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Présence de Lorca dans la poésie occitane du début du XXème siècle : échos et convergences

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Submitted on 14 Jan 2019

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Présence de Lorca dans la poésie occitane du début du

XXème siècle : échos et convergences

Marie-France Tourrel

To cite this version:

Marie-France Tourrel. Présence de Lorca dans la poésie occitane du début du XXème siècle : échos et convergences. Littératures. Université Paul Valéry - Montpellier III, 2018. Français. �NNT : 2018MON30015�. �tel-01979928�

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Délivré par l’Université Paul Valéry Montpellier 3 Préparée au sein de l’école doctorale 58

Et de l’unité de recherche Langues, Littératures, Arts et Cultures des Suds

Spécialité : Études occitanes Présentée par Marie-France TOURREL

Epouse Fourcadier

Soutenue le 26 octobre 2018 devant le jury composé de

Mme Laurence BREYSSE-CHANET Présidente

Rapporteur, Professeur, Sorbonne Université.

M. Rémy GASIGLIA Juré

Professeur, Université Sophia Antipolis Nice

M. Christian LAGARDE Rapporteur

Professeur, Université de Perpignan.

Mme Nathalie SAGNES-ALEM Codirectrice

Professeur, Université Paul-Valéry-Montpellier 3

Mme Marie-Jeanne VERNY Directrice

Professeur, Université Paul-Valéry-Montpellier 3

Présence de Federico García Lorca dans la

poésie occitane du début du XX

ème

siècle

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Remerciements

Qu’il me soit permis de remercier ceux qui, en me donnant la vie, m’ont aussi fait le cadeau d’une langue que j’ai longtemps appelée « patois » tout en percevant que c’était autre chose et qu’elle avait une noblesse et une histoire.

Un « mercé » particulier à Mme Marie-Jeanne Verny qui a su me convaincre de reprendre des études à un âge avancé et n’a pas ménagé sa peine pour ranimer une flamme vacillante, parfois, comme l’a fait Mme Nathalie Sagnes-Alem à qui je dis « muchísimas gracias por su ayuda ».

Ma profonde gratitude s’adresse, bien entendu, à toute la « còla » des enseignants du département d’occitan de la Faculté Paul Valéry, tous les professeurs qui, pendant mes années d’études, m’ont patiemment transmis les règles et la culture qui me manquaient pour parler et écrire correctement une langue entendue plus souvent que lue : Philippe Martel, pour son humour et son grand savoir, Jean-Claude Forêt et sa rigueur grammaticale, Hervé Lieutard et sa patience dans le difficile apprentissage des sons, Gilda Caiti-Russo et Gérard Gouiran, pour leur connaissance des mondes médiéval et troubadouresque, Mélanie Laupies et son humour, Gilles Arbousset et la découverte de traditions, Carmen Alen Garabato pour la linguistique. Merci à mes collègues et amis de licence et Master, de la « còla botifarra », Domenge, Miquèl, Monica, J-Luc… qui m’ont épaulée et encouragée. Je n’oublie pas l’assistance technique de mes amis Francis, Marie, Nicole, pour sa traduction en anglais… ni le soutien efficace du CIRDOC, de son directeur et des jeunes, Aurélien Bertrand et Noémie Eyraud. Une pensée va à mon collègue Bernard, l’homme aux deux casquettes, hispanique et occitane, qui a contribué à maintenir vives les braises qui couvaient sous la cendre de l’oubli, à l’heure du déjeuner, au collège de Vergèze, avec quelques moments de conversation en bonne langue du Gard. Un grand merci à Jean-Guilhem Rouquette que j’ai souvent sollicité et qui a toujours répondu tout comme Mme Jeanine Boudou et Mme Michèle Lesfargues. Merci à Florian Vernet qui a bien voulu accepter la tâche de relire mon travail et n’a pas été avare de conseils avisés.

Et enfin, je ne peux oublier celui qui m’accompagne dans la vie et a partagé mes recherches. Il m’a soutenue, tout au long de ce chemin, et m’a donné son temps quand je lui volais le sien, avec patience et amour, sans jamais (trop) rechigner. Ce travail, malgré ses imperfections et ses manques, lui revient pour une part comme il est aussi, un peu, le fruit des efforts de tous ceux et toutes celles qui m’ont aidée.

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5 Quiero dormir un rato, Un rato, un minuto, un siglo; Pero que todos sepan que no he muerto; “Gacela de la muerte oscura” Lorca Aquel jorn sabi que vendrà, Benlèu será l’an que ven… Joan Bodon.

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Table des matières

Remerciements ... 3

Table des matières ... 7

Préambule ... 11

Introduction ... 13

1- Les poètes et les œuvres en présence ... 19

1.1- Les poètes occitans ... 19

1.1.1- Contexte historique ... 19

1.1.2- Les hommes et leurs vies ... 20

1.1.2.1- Max Rouquette. Du Paradis de la garrigue à la nuit étoilée. ... 27

1.1.2.2- Robert Allan. Chantre de la truelle et de Lorca ... 29

1.1.2.3- Jean Boudou. Des racines rouergates aux rêves chimériques ... 29

1.1.2.4- Ramon Busquet. Entre éclat(s) de rire et rideau de larmes ... 32

1.1.2.5- Léon Cordes. De la terre au verbe. ... 32

1.1.2.6- Robert Lafont. Provençal et universel ... 33

1.1.2.7- Bernard Lesfargues. L’eau source de vie ; le feu signe de foi. ... 35

1.1.2.8- Jean Mouzat. Moderne troubadour limousin. ... 36

1.1.2.9- Roland Pécout. La Provence, l’Orient et le Monde. ... 37

1.1.2.10- Michel Decor. Occitanie et Orient. ... 39

1.2- Lorca, l’homme et l’histoire ... 41

1.2.1- Contexte historique ... 41

1.2.2- Sa vie, sa personnalité ... 44

2- Les œuvres occitanes. Traduction et / ou réécriture et créations... 53

2.1- Deux traducteurs : Rouquette et Allan : deux rapports à l’homme et à l’œuvre ... 53

2.1.1- Max Rouquette et l’inspiration hispanique ... 54

2.1.2- Robert Allan. Admirateur et traducteur de Lorca ... 75

2.2- Créations : « entre originalité et innutrition ». Influences littéraires ... 85

2.2.1- Entre réalisme et magie, modulations du chant et jeu théâtral ... 86

2 2.2- Sources communes : au commencement était la Bible ... 89

2 2.3- Les troubadours. Albas, planhs, cançons et sirventès. ... 92

2 2.4- Le romance, forme populaire et forme littéraire ... 110

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2 2.6- Influences « extérieures ». Autres maîtres ... 124

2.2.7- Fraternité lexicale. Les mots bessons / mots jumeaux ... 140

2.3- La tradition modernisée. Des coutumes anciennes aux médias récents ... 153

2.3.1- Thèmes traditionnels. Les chants et les contes ... 153

2.3.2- Nanas, breçairòlas et berceuses. L’enfance de la langue ou la langue de l’enfance ... 160

2.3.3- Folklore et folklorisme ... 165

2.3.4- Transmission orale et gestuelle. Du théâtre au cinéma ... 169

2.3.5- L’Art poétique et «°Le “métier” de poète°» ... 178

2.3.5.1- Construction du poème ... 179

2.3.5.2- Intervention du Duende ... 185

2.3.5.3- Le Cante jondo. Des profondeurs silencieuses jaillissent la parole et le chant ... 187

2.3.5.4- La versification et la musique ... 198

2.3.5.5- Conjugaison, jeux de mots, allitérations et métaphores ... 201

3- Fraternité conceptuelle. Similitudes et dissemblances. ... 216

3.1- Les « paysages du poèmes » . Fraternité géographique ... 220

3.2- Cheminement et enracinement. À la recherche de la langue perdue... 231

3.3- Spécificités occitanes. Le droit à la parole et le devoir de Dire ... 255

3.4- Terre et cosmos. Des gouffres terrestres aux profondeurs célestes ... 270

3.4.1- La peinture et les couleurs au service des poèmes ... 270

3.4.1.1- Le vert et ses ambivalences : de l’espérance à la déchéance ... 272

3.4.1.2- Le noir : ombre et lumière... 281

3.4.1.3- Le blanc et ses mille nuances : pureté virginale ou marque fatale du destin ... 285

