• Aucun résultat trouvé

Les droits participatifs à l’épreuve du genre : analyse de discours d’enfants au bénéfice de mesures de protection

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les droits participatifs à l’épreuve du genre : analyse de discours d’enfants au bénéfice de mesures de protection"

Copied!
80
0
0

Texte intégral

(1)

Sous la direction du Professeur Daniel Stoecklin

Les droits participatifs à l’épreuve du genre

Analyse de discours d’enfants au bénéfice de mesures de protection

Présenté au

Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève en vue de l’obtention de la

Maîtrise universitaire interdisciplinaire en droits de l’enfant Par

Gentiane MOSER BAJRAMI

de

Martigny, Valais

Mémoire No

CIDE 2020/MIDE 18-20/14

Jury :

Prof. Daniel Stoecklin Mme Ludivine Richner

SION (Juillet, 2020)

(2)

Déclaration d’honneur attestant le caractère original du travail

effectué

Je déclare que je suis bien l’auteure de ce texte et atteste que toute affirmation qu’il contient et qui n’est pas le fruit de ma réflexion personnelle est attribuée à sa source et que tout passage recopié d’une autre source est en outre placé entre guillemets.

Nom et prénom : Moser Bajrami Gentiane

Lieu /date / signature : Martigny, le 8 juillet 2020

(3)

Résumé

Les droits participatifs (art. 12-17 et 31) contenus dans la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE) (1989/2016) constituent le caractère novateur de cet instrument juridiquement contraignant. La CDE (1989/2016) stipule que l’enfant en tant que membre actif de la société a le droit de participer sans subir de discrimination (art. 2 CDE). Cela signifie que les enfants au bénéfice de mesures de protection, au même titre que tous les autres enfants, se voient octroyer des droits participatifs. Toutefois, les enfants placé‧e‧s ne constituent pas un groupe social homogène. Elles et ils sont des filles et des garçons soumis‧es au système de genre au même titre que les professionnel‧le‧s qui les accueillent. Cette recherche a donc pour objectif d’analyser les droits participatifs des enfants placé‧e‧s avec une perspective de genre.

Pour ce faire, nous avons donné la parole aux principales et principaux intéressé‧e‧s, à savoir les filles et les garçons placé‧e‧s dans une institution socio-éducative valaisanne. Les données empiriques ont été recueillies à travers une méthodologie propice à la réflexivité. Des entretiens semi-directifs couplés à l’utilisation de l’outil « le kaléidoscope de l’expérience » qui modélise le système de l’acteur ont permis aux enfants de s’exprimer en profondeur sur le sujet des droits participatifs dans le contexte spécifique des institutions socio-éducatives.

Notre recherche démontre que les droits participatifs se concrétisent à différents niveaux pour les enfants placé‧e‧s. Nos résultats mettent en évidence l’importance de la confiance pour faciliter la participation et le rôle non négligeable du genre dans la production des inégalités de participation au sein des institutions socio-éducatives. De ce fait, une prise de conscience des rapports sociaux, notamment des rapports sociaux de sexe, sonne comme une nécessité pour les professionnel‧le‧s du travail social.

Mots-clés

Participation, droits de l’enfant, genre, placement, capabilité, institutions, proximité, discours d’enfants

(4)

Remerciements

Par ces quelques mots, je souhaite exprimer ma gratitude envers toutes les personnes qui m’ont apporté leur aide dans la réalisation de ce travail de master. Je remercie spécialement :

Mon directeur de mémoire, le Professeur Daniel Stoecklin, pour sa disponibilité, son soutien et ses conseils avisés.

Les dix enfants ayant participé à cette recherche pour leur confiance, leur authenticité et leur engagement.

Toutes les personnes-ressources ayant contribué à la réalisation de cette recherche. Par ordre alphabétique : Anne Kybourg, Clothilde Palazzo, Dominique Golay, Mélodie Pithon, Patrick Cardinaux et Serge Moulin. Je vous remercie sincèrement de m’avoir accompagnée dans mes réflexions. Je vous suis reconnaissante pour vos conseils, vos encouragements et pour vos relectures attentives.

Mon mari, ma famille et mes ami‧e‧s pour leurs encouragements et pour leur soutien infaillible tout au long de mes études.

Remarque

Le langage épicène (Moreau, 2007) est utilisé dans le cadre de cette recherche afin d’éviter toute forme de discrimination. Le langage inclusif a pour objectif de favoriser l’égalité des sexes.

(5)

Table des matières

Introduction ... 1

1. Problématique ... 2

1.1 L’enfant acteur social ... 3

1.2 La participation des enfants ... 7

1.2.1 Les droits participatifs ... 8

1.2.2 Les typologies de participation ...10

1.2.3 L’approche par les capabilités ...11

1.2.4 La tension entre protection et participation ...13

1.2.4.1 Débat entre protection et participation à l’ère du numérique ...14

1.3 Le placement d’un‧e enfant dans une institution...15

1.3.1 Les caractéristiques des enfants placé‧e‧s : entre représentations et réalités actuelles ...17

1.3.2 Le placement et la parole de l’enfant ...18

1.4 La participation des enfants à l’épreuve du genre ...19

1.4.1 Le genre ...20

1.4.2 Les conséquences de la socialisation différenciée ...23

1.4.3 La participation aux activités physiques et sportives ...24

1.4.4 Le rôle des professionnel‧le‧s ...25

1.4.5 La théorie intersectionnelle ...26

1.5 Hypothèse et question de recherche ...27

2. Méthodologie et enjeux éthiques de la recherche avec les enfants ...29

2.1 Contexte et population ...29

2.2 Méthodes de recueil de données ...30

2.3 Enjeux éthiques de la recherche avec les enfants...32

3. Résultats et analyses ...34

(6)

3.2 Entre proximité et distance relationnelle : les facteurs déterminants ...36

3.2.1 La confiance et l’écoute ...36

3.2.2 Un large éventail de ressources ...37

3.2.3 La méconnaissance et l’incompréhension comme perturbateurs ...39

3.2.4 Une certaine partialité des équipes éducatives ...39

3.3 Une remise en cause des outils traditionnels ...40

3.4 Une participation variable dans la mise en place des objectifs ...41

3.5 Des stratégies féminines et masculines pour conquérir le droit d’être entendu‧e ...43

3.6 « L’égalité ? Il ne faut pas rêver ! » ...48

3.7 Une participation dans des activités marquées du sceau du genre ...51

3.8 Participation différenciée à l’ère du numérique ...54

3.9 Des enfants qui ont des idées à faire valoir ...57

Conclusion ...59

Limites et richesses de la recherche ...60

Pistes pour les professionnel‧le‧s ...61

Références bibliographiques ...63

(7)

Introduction

La Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CDE) de 1989 a permis d’étendre les droits humains aux enfants et de les concevoir désormais comme des sujets de droits. Par leur ratification, les États parties reconnaissent l’enfant comme un acteur1 compétent qui a le droit à la protection, à des prestations et à la participation. Cet instrument juridiquement contraignant, ratifié par la Suisse en 1997, stipule que les enfants doivent être protégé‧e‧s contre les abus, les discriminations, les négligences et l’exploitation (Gabriel, 2017). Elles et ils doivent avoir accès aux biens et aux services fournis par l’État et doivent pouvoir participer activement à la vie familiale et à la vie publique, ce qui inclut la participation sociale et politique. Pour rendre cette participation effective, les États parties sont non seulement tenus de mettre en œuvre des dispositifs favorisant l’expression de l’opinion des enfants, mais aussi de leur permettre d’être entendu‧e‧s. En outre, les enfants doivent être considéré‧e‧s comme des partenaires et des interlocuteur‧trice‧s valables (Golay et Udressy, 2020), capables d’agir progressivement de manière autonome (Stoecklin, 2013 ; Rayana, 2015) et doivent également être respecté‧e‧s comme des membres actifs et actives de leur famille, de leur communauté et de la société qu’elles et ils composent (Gabriel, 2017).

