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Les étudiants à la fin du Moyen Age

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Chapitre 4

Les étudiants à la fin du Moyen Âge

Des écoliers des XIe et XIIe siècles nous ne savons pour ainsi dire rien. Des premières générations d’étudiants du XIIIe siècle, les sources ont à peine gardé la trace. Ainsi, rien ne permet de déterminer si les maîtres et étudiants parisiens venus à Angers en 1229 y ont introduit leurs travers, dénoncés – en paraphrasant saint Bernard de Clairvaux († 1153) – par le cardinal Jacques de Vitry († 1240) dans le sombre tableau qu’il dresse de l’Occident au début du XIIIe siècle1. Les écoliers : « Les uns s’instruisaient à seule fin de savoir, ce qui est pure curiosité ; d’autres afin de se faire connaître, ce qui est vanité ; d’autres pour en tirer profit, ce qui est cupidité et vice simoniaque […]. Non contents de s’affronter oralement en raison de positions divergentes, ou lors de disputationes, ils se querellaient, se jalousaient, se dénigraient entre eux en raison de la diversité de leurs nations, se lançant à la tête sans retenue un grand nombre d’injures et de propos outrageants. » Les maîtres : « Ils se portaient mutuellement envie, attirant à soi les élèves des autres au moyen de flatteries, cherchant leur propre gloire. » Les mœurs : « Dans une même maison, à l’étage supérieur, des maîtres donnaient leurs leçons, tandis qu’au rez-de-chaussée, les femmes publiques exerçaient leur trafic honteux. »

Au mieux, les étudiants apparaissent dans quelques actes de la pratique comme les mesures de police promulguées par le comte Charles Ier d’Anjou en 1279 par lesquelles il contraignait les boulangers à produire de « loyales denrées », les taverniers à vendre leur vin

« selon le commun prix du pays », et interdisait aux bouchers, volaillers et poissonniers de vendre « chair déloyale. » Dans un autre registre, le monde des études semble s’adonner régulièrement aux désordres. Un acte de l’évêque Nicolas Gellent (1261-† 1291) rappelle les homicides et agressions physiques commis dans la Cité d’Angers liés à la présence d’écoliers2. En 1305, après avoir perpétré des troubles non précisés, des étudiants allèrent se réfugier au couvent des dominicains dans la Cité, de crainte d’être emprisonnés ; les officiers de justice accompagnés d’hommes d’arme brisèrent les portes du couvent et frappèrent jusqu’au sang les étudiants tout en maltraitant les religieux dont le prieur porta plainte auprès du pape Clément V qui ordonna l’excommunication du prévôt et de ses sbires [Rangeard I, p.

188-189]. Des étudiants apparaissent encore comme locataires de maisons dans les censiers de certaines seigneuries urbaines ou dans les sources fiscales pour rappeler leur exemption de taille3. De même, à partir des années 1260, un nombre croissant d’individus sont mentionnés dans les sources parés du titre de maître (magister) qui témoigne d’un cursus d’étude. Mais tous restent de simples noms, sans davantage d’information sur leur identité. La situation change fort heureusement à la fin du Moyen Âge.

1. Effectifs et recrutement 1. 1. Le problème des sources

Pour appréhender le monde des étudiants, l’idéal est de disposer des matricules universitaires, c’est-à-dire des registres officiels d’inscription dans la corporation qui indiquent l’état-civil des individus. Pour l’ensemble de l’Occident médiéval, ne sont aujourd’hui conservées que dix-sept matricules, mais aucune pour la France, l’Italie et l’Espagne, où le réseau universitaire était le plus dense. Il existe toutefois une source de

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substitution, certes imparfaite : les suppliques adressées à la papauté. Il s’agit de demandes formulées par des ecclésiastiques en vue de solliciter des bénéfices (prébende, cure, chapellenie…), des dispenses ou d’autres grâces. Lorsqu’elles émanent des universités, elles se présentent sous forme de rouleaux (rotuli) de parchemin envoyés le plus souvent au début de chaque pontificat, l’avènement d’un nouveau pape coïncidant avec un temps fort du

« gouvernement par la grâce. » Ces rotuli ne reflètent toutefois pas la composition exacte d’une université car n’y figurent que les maîtres et étudiants aptes à jouir d’un bénéfice ecclésiastique, d’où l’exclusion des laïcs et clercs mariés – nombreux dans les facultés de droit civil –, des religieux mendiants ou des individus de naissance illégitime. Les suppliques livrent donc des effectifs inférieurs à la réalité, sans que l’historien puisse apprécier avec précision la distorsion. Elles sont néanmoins la seule source aujourd’hui disponible, avec pour Angers des listes plus ou moins conséquentes datées des années 1342 à 1403, conservées aux Archives du Vatican. Les plus importantes sont celles adressées à Clément VII en novembre 1378 (652 étudiants dont on connaît la situation) et à Benoît XIII en octobre 1403 (697 étudiants et 15 régents)4. On considère habituellement qu’Angers atteignait alors le millier d’étudiants pour une population urbaine qui devait être d’environ 10 à 12 000 habitants à la fin du XIVe siècle – soit un rapport sensiblement équivalent à ce que représente la population étudiante dans l’agglomération angevine au début du XXIe siècle. Cet effectif devait sans doute la placer au troisième rang dans le royaume en 1378, après Paris et Toulouse, et au deuxième en 1403, cette fois devant Toulouse.

