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Le système doctrinal des aliments

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Le système doctrinal des aliments

Contribution à la théorie générale de l’obligation alimentaire légale von

Christophe Meyer

1. Auflage

Le système doctrinal des aliments – Meyer

schnell und portofrei erhältlich beibeck-shop.deDIE FACHBUCHHANDLUNG

Peter Lang Bern 2006

Verlag C.H. Beck im Internet:

www.beck.de ISBN 978 3 03910 823 7

Inhaltsverzeichnis: Le système doctrinal des aliments – Meyer

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1. La famille serait une notion nouvelle en droit civil contemporain1. Si le Code civil de 1804 n’ignorait pas la question des statuts et rapports des membres de la famille, il les présentait dans une optique individualiste, sans considération des règles commu- nes à cette institution, ni de «l’intérêt général de la famille et de la société»2. Le terme même de «famille» ne rencontrait ainsi que très peu d’occurrences dans la compila- tion initiale, comme s’il ne s’était agi que d’exprimer une notion profane, ne corres- pondant à aucun concept juridique et technique, ce qu’attesterait également la péné- tration tardive de l’entrée «famille» dans les glossaires juridiques contemporains3.

2. On ne saurait éclairer plus crûment les impacts positifs de l’opposition conceptuelle des normes économiques du monde domestique aux règles juridiques de l’univers politique. On ne saurait expliquer plus cruellement l’échec de l’interven- tionnisme législatif en droit de la famille de ces trente dernières années4. En effet, après que la doctrine s’est finalement saisie de la famille comme d’un concept juridi- que, et des relations familiales comme d’un champ d’application spécifique du droit civil, le législateur a pu se croire le pouvoir, non seulement d’en reconnaître juridi- quement les structures, mais encore de les modeler. Il s’y attacha à de si nombreuses reprises, qu’il est devenu courant de prétendre que le droit de la famille a connu plus de remaniements législatifs ces trente dernières années que durant le siècle et demi qui précédait.

3.Cette réitération des réformes du droit de la famille traduit essentiellement une impuissance du législateur contemporain, celle de se saisir d’une matière qui soulève plus de questions que n’en a résolu la réduction du pouvoir domestique au juridique.

Bien qu’elle soit ontologique, cette opposition binaire des maisons au palais n’était

1 Voir H. MAZEAUD et alii,Leçons de droit civil, t. I: «La famille. Mariage-Filiation-Autorité pa- rentale-Divorce et séparation de corps», 3e v., 7e éd., p. 4, n° 685.

2 Ibidem.

3 Ibid., n° 686, p. 6, note 1.

4 Loi n° 72-3 du 03 janvier 1972, sur la filiation: J. O. R. F. du 05 janvier 1972, p. 145; loi n° 75-617, du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce: J. O. R. F. du 12 juillet 1975, p. 7171; loi n° 75-618, du 11 juillet 1975, relative au recouvrement public des pensions alimentaires: J. O. R. F. du 12 juillet 1975, p. 7178; loi n° 85-1372 du 23 décembre 1985, relative à l’égalité des époux dans les ré- gimes matrimoniaux et des parents dans la gestion des biens des enfants mineurs: J. O. R. F. du 26 décembre 1985, p.15111; loi n° 87-570 du 22 juillet 1987, sur l’exercice de l’autorité parentale:

J. O. R. F. du 24 juillet 1987, p. 8253; loi n° 94-629 du 25 juillet 1994, relative à la famille: J. O. R. F.

du 26 juillet 1994, p. 10739; loi n° 2000-596 du 30 juin 2000, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, J. O. R. F. du 1er juillet 2000, p. 9946.

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pas irréductible pour autant, elle l’était d’autant moins que l’institution n’avait pas été appréhendée dans son ensemble par les réformes législatives récentes mais par composantes; sur le même modèle de ce qu’avait institué le Code Napoléon. Malgré tout, l’échec de cette stratégie reste patent dans les trois matières principalement visées, qu’il s’agisse du divorce, de l’autorité parentale ou des rapports alimentaires.

S’il est possible d’y trouver des explications communes, en raison de l’interdépen- dance étroite de ces trois domaines, la difficulté à établir une législation satisfaisante des relations alimentaires mérite cependant le développement d’une explication autonome. En effet, les rapports de solidarité familiale qu’illustreraient les relations alimentaires révèlent une problématique qui leur est propre, remontant en amont des tentatives de législation contemporaines, au moment où la doctrine régnait sur la question.

4.La difficulté principale en la matière réside en ce que l’obligation alimentaire légale, qui forme le paradigme des aliments familiaux, représente une de ces notions d’évidence qui mettent l’intelligence au défi. A travers les époques, quelles qu’aient été les circonstances, la même institution réussit à provoquer le sens commun à l’indignation ou au scandale, suivant qu’on s’étonnait qu’elle dût exister ou qu’elle pût exister5. L’étonnement que l’accomplissement d’un devoir aussi naturel dût être protégé par la loi répondait à celui qu’il fût permis de le forcer en justice, comme deux faces d’une même pièce de truisme. Actuellement ce stéréotype, cette repré- sentation première et irréductible de l’obligation aux aliments, la présente comme un prétexte juridique; un prétexte permettant à des parents dénaturés de faire financer leur oisiveté par leurs proches, au prix d’une pension alimentaire et de la honte judi- ciaire.

5.Sous cet aspect, la question des aliments forme une des composantes du miroir dans lequel une société aime à contempler ses institutions familiales. De nos jours, la glace est dirigée vers les jeunes majeurs que la poursuite de leurs études, ou une période de chômage, place en difficulté financière; elle reflète de la sorte l’image d’oisifs parasitaires, qu’une société trop vieille, hantée par les spectres du sous- emploi, de l’insécurité et de la perte du respect filial se complaît de toutes manières à préconcevoir, que ce soit au miroir de la doctrine6 ou de la presse7. Tandis qu’au

5 Pour un exemple typique, voir R.-J. POTHIER, «Traité du contrat de mariage, de la puissance du mari», Œuvres complètes, 1824, t. X, n. 390: «La corruption des mœurs, qui est allée toujours en croissant, et qui est aujourd’hui parvenue à son comble, rend, à la honte de l’humanité, très- fréquentes au palais ces demandes [d’aliments] qui autrefois y étaient inouïes.»

6 En doctrine actuelle, cette tendance trouve sa représentation la plus achevée chez le professeur Hauser: voir J. HAUSER, «L’établissement et l’entretien des enfants majeurs: une famille à titre onéreux», Defrénois, n° 22, 1999, pp. 1217-1225; IDEM, «Jeunes majeurs et vieux mineurs», Droit comparé des personnes et de la famille, Hommage à Marie-Thérèse Meulders-Klein, Bruxelles 1998,

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siècle de Jules Ferry et de l’idéologie de l’éducation des masses s’y mirait l’inquiétude inverse mais réciproque: celle de voir les pères de famille, auxquels la législation des aliments imposait certes d’élever leurs enfants, laissés encore trop libre du choix et de l’étendue de cet entretien8. Auparavant encore, ce furent les prétentions alimentai- res de la femme mariée ou celles des enfants naturels qui concentraient sur elles le regard polémique, respectivement des doctrines médiévale et moderne.

6.Pour cette raison, on ne peut pas décrire la formation du droit aux aliments contemporain en faisant abstraction des a priori qui y commandèrent puissamment, qu’ils aient été exprimés aussi bien par l’évidence ou la nature des faits que par celles du droit. S’il appartient, certes, au technicien de dépasser ces considérations pour

p. 326; ID., «Paie et tais-toi!», R.T.D.civ. 1996, p. 600; ID., note, sous 1re Chambre civile, 25 juin 1996,R.T.D.civ. 1996, p. 602; ID., observations, sous 1re Chambre civile, 29 mai 1996, R.T.D.civ.

