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Le malade et son médecin : le cadre de la relation thérapeutique dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle1

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Le malade et son médecin : le cadre de la relation thérapeutique dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle1

MICHELINE LOUIS-COURVOISIER

Résumé. Si l'intimité du colloque singulier entre un malade et son médecin reste en partie inaccessible à tout observateur extérieur, il n'en demeure pas moins que des facteurs historiques, sociaux et culturels conditionnent cette ren- contre. Une analyse de tels facteurs procure un cadre à la relation thérapeutique et fournit des éléments de comparaison susceptibles d'éclairer le présent. C'est dans cette perspective que s'inscrit cette publication, basée sur environ 1 300 consultations épistolaires envoyées au Dr Tissot, célèbre médecin suisse, qui exerca entre 1750 et 1797. La plupart de ces documents, rédigés par des malades ou par des médiateurs «laïcs», témoignent de la manière dont les malades et leurs proches percoivent la figure sociale du médecin, concoivent les notions de pouvoir, d'argent, de temps et d'espace, qui s'inscrivent au sein de l'interaction entre le médecin et son patient.

Abstract. If the intimacy of the private conversation between the doctor and his patient cannot be penetrated by any external observer, it remains that his- torical, social, and cultural factors around this meeting can be examined and contextualized. With this perspective, this publication presents a reflection on the context of the therapeutic relationship in the second part of the 18th century.

This study is based on about 1,300 consultations written to Dr. Tissot, famous Swiss physician who practised between 1750 and 1797. Most of these accounts, coming from patients or their lay mediators, show how the authors perceived the figure of the doctor, and their relation to money, time, and space. Al1 of

,

these elements are considered to determine the nature of this relationship.

Une archive telle que le millier de lettres et de mémoires de consulta- tions écrites au Dr Tissot, célèbre médecin lausannois de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, offre une richesse exceptionnelle2. Elle ouvre une infinité de perspectives de recherche, que l'on s'intéresse à l'histoire

Micheline Louis-Courvoisier, Chargée d'enseignement, Programme Medical h~unanities, Unité de recherche et d'enseignement en bioéthique, Faculté de Médecine, Genève.

CBMH/BCHM / Volume 18: 2001 / p. 277-296

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des mentalités, ou à celle des sentiments ou des émotions, à celle des âges de la vie, de l'habitat, de l'alimentation ou encore de la dépen- dance, pour n'en citer que quelques-unes. Le regard posé sur l'enfant, sur le mariage et les relations conjugales côtoient les témoignages rela- tifs à l'habitat ou l'habillement, la solitude, la violence, le travail. Mais sa richesse devient spectaculaire lorsque l'on considère le fourmille- ment d'indices liés au corps, à la santé et à la maladie. Expression de malades ou de leurs proches, elle déverse par milliers les dysfonc- tionnements du corps, retrace les innombrables thérapeutiques mises en oeuvre, et les négociations liées à ces traitements, relate les conflits entre soignants et malades, témoigne des conséquences physiques et morales de la maladie sur le patient et son entourage3.

Face à un tel foisonnement, le «risque d'engloutissementn est bien réel, de même que le «piège), qui consiste à «être absorbée par l'archive au point de ne même plus savoir comment l'interr~ger»~. Plusieurs options peuvent nous sortir de l'impasse : isoler un certain nombre de documents ayant un point commun (un même malade5, une affe~tion)~; composer un échantillon de consultations et lui poser une grille de lecture spécifique7;

procéder par sondage pour illustrer une isoler quelques documents pour en analyser dans le détail le contenu9; tenir compte de l'ensemble des documents et formuler une question bien précise, et dégager ainsi des tendances représentatives de l'ensemble du corpus d'archi~es'~. C'est dans cette dernière perspective que ce travail s'inscrit.

Il ne prétend pas entrer au coeur de la relation thérapeutique, mais plutôt brosser un cadre dans lequel cette relation se déroule.

Avant d'entamer une réflexion sur les facteurs historiques, sociaux et culturels, propres au conditionnement de la relation médecin-malade, il est nécessaire de s'interroger sur ce qu'est cette relation. Comment la cerner, et surtout comment la définir? Le dictionnaire de la langue française, sous l'entrée «relation», nous propose la définition suivante :

((Activité ou situation dans laquelle plusieurs personnes sont suscepti-

I bles d'agir mutuellement les unes sur les autres; lien de dépendance ou d'influence réciproque))". L'auteur de la rubrique nous renvoie aussi à d'autres notions voisines, telles que contact, communication, connais- sance, mais aussi : récit, histoire. Cette diversité de sens est assez révéla- trice de la complexité de la relation médecin-malade. Complexe, cette relation l'est aussi en tant qu'interaction, qui convoque non seulement deux individus12, mais aussi deux fonctions, celle du médecin (vers le- quel on se tourne avec une demande de soins), et celle de la personne qui devient patient à un moment précis13. Elle se déroule donc sur deux niveaux au moins; le premier recouvre le contact entre deux individus, faqonnés chacun par leur propre histoire de vie, leurs expériences per- sonnelles, indépendantes de leur trajectoire professionnelle. L'intimité

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de ce contact, que certains appellent aussi colloque singulier14, n'appar- tient qu'aux deux individus en question. «The closing of the consulting- room describes a unique space and the external environment becomes irrelevanb, écrit un médecin à ce propos15. Ce contact échappe à tout observateur extérieur, et encore plus à l'historien, quand il travaille sur la relation entre médecins et malades disparus depuis longtemps.

Même fondée sur les récits de malades, l'histoire du patient demeure une construction dépendante de l'approche de l'historien qui fait écran à l'intimité de cette rencontre16.

Toutefois on peut considérer la relation médecin-malade à un autre niveau, celui du social; elle est en effet conditionnée par des facteurs extérieurs aux individus en question, et inhérents à la société à laquelle ils appartiennent17; ces facteurs peuvent cette fois être accessibles au re- gard de ((l'étranger,,, et donc de l'historien18. Ce travail vise à donner un éclairage sur quelques-uns de ces éléments susceptibles d'influencer cette relation, et sur les ruptures et les continuités que l'on peut per- cevoir à cet égard entre le XVIIIe siècle et le début du XXIe siècle.

Précisons que cette forme de consultation par correspondance relève d'une pratique courante au cours du siècle des Lumières19. Elles nous informent non seulement sur la relation thérapeutique entre Tissot et ses malades, mais aussi sur celle qui s'est établie entre les patients et leurs saignants lors de consultations antérieures à ces lettres. Précisons aussi que la grande majorité des malades qui s'adressent au docteur Tis- sot appartiennent à une élite socio-culturelle, ce qui interdit une généralisation qui s'étendrait à toute la société du XVIIIe siècle20.

C'est en lisant par centaines ces lettres, toutes différentes les unes des autres puisqu'elles sont l'expression d'une histoire individuelle, que l'on s'aperçoit que la relation médecin-malade s'inscrit, au-delà des in- dividus, dans un cadre temporel, spatial et culturel. Comme on l'a vu plus haut, divers facteurs délimitent ce cadre et participent à un schéma relationnel typique d'une époque donnée : la figure publique du méde-

l cin, les rapports de force entre médecins et malades, la question de l'ar- gent et des honoraires, la temporalité et l'espace de la consultation.

Soulignons d'emblée que ces déterminants ne sont pas liés intrinsèque- ment au domaine de la santé, mais constituent des principes organisa- teurs de la société en général, qui se répercutent dans le champ des pra- tiques et des représentations en matière de santé.

