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La traduction d après Umberto Eco : Dire quasi la stessa cosa

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Academic year: 2022

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Transalpina

Études italiennes

 

9 | 2006

La traduction littéraire. Des aspects théoriques aux analyses textuelles

La traduction d’après Umberto Eco : Dire quasi la stessa cosa

Viviana Agostini-Ouafi

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/transalpina/3155 DOI : 10.4000/transalpina.3155

ISSN : 2534-5184 Éditeur

Presses universitaires de Caen Édition imprimée

Date de publication : 10 octobre 2006 Pagination : 37-54

ISBN : 978-2-84133-278-0 ISSN : 1278-334X Référence électronique

Viviana Agostini-Ouafi, « La traduction d’après Umberto Eco : Dire quasi la stessa cosa », Transalpina [En ligne], 9 | 2006, mis en ligne le 18 mai 2022, consulté le 06 juillet 2022. URL : http://

journals.openedition.org/transalpina/3155 ; DOI : https://doi.org/10.4000/transalpina.3155

Tous droits réservés

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Transalpina, no 9, 2006, La traduction littéraire, p. 37-54

DIRE QUASI LA STESSA COSA

Résumé : Cette communication se propose d’étudier la place de plus en plus cen- trale qu’occupent les problèmes de la traduction dans la pensée et l’œuvre d’Umberto Eco comme traducteur, sémioticien et romancier. De 1983 à 2003, ce théoricien du texte narratif passe d’une expérience de traduction à une réflexion sur le traduire, d’abord ponctuelle, puis davantage articulée, axée en particulier sur l’interpréta- tion comme repérage et analyse des stratégies discursives et stylistiques inscrites par l’auteur dans le texte (-source). Le traducteur devient ainsi ce lector in fabula privilégié qui est appelé, en traduisant, à transformer nécessairement le texte. La question de la fidélité à l’intention du texte, notamment dans le cas d’œuvres à fina- lité esthétique, joue un rôle déterminant dans cette réflexion sur le transfert d’un texte écrit dans une autre langue-culture. Ainsi, ce qui se présente comme un ouvrage sans prétentions théoriques devient, au fil des pages, un traité riche en exemples focalisé sur l’interprétation critique et sur le fonctionnement sémiotique du texte à traduire ou déjà traduit.

Riassunto : Questo intervento si propone di studiare la posizione sempre più centrale occupata dai problemi della traduzione nel pensiero e nell’opera di Umberto Eco come traduttore, semiotico e romanziere. Dal 1983 al 2003, questo teorico del testo narrativo passa da un’esperienza di traduzione a una riflessione sul tradurre, prima puntuale, poi maggiormente articolata, orientata in particolare sull’interpretazione come indi- viduazione e analisi delle strategie discorsive e stilistiche inscritte dall’autore nel testo (di partenza). Il traduttore diventa così quel lector in fabula privilegiato che è chia- mato, nel tradurre, a trasformare necessariamente il testo. La questione della fedeltà all’intenzione del testo, specialmente nel caso di opere a finalità estetica, ha un ruolo determinante in questa riflessione sul trasferimento di un testo in un’altra lingua-cul- tura. Così, quello che si presenta come un libro senza pretese teoriche diventa, pagina dopo pagina, un trattato ricco d’esempi focalizzato sull’interpretazione critica e sul funzionamento semiotico del testo da tradurre o già tradotto.

L’aventure traductologique d’Umberto Eco commence en 1983 avec sa tra- duction des Exercices de style de Raymond Queneau1 et aboutit en 2003 à

1. R. Queneau, Esercizi di stile, trad. it. U. Eco, édition bilingue, Turin, Einaudi, 1983.

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la publication d’un ouvrage : Dire quasi la stessa cosa2. Il ne s’agit pas, vingt ans après cette première expérience de traduction, d’une contribution d’Eco qui surgirait ex novo de ses intérêts spéculatifs mais plutôt du mûrissement d’une problématique qui est de plus en plus centrale dans sa réflexion sur le fonctionnement sémiotique et l’interprétation des textes narratifs. La com- position hétérogène du livre même témoigne de cette lente prise de cons- cience : des conférences et des études ponctuelles accumulées au fil du temps sont ici réunies et remaniées pour donner un sens global à une réflexion riche en idées et en exemples, jamais réductrice et toujours cohérente dans ses présupposés théoriques3. Il s’agit d’un ouvrage écrit par un sémioticien de renom qui est à la fois un professeur d’université, un directeur de collec- tion dans des maisons d’édition, un traducteur d’œuvres littéraires françai- ses4 et un écrivain célèbre dont les romans sont traduits dans les langues les plus variées5.

Le sous-titre de l’ouvrage est déjà parlant : Esperienze di traduzione. Les années 1990 ont signé aussi la fin (ou l’interruption ?) des tentatives d’appro- che globalisante et déductive6. Ainsi Eco va-t-il nous parler de la traduction en s’appuyant sur des exemples tirés non seulement de ses expériences de traducteur, d’auteur traduit ou de réviseur éditorial de traductions mais aussi d’un répertoire, pour l’essentiel littéraire, riche et varié. Eco souligne que son ouvrage ne se présente pas comme un livre de théorie de la traduc- tion car il ne constitue pas une étude systématique visant à analyser toutes les problématiques7. Le vaste savoir de son auteur reste soumis aux critères de la simplicité, de la clarté et, surtout, du bon sens. Par exemple, il ose affir- mer que la fidélité, au même titre que l’équivalence, est un concept impor- tant qui doit faire l’objet, au cas par cas, d’un acte de négociation de la part

2. U. Eco, Dire quasi la stessa cosa : esperienze di traduzione, Milan, Bompiani, 2003.

3. Certains chapitres du livre sont nés de conférences, tenues en 1988 à l’université de Toronto, et publiées au Canada : U. Eco, Experiences in Translation, Toronto, Toronto University Press, 2001 (cf. U. Eco, « Introduzione », in Dire quasi…, p. 10-12).

4. Outre Esercizi di stile de Queneau, cf. G. de Nerval, Sylvie, trad. it. U. Eco, Turin, Einaudi, 1999.

5. Cf. dans l’appendice « Traduzioni citate » (Dire quasi…, p. 382-383) quelques références bibliographiques des traductions de ses œuvres. Un colloque s’est même tenu sur ce sujet à Trieste en novembre 1989: cf. Umberto Eco, Claudio Magris : autori e traduttori a confronto, L. Avirovic, J. Dodds (éd.), Udine, Campanotto, 1993.

6. Cf. à ce sujet C. Segre, Ritorno alla critica, Turin, Einaudi, 2001, p. vii-ix. Le rêve de Georges Mounin de fonder une science de la traduction (cf. ses Problèmes théoriques de la traduc- tion, Paris, Gallimard, 1963) avait par ailleurs été déjà abandonné par Jean-René Ladmiral qui, en 1979, s’était limité à proposer de simples théorèmes opérationnels (cf. son Traduire : théorèmes pour la traduction, Paris, Payot, 1979).