3 4.1.4- Le bleu. Des profondeurs aquatiques aux rêves d’azur ... 290

3.4.2- Végétation – les arbres entre terre et ciel ... 300

3.4.2.1 L’olivier, marqueur de paysage et porteur de mythes ... 302

3.4.2.2. Le figuier, arbre-femme, entre force de vie et menace de mort ... 308

3.4.2.3 Arbres aimés / arbres mystère… Amandiers, châtaigniers, cyprès, peupliers, chênes 313 3.4.2.3. Flore menue et odorante. Fleurs et fruits. ... 317

3.4.3- Bestiaire : réalité et imaginaire ... 322

3.4.3.1- Les taureaux, le toro ou la « vaca del viejo mundo » ... 322

3.4.3.2- Les chevaux. Hommes et chevaux ... 327

3.4.3.3- Bestiaire varié. Menu bétail et insectes ... 331

3.4.3.4- Vie aquatique et animaux fabuleux ... 354

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3.5.1- Les astres. Lune et étoiles ... 361

3.5.2- Les Eléments : le vent, l’eau, le feu. ... 389

3.5.2.1- Le vent, l’air en mouvement ... 389

3.2.3.2- L’eau, élément composé, élément complexe ... 413

3.2.3.3- Le feu entre lumière et passion ... 442

3.6- Les êtres humains : acteurs et victimes de la vie ... 448

3.6.1- Les femmes : archétypes de la Peine et de la solitude ... 456

3.6.2- Les hommes stigmatisés : gitans et parias ... 465

3.6.3- Les hommes en noir. La Guardia civil ... 479

3.7- Sentiments. De la peine à la mort dans la quête de l’amour ... 486

3.7.1- L’injustice et le désespoir : moteurs de révolte poétique ... 488

3.7.2- L’amour et la mort : les deux faces de la vie ... 508

3.7.2.1- La quête douloureuse et incessante de l’amour ... 508

3.7.2.2- L’érotisme ou la poésie du corps féminin ... 528

3.7.3- La mort ; et après ? ... 548

3.7.4- Religion, croyance, foi, connaissance ... 592

Conclusion ... 623

Annexes ... 627

1- Un document : Lorca dans la bibliothèque de Max Rouquette ... 627

2- Biobibliographie complémentaire des auteurs occitans ... 627

2.1- Adrien-Robert Allan ... 627 2.2- Jean Boudou ... 628 2.3- Raymond Busquet ... 628 2.4- Léon Cordes ... 628 2.5- Michel Decor ... 629 2.6- Charles Galtier ... 631 2.7- Robert Lafont ... 631 2.8- Bernard Lesfargues ... 632 2.9- Jean Mouzat ... 635

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2.10- R. Pécout ... 636

2.11- Max Rouquette ... 636

Bibliographie ... 639

1- Bibliographie primaire ... 639

1.1- Federico García Lorca ... 639

1.1.1- Lorca – textes espagnols ... 639

1.1.2- Lorca - Traductions françaises ... 639

1.1.3- Lorca – traductions occitanes ... 640

1.2- Auteurs occitans ... 640

2- Bibliographie secondaire ... 642

2.1- F. García Lorca : ouvrages et articles de référence – sites Internet ... 642

2.2- Autres auteurs espagnols ... 643

2.3- Traductions françaises des auteurs espagnols ... 643

2.4- Ouvrages de référence sur les auteurs occitans ... 644

2.5- Auteurs français et étrangers ... 646

2.6- Études et critiques ... 646

2.7- Manuels, Diccionnaires et grammaires ... 647

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Préambule

Quelques indications sur la présentation des poèmes sont nécessaires.

Priorité a été donnée aux textes de Federico García Lorca, suivis par ceux de Max Rouquette et Robert Allan, les deux grands traducteurs de Lorca. Les traductions françaises sont placées en regard du texte espagnol ou occitan. Lorsque les vers sont longs, nous avons préféré mettre la traduction à la suite. La taille de la police a, parfois, été modifiée afin de ne pas disloquer les poèmes.

Les traductions françaises d’André Belamich, Pierre Darmangeat, Jean Prévost et Jules Supervielle sont tirées du recueil Poésies II, 1921-1927, Gallimard de 1966 : Chansons, 1954 comme le Poème du cante jondo, Romancero gitan, de 1961, et du recueil Poésies III, par André Belamich, Claude Couffon, Pierre Darmangeat et Bernard Sesé : Poète à New York, 1981, Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias 1981, et Divan du Tamarit 1961. Le recueil Œuvres complètes I et II, Gallimard, de 1981 indique les dates de la première édition du Romancero gitan, 1961, celle du Poème du Cante jondo est de 1981 comme le Chant funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias.

En ce qui concerne les traductions occitanes de Max Rouquette et de Robert Allan, éditées et présentées par P. Gardy et publiées par Letras d’oc, nous avons indiqué les références complètes de l’édition lors de la première note de bas de page ; ensuite nous avons choisi de simplifier la présentation dans les notes suivantes en ne donnant plus que le nom de l’auteur et le numéro de la page dans l’œuvre.

Les traductions qui sont de notre fait sont entre crochets.

La référence des extraits cités dans le corps de texte est entre parenthèses, à côté de la citation, afin d’éviter la multiplication des notes de bas de page. Certaines citations en occitan comportent des « erreurs » d’orthographe car elles proviennent d’éditions et de recueils anciens pour lesquels ni les éditeurs ni les auteurs n’avaient effectué des modifications ou des normalisations. Nous les avons conservées car elles sont la preuve tangible de l’évolution de la langue occitane et de l’effort des écrivains pour parvenir à une grande correction linguistique afin d’être compris par la majorité des locuteurs natifs, ignorants souvent qu’ils possédaient une langue véritable et une culture ancienne et remarquable.

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Introduction

Les Muses Érato et Calliope se sont penchées sur le berceau des poètes pour leur offrir les dons de la parole, du chant et de la poésie. Un poète andalou a bénéficié de ces présents qui, alliés à son destin dont le fil fut tragiquement coupé aux débuts d’une guerre civile meurtrière, ont impressionné certains écrivains et poètes du Sud de la France qui l’ont apprécié, traduit voire imité et son empreinte est particulièrement sensible et lisible chez certains auteurs du début du XXe siècle. Sa vie, bien que courte, fut bien remplie et si la poésie est son arme première, il fut aussi pédagogue, dramaturge, musicien, dessinateur, conférencier… Ce grand poète est Federico García Lorca…

Federico García Lorca : pourquoi citer le nom de ce grand écrivain du début du XXème siècle quand il s’agit de parler de littérature occitane et plus précisément de poésie ? Pourquoi ce choix ? Il peut s’expliquer par une attirance ancienne pour la culture hispanique et la langue espagnole et pour certaines œuvres de Lorca en particulier. Vers le milieu du XXème siècle, pour des raisons économiques et politiques, de nombreux Espagnols et pas seulement certains acteurs de la scène artistique espagnole, ont trouvé un refuge politique, social et économique en France.

Par ailleurs, les écrivains occitans dont il sera question ici ont dû, pour accéder à l’écriture en occitan, dépasser la barrière de la minoration sociolinguistique de la langue qu’ils allaient choisir comme langue d’expression littéraire. Rien de moins « naturel » en effet, que ce choix et ce depuis le 16e siècle. Il leur fallait d’abord se convaincre que cette langue, interdite de fait de l’usage public, privée de statut et de reconnaissance et dont même la pratique orale allait en diminuant, pouvait devenir langue de création Et cette conviction était née, souvent, parce que les hasards de l’existence les avaient mis en contact avec la littérature occitane, des troubadours à Mistral, pour parler des influences les plus souvent revendiquées.

Comment expliquer, cela étant, la rencontre entre ces deux phénomènes : le choix de l’occitan comme langue de création et la fascination pour la littérature espagnole, pour l’œuvre de Lorca en particulier ?