1996, p. 602; ID., observations, sous 2e chambre civile, 2 mars 1994, R.T.D. civ. 1994, p. 847; ID., note,R.T.D.civ. 1993, p. 576; ID., observations, R.T.D.civ. 1991, p. 732; ID., L’obligation civile d’entretien du jeune majeur, Lille 1991, p. 174; les prémices de cette tendance se trouvaient déjà chez C.-B.-M. TOULLIER, Le droit civil français suivant l’ordre du Code civil, t. II, 1839, n° 613, p. 6: «… les magistrats ne doivent jamais perdre de vue qu’en accordant trop facilement des pen- sions alimentaires à des majeurs, et surtout en fixant ces pensions à des sommes considérables, ils favoriseraient la paresse et l’indépendance des enfans, et porteraient atteint à la morale publi- que.».

7 Pour la presse écrite, quelques espèces récentes plus cocasses que représentatives de la jurispru- dence suffirent cependant à entreprendre une campagne médiatique: voir «Quand les enfants as- signent leurs parents», Libération, 8 février 1999; «Portez plainte contre vos parents», Le Figaro, 25 janvier 2000, France-société p. 7; «Un juge effaré», ibidem, p. 8, qui rapporte les propos édi- fiants d’un juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Paris: «Je trouve cette procédure stupide sur le fond. Aujourd’hui, tout étudiant, s’il le veut, peut travailler pour se nour- rir. […] l’article 203 ne doit pas permettre aux jeunes de mener une action de petits-bourgeois contre leurs géniteurs»; «Oui notre fille menace de nous poursuivre», Le Figaro, 26 janvier 2000, France-société p. 8; «Comment ramener notre fils à la raison?», Le Figaro, 27 janvier 2000, France-société p. 7: où des parents aisés, dont le fils étudiant à l’I. E. P. de Paris les a fait condam- ner aux aliments, prétendent engager une procédure devant la Cour internationale de Justice de La Haye et le Haut Commissariat aux droits de l’homme de Genève pour «prouver l’inconstitu- tionnalité de l’article 203 du Code civil et le mépris de la constitution française pour quelques-uns des droits de l’homme et du citoyen» (sic); «Parents-étudiants: l’article 203 en question», Le Figa- ro, 27 janvier 2000, France-société p. 10.

8 Le plus explicite est F. LAURENT, Principes de droit civil français, Paris 1869, t. I, p. 58: «Le père peut ne pas remplir le devoir que la loi lui impose. Il peut refuser à son enfant les soins matériels dont il a besoin, il peut lui refuser la nourriture de l’âme. Les tribunaux pourront-ils priver ce père indigne de son pouvoir d’éducation? Merlin dit que cela est sans exemple. […] En tout cas nous signalons une lacune et nous n’entendons pas approuver le pouvoir absolu du père. Ce pou- voir absolu est un non-sens juridique. Il y a un droit absolu, c’est celui de l’enfant à être élevé; le père a le devoir de veiller à cette éducation; comment un devoir se transformerait-il en pouvoir absolu?».

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pénétrer les règles qu’elles ont déterminées, il faut néanmoins savoir les garder à l’esprit, sous peine de se laisser abuser par les prétextes théoriques qui fondent les spécificités ad hoc du régime juridique des aliments. Peut-être même est-ce là que réside l’un des indices les plus sûrs de la qualification alimentaire possible d’une institution de secours: dans cette concentration de considérations de sens commun, qui forme trop souvent la seule justification de la nature et de l’hétérodoxie du ré- gime de faveur conféré aux aliments. Cette observation ne suffit évidemment pas à épuiser le problème de la définition de l’institution alimentaire, mais elle peut per- mettre son identification sommaire en cas de doute. Quant au dilemme de la nature de l’obligation alimentaire et de celle des aliments, la séduction exercée par les argu- ments d’évidence sur le discours doctrinal embrouille également la piste. En effet, ce même mot d’aliments évoque indistinctement, et l’obligation elle-même, par une sorte d’ellipse métonymique, et son objet juridique, qui recouvre les prestations matérielles administrées en exécution de l’obligation, et encore l’ensemble des arti- cles de sustentation – certes au sens profane du terme, mais celui-ci tend à phagocy- ter son sens juridique technique en droit contemporain9.

7.Le propos se complexifie d’autant plus qu’il suffit souvent de bien peu pour qu’une notion de technique civile comme les aliments prenne consonance politique10,

9 C’est ainsi que les aliments de l’article 205 ont été redéfinis strictement autour du concept de nourriture, par la jurisprudence récente: voir Cour d’appel de Douai, 28 juillet 1953, Dalloz 1954, p. 477; ce, malgré l’opposition de la doctrine rappelée par: R. SAVATIER, note sous Douai, 28 juillet 1953, op. cit.,loc. cit.

10 Voir aussi J.-B. GEFFROY, «La famille dans la jurisprudence administrative», Dalloz 1986. 1. 3. Le thème paraît être aussi ancien que la réflexion politique contemporaine elle-même, jusqu’à faire partie intégrante des déclarations des droits françaises: voir par exemple, E.-J. SIEYÈS, «Prélimi- naire de la Constitution.Reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme et du ci- toyen»,Orateurs de la Révolution française, t. I:«Les constituants», Paris 1989, p. 1018, art. 25; M.- M.-I. de ROBESPIERRE, «Projet de déclaration des droits de l’homme et du citoyen», ibidem, t. II, art. 11. Ainsi, depuis la fin du XVIIIe siècle, le devoir de la collectivité à l’égard de ses membres les plus démunis a été constamment affirmé par les textes constitutionnels: la constitution du 3 sep- tembre 1791 a créé un établissement général de secours public, anticipant le principe d’un droit aux secours posé par les constitutions ultérieures. La Constitution du 16 février 1848 a été la seule à hiérarchiser ce devoir en mentionnant, dans le § VIIIdu préambule, d’abord le devoir étatique de procurer du travail au citoyen nécessiteux et seulement ensuite celui de seconder la famille dans ses allocations de secours. La Constitution du 19 avril 1946 a érigé ce devoir de la collectivité en un droit de l’homme dans son article 22: «La Nation assure à l’individu et à la famille, les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, de la sécurité matérielle, le repose et les loisirs […] Tout être qui […] se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collecti- vité des moyens convenables d’existence.». On retrouve le dispositif repris par la Constitution du 4 septembre 1958 et dans l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.

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surtout sous la forme verbale du terme11, passant alors de l’obligation alimentaire légale des particuliers au devoir sacré de nourrir de l’Etat12 – et vice versa. Le lien entre ces deux conceptions se tissent encore plus fermement que par le seul fil de l’analogie et de l’idéologie politique, à mesure que la trame du tissu formé par l’Etat, la famille et l’individu se fait plus serrée dans une société donnée13, jusqu’à dessiner en filigrane l’image d’un droit nouveau14. On le voit bien dans la genèse de l’insti- tution alimentaire: elle remonte directement à un choix plus politique que juridique des Antonins qui, lassés d’épuiser leur trésor en pain en plus des jeux, cherchèrent à se substituer des débiteurs d’aliments privés15. De la même façon, l’actualité de la

11 Voir la définition lapidaire mais édifiante d’A. FURETIÈRE, Dictionnaire universel, Paris 1708, V° Alimenter: «Nourrir, fournir les choses necessaires à la vie. Il faut qu’un bon Magistrat donne ordre qu’il y ait toujours dequoy alimenter tous les habitans de sa ville, dequoy alimenter les pau- vres.»; voir aussi, É. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française. Supplément, Paris 1884, V° Alimenter: «ALIMENTER. – HIST. Ajoutez: XVIe s. Ils [les moines mendiants] pratiquoyent et hap- poyent ce dont les poures souffreteux devoyent estre alimentez, SLEIDAN, Hist. de l’estat de la reli- gion et republique sous Charles V, p. 83, verso. Desquelz [pauvres] il nourrissoit et alimentoit tous les jours un grand et inestimable nombre, PARADIN, Chron.de Savoye, p. 341».

