• Aucun résultat trouvé

Ébullition et flux critique : éléments bibliographiques 141

Chapitre V 141 

V.1. Ébullition et flux critique : éléments bibliographiques 141

quelques notions de base qui nous serviront par la suite. Le lecteur pourra trouver dans la thèse de Visentini [116] une revue concise mais générale sur le sujet, et des revues détaillées renvoyant à une bibliographie exhaustive dans les ouvrages de Collier et Thome [117] ou Rohsenow et al. [118].

Le cadre de notre étude expérimentale concerne l’ébullition convective en milieu poreux, et se focalise sur la crise d’ébullition. L’ébullition convective désigne la situation où un liquide en

142

convection forcée bout au contact d’une paroi surchauffée, c’est-à-dire dont la température est supérieure à la température de saturation. Rappelons tout d’abord les différents régimes d’ébullition que l’on distingue en régime permanent lorsqu’une paroi surchauffée est plongée dans un liquide en l’absence de convection forcée : on parle d’ébullition en vase, ou encore d’ébullition libre.

V.1.1. Ébullition en vase : courbe de Nukiyama

Nukiyama est un des pionniers des études expérimentales des échanges de chaleur entre une surface surchauffée et le milieu extérieur dans une configuration d’ébullition en vase. En 1934, il réalise une série d’expériences au moyen d’un fil métallique plongé horizontalement dans un bain d’eau distillée à saturation [119]. Le fil est chauffé par effet Joule avec un générateur de courant continu, sa température supposée homogène est estimée à partir de la mesure de sa résistance au moyen d’un pont de Wheatstone : au préalable, une courbe de calibration de la résistance du fil en fonction de sa température a été effectuée. La puissance dissipée par le fil est déduite simplement de la mesure de la tension à ses bornes et de l’intensité le traversant ; le flux thermique 𝑞 est calculé en divisant cette puissance par la surface du fil. Ce dispositif permet à Nukiyama de tracer des courbes d’ébullition à flux imposé. Il obtient des courbes similaires à celle présentée en trait plein sur la Figure V.1, où ∆𝑇𝑠𝑎𝑡= 𝑇𝑓𝑖𝑙− 𝑇𝑠𝑎𝑡 est la température de surchauffe du fil.

Figure V.1. Allure générale d’une courbe d’ébullition, couramment désignée par « courbe de Nukiyama ».

Sur cette courbe, la partie OA correspond à un régime de convection naturelle, sans changement d’état : en effet, une certaine surchauffe est nécessaire avant l’apparition des premières bulles de vapeur. Le départ de l’ébullition (Onset of Nucleate Boiling, ONB) est lié aux conditions permettant la nucléation, qui dépendent notamment de la taille des cavités microscopiques de la

O A B B’ C D D’ Saut de température Ebullition transitoire ∆𝑇𝑠𝑎𝑡 q

143

surface chauffée où naitront les bulles, ainsi que de la tension superficielle du liquide (voir par exemple [120]–[123]).

A partir du point A, l’ébullition nucléée se déclenche : des bulles naissent et grossissent depuis les cavités actives de la surface chauffée, alimentées en masse par la vaporisation du liquide qui vient mouiller la surface. C’est un régime où les échanges thermiques sont importants, du fait de l’enthalpie de vaporisation élevée du liquide. La pente de la portion de courbe AB est ainsi bien plus élevée que celle de la portion OA.

A l’approche du point B, lorsque l’ébullition est très intense, le liquide a de plus en plus de difficultés à venir remouiller la paroi chauffée. L’augmentation du flux thermique peut alors conduire à la formation d’un film de vapeur isolant la surface du liquide environnant. Dans une telle situation, du fait de la faible conductivité thermique de la vapeur, la température de la surface subit une augmentation brutale : cela correspond à la branche BB’. Ce saut de température est susceptible de détériorer voire de faire fondre la paroi de l’élément chauffant : on parle de crise d’ébullition, boiling crisis ou burnout en anglais. Le flux auquel ce phénomène apparaît est dénommé flux critique ou flux maximum, car c’est le flux maximal qui peut être extrait à la surface chauffée par ébullition. On le désigne en anglais par Critical Heat Flux (CHF), ou parfois par burnout heat flux.

Si le dispositif expérimental a été conçu de sorte à supporter sans dégradation la crise d’ébullition, le flux peut continuer d’être augmenté pour explorer la branche B’C, qui correspond à un régime qualifié d’ébullition en film. Dans ce régime la surface chauffante est recouverte par un film de vapeur, il n’y a donc pas nucléation de bulles sur la surface. On observe un détachement périodique de poches de vapeur au-dessus de la surface chauffée, le film de vapeur la recouvrant restant stable. Les transferts de chaleur qui se font par conduction et rayonnement à travers la couche de vapeur alimentent la vaporisation du liquide environnant.