Cette rencontre peut s’expliquer par un sentiment de familiarité ; une familiarité que l’on peut percevoir dans les compositions de certains poètes occitans du début du XXème siècle. Cette impression de reconnaissance est certainement due à une proximité des deux langues, l’occitan et le castillan, qui se double d’une similitude lexicale et sémantique mais aussi d’une communauté de sources littéraires qui ont inspiré les poètes. En regardant de près la biographie de ceux qui ont composé en occitan, nous nous apercevrons qu’ils étaient quasiment tous bilingues français-occitan car ils avaient hérité cette langue de leur famille et/ou de relations avec les habitants des villages. La question peut se poser de savoir ce qui a motivé leur recherche pour approfondir leurs connaissances et les moyens qu’ils se sont donnés pour parvenir à faire de ce « patois » une langue reconnue, écrite et enseignée, malgré

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les nombreuses embûches qui furent et sont encore tendues aux langues minoritaires et régionales.

Mais la résonnance ou l’empreinte de Lorca dans la poésie occitane soulève d’autres questions. Pourquoi ces hommes du Sud de la France, et en particulier trois d’entre eux, ont-ils choisi de traduire certaines compositions de Lorca ? Pourquoi ont-ont-ils choisi certaines œuvres et pas d’autres ? Pourquoi ont-ils emprunté à Lorca certains concepts, ce qui provoque chez le lecteur une sensation de fraternité d’idées ? Et surtout, comment ont-ils réutilisé ces notions dans une langue peu prisée et en voie d’étiolement, voire de disparition, mais pour la renaissance de laquelle ils ont ardemment œuvré et dont ils ont défendu la cause et permis le redressement.

Les traductions de certains poèmes lorquiens par Max Rouquette et Robert Allan nécessitent une attention particulière. Il faut donc comparer, parfois opposer, les motifs d’écriture, les styles et les concepts : vision du monde, des humains, des sentiments. L’étude et l’analyse des ressemblances et / ou des différences entre Lorca et les Occitans mais aussi entre les finalités des compositions des uns et des autres s’avèrent indispensables pour tenter de répondre à la question : pourquoi Lorca ? et déterminer le poids de l’influence de Lorca sur les œuvres de certains écrivains occitans du XXème siècle débutant.

Par ailleurs, certains écrivains occitans ont eu pour maîtres, lors de leurs études, des personnalités marquantes qui les ont encouragés à suivre le modèle andalou. Quels sont les poètes occitans qui ont été marqués par l’Andalou ? Quels sont les liens qui se sont tissés entre les écrivains occitans et l’Andalou ? De quelle sorte de liens peut-on parler ? Qu’ont-ils trouvé dans les œuvres de Lorca et pourquoi avoir choisi cette source à la fois si typiquement andalouse et si pleinement universelle ?

À l’étude des poèmes espagnols et des textes occitans, des réminiscences du génie andalou transparaissent dans les grandes œuvres occitanes ; naissent ainsi les mêmes questionnements, les angoisses identiques face aux sociétés en mutation, aux mentalités changeantes de l’époque. Dans l’ambiance mouvementée de ce XXe siècle débutant, de chaque côté des Pyrénées, il s’est établi une fraternité littéraire entre Lorca et les Occitans. Il serait peut-être plus approprié de parler de « sororité » puisque les deux langues sont issues de la même source, elles sont filles de la même mère latine et si elles ont divergé comme les enfants se détachent des parents, il n’en reste pas moins entre elles une filiation très étroite.

La proximité géographique est un facteur favorisant le rapprochement : les Pyrénées n’ont pas joué réellement un rôle de frontière hermétique et imperméable1. Si l’espagnol a toujours été la langue dominante, le catalan a subi les assauts d’une politique linguistique unitaire, tout comme l’occitan qui connaissait un renouveau agité et mouvementé mais agissant grâce à de

1 « II n'y a plus de Pyrénées ! ». L’histoire rapporte cette phrase attribuée à Louis XIV, en 1700, lors de

l’accession au trône espagnol de son petit-fils le duc Philippe d'Anjou, le roiCharles II de Habsbourg étant mort sans héritier.

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nombreux écrivains et poètes et à leur activité militante pour le respect de leur langue et culture mais aussi des traditions.

Ces écrivains, languedociens ou provençaux ou limousins, ont puisé dans l’œuvre lyrique de Lorca soit en traduisant des compositions du maître soit en y cherchant l’inspiration pour la création de leurs propres œuvres. Cette aura magistrale est perceptible, parfois reconnaissable, dans quelques œuvres de nombreux auteurs occitans du début du XXe siècle. À ce moment de l’histoire, ces derniers sont au début de leur « re-naissance », de la prise de conscience d’une identité linguistique et ils se sont lancés avec la même ardeur que Lorca dans les batailles de l’enseignement, de la pédagogie, du renouveau de l’écriture. En s’appuyant sur les anciens, sur les traditions populaires, sur le dessin, la peinture, la musique dont il était passionné, Lorca a fait lui aussi œuvre de modernité et les points communs sont nombreux avec les poètes de ce côté-ci des Pyrénées. Parmi les poètes de langue occitane du début du XXe siècle nombreux sont ceux qui ont approché l’homme et aimé et traduit son œuvre. Le choix, que nous avons dû effectuer, parmi tous les poètes, a été draconien mais nécessaire et obligatoire.

S’il n’est pas possible de les étudier tous en détail, nous devrons nous contenter (à tous les sens du terme !) d’en traiter quelques-uns parmi les plus connus, sans oublier de jeter un œil attentif sur ceux, peut-être moins connus ou moins édités, mais qui ont contribué et contribuent encore à faire chanter la langue d’oc.

Federico García Lorca influence les poètes occitans ? Lorca est ce poète génial, « que tiene ángel »2 c'est-à-dire qui charme et fascine tant par son œuvre poétique que par ses tragédies. Ce touche-à-tout, doué pour la musique, le dessin et le chant a eu une présence rayonnante sur son époque et cette aura l’a suivi sur des terres lointaines comme les USA mais s’est aussi étendue sur ces voisins immédiats que sont les poètes occitans.

Un proverbe espagnol affirme: « Genio y figura, hasta la sepultura. »3 . Lorca a ce génie, cette intelligence, cette prestance et ce charisme qui ont permis à ses œuvres de dépasser, de transcender sa mort et sa sépulture misérables pour atteindre la gloire posthume mais vivante dans l’impression qu’elle a produite chez certains poètes occitans. Monique Boquet-Clot (professeur d’espagnol) termine sa conférence intitulée « Lorca, poète et dramaturge » (donnée le 16 mars 1956 devant la Section départementale de l’Association Guillaume Budé) par ces mots et ces interrogations :

Les siècles d'or avaient-ils donc le secret d'un bonheur que nous avons perdu ? Les hommes d'aujourd'hui sont-ils plus sceptiques ? Parce que plus lucides ou plus orgueilleux ? On n'en a sans doute jamais achevé de réfléchir à ceux qui embellissent la vie, dans la présence ou

2 Une qualité, une personnalité indéfinissable présente surtout chez les Andalous.

3 Ce proverbe signifie que les individus conservent leur caractère et façon d’être durant toute leur vie : « Dice

que los individus conservan su carácter y modo de ser a través de toda su vida. » Cf. Bergua José, Refranero español, Colección « Tesoro literario » n° 28, p. 253.

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16 l'absence, c'est pourquoi il y avait peut-être quelque intérêt à se pencher sur cette figure, proche et lointaine, sur les pouvoirs et les secrets de cette voix andalouse, si tôt étranglée... 4.

Ce XXe siècle naissant est fertile en évènements de toutes sortes ; le premier tiers est une période de splendeur sur les plans de l’écriture, de la peinture, du cinéma… Une nouvelle génération d’intellectuels surgit entre 1917 et 1936. En général ce sont des universitaires nés et éduqués au sein d’une classe moyenne, désireux de découvrir les racines espagnoles mais dans une perspective européenne. En Espagne, on l’a appelé « l’Âge d’argent », la « Edad de plata » 5, en référence à ce qui fut l’autre « Edad de Oro » ou Siècle d’or (Siglo de Oro) des XVIe et XVIIe siècles. Qui plus est, cet âge d’argent ne s’est pas dissocié de la (ou des) crises politiques et certains écrivains ont dû s’exiler ou ont péri dans des camps opposés.

Car ce ne sont pas que des couleurs positives et gaies qui habillent le commencement du XXe siècle ; il y a les heures sombres des deux guerres mondiales dont une a pris le relais de la Guerre civile espagnole. Ces crises ont été à l’origine des changements de société et de culture. Elles ont provoqué des réflexions nouvelles sur les hommes et les femmes de France et d’Espagne, elles ont bouleversé les mentalités et les poètes ne sont pas restés insensibles à ces mutations plus ou moins ouvertes ; ils s’en sont fait l’écho, les écrivains occitans peut-être plus encore que Lorca.