L’analyse des suppliques de 1378 donne un instantané d’une partie des étudiants en droit [Duris]. Les bacheliers représentent la moitié des effectifs, mais il est vrai que la proportion réelle des simples écoliers débutants est minorée par le fait que nombre d’entre eux n’avaient sans doute pas l’âge requis pour prétendre à un bénéfice ecclésiastique. Tous niveaux confondus, le droit civil occupait une place prépondérante. L’université d’Angers se distingue donc nettement des centres d’étude méridionaux dans lesquels les canonistes dominaient très largement : ils formaient 74 % des effectifs à Toulouse et 64 % à Montpellier à la même date5. La concurrence de la faculté de droit canon de Paris – et peut-être de celle d’Orléans – est sans doute à l’origine de cette spécificité.

Tableau 4 : Discipline et niveau d’étude des étudiants en 1378

Droit civil Droit canon Utroque jure Non précisée Total

Licenciés 60 30 34 – 124 (19 %)

Bacheliers 209 93 10 – 312 (48 %)

Écoliers 134 77 – 5 216 (33 %)

Total 403 (62 %) 200 (30,5 %) 44 (7 %) 5 (0,5 %) 652 (100 %)

[Source : Duris, p. 97]

Il faut aussi relever la part très faible des étudiants avancés – et l’absence des simples écoliers – suivant l’un et l’autre droit. C’est un signe probable de l’ambition unique des étudiants canonistes de faire carrière dans le clergé : le prouve le fait que 67 % d’entre eux ont déjà été ordonnés prêtres. À l’inverse, 87 % des étudiants en droit romain sont simples clercs et se destinent à une carrière civile. Pour résumer, plus le statut de l’étudiant était bas dans la hiérarchie des ordres ecclésiastiques plus il s’adonnait au droit civil ; plus son statut était élevé, plus l’étudiant recevait une formation en droit canon.

1. 2. Un recrutement ouvert

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Les origines sociales se laissent difficilement cerner du fait du statut ecclésiastique de ces individus. Ceux qui sont explicitement désignés comme nobles sont rarissimes (11, soit 1,6 %) : leur fortune éventuelle les dispensait-elle de solliciter un bénéfice comme bourse d’étude ? Tenaient-ils à conserver leur état laïque en restant simple clerc tonsuré pour ensuite se diriger vers un beau mariage et une carrière civile plus ou moins réussie ? Ou cette faible représentation ne trahit-elle pas le peu d’intérêt de nombreux nobles pour les études dans la mesure où leur situation sociale était assurée par leur naissance et la force des réseaux de solidarité dans les cercles de pouvoir ? Toujours est-il que le gros des effectifs estudiantins de la fin du Moyen Âge se recrutait – à Angers comme ailleurs – dans la bourgeoisie d’affaires, dans le monde des offices et dans ce que l’on peut appeler avec plus ou moins d’anachronisme les classes moyennes, sans que les couches modestes de la société urbaine ou la paysannerie aisée soient restées étrangères aux études – notamment grâce à la fondation des collèges universitaires.

L’origine géographique se donne beaucoup mieux à lire car le diocèse d’ordination est toujours mentionné dans les suppliques – même s’il ne coïncide pas systématiquement avec le diocèse de naissance, il donne le lieu de résidence à un âge qui correspond à l’adolescence. En 1378 (fig. 1), les étudiants en droit provenaient de 36 diocèses différents, compris dans un grand quart Nord-Ouest du royaume de France, mais la part de chacun est très inégale : les cinq premiers diocèses (Angers, Rennes, Le Mans, Saint-Malo et Nantes) fournissent plus de la moitié des effectifs (55 %) et les dix suivants – en tête desquels Bayeux, Quimper, Avranches, Coutances et Tréguier – près du tiers (32 %) alors que les derniers ne participent qu’à hauteur de quelques unités. Le recrutement de l’université d’Angers était donc avant tout régional, comme celui des autres centres universitaires de l’époque, Paris, Avignon – en raison de la présence de la curie pontificale (fig. 2) – et Bologne mis à part.

Un quart de siècle plus tard, en 1403, sans être bouleversé – les cinq premiers diocèses sont les mêmes et dans le même ordre qu’en 1378 –, le recrutement géographique s’est quelque peu élargi [Verger, 1973] (fig. 3). Les étudiants sont désormais issus de 42 diocèses – ce qui explique vraisemblablement, nous allons le voir, la naissance d’une nouvelle nation au plus tard en 1398. Des diocèses disparaissent (Amiens, Arras, Liège, Viviers, Ratisbonne…), mais d’autres font leur apparition comme pourvoyeurs de quelques étudiants (Autun, Auxerre, Besançon, Cambrai, Genève, Reims, Toul…). Le recrutement reste régional, centré sur les mêmes diocèses de la province ecclésiastique de Tours – qui englobe la Bretagne où l’influence de l’université d’Angers était profonde [Ferronière] – et la Normandie. La proximité de Paris et d’Orléans – cette dernière draine notamment la plupart des étudiants de Touraine6 – continue à expliquer la dimension régionale de l’université d’Angers.

La création de nouvelles universités dans la France de l’Ouest au cours du XVe siècle – Poitiers en 1431, Caen en 1437 et Nantes en 1460 – a vraisemblablement eu des conséquences négatives pour le rayonnement géographique de l’université d’Angers, mais les sources ne permettent absolument pas d’en mesurer l’ampleur.

2. Les nations

2. 1. L’organisation des nations

Du fait de leur recrutement géographique très ouvert, les gens d’étude ont tôt pris l’habitude de se regrouper dans des associations d’entraide mutuelle entre maîtres et étudiants qui partageaient les mêmes origines régionales ou nationales. Si la faculté est l’université comme corporation, la nation est l’université en tant que confrérie. Interdites dans certains centres d’étude pour cause de troubles engendrés par ces groupements souvent rivaux, les

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nations existaient en nombre très variable ailleurs : 4 à Paris (uniquement à la faculté des arts), 16 à Bologne dès 1265 (la plus ancienne connue, celle d’Angleterre, remonte à 1174).