12 Voir le fameux article 21 de la constitution de 1793, qui disposait que les «secours sont une dette sacrée.»; sur l’influence de la constitution de l’An II sur la politique et la doctrine sociales françai- ses du XIXe siècle, voir A. SAYAG, Essai sur le besoin créateur de droit, Paris 1969, p. 93 texte et note, et pp. 102-122.

13 Voir J. HAUSER et D. HUET-WEILLER, Traité de droit civil. La famille. Fondation et vie de la famille, Paris 1993, n. 1296-1298, pp. 881-882.

14 A propos de la dialectique alimentaire jouant entre le droit privé et le droit public, on peut se demander jusqu’où le droit à subsistances (pluriel) civil n’a pas influencé un droit à subsistance (singulier) public, jusqu’à configurer le fameux «droit à la vie». On voit une trace de ce processus dans un discours de Robespierre, énonçant que: «La premier droit est celui d’exister; la première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister; toutes les autres sont subordonnées à celle-là. La propriété n’a été instituée ou garantie que pour la ci- menter; c’est pour vivre d’abord que l’on a des propriétés. Il n’est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l’homme sont aussi sacrés que la vie elle-même […] D’après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances? Le voici: assurer à les membres de la société la jouissance de la proportion de fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence.»: M.-M.-I. de ROBESPIERRE, «Discours du 2 décembre 1792», Œuvres, t. IX, Paris 1958, p. 112. Dans ce cas, la synthèse logique du propos entamé par les Constituants révolutionnaire à propos des déclara- tions des droits de l’homme se trouverait dans les déclarations actuelles: la Convention euro- péenne de sauvegarde des droits de l’homme, qui consacre positivement le «droit à la vie» dans son article 2; la Déclaration universelle des droits de l’homme, dans son article 3; le Pacte inter- national des Nations unies relatif aux droits civils et politiques, dans son article 6.

15 J. DECLAREUIL, «Paternité et filiation légitime», Mélanges P. F. Girard, t. I, p. 335 sq.; R.

MONIER,Manuel élémentaire de droit romain, Paris 1960, t. I, p. 190; E. ALBERTARIO, Sul diritto

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question alimentaire fait remonter à la surface des enjeux budgétaires comparables, sous les espèces contemporaines de la répétition des aides sociales auprès de débi- teurs d’aliments privés16 et de la subsidiarité de la solidarité nationale par rapport à l’entraide familiale17.

8.Toutefois, cette dimension politique des aliments ne serait encore que d’un in- térêt limité en termes de pure technique civile, limité aux résurgences conjoncturelles de la question du devoir évergétique de l’Etat, si le droit canon n’avait pas été confronté aux provocations théologiques d’un droit originel de chacun aux aliments, qui menaçait de bouleverser la donne alimentaire civile. Cela ne veut pas dire que la prise d’aliments conçue comme une revendication plus légitime que la propriété, comme une garantie plus ancienne que le droit civil lui-même, pût être recueillie telle quelle par les romanistes, ni par les canonistes d’ailleurs, mais qu’il fallut, pour l’en- diguer, que ces derniers acceptassent de laisser leur doctrine se pénétrer d’une nou- velle articulation des droits naturel et positif. Une organisation en droits permissifs, défensifs et subjectifs qui finit par se répandre en masse, aussi bien chez les civilistes que chez les publicistes, après sa cristallisation jusnaturaliste moderne. Par ce biais, la question du droit naturel aux aliments s’est trouvée aux origines du processus intellectuel qui a abouti aux constitutions politiques occidentales de forte inspiration jusnaturaliste, de ces deux derniers siècles.

9.Ainsi, la mise en perspective historique révèle que la question des aliments est rien moins qu’anodine, sa position de pièce rapportée, reléguée au dernier rang de l’étude des institutions familiales dans les manuels français contemporains, ne de- vant pas faire accroire que son importance dogmatique est à la mesure de son traite- ment pédagogique.

agli alimenti, Pavia 1925, p. 6; G. S. PENE VIDARI, Ricerche sul diritto agli alimenti I. L’obbligo ‹ex lege› dei familiari sui guiristi dei secc. XII-XIV, Torino 1972, p. 13.

16 Voir par exemple, CONSEIL D’ÉTAT, Aide sociale, obligation alimentaire et patrimoine, Paris 1999, pp. 7-27; les auteurs civilistes français ne mentionnent que rarement ce caractère de l’obli- gation alimentaire, contrairement à leurs collègues belges, par exemple, qui se déterminent pourtant par rapport à une législation alimentaire jumelle: voir E. BRUNET, J. SERVAIS et C.

RESTEAU (dir.), Répertoire pratique du droit belge, Bruylant & L. G. D. J., Bruxelles et Paris 1949, V° Aliments.

17 Voir CONSEIL D’ÉTAT, op. cit., pp. 9-16; cette subsidiarité, particulièrement importante pour le versement du revenu minimum d’insertion, fonde également la pratique des assistantes sociales auprès du C.R.O.U.S., lorsqu’elles expliquent aux étudiants issus de familles aisées l’impossibilité de leur faire bénéficier des allocations prévues pour les plus démunis et ne peuvent que leur conseiller de faire jouer les dispositions de l’article 203 auprès de leur débiteurs d’aliments; sur la matière à scandale qui peut s’en dégager, voir supra note 6.

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1. Objet

10.La place stratégique de l’institution alimentaire légale au sein de notre système de droit occidental se dégage plus facilement contemplée dans sa dimension historique, que lorsqu’on s’essaye ex abrupto à son analyse conceptuelle en termes uniquement positivistes. De ce point de vue, il resterait de nombreux chapitres de la théorie géné- rale des aliments à écrire. Pour répondre à ce défi, une histoire des idées juridiques concernant les obligations alimentaires serait cependant parfaitement déraisonnable.

Il ne peut pas être question de faire état en une seule étude de tout ce qui s’est écrit sur chaque aspect de leur régime, durant la période qui s’étend de la renaissance juridique du XIIe siècle jusqu’aux codifications contemporaines. En revanche, il est possible, peut-être même souhaitable, de mettre en lumière l’existence de concepts fondamentaux en la matière, autour desquels une construction cohérente a pu se réaliser. Il s’agirait alors d’initier une étude de la doctrine des aliments dont la di- mension historique ne céderait rien à la conceptuelle, pour essayer de mettre en évidence la formation d’un véritable corps doctrinal sur la matière et permettre d’en isoler les structures, dégageant en somme un «système doctrinal des aliments»18.

11.En effet, c’est la permanence – et sur certains points la rémanence – de traits saillants, qui permettent à une institution de constituer un concept et de survivre aux manipulations législatives, doctrinales, jurisprudentielles ou coutumières; qui ont permis en matière alimentaire que les devoirs mis en scène aux articles 205 et sui-

18 Sur la vogue du terme «système», voir T. TAURAN, «Que faut-il entendre par système en matière juridique? (Remarques personnelles sur les critères permettant de définir la notion de système), R. R. J., 2001, n° 89, p. 1530: «Les définitions, en général abstraites, du mot système laissent appa- raître deux grandes significations, l’une que l’on pourrait qualifier d’organique ou institution- nelle, l’autre davantage doctrinale. D’une part, ensemble possédant une structure, constituant un tout organique (Robert, V° Système): le système n’est alors qu’un dispositif, un appareil au fonc- tionnement logique; d’autre part, c’est aussi un ensemble organisé d’éléments intellectuels qui présentent entre eux une unité.»; p. 1151: «Si le terme rencontre un tel succès, c’est parce qu’il est l’indicateur d’un raisonnement qui se veut scientifique, il induit l’esprit de synthèse, la rigueur.»;

on pourrait ajouter qu’il permet également de se référer au structuralisme sans être lié par sa méthodologie spécifique; enfin, qu’il sous-entend que l’étude est parvenue à dégager les éléments les plus pertinents de la matière, voire qu’elle met au jour des fonctionnements cachés. Le succès actuel du terme système emporte celui de ses dérivés, systémiqueet surtout systématique, et si la fortune de ce dernier adjectif est déjà ancienne, celle de sa forme substancialisée est en devenir:

pour l’exemple récent le plus célèbre, voir: F. BERROD, La systématique des voies de droit com- munautaire, Editions Dalloz, Paris 2003. Quand aux implications de fond de la systématisation juridique, qu’on se rapporte à l’expression du Professeur Renoux-Zagamé décrivant «la mise en système des lois comme moyen de salut», M.-F. RENOUX-ZAGAME, Du droit de Dieu au droit de l’homme, Paris 2003, p. 51 sq., pp. 78-116.