Cette vision de l’enfant compétent‧e ainsi que la pédagogie citoyenne y relative sont promues par les institutions socio-éducatives valaisannes ; toutefois il subsiste des tensions entre encourager la participation et assurer la protection des enfants en situation de vulnérabilité. En effet, la participation aux prises de décision (art. 12 CDE) qui concernent les enfants placé‧e‧s et l’évaluation de leur intérêt supérieur (art. 3 CDE) semblent parfois s’opposer (Hitz Quenon et Matthey, 2017).

Dans cette recherche, il s’agit de concevoir l’enfant comme un être à la fois vulnérable et capable (Stoecklin, 2015). L’approche par les capabilités, appliquée à l’enfance, permet d’analyser la capacité d’agir ou la puissance d’agir (agency) des enfants dans le contexte spécifique des institutions socio-éducatives valaisannes. L’agency des enfants placé‧e‧s peut être analysée en y intégrant un modèle social des rapports entre les individus, c’est-à-dire en tenant compte de la spécificité des

1 Nous faisons référence ici au concept de « l’enfant acteur social ». Le langage épicène ne sera donc pas utilisé dans

(8)

différentes vies des enfants et de ce qui est partagé entre elles‧eux (Valentine, 2011). Ce modèle nous amène à nous questionner sur les différences entre les enfants placé‧e‧s. L’accès aux droits participatifs est-il le même pour toutes et tous ? Comment ces droits s’actualisent-ils concrètement pour les filles et les garçons au bénéfice de mesures de protection ? Les valeurs de démocratie et de participation prônées par les institutions socio-éducatives valaisannes tiennent-elles suffisamment compte des inégalités de genre et des rapports de pouvoir inhérents au collectif (Golay, Malatesta, 2010) ? Ces interrogations sont nées de notre pratique professionnelle, dans le cadre de notre travail au sein d’une institution socio-éducative valaisanne. C’est pourquoi nous souhaitons approfondir et compléter notre réflexion par une recherche scientifique.

Pour ce faire, ce travail de mémoire est constitué d’un cadre théorique comprenant les concepts suivants : l’enfant acteur social, la participation, le placement d’un‧e enfant dans une institution socio-éducative ainsi que la participation à l’épreuve du genre, et d’une partie empirique qui rend compte des perceptions et des expériences subjectives des enfants placé‧e‧s dans une institution socio-éducative valaisanne en respectant les considérations éthiques et méthodologiques de la recherche avec des enfants (Morrow, 2008 ; Stoecklin et Lutz, 2017).

1. Problématique

Afin de répondre à la complexité des phénomènes humains qui sont en jeu, cette recherche s'inscrit dans une perspective interdisciplinaire (Rayna, 2015). Le cadre théorique ci-après abordera les disciplines suivantes : les Childhood studies, le travail social, les droits de l’enfant et les gender studies. En effet, « le choix de l’interdisciplinarité sonne comme une réponse à la complexité des problèmes sociaux, environnementaux, sanitaires… par nature irréductibles à un seul regard disciplinaire, lequel serait potentiellement aveuglé par une vision trop centripète » (Darbellay, Sedooka et Paulsen, 2016, p. 68).

Quelques précisions…

Dans le présent travail, le terme d’« enfant » fait référence à l’article premier de la CDE (1989/2016). Par enfant, nous entendons « tout être humain âgé de moins de dix-huit

(9)

Quant à la notion d’enfant placé‧e, elle fait référence à un‧e enfant qui vit durablement dans une institution socio-éducative (Zatti, 2005).

1.1 L’enfant acteur social

Le statut de l’enfant a considérablement évolué avec l’adoption de la CDE (1989/2016). En effet, cet instrument juridiquement contraignant a permis de considérer les enfants comme des acteurs sociaux et des sujets de droits, capables d’agir de manière réflexive sur leur environnement en fonction de leur âge (Stoecklin, 2013). Notons ici la distinction entre « sujet de droits » et « acteur social » (Stoecklin et Bonvin, 2014). L’enfant, sujet de droits, est titulaire de droits lui incombant. Alors que l’enfant, acteur social, agit de manière réflexive et pragmatique selon ses expériences. Elle‧il élabore activement ses rôles et oriente sciemment ses pensées et ses conduites en fonction des situations et des interactions avec autrui (Stoecklin et Bonvin, 2014). C’est précisément de ces interactions avec autrui qu’émerge le « Soi » selon G.H. Mead. « Le Soi se scinde en un Je et un Moi. Le Moi c’est la part conformiste, conventionnelle du Soi, celle qui est identifiée à la communauté, le Je c’est ce qui, dans le Soi, réagit à la communauté, oblige celle-ci à prendre une attitude nouvelle envers l’un de ses membres et permet ainsi au processus social de se développer » (Mead, cité dans, Barrier, 1963, p. 462). Pour Stoecklin (2018c), l’acteur social est celui qui apprend progressivement à intégrer ces différents « Soi ».

Ces considérations nous mènent au paradigme interactionniste qui stipule que la réalité est une construction symbolique et qui place la personnalité sociale au cœur de l’ordre social. Les notions d’interactions, de réflexivité et de capabilité relèvent également de ce paradigme. Transposé au domaine de l’enfance, cela signifie que l’enfant n’est pas une cible passive (Hanson, 2016) qui subit simplement la culture ou la structure sociale, mais un acteur qui a la capacité d’agir de manière réflexive et socialement compétente. Cette vision est partagée par Morrow (2008) qui propose de voir les enfants « as active social agents who shape the structures and processes around them » (p. 50).

Cette vision de l’enfant compétent‧e constitue un nouveau paradigme (James, Jenk et Prout, 2002) et soulève la question de l’agency des enfants. Dans le présent travail, nous éviterons de traduire la notion anglaise d’agency bien que certain‧e‧s auteur‧e‧s tels que Guilhaumou (2012) ou Lang (2011) parlent d’agentivité. Nibell,

(10)

Shook et Finn (2009) définissent l’agency comme « la capacité d’un individu ou d’un groupe à prendre des décisions, à agir et à interagir avec d’autres personnes d’une manière socialement compétente » (p. 264). Pour Garnier (2015), l’agency « s’oppose à la vision d’un être passif, incompétent, vulnérable, dépendant, incomplet » (p. 161). L’auteure affirme que l’agency des enfants leur permet de jouer un rôle social et politique. Les enfants peuvent donc participer activement dans les domaines publics et privés.

La notion d’agency comporte de nombreuses dimensions (Guillaumou, 2012 ; Valentine, 2011 ; Garnier, 2015). Garnier (2015) propose quatre déclinaisons du concept d’agency. La première, relative à une théorie de l’agent de l’action, renvoie à la capacité individuelle d’agir de manière autonome. L’agency serait alors une qualité que les enfants possèdent et qu’elles‧ils exercent ou non en fonction des situations et des contextes. La seconde introduit la notion de participation « au sens de prendre part, d’être partie prenante et d’influencer ou de transformer son environnement, matériel et humain » (Garnier, 2015, p. 163). La troisième déclinaison correspond à la notion non seulement individuelle de l’agency mais également collective. Enfin, la quatrième met en évidence les contraintes et les limitations de l’agency. Cook (2004, cité dans, Garnier, 2015) affirme que le concept d’agency a une double signification : « agir au nom de l’autre « être utilisé comme agent pour » et exercer une certaine dose de volonté (être agent de) » (p. 163). Or, « agir au nom de l’autre » génère des tensions et des incertitudes sur les compétences des enfants. De plus, parler au nom des jeunes introduit la notion de rapports de force et de pouvoir.