Ce début de siècle, en Espagne, voit s’épanouir une veine lyrique populaire parmi les écrivains qui « appartiennent presque tous à la classe moyenne », signale Jean Camp6. Il ajoute aussi que « le passage de la royauté à la république suscite de grands espoirs ». Le lyrisme va être marqué par le grand auteur nicaraguayen Rubén Darío (1867-1919), puis Juan Ramón Jiménez (1881-1958), Antonio Machado, Jorge Guillén… et Federico García Lorca dont l’« œuvre mutilée » sera un produit de Góngora, de Lope de Vega, c'est-à-dire « une verve nationale plus curieuse, plus éclatante, plus féconde » et qui transmettra « la saveur poivrée de l’œillet andalou, l’accent zézayant du gitane [sic], le goût et la peur de la mort. » 7.

S’il est nécessaire de connaître le contexte historique de ce XXe siècle, il faut étudier les influences littéraires qui ont pu marquer la culture occitane en plus du magnétisme exercé par Lorca. Les écrivains occitans ont côtoyé les grands auteurs espagnols par l’intermédiaire de l’Andalou qu’ils ont traduit et étudié et ils ont employé des procédés littéraires semblables ou s’en sont inspirés pour leurs propres créations. La nature et ses couleurs, l’univers et les animaux, les végétaux mais aussi les hommes sont au centre des préoccupations de Lorca en tant qu’homme et poète et ces éléments sont attractifs pour les Occitans. Mais la proximité culturelle ne doit pas faire oublier une certaine parenté géographique entre les terres du Sud de France et l’Andalousie, terre du Sud de l’Espagne.

4 Monique Boquet-Clot, Lorca, poète et dramaturge. Bulletin de l'Association Guillaume Budé : Lettres

d'humanité. Année 1956, Volume 15, Numéro 4, pp. 139-157.

5 Cf. Urrutia Cárdenas-Hernan, La edad de plata en la literatura española, (1969-1936).

http://cvc.cervantes.es/literatura/cauce/pdf/cauce22-23/cauce22-23_33.pdf

http://www.larapedia.com/historia_de_la_literatura/Literatura_en_la_edad_de_plata_caracteristicas_resumen.ht ml

6 Jean Camp, La littérature espagnole (1943), 8ème édition, Paris, PUF. 1965, p. 111. 7 Jean Camp, Op. Cit., p. 114.

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Sur ces terres vivent des hommes et des femmes qui éprouvent des sentiments variés qu’ils expriment de façons multiples. Le peuple est, avec ses chants, sa musique d’expression populaire, la muse de Lorca, mais aussi, à travers lui, des poètes occitans. Ces derniers se sont emparés de la poésie comme d’une arme pour soutenir des hommes rejetés, pour défendre une langue oubliée, méprisée, voire honnie, et ils ont suivi avec enthousiasme le chemin tracé par Lorca, dont la voix charmeuse et envoûtante encore au XXIe, siècle continue de résonner sur les scènes. Et s’il y a une explication à cet envoûtement et à cette fascination exercés sur les poètes occitans, par ce génie « polifacético » qu’était l’artiste andalou, il faut peut-être les chercher dans la personne, la personnalité de Federico García Lorca, marionnettiste des mots et magicien des images. Mais il était aussi un jeune homme qui est trop tôt disparu, de façon brutale, injuste et injustifiée et dans des circonstances imprécises, inhumaines et cruelles. Cette mort a fait de l’homme un héros et a transformé l’artiste en martyr d’une dictature qui commençait à faire peser sur une Espagne en mouvement le poids de la botte et l’obscurantisme franquistes, et cela pour plus de quarante ans.

En un premier temps, nous nous pencherons sur les poètes et le contexte historique dans lequel ils ont vécu. Nous devons faire connaissance sinon avec Lorca sur lequel il a été beaucoup écrit, du moins avec les auteurs occitans qui sont malheureusement moins connus. Nous allons découvrir quelques représentants de la poésie occitane du début du XXe siècle qui furent attirés par le génie lorquien, dans leur univers, le contexte historique et littéraire dans lequel ils ont créé et traduit. Certains appartiennent à deux générations, nés entre 1900 et 1925 ; d’autres sont plus jeunes mais tous ont eu un contact direct ou indirect avec le grand maître andalou.

Les principaux poètes qui ont été choisis ici malgré la difficulté et l’obligation de trancher8 sont Max Rouquette (Max Roqueta), Léon Cordes (Leon Còrdas), Jean Boudou (Joan Bodon), Robert Lafont, Bernard Lesfargues (Bernard Lesfargas), Robert Allan, Roland Pécout (Rotland Pecot), Ramon Busquet, Jean Mouzat, Michel Decor et Charles Galtier. Un poète de la deuxième moitié du XXe siècle, Philippe Gardy, caché derrière le critique érudit, passionnant et passionné, nous a permis de pénétrer dans les secrets des poètes occitans pour éclairer leurs œuvres et en faciliter la compréhension. Les plus anciens parmi ceux qui ont été choisis ont connu très tôt les traductions de certaines compositions de Lorca et tous ont développé des qualités humaines et artistiques proches de celles de leur modèle.

Nous allons nous attacher, dans une deuxième partie, à rechercher les points communs qui unissent Lorca et les poètes occitans en observant le lexique, les figures de style qui révèlent l’art poétique de chacun et le métier de poète et qui traduisent leur maîtrise de leur langue mais aussi en nous appuyant sur les concepts qu’ils ont pu développer dans leur approche de l’humanité sur terre et de la pensée philosophique qui constitue une part importante de la création poétique. Le rôle et la présence de l’homme sur terre et son rapport à ce qui peuple

8 Ce n’est pas de gaieté de cœur que de grands noms de la littérature occitane du début du XXe siècle comme

Jean-Marie Petit (1941), Serge Bec (1933), Alain Péglion dit Alan Pelhon (1946-1994) … ont été écartés mais le sujet nous obligeait à nous « limiter » à ceux qui avaient connu et apprécié très tôt la poésie de Lorca.

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ou anime cet univers : végétation et animaux ainsi que sa vision du cosmos et des astres mais aussi de sa relation au divin sont la composante majeure de la dernière partie de cette étude.

Si l’empreinte de Lorca semble évidente dans les œuvres des poètes occitans du début du XXe siècle, pour la plupart de la même génération, il est clair aussi que des divergences dans les thèmes, des dissemblances dans l’écriture, des différences d’engagement vont se manifester et ne pourront être passées sous silence. Ces dissimilitudes s’expliquent par le caractère de chacun des auteurs, le mystère et le choc qui ont entouré la disparition de Lorca, les conditions socio-politico-économiques des deux « pays » et en particulier, l’évolution de la langue occitane qui a dû défendre son statut de langue à part entière. Il nous faudra noter certainement quelques oppositions ou quelques différences ; une, en particulier, nous semble importante, c’est la question du cas particulier de la langue d’oc.

Au fur et à mesure de l’étude, apparaitront aussi des interactions entre ces différents poètes, comme, par exemple entre Max Rouquette et Léon Cordes et peut-être aussi Robert Lafont car autant Cordes que Lafont ont lu et apprécié Max Rouquette et celui-ci avait une grande admiration pour Lorca9. Charles Camproux (Carles Camprós), R. Nelli - bien qu’appartenant à la génération Rouquette - et Philippe Gardy sont souvent appelés pour soutenir et étayer les analyses des poèmes et des concepts : ils vont nous guider pour entrer dans le monde enchanté et enchanteur des œuvres du maître andalou et de ses disciples occitans aux voix multiples.

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1- Les poètes et les œuvres en présence

Un regard rapide sur l’Histoire des débuts du XXe siècle en France est nécessaire pour mieux appréhender la situation des poètes occitans et une présentation de leurs vies et de leurs œuvres est inévitable pour comprendre leur personnalité. Le même cheminement est indispensable pour bien cerner le caractère de Lorca et connaître les événements qu’il a vécus afin d’effectuer une exploration des points communs et / ou des disparités.