LA FIGURE DU MÉDECIN ET LA CONFIANCE QU'ELLE SUSCITE

Quelle est l'image du médecin et de la médecine qui s'impose, à un mo- ment donné, dans une société? Question importante pour saisir par- tiellement ce qui se joue dans la relation médecin-malade. Cette figure du médecin, dont la définition varie selon les époques, engendre un

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imaginaire collectif sur lequel se fondent souvent les attentes des pa- tients. De nos jours, comme a su le dire le philosophe Alain Finkiel- kraut, «le soin du corps a pris le pas sur le soin de l'âme. L'intérêt pour les soins médicaux a augmenté en même temps que diminuait l'intérêt pour les soins religieux. Chez les chrétiens médiévaux, c'est l'éternité qui était un bien reconnu. Chez les modernes, c'est la longévité. On ne s'adresse plus au prêtre, mais au médecin pour obtenir le salut. Car le salut est devenu synonyme de santé»21. Certaines découvertes théra- peutiques effectuées au cours de ces deux derniers siècles, comme celles des antibiotiques, ont suscité des espoirs réalistes et légitimes dans la lutte contre les maladies bactériennes. Sur la base de ces découvertes bien réelles s'est construite une image de puissance de la médecine, im- age qui influence les attentes des malades.

Si ces attentes sont actuellement plus grandes qu'auparavant, il faut toutefois relever que la santé est un bien tout aussi précieux pour les malades d'autrefois - du moins pour ceux qui ont le temps et les moy- ens de s'en préoccuper

-,

que pour ceux d'auj~urd'hui~~. Certains pas- sages sont très explicites à ce sujet. Monsieur Ernest, qui s'adresse à Tis- sot pour des douleurs rhumatismales, écrit: «Vous sçavez, Monsieur, que l'on sacriffie tout pour sa santé»23; pour Monsieur Larrey, qui souffre de multiples symptômes, la santé représente «le bien le plus précieux après la vertu, et dont le prix est si grand, surtout pour un père de famille qui a sept enfants à élever et à pousser dans le monde»24.

Toutefois, même si «les médecins n'ont pas mis fin au scandale d'être les progrès réels réalisés au XIXe et au XXe siècles ont re- poussé les limites de la médecine; ils renforcent l'idée d'une médecine puissante, conquérante, attribuant par là-même davantage de poids à la figure médicale.

Cette figure se construit également par référence à une appartenance professionnelle bien délimitée. Sous l'Ancien Régime, l'identification professionnelle est, de manière générale, moins nécessaire pour se si-

! tuer socialement qu'aujourd'hui. Pour s'en convaincre, il suffit de se référer aux lettres des malades. En effet, sur les 840 auteurs déjà réper- toriés, environ 260 mentionnent la profession du malade. Dans leur his- toire de vie, les patients -ou leurs médiateurs -ne ressentent pas la nécessité de restituer, lorsqu'ils en ont une, leur occupation profession- nelle. D'ailleurs la valorisation du travail est beaucoup moins forte qu'elle ne l'est aujourd'hui, et vivre de ses rentes est parfaitement ac- ceptable et admis par la société d ' a ~ t r e f o i s ~ ~ . Cette constatation vaut aussi pour les médecins; certains indices montrent que l'importance du statut socio-culturel attaché à la profession du médecin est moins grande sous l'Ancien Régime, en raison d'une identification profession- nelle moins i m p ~ r t a n t e ~ ~ . Ainsi, dans ces lettres, lorsque les malades

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évoquent les médecins consultés préalablement, ils ne font que rare- ment précéder le nom de ces médecins par le terme de «docteur», et beaucoup plus fréquemment par celui de «Monsieur,,. Il en est de même lorsqu'un médecin évoque l'un de ses confrères.

Cependant, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, la figure du médecin commence à prendre des contours plus nets2s. En effet, partout en Europe se créent des Sociétés de médecine et de chirurgie, au sein desquelles le corporatisme (ciment de l'identité professionnelle) peut se développer avec plus d'ampleur. Ce corporatisme avait déjà pris ses ra- cines, notamment avec l'essor des facultés de médecine, mais ces so- ciétés nouvelles rassemblent tous les praticiens, sans se limiter unique- ment à ceux qui s'illustrent dans le milieu a ~ a d é m i q u e ~ ~ . Le médecin en tant que tel commence à prendre sa place dans la société en général, et s'engage d'ailleurs de plus en plus dans la vie politique de sa cité. Il de- vient dès lors plus visible et son pouvoir s'accroît30.

La confiance des malades envers la corporation médicale constitue l'un des indices de la représentation de cette dernière dans une so- ciété31. Or, dans cette source, plusieurs lettres expriment la défiance du malade envers les médecins en général. A cet égard, deux récrimina- tions sont récurrentes; la première est à mettre en relation avec une mauvaise écoute du malade de la part du médecin : «[

. . .

] toutes mes plaintes n'ont servi qu'à me faire regarder de leur part comme un hypo- condriaque, et à obtenir presque point de soulagement», affirme le che- valier de Bellefontaine, dans une lettre du 25 novembre 177232. Le mar- quis d'Aglie, écrit, quant à lui, à propos de sa femme pour laquelle on a essayé d'innombrables thérapeutiques: «Il y a un tems infini que j'avertis nos medecins de mes inquietudes, ils ne comencent qu'à present à en convenir; et vous savés qu'ils se conviennent ordinaire- ment trop tard»33. Le deuxième reproche touche l'esprit livresque et dogmatique des médecins. Monsieur de Servan l'exprime clairement, lorsqu'il écrit à Tissot, lui aussi à propos de sa femme malade, qui vient

I juste de commencer un nouveau traitement; elle est en effet «[

. . .

] con- firmée dans cette idée par la personne qui luy donne ses soins, et qui, sans etre medecin, s'est apliqué depuis quelques années à connoitre plus particulierement les affections histeriques et hypocondriaques, ainsy que les maux de poitrine, voyant perir tous les jours, sous ses yeux, un nombre considerable de personnes victimes de l'entetement et des préjugés des medecins, qui tiennent encore et malgré leur experi- ence au sisteme destructeur dont ils ne veulent point se departird4. Si la critique est ici particulièrement bien exprimée, elle n'en est pas pour au- tant isolée, et relaie ce que d'autres malades écrivent sur le sujet. Mon- sieur Gualtien écrit quant à lui : «Je n'ai nulle confiance dans nos mede- cins, ce sont des gens à systheme, et qui plient tout à cela; ils n'ont pas

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du tout le coup d'oeïl observateur et leur fanatisme pour les systhemes et les hypotheses ne leur permet pas de voir ou d'etudier la nature»35.

Ces documents suggèrent que l'assise professionnelle du corps médical au sein de la société n'est pas assez solide pour susciter une confiance

réd définie^^.

En revanche, la réputation personnelle de Tissot, ses qua- lités humaines, sa compétence et la confiance qu'il inspire, sont de loin les raisons les plus explicites qui motivent les patients à entrer en con- tact avec lui3'. La personne même du médecin lausannois, qui traverse les frontières en raison de ses nombreux ouvrages de vulgarisation médicale, mais aussi à cause de l'expérience de praticien dont ces livres témoignent, engendre justement cette confiance. «Il n'y a que les grands homes, et ceux qui savent sentir, comme vous, qui soient susceptibles [sic], tandis que le vulgaire des medecins attend avec indifference que les periodes de la maladie indiquent les remedes d'usage en pareil cas>>38, affirme encore Monsieur dlAglie. Monsieur Cherot du Marois se rallie clairement à cette opinion : votre avis, écrit-il, «[

. . .