7. U. Eco, Dire quasi…, p. 15.

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du traducteur. Il critique toutefois le terme d’équivalence puisqu’il rappelle, en bon lecteur de Roman Jakobson, qu’il est rare que deux synonymes signi- fient exactement la même chose8. Mais la nature en elle-même de cette chose à traduire pose problème car elle dépend de l’intention guidant le texte- source. Dans la mesure où il est impossible de dire exactement la même chose dans une autre langue, Eco se contente d’affirmer que l’objectif à atteindre par le traducteur est celui de « dire presque la même chose ». Ce sont la flexi- bilité et l’étendue de ce « presque » qui feront alors l’objet à leur tour d’une négociation. Ce procédé n’est autre que la recherche d’un compromis : on renonce à une chose pour en obtenir une autre9. Cette conception de la tra- duction se veut réaliste car, même si certains linguistes au cours du xxe siè- cle ont affirmé l’impossibilité de la traduction, Eco convient que, dans les faits, depuis des millénaires, les gens traduisent. Il remarque alors que la théorie aspire peut-être à une pureté dont l’expérience peut se passer. Selon lui, un problème intéressant est alors de comprendre dans quelle mesure l’expérience peut se passer de la théorie et de quoi elle peut se passer plus particulièrement10. C’est dans cette dialectique entre la démarche pratique et la réflexion théorique qu’Eco situe son discours.

Pour mieux comprendre son approche de la traduction dans Dire quasi la stessa cosa et les problématiques soulevées, nous avons décidé de recons- tituer la genèse de cet ouvrage dans l’œuvre et la pensée de son auteur et d’en analyser certains contenus, notamment en ce qui concerne les aspects lin- guistiques et culturels de la traduction littéraire.

L’interprétation du texte (-source)

Dans son introduction aux Esercizi di stile de Queneau, Eco s’interroge avec pertinence en 1983 sur sa propre pratique de traducteur11. Nous retiendrons de cette introduction quelques remarques fort éclairantes :

8. Ibid., p. 26. Cf. R. Jakobson, « Aspects linguistiques de la traduction » [1959], in Essais de linguistique générale, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 80: « en règle générale, qui dit synonymie ne dit pas équivalence complète », « l’équivalence dans la différence est le pro- blème cardinal du langage et le principal objet de la linguistique ».

9. U. Eco, Dire quasi…, p. 18. 10. Ibid.

11. U. Eco, « Introduzione », in R. Queneau, Esercizi di stile, p. v-xix; U. Eco, « La traduction des Exercices de style de Raymond Queneau », in Échos d’Italie : nos contemporains les tra- ducteurs, trad. fr. R. Rosi, G. Silingardi, Écritures, no3-4, novembre 1992, p. 52-65 (nos citations sont tirées de cette traduction).

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[…] aucun exercice de ce livre n’est purement linguistique, et aucun n’est complètement étranger à une langue donnée. Dans la mesure où il n’est pas seulement linguistique, chacun est lié à l’intertextualité et à l’histoire ; dans la mesure où il est lié à la langue française, chacun est tributaire de son génie. Dans les deux cas il faut, plutôt que traduire, recréer dans une autre langue et en se référant à d’autres textes, à une autre société, et à un autre moment historique12.

Après avoir établi qu’être fidèle, pour un livre de ce genre, ne voulait pas dire être littéral, Eco peut conclure :

Queneau a inventé un jeu et en a explicité les règles au cours d’une partie jouée avec éclat en 1947. Fidélité signifiait en comprendre les règles, les res- pecter, et puis jouer une nouvelle partie avec le même nombre de coups13. C’est en tant que sémioticien qu’il analyse le fonctionnement de cette œu- vre, notamment au niveau rhétorique, et c’est en tant qu’écrivain (son roman Le Nom de la rose a paru en 1980) qu’il s’engage avec bonheur dans le défi de la réécriture. Son introduction métatraductive constitue donc la réflexion a posteriori d’un praticien – doublé d’un théoricien du texte narratif et d’un écrivain – qui se limite à expliquer une expérience de traduction, une démar- che traduisante valable à ses yeux pour ce genre précis de texte.

Puis, alors que la traduction devient dans les années suivantes un do- maine de recherche de plus en plus prisé par les linguistes, les sémioticiens, les philosophes, les littéraires et les comparatistes, Eco et les autres sémio- ticiens italiens restent complètement à l’écart des débats. Il faut attendre 1992 pour assister à un virage déterminant : dans sa page hebdomadaire de l’Espresso, « La bustina di Minerva », Eco annonce à ses lecteurs que la tra- duction est devenue l’un des thèmes fondamentaux des années 1990, un sujet à la mode motivé par l’Esprit du Temps14. À cet égard, il fait savoir que l’université de Bologne s’apprête à créer un doctorat de traduction15 et que l’association des sémioticiens italiens, l’Associazione Italiana Studi Semiotici, a décidé d’organiser à Venise, vingt ans après sa fondation, son

12. U. Eco, « La traduction… », p. 63. C’est Eco qui souligne.

13. Ibid., p. 64.

14. U. Eco, « Traduttori, l’Europa del futuro ha bisogno di voi », L’Espresso, 11 novembre 1992, p. 254. Avant cette date, Eco n’a consacré qu’une brève étude à la traduction : « Due pen- sieri sulla traduzione », in Atti della Fiera Internazionale della Traduzione (Riccione, 19-21 décembre 1990), Forlì, Editrice Ateneo, 1992, p. 10-13.

15. Cf. U. Eco, Dire quasi…, p. 11, note 3: son intérêt pour la traduction a été sollicité par les études de Siri Nergaard qu’il a dirigées à l’université de Bologne (sa tesi di Laurea et sa thèse de doctorat) et par deux anthologies publiées dans une collection dont il est le directeur (cf. S. Nergaard, La teoria della traduzione nella storia, Milan, Bompiani, 1993; id., Teorie contemporanee della traduzione, Milan, Bompiani, 1995).

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premier colloque sur la traduction16. Cette découverte tardive de la traduc- tion chez les sémioticiens italiens, et chez Eco en particulier, est d’autant plus étrange que le Porter Institute for Poetics and Semiotics de Tel-Aviv joue un rôle fondamental, dès le début des années 1970, grâce à Itamar Even- Zohar, puis à son élève Gideon Toury, dans la construction d’une théorie sémiotique de la littérature, dite théorie du polysystème, faisant une large place à la traduction17. La revue de ces sémioticiens, Poetics Today, qui est publiée aux États-Unis et qui compte dans son comité international même Cesare Segre et Umberto Eco, a consacré plusieurs contributions à ce sujet à partir des années 1970. Or, dans un numéro de 198118, dans la bibliographie qui clôt son article « TT-oriented approach to translation », Toury signale la contribution d’Even-Zohar au premier colloque de l’Association inter- nationale des sémioticiens, à Milan, en 1974: les actes de cette première ren- contre sont publiés sous la direction, entre autres, d’Umberto Eco19!