Il semble difficile d’aborder la question de l’agency des enfants sans mentionner la tension qui existe entre l’agency et la structure sociale. La notion d’agency joue un rôle essentiel dans les Childhood studies et « son couplage avec celle de structure n’ont cessé d’être travaillés par différentes théories du social depuis le XIXe siècle » (Garnier, 2015, p. 160). Retenons ici la vision de Giddens (1987, cité dans, Stoecklin, 2018a) et sa théorie de la structuration. L’auteur envisage cette tension comme un processus, une dualité plutôt qu’un dualisme. La structure sociale ne peut pas uniquement être considérée comme une contrainte extérieure. L’acteur social participe également à la structuration du système social. En d’autres termes, la structure sociale est à la fois contraignante et habilitante. Stoecklin (2018a) relève que les individus font la société, mais sont également contraint‧e‧s par celle-ci. Cette

(11)

vision permet de dépasser l’opposition stérile de ces deux concepts. Enfin, pour Garnier (2018), l’agency dépend de l’intériorisation par les individus des contraintes présentes dans les structures sociales.

Les Childhood studies attestent que les enfants démontrent leur agency par la compétence et la stratégie (Valentine, 2011). Or, pour l’auteure, la notion d’agency est plus complexe et ambivalente que communément décrite dans les Childhood studies. En effet, elle propose d’analyser ce concept multidimensionnel en y intégrant un modèle social des rapports entre les individus, c’est-à-dire en tenant compte de la spécificité des différentes vies des enfants, de ce qui est partagé entre elles et eux et enfin de ce qui est universel pour les enfants et les adultes. « Such a conceptualisation of agency includes non-cognitive and embodied dimensions such as emotion, class, race, disability, language and the physical environment; as well as the rationality and reflexivity promoted by Giddens » (Valentine, 2011, p. 348). Ce modèle nous amène à nous questionner sur les différences éventuelles entre les enfants placé‧e‧s. L’accès aux droits participatifs est-il le même pour toutes et tous ? Le genre joue-t-il un rôle sur l’agency des enfants ?

À présent que nous avons abordé ces quelques conceptions théoriques, intéressons-nous aux procédures et aux outils pratiques favorisant la participation des enfants. Afin de pouvoir analyser comment un acteur social équilibre son système d’action, nous pouvons nous baser sur la théorie du « système de l’acteur » développée par Stoecklin (2009). L’auteur a élaboré ce modèle suite aux différents travaux qu’il a menés auprès d’enfants en situation de vie difficile, notamment auprès d’enfants en situation de rue. Le système de l’acteur (Stoecklin, 2009, p. 65)

Le système de l’acteur a pour dessein de permettre la visualisation du fonctionnement de l’acteur social et de mettre en lumière les stratégies que développent les enfants

(12)

ainsi que les ressources qu’elles‧ils mobilisent pour faire face aux situations. Cette théorie affirme que « tout individu développe un système d’action spécifique en tant qu’une variante parmi de multiples possibilités de mises en relation de cinq dimensions essentielles de l’expérience, à savoir les activités, les relations, les valeurs, les images de soi et les motivations » (Stoecklin, 2009, p. 92). Ce système nous permet de mettre en évidence les relations systémiques entre les différentes dimensions de l’expérience. En d’autres termes, la modification d’une dimension implique une modification d’autres dimensions et entraîne forcément un rééquilibrage de l’ensemble (Stoecklin, 2019). Partant de la sociologie constructiviste, nous pouvons affirmer que la réalité dépend de la manière dont nous la regardons. Stoecklin (2009) affirme à cet effet que « [c]’est le point de vue subjectif de l’individu qui « construit » la réalité » (p. 54). Nous pouvons à cet effet citer le théorème de Thomas (1967) selon lequel les comportements des individus s’expliquent davantage par leur perception de la réalité que par la réalité elle-même. À ce propos, l’auteur affirme que « [i]f men define situations as real, they are real in their consequences » (p. 42).

Pour aller plus loin, Stoecklin (2009) a développé « le kaléidoscope de l’expérience », un instrument original qui se présente sous la forme d’un CD. Cet outil favorise la réflexivité et permet le développement d’un « soi actif ». Le kaléidoscope de l’expérience matérialise la théorie du système de l’acteur et permet l’exploration des possibilités d’action qui s’offrent à l’individu. Ce modèle sera repris au point 2, méthodologie.

Le kaléidoscope de l’expérience (Stoecklin, 2018c, p. 18)

Comme nous l’avons décrit dans ce chapitre, l’enfant est considéré‧e comme un acteur social à part entière. Elle‧il adapte consciemment son comportement en société, tout en tenant compte de l’environnement qui l’entoure. Afin que ce statut

(13)

soit respecté, l’enfant a des droits participatifs qui lui permettent de s’exprimer et d’agir pour façonner et construire activement la société dans laquelle elle‧il évolue.

1.2 La participation des enfants

Dans cette partie consacrée à la participation, nous tenterons, en premier lieu, de définir ce concept. Puis, nous examinerons les droits participatifs contenus dans la CDE (1989/2016). Nous nous intéresserons ensuite aux différentes typologies de participation ainsi qu’à l’approche par les capabilités. Finalement, il s’agira d’évoquer les tensions qui subsistent entre la protection et la participation des enfants placé‧e‧s.

En ce qui concerne la définition du concept de participation, nous pouvons relever qu’il n’existe pas de consensus. La CDE (1989/2016) ainsi que le Comité des droits de l’enfant dans son Observation générale numéro 12 (2009) concernant le droit d’être entendu ne définissent pas clairement ce concept. La littérature spécialisée, quant à elle, propose des définitions qui souvent se complètent et parfois se contredisent. Comprise dans son sens large, la participation accorde un nouveau statut à l’enfant. En effet, même si l’enfant est un être en développement, elle‧il peut s’exprimer et influencer le cours de son existence de manière progressive sous des formes qui évoluent avec elle‧lui (Zermatten et Stoecklin, 2009). Pour Lansdown (2010), le concept de participation est utilisé « to describe forms of social engagement » (p. 10). Selon l’auteure, les enfants peuvent participer à des débats, des conversations, des jeux, des activités culturelles, etc.

Checkoway (2011) va plus loin en affirmant que la participation « varies in its expression from one area to another, but as long as people are involved in the institutions and decisions that affect them, it is participation » (p. 341). L’auteur conçoit la participation comme un partenariat intergénérationnel qui implique non seulement les jeunes, mais également les adultes et la société de manière générale. Il insiste sur le fait que la participation des enfants contribue à une société plus démocratique.

(14)

De plus, en se basant sur de nombreuses recherches2, Checkoway (2011) atteste que la participation favorise le développement personnel et social des jeunes. Ces dernier‧ère‧s améliorent leur confiance en soi et leur bien-être psychosocial, tissent des liens sociaux, développent leurs connaissances et leurs compétences ainsi que leurs capacités réflexives et leur prise de parole en public. Ceci constitue ce que Hanson et Vandaele (2003) nomment la dimension constitutive des droits participatifs. La participation comprend également une dimension instrumentale, à savoir que l’exercice des droits participatifs contribue à la réalisation d’autres droits. Enfin, la participation des jeunes leur permet d’exercer leurs droits et d’acquérir les outils pour devenir citoyen‧ne‧s et acteurs de changements (Checkoway, 2011).

Checkoway (2011) relève qu’il existe une forte disparité de participation entre les jeunes. Certain‧e‧s participent avec ferveur alors que d’autres sont peu ou pas impliqué‧e‧s. Cette inégalité de participation s’explique, selon lui, par la situation socio-économique des jeunes. En effet, il dit à ce propos que « [t]he most active participants […] are usually higher in income, education, and socioeconomic status, than the general population » (Checkoway, 2011, p. 343). Stoecklin (2009) relève également des inégalités de participation dans la société. Il affirme que « [l]es éléments statutaires associés à « qui parle et qui écoute », liés au genre et à l’âge, sont parmi les plus importants et les enfants, en tant que groupe ou classe d’âge, représentent une catégorie d’individus relativement dominés » (p. 50).

Golay et Malatesta (2010) attribuent ces inégalités non seulement au statut social et économique des jeunes, mais aussi aux rapports de pouvoir et de domination. Se basant sur la théorie de la justice de Fraser (1997), elles relèvent que « les inégalités dues à l’appartenance de sexe s’apparentent aux inégalités de classe » (Golay et Malatesta, 2010, p. 94). Ce dernier aspect sera abordé au point 1.4, la participation des enfants à l’épreuve du genre.