L’origine des nations à Angers n’est pas d’une grande clarté. Leur première occurrence se trouve dans les statuts de 1373 qui précisent « que de diverses nations et lointaines parties, plusieurs y viennent et affluent à grandes peynnes, labeurs et périls pour y acquérir mœurs et sciences », mais le texte ne précise pas leur nombre ; un serment au procureur de leur nation est imposé aux écoliers, et le fait que cette obligation ne soit pas présentée comme une nouveauté permet de supposer l’antériorité de ces nations (§ 56). Elles devaient vraisemblablement être au nombre de cinq car les nouveaux statuts de 1398 en indiquent six dont la nation de France « nouvellement instituée » : dans l’ordre de préséance, ils énumèrent les nations d’Anjou, de Bretagne, du Maine, de Normandie, d’Aquitaine et de France (§ 108). En tous les cas, l’affirmation de Pierre Rangeard [Rangeard I, p. 259] selon laquelle l’université comptait dix nations est fausse ; elle repose sur une mauvaise lecture de l’acte de Charles V de 1373 par lequel il octroyait à Angers les mêmes privilèges que ceux dont jouissait le studium d’Orléans dans lequel il y avait bien dix nations.

Les statuts universitaires délimitaient l’aire de recrutement de chacune des nations.

Celle d’Anjou rassemblait maîtres et étudiants natifs des diocèses d’Angers et de Tours. La nation de Bretagne recrutait dans le reste de la province ecclésiastique de Tours, le diocèse du Mans mis à part qui fournissait les effectifs de la nation du Maine. Les diocèses de la province de Rouen alimentaient la nation de Normandie, les provinces de Bourges, Bordeaux, Toulouse, Narbonne et Auch celle d’Aquitaine, et celles de Sens, Lyon et Reims la nation de France à laquelle étaient incorporés les quelques étudiants étrangers. Compte tenu du bassin de recrutement géographique de l’université d’Angers, l’effectif des différentes nations était évidemment très inégal.

Tableau 5 : Les effectifs des nations d’après les suppliques de 1403

Nation d’Anjou 140

Nation d’Aquitaine 61

Nation de Bretagne 292

Nation de France 30

Nation du Maine 94

Nation de Normandie 95

Total des effectifs 712

[Source : Matz, 2004, p. 29]

Ces nations, dont les membres élisaient chaque année un procureur et avaient droit d’assemblée, étaient des institutions importantes de la vie universitaire au Moyen Âge. Les procureurs tenaient en main les intérêts de leurs nationnaires et avaient connaissance des affaires civiles et même criminelles dans lesquelles ils étaient mêlés. D’après les statuts de 1398, dans les assemblées générales du studium, les procureurs des nations prenaient rang juste après le recteur et les docteurs-régents. Lors de la réforme des statuts de l’université ou pour la rédaction de ceux des facultés, les nations députaient certains de leurs membres. Ainsi, pour la grande réformation de 1494, chaque nation était représentée par deux de ses membres – et même trois pour la nation de France. De plus, dans le studium d’Angers, jusqu’au XVe

siècle, la nomination aux chaires de régents était associée aux nations et non aux facultés. Par la suite, elles n’eurent plus qu’un avis consultatif.

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2. 2. La vie des nations

Faute de sources, la vie interne des nations est assez mal connue au Moyen Âge, ce qui rend d’autant plus exceptionnelle la conservation du livre du procureur de la nation du Maine (fig. 4). Ce manuscrit contient en particulier les statuts de cette nation datés du 18 décembre 1419 [Fournier, 1890]. Ils envisagent tour à tour : les fêtes et solennités de la nation ; l’élection du procureur, auquel est adjoint un receveur ; le rôle de ces officiers dans la nation et dans le studium ; les formalités que doivent remplir les nouveaux étudiants qui veulent se faire incorporer ; les serments que tous doivent prêter ; enfin les sommes que chacun devait acquitter au receveur en diverses occasions. Une disposition spéciale (§ 43) évoque les rixes et les disputes entre les membres de l’association et conseille la manière de les apaiser.

Les principales traces que les nations ont laissées de leur existence au Moyen Âge concernent leurs activités religieuses. Chacune était placée sous l’invocation d’un saint patron dont le culte était en résonance avec l’histoire de la région concernée. La nation d’Anjou avait pour patron saint Lézin, évêque d’Angers du VIIe siècle, celle du Maine l’évêque du Mans saint Julien (IVe siècle), tandis que les Normands – comme aux universités de Paris et d’Orléans – avaient choisi de fêter la Conception de la Vierge Marie. Les Poitevins de la nation d’Aquitaine voulaient le saint évêque de Poitiers Hilaire (IVe siècle) alors que les Limousins cherchaient à imposer saint Martial (IIIe siècle) ; les statuts de 1398 tranchèrent en leur attribuant un saint neutre en la personne de Blaise (IVe siècle), évêque et martyr de Sébaste en Arménie dont le culte était alors en vogue. La nation de France a d’abord eu pour patron le saint archevêque de Bourges Philippe Berruyer († 1209, fêté le 10 janvier), avec un service religieux dans l’abbaye Toussaint d’Angers ; à partir du transfert de ce service dans la collégiale Saint-Martin en 1479 (fig. 5), elle adopta ce saint au jour de sa translation le 4 juillet. Le patron de l’imposante nation de Bretagne était saint Yves († 1303), prêtre du diocèse de Tréguier canonisé par le pape Clément VI en 1347 dont la cathédrale d’Angers avait reçu une relique [Matz, 2004]. Pour cette raison, les nationnaires bretons fondèrent dans cette église en 1396 le service religieux de la Saint-Yves ; il était convenu qu’un chanoine de la cathédrale dirait les vêpres la veille et le soir de la fête du saint (19 mai), la grand-messe du jour et une messe pour les âmes des défunts de la nation de Bretagne le lendemain, le tout pour une somme de 200 francs or à convertir en rentes, somme tout à fait considérable.