1.1- Les poètes occitans

1.1.1- Contexte historique

En 1898, date de la naissance de Lorca, la France s’enflamme pour l’affaire Dreyfus : la période de 1899 à 1906 sera nommée « République anticléricale » ; elle entraîne la séparation de l’Église et de l’État en 1905.

L’exposition universelle de 1900 permet de découvrir des merveilles dans les domaines scientifiques et techniques. Le métro va bientôt révolutionner les transports. L’avion est un nouveau moyen de transport et il permet à Louis Blériot de réaliser un exploit : la traversée de la Manche. Il y a aussi les progrès scientifiques notamment grâce à Marie Curie… C’est la « Belle Époque », moment d’insouciance, de réalisations diverses.

Mais l’optimisme ambiant de la « Belle Époque » est brutalement balayé par la Première Guerre Mondiale qui, pendant quatre ans va faucher des millions de morts et laisser des millions de blessés pendant que les femmes, à la campagne, prennent leur destin en main et que d’autres femmes découvrent le monde de l’industrie.

Sur le plan intellectuel et artistique, la mode avec Coco Chanel, la littérature et le surréalisme d’André Breton sont quelques-uns des modèles des « Années Folles ». Cette époque sera assez sage pour offrir la création des assurances sociales. Mais le krach de 192910 est suivi d’une récession dont l’Allemand Adolf Hitler va se servir pour instaurer un régime dictatorial. C’est le Front Populaire né en 1935 qui gagne les élections de 1936 et les Français découvrent les congés payés11.

Mais bien avant ces événements, un retour vers le passé de la langue et de la culture occitanes s’impose afin de mieux cerner la problématique des poètes occitans. Après l’âge d’or des Troubadours, aux XIIe et XIIIe siècles, la langue occitane qui n’avait pas encore ce

10 Le « jeudi noir » (24 octobre 1929) et les jours suivants, la Bourse de New York (Wall Street) connut un

effondrement spectaculaire du cours des actions qui entraîna une crise économique qui se répercuta aux économies européennes.

11 Cf. Las largas vacaciones del 36 est un film espagnol de 1976 de Jaime Camino. C’est le premier film sur la

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nom, a été méprisée au point d’être interdite par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (août 1539), édictée par François Ier.S’en sont suivis des siècles d’errance linguistique dans chaque région de France qui parlait un dialecte limousin, provençal avant de s’appeler « occitan », pour maintenir ce qui était la « lenga de l’ostal », la langue de la maison et de la vie quotidienne mais qui n’était plus autorisée dans les documents administratifs et officiels. Plus près de nous, avec la gratuité et l’obligation de la scolarité instaurées par les lois Jules Ferry, les « hussards noirs de la République » furent chargés d’éradiquer définitivement cette langue des bouches et des écrits des élèves scolarisés. Par contre, n’ayant pas des problèmes d’hégémonie linguistique, les auteurs espagnols ont toujours eu la facilité de porter haut les couleurs de leur civilisation.

Les Occitans semblent « unis » par les mêmes désirs de lutte pour leurs traditions mais dans le but, sensiblement différent de celui de Lorca, de structurer la langue, de la rendre compréhensible pour tous ; dans l’espoir de créer une « respelida », un « réveil », que l’on n’espérait plus (au sens du verbe esperar : attendre et espérer) et de lui rendre sa splendeur d’antan et, peut-être de la faire revivre. Mais il s’agissait aussi de lui permettre de retrouver une certaine crédibilité aux yeux des élites méprisantes. Sans doute cette attitude est-elle l’expression d’un souhait : se rapprocher sinon d’un âge d’or, du moins d’une époque qui pourrait paraître semblable à cet âge d’argent espagnol qui vit refleurir une profusion de revues, à but littéraire et pédagogique. Entre 1888 et 1936, en effet, ce fut une période de splendeur pour la littérature espagnole, splendeur qui rappelait le fameux « Siglo de Oro », « le Siècle d’or ». Lorca lui-même a cherché, à travers ses conférences et à travers le théâtre, à enseigner la culture andalouse mais aussi à faire connaître les auteurs anciens et délaissés comme Lope de Vega et Calderón de la Barca, ou Cervantes, par exemple.

Il est possible de s’interroger sur les hommes et les motivations de ces Occitans qui étaient en recherche de beauté pour leur langue méprisée, soucieux de lui redonner « un brillo », une brillance et une notoriété nécessaires à sa survie.

1.1.2- Les hommes et leurs vies12

Qui sont ces hommes occitans qui reçurent l’influence du grand andalou et ont contribué à sa connaissance et à sa gloire ? Pourquoi ont-ils traduit certaines de ses grandes compositions et se sont inspiré de son œuvre pour leurs créations personnelles ? Quelles sont ces oreilles qui ont entendu « […] le fracas que fait un poète qu’on tue » ? Qui sont ces cœurs qui ont senti la peine profonde de « cette bouche absente » ainsi que l’a si bien dit Louis Aragon ?

Tout ce que l'homme fut de grand et de sublime Sa protestation ses chants et ses héros

Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux A Grenade aujourd'hui surgit devant le crime Et cette bouche absente et Lorca qui s'est tu

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21 Emplissant tout à coup l'univers de silence

Contre les violents tourne la violence Dieu le fracas que fait un poète qu'on tue 13

Le tableau qui suit met en évidence le fait que la connaissance et la découverte des poésies lorquienne se sont faites très tôt en France ou, plus exactement, dans cette Occitanie du Sud élargie à la Dordogne. Les écrivains de la deuxième génération choisis pour cette étude proviennent de régions plus variées. Tous ont eu une approche livresque des œuvres de Lorca et ont pu savoir ce qui se passait en Espagne en 1936, avec une plus grande intensité pour les plus anciens. L’empreinte lorquienne a été assez forte pour durer encore dans la deuxième moitié du XXe siècle. Il est possible d’établir un lien étroit entre l’Espagne et l’espace occitan : les poètes sont attirés très tôt par la culture hispanique ; les enseignants sont nombreux (Boudou, Galtier, Lafont, Mouzat), et deux furent professeurs d’espagnol : Lesfargues et Busquet.

Années 1900-1915 Années 1915-1930 Années 1930-1950

J. Mouzat 1905 Max Rouquette 1908 L. Cordes 1913 C. Galtier 1913 J. Boudou 1920 R. Lafont 1923 B. Lesfargues 1924 R. Busquet 1926 R. Allan 1927 M. Decor 1949 R. Pécout 1949 P. Gardy 1948

Il est bon de remarquer en un premier temps que la mort de Lorca ne semble pas avoir ému outre mesure le « mundillo » littéraire français. Le massacre de Guernica un jour de marché, en avril 1937, soulèvera davantage d’indignation ; ce sentiment peut se comprendre mais il n’y a pas lieu ici d’en explorer les raisons.

Selon un article de Emilio Sanz De Soto14, la guerre d’Espagne a agité les consciences indécises de l’Europe. Parmi les écrivains français qui réagirent à ces événements, une femme se détache, Simone Weil, présente sur le sol espagnol en août 36, mais se prononcent et agissent aussi André Malraux, Georges Bernanos qui ont réagi à la nouvelle du soulèvement et se sont révoltés contre sa violence dès le déclenchement de la guerre civile. L’action d’André Malraux du côté des Républicains et son roman L’Espoir sont connus. Dans l’autre camp, un poète, Paul Claudel, rédige son ode « Aux martyrs espagnols », éditée à Bruxelles en 1937, alors qu’en mai 1938 paraissent Les grands cimetières sous la lune, de G. Bernanos, bien moins engagés comme le sont F. Mauriac ou J. Maritain. Entre 37 et 38, de nombreux

13 « Un jour, un jour ! » Poème de L. Aragon écrit en hommage à Lorca, chanté par Jean Ferrat et Isabelle

Aubret. Voir : Aragon, [1963], 1990. Le fou d'Elsa, Paris, Gallimard. P. 376.

14 « Les écrivains et la guerre d’Espagne. ». Article d’Emilio Sanz De Soto, Málaga, 1944, Madrid, 2007.