1.2.1 Les droits participatifs

La vision de l’enfant acteur de sa vie est notamment due aux droits dits participatifs incorporés dans la CDE (1989/2016). Les droits participatifs comprennent le droit d’être

2Cheadle et al., 2001; Dessel et Rogge, 2009; Flanagan et Levine, 2010; Flanagan, Syvertsen et Stout, 2007; Sherrod et Spiewak, 2008; Watts et Flanagan, 2007; Sherrod et Lauckhardt, 2008; Youniss, Bales et Christmas-Best, 2002

(15)

entendu (art. 12 CDE), le droit à la liberté d’expression (art. 13 CDE), le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 14 CDE), le droit à la liberté d’association (art. 15 CDE), le droit à la protection de la sphère privée (art. 16 CDE), le droit à l’accès à l’information (art. 17 CDE), et le droit au repos et aux loisirs, activités récréatives, vie culturelle et artistique (art. 31 CDE) (Stoecklin, 2019). Ces droits participatifs contrastent avec la représentation de l’enfant comme un être passif (Hanson, 2016), subissant la société, et constituent en ce sens le caractère novateur et révolutionnaire (Zermatten, 2005) de la Convention (1989/2016).

Le droit d’être entendu (art. 12 CDE) est l’un des quatre principes généraux de la Convention (1989/2016), les autres étant le droit à la non-discrimination (art. 2 CDE), le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3, al.1 CDE), et le droit à la vie, à la survie et au développement (art. 6 CDE). En tant que principe général de la CDE (1989/2016), le droit d’être entendu est une garantie procédurale et un principe transversal de la CDE (1989/2016) (Stoecklin et Bonvin, 2014). En d’autres termes, si le droit d’être entendu n’est pas respecté, il met en danger la mise en œuvre de la CDE (1989/2016). De plus, l’art. 12 CDE est considéré comme « the masterpiece for child participation » (Stoecklin et Bonvin, 2014, p. 4), c’est pourquoi il sera davantage détaillé ci-dessous.

Article 12 CDE : Droit d’être entendu

1. Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.

2. À cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.

Le Comité des droits de l’enfant, dans son Observation générale numéro 12, fait la distinction entre « le droit d’être entendu en tant qu’individu et le droit d’être entendu appliqué à un groupe d’enfants (par exemple une classe d’écoliers, les enfants d’un même quartier, les enfants d’un pays, les enfants [en situation de handicap] ou les filles) » (Comité des droits de l’enfant, 2009, p. 6). Nous comprenons alors que la

(16)

participation des enfants se fait sur le plan individuel ainsi que sur le plan collectif. Sur le plan individuel, il s’agit de permettre aux enfants d’être entendu‧e‧s dans toutes les procédures judiciaires ou administratives les concernant. Sur le plan collectif, « elle consiste en la possibilité de participer à la vie publique, ce qui inclut la participation sociale et la participation politique. Elle a pour but de permettre aux [enfants] d’acquérir la capacité de former et d’exprimer leurs opinions et ainsi d’influer sur leurs conditions de vie » (Garcia Delahaye, 2018, p. 13).

De plus, l’article 12 CDE implique une présomption de capacité chez l’enfant. Cela signifie que les adultes « doivent présumer qu’un enfant a la capacité de se forger une opinion propre et reconnaître qu’il a le droit de l’exprimer ; il n’appartient pas à l’enfant de faire la preuve préalable de ses capacités » (Comité des droits de l’enfant, 2009, p. 7). En d’autres termes, le fardeau de la preuve incombe aux adultes.

Quant à la question « d’exprimer librement son opinion », il semble utopique pour quiconque d’être libre d’influences externes. En nous référant à la théorie de la structuration de Giddens (1987, cité dans, Stoecklin, 2018a) qui stipule que tout est à la fois structuré et structurant, qui peut prétendre être absolument libre de toute influence ? À cet effet, Stoecklin et Bonvin (2014) relèvent qu’il est « hard to think of an opinion that would be absolutely free of influences conveyed by the opinion of others » (p. 6). Une fois de plus, il incombe aux adultes de créer les conditions favorables et de trouver des moyens adéquats pour que l’enfant exprime son opinion le plus librement possible. Ce dernier élément fait le lien avec les ressources externes du concept de capabilité qui sera développé au point 1.2.3.

1.2.2 Les typologies de participation

Afin de mieux saisir le concept de participation et de tenter de le quantifier, certain‧e‧s auteur‧e‧s ont proposé des modèles de participation. Parmi les plus connus figure celui de Hart (1992), adapté de la « ladder of citizen participation » de Arnstein (1969). L’échelle de la participation proposée par Hart est conceptualisée pour une participation collective et contient huit niveaux. Les trois premiers niveaux sont considérés comme de la « non-participation » (manipulation ; décoration ; politique de pure forme), les cinq suivants comme des « degrés de participation » (désignés, mais informés ; consultés et informés ; projet initié par des adultes, décisions prises en consultation avec les enfants ; projet initié et dirigé par des enfants ; projet initié par des enfants, décisions prises en accord avec les adultes). Or, cette échelle

(17)

trop hiérarchique et linéaire pour certain‧e‧s auteur‧e‧s a provoqué de multiples critiques et a permis de développer des modèles alternatifs afin d’analyser la participation des enfants (Stoecklin, 2009).

Treseder (1997) propose, par exemple, un schéma circulaire qui comporte les cinq types de participation suivants: Child-initiated, shared decisions with adults; Consulted and informed; Assigned but informed; Adult-initiated, shared decisions with children; Child-initiated and directed. Le modèle développé par Treseder (1997) met en avant l’importance de l’adéquation entre les différents types de participation et les contextes, les circonstances dans lesquels se trouvent les enfants.

En ce qui concerne plus spécifiquement la participation des enfants placé‧e‧s en Suisse romande, un groupe de travail composé de directions d’institutions socio-éducatives a été constitué afin de concevoir un outil d’analyse des processus de placement des enfants hors de leur milieu familial. Cette collaboration a permis d’élaborer un outil nommé « PRISMA » en 2015. Cet outil favorise non seulement la participation des enfants placé‧e‧s, mais également l’évaluation de la mise en œuvre des 18 standards contenus dans l’outil « Quality4Children ». À noter qu’ils ont été élaborés dans le cadre d’un projet européen de recherche et dans une approche « bottom-up » sur la base de récits d’enfants, d’adolescent‧e‧s, de familles et de professionnel‧le‧s directement concernés par le sujet.

1.2.3 L’approche par les capabilités

Le concept de capabilité, issu du paradigme interactionniste, a été développé dans un premier temps par Amartya Sen et Martha Nussbaum (Stoecklin et Bonvin, 2014). Pour Sen, la capabilité signifie avoir la liberté de mener différents styles de vie. L’auteur insiste sur le fait que les individus doivent être en mesure de mener la vie qu’elles‧ils ont des raisons de valoriser (Sen, 1992/1990 cité dans, Stoecklin et Bonvin, 2014). La capacité d’agir d’un‧e individu ou la capacité de choisir la vie qu’elle‧il veut mener résulte de l’interdépendance entre les opportunités sociales, c’est-à-dire le contexte (les lois, les normes sociales, les opportunités socio-économiques, etc.) dans lequel elle‧il évolue et ses ressources personnelles (capacités mentales, physiques, etc.). En d’autres termes, la capabilité résulte du dialogue entre les facteurs sociaux et les facteurs individuels d’une personne. Nussbaum (2001/2011, citée dans, Stoecklin et Bonvin, 2014) appelle ces facteurs les « internal and external capabilities » (p. 3) alors que Gasper (2003, citée dans, Stoecklin et Bonvin, 2014) utilise les termes de

(18)

« S-capabilities (skills) and O-capabilities (options) » (p. 3). Indépendamment de la terminologie utilisée, l’accent est mis sur la présence de ces deux paramètres (individuels et sociaux), ce qui constitue les ressources des individus. Ces facteurs peuvent agir comme des facilitateurs ou, au contraire, comme des obstacles, à la conversion des ressources en capabilités.