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vants du Code civil soient reconnus comme obligation alimentaire légale; qui ont permis que d’autres créances ou dettes en soient rapprochées ou au contraire écar- tées. En matière alimentaire, comme ailleurs, c’est son régime juridique qui a soute- nu l’institution, en même temps qu’il l’a marqué de ses caractères et identifié; qui a permis de postuler une continuité entre ceux de ses avatars qui respectaient ces ca- ractères19. L’obligation alimentaire légale, comme toute institution, n’a pu persister dans le temps que par la subsistance de traits identitaires, avec cette originalité en matière d’aliments qu’ils ont résulté d’une création essentiellement doctrinale. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la doctrine ait érigé cette obligation ex nihilo.

12.A l’origine de notre droit occidental, la liberté de construction de la doctrine des aliments a été limitée ab initio par le contenu de l’héritage romain, de la même façon qu’en droit commun. Les glossateurs avaient perçu chez Justinien un certain nombre de solutions pratiques permettant d’attribuer des secours, dans la conver- gence desquelles ils décelèrent un germe doctrinal susceptible d’être développé. Il leur revient d’avoir su dégager de cette base les principaux thèmes qui se retrouvent encore dans notre doctrine contemporaine des aliments, en exploitant à la fois le modèle et le langage que leur fournissait le droit romain. Si le contenu technique du terme même d’alimenta a toujours laissé une part aux appréciations casuistiques et conjoncturelles, l’étalon de l’obligation alimentaire que la doctrine crut trouver dans les fragments du Corpus juris civilis put lui servir de référent jusqu’aux auteurs contemporains, au point que tout ce qui fait notre système doctrinal des aliments a pu, et peut encore, se légitimer sur la base des dispositions transmises par Justinien.

13.C’est là sans doute que se situe le point crucial: dans l’originalité du droit ali- mentaire romain par rapport au système romain lui-même. Celle-ci circonscrit une autonomie de l’institution qui servit à définir par la négative tous les mécanismes de secours d’origine non romaine comme des obligations alimentaires conventionnel-

19 De nombreux auteurs contemporains enseignent au contraire que c’est la «destination alimen- taire» d’une obligation qui lui confère son «caractère alimentaire»: voir J. PELISSIER, Les obliga- tions alimentaires. Unité ou diversité, Lyon 1961: «… sont alimentaires toutes les prestations ayant pour objet d’assurer à une personne des moyens d’existence.»; ESMEIN, Gazette du Palais, 1959, I, Chroniques, p. 18: «Il n’y a, à proprement parler, obligations et rentes de caractère ali- mentaire que lorsque le créancier a besoin des sommes dues pour vivre.». Cette dernière proposi- tion supposerait que toute prestation pût prendre une nature alimentaire de facto. A condition d’être utilisée par le créancier pour se procurer sa subsistance. Ainsi, un salaire, un dividende ou n’importe quel fruit ou revenu, si l’on s’en tient à l’exigence d’une rente, même un gain au jeu et pourquoi pas le bénéfice d’un recel de fausse monnaie, d’un vol… pourraient alors se voir recon- naître un caractère alimentaire et le régime spécifique qui lui est attribué, pourvu que l’opération ait eu pour effet, voire uniquement pour objet, d’assurer des aliments à l’agent. Qu’il soit permis de considérer cette doctrine ambitieuse.

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les, des obligations non légales. De cette façon l’espèce particulière qui forme l’obliga- tion alimentaire légale fut érigée en paradigme du droit alimentaire, définissant et délimitant les autres espèces – de nature coutumière ou de régime législatif différent – comme des exceptions aux principes qui la déterminent, voire comme leurs oppo- sés. Par cette emprise ontologique qu’on lui reconnut, l’obligation alimentaire vérita- ble dut être romaine ou n’être pas. Les sujets qui s’imposèrent alors à l’attention de la doctrine se divisent suivant deux ordres de considérations. D’abord, il a fallu que la doctrine savante dégage les caractères du droit légal aux aliments – ce qui comprend la définition des aliments, la délimitation du droit dans ses sujets et dans sa matière, la caractérisation de son régime particulier. Ensuite, il appartint à la doctrine contemporaine de synthétiser ce qu’elle avait perçu de l’enseignement médiéval, pour articuler le régime et la nature spécifiques de l’obligation alimentaire légale avec la théorie générale des obligations contemporaine.

14.Quant au regain d’intérêt récent du législateur pour la question des solidarités familiales, qui s’est manifesté ces dernières années par un nombre considérable de rapports officiels20 et de réformes législatives21, il ne semble pas avoir motivé pour autant, en doctrine, de véritable volonté de se saisir de la matière22. Un phénomène d’autant plus curieux que le rôle de la doctrine dans l’histoire de l’encadrement juri- dique de l’aide alimentaire fut absolument prépondérant, sans commune mesure avec le très faible intérêt qu’y ont porté, depuis Justinien, les différentes coutumes et législations. Plus étrange encore, cette considération que même lorsqu’il se trouve des civilistes pour aborder le sujet actuellement, ils tendent à le présenter sous un angle privilégiant une approche et un enjeu sociologiques ou économiques de l’insti- tution alimentaire, délaissant quelque peu les aspects conceptuel et de technique civile au profit des considérations socio-économiques23. Quant aux historiens du

20 Par exemple: A. VIALIES (député), Rapport. Prestation compensatoire. Deuxième lecture, Assem- blée nationale, Paris 2000; CONSEIL D’ÉTAT, Aide sociale, obligation alimentaire et patrimoine, op. cit.,loc. cit.

21 Loi n° 2000-596, du 30 juin 2000, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, J. O. R. F. du 1er juillet 2000, p. 9946; loi n° 75-617, du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce, op.cit.

22 Seules quelques rares études de ces toutes dernières années ont essayé de mettre à l’épreuve les concepts dominants en matière alimentaire, encore n’était-ce que pour l’obligation d’éducation et d’entretien que l’article 203 fait peser sur les parents à l’égard de leurs enfants: voir J. VINE,

«L’obligation d’entretien des enfants majeurs: Recherche de la nature juridique de l’obligation», R. R. J., n° 89, 2001, pp. 1289-1360; N. RAYNAUD DE LAGE, «L’entretien, contribution à l’étude de la conservation», R. R. J., n° 90, 2001, pp. 1269-1295.

23 Voir M.-P. CAMPROUX, Le juge et les solidarités familiales en matière d’obligations alimentaires, thèse droit, Lyon 1992; D. EVERAERT, L’obligation alimentaire, thèse droit, Lille 1992;

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droit, leur intérêt semble avoir décliné au milieu du siècle dernier pour la doctrine la plus active24, alors que, s’il est une institution réputée dériver directement des lois compilées au Corpus de Justinien, c’est bien celle des aliments légaux.