On peut supposer que la sémiotique systémique et globalisante des Israéliens n’intéressait pas dans les années 1970-1980 la sémiotique inter- prétative d’Eco : l’approche systémique, dans le sillage à la fois des forma- listes russes et de Pierre Bourdieu, visait la compréhension des rôles, des valeurs et des positions que les textes assument, en tant que genres, dans l’évolution du champ littéraire et prônait l’élaboration d’une histoire de la

16. Pour les actes du colloque AISS de Venise cf. Carte semiotiche, no2, 1995. Paolo Fabbri, l’un des élèves historiques d’Eco, n’est pas étranger à cet intérêt nouveau des sémioticiens pour la traduction. Au début des années 1990, en tant que directeur du Centre culturel italien de Paris, en collaboration avec le directeur du Centre culturel français de Rome, il publie un recueil d’études sur la traduction : Dossier Tradurre-traduire, P. Fabbri, G. Mon- saingeon (éd.), Mezzavoce, 1re année, no1, juillet 1994.

17. Cf. I. Even-Zohar, « Le relazioni tra sistema primario e sistema secondario all’interno del polisistema letterario », Strumenti critici, no26, 1975, p. 71-79: cette traduction pionnière, parue dans la revue de Cesare Segre, est passée complètement inaperçue. Siri Nergaard la cite dans la bibliographie finale de son anthologie de 1995 où paraissent trois études de l’école de Tel-Aviv.

18. Semiotics Today, vol. 2, no4, été / automne 1981, Theory of Translation and Intercultural Relations, p. 25.

19. Cf. I. Even-Zohar, « The Textemic Status of Signs in a Literary Text and its Translation », in A Semiotic Landscape : Proceedings of the 1st Congress of the IASS (Milan, June 1974), S. Chatman, U. Eco, J.M. Klinkenberg (éd.), La Haye, Mouton, 1979, p. 629-633. L’approche TT-oriented, c’est-à-dire orientée vers le texte d’arrivée (Text Target signifiant texte cible), s’impose en Italie à partir de la fin des années 1980, en prônant parfois le déni total du texte-source au nom des conventions de la culture d’arrivée (cf. G. Garzone, « Sull’intrinseca vaghezza della definizione di traduzione : prospettive traduttologiche e linguistiche », in Esperienze del tradurre : aspetti teorici e applicativi, G. Garzone (éd.), Milan, Franco An- geli, 2005, p. 57-63). Il s’agit de l’annexion / adaptation au cœur des débats des années 1980 en France (cf. J.-R. Ladmiral, « Sourciers et ciblistes », in La Traduction, J.-R. Lad- miral (éd.), Revue d’esthétique, no 12, 1986, p. 33-41).

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littérature davantage tournée vers une sociologie de la réception, alors que l’approche interprétative d’Eco était tournée (et elle le demeure) vers l’inten- tio operis (l’intention du texte : les stratégies discursives effectivement ins- crites par l’auteur dans le texte, de façon délibérée ou inconsciente) et vers le lector in fabula. Mais l’approche systémique TT-oriented a trouvé tout de suite en Hollande, puis en Belgique, en Angleterre, au Canada et aux États- Unis, des chercheurs qui ont repris le flambeau tout en ouvrant d’autres perspectives d’analyse20. Le fondateur même de cette théorie, Even-Zohar, a de plus en plus délaissé le champ littéraire pour s’intéresser aux produc- tions culturelles qui font l’objet d’échanges internationaux, en allant ainsi vers l’histoire de la culture et l’étude sociologique des phénomènes sémio- tiques21. Dans Dire quasi la stessa cosa, Eco émet un avis sans appel au sujet de ces approches TT-oriented: lorsque les études de traduction se désinté- ressent des problèmes linguistiques et culturels inhérents au texte-source, pour ne privilégier que la culture d’accueil, elles se situent d’après lui hors de la traductologie proprement dite et ne concernent que l’histoire de la culture et la littérature comparée. Sans nier l’importance de ces enquêtes, Eco déclare ne pas vouloir s’occuper de ces problématiques car ce qui l’in- téresse c’est le passage du texte-source au texte-cible22. De même, il prend position vis-à-vis des approches des sémioticiens qui, en Italie, s’intéressent dans la seconde moitié des années 1990 à la traduction intersémiotique et tendent à élargir la définition de traduction aux processus d’adaptation : la version cinématographique d’un roman demeure pour lui une opération différente de la traduction interlinguistique et relevant du domaine sémio- tique de la transmutation23. Mais même lorsqu’il se penche sur cette problé-

20. Pour une étude des tendances TT-oriented encore aujourd’hui dominantes, cf. M. Ulrych,

« La traduzione nella cultura anglosassone contemporanea : tendenze e prospettive », in Tradurre : un approccio multidisciplinare, M. Ulrych (éd.), Turin, UTET, 1997, p. 213-248; G. Garzone, « Sull’intrinseca vaghezza… », p. 53-79.

21. Cf. les études d’I. Even-Zohar, « La formazione del repertorio culturale e il ruolo del trasferimento », in La traduzione, S. Petrilli (éd.), Athanor, 10e année, no2, 1999/2000, p. 201-206; « Alcune risposte à Lambert et Pym », in Lo stesso altro, S. Petrilli (éd.), Athanor, 12e année, no 4, 2001, p. 182-186.

22. U. Eco, Dire quasi…, p. 170-171.

23. Ibid., p. 23. Cf. le chapitre consacré à cet aspect ibid., p. 315-344. D’où aussi chez Eco ce souci de définir la traduction proprement dite par le principe de réversibilité (ibid., p. 58) : si B est la traduction de A, en traduisant à nouveau B dans la langue de A on obtient un texte A2 ayant d’une certaine façon le même sens que le texte A1. Outre le lexi- que et la syntaxe, la réversibilité peut concerner les modalités d’énonciation dues à un usage spécifique de la ponctuation (ibid., p. 64). Si le texte-source est complexe, tel un roman ou un poème, la réversibilité peut concerner plusieurs niveaux, à commencer par le rythme (ibid., p. 68-69). Eco affirme même qu’une traduction doit être quantitative- ment équivalente, en nombre de mots, au texte original (ibid., p. 263-264).

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matique spécifique, Eco ramène son intérêt vers le texte-source et rappelle la distinction qu’il a forgée dans Lector in fabula entre interprétation et usage d’un texte24.