Le schéma ci-dessous résume cette approche (Stoecklin et Bonvin, 2014, cité dans, Stoecklin, 2019, p. 26)

Le concept de capabilité a été repris et adapté au contexte spécifique des droits de l’enfant par Daniel Stoecklin et Jean-Michel Bonvin. L’approche par les capabilités développée par ces auteurs nous paraît nécessaire dans cette recherche afin d’analyser comment les libertés formelles, inscrites dans les textes de loi, se transforment (ou non) en libertés réelles pour les enfants placé‧e‧s. L’élément primordial dans l’approche par les capabilités est la liberté de choisir des individus et non pas leur fonctionnement réel. En effet, « opportunities (their quantity and quality) matter more than outcomes or facts » (Stoecklin et Bonvin, 2014, p. 3). Dès lors, nous accorderons une attention toute particulière à la description de la réalité subjective des enfants au bénéfice de mesures de protection. Nous chercherons à analyser leur capabilité participative, c’est-à-dire « la capacité que l’enfant a de prendre part à la définition et à la réalisation des choix affectant sa propre vie » (Stoecklin et Bonvin, 2014, cité dans, Stoecklin, 2019, p. 25) dans une perspective de genre. Enfin, nous utiliserons l’approche intersectionnelle afin de mieux saisir comment se combinent les différents facteurs qui convertissent les ressources formelles (dont notamment les droits

(19)

de l’enfant) en libertés réelles (Stoecklin, 2015). Cette théorie sera davantage étayée au point 1.4.5.

1.2.4 La tension entre protection et participation

Analyser la participation des jeunes dans un contexte de protection semble quelque peu paradoxal. En effet, le placement constitue une mesure rarement prise à l’initiative de l’enfant (Potin, 2020), qui a toutefois le droit d’exprimer son opinion et d’être entendu‧e. Notons ici que cela ne signifie pas que les organes qui prennent les décisions vont forcément suivre cet avis, mais qu’il sera pris en considération de manière particulière. Pour les professionnel‧le‧s, cela suppose de prendre en considération la vulnérabilité et l’immaturité potentielle des enfants ainsi que leur expertise et leurs compétences.

Pour Zermatten (2009), il ne devrait pas y avoir de « tension entre l’article 3 qui serait vu comme l’expression des préoccupations de protection de la Convention et l’article 12, qui serait, lui, l’expression de la participation » (p. 38). Au contraire, ces deux articles devraient être considérés comme complémentaires. La consultation préalable de l’enfant semble nécessaire afin d’établir son intérêt supérieur. De plus, « [l’]article 3 établit un idéal à atteindre : le bien-être de l’enfant ; l’art. 12 fixe une méthode simple pour le déterminer : permettre à l’enfant d’exprimer son opinion sur cette visée » (Zermatten, 2009, p. 39). L’auteur conçoit donc ces deux articles comme des étapes appartenant à un seul et même processus décisionnel.

Toutefois, dans la pratique, l’équilibre entre les droits de protection et de participation semble difficile à trouver pour les professionnel‧le‧s. Boucher (2015) qualifie la relation qui lie la participation et la protection de l’enfance comme dangereuse. L’articulation entre le droit d’être entendu (art. 12 CDE) et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (art. 3, al.1 CDE) n’est pas évidente dans les mesures de protection de l’enfant (Hitz Quenon et Mattey, 2017). En effet, les professionnel‧le‧s doivent dépasser les relations asymétriques, adopter des pratiques professionnelles permettant l’évaluation des capacités des enfants en situation de vulnérabilité et prendre des décisions favorisant leur intérêt supérieur. Enfin, un certain nombre d’études en travail social3 relèvent que si l’on surprotège les enfants, « on n’offre pas tous les accès, on restreint la liberté, on ne propose pas de participer égalitairement,

(20)

donc dans le fond on discrimine subtilement peut-être, mais on renvoie à un état d’infériorité » (Bournissen, De Gaspari et Palazzo, 2017, p. 65).

1.2.4.1 Débat entre protection et participation à l’ère du numérique

Alors que les espaces publics sont de plus en plus contrôlés, les jeunes s’offrent de « nouveaux lieux pour se retrouver et « traîner ensemble » » (Potin, 2020, p. 11) par le biais du numérique. En effet, les smartphones sont de plus en plus présents et permettent de multiplier les moyens de communication et par là de participation pour les jeunes. Selon la récente étude menée en France par Potin (2020) concernant l’utilisation des smartphones par les enfants placé‧e‧s, « 78 % des jeunes utilisent principalement leur smartphone pour se connecter à Internet, 79 % échangent des messages instantanés via des applications, 63 % téléphonent via ces messageries instantanées et 80 % ont participé, au cours des douze derniers mois, à des réseaux socionumériques » (p. 10). Grâce aux smartphones, les jeunes communiquent de façon autonome et entretiennent les relations qui comptent pour eux. Or, dans certaines situations, les relations du jeune doivent être surveillées par les professionnel‧le‧s. L’utilisation de ces nouveaux moyens de communication, souvent absents dans les décisions de justice visant la protection des enfants, constitue donc un défi pour les équipes éducatives qui peuvent difficilement assurer la protection des enfants dans cet espace numérique. En effet, il s’agit pour les professionnel‧le‧s de trouver un juste équilibre entre respecter le droit à la sphère privée (art. 16 CDE) des jeunes et favoriser leur intégration dans la société tout en assurant leur protection. Trouver la posture professionnelle adéquate et le bon équilibre semble alors difficile. Pourtant, il est nécessaire de réfléchir sans plus tarder « aux formes d’entrée et d’accompagnement dans ce monde déjà ultraconnecté qui permettent aux jeunes protégés d’y trouver une place » (Potin, 2020, p. 154).

Dans cette partie consacrée à la participation des enfants, nous constatons qu’il subsiste une grande disparité de participation chez les jeunes. Le chemin semble encore long pour que chaque enfant, indépendamment de son statut socio-économique et de son genre, se sente partie prenante et s’engage dans la construction de la société. Le défi paraît d’autant plus complexe pour l’enfant placé‧e, qui fait l’objet du prochain chapitre.

(21)

1.3 Le placement d’un‧e enfant dans une institution

Le placement d’un‧e enfant dans une institution socio-éducative constitue l’un des piliers de l’aide à l’enfance en Suisse. Il intervient lorsque la relation qui la‧le lie à ses parents est si perturbée « que l’on ne saurait raisonnablement exiger de l’enfant qu’il vive avec ses parents » (Zatti, 2005, p. 13). En d’autres termes, le placement signifie que l’enfant est retiré‧e de sa famille et que son éducation est confiée à un tiers (Potin, 2020), en l’occurrence à une institution socio-éducative dans le cas de notre recherche. En Suisse, la décision de placer un‧e enfant survient lorsque les mesures ambulatoires visant le soutien des familles n’ont pas montré de résultats. En ce sens, le placement constitue une mesure de dernier recours. Cela n’est pas sans conséquence, comme le montre l’étude sur les placements en Suisse menée par Zatti (2005). Certes, le nombre d’enfants placé‧e‧s diminue, mais cela implique qu’elles‧ils ont parcouru, au préalable, un long processus peuplé de « traumatismes » quand la décision de placement est prise. Il semble toutefois nécessaire de préciser que les expériences de mesures de placement peuvent varier en fonction de la durée du placement, de l’âge auquel l’enfant entre dans la mesure et du type de lieu d’accueil, chaque situation ayant ses propres particularités (Potin, 2014).

Quant au placement, il résulte souvent de l’addition des critères (non exhaustifs) suivants : « carences éducatives ; difficultés psychologiques ou psychiatriques des parents ; conflit familial (violence conjugale) ; alcoolisme, toxicomanie ; maltraitance (inceste, abus sexuels, sévices corporels…) ; absentéisme scolaire ou difficultés scolaires lourdes ; trouble du comportement ; logement ; maladie des titulaires de l’autorité parentale ou de l’un des deux » (Chapponnais, 2005, p. 85).

