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Faire école ou l’alphabétisation adaptée

Dans le document Rapport d activités 2020 / 2021 (Page 21-27)

ADAPTéE à L’ADoLESCENCE ET L’ERRANCE

L’alphabétisation est un des fondements de Tchaï. Elle répond à un besoin évident puisqu’elle n’est pas prise en charge par l’école au-delà du DASPA.

L’alphabétisation occupe aussi une place importante en termes de temps et d’investissement dans l’accompagnement que nous proposons.

Une méthode pour rassembler

Cette année nous a permis d’asseoir notre méthode qui continue à évoluer.

Nous travaillons ainsi sur base de dossiers thématiques et progressifs adaptables au niveau de chaque jeune. Soutenus par de nombreux supports visuels qui font sens à l’adolescence, ils intègrent à la fois du français oral, de la lecture et de l’écriture. Nous mélangeons plusieurs méthodes d’apprentissages (globale, syllabique, Freinet, gestuelle, exploitation d’albums, rap, kamishibaï, etc.). Les ateliers partent toujours de ce que les jeunes maîtrisent déjà pour les rassurer et renforcer la confiance en leurs compétences souvent mise à mal par la répétition d’échecs. La confiance installée, nous cherchons ensuite à les faire évoluer en fonction de leurs forces et de leurs faiblesses, tout en respectant leur rythme.

Les exercices proposés sont conçus de manière à ce que chaque jeune puisse y accrocher, même après d’éventuelles longues absences. Il y a donc la possibilité d’intégrer ou de réintégrer Tchaï à tout moment de l’année.

Cette conception des apprentissages est pensée pour correspondre aux modes de fonctionnement des jeunes, à l’errance, aux voyages, aux changements de centre, aux enfermements, aux aléas de leur vie souvent tourmentée.

Nous travaillons également de nombreuses compétences mathématiques : la géométrie, la représentation des nombres, l’écriture mathématique, le calcul, l’argent, l’heure, les mesures, le temps qui passe, la logique, etc.

Nous essayons tant que possible de les mettre en lien avec des expériences concrètes du quotidien à Tchaï : les ateliers manuels, les courses, les rendez-vous, les recettes, etc.

Nous abordons donc d’une part l’apprentissage de la langue dans son développement et son renforcement. D’autre part, nous travaillons parallèlement l’appropriation de la langue par de nombreuses mises en pratiques : ateliers cuisine, ateliers d’expression artistique et manuelle, jeux de coopération, jeux de rôle, mises en situation, etc.

Une approche pour individualiser

Nos propositions pédagogiques sont toujours collectives car le groupe est un moteur essentiel à l’adolescence pour se mettre au travail et soutenir l’effort. Les jeunes se retrouvent en effet pour la première fois de leur parcours avec d’autres adolescents confrontés aux mêmes difficultés qu’eux et y puisent une stimulation pour participer aux ateliers proposés.

Néanmoins, apprendre une langue, à la lire et à l’écrire dans un nouvel alphabet, rester assis sur une chaise, manier le crayon quand il n’est pas familier sont autant d’actions qui exigent énormément d’efforts. Aussi stimulant que soit le groupe, il n’est pas suffisant pour permettre à nos jeunes de se concentrer et de dépasser la difficulté. Pour accompagner ces propositions collectives, nous soutenons donc toujours simultanément chaque jeune individuellement par une présence pédagogique à ses côtés. Nous proposons donc un accompagnement pédagogique individuel inscrit dans une approche collective.

De la prise en compte de l’analphabétisme des adolescents en Belgique francophone

L’analphabétisme est acté administrativement à partir de la majorité en Belgique francophone. Dans les faits, l’analphabétisme ne commence pas à 18 ans mais déjà en primaire, voire en maternelle. Dans tous les cas, l’analphabétisme s’inscrit dans l’enfance.

