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Jean Le Poulain. L'agonie du pitre PLON

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L'Agonie du

pitre

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Jean Le Poulain

L'agonie pitre du

PLON

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© Librairie Plon 1981.

ISBN : 2-259-00784-8.

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Introduction Le roi et le pitre

A l'Olympe de la pensée sacrée, se trouvent le roi et le fou. La sagesse est grave. La folie est gaie.

Du roi donc dépendent toute vie organisée, féodali- sée ou constituée, toute rigueur et toutes lois. Du fou dépend tout ce qui peut troubler cette trop belle ordonnance et, de ce fait, lui donner du relief ou, mieux encore, du piquant.

Le roi est proche de la tragédie. Et quand il devient fou — par exemple Charles VI — il accroît cette tragédie.

Le fou est proche de la comédie. Et quand il devient roi — par exemple le roi des fous — il accroît cette comédie.

Car le roi en devenant fou devient réellement fou, tandis que le fou en devenant roi fait semblant... Au roi appartient la sincérité, au fou le mensonge.

La conjugaison de la sincérité et du mensonge donne la fable dont la structure est totalement imagi- naire mais la finalité — la « morale » — sincère. La fable (entendons tout ce qui est de structure imagi- naire : le fabliau, le théâtre, l'allégorie, la poésie et même la légende) est inspirée du sacré. Elle finit par produire des mythes puis des traditions d'où découle la fête. Au centre de la fête se trouve donc le point de

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jonction du roi et du fou. C'est-à-dire — en une seule et même personne — d'un roi altéré par la gaieté du fou et d'un fou chargé de la mélancolie, de la sagesse du roi. Ce personnage à la fois rieur et poignant, c'est le clown.

Le fou devenu clown va prendre une direction de plus en plus précise dans l'horreur et la pitié pour, finalement, ne plus contrefaire la vie que dans ce qu'elle a d'horrible. Ce qui à l'origine était parodique devient imitation terrifiée. Nous sommes dès lors très loin du fou devenant « roi des fous » pour aboutir au tragédien qui devient « roi fou » (ce qui, nous l'avons vu, est un paroxysme de tragédie) : Lear, Macbeth.

Dans cette évolution, le fou est descendu de l'Olympe de la pensée sacrée à la fiction de la représentation profane.

Inversement, le roi devenu clown s'orientera de plus en plus vers une altération totale de ses caractères de gravité, jusqu à une dérision de toutes les valeurs qui constituaient son essence. Autrement dit, en s'imitant lui-même dans le rire, il devient « roi des fous », paroxysme de la comédie. A son tour il est tombé de la pensée sacrée jusqu 'à la représentation profane. Il est le pitre-polichinelle à l'énorme « poitrine » — d'où vient le mot « pitre » ; ou encore, Sganarelle, Scapin, etc. ; ou encore, sacrilège de sa propre tragédie : Ubu.

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Première partie

Le pitre

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Historique du clown, Historique du sot

Au carrefour de ma carrière, je me suis trouvé — comme beaucoup, je pense — devant deux miroirs.

L'un me réfléchissait en roi tragique, l'autre en pitre. Je me suis dirigé tantôt vers l'un tantôt vers l'autre; mais qui m'a poussé, finalement, vers le second plutôt que vers le premier auquel je reviens du reste depuis mon entrée à la Comédie-Française ? Ma nature profonde, un ascendant gémeaux très puissant, peut-être.

Le public sans doute.

Ou les deux.

Je ne sais pas.

Mais surtout il y a eu un mystère.

Ce mystère, je vais essayer de l'analyser en deux mots (je ne pourrai pas faire plus d'ailleurs, car un mystère est comme un iceberg : sa partie la plus importante est cachée et inanalysable).

En fait, je crois que je n'ai été poussé par per- sonne. C'est tout le contraire : j'ai été attiré. Attiré par le miroir. Comme Narcisse. Comme dans un film de Cocteau. Dès lors, il est à redouter que, de l'autre côté, je rencontre la mort.

C'est pourquoi, prudemment, parfois, je fais un brusque bond en arrière, ne serait-ce que pour jeter

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encore un coup d'œil sur l'autre miroir — tragique

— qui est toujours là, à réfléchir, lui aussi.

Ainsi je parviens à une sorte d'équilibre dans l'hésitation, comme l'âne de Buridan mais à effet contraire car cela assure ma survie, du moins ma survie d'acteur.

Mais il suffit. Assez parlé de moi. Comme disait un grand homme : « Ma personne importe peu, mon principe est tout ! » Or, mon principe c'est, malgré tout, la pitrerie.