En Valais, les placements dans les institutions socio-éducatives se basent sur les dispositions du Code civil (1907/2020), sur l’ordonnance sur le placement d’enfants (OPE) (1977/2017), sur la loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs (2003/2019), sur la loi en faveur de la jeunesse (2000/2014), sur les directives de l’Office fédéral de la justice (OFJ) (1984/2018) ainsi que sur l’ordonnance sur les différentes structures en faveur de la jeunesse (2001/2016). Les institutions socio-éducatives signent des mandats de prestations avec l’État et doivent, de ce fait, préciser leurs missions en matière d’éducation des enfants qui leur sont confié‧e‧s. Par ailleurs, le placement « est soumis à autorisation et à surveillance » (art. 1, OPE). Concernant le droit international, notons que l’article 20 CDE stipule que les enfants privé‧e‧s de leur

(22)

milieu familial ont le droit à une protection particulière par l’État. À cet effet, il est écrit que : « [l]es États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale » (art. 20, al.2). Le placement dans une institution socio-éducative constitue donc une mesure de remplacement au sens de la CDE (1989/2016).

Il existe trois types de placement en Suisse. Plus particulièrement, en Valais :

o Le placement civil est exigé par l’Autorité de Protection de l’Enfant et de l’Adulte (APEA) lorsque l’enfant rencontre des difficultés sociales et familiales. Dans ce cas, le droit de déterminer le lieu de résidence est retiré aux parents. L’Office de Protection de l’Enfant (OPE) agit comme service placeur.

o Le placement volontaire/social se fait en accord avec les parents et sur la base d’une expertise de l’OPE. « L’expertise doit conclure à l’insuffisance d’un traitement ambulatoire et recommander le placement dans un établissement en premier chef pour des motifs familiaux et sociaux » (OFJ, 2018, p. 2). Les parents conservent le droit de déterminer le lieu de résidence de leur enfant. L’OPE agit donc comme service placeur, mais n’est pas mandaté par l’APEA. o Le placement pénal est ordonné par le Tribunal des mineurs si l’enfant a

commis des délits ou des infractions graves.

Ces types de placement ont pour objectifs communs de protéger l’enfant, de favoriser son autonomie et son émancipation ainsi que d’améliorer sa situation personnelle et familiale en répondant à ses besoins spécifiques. Berger (2004) relève à cet effet que la séparation protège non seulement les enfants, mais aussi les parents. En effet, « si la maltraitance marque les enfants, elle déshumanise aussi leurs auteurs » (Berger, 2004, p. 131). Selon Berger (2004), le placement est structurant, car il favorise la réflexion, la verbalisation et l’écoute pour l’enfant éloigné‧e de ses parents. Chapponnais (2005) quant à lui considère le placement, dûment évalué et inséré dans un projet, comme un excellent outil thérapeutique pour l’enfant et sa famille. Notons enfin que la visée finale du placement est toujours, dans la mesure du possible, un retour de l’enfant dans sa famille pour autant que la situation des un‧e‧s et des autres le permette. Dès lors, le placement est régulièrement remis en question, par le biais de bilans, afin de s’assurer de sa pertinence, d’évaluer le travail éducatif ainsi que les objectifs de placement et enfin d’évaluer s’il y a lieu de maintenir la mesure. En ce sens, le placement répond à la recommandation du Comité des droits de

(23)

l’enfant dans ses Observations finales concernant les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques de la Suisse (2015), qui demande à l’État partie de « faire procéder à des examens périodiques des placements […] en institution et de surveiller la qualité des soins fournis aux enfants dans ces cadres » (ONU, 2015, p. 11). Dans la partie qui suit, il nous paraît essentiel d’aborder les caractéristiques des enfants placé‧e‧s, souvent sujets aux idées reçues. Nous traiterons également de la parole de l’enfant, dans le cadre d’un placement.

1.3.1 Les caractéristiques des enfants placé‧e‧s : entre

représentations et réalités actuelles

Il existe de nombreuses représentations, souvent négatives, autour du placement et des enfants placé‧e‧s. En témoigne le vocabulaire utilisé durant de nombreuses années pour désigner les enfants en situation de vulnérabilité ainsi que les établissements qui les accueillaient. En effet, historiquement, la notion d’enfant « cas social » était utilisée et les institutions socio-éducatives étaient appelées « maison d’enfants pour cas sociaux » (Chapponnais, 2005, p. 44). Fort heureusement, ces notions extrêmement stigmatisantes ne sont plus d’usage aujourd’hui. En effet, « [l]’évolution du statut de l’enfant [en difficulté sociale] se développe en parallèle du regard que la société porte sur les personnes vulnérables » (Chapponnais, 2005, p. 9). Toutefois, certaines représentations demeurent, c’est pourquoi il nous semble nécessaire, dans ce travail, de proposer une image réaliste des enfants placé‧e‧s. Pour ce faire, nous nous basons sur les dernières statistiques valaisannes exposées dans les rapports (2016 ; 2019) de l’observatoire cantonal de la jeunesse (OCJ).

Tout d’abord, concernant les types de placement, le rapport de l’OCJ (2016) stipule qu’en 2013, les placements civils représentaient le 70.5% des placements en Valais. Les placements pénaux représentaient 22.7%. Enfin, 6.8% représentaient les placements publics. Les chiffres restent stables pour 2014 selon ce même rapport. Quant au sexe et à l’âge des enfants placé‧e‧s, nous constatons que « le nombre de garçons placés est plus important que celui des filles et [que] la catégorie d’âge 15-17 est la plus importante » (Combremont, 2016, p. 85). Ces chiffres se confirment également dans le rapport de l’OCJ de 2019 portant sur les enfants et les

(24)

adolescent‧e‧s présentant des difficultés multiples4. En effet, « tant chez les filles [33,3%] que chez les garçons [66.7%], la tranche d’âge la plus représentée lorsque l’on parle de jeunes en difficultés multiples est celle des 15-17ans » (p. 6). L’auteure explique la prépondérance des 15-17 ans en raison des troubles du comportement généralement associés à l’adolescence. Concernant la surreprésentation des garçons, l’auteure l’associe aux troubles externalisés, plus perturbateurs et nécessitant une prise en charge chez les garçons, alors que chez les filles, les troubles seraient internalisés. « Ainsi, les problèmes de comportement tendent à se manifester plutôt chez les garçons que chez les filles et le pic d’intensité des comportements perturbateurs se situe plutôt chez les garçons que chez les filles » (Combremont, 2019, p. 7).

1.3.2 Le placement et la parole de l’enfant

De nombreuses et nombreux auteur‧e‧s mettent en évidence l’importance de la participation pour les enfants au bénéfice de mesures de protection. Chapponnais (2005) recommande, par exemple, aux professionnel‧le‧s de créer des lieux de concertation sans démagogie où les enfants apprendraient la prise de parole collective et seraient davantage impliqué‧e‧s dans l’organisation de la vie quotidienne. Robin, Mackiewicz, Goussault et Delcroix (2015) relèvent non seulement l’importance de la prise de parole, mais aussi des actions concrètes. Elles affirment que la participation permet aux jeunes placé‧e‧s « de changer l’imaginaire, en faisant état « des faiblesses qui peuvent devenir des forces » [,] d’inventer de nouvelles formes de pouvoir d’agir et de liberté » (p. 88).