Ecrivain et essayiste ; professeur de civilisation, de littérature et de cinéma espagnols à l’université de New York ; scénariste pour Buñuel et Bardem et directeur pour six films de Carlos Saura. Cf. http://www.monde-diplomatique.fr/1997/04/SANZ_DE_SOTO/4705 Avril 1997, pages 26 et 27

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romans furent écrits par des auteurs anglais et certains s’engagèrent du côté des Républicains et y laissèrent la vie. En Angleterre, des écrivains comme Arthur Koestler (The Spanish testament / Un testament espagnol, de 1938) ou George Orwell (Eric Arthur Blair) dont le cinéaste Ken Loach adaptera le livre Homage to Catalonia / Hommage à la Catalogne, sous le titre Land and freedom en 1995, se sont engagés dans l’opposition au franquisme : engagement littéraire et militaire. La conflagration espagnole a eu des répercussions aux Etats-Unis notamment chez Ernest Hemingway et John Dos Passos, connaisseurs de l’Espagne. De nombreux Américains vinrent combattre aux côtés des Brigades internationales. Parmi les écrivains russes, un nom s’impose : Ilia Ehrenbourg, ami de Rafael Alberti15. En Belgique, Ernest Delève16 dans son premier recueil La belle journée, rend hommage à Lorca, tout comme Edmond Vandercammen17 (1953) et Henri Cornélus18. L’auteur d’origine irlandaise qui prit la nationalité espagnole en 1984, Ian Gibson, grand connaisseur et admirateur de Lorca, souligne l’importance de la nouvelle incroyable à laquelle les amis du poète ont eu beaucoup de mal à accorder du crédit dans l’essai intitulé Lorca-Dalí El amor que no pudo ser : « El rumor de la muerte de Lorca a manos de los fascistas corrió como un reguero de pólvora por las redacciones de la prensa mundial hacia el 10 de septiembre de 1936 »19, [La rumeur de la mort de Lorca des mains des fascistes a couru comme une traînée de poudre dans les rédactions de la presse mondiale vers le 10 septembre 1936].

Quelques écrivains occitans, hispanophiles ou hispanophones comme quelques Français eux aussi amis de l’Espagne, s’élèveront contre l’acte perpétré contre l’intellectuel Lorca. Louis Aragon a composé à ce propos des pages poignantes dans Le Fou d’Elsa, par exemple dans le poème « Les Veilleurs » :

Dessous l’arche d’Elvire Je te veux voir passer Pour connaître ton nom Et me mettre à pleurer20 […]

Tu n’avais qu’un an de moins que moi mais au grand jamais tu demeureras ce jeune homme Éternellement ce jeune homme et nul ne verra tes cheveux blanchir ton front ridé

15 Cf. l’article de Emilio Sanz de Soto dans le Monde Diplomatique d’avril 1997, p. 26 et 27.

http://www.monde-diplomatique.fr/1997/04/SANZ_DE_SOTO/4705

16 Ernest Élie Joseph Maurice Delève est un poète belge d'expression française, né le 13 octobre 1907 à Ixelles et

mort le 14 août 1969 à Ransart. Avocat de formation, issu d’un milieu modeste, ses idées le poussent vers l’Espagne républicaine et vers le communisme. Il est alors proche des idées de Louis Aragon. http://www.leshommessansepaules.com/auteur-Ernest_DEL%C3%88VE-355-1-1-0-1.html

17 Ernest Vandercammen (1901-1980). Peintre et écrivain, membre de l'Académie royale de langue et de

littérature française. Fondateur du Journal des Poètes. Hispanisant, a traduit de nombreuses œuvres d'auteurs d'Amérique du Sud.

18 Henri Cornélus (1913-1984), Poète et romancier, Inspecteur d'enseignement au Congo, chargé de cours à

l'ULB. Également traducteur de romans espagnols et néerlandais. Dans les nouvelles rassemblées sous le titre Les Hidalgos (Bruxelles, 1971), il s'est en outre penché sur les séquelles de la guerre civile qui continuent à diviser les Espagnols.

19 Ian Gibson, 1999, 2016. Lorca-Dalí El amor que no pudo ser, Delbolsillo, Barcelona, Penguin Random

House. P. 291.

20 Aragon, [1963], 1990. Le fou d'Elsa, Paris, Gallimard. P. 370. Ces vers sont la traduction du poème « Gacela

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23 Dis à tes bourreaux merci de t’épargner ce déclin dont tu ne te fais pas idée

Federico Garcia Lorca puisqu’à la fin des fins il faut que ma bouche te nomme […]

Porque te has muerto para siempre Coma todos los muertos de la Tierra Como todos los muertos que se olvidan En un montón de perros apagados.

Car il est mort à jamais comme tous les morts de la Terre

Comme tous les morts qu’on oublie en un tas de chiens étouffés21

Le poème empreint de peine et de colère composé par Antonio Machado en hommage à son ami, « El crimen fue en Granada », est connu pour son caractère accusateur et virulent au point de parler de « El crimen » pour qualifier l’exécution du poète grenadin. C’est le titre du premier volet, le deuxième s’intitulant « El poeta y la muerte » :

Se le vio, caminando entre fusiles, On le vit avançant au milieu des fusils,

por una calle larga, par une longue rue,

salir al campo frío, sous les étoiles, au point du jour.

aún con estrellas, de la madrugada.

Mataron a Federico Ils ont tué Federico

cuando la luz asomaba. Quand la lumière apparaissait.

[…] […]

...Que fue en Granada el crimen Apprenez que le crime a eu lieu à Grenade Sabed - ¡pobre Granada ! -, en su Granada... 22 -pauvre Grenade ! -, sa Grenade…

D’autres protestations se sont fait entendre comme celle de l’hispaniste Jean Camp en janvier 1953 qui a publié dans la revue Marsyas23 un grand poème, en réalité un « romance ».

La page 8 du journal L’Humanité du 20 septembre 1936, présente, sous le titre « Trois écrivains espagnols » (José Bergamín, Unamuno et Lorca) dans la colonne consacrée à la « Défense de la culture », un texte de Jean Cassou24, qui écrit :

21 Idem. Aragon s’inspire du Llanto por Ignacio Sánchez Mejías et en cite quelques vers. Aragon est né en 1897,

l’année avant Lorca et mort en 1982.

22 Antonio Machado, 1975, Poesías completas, Ed. Manuel Alvar, Col. Austral, Madrid, Espasa-Calpe, 1996. P.

159-460.Antonio Machado, 1973. Poésies, traduites de l’espagnol par Sylvie Léger et Bernard Sesé. Préface de Claude Esteban. Gallimard. P. 409. Antonio Machado, Antonio Cipriano José María Machado Ruiz, plus connu sous le nom d’Antonio Machado, naquit le 26 juillet 1875 à Séville. Passionné de littérature et de poésie, il fut nommé professeur à Soria (Castille) où il rencontra sa femme qui mourut en 1912 et qui devait être son seul amour. Il repartit pour l’Andalousie avant de retrouver un poste à Ségovie. Partisan d’un régime républicain en 1936, il fut contraint de fuir à Collioure où il mourut le 22 février 1939. Il composa entre autres œuvres Campos de Castilla (1912) en l’honneur de sa terre d’adoption ; ce doit être son œuvre la plus connue. Il est l’auteur d’une complainte semblable à un « Planh », un « llanto » en l’honneur de Lorca quand ce dernier fut assassiné : « El crimen fue en Granada ». Machado a voulu rendre hommage à Lorca comme celui-ci l’avait fait pour son ami le torero, dans son poème sublime Llanto por Ignacio Sánchez Mejías.

23 Marsyas est une revue littéraire fondée en 1921 par Sully-André Peyre qui la dirige jusqu’à sa mort en 1961.

La revue, multiculturelle mais offrant à ses débuts des poèmes et des articles en provençal, cesse de paraitre en 1962. Entre 42 et 46 elle a connu une Interruption. À la reprise elle se trouve opposée à l’IEO naissant. C’est une revue plus européenne qu’occitane. Le « Tombeau de Federico García Lorca » est dans le numéro 298, p.1845 ; c’est un poème composé en forme de romance.