] me tranquil- isera infiniment plus que la consultation d'une faculté entiere de mede- cins, tels que ceux que je vois tous les jours»39. Et la comtesse de Mouroux prie «instamment» Tissot : «[ .

. .

] de ne faire aucune attention aux ordonnances de son médecin, puisqu'elle n'a de confiance qu'en Tissot s'exprime dans le même sens, quand il émet le souhait que «les medecins [soient] generalement plus observateurs et moins systématiques», dans une consultation adressée à Monsieur Ferber, concernant ses maux de nerfs41.

La lecture de cette archive du XVIIIe siècle montre que les malades fondent leur choix, en matière de soignant, sur des critères liés à la per- sonne, et pas forcément à un cursus académique ou à une formation professionnelle bien précise. Lachmund et Stollberg, dans une étude qu'ils ont fondée sur des autobiographies, ont également relevé l'im- portance de la personnalité et du comportement du médecin, critères tout aussi importants si ce n'est plus que ses connaissances scienti-

I fi que^^^. Ceci peut expliquer le tourisme médical effectué par les malades de l'Ancien Régime. En effet, non seulement ils changent souvent de médecins, et en consultent même simultanément plusieurs, mais aussi et surtout, ils se tournent fréquemment vers d'autres pra- tiques, très répandues à l'époque43, pratiques déployées aussi bien par des ecclésiastiques, des magnétiseurs, des oculistes ou experts en tous genres. L'éventail des saignants à disposition en cas de maladie est large, et les patients profitent de toute l'étendue de l'offre pour reléguer le médecin au rang d'un thérapeute parmi d'autred4.

La figure publique du médecin a une incidence certaine sur la relation médecin-malade, et cette figure est constamment en mu ta tion. Celle du médecin des années 1950 n'est plus la même que celle d'aujourd'hui,

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qui, semble-t-il, subit des modifications en profondeur4? Il est vrai que de nos jours, la confiance des malades envers les médecins paraît égale- ment entamée, mais pour des motifs qui diffèrent de ceux qui sont ex- primés sous l'Ancien Régime. Comme au XVIIIe siècle, les patients d'aujourd'hui se plaignent de ne pas être entendus par leur soignant;

toutefois, leur reproche n'est pas dirigé contre une culture trop livresque, mais contre le développement d'une technologie qui s'est im- posée comme médiatrice entre le patient et le médecin. Cette technolo- gie aurait en quelque sorte remplacé le livre, comme obstacle dans la communication entre le malade et son docteur. Par ailleurs, si beaucoup de malades, à l'instar de leurs ancêtres, se tournent actuellement vers le pluralisme médical, une telle attitude est conséquence d'une réaction face à une figure médicale trop imposante, figure qui, au XVIIIe siècle, n'était qu'esquisse.

LES RAPPORTS DE FORCE

La question de la figure publique du médecin nous amène à considérer celle du rapport de force qui existe entre un médecin et son malade.

Jusque dans les années 1990, le médecin est celui qui «sait». Non seule- ment il fait de longues études pour s'approprier la science médicale, mais en plus, il acquiert, dans sa formation post-graduée, les moyens nécessaires pour décoder le corps du malade par le filtre d'un large éventail de technologies raffinées. D'une manière un peu caricaturale, on peut dire que le médecin domine le malade en raison du savoir médical qu'il est le seul à maîtriser. Dans l'état actuel des recherches, il est encore difficile de dégager qui, du malade ou du médecin, domi- nerait la relation thérapeutique au XVIIIe siècle. En revanche, la lecture des lettres suggère que le pouvoir du médecin, s'il existe, ne s'articule pas autour d'une suprématie du savoir médical sur l'ignorance du pa- tient. Les malades46 maîtrisent dans l'ensemble très bien le discours

l médical et sont au fait des théories qui sous-tendent la pratique47. Il en résulte un partage du savoir médical, ou en tous cas un langage partagé entre médecins et malades autour de la maladie48. L'échange s'élabore sur un dialogue relativement équilibré, et il n'est pas rare que le patient donne une explication scientifique de ce dont il souffre. En s'adressant à un médecin, il cherche plutôt une confirmation du diagnostic qu'il a déjà lui-même établi49. Par ailleurs, les négociations autour des traite- ments sont nombreuses, et surtout argumentées de la part des maladess0. Ce partage des champs sémantiques s'avère parfois pro- blématique : il pose la question de l'autorité, ressentie comme nécessaire dans certains cas. Ainsi, la marquise de Chastenay, qui selon ses dires et à propos de ses maux de nerfs, n'a pas cessé d'argumenter et de négocier les traitements prescrits par des médecins préalablement consultés; elle

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mesure les limites d'un tel comportement quand elle demande à Tissot : ((Je suis réellement à plaindre; donnés-moi un moyen, prescrivés-moi un régime; raisonnés-moi plustôt, mais de ces choses frappantes, où il n'y aye pas de réplique, et lesquelles me tiendront lieu de raison quand la mienne m'abandonnera,>". Elle réclame une attitude claire et autoritaire du médecin lausannois, qui doit être capable de lui imposer son point de vue. Quelques années plus tard, Cabanis s'exprime dans le même sens quand il écrit : «il faut une autorité qui captive sa confiance [du malade]

[

. . .

] : il faut quelqu'un qui ordonne, afin que tout le monde ne veuille pas ordonner à la fois. Voilà le véritable rôle du médecin [

. . .

],,52.

Cette autorité, basée sur une suprématie de la connaissance scienti- fique du corps médical, a aujourd'hui tendance à s'estomper, en raison notamment des facilités d'accès à la connaissance scientifique offertes par les réseaux informatiques. Des médecins d'aujourd'hui constatent qu'un nombre croissant de leurs patients arrivent à la consultation après avoir wsurfé,, sur internet; s'ils ne maîtrisent pas la science médi- cale dans son intégralité, ces malades sont (ou pensent être), sur un sujet bien spécifique, presque aussi bien informés que leur médecin, et cela grâce à ces nouveaux modes de transmission du savoir53. Là encore, ce partage modifie la relation médecin-malade, reléguant le paternalisme dans le tiroir de la désuétude".

Des sociologues ont posé la question du rapport de force, et donc du partage du pouvoir, entre malade et médecin, du strict point de vue économique de l'échange, arguant qu'au XVIIIe siècle, les médecins dépendaient totalement des patients pour leur propre surviess. On va voir avec le troisième point que si cette affirmation est en partie vérifiée, elle reste tout de même à nuancer.

Aujourd'hui dans certains pays d'Europe, l'argent ne joue plus un rôle

i direct et immédiat dans la relation médecin-malade. Ce dernier paie son assurance et non son thérapeute; il verse une somme forfaitaire, sans aucun lien avec les coûts réels engendrés par sa maladie. La situa- tion est en train de changer, avec notamment l'apparition des fran- c h i s e ~ ~ ~ , qui contraignent les détenteurs d'une telle franchise à s'inter- roger sur la pertinence du recours au médecin en certain cas. Mais avant la forte augmentation des coûts de la santé, et donc des primes de l'assu- rance maladie, chaque assuré pouvait recourir au médecin librement, sans avoir à réfléchir à la question financière engendrée par la consulta- tion.