15.L’explication de cette défection pour les études conceptuelles et historiques de la matière se trouve peut-être, paradoxalement, dans son caractère doctrinal trop marqué. En un temps de kelsénisme diffus mais triomphant, où le formalisme et la hiérarchie des normes forment les référents théoriques primordiaux, la place de l’obligation alimentaire légale en droit privé a de quoi dérouter à plus d’un titre: elle ne repose que sur quelques articles du Code civil, au demeurant très maladroitement rédigés25 – et encore plus maladroitement distribués, entre des dispositions traitant de mariage26, de filiation27 et de successions28 pour ne citer que les occurrences les plus connues29. Cette imprécision et cette dispersion, alliées à la concision des dispo- sitifs législatifs alimentaires, ont laissé à la doctrine contemporaine la licence de développer et d’organiser le régime de l’obligation alimentaire légale sur des considé- rations d’opportunité et d’analogie, révélatrices d’une «pensée alimentaire» com- plexe en même temps que d’une logique juridique difficilement réductible aux seuls

B. GORCHS, Des obligations «alimentaires» dans la relation conjugale ou parentale. Essai d’analyse judiciaire ou discours sur l’implicite, thèse droit, Paris II, 1997.

24 Il s’agit de la doctrine italienne, avec les études de: E. ALBERTARIO, Sul diritto agli alimenti,op.

cit.; G. BO, Il diritto agli alimenti. Natura del diritto et soggetti, Padova 1932; F. LANFRANCHI,

«‹Ius exponendi› e obbligo alimentare nel diritto romano-classico», Studia et documenta historiæ juris, n° 6, 1940, pp. 5-69; B. BIONDI, Diritto romano cristiano, t. III, Milano 1954; l’exception de G. S. PENE-VIDARI, Ricerche sul diritto agli alimenti I. L’obbligo ‹ex lege› dei familiari sui guiristi dei secc. XII-XIV,op. cit., de 1972 ne suffit pas à elle-seule pour infirmer la tendance.

25 La doctrine est unanime sur le sujet, des premiers exégètes aux auteurs actuels; pour la référence la plus récente à ce jour, voir J. VINE, op. cit., p. 1290, n° 2.

26 Art. 205 et suivants, mais aussi les articles 203 et 204 concernant l’obligation d’éducation et d’entretien; art. 213 et suivants sur les devoirs des époux et les charges du mariage; art. 270 sur la prestation compensatoire; art. 288 et suivants sur la contribution à l’entretien de l’enfant majeur.

27 Art. 340-4 sur les cas d’ouverture de l’action en reconnaissance de paternité naturelle; art. 371 sur le devoir de respect des enfants envers les parents; art. 371-2 sur l’autorité parentale; art. 375-8 relatif aux mesures d’assistances éducatives; art. 385 sur l’incidence de la fortune propre de l’enfant sur sa contribution à ses propres frais d’entretien.

28 Art. 342, art. 342-1, art. 342-2, art. 342-3 et art. 342-5 du Code civil sur l’action à fins de subsides de l’enfant naturel dont la filiation paternelle n’a pas été légalement établie.

29 En matière de donation: art. 955; en matière de divorce: art. 288 et 293 sur la contribution des parents divorcés à l’entretien et à l’éducation des enfants; art. 915-2, issu de la loi n° 72-3 du 3 janvier 1972, qui permet à l’enfant adultérin dans le besoin de demander une pension alimentaire à la succession contre l’abandon de ses droits aux héritiers; en matière de compensation:

art. 1293; en matière de saisie: art. 2092-2, abrogé par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991; en matière de paiement: art. 1247; en matière de prescription: art. 2277.

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termes de la hiérarchie normative, difficilement solubles dans la proposition qui amalgame cette obligation légale avec une obligation de source législative.

16.Il est vrai, également, que la matière représente en soi un paradoxe doctrinal qui peut rebuter. En effet, dites «légales», les obligations alimentaires spécialement visées au Code civil n’en reste pas moins une construction de source principalement doctrinale; qualifiées d’«obligations», elles sont néanmoins présentées au titre du droit de la famille; organisant le jeu des solidarités familiales, elles n’en restent pas moins soumises aux principes et à la terminologie de la théorie générale des obliga- tions; relevant du droit privé et de la compétence exclusive de l’ordre judiciaire, sa pratique intéresse au premier chef les établissements publics et territoriaux, dans leur souci de se substituer des débiteurs privés capables d’assumer une partie de la charge finale des allocations publiques versées30. Une trop grande complexité suggé- rant souvent une incohérence théorique, sinon un arbitraire pratique, la nécessité d’une présentation structurelle de l’institution n’en devient que plus criante, d’autant plus urgente que le législateur commence de s’y intéresser de plus près.

2. Délimitation

17.L’objectif principal d’une étude historique des aliments ne peut consister qu’en une recherche des origines et des structures de l’obligation alimentaire légale fran- çaise31. Cette entreprise revient toutefois à préciser un fond qui est commun à tous les systèmes juridiques issus du droit civil médiéval et influencés par les constructions canoniques. Par ailleurs, si la doctrine française eut une influence sur les législations étrangères contemporaines à mesure de la diffusion du Code civil, elle se sentit moins en matière alimentaire qu’en droit commun. Il en fut ainsi, notamment, parce que ces solutions françaises ne se fondaient plus, formellement, sur les sources romaines mais sur une intégration de leur esprit dans un nouveau corps de lois. Elles détermi- nèrent alors une construction doctrinale qui ne respectait plus qu’indirectement la tradition romaniste, encore vive à l’étranger dès qu’il s’agissait d’aliments. C’est ainsi que les solutions françaises contemporaines ne connurent que des échos limités dans

30 Voir A. VIALIES (député), Rapport. Prestation compensatoire. Deuxième lecture,op. cit.,loc. cit.;

CONSEIL d’ÉTAT, Aide sociale, obligation alimentaire et patrimoine,op. cit.,loc. cit.

31 Les développements sur les autres systèmes ou institutions de secours n’auront pas leur place dans une étude consacrée exclusivement à l’obligation alimentaire légale, notamment les disposi- tions coutumières. Pour une étude de ces dernières, se reporter à J. de LAPLANCHE, La soute- nance ou pourvéance dans le droit coutumier français aux XIIIe et XIVe siècles, Paris 1952.

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les doctrines étrangères – une influence réduite aux seules doctrines italienne et belge32. Si tous les systèmes juridiques occidentaux arrivèrent pour la plupart à des constructions alimentaires équivalentes, ils y vinrent par leurs propres moyens plus que par l’effet de l’influence générale du droit français sur le droit européen au XIXe

siècle33. La convergence des solutions reste cependant telle, que l’identité de structure de l’institution alimentaire en droit occidental ne laisse de surprendre, même lorsque l’on sort des systèmes juridiques de tradition fortement romaine pour observer le régime de l’obligation alimentaire légale en common law34 ou en droit socialiste35. Dans tous les cas, elle est toujours présentée comme une obligation légale, récipro- que, variable et pécuniaire, de fourniture du nécessaire vital au sein d’un cercle res- treint d’intimes, proportionnée aux facultés et besoins respectifs des parties, et as- sortie d’un régime fortement dérogatoire au droit commun.

18. En France, après un siècle d’effervescence doctrinale où il s’est agi d’harmo- niser l’enseignement traditionnel sur les aliments avec les nouvelles sources codi- fiées, on a pu croire qu’avec le XXe siècle s’ouvrait une période où le système était définitivement formé. La plupart des querelles anciennes ayant enfin trouvé une solution qui faisait l’unanimité doctrinale, le terrain des aliments pouvait sembler pacifié, l’intérêt doctrinal se dissipa. Toutefois, la persistance de désaccords résiduels sur des questions essentielles, comme la nature ou encore l’unité de l’obligation ali- mentaire36, l’absence d’accord sur l’encadrement conceptuel et théorique de l’institu-

32 Il semblerait que cela ne soit que la conséquence de l’influence générale de l’ensemble du Code civil sur le droit italien au XIXe siècle, voir A. CAVANNA, «L’influence juridique française en Italie auXIXesiècle»,Revue d’histoire du droit français et étranger, n° 15, 1994, pp. 87-113.