Les fêtes des nations rythmaient la vie de l’université. Pour chacune d’elle, le corps de l’université au grand complet assistait à la messe et aux vêpres et le soir, le recteur offrait un repas à l’ensemble de la corporation. En dépit du bel ordonnancement des actes de fondations établies par les nations dans différentes églises de la ville, ces services religieux ont plus d’une fois fait l’objet de contestations. Les unes sont relatives à l’insuffisante provision financière de ces fondations, comme pour la nation du Maine en 1448. D’autres, sans que les sources ne viennent toujours en éclairer les mobiles, découlent d’incidents peut-être liés à des antagonismes politiques ou à des rivalités entre universitaires. Il en va ainsi de la Saint-Yves de l’an 1437, où « en grant irrévérence de Dieu, dudit glorieulx saint et de l’Eglise, l’un des chanoines ou autre de ladite église frappa ung pouvre homme qui tenoit une torche […] et gecta à terre la torche en laquelle avoit ung écusson aux armes de Bretaigne. » L’affaire est sans doute anodine, mais le transfert de ces services religieux dans d’autres églises en dit assez long sur les conflits opposant nations universitaires et établissements ecclésiastiques, à l’instar de la nation d’Anjou qui finit par déplacer la célébration de la Saint-Lézin – fondée en 1420 dans la collégiale Saint-Jean-Baptiste – au couvent des franciscains en 15257.

Transaction entre la nation du Maine et le chapitre de l’église Saint-Jean-Baptiste d’Angers (1er février 1448)

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Le premier jour de février, l’an mil quatre cens quarante sept, sur le débat, plaid et procès mû et pendant par-devant le bailli de Touraine ou son lieutenant, à son siège de Chinon, entre les écoliers et suppôts de la nation du Maine en l’université d’Angers, demandeurs et complaignants en cas de saisine et nouveauté, d’une part ; et les doyen et chapitre de l’église collégiale de monseigneur saint Jean Baptiste d’Angers, défendeurs et opposants au dit cas, d’autre part. Pour raison de ce que lesdits écoliers disaient et maintenaient avoir droit et être en possession bonne et saisine à justes titres et moyens, que lesdits doyen et chapitre leur devaient et étaient tenus de dire ou faire dire chacun jour de dimanche de l’an une messe ; et aux vigile, jour et lendemain de monsieur saint Julien du Mans dire et faire dire les vêpres de la veille, le messe et vêpres du jour et le dit jour de lendemain une messe de requiem pour les trépassés de la nation, les solennels ornements et autres choses requises et nécessaires à faire le dit service plus à plein, spécifiées et déclarées ès lettres de complaintes obtenues par lesdits écoliers qu’ils ont fait ramener par-devant certain sergent royal pour la cessation que ont fait lesdits doyen et chapitre de dire et faire dire le service […].

Aujourd’hui, lesdites parties ont transigé, pacifié et accordé de et sur les questions et débats dessus dits en la forme et manière qui s’ensuit.

C’est assavoir que lesdits doyen et chapitre se sont délaissés, désistés et départis de leur opposition par eux donnée contre l’exécution de ladite complainte, et ont été d’accord et de consentement que lesdits écoliers et suppôts de la nation du Maine soient maintenus et gardés en leur possession et saisine par eux maintenue ès dites lettres de complainte en tant que métier est ou pourrait être. Ont promis et accordé, promettent et accordent maintenant et pour le temps à venir, pour eux et leurs successeurs en ladite église, faire et faire faire le service dessus dit avec les solennités requises à celui-ci, et le tout par la forme et manière que contenues ès lettres de la fondation dudit service […].

Et afin que lesdits [doyen et chapitre] soient plus enclins de le bien faire au temps à venir, lesdits écoliers de la dite nation leur donnent et promettent, et s’obligent payer et continuer par chacun an, pour eux et leurs successeurs en ladite nation, le lendemain de ladite fête et jour de monsieur saint Julien du Mans, la somme de quarante sous tournois […].

Ce fut donné et passé au chapitre de Saint-Jean, le jeudi après la Saint-Julien, le premier jour de février, l’an mil quatre cent quarante sept.

Source : BMA, ms. 1238 (1013), fol. 52 ; modernisé de l’ancien français.

