LA FÉCONDITÉ EN FRANCE
Analyse microéconomique
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CENTRE NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE CENTRE RÉGIONAL DE PUBLICATIONS DE TOULOUSE
SCIENCES SOCIALES
1 / l^arie-Çhristin^CHALLIER
LA FÉCONDITÉ EN FRANCE
A n a l y s e m i c r o é c o n o m i q u e
Editions du CNRS 15, quai Anatole-France
75700 PARIS
C N R S
CIRCONSCRIPTION MIDI-PYRENEES
Cet ouvrage a été réalisé par le Centre Régional des Publications de l'Administration de la 14e Circonscription Midi - Pyrénées.
@ C N R S 1985 1 S B N 2-222-03773-5
TABLE DES MATIERES
Pages
INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE
Les comportements de fécondité en avenir certain 7
Chapitre 1 — Activité féminine et fécondité 13
Section 1 — La dynamique du taux d'activité féminin 14 1 — La progression de l'activité féminine 14 2 — La sensibilité du taux d'activité des mères à
certaines variables démographiques 18
Section 2 — Les comportements d'activité et d'inactivité
des femmes liés à la fécondité 22
1 — Le gommage progressif de la discontinuité
de l'activité féminine 23
2 — La précocité des reprises d'activité 26
Conclusion 27
Chapitre Il — Les déterminants objectifs et subjectifs de la
fécondité au cours du cycle de vie 33
Section 1 — Diversité des cycles de vie et pluralité des
calendriers familiaux 33
1 — La myriade des cycles de vie 34
2 — Le calcul intertemporel du ménage . . . 35
Section 2 — La distribution optimale des naissances face
à certaines perspectives de flux de revenu 42 1 — La répartition synchronique et diachronique
des revenus dans le cadre familial 42
2 — Impatience et prévoyance, altruisme et égoïme dans la détermination des comportements
de fécondité 45
Conclusion 48
Chapitre III — L'analyse empirique du calendrier des naissances . . . . 53 Section 1 — Les âges-clefs du cycle de vie des familles 53
1 — L'âge au mariage 54
2 — L'âge aux différentes maternités 56
Section 2 — Le calendrier de la fécondité 62
1 — L'évolution du calendrier de constitution
des familles complètes 63
2 — Les facteurs d'évolution du calendrier
des naissances 69
Conclusion 83
DEUXIEME PARTIE
Les comportements de fécondité en avenir incertain . . . . 85 Chapitre IV — Les comportements de fécondité depuis
l'ancien régime 89
Section 1 — La mutation de la famille et l'évolution de la fécondité de l'ancien régime démographique
à la période moderne 90
1 — Structure et fécondité de la famille
jusqu'à la 1ère République 90
2 — Le message malthusien et le néo-malthusianisme . . . 96 3 — « La naissance de la famille moderne » 99 Section 2 — Le poids de l'incertain objectif et subjectif sur les
comportements de reproduction du ménage
contemporain 101
1 — Le renouveau de l'incertain objectif 101 2 — La récente diffusion de l'incertain subjectif . . . 102
Conclusion 103
Chapitre V - Les préférences individuelles en avenir incertain 109 Section 1 - L'aversion face au risque et le goût du risque 110 1 - Définition et mesure de l'aversion face au risque . . . 110 2 — Perspectives incertaines immédiates et différées . . . . 112 Section 2 - Les décisions individuelles sur le marché de l'emploi
en avenir incertain 112
1 — L'incertitude et l'imperfection de l'information
sur le marché du travail 113
2 — Les attitudes individuelles en avenir incertain 114
Conclusion 117
Chapitre VI — Le calendrier des naissances dans le cadre
de perspectives aléatoires 121
Section 1 — Un modèle microéconomique de comportements de
fécondité lors de perspectives aléatoires différées 123 1 — Le calendrier des naissances face à des
perspectives aléatoires différées 124
2 — Le calendrier de la fécondité face à l'augmentation
du risque différé affectant le revenu futur 128 Section 2 — Analyse statistique et économétrique de la fécondité
des ménages français 131
1 — Portée explicative des attitudes de crainte
et de goût envers le risque 131
2 — Estimation économétrique de la fécondité 136
Conclusion 150
CONCLUSION GENERALE 153
ANNEXE: Démographie historique 155
Annexe 1 — La dynamique de la population française : une interprétation du modèle de la transition
démographique 158
Annexe 2 - Eléments statistiques de la transition démographique . . . 165 BIBLIOGRAPHIE . . . 185
INTRODUCTION
La genèse de la famille moderne s'est accompagnée d'une baisse pro- fonde et prolongée de la fécondité. Ce mouvement, perceptible en France depuis le XVIIle siècle, s'est accentué jusqu'à nos jours, menaçant ainsi le renouvellement des générations. Cette mutation de la fécondité a suscité et orienté les recherches démographiques.
L'analyse de la fécondité des ménages fut longtemps abordée sous un aspect descriptif (1). Par ailleurs, la polémique entre malthusiens et partisans d'une politique nataliste était le plus souvent centrée sur les conséquences heureuses ou néfastes de l'évolution de la natalité (2).
Puis, l'étude des motifs de reproduction et de la cohérence des compor- tements de fécondité est devenue une préoccupation essentielle depuis deux décennies. Devant la difficulté à interpréter les déterminants de la fécondité du fait de la diversité des facteurs censés l'influencer, il a été fait recours à des formalisations afin de clarifier l'analyse. Ces essais de rationalisation sur l'éco- nomie de la famille et de la fécondité, développés par la « nouvelle économie domestique » (3), ont le mérite d'éclaircir le fond du problème en établissant des liens de causalité entre certaines variables (notamment le revenu du ménage et l'activité professionnelle des femmes en particulier) et la descen- dance finale des couples.