Quelques historiens se sont penchés sur la problématique de l'échange économique entre soignants et malades57. Sous l'Ancien Régime, de manière générale, on sait que les plus pauvres étaient soignés gratuite-

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ment dans les hôpitaux ou par des médecins et chirurgiens payés par la collectivité. On sait également que les plus riches dépensaient beaucoup d'argent pour leur santé. Preuve en sont les innombrables cures thermales qu'ils entreprennent et les voyages dans toute l'Europe qu'ils font pour consulter les médecins les plus célèbres du moment.

Les lettres adressées à Tissot sont assez avares en informations sur les questions d'argent, Elles laissent tout de même transparaître une sorte de tarification préétablie d'un louis, ou 24 livres, pour une consultation épistolaire. Selon certains auteurs, cette consultation par lettres coûte plus cher que les autres, et parfois même le double, car elle réclame le temps de la rédaction58. Mais ce tarif est loin d'être fixe. Plusieurs malades proposent de payer selon leurs moyens : «A l'égard de la re- compense que je devrai aux bons soins que vous y aporterés, je ne man- querai pas de vous la faire selon toute I'etendüe de mes facultés»59.

D'autres jurent de leur reconnaissance la plus vive, sans que le lecteur soit en mesure de déterminer si cette reconnaissance est économique ou purement rhétorique. D'autres encore s'approprient les honoraires comme moyen de pression. Le comte d'Algouet se propose de ne payer Tissot que lorsqu'il aura reçu une réponse de sa part: ((Aussitost que j'auray reqû vôtre consultation, je vous feray passer l'argent dont je vous seray redevabledo. Une comtesse lui promet 24 livres, et ajoute :

<([.

.

. ] me reservant de me reconnaître plus amplement en faisant part . de l'état de la maladie et de l'effet des remedes que vous prescriredl.

Elle associe donc la récompense de Tissot à son succès thérape~tique~~.

Consulter le médecin lausannois pouvait représenter un gros sacrifice pour certains, comme Monsieur Reydellet, atteint d'épilepsie, pour le- quel sa communauté villageoise organise une collecte visant à permet- tre le déplacement et la consultation à L a ~ s a n n e ~ ~ .

Il est clair qu'avant l'apparition des assurances@, l'argent prenait une part plus grande dans la relation thérapeutique. Mais prétendre que les médecins étaient en règle générale économiquement dépendants de

I leurs malades constitue une généralisation hâtive, que démentent cer- taines lettres du Fonds TissoP5. Plusieurs patients se plaignent en effet d'avoir été abandonnés par leur médecin au cours de leur maladie, ce qui témoigne au moins du fait que les praticiens se sont sentis libres de rompre une relation thérapeutique. Par ailleurs, s'il est avéré que la réa- lité du patronage était nécessaire à la survie de certains médecins, d'au- tres pouvaient se permettre d'entreprendre une formation et des voyages médicaux également onéreux66. Issus de familles fortunées, ils ne consultaient pas forcément pour gagner leur vie. Dans ces cas-là au moins, ils avaient toute latitude pour sélectionner leur clientèle et n'en pas être dépendants. En ce sens, il faut donc remettre en cause le schéma d'une domination unilatérale des malades sur leur médecins.

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286 MICHELINE LOUIS-COURVOISIER LE TEMPS, LA PERCEPTION DE LA MALADIE ET LA CONSULTATION

ÉPISTOLAIRE

«La question du temps est centrale, car notre conception du temps détermine notre manière de voir les choses et les explique. Elle condi- tionne notre interprétation du monde>>67. La conception ou l'aménage- ment du temps au quotidien marque à mes yeux une des plus grande rupture entre l'Ancien Régime et l'époque actuelle. Pour des motifs liés aux développements technologiques en tous genres, aux innombrables sollicitations venant de toutes parts, aux exigences toujours plus grandes pour tout le monde, notre emploi du temps diffère de celui de nos ancêtres. Dès le XIXe siècle, le temps devient linéaire, scientifique et mesurable, donc objectivable; en découle un fossé plus grand entre temps scientifique et réalité de l'expérience individuelle'j8. On observe par ailleurs une tendance au «quadrillage du temps individuel^^^, qui aboutit aujourd'hui à un fractionnement de nos journées, et donc de notre perception du temps. Cette temporalité différente est d'autant plus flagrante lorsque l'on s'intéresse à la perception de la maladie, et surtout lorsque l'on se penche sur la consultation épistolaire.

' A l'époque, plusieurs semaines, voire plusieurs mois, pouvaient passer entre le moment où le malade décidait d'écrire à son médecin, et le moment où ce dernier lui répondait. Une lettre était parfois arrêtée à une poste, ou encore considérablement freinée par des routes en- neigées70. Encore fallait-il ensuite que le médecin réponde, ce qui n'était pas toujours le cas : «Pas répondu, ne connaissant la cause., écrivait Tis- sot sur le dos d'un mémoire de consultation relatant la maladie de Mon- sieur de Courtivron71. Le temps était long, même si tout se passait au mieux: une mère écrit à propos de sa fille: «Faite-moy donc la grace, Monsieur, de me repondre le meme jour que vous reseveray ma lettre.

Si vous aver cette bontté, comme je l'espaire, j'auray de vos nouvelles d'aujourd'hui en quinze; je les attens avec l'impatience d'une mere,

i c'est tout vous dire [

. . .

]>>". Ce délai d'attente, avec en toile de fond la maladie persistante, suppose une conception de l'urgence différente de celle que l'on connaît aujourd'hui. A ce propos, il faut souligner que les malades de Tissot sont atteints le plus souvent de maladies chroniques, comportant des phases aiguës; ce sont généralement ces phases qui les poussent à prendre la plume, leurs souffrances devenant «excessives», comme l'exprime un mari à propos de la maladie de sa femme73. Ils ar- rivent donc à un point de rupture dans la perception de leur douleur, point de rupture qui atteste de la gravité de leur affection. Plusieurs dossiers74 témoignent de cette appréhension du temps, liée à l'attente, elle-même faite d'incertitude. Madame Decheppe de Morville, par exemple, envoie une dizaine de lettres à Tissot, lui décrivant au jour le jour la maladie de son mari, qui souffre continuellement d'une affection

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Le mrilad~ et son médecin 287

dans l'abdomen. Elle écrit son désespoir de ne rien recevoir du médecin lausannois, et s'interroge au passage sur ce silence. Elle exprime son anxiété, qu'elle ne peut partager avec son médecin en raison de son éloignement. Dans ce cas, comme dans d'autres, le malade et son entou- rage ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour égrener leur journée, trouver les gestes au quotidien qui permettent de faire face à la maladie et à la souffrance qu'elle engendre. Ce dossier se termine abruptement sur un dernier document, une «ouverture

Au délai nécessaire à la réception de la réponse du médecin s'ajoute celui de la mise en oeuvre des traitements, dont la disponibilité n'est pas toujours immédiate. Ainsi, Monsieur Vautier doit-il attendre deux semaines avant de mettre en pratique l'ordonnance de Tissot, qu'il avait déjà attendue pendant quelques semaines. En effet, il ne peut se pro- curer rapidement le mercure et la saponaire prescrits par le médecin l a u ~ a n n o i s ~ ~ . De surcroît, l'accessibilité de certaines substances est directement liée à la saison et à l'organisation domestique. En témoigne le docteur Macuson à propos de traitements ordonnés au marquis de Choisy, atteint par la goutte: ((Monsieur m'engage aussi à vous ob- server que lorsqu'il prendra son lait d%nesse, la saison de l'automne es- tant dejà avancée, les frimats ne permettant plus de faire vivre son anesse au vert, le lait n'ait plus la meme efficacité en la faisant vivre au sec, et si dans ce cas, il peut abreger le tems du lait d'anesse [ . . .