24 Jean Cassou est né le 9 juillet 1897 dans le quartier de Deusto à Bilbao et mort le 16 janvier 1986 à Paris. Il fut

à la fois, poète, romancier, critique et historien d'art, Orphelin à 16 ans, licencié d’espagnol, excellent connaisseur de la littérature espagnole, il compose un premier roman en 1923. Membre du gouvernement du Front populaire (1936), engagé dans la lutte antifasciste, résistant arrêté le 3 décembre 1940, il rédige Les 33

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24 Un dernier nom, de la même génération : celui du poète andalou, du grand poète andalou de veine rustique et gitane : Federico Garcia Lorca. Il semble certain qu'il ait été fusillé à Grenade par les rebelles. C'est une atroce nouvelle à laquelle on se résiste à croire. S'il en était ainsi, on aurait à déplorer l'interruption d'une des voix les plus ardentes et les plus harmonieuses de l'Espagne populaire, une voix irremplaçable et qui avait encore beaucoup à chanter.25

Jean Cassou auquel Lorca a dédié un poème du Romancero gitano, « Burla de don Pedro a caballo » (n°17), a protesté avec force contre cet acte barbare à l'occasion de l'Exposition Internationale de Paris de 1937 (du 4 mai au 27 novembre 1937) en rédigeant un vibrant « Hommage à Federico Garcia Lorca » : « Il ne peut plus y avoir de poésie au monde tant que ce cadavre de poète n'aura pas été vengé » 26.

Cependant, toutes ces manifestations expriment, certes avec véhémence, une opposition à la guerre et à sa barbarie mais ne révèlent pas de révolte contre un assassinat d’intellectuel. Qui plus est, ces mouvements arrivent souvent très tard, bien après l’événement d’août 36. Mais la voix d’autres poètes va s’élever pour perpétuer celle qui s’est tue et prolonger son écho. En effet, la poésie offre une peinture de la terre sur laquelle vivent des hommes et permet de les élever jusqu’à un niveau divin ou sacré.

M-J. Verny affirme que « Mantun poèta occitan faguèt allusion a la mòrt de Lorca, “lo primièr martir de la guèrra d’Espanhaˮ, çò diguèt Robèrt Allan »27, [Maint poète occitan fit allusion à la mort de Lorca, « le premier martyr de la guerre d’Espagne », dit Robert Allan.]. La dédicace de ce dernier, « A la memòria de Federico García Lorca », qui précède le poème « Cantic del brau »28 est un exemple de l’intérêt porté à ce poète par ses homologues occitans. Robert Allan a traduit aussi en occitan l’hommage de Machado au poète andalou et il publia, en 1957, dans le journal d’Avignon, La Dépêche de Provence, un poème, « La cançon de Maria Nèu » avec une citation de « La casada infiel » en exergue29. La douleur causée par les guerres et la mort brutale (et injuste) de Lorca a permis la création de poèmes en hommage à ce jeune héros. Ces textes expriment la compassion pour un pays déchiré, comme par exemple : Espanha, Espanha de Pèire Lagarda30, Galícia d’Alem Surre-García31, Guèrra d'Espanha par Renat Nelli32. Max Rouquette, qui accueillit à Montpellier des réfugiés républicains catalans, composa Aqueles, édité bien plus tard dans Lo Maucòr de l’unicòrn33

en pensant aux vaincus de la Retirada. Quant à Robert Lafont, il a rédigé un poème paru dans

sonnets dans l’isolement de la prison de Toulouse. Libéré en juin 1943, il écrit sous le pseudonyme de Jean Noir. Ecrivain (il est l'auteur de recueils de poèmes et de nombreux essais), de romans, critique d’art, traducteur et poète, il a été aussi le directeur-fondateur du Musée National d’Art Moderne de Paris (1945-1965), et le premier président de l’IEO.

25 Voir L’Humanité, N° 13792, 20 septembre 1936.

https://www.retronews.fr/journal/l-humanite/20-septembre-1936/40/290341/8

26 Cf. http://espana36.pagesperso-orange.fr/lorca/cassou.htm

27 Article de Maria-Joana Verny, País d’òc e Espanha Una fraternitat poetica, In Lenga e país d’òc, N° 49,

CNDP-CRDP, mai 2010. P. 58.

28 Robert Allan, 2012. Lei Cants dau deluvi, Lei cants de la tibla I, Edition bilingue établie par M-J. Verny,

Letras d’òc, Tolosa. P. 155.

29 Cf. M-J. Verny, Op. Cit. p. 72.

30 Pierre Lagarde, Oc, 216, mai-junh 1960.

31 Alem Surre-Garcia, Las nívols uèi, 1972- 1976, Talvera, numerò especial 3, julh de 81. 32 Renat Nelli, « Cronica de las nívols », In Arma de vertat, 1952, Òbra Poetica occitana, p. 31. 33 Cf. M-J. Verny, Op. Cit., p. 81.

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25 L’Ase negre en 194634, « Cinc cavaliers, A Federico García Lorca » 35 qui marque respect et reconnaissance envers celui qui est déjà un modèle. Dans le long poème Lausa per un soleu mòrt e reviudat (1984) qui est un triptyque, une série de textes est réunie sous le titre « Granada 1492 » ; l’un a pour titre « Prèga per las confinhas » (p. 321) qui mêle la conquête

des Amériques par Christophe Colomb et la reconquête de Grenade36 par Fernand d’Aragon

et Isabelle de Castille, les Rois Catholiques, dont parle le deuxième texte intitulé « Cançon caraca per los Reis catolics » (p. 323), avant de pénétrer dans les jardins du Généralife dans le troisième, « Leiçon dau Generalife » (p. 329). La revue Oc, en 1957, présente un poème de Serge Bec dédié au poète mort « En memòria de Federico Garcia Lorca » qui est un « Planh di poëtas mòrts » : « Vòle saupre perqué / toi li poëtas son mòrts »37, [Je voudrais savoir pourquoi / tous les poètes sont morts]. Le poème « Aliscamps » d’Henri Espieux (Enric Espieut) est un « poème long, poème phare, appelé « Tombeu per Federico Garcia Lorca » (dans l’édition définitive « tombeu » deviendra « ataüt »). » 38.

Quand Max Allier écrit « Ai viscut los jorns de vergonha »39, [J’ai vécu les jours de honte] il y rapproche deux moments de l’histoire contemporaine de l’Espagne. Dans la strophe 2, c’est l’Espagne républicaine du Frente Popular et ses images de joie, puis la guerre qui éclate, la résistance à la tyrannie franquiste, déjà évoquée dans la première strophe, qui fait écho au slogan républicain « No Pasarán ». Avec le personnage de Grimau, dans la strophe 5, l’auteur fait un bond de 20 ans et nous transporte en 1963, lorsque le régime franquiste condamna et exécuta trois militants, Gata, Martinez et Grimau : Julian Grimau (1911-1963) était un militant communiste qui fut fusillé en août 1963, sur des accusations à propos de son activité au temps de la guerre civile ; Francisco Granado Gata et Joaquín Delgado Martínez, militants anarchistes furent, eux, exécutés en avril 1963. Le drame de 1963, après l’assassinat de trois militants espagnols, inspira à Robert Allan, à Banyuls, le texte intitulé Espanha 196340. Ce dernier poème est un exemple de l’engagement dans le présent de nombreux textes littéraires occitans.Il a été certainement écrit dans l’émotion du moment. Miquèl Decòr, dans

34 L’Ase negre : nouvelle revue politique et culturelle, lancée par des jeunes occitanistes d’après-guerre Hélène

Cabanes, Léon Cordes et Robert Lafont, en s’Inspirant de la revue Occitania d’avant-guerre créée par Charles Camproux. On dispose de suffisamment de correspondances échangées en 1946 pour suivre la création de L’Ase Negre sorti en août 1946 à Olonzac dont l’aventure s’achève en avril-mai 1949. En 1948, la revue avait repris le titre Occitania. Cf. Philippe Canales, « L’Ase Negre (1946 - 1949), première revue d’occitanisme politique d’après-guerre », Lengas [En ligne], 75 | 2014, mis en ligne le 15 juillet 2014, consulté le 19 février 2016. URL : http://lengas.revues.org/600 ; DOI : 10.4000/lengas.600

35 Robert Lafont, Poèmas, 1943-1984, Jorn, 2011, p. 339.

36 Les deux événements se situent dans l’année 1492 : 1er janvier pour la prise de Grenade arrachée au pouvoir du

sultan Boabdil et le 12 octobre marque la découverte des terres de ce qui deviendra le continent américain.

