur de recherche. Les actions en-ligne de l’internaute sont étudiées pour améliorer le dispositif de recherche, d’une part, et surtout pour mettre en place un système de ciblage de la publicité. L’ensemble des informations provenant des usagers, notamment les sites consultés, la fréquence des visites, le temps passé sur une page, permet aux moteurs de connaître les intérêts du moment, les goûts et les tendances d’un mois et d’une année.

Ces données font l’objet de transactions avec les entreprises. Au fur et à mesure que l’internaute cherche un site ou une page Web, il crée en même temps de l’information sur lui-même en tant qu’individu et sur la population dont il fait partie lorsque les données sont agrégées. Ainsi l’échange se situe à deux niveaux : celui de l’individu et celui du groupe partageant ses intérêts. Les agents de profilage, intégrés dans les moteurs et les portails, traitent tous ces renseignements. Ce dispositif de collecte est-il indispensable ? Ne risque-t- il pas de provoquer la méfiance331 chez les usagers ? Nous présenterons d’abord les enjeux économiques qui justifient la collecte des données sur les usagers, ensuite les tentatives de protéger l’internaute ou tout au moins de le rassurer, enfin les limites de cette protection.

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E

NJEUX ECONOMIQUES

:

LE MARCHE DES MOTEURS ET DU COMMERCE EN

-

LIGNE

Avant de nous pencher sur le marché des moteurs de recherche et des portails, nous ferons un panorama de celui des logiciels et des services informatiques dans le monde et en France.

Dans le monde, on estime à $ 209,2 milliards le chiffre d’affaires des trente premières

sociétés de services informatiques332 en 2003. En France, les services d’ingénierie

informatique représentaient 8,52 milliards d’euros333 pour la même année. Quant aux

services informatiques, ils comportent cinq domaines : conseil (1,38 milliard d’euros), ingénierie (8,52 milliards d’euros), infogérance et TMA (5,16 milliards d’euros), logiciels et progiciels (4,2 milliards d’euros), formation et divers (1,41 milliard d’euros), au total 20,67 milliards d’euros334.

Selon Markess International, le marché français des services informatiques a baissé en 2003, passant de 18 850 millions d’euros en 2002 à 18 200 millions d’euros en 2003. Cependant, on prévoit un chiffre d’affaires de 18 800 millions d’euros pour 2004 et de 19 800 millions d’euros en 2005335.

En ce qui concerne la Business Intelligence, on estime le marché français à 928 millions d’euros en 2003336 en croissance de 4,3% par rapport à 2002. On constatera facilement que le marché des moteurs de recherche ne représente pour l’instant qu’une faible part du total informatique. Néanmoins, ce secteur est en forte croissance.

Depuis l’annonce faite par Google de son entrée en Bourse, la presse s’est intéressée au marché des moteurs et des portails. Selon le journal français La Tribune337, les recherches des internautes génèrent annuellement un chiffre d’affaires de trois milliards de dollars. De

332 Source : IDC citée dans le jurnalduweb : http://solutions.journaldunet.com/dossiers/chiffres/services.shtml consulté le 10 11 2004.

333 Source : Syntex informatique, citée par lejournalduweb, idem. 334 Ibid.

335 Source : Markess International, citée par lejournalduweb, ibid.

336 Pierre Audoin Consultants, Communiqué de Presse « BUSINESS INTELLIGENCE : une année 2003 moins dynamique que prévue », site web : http://www.pac-online.fr/fra/report4.asp?p=2, consulté le 28 11 2004. 337 Jean-Christophe Féraud, « Google contre Microsoft, la guerre des moteurs», La Tribune, mardi, 17 février 2004, p.28-29.

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