À la différence du parcours sémiotique d’Even-Zohar, celui d’Eco n’a pas évolué jusqu’à se dénaturer. Son approche des questions du texte en géné- ral et de la littérature en particulier demeure, dans les années 1980-1990, celle indiquée dans ses travaux des années 1970: le Lecteur Modèle et l’Au- teur Modèle sont toujours inscrits dans le texte en tant que stratégies dis- cursives25. C’est dans ces stratégies textuelles que le lecteur empirique doit chercher l’intentio operis: «l’iniziativa del lettore consiste principalmente nel fare una congettura sull’intenzione del testo»26, «un testo rimane il parametro con cui misurare l’accettabilità delle sue interpretazioni»27. Dans ses confé- rences américaines, Eco polémique à plusieurs reprises avec les critiques readers-oriented qui, ne se souciant ni de l’intention de l’auteur ni de celle du texte, en toute liberté expliquent ce même texte selon leurs propres para- mètres d’interprétation, convaincus qu’il existe un champ infini de lectures possibles28. En revanche pour Eco,

decidere come funziona un testo significa decidere quale dei suoi vari aspetti sia o possa diventare rilevante e pertinente al fine di una interpretazione coe- rente, e quali rimangono marginali e incapaci di legittimare una lettura coe- rente29.

Cet attachement à l’autonomie du texte, lorsqu’on aborde les problè- mes de la traduction, implique une attention accrue aux caractéristiques textuelles de l’original et donc une analyse de la traduction pour l’essentiel sémiotique, sémantique et pragmatique. On peut ainsi interpréter l’entrée d’Eco dans l’arène traductologique comme une réaction critique aux idées TT-oriented dominantes où le lecteur est toujours un récepteur empirique très influent : lector extra fabulam dont, dans une vision sociologique de la consommation culturelle, la demande supposée impose ses règles à l’offre.

24. Ibid., p. 340-341. Cf. U. Eco, Lector in fabula: le rôle du lecteur ou la coopération interpréta- tive dans les textes narratifs [1979], trad. fr. M. Bouzaher, Paris, Grasset, 1985, p. 232-233. 25. U. Eco, Lector in fabula…, p. 75-77; id., « Sovrainterpretare i testi », in Interpretazione e

sovrainterpretazione : un dibattito con Richard Rorty, Jonathan Culler e Christine Brooke- Rose [1992], trad. it. S. Cavicchioli, Milan, Bompiani, 1995, p. 78-80. Ce dernier livre con- tient les conférences d’Eco aux États-Unis en 1990 (Tanner Lectures de Cambridge), dont les arguments ont déjà été présentés dans son ouvrage I limiti dell’interpretazione (Milan, Bompiani, 1990), s’y ajoutent les textes d’autres conférenciers et sa réplique finale.

26. U. Eco, « Sovrainterpretare… », p. 78.

27. U. Eco, « Replica », in Interpretazione e sovrainterpretazione…, p. 170. 28. U. Eco, « Interpretazione e storia », ibid., p. 33-35, 50-53.

29. U. Eco, « Replica », p. 175.

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Il en découle que le texte-source prend, dans cette théorie, une position secondaire car le lecteur-traducteur interprète et réécrit ce texte pour son public d’arrivée et c’est le texte-cible qui compte le plus au vu de l’histoire littéraire du pays d’accueil : toute théorie de la description de la traduction doit donc partir de l’hypothèse que «le traduzioni siano fatti appartenenti a un solo sistema : il sistema di arrivo (target system)»30. Dans ce cadre théo- rique, l’existence de fait du texte-source n’est plus la condition nécessaire et suffisante pour définir la traduction car il suffit de supposer que le texte original existe indépendamment de son existence véritable :

L’unica via praticabile pare essere quella di procedere dall’assunto che, al fine di una ricerca descrittiva, per traduzione si debba intendere ogni enunciato nella lingua di arrivo che in quella stessa cultura venga presentato o ritenuto come una traduzione sulla base di un qualsiasi plausibile fondamento31. Face à ces nouvelles tendances, on comprend mieux pourquoi, dans son intervention de 1992, Eco souligne que «da San Gerolamo ad oggi, non abbiamo ancora idee chiare su cosa voglia dire tradurre»32. Après avoir tourné en ridicule la traduction mot à mot faite à l’aide d’un simple dictionnaire – critique que dans l’incipit de Dire quasi la stessa cosa il élargira aux logi- ciels de traduction automatique disponibles sur Internet33 – Eco affirme que traduire a certainement affaire aux mots mais aussi aux contextes, et il ajoute : «per esempio oggi si discute molto se una traduzione debba essere orien- tata alla fonte [source] o alla destinazione [cible /target] »34. Il nous propose alors un exemple hypothétique où le traducteur serait obligé de présenter une certaine Mary comme une jeune fille ayant l’habitude de fréquenter via Montenapoleone, définition où la référence toponymique est connotée au plan sociologique et culturel. Que devrait faire le traducteur de cette rue chic de Milan ? Eco ne propose pas une solution univoque et rassurante, confectionnée a priori par une idéologie traduisante, mais il analyse atten- tivement la valeur sémantique précise de cette information toponymique

30. G. Toury, « Analisi descrittiva della traduzione » [1980], in S. Nergaard, Teorie contempo- ranee…, p. 187. C’est Toury qui souligne. Cf. ibid., p. 186.

31. Ibid., p. 188. C’est dans une deuxième phase, lors de l’étude descriptive de la traduction (cf. ibid., p. 195), que le texte-source est véritablement pris en compte mais il ne s’agit plus, étant donné les présupposés ciblistes de cette démarche, que d’une simple analyse linguistique, comparative ou contrastive : «La ricostruzione avviene infatti sempre attra- verso un confronto tra i due testi di partenza e di arrivo piuttosto che sulla base dell’analisi del solo testo di partenza» (ibid., p. 204. C’est Toury qui souligne).