3. Les collèges

3. 1. La diversité des lieux d’hébergement

Au vu des effectifs estudiantins de la fin du Moyen Âge, le logement de tous ces gens d’étude devait être une question cruciale dans la ville. Du fait de leur statut ecclésiastique, de nombreux étudiants avaient à leur disposition un hébergement afférent à leur état (fig. 6). Les chanoines du chapitre cathédral ou des collégiales de la ville jouissaient de l’usufruit d’une maison canoniale attachée à leur prébende. Les moines bénédictins des abbayes d’Angers (Saint-Aubin, Saint-Nicolas, Saint-Serge), agrégées à l’université, et les religieux des couvents mendiants (augustins, carmes, franciscains et dominicains, fig. 7) résidaient dans l’enclos de leur ordre qui avait vocation à héberger les frères venus étudier en ville ; ainsi, pour le couvent des augustins, un acte affirme « que en icellui afflue par chacun jour grant nombre de religieux pour estudier assidument en la saincte faculté de théologie », au point que « leurs logis anciens n’estoient suffisans pour ce faire8. »

Angers comptait aussi un certain nombre d’hôtels ou de prieurés, propriétés d’établissements religieux extérieurs à la ville ou au diocèse, servant de lieux d’hébergement aux moines qui en étaient issus : le collège de Ballée pour les bénédictins de Saint-Florent de Saumur dès le XIIIe siècle, l’hôtel Saint-Éloi pour ceux de l’abbaye tourangelle de

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Marmoutier, le prieuré de l’Évière pour les moines de la Trinité de Vendôme, les maisons de différentes abbayes cisterciennes (Pontron, La Boissière, Le Loroux et Chaloché en Anjou, Melleray en Bretagne, Bellebranche dans le Maine…) ou de chanoines réguliers (La Roë, Mélinais ou les Prémontrés du Perray-Neuf). Par leur emprise immobilière, tous ces collèges monastiques et studia mendiants faisaient partie intégrante du paysage urbain. À Paris, ils représentaient ainsi un tiers des soixante-dix collèges connus avant la fin du XVe siècle. À Angers, en revanche, ils formaient l’ossature très largement dominante des lieux collectifs d’hébergement.

3. 2. La rareté des collèges

En effet, la capitale du duché d’Anjou n’a que très peu connu le mouvement charitable de fondation de collèges universitaires par lequel de pieux bienfaiteurs – en général d’anciens étudiants – fournissaient un bâtiment et des rentes pour assurer à un nombre défini d’étudiants

« pauvres » le vivre et le couvert ainsi qu’une bourse hebdomadaire pour les dépenses courantes. Trois collèges seulement furent ainsi fondés à Angers au Moyen Âge [Uzureau, 1928 ; Chassagne, 1963]. Ce chiffre paraît dérisoire comparé aux 44 collèges institués à Paris, 13 à Cambridge, 12 à Toulouse ou 10 à Oxford ; de surcroît, les capacités d’accueil des collèges angevins restaient fort limitées, loin derrière les 36 boursiers du Collège de Sorbonne ou les 70 étudiants du Collège de Navarre à Paris, ce dernier chiffre se retrouvant au King’s College fondé en 1445 par Henri VI à Cambridge.

Le plus ancien collège angevin, celui de Fougères, date de 1361 – alors qu’ils remontent à la fin du XIIe siècle à Paris. Un prêtre, Guillaume Georges, ordonna alors par son testament que « quatre bourses seront érigées à perpétuité pour quatre écoliers […] capables d’étudier avec fruit le droit civil et le droit canon », auxquels il assigna des rentes annuelles en argent, en grains et en vin. Le nom de ce collège est lié au fait que les étudiants boursiers devaient être natifs de la ville ou la région de Fougères ou, à leur défaut, du diocèse de Rennes9. Les bâtiments et jardins furent aliénés au milieu du XVe siècle.

En 1408, un couple de laïcs fonda le Collège de la Fromagerie dans l’hôtel de ce nom, sis dans la Doutre, pour quatre étudiants en droit civil dont l’université devait choisir l’un d’eux pour principal. « Voulant et désirant ordonner et distribuer les biens qu’il a plu à Dieu leur donner, pour le salut et remède de leurs âmes », les fondateurs donnèrent au collège différents biens pour permettre également l’édification d’une chapelle, achevée dès 1411.

Selon une évolution commune à de nombreux collèges à la fin du Moyen Âge, par faute de bâtiments proprement universitaires, celui de la Fromagerie devint également un lieu d’enseignement dans la seconde moitié du siècle.

Fondation du collège de la Fromagerie (1er décembre 1408)

Maître Jean Le Verrier et noble demoiselle Alix Le Bart sa femme, autorisée par lui suffisamment sur ce fait, demeurant à Angers en la paroisse Notre-Dame, […] d’un commun assentement et d’une même volonté ont ordonné une bourse de quatre écoliers, lesquels seront étudiants en la faculté des lois de l’université de ladite ville d’Angers, et demeureront en leur hôtel appelé l’hôtel des Fromages ou de la Fromagerie en ladite paroisse Notre-Dame d’Angers. Et aura chacun de ces écoliers, pour l’aider à sa vie soutenir, trois sous par semaine. […] Et dès à présent lesdits Jean et Alix ont mis, institué et ordonné pour le nombre des écoliers dessus dits les personnes qui s’ensuivent : Raoulet Honnome [neveu du fondateur], Perrin, Perrinet et Étienne d’Étriché, frères […] ; et s’il y a aucun enfant habile dans la descendance des fondateurs qui voudraient être écoliers, qu’ils y soient premièrement reçus. […] Après le trépas dudit fondateur, les recteur et collège qui seront alors en fonction prendront inventaire de tous les biens laissés audit hôtel par les fondateurs,

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tant livres que autres biens meubles, et feront tenir cette ordonnance en la manière qui s’ensuit. C’est à savoir que nul des dits écoliers n’amènera, ne fera amener, ne souffrira audit hôtel aucune ribaude, et en cet hôtel il n’aura pas compagnie de femme charnellement ; et aussi, chacun qui sera reçu au collège donnera caution qu’il ne transportera hors dudit hôtel aucun des livres ou des autres biens.

Item, que chacun desdits écoliers paiera chaque année, tant qu’il demeurera audit hôtel, la somme de cinquante sous tournois pour aider à soutenir en état ledit hôtel et les livres et les ustensiles […].