33 Sur cette influence, voir: F. RANIERI, «Rezeption und Assimilation ausländischer Rechtspre- chung, dargestellt am Beispiel des europäischen Einflusses der französischen Judikatur im 19.

Jahrhundert»,Ius commune, n° 6, 1977, pp. 202-233; W. WILHELM, «Bemerkungen zur Rezepti- on ausländischen Rechts», Ius commune, n° 5, 1975, pp. 122-137.

34 Pour le Royaume-Uni de Grande Bretagne: E. CLIVE, «Royaume-Uni», L’obligation alimentaire.

Etude de droit interne comparé, t. I, Paris 1983, pp. 11-178; pour les Etats-Unis d’Amérique: A.-A.

LEVASSEUR et M.-A. GLENDON, «Etats-Unis», Ibidem, pp. 179-444; pour le Canada: E.

CARPARROS, «Canada», Ibid., pp. 11-178.

35 Pour la République Démocratique Allemande, M.-J. FOY, «R. D. A.», Ibid., t. II., Paris 1984, 211- 278. Pour la Yougoslavie: L. RADOVANOVIC, «Yougoslavie», Ibid., pp. 339-423. Pour la Pologne, T. SMYCZYNSCKI, «Pologne», Ibid., pp. 117-210. Pour la Hongrie, M. NARAY, «Hongrie», Ibid., pp. 29-116. Pour la République Populaire de Chine, T.-H. TSIEN, «Chine», Ibid., pp. 11-28. Pour l’Union Soviétique, l’article collectif «U. R. S. S.», Ibid., pp. 279-338; P. CHAPLET, La famille en Russie Soviétique, Paris 1929, p. 271 sq. et p. 277 sq.; B. ELIACHEVITCH, P. TAGER, B. NOLDE, Traité de droit civil et commercial des Soviets, Paris 1930, t. III, p. 359.

36 Pour des études récentes construites autour de cette problématique, voir F. DERRIDA, L’obliga- tion d’entretien. Obligation des parents d’élever leurs enfants, Thèse droit, Alger 1947; J.

PELISSIER, Les obligations alimentaires. Unité ou diversité, thèse droit, Lyon 1961; D. EVERAERT,

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tion37, de même que les velléités législatives contemporaines d’en réformer certains aspects en méconnaissance complète de la nature et de l’histoire des aliments38, obli- gent à prolonger l’étude au-delà de ce terme. C’est pourquoi, par-delà la codification contemporaine et sa doctrine immédiate, il faut suivre les errements du système doctrinal des aliments chez les auteurs et dans la législation les plus récents39.

19. Pour mener une telle entreprise à bien, s’agissant d’une institution essentiel- lement doctrinale, il faut garder à l’esprit que le champ d’étude abordé n’est que celui du discours: en tant qu’il est, certes, l’essence même du droit40, mais aussi dans son rôle de source formelle de la norme juridique41. S’agissant d’une institution alimen- taire que ce discours aime à présenter comme universelle et intemporelle, l’étude doit s’étendre alors des «droits non codifiés»42 des sommes doctrinales au code romain, jusqu’aux traités doctrinaux du code le plus récent, sans préjudice d’époque ni de nationalité. Ce qui ne va pas sans poser de problèmes méthodologiques redoutables43, sans compter la dimension nationaliste que prennent souvent les questions histori- ques, telles la querelle du mos gallicus et du mos italicus qui piège toute référence au jus commune dans une étude de droit français44, et sans préjudice de l’illusion histo- riographique rétrospective qui tend à induire que les sources étaient spécialisées, ordonnées et regroupées ab initio45. En effet, la diversité et l’étendue des sources

L’obligation alimentaire: essai sur les relations de dépendance économique au sein de la famille, thèse droit, Lille 1992.

37 Voir L. CABANTOUS, Des quasi-contrats en général. Des aliments dus en vertu de la loi, Paris 1841.

38 Loi n° 75-617, du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce, op. cit.; loi n° 2000-596, du 30 juin 2000, relative à la prestation compensatoire en matière de divorce, op. cit.

39 L’extension de l’histoire du droit à ce que l’on nomme généralement l’«histoire contemporaine»

n’est plus de nos jours une entreprise intrépide, certains auteurs ayant même considéré que le 20e siècle appartenait déjà à l’histoire du droit avant même qu’il ne se fût achevé, comme J.

RÜCKERT, «Das 20. Jahrhundert in der Rechtgeschichte», Ius commune, n° 22, 1995, pp. 311-325.

40 P. LEGENDRE, L’inestimable objet de la transmission. Etude sur le principe généalogique en Occi- dent, Paris 1983, surtout p.127 sq.; IDEM, Leçons II. L’empire de la vérité. Introduction aux espaces dogmatiques industriels, Paris 1983.

41 L’importance de la fonction de source du droit de la doctrine d’ancien droit a été particulièrement soulignée par A.-J. ARNAUD, Les origines doctrinales du Code civil français, Paris 1969, notam- ment p. 4 sq.

42 M.-F. RENOUX-ZAGAME, «La méthode du droit commun: réflexions sur la logique des droits non-codifiés»,Revue des facultés de droit et de la science juridique, n° 10-11, 1990, pp. 133-152.

43 Voir H. COING, «Trois méthodes d’interprétation du droit. Glossateurs, pandectistes, école de l’exégèse», Revue historique de droit français et étranger, n° 48, Paris 1970, pp. 531-543.

44 Pour une opinion récente sur les dilemmes posés par le jus commune, voir M.-F. RENOUX- ZAGAME,Du droit de Dieu au droit de l’homme,op. cit., p. 51 sq.

45 Cf. ibidem, pp. 51-52: «Que pour faire fonctionner ensemble des groupes de normes non liées entre elles par leurs sources, le juriste soit inévitablement conduit à les considérer, hic et nun,

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disponibles ne permettent pas de les présenter en bloc homogène, même si on essaye de postuler une articulation entre des sous-groupes qui supposeraient une certaine cohérence interne.

20. Ainsi, des brèves remarques des premiers glossateurs jusqu’aux manuels contemporains, il y eut de copieux commentaires du XIVe au XVIe siècles, les disserta- tions humanistes, les traités jusnaturalistes, les exégèses au Code civil, les tentations historiques, pandectistes et bien d’autres encore, qui composent plus qu’une mosaï- que. Ils forment des continents du droit à la tectonique complexe, arbitrairement scindés en hémisphères opposées par la ligne d’équateur qui sépare le champ laïque de l’ecclésiastique: d’un côté les compilations de Justinien, de l’autre celles qui for- ment le Corpus juris canonici, sans préjudice des matières apparentées mais déta- chées qui permettent de les relier, comme le droit féodal, le droit coutumier, la prati- que notariale, la théologie ou encore la morale. La tentation se fait alors puissante de scinder l’étude en articulations chronologiques ou encore par matières, comme au- tant d’espaces autonomes. Les dangers d’une telle démarche ne sont plus à démon- trer46. Pas plus qu’il n’est possible de traiter chaque matière comme si leurs auteurs n’avaient su lire que leurs maîtres, sans influence des doctrines voisines, il n’est sou- haitable d’isoler le développement de chaque pensée par des coupures chronologi- ques qui sont plus pédagogiques que dogmatiques, entre glossateurs, commenta- teurs, humanistes, auteurs du jus commune, jusnaturalistes, pandectistes, exégètes, romanistes et positivistes contemporains, sans préjudice de toutes les catégorisations intermédiaires possibles47. A peine pourrait-on retenir pour certaines hypothèses un

pour les besoins de son raisonnement, comme les éléments d’une totalité qui s’ordonne autour de principes qui leur soient communs, cela ne fait guère de doute […]. Mais doit-on pour autant croire, même si effectivement nombre de juristes de l’ancien droit l’ont cru, que ces principes proclamés communs pour les besoins d’une cause ou du raisonnement, étaient eux-mêmes autre chose que des adjuvants rendus nécessaires par l’incomplétude et l’hétérogénéité de l’ordonnan- cement juridique antérieur à l’ère des codification […]?», (c’est l’auteur qui souligne). Cette ob- servation est saisissante au point qu’on est tenté de la généraliser, pour pouvoir l’étendre même aux «groupes de normes» liées «entre elles par une source commune» et lui faire franchir ainsi le mur des codifications qui la délimitent en aval par le Code civil et en amont par le Corpus du Jus- tinien.