Effaçons donc la personne que je suis

Effaçons le pitre particulier que je représente. Et considérons le Pitre-Principe, le Pitre total, celui qui n'a qu'un miroir et qui, depuis le fond des âges, ne cesse de s'en approcher pour en venir à le frôler, son image déjà ternie par la buée qu'il dégage sur la vitre tant il est près.

Un pas de plus et il sera de l'autre côté, dans la mort. Mais ce pas, voilà des siècles qu'il est en train de l'accomplir. C'est un pas très sûr mais très lent.

En fait, c'est un pas de plus en plus lent. Si bien qu'on peut se demander s'il ne s'agit pas d'une sorte d'asymptote du mouvement, d'autant plus irritante et angoissante que le contact fatal ne se produira peut-être jamais.

Alors que tout, absolument tout donne à entendre qu'on en est aux derniers instants ! A chaque époque on le croit. Et davantage encore à l'époque suivante.

A chaque époque on dit : « Jamais le pitre n'a été aussi près de la mort ! » Donc aujourd'hui plus que jamais. Forcément.

Le pitre agonise. Y a-t-il un médecin dans la salle ? 1. N'ayez crainte : elle reviendra au galop.

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Il y en a un. Il a fait ses études de médecine à Montpellier. Il s'appelle Rabelais.

Il nous révèle que l'organe essentiel du pitre, sa vie même, c'est le rire.

Analysons donc posément le rire, le risible et les rieurs pour découvrir — si possible — quelles en sont les altérations qui entraînent le pitre dans sa marche lente et irrésistible. S'il meurt pendant ce temps, du moins aurons-nous la satisfaction d'avoir découvert de quoi il souffrait.

Ce qui nous consolera bien de sa mort et même, en un sens, le ressuscitera, puisqu'il s'agit là d'une boutade de Molière. Tel sera donc le propos général de cet ouvrage.

Pour l'heure, revenons au clown.

Le clown, amalgame du roi et du fou, resplendit donc de désespoir mais avec politesse — d'humour

— et de folie mais avec retenue — de comique.

Humour et comique.

Tel est l'aboutissement mythique du clown. Mais c'est aussi son aboutissement humain, le résultat de son histoire terrestre, de sa naissance charnelle et datée, tant il est vrai que les desseins des dieux se réalisent inéluctablement fût-ce par des voies imprévues.

Voici donc l'histoire terrestre du clown.

Historique du clown

Il y a un nationalisme du rire. C'est une conven- tion. Précaution oratoire : toute convention est sté- réotypée, grossière, exclusive, abusive et conven- tionnelle, tout ce qu'on voudra... Mais enfin, toute

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convention correspond à un fond de réalité. Bref, il est autant convenu que conventionnel de cataloguer les diverses formes de rire — ou de sourire — comme suit :

— L'humour : anglais,

— L'esprit : français,

— La gaieté : germanique,

— Le comique : italien.

(Le comique étant tout effet directement ou indi- rectement lié à la comédie.)

Or donc, l'humour et le comique se sont rencon- trés un jour et ont donné le clown (ce qui revient à dire que le clown est sans esprit et sans gaieté puisqu'il n'est ni français ni allemand).

Voici l'histoire anglo-italienne du clown. Vers 1760 arriva à Londres un pitre acrobate italien, gênois exactement, nommé Giuseppe Grimaldi. En 1778 lui naquit un fils : Joë. Anglais de naissance et de formation, italien de sang et de tradition, Joë créa un personnage grimé. A noter en passant que le mot

« grimer », quelle que soit son origine d'ailleurs controversée, apparaît pour la première fois dans un texte de 1829, ce qui coïncida à l'époque où Gri- maldi commença sa carrière de benêt cocasse appelé

« clown » (balourd).

Le clown Grimaldi ne joua qu'au théâtre. Mais il eut des imitateurs qui furent engagés par la troupe d'Astley.

Cette troupe présentait une formule nouvelle : elle offrait un spectacle d'acrobaties équestres (Philip Astley était ancien sergent de cavalerie) sur une vaste piste, au Astley's Royal Amphitheatre of Arts à Londres, puis à l'Amphithéâtre anglais Astley à Paris. Les clowns venaient en intermède, avec jon- gleurs et illusionnistes.

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Napoléon I qui avait des principes, estima que le mot « théâtre » était trop noble pour définir ce genre de spectacle, et il en interdit l'utilisation par décret. C'est pourquoi, étant donné l'aspect circu- laire du lieu scénique d'Astley, on l'appela « cir- que ». Ainsi, clown et cirque naquirent presque en même temps, mais séparément.