Source : [Rangeard II, p. 273-277] ; modernisé de l’ancien français.

Le dernier collège angevin est dû à la libéralité de Grégoire Langlois, originaire du Maine, ancien étudiant d’Angers où il avait acquis le grade de licencié in utroque jure (vers 1362) avant de devenir évêque de Sées en Normandie (1379-† 1404). Par son testament, il fonda deux collèges : le Collège de Sées à Paris, pour huit écoliers (quatre du diocèse de Sées et les autres du diocèse du Mans), et le Collège de Bueil à Angers [Ubald, 1908 ; Riché], qui doit son nom à l’hôtel du sire de Bueil acheté par les exécuteurs testamentaires du prélat en 1410 – parmi lesquels figurait Jean Bélard, également natif du Maine, qui prit à la fin du XIVe

siècle le même grade que Langlois avant de devenir chanoine des cathédrales d’Angers et du Mans, conseiller des ducs d’Anjou et bientôt évêque de Fréjus (1423-† 1449) dans leur comté de Provence. Le collège devait recevoir un principal, un chapelain et six écoliers étudiant le droit, choisis par moitié dans les mêmes diocèses que pour sa fondation parisienne – personnel auquel les statuts de 1424 adjoignent un domestique attaché au service de la collectivité. Ces statuts, qui comptent cinquante-trois articles [Rangeard II, p. 307-329], précisent – dans un désordre déconcertant – tous les aspects relatifs au bon fonctionnement de la fondation : nombre, valeur et réglementation des bourses ; conditions d’entrée (être âgé d’au moins quinze ans, érudit en grammaire et de « bonnes mœurs ») ; durée et organisation des études (chaque boursier doit être reçu au grade de bachelier dans la cinquième année après son admission et au grade de licencié six ans plus tard, avec obligation d’assister à tous les cours ordinaires et extraordinaires et de posséder les livres compétents) ; questions de discipline (obligation de parler latin en public comme en privé, interdiction des jeux et du port d’armes, prescriptions vestimentaires…) ; soucis d’ordre religieux, et organisation de la vie matérielle. Le Collège de Bueil subsista jusqu’à la Révolution. Il n’en reste pas moins que pour les collèges universitaires, la ville d’Angers se signale par un véritable sous-équipement à la fin du Moyen Âge, situation qui n’a fait qu’empirer sous l’Ancien Régime.

4. Le devenir des étudiants

4. 1. Une nouveauté : la visibilité des études

Avec la naissance des universités sous une forme corporative, l’élaboration et la transmission de savoirs scientifiques sont devenues une activité professionnelle clairement individualisée. Pour les étudiants qui achevaient leur cursus, l’apprentissage était sanctionné par l’obtention d’un grade universitaire qui garantissait l’acquisition d’un savoir avant tout technique. En effet, la culture savante de la fin du Moyen Âge ne cachait pas sa finalité pratique et sa volonté d’utilité. Jean Gerson († 1429), célèbre théologien et chancelier de l’université de Paris, ne disait-il pas : « Que vouldroit science sans operacion ? On ne aprent pas seulement pour scavoir, mais pour monstrer et ouvrer10. » De fait, l’aspect utilitariste de cette culture universitaire et son souci d’efficacité sociale ont non seulement eu des conséquences dans l’enseignement avec la faveur accordée aux procédures techniques au détriment de la curiosité intellectuelle, mais ils ont aussi préparé l’insertion sociale et

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professionnelle des étudiants parvenus au terme d’études plus ou moins longues puisque leur principale ambition était de s’agréger aux élites du temps. En un mot, l’université de la fin du Moyen Âge était – sans le dire – déjà professionnalisante !

Dans la société médiévale, aucune fonction n’a jamais été réservée aux titulaires d’un grade universitaire et nombre de belles carrières s’expliquent alors – comme de tout temps…

– par la naissance, le népotisme ou le clientélisme, non par le savoir. Cependant, les sources de la fin du Moyen Âge viennent prouver la force croissante d’un grade comme ressort d’une intégration professionnelle et d’une ascension sociale, tant dans le monde ecclésiastique que dans les milieux laïques. L’aire géographique du recrutement des étudiants ne permet pas de les suivre tous après leurs études – d’autant que rien ne dit qu’ils sont retournés dans leurs régions d’origine pour exercer telle ou telle activité. En revanche, cette enquête est possible pour l’Anjou – grâce, en particulier, aux mémoires de recherche d’étudiants de l’université d’Angers depuis les années 1990. Suivons donc les gradués après leurs études, d’abord les ecclésiastiques, les laïcs ensuite, pour appréhender leur devenir dans la société.

4. 2. Les carrières ecclésiastiques

Les églises d’Angers regorgent de gradués d’université – sans que l’on sache toujours si ce grade a été pris dans les écoles de la ville. Dans le chapitre cathédral d’Angers, 442 chanoines sont connus entre 1350 et 1510, qui sont partie intégrante des élites urbaines de la fin du Moyen Âge [Matz, 2002 ; Matz, Comte, 2003]. Hors des titulaires d’une simple maîtrise en arts libéraux, grade requis pour l’entrée dans un chapitre de cathédrale depuis une constitution du pape Clément VII datée de 1378, près de 200 ont décroché un grade supérieur : très rares sont les théologiens, attestés essentiellement après la fondation de la faculté d’Angers en 1432, tous les autres étant juristes de formation. Le primat des études juridiques se retrouve également dans les autres milieux canoniaux : à la collégiale Saint- Laud, sur les 44 chanoines identifiés au temps du roi René entre 1434 et 1480, 13 sont pourvus d’un grade supérieur, toujours en droit ; à la collégiale Saint-Pierre, sur près de 140 chanoines connus entre la fin du XIVe siècle et le tout début du XVIe siècle, 42 ont un grade supérieur, là aussi en droit. Il faut également noter que le cumul des bénéfices ecclésiastiques – les uns obtenus comme bourse d’études, les autres après avoir quitté les écoles – se développe à un niveau beaucoup plus élevé chez ces gens d’Église munis de grades universitaires que chez les autres chanoines. Quant à la liste des anciens étudiants devenus évêques – voire cardinaux – après avoir été chanoines, elle est trop longue pour trouver place ici. Les études universitaires sont donc devenues un excellent moyen de faire carrière dans l’Église.