46 Voir P. LEGENDRE, «Le droit romain, modèle et langage. De la signification de l’Utrumque Ius», Etudes d’histoire du droit canonique dédiées à G. Le Bras, Paris 1965, t. II, pp. 913-930.

47 Voir E. M. MEIJERS, «Sommes, lectures et commentaires (1100-1250)», Etudes d’histoire du droit, R. FEENSTRA et H. F. W. FISCHER (éd.), Leyde 1959, t. IV, pp. 211-244; F. W. P. SOETERMEYER,

«Une catégorie de commentaires peu connue. Les ‹commenta› ou ‹lecturæ› inédits des prédéces- seurs d’Odofrède», Rivista internazionale di diritto comune, n° 2, pp. 47-67; B. PARADISI, «Os- servazioni sull’uso del metodo dialettico nei glossatori del sec. XII.», Atti del convegno internazio- nale di Studi Accursiani (Bologna, 21-26 ottobre 1963), Milano 1968, t. II, pp. 621-636.

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classement national après l’avènement des codes contemporains, pour signaler quel- ques particularismes locaux, mais la grande homogénéité d’esprit des dispositions alimentaires en droit comparé ne nécessite pas d’alourdir le raisonnement de la sorte.

21. C’est donc d’une manière globale que doit s’analyser l’histoire de la construc- tion doctrinale des aliments, en assumant les risques d’anachronisme et de syncré- tisme qui sont inhérents à cette démarche, mais qui sont, somme toute, moins dan- gereux que la certitude du manichéisme. S’il a semblé techniquement possible de poursuivre les investigations jusqu’au droit contemporain, c’est autant en raison de la spécificité d’une matière qui a été voulue non seulement universelle mais encore intemporelle, que des longues périodes d’unanimité doctrinale qui ont formé des paliers relatifs de plusieurs centaines d’années dans l’évolution de l’institution. Cela permit de proposer une étude qui ne s’écroulât pas sous le poids des siècles traités.

En outre, s’en tenir aux doctrines savantes, même tardives, aurait imposé de s’arrêter au moment même où la doctrine préparait l’une des reconfigurations les plus inté- ressantes de l’institution, par sa réception au Code civil français au rang d’obligation civile. C’eût été cautionner, de surcroît, le défaut d’inactualité si injustement et pourtant si souvent reproché aux historiens du droit. C’eût été méconnaître les di- mensions diachroniques de toute épistémologie. C’eût été confondre l’histoire avec l’étude du passé48.

3. Méthode et sources

22. Le plus grand nombre possible d’œuvres a été sondé sur la matière, des plus anciennes aux plus récentes, mais en choisissant de ne retenir que celles qui eurent un impact véritable sur la formation de la doctrine. C’est ainsi qu’il a pu être néces- saire, parfois, de s’attarder dans les méandres d’une controverse qui ne s’est étendue que sur quelques années, mais qui demeure primordiale pour l’intelligence de la matière en formation, alors que, par ailleurs, des centaines d’années de répétitions bartolisantes ont pu ne donner lieu qu’à une brève mention. De même pour les opi-

48 Alors que le projet de respecter la continuité historique du droit romain jusqu’au droit contempo- rain ne manque pourtant pas de prédécesseurs illustres pour en valider la méthode, que l’on songe aux thèses pionnières des professeurs Baud et Poughon: J.-P. BAUD, Le système doctrinal du partage, Thèse Droit, Paris X, 1971; J.-M. POUGHON, Histoire doctrinale de l’échange, Paris 1987; ou que l’on se reporte à l’exemple récent de X. BIOY, Le concept de personne humaine en droit public.Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Paris 2003.

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nions isolées, quelle qu’ait pu être parfois leur originalité, elles n’ont pas pu trouver grande place dans l’étude d’une histoire doctrinale à laquelle elles n’ont, par défini- tion, pas pris grande part. En revanche, lorsqu’une idée rarement reprise présentait cependant l’avantage d’offrir une cohérence au sujet, on n’a pas pu la rejeter simple- ment en raison de la rareté de ses occurrences ou de son caractère minoritaire. En permettant d’expliquer le système, fut-ce a posteriori, elle prouve qu’elle s’y intègre par nature et en participait pleinement. Sa diffusion doctrinale n’est alors pas la me- sure de son importance dogmatique, d’autant moins que la rareté n’est pas toujours révélatrice d’une dissidence de pensée qui a avorté, elle constitue souvent l’indice d’une évidence restée implicite.

23.La méthodologie des sources s’est imposée à celle de leur étude. L’art de la disputatio et son raisonnement par références déférentes a initié une chaîne doctri- nale dont les principes sont en grande partie étrangers aux exigences de l’historio- graphie contemporaine49. On ne peut ainsi retracer la formation du système doctrinal qu’en considération de la cohérence de ces enchaînements référentiels, d’autant plus que le travail sur l’authenticité des œuvres n’offre que peu de secours en la matière.

En effet, si les variantes des textes imprimés les rendent souvent suspects, leur concordance n’est pas rassurante pour autant50. Quant aux manuscrits, ils n’offrent guère plus de garantie de cohérence, les exemples de variations n’étant pas moindres.

Ainsi, s’il est impossible de faire confiance, par exemple, à l’édition imprimée des sommes de Placentin51 ou encore à l’édition parisienne de la Lectura Codicis de Jac- ques de Révigny52, le recours aux manuscrits ne résout rien.

24. En effet, le manuscrit parisien qui contient une version de l’œuvre de Jacques de Révigny53 peut certes paraître plus fidèle à l’enseignement du maître, en raison de son honorable ancienneté et des précisions qu’il révèle. Cependant, il ne reproduit la lectura que partiellement, obligeant de toutes manières à recourir à l’édition impri-

49 Voir M. BELLOMO, «Der Text erklärt den Text. Über die Anfänge der mittelalterlichen Jurispru- denz»,Rivista Internazionale di diritto comune, n° 4, 1993, pp. 51-63; V. PIANO MORTARI,

«L’argumentum ab auctoritate nel pensiero dei guiristi medievali.», Dogmatica e interpretazione, I Giuristi medievali, Napoli 1976, pp. 75-92; P. WEIMAR, «Die legistische Literatur und die Me- thode des Rechtsunterrichts der Glossatorenzeit», Ius commune, n° 2, 1969, pp. 43-83; N. HORN,

«Die juristische Literatur der Kommentatorenzeit», Ius commune,op. cit., pp. 84-129.

50 Sur l’impact de l’impression des textes juridiques médiévaux sur le contenu de ces textes lui- même, voir: D. OLSTER, «Towards a legal-historical Bibliography: A census of 16th Century Legal Imprints»,Ius commune, n° 15, 1988, pp. 231-232.

51 Voir P. LEGENDRE, «Fragment d’un manuscrit perdu de la Summa Institutionum de Placentin», Revue historique de droit français et étranger, 1956, pp. 440-441.