Lorsque depuis le point C on abaisse le flux thermique, le film de vapeur reste stable sur toute la portion CD. Au point D, des instabilités provoquent la rupture du film de vapeur : on sort du régime d’ébullition en film, et le remouillage de la surface chauffée par du liquide résulte en une forte chute de température, qui ramène au point D’ sur la portion de courbe correspondant à l’ébullition nucléée.

L’hystérésis observée dans cette courbe d’ébullition est caractéristique d’une expérience menée à flux imposé. Drew et Müller ont été les premiers à réaliser des courbes d’ébullition en contrôlant la température imposée à la surface chauffée [124]. Dans ce cas, en augmentant la surchauffe pariétale à partir du point B, on parcourt la branche en pointillés non fléchés BD. C’est le régime d’ébullition de transition, où le film de vapeur qui recouvre la surface chauffante est instable et où du liquide vient mouiller la paroi de façon intermittente. Dans ce régime, on observe la décroissance du flux thermique en fonction de l’augmentation de la température de surchauffe, due à la dégradation des échanges de chaleur entre la paroi et le milieu environnant. Au niveau du

144

point D, le film de vapeur devient stable et on entre en ébullition en film. On appelle respectivement flux minimum et température de Leidenfrost le flux thermique et la température correspondant au point D.

V.1.2. Crise d’ébullition

Différents mécanismes susceptibles de conduire à la crise d’ébullition ont été identifiés. Face à la complexité des phénomènes en jeu, plusieurs théories se confrontent et aucune ne fait consensus dans la communauté des chercheurs : le sujet reste largement ouvert à l’heure actuelle. Il s’agit d’un problème multi-échelles (par exemple, hydrodynamique à l’échelle macroscopique, ligne triple, pression de disjonction, mouillabilité à l’échelle microscopique), et qui dépend non seulement des propriétés physiques du fluide et de la surface solide chauffante, mais aussi de la combinaison éventuelle de plusieurs mécanismes d’instabilité (mouvement de la ligne triple, nucléation, écoulement liquide-vapeur à contre-courant). Les modèles physiques proposés dans la littérature mettent généralement en exergue un nombre limité de ces aspects, de façon adaptée aux situations étudiées (taille et orientation de la surface chauffante, état de surface, pression hydrostatique dans le bain de liquide modérée ou extrême, etc…).

Un des modèles les plus connus a été établi de façon déterministe par Zuber [125]. Ce modèle est basé sur une théorie d’instabilité hydrodynamique. Le cadre d’étude concerne une plaque horizontale chauffante de dimension infinie, plongée dans un bain de liquide. En régime d’ébullition intense, des colonnes de vapeur se forment à la surface. La vapeur s’échappe avec une vitesse ascendante, tandis que du liquide retombe sur la paroi avec une vitesse descendante. Le flux critique est atteint lorsque l’interface des colonnes de vapeur se déstabilise, dans un mécanisme d’instabilité de type Kelvin-Helmholtz. Zuber arrive à l’expression suivante :

𝑞𝐶𝐻𝐹 = 0,131𝜌𝑣𝑙𝑣(𝜎(𝜌𝑙− 𝜌𝑣) 𝜌𝑣2 )

1

4 (V.1)

Nous comparerons plus tard un de nos résultats expérimentaux au flux critique déterminé à partir de la relation de Zuber (bien que nos expériences ne se fassent pas dans les conditions d’application de cette relation, nous vérifierons ainsi le « bon » ordre de grandeur des flux critiques que l’on obtient). Face à la multiplicité des corrélations existantes pour le calcul du flux critique, nous ne nous étendons pas davantage sur le sujet ; le lecteur pourra trouver par exemple dans l’article de Katto [126] une revue des modèles et corrélations existants.

En ébullition convective, il existe plusieurs centaines de corrélations pour estimer le flux critique ; Groeneveld parle même de plus de mille corrélations, juste pour le cas d’écoulements en tubes chauffés [127]. Face à la complexité des phénomènes en jeu lors du déclenchement de la crise d’ébullition et à la difficulté d’établir un modèle fiable sur une gamme étendue de situations

145

diverses, les industriels utilisent généralement des valeurs tabulées du flux critique, issues de la compilation de milliers de données expérimentales. C’est le cas à l’IRSN, où les valeurs de flux critique sont estimées sur la base des tables de Groeneveld [128]. Les chercheurs pointent le fait que les données expérimentales sur le flux critique sont remarquablement dispersées. Il n’est pas évident de normaliser ces données pour les inclure dans les tables, ce qui fait l’objet d’un important travail [129]. Notons pour terminer cette brève introduction qu’on ne trouve pas dans la littérature, à notre connaissance, de corrélation sur le flux critique en milieu poreux.