Tableau 6 : Les grades des chanoines de la cathédrale d’Angers (1350-1510) 1350-1390 1391-1430 1431-1470 1471-1510 Total

Théologie Bachelier 3 3

Licencié

Docteur 1 3 4 8

Droit canon

Bachelier 4 3 2 9

Licencié 3 2 3 1 9

Docteur 3 3 1 1 8

Droit civil Bachelier 6 3 1 1 11

Licencié 5 11 15 11 42

Docteur 6 23 6 5 40

Utroque Bachelier 2 2

(10)

Jure Licencié 14 10 10 2 36

Docteur 14 10 3 4 31

Total des gradués 58 65 47 29 199

Effectif des chanoines 145 111 105 81 442

% de gradués 40 % 58,55 % 44,76 % 35,80 % 45,02 %

[Source : Matz, 2002, p. 24]

À la différence de la plupart des moines, ces hommes d’Église ne restent pas confinés dans leur établissement à célébrer le service divin. Très nombreux sont ceux qui font un bout de carrière dans le siècle, au service d’institutions ou d’hommes divers. Pour ces hommes de savoir, l’enseignement paraît le plus évident de leur domaine de compétence : sur les 200 chanoines de la cathédrale déjà évoqués comme titulaires d’un grade supérieur, 54 ont exercé la fonction de régent, principalement à Angers même et surtout en début de période (43 entre 1350 et 1430). Pour la plupart, il semble que l’enseignement restait toutefois une activité limitée dans le temps, d’autant qu’il n’était pas exclusif d’autres fonctions exercées successivement ou simultanément, à commencer par le service de l’État. Le clerc à la fois serviteur de l’Église et de l’État est en effet une figure familière de la fin du Moyen Âge [Matz, 1999]. En raison de leur origine géographique, certains chanoines étaient attachés aux ducs de Bretagne : Gui de Cleder († 1398), docteur in utroque en 1356, régent entre 1363 et 1393, est attesté comme ambassadeur, ou Raoul de Caradeuc († v. 1414), noble du diocèse de Quimper, également docteur in utroque et régent, était conseiller du duc Jean IV. Le service des ducs d’Anjou (32 cas avérés) et des rois de France (39 cas) l’emporte toutefois très largement. Certains officiaient au plus haut niveau de l’État angevin après leurs études : Alain Lequeu († 1450), simple bachelier en droit canon, ambassadeur de la duchesse Yolande d’Aragon au congrès d’Arras de 1435 qui mit un terme à la guerre civile, fut nommé président de la Chambre des comptes d’Anjou par le roi René en 1442 « par considération des longs travaux, peines, diligences et services » par lui rendus ; Jean Bernard († 1466), docteur in utroque en 1424, régent dix ans plus tard, fut chancelier de ce même René entre 1441 et 1450 en même temps qu’archevêque de Tours. Au service des rois de France, ce sont principalement des offices judiciaires qui étaient tenus par ces ecclésiastiques formés aux droits et le Parlement de Paris était leur lieu d’exercice le plus habituel.

Certains individus offrent comme un condensé de toutes les opportunités qu’ouvrait une bonne naissance assortie d’un grade universitaire. Il en va ainsi de Guillaume Fournier (v. 1417-† 1490), fils de Jean, qui fut juge ordinaire d’Anjou et du Maine, chancelier du roi René puis président de la Chambre des comptes du roi Charles VII. Licencié en droit civil de l’université d’Angers au plus tard en 1447, Guillaume y a régenté les lois certaines années et a siégé à diverses reprises au Parlement entre 1455 et 1480 ; sa collection de bénéfices est bien fournie : chanoine des cathédrales d’Angers, du Mans et de Tours ainsi que de la collégiale Saint-Pierre d’Angers. D’après le Journal de Guillaume Oudin déjà mentionné, à ses funérailles « y estoient messieurs le recteur, docteurs, bedeaux et sieurs de ladite université avec grande magnificence et honneur. »

4. 3. Les carrières civiles

Les sources qui permettent de suivre les carrières civiles des laïcs anciennement étudiants sont moins abondantes que les archives ecclésiastiques. Elles n’en permettent pas moins de retrouver les laïcs gradués dans les mêmes domaines d’activité que les gens d’Église, y compris dans l’enseignement universitaire qui leur était désormais ouvert à Angers. Jean Binel († 1491), fils d’un juge de la sénéchaussée d’Angers auquel il succéda à sa