Pour Robin et Séverac (2013), les enfants placé‧e‧s recherchent de la cohérence et du sens dans leur existence afin de pouvoir construire leur identité. Selon elles, celles et ceux qui parviennent à ce résultat sont celles et ceux qui ont eu, durant leur placement, un espace de réflexivité et un espace de dialogue avec des personnes de confiance. Les auteures soulignent que les jeunes placé‧e‧s développent de nombreuses stratégies pour conquérir le droit à la parole. Parmi les stratégies relevées par Robin et Séverac (2013), nous retrouvons les stratégies d’alliance, la fugue ou encore la violence associée ici à un refus de soumission. Pour les auteures, entendre les enfants permet « d’échapper à la tentation de conclure à la toute-puissance de

4 « Concrètement, il s’agit de jeunes qui présentent des difficultés concomitantes dans différentes sphères de leur

(25)

l’institution en faisant apparaître que même au sein de ce cadre extraordinairement contraint, les jeunes mettent en place des stratégies pour avoir un droit à la parole et tenter de reprendre la main sur leur parcours de vie » (Robin et Séverac, 2013, p. 102). Enfin, pour Chapponnais (2005) la participation rend les enfants placé‧e‧s responsables et autonomes ; « notion toujours relative et circonstancielle, qui se déplace entre les deux pôles de la dépendance et de l’indépendance » (Chapponnais, 2005, p. 231). Van de Velde (2008, citée dans, Robin, et al. 2015) quant à elle associe le « processus d’autonomisation identitaire » (p. 71) au fait de devenir adulte. Elle distingue toutefois l’indépendance, liée aux conditions matérielles et objectives, de l’autonomie qui est liée, elle, aux questions identitaires et subjectives. Dans le cadre d’un placement, la participation, et plus spécifiquement la participation aux prises de décisions des enfants, prend une dimension d’autant plus importante qu’elle contribue à construire leur identité. Dès lors, qu’en est-il de l’égalité ? Les filles et les garçons placé‧e‧s en institution socio-éducative se voient-elles et ils offrir les mêmes opportunités de participation ? Les questions liées au genre seront examinées dans le chapitre suivant.

1.4 La participation des enfants à l’épreuve du genre

Ces dernières années, l’égalité des sexes est devenue un enjeu politique majeur dans les pays occidentaux (Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014). En témoigne le nombre de traités internationaux visant à lutter contre les inégalités entre les sexes. Concernant les enfants, nous pouvons notamment citer la CDE (1989/2016) et son article 2 sur la non-discrimination. Cet article stipule que :

1. Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune, indépendamment de toute considération de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou autre de l’enfant ou de ses parents ou représentants légaux, de leur origine nationale, ethnique ou sociale, de leur situation de fortune, de leur incapacité, de leur naissance ou de toute autre situation.

2. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour que l’enfant soit effectivement protégé contre toutes formes de discrimination ou de

(26)

sanction motivées par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions de ses parents, de ses représentants légaux ou des membres de sa famille.

Si l’idéal d’égalité entre les sexes reposant sur des valeurs humanistes est généralement partagé, et que les Suissesses et les Suisses sont égales et égaux devant la loi, la réalité montre que des inégalités persistent et que le genre a une influence dans notre société (Helle, 2006 ; Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014). La partie qui suit traitera de ces éléments. Il sera également question de socialisation différenciée ainsi que de participation aux activités physiques et sportives. Enfin, le rôle des professionnel‧le‧s et la théorie intersectionnelle seront également abordés.

1.4.1 Le genre

En sciences sociales, il existe une distinction entre le sexe et le genre. En effet, « [l]e sexe renvoie à la différenciation biologique des êtres humains en individu femelle ou mâle, différenciation à laquelle se réfère l’état civil pour déclarer un individu de sexe féminin ou de sexe masculin » (Marro et Vouillot, 2004, p. 10).

En ce qui concerne la notion de genre, elle a été élaborée dans les années 1950 par des psychiatres américains pour distinguer le sexe biologique et le sexe social dans le cadre de travaux sur la transsexualité. Ce terme polysémique a ensuite été repris dans les années 1970 par les féministes (Beghin, 2019). Deux notions du terme « genre » sont acceptées dans la littérature scientifique. La première renvoie à une dimension psychologique du terme et la deuxième relève d’une dimension sociopolitique (Marro, 2012). La première acceptation « associe le genre à un ensemble d’attributs psychologiques et comportementaux considérés comme différenciateurs des femmes et des hommes » (Marro, 2012, p. 67). La seconde, issue des recherches féministes dites matérialistes (Kergoat, 2005), « appréhende le genre comme un système de normes de sexe hiérarchisant, producteur d’inégalités » (Marro, 2012, p. 68). Ces inégalités sont légitimées par la nature. Le genre joue ainsi un rôle essentiel dans l’organisation de la société, selon Clair (2012). En effet, il organise les pratiques et les idées des individus en les faisant passer pour « naturelles ». Or, il s’agit bien là d’une construction sociale qui attribue aux un‧e‧s et aux autres des rôles spécifiques en fonction de leur sexe. De plus, cette attribution constitue, selon Marro (2012), un instrument de mise en rapport. En effet, les rôles sont socialement hiérarchisés et le

(27)

masculin est valorisé au détriment du féminin (Pfefferkorn, 2012 ; Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014 ; Beghin, 2019). Ces auteur‧e‧s observent que les hommes exercent une domination réelle ou symbolique sur les femmes, ce qui implique des inégalités ainsi que des discriminations et constitue un système inégalitaire. Kergoat (2000) utilise les termes de rapports sociaux de sexe ou encore rapports de domination pour décrire ces phénomènes. Le genre est donc utilisé pour décrire les rapports de pouvoir entre les individus, mais également pour déconstruire les préjugés qui les sous-tendent (Beghin, 2019).

Notons enfin que pour Rouyer, Mieyaa et Le Blanc (2014), le sexe biologique constitue également une construction sociale dans le sens où c’est la société qui a créé les catégories de sexe (femelle/mâle) et qui assigne un sexe à la naissance de l’enfant. C’est ce que les sciences sociales appellent le processus de socialisation. Giddens (1989, cité dans, Stoecklin, 2018a) le définit comme « the process whereby the helpless infant gradually becomes a self-aware, knowledgeable person, skilled in the ways of the culture into which she or he is born » (p. 5). Quant à la socialisation de genre, elle constitue un processus multidimensionnel. Elle est définie comme « l’ensemble des processus par lesquels l’individu est construit – on dira aussi “formé”, “modelé”, “façonné”, “fabriqué”, “conditionné” – par la société globale et locale dans laquelle il vit, processus au cours desquels l’individu acquiert – “apprend”, “intériorise”, “incorpore”, “intègre” – des façons de faire, de penser et d’être qui sont situées socialement » (Darmon, 2006, p. 6, cité dans, Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014, p. 107). Pffeferkorn (2012) et Octobre (2010) mettent en évidence le lien qui unit la culture et le genre. À cet effet, Pffeferkorn (2012) affirme que « le masculin et le féminin sont imposés culturellement au mâle et à la femelle pour en faire un homme et une femme » (p. 12). Octobre (2010) quant à elle parle de socialisation culturelle sexuée des enfants. Selon elle, il existe trois registres de l’assignation sexuée chez les enfants : « la représentation des sexes, la catégorisation sexuée des objets culturels, et la qualification sexuée de l’éducation implicite et explicite » (p. 56). En effet, pour l’auteure, chaque sexe est assorti de représentations de qualité qui lui sont présupposées sans pour autant avoir été vérifiées. Il existe aussi une catégorisation sexuée des objets et des activités qui relève également des représentations selon elle. Buscatto (2014) souligne à cet effet que « [q]uand certaines pratiques comme le chant, la danse classique ou la lecture de romans d’amour relèvent plutôt du registre « féminin » et des qualités « féminines » – élégance, écoute, grâce, émotion ou

(28)

affectivité –, d’autres pratiques comme les films d’action, la photographie ou la danse hip-hop relèvent plutôt du registre masculin et des qualités masculines – virtuosité, technique, affirmation de soi, rationalité ou force » (p. 130 -131). À noter que cette catégorisation varie en fonction des milieux sociaux. Enfin, l’éducation implicite (par imprégnation) et explicite (par les comportements éducatifs) construit également la catégorisation de genre selon Octobre (2010). Elle stipule à ce propos que « [l]’imprégnation s’observe à travers les modèles de rôles présentés par les pères et les mères à leur enfant et notamment par la répartition des responsabilités éducatives au sein de la famille et par les modèles comportementaux en matière culturelle de chacun d’entre eux. L’éducation explicite, quant à elle, peut être saisie à travers les normes éducatives au sujet des objets culturels (contrôle, accompagnement, incitation, interdiction en sont les modalités les plus usuelles) » (p. 61).