Par la suite, le cirque devint itinérant et, comme beaucoup de troupes de saltimbanques italiens, s'abrita sous un parapioggia, sorte de tente à un mât,

« parapluie » géant. Puis l'Américain Gilbert Spal- ding dressa la première tente à deux mâts. Etc., etc.

Il y eut jusqu'à huit mâts et trois pistes ; ce fut la grande époque de Barnum.

Le cirque donc, dans son ensemble, est un enfant naturel de l'Angleterre et de l'Italie et plus encore le clown, amalgame d'humour britannique et de comi- que latin.

Cet amalgame se scindera assez vite, comme pour retrouver la distinction de ses deux origines, en un couple immuable : le clown blanc plutôt anglais et l'Auguste au nom latin plutôt italien.

Le clown est sans gaieté. S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, Musset avait raison de dire que lorsqu'on vient de rire de la comédie on devrait en pleurer. Cela fait du clown, essentielle- ment humoristico-comique, un personnage bien sombre. Du moins pour les cuistres qui, oubliant la politesse et le rire, se complaisent à ne voir en lui que le désespoir et les pleurs. C'est pourquoi on s'acharne à rendre le clown triste et même à le faire mourir — magistralement d'ailleurs — en chanson.

Il n'amuse plus vraiment que les enfants qui sont sans hypocrisie et sans torture intellectuelle.

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Or, ce folklore obligatoirement pathétique du clown désespéré ne doit rien, en fait, à une analyse sensée signée Breton ou Musset. Il vient d'une pulsion de plus en plus répandue à pénétrer la vie privée et du vague sadisme qui l'accompagne.

Explication : découvrir un jour que le clown est un « homme comme les autres » et peut, à ce titre, connaître toutes les misères humaines amène, dans un premier temps, à le transposer, sorti de la piste et démaquillé, devant sa feuille d'impôts. Jusque-là, rien que de très normal. Puis arrive un moment où on ne le démaquille plus et où l'on se plaît à l'imaginer secrètement torturé par ses petits ennuis alors que, stoïque, il fait rire. Rien que de très normal encore, mais le constat devient sadique.

Enfin, le malheur dont on accable le clown n'est plus un phénomène ponctuel ; il devient constant. Le clown qui continue de faire rire, est toujours mal- heureux. Ne reste qu'un pas à franchir : le malheur fait partie de la nature même du clown. Les mots

« clown triste » qui étaient un paradoxe deviennent un pléonasme. Dès lors ses pitreries ne procèdent plus d'une grande force d'âme pour accomplir son métier, elles deviennent l'expression même de sa tristesse.

La torsion, en moins de deux siècles, est remar- quable. Elle semble révélatrice d'un refus du rire en général qui, par une peur mystérieuse, s'est mis à replacer pieusement le clown parmi les martyrs de l'âme.

Le clown lui-même ne se prête pas à cette évolu- tion, mais certains clowns sont soucieux de ne pas trop détruire l'image que le public s'est faite d'eux et malgré eux donnent avec plus ou moins de bonheur

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dans des pointes de poésie mélancolique, voire de mélodrame

Mais combien reste-t-il de clowns ?

Petit morceau du pitre total qui s'effrite, le clown se meurt. Déjà, bien avant lui, mourut le sot.

Clown signifie « balourd », « sot » aussi.

Historique du sot

Les sotties (ou soties) ne furent à l'origine ni des pièces ni des spectacles au sens technique, mais des sortes de manifestations païennes.

Les participants s'y présentaient traditionnelle- ment dans un costume symbolique extravagant : robe jaune et verte, bonnet d'âne.

Elles viennent d'une vieille tolérance de l'Église : la fête des fous.

L'Église, en effet, permettait une fois l'an qu'on se moquât d'elle par défoulement. Les sotties appar- tiennent à la fin du Moyen Age et à la Renaissance.

Elles dépassaient alors largement les plaisanteries anticléricales, et les sots, dédouanés par leur cos- tume, « distanciés », se permettaient toutes les rail- leries, toutes les revendications, toutes les révoltes.

Au début, les sotties se sont présentées sous forme de défilés, de « parades », avec arrêts prolongés aux carrefours, aux places, etc. Et elles étaient de la distanciation à l'état pur.