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mort, avait décroché sa licence de droit civil au plus tard en 1451. Conseiller du roi René, il fut intronisé en grande pompe comme régent de l’université le 18 novembre 1465 avant de devenir maire d’Angers en 1486 (fig. 8). Il est possible qu’avant lui un autre licencié, Claude Liger – lieutenant du sénéchal d’Anjou, qui avait mis au net le texte des coutumes d’Anjou en 1437 – ait régenté les lois dans l’université qui l’avait formé, mais la tradition n’est pas assurée. Quoi qu’il en soit, le premier régent laïque connu semble avoir été Thibault Le Roi, entre 1415 et 1417, ensuite avocat du roi à la sénéchaussée en 1428, qui enseignait dans une maison située chaussée Saint-Pierre [Lens, 1876]. L’administration ducale permettait aux gradués laïques de côtoyer leurs anciens condisciples ecclésiastiques dans le service du prince. Le juge ordinaire d’Anjou, institué au milieu du XIVe siècle, nommé par le duc, le représentait dans l’ensemble de ses prérogatives judiciaires – ce qui requiert une formation juridique de haut niveau. Jean Breslay († 1473), licencié en lois, avocat à Angers en 1440, devint juge ordinaire en 1457 et se vit confier par René, l’année suivante, la réformation des coutumes d’Anjou promulguée en 1463. La multiplicité des instances judiciaires dans la société de la fin du Moyen Âge a alimenté un véritable marché des offices de justice, à commencer par les innombrables justices seigneuriales. Une thèse récente a permis d’identifier près de 500 présidents d’audiences qui ont rendu la justice au nom de tel ou tel seigneur de l’Anjou et du Maine entre le milieu du XIVe et le début du XVIe siècle11. La mention explicite d’un grade ne concerne que quatre individus sur dix : tous étaient gradués en droit civil ; les licenciés représentaient les trois quarts de l’effectif, les autres étant simples bacheliers ou quelques-uns docteurs. Leur durée d’activité excédait rarement quelques années, car toutes sortes d’opportunités plus lucratives ou honorifiques s’offraient aux juristes. À partir de sa création par le roi Louis XI en 1475, la mairie d’Angers et son collège d’échevins sont devenus une sorte de chasse gardée des gradués d’université – Jean Binel en est un exemple [Matz, 2006].

Pour finir, il faut avouer que le devenir des écoliers ayant interrompu leur cursus à la sortie de la faculté des arts libéraux – voire plus tôt, sans y prendre de grade – nous échappe totalement. Quant aux étudiants qui ont fréquenté la faculté de médecine à partir de sa création, ils restent désespérément absents des sources médiévales. Tout au plus peut-on supposer qu’ils intégraient ça et là une corporation de médecins pour exercer un art dont la particularité était de ne pas toucher au corps, à la différence des chirurgiens formés sur le tas.

Illustrations :

- Fig. 1 et 3 : Origine géographique et effectifs des étudiants de l’université d’Angers en 1378 et en 1403 (cartographie Sigrid Giffon, UMR ESO-CARTA, Angers).

- Fig. 2 : Aire de recrutement des universités françaises au Moyen Âge (cartographie Sigrid Giffon, UMR ESO-CARTA, Angers).

- Fig. 4 : Livre de la nation du Maine (BMA, ms. 1238 (1013), fol. 91v) ; voir [Fournier, 1890]. © Ville d’Angers.

- Fig. 5 : Chœur de la collégiale Saint-Martin d’Angers, siège des services religieux de la nation du Maine. Cliché B. Rousseau (Conseil général de Maine-et-Loire).

- Fig. 6 : Lieux d’hébergement des étudiants à Angers à la fin du Moyen Âge (réalisation François Comte, Service archéologique de la ville d’Angers, cartographie Sigrid Giffon, UMR ESO-CARTA, Angers).

- Fig. 7 : Couvent des dominicains d’Angers, incorporé à l’université en 1405 (BMA, ms. 991 (867), dessin à la plume et lavis de Jean Ballain, 1716). © Ville d’Angers.

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- Fig. 8 : Manuscrit ayant appartenu à Jean Binel, qui contient les Institutes, la Somme d’Accurse sur les Libri feudorum et le commentaire de Bartole de Sassoferrato sur une constitution de l’empereur Henri VII, XVe siècle (BMA, ms. 334 (325), fol. 43v). © Ville d’Angers.

(13)

1 - Jacques de Vitry, Histoire occidentale, introduction et édition par G. Duchet-Suchaux et J. Longère, Paris, 1997, p.

84-87 (chap. 7).

2 - BMA, ms. 723 (653), p. 268.

3 - ADML, 1 H supp., B 28 (liste des personnes exemptées par le comte, vers 1270).

4 - Archivio Segreto Vaticano, Reg. Supp. 50 (fol. 61-117v) et Reg. Supp. 98 (fol. 152-207v).

5 - GOURON A., « Le recrutement des juristes dans les universités méridionales à la fin du XIVe siècle : pays de canonistes, pays de civilistes ? », dans PAQUET J., LISEWIJN J. (éd.), Les universités à la fin du Moyen Âge (Actes du colloque de Louvain, 1975), Louvain, 1978, p. 524-548.

6 - JULIENDE POMMEROL M.-H., « La nation de Touraine de l’ancienne université d’Orléans », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, t. 87, 1980, p. 463-479.

7 - ADML, G 646, fol. 94v.

8 - ADML, H 3, fol. 63-65 (accord avec l’abbaye Saint-Aubin pour l’acquisition d’une maison).

9 - ADML, G 656, testament du 26 juillet 1361.

10 - Cité par VERGER J., Les gens de savoir en Europe à la fin du Moyen Âge, Paris, 1997, p. 39.

11 - MATHIEU I., Les justices seigneuriales en Anjou et dans le Maine à la fin du Moyen Âge. Institutions, acteurs, pratiques, Thèse de doctorat, université d’Angers, 2009, publiée en version remaniée, Rennes, 2011.

Références

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