Le concept de représentation sociale paraît judicieux pour saisir les mécanismes de la socialisation de genre. Pour Jodelet (1989), la représentation sociale est « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourante à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (p. 36). Cette définition met en évidence le caractère social de la représentation qui agit sur l’enfant au cours de sa socialisation. À ce processus social s’ajoute un mécanisme psychique décrit par Chombart de Lauwe (1979). L’auteure insiste sur la dimension individuelle de la représentation, dans la mesure où elle est le résultat d’un mécanisme psychique. En effet, selon elle, le système des représentations est également le produit des expériences vécues par l’individu qui se forgera alors une certaine image de soi, indispensable à la construction de sa personnalité. Nous retenons ici que la représentation sociale implique une certaine lecture de la réalité, lecture qui sera relative au contexte culturel et normatif de la société dans laquelle évolue l’individu. Enfin, elle contribue à l’établissement d’une vision de la réalité commune à un ensemble social. Les représentations ont donc pour objectif de fournir un mode d’emploi pour interpréter la réalité, maîtriser l’environnement et nous conduire en société (Stoecklin, 2018b).

Notons ici l’impact que la langue a sur les rapports de sexe. En effet, la langue française véhicule des représentations sociales inégalitaires et perpétue des hiérarchies de genre. En sont pour exemple le fait que le masculin l’emporte sur le féminin ou que l’on utilise le masculin générique (Beghin, 2019).

(29)

Dans la transmission des représentations et dans le processus de socialisation des enfants, ce sont la famille, l’école, les pairs (Jouanno, 2012) ainsi que les institutions accueillant des jeunes (Bournissen, De Gaspari et Palazzo, 2017) qui font office d’instances de socialisation.

De manière générale, de nombreuses et nombreux auteur‧e‧s relèvent que la société façonne et modèle de manière différenciée les filles et les garçons (Dafflon Novelle et al., 2006). En effet, même avant sa naissance, l’enfant est pensé et projeté comme fille ou comme garçon par son entourage familial et social. « En conséquence, son environnement est défini en fonction du sexe assigné à la naissance : jouets, jeux, activités d’apprentissage, interactions, pratiques éducatives, etc., sont autant de modalités par lesquelles les partenaires de l’enfant vont interagir avec lui et lui signifier son appartenance groupale » (Rouyer et Zaouche-Gaudron, 2006, p. 27). Très tôt, l’expérience de la socialisation sera donc différente en fonction du sexe de l’enfant. Les activités ainsi que les jouets ou les habits proposés aux enfants participent à une socialisation différenciée de ces derniers. Bien que les enfants montrent des préférences pour des jouets associés à leur sexe dès l’âge de 20 mois, ces préférences ne sont pas innées (Wood et al., 2002, cités dans, Baerlocher, 2006). En effet, ce sont les conditions de socialisation précoce en matière de loisirs culturels qui sont responsables de leur émergence (Octobre, 2010).

Notons ici l’importance grandissante des médias culturels (internet, revues, jeux vidéo et jouets) dans la vie des enfants (Bouchard et Bouchard, 2005 ; Buscatto, 2014 ; Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014). « Présents au sein de tous les milieux de vie de l’enfant et de l’adolescent, les médias socioculturels constituent de puissants supports de socialisation de genre en tant que médiateurs des normes de la masculinité et de la féminité » (Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014, p. 116).

1.4.2 Les conséquences de la socialisation différenciée

Dès lors, la socialisation est différenciée dès le plus jeune âge et présente de multiples conséquences sur les opportunités de développement des enfants en termes d’apprentissages langagiers, cognitifs et sociaux (Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014). En effet, les jouets proposés aux filles, comme les poupées par exemple, favorisent le développement des habiletés sociales et développent les relations interpersonnelles. Quant aux jouets proposés aux garçons, comme les jeux de construction par exemple, ils développent des habiletés visuospatiales et d’exploration de l’environnement

(30)

(O’Brien et Nagle, 1987 ; Leaper, 2000, cité dans, Rouyer et Zaouche-Gaudron, 2006 ; Rouyer, Mieyaa et Le Blanc, 2014). « En conséquence, les filles se conforment davantage, ont moins d’opportunité d’explorer les différentes options, et peut-être ainsi, de développer des solutions appropriées aux problèmes sociaux » (Fagot, 1998, cité dans, Zaouche-Gaudron, 2006, p. 41).

Notons ici que la transgression de genre est possible, si elle est compensée par une série de gages donnés à la bonne adhésion et au bon étiquetage de sexe (Octobre, 2010). Cette transgression est plus tolérée chez les filles que chez les garçons, mais varie toutefois selon les milieux sociaux.

1.4.3 La participation aux activités physiques et sportives

Quant à la participation aux activités physiques et sportives, Davisse (2006) constate que les garçons font plus de sport que les filles et que l’écart se creuse davantage à la période de l’adolescence. L’auteure affirme que « deux tiers des jeunes de 12 à 17 ans déclarent faire du sport régulièrement, c’est le cas de trois garçons sur quatre, mais seulement d’une fille sur deux, et cette proportion diminue sensiblement après 15 ans » (p. 289).

Le choix du type d’activité et sa pratique diffèrent également beaucoup en fonction des stéréotypes sexués. Les garçons exercent davantage « des sports qui impliquent de la force, des compétences scientifiques, de la technique ou du risque » (Beghin, 2019, p. 2) ou alors des sports d’équipe (football, basketball), sports qui favorisent la compétition. Les filles quant à elles exercent plutôt des sports individuels, comme la gymnastique artistique, par exemple. De nombreuses et nombreux auteur‧e‧s affirment que les filles doivent certes se montrer performantes et musclées, mais elles doivent être belles et réfléchies également (Beghin, 2019 ; Bournissen, De Gaspari et Palazzo, 2017). À noter que la compétition permet d’effectuer de nombreux apprentissages et d’acquérir des compétences comme la gestion du stress, l’élaboration de stratégies, le dépassement de soi. Eckert et Faure (2007, cités dans, Octobre, 2010) affirment à cet effet que « [l]es pratiques ludiques et sportives apprennent aux garçons à répondre aux injonctions de « genre », leur demandant de faire preuve de force physique, d’esprit de compétition et d’affirmation de soi, aux filles à rechercher l’esthétique des choses, à se montrer dociles et bienveillantes, à faire preuve de discrétion et de retenue » (p. 56). Il apparaît donc que le sport est

Références

Documents relatifs

5 Selon nous, les écritures inclusives (dont l’OI), comme de nombreux faits de « langue générique » 5 , doivent être réfléchis par le biais des genres de discours pour

Les genres sont définis par l’imbrication de deux situations : la première renvoie au genre lui-même, pouvant présenter un ou plusieurs participants en contact ;

Il en va différemment lorsque la violation concerne ulle règle non pa s impérative, mais dispositive (en particulier une simple clause contractuelle). N'ébranlant pas le système

Dans le premier cas, la réintégration ne peut qu’être proposée par le juge (al. Le but du législateur, à travers l’adoption de ce système, était le suivant : «

Avant de procéder à la présentation des échantillons, il est utile de récapituler les législations des deux pays. La Suisse n’autorise pas l’adoption et

Au cours des 18 années suivantes, d’autres résolutions du Conseil de sécurité ont renforcé les efforts internationaux visant à prévenir et à lutter contre l’exploitation et

En conformité à la Convention relative aux droits de l’enfant, la Constitution congolaise garantit en son article 34, la protection à tous les enfants et les adolescents

L'objectif de l'UE est d'amener des pays tiers et des acteurs non étatiques à appliquer les dispositions, normes et instruments internationaux et régionaux en matière de droits