52 Voir J.-P. BAUD, op. cit., p. 13.

53 PARIS, Bibl. Nat., ms. lat. 14350.

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mée, suspecte, pour combler ses lacunes. De plus, en cas de discordance entre ces deux versions manuscrite et imprimée, ce n’est que sur la foi de l’avertissement de l’éditeur de la seconde, se plaignant de n’avoir eu en main qu’une version corrom- pue, qu’on peut la disqualifier54, sans garantie pour autant ni sur une meilleure au- thenticité de la première, ni sur la valeur de cet avertissement. D’une manière plus générale, ce genre de dilemme historiographique ne comporte jamais de solution théorique satisfaisante, seules des considérations contingentes permettent, sinon de s’en dégager, du moins de s’en accommoder, en considération de la postérité doctri- nale du propos. En matière alimentaire, cette contingence réside également dans le très faible nombre de manuscrits inédits traitant du sujet et qui oblige à faire confiance aux éditions imprimées. Le travail effectué par Gian Savino Pene Vidari sur les sources médiévales de l’obligation alimentaire légale confirme cette rareté, en recensant moins d’une dizaine de documents inédits dans toute son étude et dont aucun ne permet de mettre en doute les documents édités55.

25. Historiquement, les nœuds de la matière alimentaire se trouvent aux deux extrêmes de l’histoire doctrinale occidentale, chez les glossateurs du droit romain et les exégètes du Code civil. En effet, chacune de ces deux écoles eut à son époque, à interpréter, rassembler et organiser en une théorie cohérente des dispositions légi- slatives approximatives en matière d’aliments légaux. Chacune put ainsi marquer d’une empreinte décisive le système des aliments qu’elle léguait à sa postérité, sans pour autant en avoir épuisé entièrement le sujet. Avant la renaissance bolonaise, la Summa perusina qui reproduisait une synthèse simplifiée du droit romain56 men- tionnait déjà le droit aux aliments, mais seulement de façon indirecte57. Avec les pre- mières gloses, la matière ne prit pas plus d’ampleur pour autant58 et Placentin put se

54 JACOBUS DE RAVANIS, Summa codicis, Parisiis 1512, page de titre: «Candide lector exoratum te esse velim ut si qui obiter tibi errores in littera occurerint: quos perpaucos reor: velis benigni corrigere animo […] Adde quod mutuam mihi exemplar tot scatebat erroribus ut nullum pene verbum studiosus quantumcumque intelligere valeret.Sensus quoque sæpissime variatos ac corruptos comperi quos labore non parvo ad competentem deduxi sensum. Vale lector humanis- sime.».

55 Voir G. S. PENE-VIDARI, op. cit.,loc. cit.

56 Voir E. CORTESE, «Alle origine della scula di Bologna», Rivista internazionale di diritto comune, 1994, t. IV, pp. 7-49.

57 F. PATTETA (éd.), «Adnotationes Codicum domini Iustitiani (Summa Perusina)», Bulletino dell’Istituto di diritto romano, t. XII, Roma 1900, pp. 147-148.

58 On en trouve rien dans le Corpus legum sive Brachylogus iuris civilis… ineditam incerti scriptoris Epitomen iuris civilis medio duodecimo sæculo, E. BÖCKING (éd.), F. Dümmler, Berolini 1829; il n’y a que peu de références dans: «Fonti delle Exceptiones legum romanarum», Scritti giuridici preirneriani, C. G. MOR (éd.), Milano 1935, pp. 72, 168, 171, 180, 203-204, 142 et 202; voir aussi:

«Exceptiones legum romanarum», Scritti giuridici preirneriani, t. II, C. G. MOR (éd.), Milano

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contenter de ne l’évoquer que brièvement59. Il fallut attendre que les élèves de Gio- vanni Bassiano aient commencé à développer quelque peu le sujet, pour que le thème ait pu prendre son essor60.

26. En premier lieu, Azon, qui approfondit l’examen des dispositions alimentai- res du Code de Justinien61 pour en dégager certaines des caractéristiques fondamen- tales62. Ce qui constitua la première tentative de théorisation doctrinale de la matière par-delà l’exposé des solutions particulières. C’est Hugolinus, ensuite, qui offre un témoignage précieux en ce qu’il essaya de rassembler toutes les opinions qui ont pu agiter les glossateurs sur les questions alimentaires, tout en élargissant le champ d’investigation au Digeste et en organisant la matière selon cette division des ali- ments légaux et conventionnels qui demeura la distinction fondamentale – à cet égard, son influence sur l’école d’Accurse fut décisive63. La contribution la plus im- portante vint ensuite de Roffredo da Benevento, qui approfondit l’organisation théo- rique des aliments, présentant leurs aspects procéduraux et leurs caractéristiques conceptuelles64, pour réaliser une des œuvres les plus complètes sur la théorie ali- mentaire65. Quant à la synthèse réalisée sur le sujet dans l’œuvre d’Accurse, elle est

1938, pp. 61, 62, 67, 79, 81, 195 et 199; «Opuscula Bulgari», Studies in the Glossators of the roman law, H. KANTOROWICZ (éd.), p. 248; Summa codicis des Irnerius, H. FITTING (éd.), Berlin 1894, pp. 36, 145, 154 et 155; «Rogerii Summa codicis», B. I. M. Æ., t. I, G. B. PALMIERI (éd.), Bononiæ 1888, pp. 30, 96, 97, 99, 100, 145, 154 et 155; «Quæstiones dominorum bononiensum. Collectio parisiensis»,B. I. M. Æ., t. I, G. B. PALMIERI (éd.), Bononiæ 1888, p. 184, n. 80; «Antiquis- simorum Glossatorum distinctiones», B. I. M. Æ., t. II, G. B. PALMIERI (éd.), Bononiæ 1892, p. 163, n. 58; «Authenticarum collectio antiqua», B. I. M. Æ., t. III, G. B. PALMIERI (éd.), Bono- niæ 1901, p. 88; «Abbreviatio Codicis»,B. I. M. Æ., t. I-2, G. B. PALMIERI (éd.), Bononiæ 1914, p. 270; «Yrnerii formularium tabellionum», B. I. M. Æ., t. I, G. B. PALMIERI (éd.), p. 209; «Johan- nis Bassiani libellus de ordine iudiciorum»,B. I. M. Æ., t. II, N. TANASSIA et G. B. PALMIERI (éd.), pp. 217, 219, 385 et 439.

59 P. PLACENTINUS, Summa Codicis, Maguntiæ 1536, réimpr. anast. Augustæ Taurinorum 1962, pp. 61-63, 204, 212, 215-218, 228, 302 et 411.

60 Voir G. S. PENE-VIDARI, op. cit., pp. 47-48.

61 AZON, Summa Codicis, Papie 1506, réimp. anast. Augustæ Taurinorum 1966, surtout p. 192 mais aussi: pp. 38, 178, 183-185, 189, 193 et 322-333; à l’étranger, la dénomination latine «Azo Portius»

est la seule qui soit référencée, mais en France, la plupart des catalogues, index et répertoires ne connaissent que l’entrée «Azon».

62 Voir G. S. PENE-VIDARI, op. cit., p. 48.

63 Voir G. S. PENE-VIDARI, op. cit., p. 49.

64 ROFFREDO DA BENEVENTO, «De officio judicis quo petuntur alimenta», Libelli juris civilis, Libelli juris canonici, Quæstiones Sabbatinæ, Avignon 1500, réimpr. anast., Ex officina Erasmiana, Augustæ Taurinorum 1968, pp. 222-224, c. 111v°-112v°.

65 ROFFREDO DA BENEVENTO, «Quæstiones sabbatinæ», op. cit., pp. 453-454, 457, 447-448, 461- 462, 477-478.

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