On improvisait sur un thème (le plus souvent sur

1. Je parle uniquement des clowns au sens propre, les clowns de cirque. Les acteurs de cinéma à tendance clownesque, comme Charlot ou B. Keaton ne sont pas compris dans cette définition. De même un clown professionnel cesse d'être clown comme nous l'entendons quand il devient acteur de cinéma ou de théâtre dans un rôle non clownesque, évidemment. Exemple : Zavatta dans le film la Jument verte.

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l'amour et le mariage) avec des personnages tradi- tionnels : le Roi des Sots, la Mère des Sots, le Premier Sot, le Second Sot, le Sot Corrompu, etc.

On chantait, aussi. De curieuses rengaines, au sens initiatique perdu sans doute, et qui sont à l'origine des comptines :

Ah, j'ai vu, j'ai vu...

Commère, qu 'as-tu vu ? J'ai vu une anguille Qui coiffait sa fille.

En haut d'un clocher J'ai vu une mouche Qui rinçait sa bouche Avec un pavé.

L'absurde est roi. Et je soupçonne que l'éléphant qui se balançait sur une toile d'araignée, chanson de mon enfance, nous vient des sots.

Peu à peu les sots s'organisent en confréries et montent sur des tréteaux. On s'organise, on se professionnalise. Les troupes les plus connues sont les « Enfants sans souci » et les « Clercs de la Basoche ». L'improvisation sur canevas fait place, de plus en plus, au texte écrit. La sottie devient théâtre. Mais en plein air toujours : champs de foire, marchés, halles de Paris. Certains auteurs ont laissé leur signature : André la Vigne, Pierre Gringoire.

Enfin, l'inspiration change : les thèmes deviennent essentiellement politiques.

Victor Hugo et Théodore de Banville ont assez rudement sollicité l'Histoire en faisant vivre Grin- goire sous Louis XI. Il fut en réalité le contemporain

de Louis XII et de François I « Mère des Sots »

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(car les rôles de femmes étaient tenus par des travestis), il ne tarda pas à devenir auteur, metteur en scène et directeur de troupe. C'est alors qu'il n'hésita pas, pour son déshonneur, à honorer une commande de propagande gouvernementale avec une pièce demeurée célèbre : Le Jeu du Prince des Sots et de Mère Sotte.

Louis XII était l'instigateur de cette opération.

Monarque d'une grande finesse, il accepta et peut- être suggéra d'être ridiculisé sous le nom de Prince des Sots; mais, dans cette œuvre, c'était l'Église (Mère Sotte) qui en prenait pour son grade. Car il s'agissait d'obtenir, par l'impact de la sottie, l'ap- probation du peuple pour la politique royale contre le pape Jules II.

Les sotties furent surtout françaises. Mais il y en eut aussi, avec quelques variantes, en Allemagne, aux Pays-Bas, et surtout en Angleterre. Quoi qu'il en soit, elles disparurent à la fin du XVI siècle et Henri IV — qui était beaucoup moins tolérant qu'on ne le dit — les interdit formellement.

Le sot fit place à l'acteur comique. Gringoire s'effaça devant Molière.

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Généralités sur le rire

Un jour, je passai l'après-midi à lire une comédie très réussie ; effets en cascade, situations irrésisti- bles, répliques impayables, pas un temps mort. Le lendemain, je téléphone à l'auteur, qui est un ami :

« J'ai lu ta pièce d'un trait. Elle est formidable. — C'est vrai ? Tu as ri ? »

Le choix des mots

Pourquoi cette question, brusquement, me désar- çonna et orienta mes pensées vers une constatation inattendue et tout à fait inopportune ? Sans doute le libellé en était-il trop direct, trop cru. S'il l'avait formulé différemment, par exemple : « C'est vrai, ça t'a fait rire? », le cours de mes réactions-clichés n'aurait pas dérivé, secrètement, vers l'encombrante et ridicule acception stricte d'un mot. Car je me prenais soudain, en puriste imbécile, à considérer la question banale dans son sens de dictionnaire et à constater (tandis que je m'entendais tout de même répondre : « Si j'ai ri ? Je n'ai pas arrêté ! ») que pas un instant, pas une seconde je n'avais ri. Et le plus étrange, c'est que mon interlocuteur le savait et que

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pourtant non seulement il acceptait mon mensonge mais il le recevait comme le reflet de la vérité, ce qu'il était d'ailleurs. Car si j'avais dit la vérité, si j'avais dit : « Non, je n'ai pas ri », j'aurais menti.

Pourquoi ce jour-là, au hasard d'une conversation téléphonique, me suis-je mis à considérer le verbe rire au pied de la lettre ? Je ne le saurai jamais. Je n'avais cependant pas attendu cette circonstance pour découvrir l'extrême rareté du rire en solitaire.