32. U. Eco, « Traduttori, l’Europa… », p. 254.

33. U. Eco, Dire quasi…, p. 25-35 (« I sinonimi di Altavista »).

34. U. Eco, « Traduttori, l’Europa… », p. 254.

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dans l’économie du texte car ce n’est que dans le fonctionnement du texte que l’on trouvera d’après lui la réponse :

Se questa frase appare in un racconto su Milano il traduttore dovrà sfor- zarsi di far capire al lettore inglese o cinese che cosa vuol dire – a Milano – andare in via Montenapoleone. Ma supponiamo che io abbia scritto così tanto per far capire ai lettori italiani che tipo è questa Mary, che magari vive in un altro paese. Mi pare legittimo che il traduttore americano scriva che Mary si trovava più a suo agio a Madison Avenue […]. Se il mio racconto era un’opera d’arte, il traduttore ha certo cambiato il testo-fonte, non ha tradotto ma interpretato, si è preoccupato del destinatario. Ma se lo stesso traduttore avesse dovuto rendere « Quel ramo del lago di Como » non avrebbe potuto scrivere « Quel ramo del Loch Ness », anche se traduceva per gli inglesi. In quel caso la traduzione doveva esssere orientata alla fonte35. La démonstration d’Eco tient ici non pas à la nature du destinataire, fût-il chinois ou anglais, mais à la nature du texte car « un texte est un arti- fice syntaxico-sémantico-pragmatique dont l’interprétation prévue fait partie de son propre projet génératif »36. Cette définition du texte narratif – comme artifice prévoyant sa propre interprétation et, par conséquent, sa loi de traduction – n’est pas du tout en contradiction avec l’affirmation de Walter Benjamin qu’« à un degré quelconque, toutes les grandes écritures, mais au plus haut point l’Écriture sainte, contiennent entre les lignes leur traduction virtuelle »37. Chez Eco néanmoins les écritures ne sont ni gran- des ni petites, ni profanes ni sacrées : sa théorie du texte doit expliquer le fonctionnement de tous les textes narratifs écrits, qu’ils aient ou pas une dimension religieuse ou une valeur esthétique. Sa conception de l’écriture est profondément laïque et démocratique : Cendrillon, James Bond, Renzo Tramaglino et Noé sont tous à ses yeux des personnages de textes narratifs38. Sa théorie du texte n’est donc pas susceptible de faire rêver les critiques de la traduction fascinés par l’ineffable de l’art et les mystères insondables du sacré39.

35. Ibid. C’est nous qui soulignons.

36. U. Eco, Lector in fabula…, p. 84.

37. W. Benjamin, « La tâche du traducteur » [1923], in Mythe et Violence, trad. fr. M. de Gan- dillac, Paris, Denöel, 1971, p. 275.

38. Cf. à ce sujet les remarques d’Eco sur la paralittérature et sur sa tentative de traduction en italien du Comte de Monte-Cristo (Dire quasi…, p. 118-125).

39. Luciano Curreri reproche par exemple à Eco de ne pas caractériser son discours sur la tra- duction par « une certaine tension utopique » présente en revanche chez Calvino (« Pensieri sulla critica della traduzione e sulla sua ricezione », Palazzo Sanvitale, no15-16, 2005, p. 183).

Derrière des conceptions différentes de la traduction, il y a toujours des conceptions dif- férentes de la littérature et, partant, du langage (cf. G. Steiner, Après Babel : une poétique du

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En 1992, Eco nous dit donc que, pour bien traduire, il faut bien com- prendre le fonctionnement du texte-source. On retrouvera cette affirmation forte dans la première page de Dire quasi la stessa cosa à propos de la locu- tion idiomatique it’s raining cats and dogs40 où il démontre qu’une solution traductive ne peut pas être décidée a priori car il faut d’abord évaluer la fonc- tion textuelle spécifique de cette structure figée : dans un roman anglais traduit en italien on doit en principe opter pour l’équivalent piove a catinelle ou piove come Dio la manda mais que doit-on faire s’il s’agit d’un roman de science-fiction où des chats et des chiens tombent vraiment du ciel ? Que faut-il faire encore si le personnage se rend chez son psychanalyste pour lui raconter son obsession des chats et des chiens ? Que peut-on faire par ailleurs si la locution concerne un roman italien où le personnage est un étudiant d’anglais qui adore faire usage d’anglicismes ? Que se passerait-il enfin si on devait traduire en anglais ce même roman italien ? La question n’est donc pas d’orienter a priori la traduction vers le destinataire ou vers la langue- culture source : c’est le texte lui-même, et non pas le lecteur empirique, qui détermine les choix traductifs.

Eco traite d’abord cette problématique dans son ouvrage de 1993 La Ricerca della lingua perfetta41, où il consacre à la traduction les dernières pages du dernier chapitre : on lui saura gré d’avoir enfin remis le récit de la Tour de Babel dans le contexte textuel de la Genèse42 – ce qui modifie l’in- terprétation courante de ce mythe biblique et démonte aussi le discours de Jacques Derrida lecteur de Walter Benjamin43 – et d’avoir rappelé, avec son habituelle touche d’ironie, qu’après le désarroi provoqué par cette confusion des langues, un deuxième récit sacré, celui de la Pentecôte, vient apporter une lueur d’espoir : « [les apôtres] auraient donc reçu le don, sinon de la xenoglossie (c’est-à-dire du polyglottisme), au moins d’un service mystique

40. dire et de la traduction [1975], trad. fr. L. Lotringer, Paris, Albin Michel, 1978, p. 262). Eco par ailleurs corrige Steiner en remplaçant la théorie du langage sous-jacente à toute idée de la traduction par une sémiotique, la sienne évidemment (cf. Dire quasi…, p. 232).

40. U. Eco, Dire quasi…, p. 9-10.

41. Nous citerons dans l’édition française : U. Eco, La Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne, trad. fr. J.-P. Manganaro, Paris, Seuil, 1994.

42. Ibid., p. 22-24.

43. Cf. J. Derrida, « Des tours de Babel » [1985], in Psyché : inventions de l’autre, Paris, Galilée, 1987, p. 203-235. À ce sujet, nous partageons cette affirmation de Segre : «Quello che fanno troppo spesso i critici, non solo i decostruzionisti, è di creare discorsi su discorsi su discorsi, senza quel continuo ritorno al testo che dovrebbe essere il primo comandamento del critico» (C. Segre, « Critica e testualità », in Ritorno alla critica, p. 98). Or, si dans la Genèse 11, il est question de la Tour de Babel, dans la Genèse 10 il est déjà question de la dispersion des descendants de Noé selon leurs familles, leurs langues et leurs nations : la pluralité des lan- gues précède donc l’écroulement de la tour (U. Eco, La Recherche de la langue…, p. 23-24).

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de traduction simultanée »44. On peut en revanche reprocher à Eco d’attri- buer à Benjamin la priorité de l’intuition que le problème de la traduction puisse présumer une langue parfaite, le pur langage45: en effet, si Benjamin publie sa célèbre « Tâche du traducteur » en 192346, Giovanni Gentile, lui, s’exprime exactement sur les mêmes sujets en 192047, en théorisant l’exis- tence d’une langue unique, universelle, qui rend possible la traduction48. Son intervention, qui déclenche la réponse pleine de lieux communs de Benedetto Croce49, constitue l’un des moments les plus remarquables de la réflexion sur la traduction au xxe siècle en Italie mais, nous en convenons, un philosophe marxiste allemand d’origine juive victime de la barbarie nazie, malgré son penchant mystique, suscite notre estime et notre sympa- thie alors que le philosophe idéaliste italien, exécuté sur le pas de sa porte à la libération de Florence par des résistants, continue de payer pour son engagement d’intellectuel dans le camp fasciste. Pourtant, en 1920, Gentile ne peut pas s’exprimer sur la traduction en général et sur la traduction esthé- tique en particulier en tant que fasciste, il le fait en tant que penseur sûr et original : son approche philosophique, l’actualisme, l’amène à affirmer dans le sillage de Wilhelm von Humboldt : « la forme n’est autre que le contenu arraché à sa staticité »50 et à souligner, bien avant Martin Heiddeger et Hans- Georg Gadamer, que, même à l’intérieur de sa propre langue, pour com- prendre un texte ou exprimer sa pensée, on doit toujours interpréter, donc traduire51.