1.

Enfin, Monsieur demande s'il pourroit retarder l'usage de vos bouillons de vi- pere jusqu'en mars 1775, attendu que devant passer l'hiver à Nancy, il lui sera plus facile et moins dangereux de les faire préparer chez son ap- pothiquaire, que de tenir provision de ces reptiles chez lui, où ses gens n'auroient point l'adresse et la prudence de les mettre en En raison de circonstances inhérentes à la vie quotidienne du XVIIIe siècle, on s'aperqoit que la perception du temps dans la maladie est différente;

le délai d'attente, d'avis médicaux ou simplement de substances théra- peutiques, se comptait alors en semaines et parfois en mois78. Le seuil

'

de tolérance par rapport à une maladie en est certainement modifié.

Autrefois, les patients devaient avant tout faire appel à leurs propres ressources et à celles de leur entourage, pour composer avec la souf- france, avant de pouvoir faire appel à une aide extérieure.

LE LIEU DE LA CONSULTATION

Le rapport à l'espace conditionne parfois celui établi avec le temps, car le délai d'attente est souvent occasionné par la distance géographique qui sépare le malade de son médecin. Ainsi, plusieurs lettres révèlent que des patients, citadins et fortunés, connaissant des souffrances aiguës, font appeler le médecin en urgence, au milieu de la nuit si néces- saire; ils agissent donc de la même manière que nous le faisons au-

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jourd'hui, grâce aux médecins de garde, à la proximité des hôpitaux, ou encore à la facilité des transports. On pourrait donc dire que le seuil de tolérance à la maladie est relatif, entre autres, à la marge de manoeuvre laissée par le contexte social et géographique des malades et à la facilité d'accès aux soins. En effet, rien ne nous permet d'affirmer que, dans Ifabsolu, les malades d'autrefois acceptaient la souffrance mieux que nous. Les références au secours que pourrait procurer une vie religieuse ou spirituelle plus présente au quotidien sont relativement rares dans nos sources, et ne permettent pas d'affirmer, pour l'instant, que la souf- france était mieux tolérée en raison d'un fatalisme supposé.

Mais au-delà de ces considérations, il s'agit encore de voir comment le rapport à l'espace est susceptible de modifier la relation médecin- malade. Aujourd'hui, la consultation se fait le plus souvent au cabinet du médecin, qui consacre un certain laps de temps, plus ou moins prédéterminé, à chacun de ses malades. Si l'un d'entre eqx nécessite plus de temps, il reviendra le nombre de consultations nécessaires. Sous l'Ancien Régime, les consultations sont beaucoup moins fréquentes que les visites à domicile79. Le malade reste donc le plus souvent dans son cadre familier, sans avoir à s'adapter à un environnement qui lui est étranger. En plus de ce déplacement généralisé du lieu de consultation, certains malades, là encore les plus fortunés, font venir leur médecin pour plusieurs jours. D'autres lui demandent de les accompagner pen- dant un long voyage. La duchesse de Civrac sollicite la présence du doc- teur Desvergnes pendant plusieurs mois : «Il a pour moi toutes les qua- lités qui inspirent la confiance, et toutes celles de la société; il ne me quite pas, et c'est un sacrifice, car il a l'estime et la confiance de toute sa province^^^. Dans ces circonstances s'opère un échange entre le soi- gnant et le soigné, qui non seulement tourne autour de la maladie, mais s'élargit aussi au partage du quotidien. Les repas sont pris ensemble, des promenades sont faites de concert, des carrosses sont partagés, au- tant de moments susceptibles de favoriser une intimité débordant large-

1 ment du cadre bien défini de la consultation. Ces instants partagés peu- vent alors favoriser le sentiment d'amitié (philia), qui devrait être à la base de la relation thérapeutique pour Lain ~ n t r a l g o ~ l . Cette proximité se traduit parfois dans la forme du discours tenu par les médecins. Le docteur Cosnier s'associe à la souffrance de sa patiente : «Tout va fort bien jusques-là, mais l'ennui de la solitude monastique, le desir ardent de revoir la famille nous possede si fort [

. .

.]fis2. Le docteur Risler s'ex- prime dans le même sens, à propos d'une de ses patientes, sur la demande de laquelle il écrit à Tissot; «[

.

.

.

Idesirant donc de lui rendre ce service, non seulement par vocation comme son medecin ordinaire, mais même par un attachement particulier [

.

. . ]». Plus loin dans sa let- tre, il utilise également la première personne du pluriel, pour rapporter

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l'absence d'efficacité de ses thérapeutiques : . . . ] quoique la malade prenrie constamment ses remedes, il me semble que nous n'avons pas fait de grands p r o g r è ~ ~ ~ ~ .

CONCLUSION

Nous avons vu quelques-uns des éléments qui servent à définir la cadre de la relation médecin-malade au XVIIIe siècle. D'autres éléments doivent être encore étudiés pour compléter ce travail. Il conviendrait notamment, dans ce contexte, d'explorer le rapport au corps dans cette relation. Quelques indices révèlent la relative fréquence de l'examen physique, et contredisent les affirmations de certains historiens, qui s'appuient sur l'importance quantitative de la consultation épistolaire au XVIIIe siècle pour relever la mature marginale,, de cette forme d'exa- mens% La palpation, mais aussi les touchers en tous genres sont expli- cites dans les lettres du XVIIIe siècle. En outre, le recours à Tissot s'effec- tue souvent à la suite de consultations physiques avec des soignants, aux cours desquelles les médecins ou les chirurgiens ont examiné le corps du malade, et font état de leurs observations dans la lettre. Tissot peut alors s'appuyer sur l'examen physique pratiqué par ses collègues pour établir son diagnostic. Il arrive parfois qu'il demande lui-même à l'un de ses collègues d'effectuer un toucher sur l'un de ses malades, et de lui en écrire le compte-rendus? Les pratiques relatives au corps, mais aussi ((l'expérience intime,)s6 du corps telle qu'elle est décrite dans ces lettres constituent des champs d'investigation également importants à la compréhension de la relation thérapeutique. La perception de la douleur, et son expression au travers de tels récits, représente un des éléments fondamentaux de la relation médecin-malade, surtout lorsque l'on sait que plus d'un millier des consultations envoyées à Tissot font suite à un trouble de la sensation corporelle, notamment dû à une douleur, quelle qu'elle soit. Cette question n'a été effleurée qu'à regret

I dans ce travail, car elle mérite de faire l'objet d'une recherche pour elle-même. Comme le souligne Roselyne Rey, la précision de la descrip- tion de la douleur est nécessaire pour faciliter le diagnostic du médecin;

or ces lettres sont le terreau idéal pour en découvrir son expressions7.

Elles redonnent la parole aux corps souffrants dont on a voulu objec- tiver les maux, et parfois nier la souffrance en résistant à l'introduction de narcose lors des opérationsss. Il faudrait aussi s'interroger sur la place de la religion dans la relation thérapeutique et dans la perception de la souffrance. On pourrait penser qu'une dimension spirituelle im- plique un allégement de la responsabilité du médecin face à la souf- france de ses patients. Mais il est étonnant de constater que les lettres sont relativement silencieuses sur ce sujet. Et finalement, la lecture de ces témoignages indique clairement que la relation médecin-malade ne

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se résume pas uniquement à une dynamique duale, mais convoque plusieurs personnes «satellites)), telles que des parents ou d'autres proches, concernées par la maladie d'un des leurs.