37 Oc, N° 204, abril-mai-junh de 1957. P. 82 à 84.

38 Voir la communication donnée par Claire Torreilles dans le cadre de la journée d’études « Les manuscrits du

poème (1930-1960) » Université Paul Valéry, Montpellier, le jeudi 23 octobre 2014, Telaranha d’Enric Espieux (1923-1971) « L’espèra de l’alba », p. 6. Telaranha (coll. "Messatges", Institut d'Estudis Occitans/Subervie, Rodez, 1949) est le premier recueil d’Henri Espieux, poète et enseignant, né à Toulon en 1923 et mort à Nîmes en 1971. http://www.univ-montp3.fr/llacs/wp content/uploads/CTorreilles_Enric-Espieux-3.pdf

39 Max Allier, (1912-2002), Solstici, La Crida, III, Aubanel, 1965. Cf. M-J. Verny : Op. Cit. P. 84. Ce texte est

chanté par Claudia Galibert dans le disque Escota mon grand enregistré chez Ventadorn (v3l26), Béziers, 1977. Le poème d’Allier a été publié dans un recueil de 1965. http://uoh.univ-montp3.fr/1000ans/?p=105#_ftn1

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son recueil Soledre41, a composé une série de six poèmes dans lesquels il parle de l’histoire et

de la guerre civile.

Ces compositions des écrivains occitans montrent un intérêt certain pour le poète andalou. Les hommes semblent choqués sur le plan humain et les poètes sont touchés sur le plan artistique par la personne de Lorca, martyr de la guerre mais aussi par son œuvre. Les compositions citées ne sont pas dues à une réaction momentanée et pour mieux comprendre les motifs de l’intérêt qu’ils ont porté à Lorca il convient de nous pencher sur la personnalité de quelques-uns et replacer les œuvres dans l’époque de leur production.

Pour les auteurs nés dans le premier quart du siècle il existe une fraternité de génération : nés au début du XXe siècle ils ont vécu les mêmes événements et connu une évolution parallèle. Les plus jeunes ont certainement éprouvé l’influence de leurs aînés avant de partir seuls sur la voie de l’écriture. Il existe aussi entre les écrivains occitans une communauté géographique et paysagère qui les relie entre eux mais aussi les rapproche du maître andalou.

S’il n’y a rien d’étrange au fait que les écrivains occitans qui nous occupent appartiennent tous ou presque au domaine du livre, qu’ils soient enseignants, éditeurs ou écrivains dans des revues ou des journaux, un détail particulièrement notable attire l’attention. Ces écrivains sont majoritairement hispanophiles ou hispanophones. Pour eux, Lorca mais aussi Alberti, Machado, Neruda, sont une référence prépondérante. Ces poètes de langue espagnole sont fréquemment évoqués de façon explicite comme source d’inspiration. La littérature française a reçu l’influence des auteurs hispaniques dans une moindre mesure alors que ce phénomène a pris une plus grande ampleur dans la littérature occitane. Une autre particularité de l’espace occitan évoqué est à relever : passionnés par l’espagnol, les écrivains occitans et les occitanistes hispanistes sont nombreux et, parmi ceux que nous avons choisis, certains ont été enseignants d’espagnol. Tous ont approché Lorca très tôt. La proximité des deux langues : prosodie, musicalité, lexique, syntaxe… a permis une approche plus aisée et une compréhension plus fine qui a conduit certains poètes occitans à traduire Lorca. Pourquoi cette affinité ? Certes, les deux langues sont de nombreux points communs dus à leur origine latine. Mais surtout, au début du XXe siècle, la langue et la littérature occitanes ne jouissaient pas d’une bonne opinion dans la société. C’était un langage minorisé, un dialecte déprécié ; il n’existait pas d’enseignement et les règles orthographiques ou grammaticales n’étaient pas fixées ou plutôt mal connue faute d’institutions de normalisation linguistique. Faute d’être libres de s’exprimer dans une langue maternelle pour quelques-uns, familière pour la plupart, les écrivains occitans ont trouvé refuge dans la langue sœur et voisine. Ils ont eu recours à l’espagnol mais n’ont jamais cessé de mener, en parallèle, un combat pour redonner une dignité à la langue méprisée et des travaux sur cette langue qui avait accompagnée et marqué le début de leur existence d’hommes et d’écrivains de façon indélébile.

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1.1.2.1- Max Rouquette42. Du Paradis de la garrigue à la nuit étoilée.

Né le 8 décembre 1908 à Argelliers dans l’Hérault, d’un père vigneron, dès l’enfance il entend chanter la langue d’oc parlée par les villageois mais il est aussi en contact avec la littérature, une littérature écrite à travers l’œuvre de Mistral que son père lui fait découvrir et une littérature orale à travers les contes du vieux Prien : « Es dins l’èrba qu’avèm ausit los contes de Prien. […] Tota paraula d’aquel òme nos encantava. » 43 « C’est dans l’herbe que nous avons entendu les contes de Prien. […] Toute parole de cet homme nous enchantait. ».

C’est certainement sur le plan de la proximité avec la terre et les animaux qu’un lien étroit peut déjà être pressenti entre Rouquette et Lorca dont l’enfance (les « enfances » dit Marcelle Auclair44) fut très proche du monde rural et populaire.

Max Rouquette suit des études à Montpellier et il est l’élève, entre autres, du poète catalan roussillonnais et professeur d’espagnol Joseph-Sébastien Pons45. Comme Lorca il commence très tôt à écrire des poèmes mais cela ne l’empêche pas de s’engager sur la voie de la médecine. Comme Lorca, il va être écrivain de théâtre : Le Glossaire ou l'étrange univers du savant Môssieur Pluche a été créé en occitan, mais aussi en français, notamment au Théâtre du Vieux Colombier et au studio-théâtre de la Comédie Française en 1998, dans une mise en scène de Vincent Brossard ; Medelha / Médée (drame traduit de l'occitan par l'auteur) et La pastorala dels volurs (La pastorale des voleurs) sont deux autres pièces à l’actif de l’auteur occitan. Il est aussi un prosateur fécond. Sur le terrain militant, il participe à la création par des étudiants d’une association, en 1928, Le Nouveau Languedoc. Si les langues étrangères l’intéressent il n’en oublie pas l’occitan de son enfance et « fréquente » « l’Escotaire », François Dezeuze46 ; cet homme très cultivé et attentif, d’où son surnom, « L’écouteur », resté proche du peuple, de la terre et de la langue, lui transmet un style plein d’humour. Il est

42 L’ordre alphabétique a été abandonné au profit d’une priorité donnée aux auteurs qui ont connu très tôt les

poèmes de Lorca et ont traduit certaines compositions.

43 Max Rouquette, 2008. Verd Paradis, Montpellier, CRDP. « Secret de l’èrba », p. 13. Max Rouquette, 1980.

Vert Paradis, Le Chemin vert éditeur, Paris. P. 105-106.

44 L’écrivain français Marcelle Auclair est née en 1899 à Montluçon et elle est décédée en 1983. Elle passe une

partie de son enfance et de sa jeunesse au Chili. Elle est l’amie de Lorca dont elle traduit le théâtre. Le compte-rendu de Marie Laffranque dans le Bulletin Hispanique de 1969 (Volume 71, Numéro 1, pp. 427-429) dit que son ouvrage Enfances et mort de Garcia Lorca est « une base d’information et de réflexion renouvelée. ». Il vaut par la sincérité des propos et de la recherche et allie avec « franchise et probité » les souvenirs personnels, les témoignages et les déclarations qu’elle a pu recueillir.

45 Les Cahiers Max Rouquette Numéro 9, de 2015, présentent un article de C. Torreilles sur « Max Rouquette et

Josep Sebastià Pons » qui peut apporter des connaissances plus qu’intéressantes sur cette influence catalane dans l’œuvre de l’auteur occitan.

46 François Dezeuze (1871-1949) est un des écrivains occitans majeurs, Injustement oublié, de la première moitié

du XXe siècle. Chantre des traditions et d’un certain art de vivre qui s’est dissipé après la guerre, de la vie

montpelliéraine, papetier-imprimeur, il a été l’âme, le chroniqueur de la Campana de Magalouna, revue qui, pendant quarante, a contribué à la diffusion de l’occitan populaire languedocien. Tour à tour dramaturge, conteur, auteur de chansons et d’autres textes savoureux où l’homme du Clapàs (surnom de Montpellier) tient sa place et garde ses repères. Il se révèle un érudit hors pair. En même temps l’Escoutaire, propose, autre facette de son talent, des dessins humoristiques et des peintures liées à un folklore que n’aurait pas renié Dubout.

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