La langue parfaite, soit-elle pure ou unique, dont parle Eco dans cet ouvrage de 1993 pourrait être ce tertium comparationis dont le puissant méta- langage serait capable de convertir l’expression d’une langue A dans celle

44. U. Eco, La Recherche de la langue…, p. 396. 45. Ibid., p. 389-390.

46. W. Benjamin, « La tâche du traducteur », p. 261-275.

47. G. Gentile, « Il torto e il diritto delle traduzioni », in Frammenti di estetica e letteratura, Lanciano, Carabba, 1920; nous citons du texte traduit en français et présenté par C. Alunni :

« Du tort et du droit des traductions », Le Cahier du Collège international de philosophie, no 6, octobre 1988, p. 13-20.

48. Ibid., p. 17-19.

49. B. Croce, « Possibilità e impossibilità delle traduzioni » [1920], in Conversazioni critiche, vol. 4, Bari, Laterza, 1951, p. 308-309.

50. G. Gentile, « Du tort et du droit… », p. 15.

51. Ibid., p. 18. À la relation entre interprétation et traduction, Eco consacre, en partant de Roman Jakobson et de Charles S. Peirce, un chapitre fondamental de Dire quasi… (p. 225- 253) où il démontre la non-identité de ces deux phénomènes et la priorité du premier sur le deuxième. En effet, si une traduction est toujours une interprétation, Eco tient à souli- gner tout le long de son ouvrage qu’une interprétation n’est pas toujours une traduction (ibid., p. 87, 229) et que, pour traduire, il faut d’abord interpréter le texte (ibid., p. 230).

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d’une langue B. Mais ceci présuppose que l’on tienne compte de l’existence du texte-source et de la nécessité d’un transfert de l’expression linguistique originaire dans un texte d’arrivée. À ce sujet, Eco remarque :

L’on pourrait échapper à ses inconvénients en supposant, comme le font certains courants récents, que la traduction est un fait purement interne à la langue de destination ; c’est pourquoi cette dernière doit résoudre en son sein, et en fonction du contexte, les problèmes sémantiques et syn- taxiques posés par le texte originaire. Nous sommes ainsi en dehors de la problématique des langues parfaites, parce qu’il s’agit de comprendre des expressions produites selon le génie d’une langue-source et d’inventer une paraphrase « satisfaisante » (mais en fonction de quels critères ?), en res- pectant le génie de la langue de destination52.

Nous trouvons à nouveau cette réflexion, presque inchangée, dans l’étude qu’Eco publie dans l’anthologie de Siri Nergaard en 199553. Qu’il s’agisse du titre, « Riflessioni teorico-pratiche sulla traduzione », ou des pro- blématiques traitées, on s’approche ici de Dire quasi la stessa cosa. L’affirma- tion de l’incipit, par exemple, sera reprise dans l’introduction54: pour parler de problèmes théoriques de la traduction, il est nécessaire aussi d’avoir une connaissance passive ou active de cette pratique55; en ce qui concerne Eco, ses réflexions seront liées à son expérience d’auteur traduit qui suit le tra- vail de ses traducteurs. Or, de ce point de vue, son souci premier en tant que romancier est celui de la fidélité :

Capisco che questo termine possa parere desueto di fronte a proposte critiche per cui, in una traduzione, conta solo il risultato che si realizza nel testo e nella lingua d’arrivo – e per di più in un momento storico determinato, in cui si tenti di attualizzare un testo concepito in altre epoche. Ma il concetto di fedeltà ha a che fare con la persuasione che la traduzione sia una delle forme dell’interpretazione (come il riassunto, la parafrasi, la valutazione critica, la lettura ad alta voce di un testo scritto) e che l’interpretazione debba sempre mirare, sia pure partendo dalla sensibilità e dalla cultura del lettore, a ritrovare non dico l’intenzione dell’autore, ma l’intenzione del testo, quello che il testo dice o suggerisce in rapporto alla lingua in cui è espresso e al con- testo culturale in cui è nato56.

La réflexion d’Eco est si libre de préjugés et d’autocensure qu’il peut se permettre de revendiquer, à contre-courant, l’usage d’un terme, « fidélité »,

52. U. Eco, La Recherche de la langue…, p. 391-392.

53. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche sulla traduzione », in Teorie contemporanee…, p. 137. 54. U. Eco, Dire quasi…, p. 12-15.

55. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 121-122. 56. Ibid., p. 123.

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banni des études contemporaines sur la traduction. D’après lui, le concept que ce mot véhicule est lié à son idée que la traduction est toujours l’une des formes de l’interprétation et que, même en partant de la sensibilité et de la culture du lecteur d’arrivée, la traduction doit viser à retrouver, sinon l’intention de l’auteur, au moins l’intention du texte-source, ce que ce texte dit ou suggère par rapport à la langue qui l’exprime et au contexte culturel qui l’a vu naître57. Puis Eco se pose la question de savoir si une traduction doit être source ou target oriented, pour conclure :

ritengo che non si possa elaborare una regola, ma usare i due criteri alterna- tivamente, in modo flessibile, a seconda dei problemi posti dal testo a cui ci si trova di fronte58.

Cette position pragmatique et sémiotique, qui nie toute démarche dogmatique établie a priori et toute justification déterministe a posteriori, ne peut que déranger les théoriciens de la traduction car, en définitive, elle affirme que c’est le corpus textuel source qui détermine, au cas par cas, dans sa relation dialectique avec la langue-culture d’arrivée, la démarche de tra- duction à suivre59. Le corpus est en général jugé par les théoriciens un fait secondaire mais exemplaire, alors qu’en vérité il ne représente que lui-même : ce n’est que le corpus qui peut confirmer ou désavouer le bien-fondé des critères théoriques choisis. Chez Eco, la richesse et la variété du corpus ana- lysé mettent délibérément en échec toute approche normative et prescrip- tive de la traduction. Il cite le cas de Joyce qui traduit lui-même en italien son œuvre, Anna Livia Plurabelle, en s’éloignant complètement des sonori- tés et de l’univers linguistique du texte anglais, et il souligne que c’est juste- ment cette adaptation / annexion qui met en évidence le principe constitutif du texte original : l’agglutination lexicale, le mot-valise. Il raconte avoir signalé à ses traducteurs qu’une référence intertextuelle au poème L’Infini de Leopardi dans le Pendolo di Foucault avait une valeur symbolique en tant qu’indice de citation littéraire, et qu’il fallait faire comprendre aux lecteurs cette fonction remplie par la citation dans l’économie du texte : il les a donc invités à remplacer la référence à Leopardi par d’autres allusions intertex- tuelles, aisément identifiables dans les littératures d’arrivée60. Mais il affirme

57. Cf. aussi U. Eco, Dire quasi…, p. 16.

58. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 125.