Si notre système ne parvient pas à y répondre de manière précoce et préventive pour certains enfants, ceux-ci se retrouvent par la force des choses non scolarisés à l’adolescence. Si le fonctionnement de notre enseignement ne peut non plus s’assouplir pour s’adapter à l’errance ou aux voyages, un nombre important d’enfants et de jeunes sont laissés dans les marges. Et simultanément, toujours plus de migrants atteignent nos frontières à l’adolescence…

Reconnaître l’analphabétisme de ces adolescents et lever progressivement les barrières à l’intégration d’une culture scolaire nous semble à Tchaï tout aussi important à considérer que la prise en charge de l’analphabétisme

lors de ma première venue pour la matinée d’alphabétisation à Tchaï, j’ai pu observer des jeunes désireux d’apprendre même si cela semble parfois compliqué pour eux de se mettre au travail.

ce qui m’a particulièrement frappée est le niveau d’apprentissage de ces jeunes. en ma qualité de logopède, j’ai été souvent confrontée à de nombreux enfants ou adolescents rencontrant des difficultés en lien avec la lecture et l’écriture, présentant des pathologies telles que des dyslexies, dysorthographies ou encore des dyscalculies.

Toutefois, dans ma réalité, les jeunes que j’ai rencontrés à Tchaï n’existaient pas. je n’avais pas conscience qu’il existait certains adolescents pour lesquels la lecture et l’écriture n’étaientt pas en place du tout et qui en étaient encore au tout début du décodage.

Valentine algoedt, logopède au service de santé mentale d’ici et d’ailleurs.

Les adolescents et l’alphabétisation des adultes

Certaines structures d’alphabétisation pour adultes sont naturellement ouvertes à accueillir des adolescents. Toutefois, malgré toute l’expertise et la bienveillance des formateurs, ces approches pédagogiques ne sont pas adaptées aux adolescents et si par fois ça fonctionne, l’écart entre les préoccupations des jeunes et celles des adultes par fois beaucoup plus âgés est trop important et démotivant proportionnellement à l’effort à fournir.

Comme le commente Marie Fontaine du Collectif Alpha9, l’adolescent n’y trouve pas le groupe de pairs qui va le motiver à s’investir. De même, l’alphabétisation des adultes s’adresse à un public qui est déjà disposé aux apprentissages, qui est scolaire, qui peut s’inscrire dans un dispositif exigeant régularité, patience, participation et persévérance.

Prendre en compte l’analphabétisme des adolescents d’un point de vue pédagogique, c’est prendre en compte leurs centres d’intérêt, leur impossibilité de répondre aux codes et exigences scolaires, leurs vécus souvent traumatiques par rapport aux apprentissages. C’est aussi prendre en compte leur incapacité à postposer leurs besoins immédiats et les dynamiques des interactions et des enjeux qui se jouent à cet âge et dans leurs situations.

9. FoNTAINE, M. « Quelle case pour les mineurs analphabètes », in Journal de l’Alpha Journal de l’Alpha, N°213, 2019.

l’analphabétisme en contexte

nous ne pouvons taire dans ce présent rapport la contextualisation de l’analphabétisme.

dans notre société où prédomine l’écrit, où les solutions se trouvent dans les livres, les instructions sur les vitrines et l’administration en ligne, la maîtrise de la lecture et de l’écriture est un passe-partout.

pourtant, à quelques heures d’avion, nous pouvons nous retrouver dans un pays que nous ne connaissons pas, dans lequel personne ne peut nous comprendre et dont nous ne pouvons déchiffrer l’alphabet. les codes pour aborder les gens nous sont inconnus, la manière de concevoir le temps qui passe nous est incompréhensible, les modalités pour décrire ou s’orienter dans l’environnement nous sont inaccessibles. les interdits peuvent nous paraître insensés.

ne devenons-nous pas alors quelque peu analphabètes d’une autre grille d’approche du monde et de survie au quotidien  ? ne devenons-nous pas analphabètes de nos mains, de nos pieds ou de nos têtes trop figées  ? dans d’autres sociétés où prédomine l’oralité ou même dans les communautés d’ici construites aussi sur l’oralité, avons-nous encore le bon passe-partout ?...

dès lors, comment rendre à ces jeunes toute l’importance de leurs savoirs et savoir-faire et toute leur dignité  ? comment redonner de la valeur aux compétences qui leur étaient vitales dans d’autres contextes ?

dans les postures que nous adoptons dans le travail avec les jeunes, nous tentons de garder ces questionnements en tête et de proposer des chemins qui tiennent compte de ces capacités peu identifiées dans leur parcours. de même, nous tâchons de rester éveillés à notre propre « analphabétisme » pour dialoguer avec nos jeunes avec humilité.

2 LE TRAvAIL MANUEL : SUIvRE LE gESTE

Dans le document Rapport d activités 2020 / 2021 (Page 21-27)