Mais, sitôt le téléphone raccroché, je me livrai à toutes sortes de réflexions. Qu'avais-je donc exacte- ment éprouvé à la lecture en solitaire d'un texte comique que j'avais apprécié? Faute de mieux j'appellerai cela une jubilation intellectuelle sans manifestation physique. En tout cas, je n'avais pas

« marqué un sentiment de gaieté soudaine par un mouvement des lèvres, souvent avec bruit », car telle est la définition du rire dans le Petit Larousse.

J'en déduisis que le rire, selon le Petit Larousse, était un code de société, dans un langage.

Les animaux ont leur système sémantique à eux ; ils ne parlent pas. La parole est donc le propre de l'homme. Mais il a fallu attendre Rabelais pour préciser que le rire aussi était le propre de l'homme et qu'en conséquence, il était une parole

On ne parle pas plus en solitaire qu'on ne rit. On peut écrire le rire, il est restitué par les interjections répétées qui ont leur orthographe et surtout (à la différence des onomatopées) qui correspondent assez bien aux sons évoqués Ah, ah, ah ! Hi, hi, hi ! Les interjections étant des mots, le rire est formé de mots.

L'expression de ces mots possède deux caractères

1. Il l'est encore plus de l'enfant dont le système logique est différent.

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universels : ils sont accompagnés obligatoirement d'une expression de visage, et ils se prononcent de la même manière dans toutes les langues. Autrement dit, ils peuvent être compris des sourds et des étrangers. Ainsi sociologique ment et grammaticale- ment analysé, le rire peut paraître un labeur intel- lectuel réfléchi, sans aucune chaleur ni spontanéité.

On peut en effet objecter que si le rire était une expression spontanée, on rirait seul comme, par exemple, on crie de douleur seul.

Mais la douleur est une sensation, et la cause du rire (voir dictionnaire) un sentiment. Et, de tous les sentiments, il est de ceux qui, précisément, provo- quent la réaction la plus spontanée, au point que les mots prononcés ne sont que bégaiement d'interjec- tions (la colère, l'amour, etc., donnent un style beaucoup plus élaboré et verbeux on en conviendra).

D'autre part, s'il est vrai que, sauf rare exception, on ne rit pas seul, dès qu'on est en société, le rire jaillit avec naturel, comme la parole. Le rire forcé, le

« rire jaune » sont des cas particuliers, le plus souvent, très discernables.

Le rire correspond donc bien à une volonté, mais à une volonté spontanée, d'indiquer à autrui son joyeux état d'âme.

Il y a cependant un rire involontaire et perturba- teur, appelé fou rire. Il constitue, comme le rire forcé et, à son opposé, un cas particulier ; et même, ainsi que son nom l'indique, un cas pathologique.

Le fou rire est, le plus souvent, un prolongement

1. L'autre serait sans doute la tristesse qui, sinon plus spontanée du moins plus difficile à dominer peut entraîner à pleurer seul, l'expression écrite des pleurs, donnant moins encore que des interjections mais des onomatopées parfaitement conventionnelles et de valeur d'imitation nulle : sniff, sniff.

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A l'aube de sa carrière, un acteur se trouve devant deux miroirs : l'un le réfléchit en Roi tragique, l'autre en Pitre. S'il choisit le premier, il n'a rien à craindre. Il sera partout reconnu car la tragédie est notre pain quotidien.

Admiré, respecté, le Roi se contemplera dans les yeux de son public et oubliera le miroir. Mais le Pitre... le Pitre n'est ni reconnu ni respecté. Pour se rassurer, il cherche son reflet dans le miroir, il se rapproche de plus en plus jusqu'à embuer la vitre de son souffle. Mais les miroirs sont traîtres, on le sait depuis Narcisse, depuis Cocteau. Un pas de plus et le Pitre passera de l'autre côté, dans la Mort. A chaque époque, on a dit : « Jamais le Pitre n'a été si près de la Mort », aujourd'hui plus encore. Le Pitre agonise.

Mais il a la vie dure. Étouffé, miné, gommé, réduit au silence et à l'invisibilité par les cuistres, dans le coma de l'agonie, le Pitre répond toujours présent à l'affiche.

Après tout, peut-être est-ce un Pitre qui sauvera notre pauvre planète...

Tendre, triste, tragique, tonnant, tonitruant, tonique,

voici Jean Le Poulain dans un nouveau rôle qui fera date,

celui d'écrivain.

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