59. Dans Dire quasi… (p. 235-236), Eco ira jusqu’à refuser de donner une nouvelle typologie de la traduction «per non rischiare d’ingabbiare in tipi definiti una attività che, proprio per- ché procede per continue negoziazioni, testo per testo (e parte di un testo per parte di un testo), si dispone lungo un continuum di equivalenze, reversibilità o fedeltà che dir si voglia».

60. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 125-130. Cf. Dire quasi…, p. 151.

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aussi que dans d’autres cas l’adaptation n’est pas possible et donne l’exemple de l’incipit de Guerre et Paix où les aristocrates russes parlent français. Dans la traduction française de ce passage, l’opposition entre langue française et langue russe disparaît : il faudrait faire parler les aristocrates en anglais mais ce choix trahirait, selon Eco, le sens du texte original qui évoque une société russe aux élites francophones en conflit justement avec la France61. La ques- tion du sens du texte à traduire est ainsi posée : source ou target-oriented, une traduction doit véhiculer «se non tutto il senso almeno gran parte del senso»62.

Eco montre par quelques exemples très simples que la notion de con- tenu d’un énoncé A n’est équivalente à celle d’un énoncé B que dans le cas d’énoncés dépourvus d’ambiguïté (sans figures rhétoriques, par exemple) et d’autoréflexivité (sans le jeu sur le signifiant caractérisant les valeurs pho- nétiques ou prosodiques). Autrement dit, la notion de contenu proposi- tionnel s’applique à la dénotation mais pas à la connotation : le sens de la citation de L’Infini de Leopardi n’a rien à voir avec la haie évoquée par le personnage du roman. Sa véritable signification est : ce personnage est inca- pable d’apercevoir la nature sans l’aide de la médiation littéraire63. Une tra- duction satisfaisante doit donc, pour Eco, rendre le sens du texte original, c’est-à-dire sauvegarder suffisamment le sens et éventuellement l’élargir sans le contredire ; mais, pour ce faire, il ne faut pas oublier que traduire signifie interpréter, et qu’interpréter veut dire aussi parier que le sens que nous reconnaissons dans un texte, sans qu’il rencontre des contradictions

« co-textuelles » évidentes, c’est le sens de ce texte64. Il souligne aussi, en refu- sant ainsi toute tendance métaphysique, que le sens n’est à chercher dans aucun langage pur situé dans un «no language’s land»65. Chaque décision est prise par rapport au contexte mais comprendre un contexte est un acte herméneutique et un acte herméneutique implique un cercle : on parie en faisant une hypothèse sur un tout que chaque partie du texte doit confir- mer et on ne peut comprendre chaque partie du texte sans avoir émis une hypothèse interprétative globale66. Même s’il n’y a pas une règle précise pour établir les raisons de la fidélité d’une traduction, la fidélité doit demeurer

61. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 132. Cf. Dire quasi…, p. 169 où il ajoute : «dei francofoni mi hanno assicurato che si sente che il francese di quei personaggi (forse per colpa dello stesso Tolstoj) è un francese chiaramente parlato da stranieri».

62. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 134. 63. Ibid., p. 136.

64. Ibid., p. 138.

65. Ibid. Dans Dire quasi… (notamment p. 154-156), Eco approfondira la problématique sur la traduction des actes de référence et la question du sens profond d’un texte.

66. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 139.

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dans l’évaluation d’une traduction un principe indiscutable : les critères de fidélité peuvent changer à l’intérieur d’une culture donnée selon les épo- ques mais ce principe doit caractériser de façon cohérente le tissu textuel de la traduction67.

La substance de l’expression à valeur esthétique

Quant à la poésie, en reprenant la distinction de Hjelmselev entre les deux plans de l’expression et du contenu (chacun à son tour partagé en forme et substance), Eco remarque que la traduction poétique pose plus de problè- mes car l’expression y semble plus déterminante que le contenu et souvent la substance de l’expression plus importante que la forme de l’expression, comme c’est le cas pour la synesthésie et le symbolisme phonique68. En pre- nant comme exemple A Silvia de Leopardi, Eco souligne néanmoins que même un poème peut avoir un contenu pertinent : en effet, comme dans tout texte narratif, il y a ici une histoire (fabula) et un récit (intreccio), mais le charme du poème est dû notamment à sa manifestation discursive (dis- corso). Or, pour que la traduction de ce poème puisse être considérée comme adéquate, il faut aussi en respecter l’histoire et le récit69. Dans la poésie le mètre et la rime comptent beaucoup mais il peut y avoir des traductions qui, par souci de la substance de l’expression, perdent des images haute- ment poétiques au niveau du contenu. Pour Eco donc, même en poésie, il ne faut pas négliger le plan du contenu lorsque celui-ci a une valeur poéti- que importante. Il développe alors un exemple que l’on trouve aussi dans Dire quasi la stessa cosa: The Love Song of J. Alfred Prufrock d’Eliot et, après avoir analysé le fonctionnement de ce texte poétique, quelques variantes de traduction italiennes et même proposé une tentative de traduction en vers rimés, il arrive à la conclusion que la traduction en vers libres sans rime était la seule possible : «la fedeltà alla desolazione eliotiana imponeva di non ricorrere a rime che nel contesto italiano sarebbero apparse consolatorie»70.

67. Ibid.

68. Le modèle hjelmslevien est développé dans Dire quasi… (p. 39-41, 48-56) et constamment appliqué dans les analyses de traduction. Pour Eco (cf. aussi La Recherche de la langue…, p. 35-39) la forme de l’expression d’une langue naturelle donnée est constituée par son système phonologique, son répertoire lexical, ses règles syntaxiques mais l’actualisation de cette forme par le locuteur ou le scripteur ne peut se réaliser que dans la substance de l’expression. De même, la forme du contenu est constituée par tout ce qui peut être dit ou pensé dans une langue naturelle et sa substance est le sens des énoncés singuliers que le locuteur produit effectivement.