Certains facteurs organisateurs de la relation médecin-malade ont passablement évolué au cours des siècles. Et avec la modification de ces paramètres, la relation elle-même a aussi subi de profondes transforma- tions. La figure d u médecin s'est peu à peu imposée au sein de la collec- tivité, modifiant ainsi les attentes et les espoirs, souvent justifiés, parfois fantasmatiques, de la société. Les rapports de force, difficiles à saisir, sont constamment en mutation, en raison notamment de la mobilité de la figure du médecin, mais aussi de l'accessibilité aux connaissances en matière de théorie médicale. La relation au temps et à l'espace, con- sidérablement modifiée entre le XVIIIe et la fin du XXe siècle, marque un point de rupture important, qui a favorisé une extériorisation plus ra- pide de la souffrance, une plus grande dépendance du malade face au médecins9, et a réduit le seuil de tolérance de la maladie. Une plus grande accessibilité aux soins, même les plus techniques, permet au malade de s'en remettre plus vite au médecing0. Ces différentes muta- tions ont pour conséquence que le corps «in~trumentalisé))~l du malade est rapidement pris en charge, et souvent guéri quand il s'agit d'une af- fection aiguë, bien précise. Cependant, cette médecine, basée sur l'effi- cacité scientifique, ne fournit pas toujours une réponse satisfaisante pour ceux qui souffrent de maladies chroniques, et qui nécessitent une prise en charge holistique de leurs maux. Au même titre que les patients de Tissot, les malades chroniques doivent encore actuellement com- poser au quotidien avec leurs maux. Dans ce cas, comme sous l'Ancien Régime, la personne du médecin, souvent l'interniste ou le généraliste en cabinet, et pas seulement sa science, sera déterminante pour leur pro- curer du s ~ u l a g e m e n t ~ ~ . S'estompe quelque peu le déterminisme socio- culturel de la relation médecin-malade, pour revaloriser le colloque singulier, qui relie deux individus : le patient et son thérapeute.

l

NOTES

1 Cette contribution, basée sur une réflexion essentiellement historique, a été présentée dans le cadre d'un colloque axé sur la communication en médecine, réunissant des his- toriens et des médecins, qui s'est tenu à Lugano en septembre 1998. Une telie démarche nous invite à élargir notre perspective et à établir des passerelles entre présent et passé. De manière générale, la mission de l'historien vise à donner un éclairage sur le présent, et donc à élaborer des liens, implicites o u explicites, entre hier et aujourd'hui. En outre, des objets historiques tels que la maladie, les malades, ou en- core la relation médecin-malade, porteurs d'~me dimension universelie, offrent autant de champs particulièrement propices à une telle dialectique. C'est la raison pour la- quelle plusieurs références à des publications contemporaines sont intégrées dans cette étude. Mes remerciements s'adressent à Séverine Pilloud, Vincent Barras, An- drea Carlino et Philip Rieder, pour avoir relu cet article.

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Le malade et son mkdecin 291 2 Sur ces quelques 1300 documents, environ 840 sont envoyés par des auteurs différents;

une trentaine de lettres reste encore à dépouiller dans l'état actuel de notre recherche.

3 Cette étude est basée sur la lecture d'un corpus d'environ 1300 documents concernant des malades, écrits au Dr Tissot, entre 1750 et 1797 (ces lettres sont conservées à la Bi- bliothèque cantonale universitaire, BCU). Une bourse d u Fonds National pour la Re- cherche Scientifique (requête no 11-56771.99) nous permet, à Séverine Pilloud et à moi-même, d'élaborer une base de données destinée à intégrer le plus de renseigne- ments possibles contenus dans ces documents. Cette recherche a lieu dans le cadre de l'Institut Universitaire d'Histoire de la Médecine et de la Santé Publique, à Lausanne, sous la direction de Vincent Barras, professeur.

4 Arlette Farge, Legoût de l'archive (Paris: Points Histoire, 1997),p. 87et93 (le' éd. :Seuil, 1989).

5 Daniel Teysseire, Obèse et tmpuissant. Le dossier médical d'Elle-de- Beaumont. 1765-1 776 (Grenoble: Jérôme Million, 1995); «Mort d u roi et troubles féminins : le premier valet de chambre de Louis XV consulte Tissot pour sa jeune femme (mai 1776)», dans Hel- mut Holzey et Urs Boschung, eds., Santé et maladie au XVllIE siècle (Amsterdam et Atlanta, GA : Rodopi, 1995),p. 49-56.

6 Michael Stolberg, «An Unrnanly Vice: Self-Pollution, Anxiety and the Body in the Eighteenth Century»,Social History of Medicine, 13,1(2000) : 1-21.

7 Frédéric Sardet, «Consulter Tissot: hypothèse de lecture», dans Vincent Barras et Micheline Louis-Courvoisier, eds., La médecine des Lumières; Tout autour de Samuel Tis- sot (Genève : Georg, Bibliothèque d'histoire des sciences, 2001); Daniel Teysseire, «Le réseau européen des consultants d'un médecin des Lumières: Tissot (1728-1797)», dans Difision de savoir et affrontement des idées, 1660-1 770 (Monbrison : Association du centre culturel de la ville de Montbrison, 1993),p. 253-57.

8 Philip Rieder et Vincent Barras, «Ecrire sa maladie au Siècle des Lumières*, dans Bar- ras et Louis-Courvoisier, La médecine des Lumières; Michael Stolberg, «Mein askulap- isches Orakel! Patientenbriefe..als Quelle einer Kulturgeschichte der Kranheitser- fahrung im 18. Jahrhunderb, Osterreichische Zeitschriftfir Geschichtswissenschaften, 7 (1996) : 385-404.

9 Daniel Teysseire, «Le désir de connaître ses maux et leurs remèdes à l'époque des Lumières», dans Curiosité et Libido Sciendi de la Renaissance aux Lumières (Saint-Cloud:

Ecole Normale Supérieure de Fontenay / Saint-Cloud, 1998), tome 1, p. 207-24.

10 Séverine Pilloud,«Mettre les maux en mots: médiations dans la consultation épisto- laire au XVIIP siècle; les malades d u Dr Tissot (1728-1797)»,Bulletin canadien d'histoire de ln médecine, 16 (1999) : 215-45.

11 Dictionnaire alphabétique et analogique de la languefrançaise de Paul Robert (Le Grand Robert), 2e éd., Alain Rey, ed. (Paris : Le Robert, 1991).

12 Certains parlent de «contact interpersonnel*, contact crucial aux yeux de Kenneth

I D. Mandl, Isaac S. Kohane, et Annan M. Brandt, «Electronic Patient-Physician Com- munication : Problem and Promise», Annals of Interna1 Medicine, 129 (1998) : 495500.

13 Voir Irving D. Zola, ~Pathways to the Doctor -From Person to Patient», Soctal Sciences and Medicine, 7 (1973) : 679, qui s'interroge sur le moment précis

-

ou «critique»

-

,

où une personne décide de consulter un médecin. De la fonction d u patient découle le rôle qu'il joue dans la relation médecin-malade. Ce rôle est étudié dans un article basé sur la narration dans la relation thérapeutique, de Glyn Elwyn et Richard Gwyn,

&tories We Hear and Stories We Tell : Analysing Talk in Clinical Practicen, British Medical Journal, 318 (1999) : 186-88.

14 Notamment Francois Dagognet, Pour une philosophie de la maladie (Paris: Textuel, W6), p. 31.

15 D. Kernick, «J1accuse», The Lancet, 353 (1999) : 250.

16 Eberhard Wolff, «Perspectives on Patients' History*, Bulletin canadien d'historre de la médecine, 15,l (19981 : 221. Sur la question de la structure de la relation thérapeutique, voir Pedro Lain Entralgo, Doctor and Patient (London: World University Library, l969), p. 177-223.

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292 MICHELINE LOUIS-COURVOISIER 17 Voir Pedro Lain Entralgo, Doctor and Patient, p. 212.

18 Sur la dialectique qui existe entre le caractère unique et exceptionnel d'une situation et son insertion dans le cadre plus large de la société, voir Norbert Elias,Ln société de Coiir (Paris : Calmann-Lévy, 1974), p. xli-xliv dans son avant-propos, intitulé «Sociologie et histoire».

19 Sur la question de la consultation épistolaire, voir Lawrence Brockliss, «Consultations by Letters in Early 18th Century Paris: The Medical Practice of E. F. Geoffroy*, dans Ann La Berge et Mordechais Feingold, eds., French Medicd Culture in the 19th Centu y (Amsterdam et Atlanta, GA: Rodopi, 1994), p. 79-117; et Michael Stolberg, «Mein askulapisches Orakel!» : 385-404.

20 Il est en réalité difficile de situer socialement les consultants de Tissot, en raison des in- dications lacunaires dans ce domaine. Toutefois, les informations contenues dans ces documents nous révèlent que sur environ 840 malades, près de 160 jouissent d'un niveau de fortune apparemment moyen ou élevé, contre une trentaine de patients ay- ant un niveau de fortune apparemment bas. Parmi les professions répertoriées, arti- sans, employés, cultivateurs ou ouvrier sont rares (une petite trentaine) par rapport aux hommes d'Eglise, et aux malades qui occupent des fonctions juridiques, poli- tiques ou administratives (une bonne centaine). A relever la présence d'environ 80 militaires.

21 Alain Finkielkraut, «Du droit à la liberté de choix dans le domaine de la santé*, dans Des chorx à farre, des valeurs à préserver (Genève : Actes d u colloque portant le même ti- tre, publiés par la Fondation Louis-Jeantet, Genève, 1998), p. 19.

22 Matthew Ramsey, Professronal and Populnr Medrcrne in France, 1770-1830: The Socral World of Medical Practice (Cambridge: Cambridge University Press, 1988), p. 63.

23 Bibliothèque cantonale universitaire de Lausanne, département des manuscrits (désormaisBCU), Fonds Tissot, IS3784/II/144.02.07.09,lettre d u 12.08.1776.

24 BCU, Fonds Tissot IS3784/II/144.03.04.15,lettre sans date.

25 AlainFinkielkraut,Du drort à la lrberté de choix, p. 20.

26 En revanche, l'identification sociale se trouve au coeur de la société de l'Ancien Régime. Sur ce sujet, voir Norbert Elias,La société de cour (Paris: Calmam-Lévy, 1974).

27 Pour Thomas Broman, l'érudition, un comportement de gentleman et l'éducation par-

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ticipent pour une part non négligeable à l'identité professionnelle des médecins; voir Thomas Broman, «Rethinking Professionalization: Theory, Practice, and Professional Ideology in ~ i ~ h t e e n t h - c e n t G y German Medicine», The journnl of Modern Histo y, 67 (1997): 841.

28 Précisons qu'il s'agit dans ce travail de la figure d u médecin qui pratique en ville, et non d u médecin hospitalier, ces lettres ne contenant aucune information sur une éven- tuelle rencontre entre malade et médecin pratiquant dans un hôpital. Sur la relation thérapeutique au sein d'une institution hospitalière, d'une nature différente de celle qui est traitée dans ce travail, voir Mary E. Fissel, «The Disappearance of the Patient's

I Narrative and the Invention of Hospital Medicine», dans Roger French et Andrew Wear, eds., Brrtish Medicine in an Age of Reform (London et New York: Routledge, 1995), p. 92-109.

29 La création des sociétés de médecine et/ou de chirurgie a lieu dans plusieurs pays d'Europe; pour l'Angleterre, voir Penelope J. Corfield,Power and the Professions rn Brit- nin, 1700-1850 (London et New-York: Routledge, 1995), p. 163. L'auteur met égale- ment en rapport le pouvoir des médecins et la création de telles société, montrant qu'au XIXe siècle, le pouvoir médical tend à se focaliser autour des médecins des cen- tres hospitaliers, ce qui n'est pas encore le cas pour la période qui nous intéresse.

30 Sur la montée d u ouv voir médical. voir Iacaues Léonard. La , ' médecine entre les savoirs et les pouvoirs. ~ i s t o ; r e intellectuelle etpolitique de la médecinefrancaise au XIXcsiècle (Paris:

Aubier-Montaime. 1981); Pierre Guillaume. Le rôle social du médecin demis deux siècles (180041945) (Pa&:.~sso=iation pour l'étudé de l'histoire de la sécurité sociale, 1996);

Jean-Pierre Goiibert La médicalisat~on de la sociétéfrançaise, 1770-1830 (Waterloo, ON:

Historical Reflections Press, 1982); Olivier Faure, La médicalisation de la société dans la

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Le malade et son médecin 293

région lyonnnrse nu XIX' siècle, thèse d'Etat, Lyon 2,1989; Daniel Roche, «Talents, raison et sacrifice : les images du médecin des Lumières dans les éloges de la Société royale de médecinen, Annnles, économies, sociétés, civilisntions, 5 (1977) : 866-86; Jens Lachmund,

«Between Scrutiny and Treatment : Physical Diagnosis and the Restructuring of 19th Century Medical Practice», Sociology of Henlth and Illness, 20,6 (1998) : 791, quivoit l'es- sor de la professionnalisation des médecins sous l'angle de ce qu'il appelle le diagnos- tic physique, une technique de corps (percussion et auscultation) qui se développe d'abord en milieu hospitalier. L'essor d u pouvoir médical peut également s'expliquer par la poiitiquepopuiationistede la fin des Lumières, voir Samuel Tissot, L'nuis au peu- ple sur sa santé, Daniel Teysseire et Corinne Verry-Jolivet, eds. (Paris: Quai Voltaire, 1993), p. 20-21. Sur l'importance de la figure médicale dans la société, voir Pierre-Jean- Georges Cabanis, Du degré de certitude de In médecine (Genève-Paris: Champion- Sltatkine et la Cité des Sciences et de l'Industrie de la Villette, Genève-Paris, 1989), p. 151, note 1 (le texte original date de 1798). Sur les médecins quis'investissent dans la vie de leur cité, voir Daniela Vaj, Voyage médical entre théorie et prntique nu début du XIXp siècle, Mémoire de DES dactylographié, Université de Genève, Faculté des lettres, 1998, p. 69-75, qui donne un portrait d u docteur Louis André Gosse, et décrit son im- plication dans la vie politique de Genève.

31 Sur la question de la confiance dans la relation thérapeutique, voir David Harley,

«Rhetoric and the Social Construction of Sickness and Healing*, Socinl Histo y of Medi- cine, 12,3 (1999): 427 et suiv.; Jens Lachmund and Gunnar Stollberg, <<The Doctor, His Audience, and the Meaning of Illness: The Drama of Medical Practice in the Late 18th and Early 19th Centuries., dans Jens Lachmund et Gunnar Stollberg, eds., The Socinl Construction of Illness: lllness and Medm1 Knowledge ln Pnst nnd Present (Stuttgart:

Franz Steiner, 1992), p. 54.