69. U. Eco, « Riflessioni teorico-pratiche… », p. 145. 70. Ibid., p. 141. Cf. Dire quasi…, p. 270-275.

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Cette traduction est d’après lui acceptable parce que, entre autres, elle s’in- sère dans une tradition traductive italienne où les textes anglais canoni- ques ont été toujours rendus par des versions en prose71. Toutefois, certai- nes caractéristiques de ce texte d’Eliot – indépendamment de la culture d’accueil – peuvent également motiver un tel choix de traduction.

Dans Dire quasi la stessa cosa, dans le sillage de Hjelmselev, Eco affirme qu’il existe plusieurs niveaux de la substance de l’expression et que, d’après les développements de la sémiotique textuelle, la plupart de ces niveaux sont considérés comme nettement étrangers au système linguistique72. Pour étayer son discours il propose l’exemple : « Passe-moi le sel » où l’intonation du locuteur relève de phénomènes suprasegmentaux qui n’ont pas directe- ment affaire au système de la langue et il range dans ce même lot la métrique, la rime, les effets phonosymboliques, rythmiques et stylistiques. Il affirme entre autres que la métrique est étrangère au système linguistique car l’hen- décasyllabe peut être utilisé dans des langues autres que l’italien73. Eco prête à ces phénomènes une attention particulière, comme le démontre son ana- lyse des réitérations phoniques de la voyelle /i/ et de l’anagramme Silvia/ salivi dans A Silvia, et il conclut en soulignant que, dans un texte à finalité esthétique, se tissent des relations subtiles entre les différents niveaux de l’expression et du contenu : le traducteur doit alors reconnaître ces niveaux, transposer l’un ou l’autre (ou tous, ou aucun) et, quand cela est possible, les mettre en relation comme ils étaient dans le texte de départ74.

En citant Leonardo Bruni, qui demande au traducteur de faire con- fiance à son oreille pour reproduire le rythme du texte-source, Eco sou- ligne l’importance du rythme même dans des textes en prose comme son Nom de la rose ou Sylvie de Nerval et il analyse, pour ce dernier ouvrage, quatre variantes de traduction, dont la sienne75. Si, en règle générale, d’après Eco la rime et le rythme sont dans le discours prosaïque des accidents invo- lontaires, «indesiderati», ce n’est pas le cas chez Nerval où l’effet rythmi- que est délibérément recherché par l’auteur : le respect de cet effet textuel est alors plus important que la fidélité littérale au contenu propositionnel76. Surtout dans les textes à finalité esthétique, l’équivalence sémantique dépasse

71. Cf. Dire quasi…, p. 273-274 où Eco reprend cette conclusion pour y développer, en se réfé- rant à Itamar Even-Zohar, à Antoine Berman et à Patrick Catrysse, la notion d’« horizon du traducteur ».

72. Ibid., p. 53, note 11.

73. Ibid., p. 54, 257: il affirme même que l’on peut produire des hendécasyllabes dans une lan- gue inventée.

74. Ibid., p. 55-56. 75. Ibid., p. 68-78. 76. Ibid., p. 72.

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le niveau dénotatif de la substance linguistique : il faudra donc parler d’une équivalence fonctionnelle soumise au but dominant proposé par le texte- source. La skopos theory ne ferait alors que confirmer la thèse traductolo- gique générale d’Eco : l’effet principal que poursuit le texte original doit être reproduit par le traducteur car c’est cet effet qui constitue l’intentio operis77.

En étudiant de plus près le statut de la substance de l’expression dans les textes poétiques, Eco souligne avec Ludwig Wittgenstein que l’effet es- thétique n’est pas seulement la réponse émotive, physiologique, du lecteur empirique mais aussi la compréhension des causes qui provoquent cet effet : autrement dit, l’appréciation esthétique ne se réduit pas à la réaction psy- chologique du récepteur mais englobe le repérage dynamique chez ce dernier des stratégies textuelles engendrant cette réaction78. Lors de son interpré- tation critique du texte, le traducteur doit donc savoir reconnaître les stra- tégies stylistiques mises en œuvre aux différents niveaux de la substance du contenu et de l’expression, là où se manifeste ce que Jakobson appelle l’auto- réflexivité du langage poétique.

Ces stratégies échappent pour Eco au simple domaine de la langue : il s’agit de « phénomènes extralinguistiques » qui doivent être considérés plus généralement d’un point de vue sémiotique79. D’après lui, en effet, «certi testi basano il loro effetto su caratteristiche ritmiche che pertengono alla sos- tanza extralinguistica e sono indipendenti dalla struttura della lingua»80. Même si sa définition de substance « extralinguistique » ne peut que nous laisser insatisfaits, Eco ose ici se pencher en sémioticien sur l’épineuse ques- tion de la littérarité, c’est-à-dire sur ce qui est censé donner à un texte sa valeur esthétique. Sa prise de position a du moins le mérite de poser encore une fois une question essentielle mais considérée comme inactuelle : pour définir d’une façon satisfaisante soit le processus transformant un texte ori- ginal en sa traduction soit le fonctionnement spécifique du texte littéraire,

77. Ibid., p. 80. 78. Ibid., p. 292-293.

79. Ibid., p. 257.

80. Ibid., p. 265-266. Dans Langue et Techniques poétiques à l’époque romane (Paris, Klinck- sieck, 1963, p. 47), Paul Zumthor considère en revanche comme un postulat qu’« une poé- tique tient sa nature de la langue à laquelle elle s’applique » : la fonction poétique est donc pour lui «totalement conditionnée, dans son exercice, par les structures de la langue » (c’est Zumthor qui souligne). Comme le rappelle également G.L. Beccaria (« L’unità melodica nella prosa italiana », Archivio glottologico italiano, no44, 1959, p. 101-141), la continuité mélodique reliant des écrivains d’époques différentes est due à certaines caractéristiques du système phonologique italien, demeuré fondamentalement inchangé depuis ses origi- nes, et au modèle illustre de la littérature du xive siècle.

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il faut dépasser les apories de la linguistique. Cela signifie, chez Eco, remet- tre indirectement en question, au nom de sa sémiotique interprétative, la conception dualiste, rigide et réductrice du signe linguistique. D’après lui, dans un texte à valeur esthétique, l’expression et le contenu sont fortement entremêlés et la pertinence de la substance « extralinguistique » est incon- testable : le continuum expressif est en fait dans ce cas toujours ultérieure- ment segmenté81.

Il reste à savoir comment on peut situer cette segmentation hors de la langue si c’est le principe même du discontinu qui fonde la conception scien- tifique de la langue82. Depuis toujours la traduction littéraire semble arriver à se passer, tant bien que mal, de cette contradiction pratique-théorique inscrite dans la nature même de l’écriture.

Viviana Agostini-Ouafi Université de Caen Basse-Normandie

81. U. Eco, Dire quasi…, p. 296.

82. Cf. L.-J. Calvet, Essais de linguistique : la langue est-elle une invention des linguistes ?, Paris, Plon, 2004.

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