32 BCU, FondsTissot, IS3784/II/144.01.07.02,lettre d u 25.11.1772.

33 BCU, Fonds Tissot, IS37û4/II/144.02.08.07,lettre d u 21.06.1776.

34 BCU, Fonds Tissot, IS3784/II/144.02.05.21,lettre d u 05.08.1774.

35 BCU, Fonds Tissot, IS3784/II/144.01.09.20,lettre sans date.

36 Gunter Risse relève également l'absence de confiance et du scepticisme exprimés dans les lettres adressées au Dr Cullen, dans «Cullen as Clinician : Organisation and Strate- gies of an Eighteenth Century Medical Practice», dans A. Doig, J. P. S. Ferguson, 1. A.

Milne et R. Passmore, eds., William Cullen nnd the Eighteenth C e n f u y Medicnl World (Edinburgh: Edinburgh Universiîy Press, 1993), p. 134. Jens Lachmund relève l'im- portance de la compétence individuelle du médecin tant que le corps médical ne cons- titue pas un corps professionnel bien établi, processus qu'il situe dans la première moi- tié d u XIXe siècle, Jens Lachmund, «Between Scrutiny and Treatment~, p. 791.

Lachmund et Stollberg évoquent la notion de «standardisation de l'autorité médicale*

qui s'effectue autour de l'examen physique d u malade, dans la première moitié d u

I XIXe siècle; voir Jens Lachmund et Gunnar Stollberg, <<The Doctor, His Audience, and the Meaning of Illness», p. 65.

37 En cela, Tissot est très proche de la définition d u médecin selon Thomas Jefferson : «An honest heart being the first blessing, a knowing head is the second», citée par Gert H. Brieger, «Classics and Character : Medicine and Gentilip, Bullettn ofthe Histoy of Medicine, 65 (1991) : 90.

38 BCU, FondsTissot, IS3784/II/144.02.08.07,lettre du 21.06.1776.

39 BCU, FondsTissot, IS3784/II/144.04.01.02,lettre d u 16.01.1786.

40 BCU, Fonds Tissot, IS 3784/11/144.05.02.06, lettre d u 13.02.1790. Un scepticisme général à l'égard des médecins est également relevé par Steven King et Alan Weaver, bien que ce sentiment soit nuancé selon les régions d u Lancashire; voir Steven King et Alan Weaver, «Lives in Many Hands: The Medical Landscape in Lancashire, 1700-1820~,Medical Histo y, 44,2 (2000) : 185-86.

41 BCU, Fonds Tissot, IS3784/II/146.01.04.12,lettre d u 22.10.1769.

42 Jens Lachmund et Gunnar Stollberg, «The Doctor, f i s Audience, and the Meaning of Illnessn, p. 57.

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294 MICHELINE LOUISCOURVOISIER 43 Voir Matthew Ramsey, Profeçsionnal and Popular Medicine, p. 281; Micheline Louis- Cou~oisier, «Les malades et leurs soignants: chirurgiens, rhabilleurs, sages-femmes et pasteurs., dans Barras et Louis-Courvoisier,Li médecine des Lumières.

44 Penelope J . Corfield constate que le même phénomène se produit en Angleterre : «The medical profession had to earn trust in a competitive worldn; Penelope J. Corfield, Power and the Professions, p. 143. Voir aussiGiama Pomata, Contractinga Cure: Patients, Healers, and the Liw in Early Modern Bologna (Baltimore et London: Johns Hopkins University Press, W8), p. 120-39.

45 Sur cette question, voir Tores Theorell, Changing Society: Changing Role of Doc- tors», British Medical ]oumal, 320 (2000) : 1417-18.

46 Ou leurs médiateurs, car il est fréquent que les malades ne prennent pas eux-mêmes la plume, mais qu'ils demandent à l'unde leurs proches de rédiger leur récit. Sur ce sujet, voir Séverine Pilloud, «Mettre les maux en mots : médiations dans la consultation épis- tolaire au XVIIF siècle; les malades du Dr Tisot (1728-1797)» Bulletin canadien d'histoire de la médecine, 16 (1999): 215-45.

47 Comme le relèvent également Jean-Pierre Goubert, Médecins d'hier, médecins d'au-

~ourd'hui; le cas du docteur Luvergne (1 756-1831) (Paris: Publisud, 1992), p. 245-46; Roy Porter, «Expressing Yourself Ill: The Language of Sickness in Georgian England», dans Peter Burke et Roy Porter, eds., Lunguage, S e 4 and Society; A Social Histo y of h n - p a g e (Cambridge : Polity Press, 1991), p. 278.

48 William F. Bynum, «Health, Disease and Medical Carem dans George Rousseau et Roy Porter, eds., The Ferment of Knowledge (Cambridge: Cambridge University Press, l98O), p. 230.

49 Dorothy Porter et Roy Porter, Patient's Progress : Doctors and Doctoring tn 18th Centu y England (Cambridge : Polity Press, 1989), p. 77 et 78.

50 Comme l'a également relevé Michael Stolberg, «Mein askulapisches Orakel!», p. 386.

51 BCU, Fonds Tissot, IS 3784/11/144.05.03.05,lettre du 09.09.1784.

52 Pierre-Jean-Georges Cabanis, Du degré de certitude de la médecine, p. 141.

53 Le rédacteur en chef du Lancet constate qu'un tiers des lecteurs de son iournal n'ap- partiennent pas au domaine médical, soulignant que les patients construisent leur propre histoire de leur maladie; voir Richard Horton, «The Unmasked Carnival of Sci- in&», ~ h e Lincet, 351 (1998) : 688-92.

54 Sur la question du paternalisme dans la relation thérapeutique, voir l'ouvrage collectif The Shaping of a Profession: Physicians in Norway, Past and Present, Oivirid Larsen et Bent Olav Olsen, eds. (Canton MA: Çcience Historv Publications/USA, 1996), p. 536-37, qui soulève l'importance du paternalisme au )axe siècle, précisant qu'il est encore un outil nécessaire aujourd'hui, mais dans certaines situations seulement.

55 H. Jewson, «The ~ i s a ~ ~ e a r a n c e of the ~ i c k Man from Medical Cosmology, 1770-1870», Sociology, 10 (1976) : 225-44; Ivan Waddington, «The Role of the Hospital in the Devel-

I opment of Modem Medicine: Pi Sociological Analysis»,Sociology, 7 (1973) : 211-24.

56 Soit la part du traitement qui revient à la charge du malade, et non à celle de l'assu- rance.

57 George Rosen, uFees and Fee Bills : Some Economic Aspects of Medical Practice in the 19th Century Americau, Bulletin of H i s t o y of Medicine, Supplément no 6 (1946): 2-94;

Gianna Pomata, Contracting a Cure, p. 121-29; Matthew Ramsey, Professional and Popu- Iar Medicine, p. 62-65; Jean-Pierre Goubert, Médecins d'hier, médecins d'aujourd'hui, p. 45-46,54-55,219-221, qui donne des détails précis sur la maniere dont le docteur Lavergne gère la question de l'argent avec ses patients. On apprend ainsi qu'il fait varier le nombre de ses visites ou de ses actes médicaux, plutôt que le tarif de sa çon- sultation (p. 219), et qu'il demande entre 3 et 6 francs pour une consultation épistolaire (p. 221).

58 Guenter B. Risse, «Culien as Clhician»; Dorothy Porter et Roy Porter, Patient's Prog- ress, p. 78.

59 BCU, Fonds Tissot, IS 3784/11/144.02:07.03, lettre du 09.06.1776. Lettre de Monsieur Fabre.

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