Néammoins, ces études théoriques se sont fourvoyées dans un écheveau où non seulement l'essentiel des relations entre les différents facteurs est mal perçu malgré une approche microéconomique qui aurait pu permettre d'ordonner les déterminants, mais aussi où les éléments subjectifs sont tota- lement ignorés.
Le reproche que nous formulons à l'égard de ces théories est principa- lement fondé sur l'oubli (plus ou moins délibéré) que toute décision se situe dans un environnement humain et aléatoire. Le processus de procréation n'est- il pas en effet trop émotionnel pour être rationalisé ?
L'analyse de la fécondité s'enrichit de la prise en considération de ces deux substantifs en ce sens qu'elle s'en trouve complètement transformée, remodelée, mais en aucun cas prolongée ou améliorée. Les notions tenant aux facteurs individuels et au caractère aléatoire de l'environnement éco- nomique, jusqu'ici éludées par les théories de la fécondité, obligent en effet à repenser entièrement l'étude des comportements de reproduction. On peut même soutenir que celle-ci ne peut se développer que parallèlement à ces deux concepts.
Effectivement, toute décision émane d'un calcul économique et d'un état d'esprit de l'individu qu'on peut appeler le bon sens et qui est un amalgame d'expérience et de pressentiment. Or, l'intuition étant un « degré de croyance » détaché de toute connaissance rationnelle, on relève dès lors l'importance des inclinations personnelles dans les prises de décision. Le tempérament de l'individu le fait trancher en faveur de l'une ou de l'autre perspective réalisable.
Dans le souci de mieux saisir les décisions de fécondité, nous recher- cherons donc des indicateurs de comportement puisque les choix (avoir ou non des enfants, combien, à quel moment ?) sont inéluctables dans les popu- lations qui pratiquent la limitation des naissances. Il est aussi à noter que les ménages n'ont pas toujours une idée bien arrêtée du nombre d'enfants désirés, ni du calendrier de leur fécondité. La réalité diffère parfois de ce qu'elle aurait due être compte tenu des décisions prises ex-ante. Dès lors, quels sont les éléments de nature à infléchir ces choix ? C'est ce que nous essayerons d'éclaircir tout au long de ce travail.
Pour cela nous appuyerons notre étude sur les éléments objectifs mais aussi subjectifs influençant les deux aspects de la fécondité : son intensité (la descendance finale) et sa distribution (le calendrier des naissances). Les caractéristiques individuelles, jusqu'ici écartées par les théories de la fécondité, nous paraissent fondamentales. Nous insisterons donc sur les préférences intertemporelles (l'impatience ou la prévoyance), les inclinations entre les personnes (l'altruisme ou l'égoïsme) et les tempéraments vis-à-vis de l'incertain (l'aversion face au risque, l'indifférence, ou le goût du risque). Car, comme l'affirme A.GIRARD ((1977) P 259),« la fécondité n'est plus un phénomène soumis aux seules contraintes naturelles et on ne saurait se passer d'examiner les motifs qui en commandent le niveau et les tendances » (4).
Mais, quelle démarche adopter pour apprécier la validité des déterminants retenus ? Après des analyses descriptives et théoriques (ces dernières s'ap- puyant sur des hypothèses relatives aux comportements des ménages et à leur environnement économique), nous mesurerons de façon statistique (tantôt de manière simplement empirique, tantôt au moyen d'ajustements écono- métriques) la portée explicative des facteurs recueillis.
Nous ordonnerons les décisions familiales par rapport au degré de connaissance de l'avenir. Une première partie sera consacrée à l'étude des comportements de fécondité en avenir certain, c'est-à-dire lorsque les ménages connaissent parfaitement la valeur des éléments dont ils tiennent compte dans leurs choix de fécondité.
Une seconde partie retracera l'analyse des comportements de fécondité en avenir incertain, lorsque les ménages ne possèdent aucune information sur les valeurs futures des variables pouvant modifier leurs comportements. Nous constaterons que le nombre d'enfants et le rythme de constitution de la descendance finale dépendent de la nature des décisions face à l'aléa, elles- mêmes intrinsèquement liées aux tempéraments des individus.
NOTES
(1) Se référer n o t a m m e n t à l'étude de A. L A N D R Y sur la transition d é m o g r a p h i q u e :
« La révolution démographique » Librairies du recueil, Sirey, 1934.
(2) Au sujet des effets économiques et financiers de l'évolution démographique, cf.
A. SAUVY : « Evolution récente en France et dans le Monde », Population, Janvier-mars 1957, n° 1, pp 9-16.
(3) Les analyses théoriques de la « nouvelle économie d o m e s t i q u e » se sont développées a u t o u r de l'Ecole de Chicago.
(4) A. G I R A R D : « Enquêtes d ' o p i n i o n et connaissance de la fécondité » , Population, n° spécial septembre 1977, pp 249-260.
PREMIERE PARTIE
LES COMPORTEMENTS DE FECONDITE EN AVENIR CERTAIN
L'analyse de la fécondité, principalement abordée sous un angle descrip- tif, a récement fait l'objet de préoccupations théoriques. Les approches microéconomiques de la fécondité, développées par H. LEIBENSTEIN (1) et G.S. BECKER (2), ont en effet tenté d'expliquer les disparités dans les comportements de reproduction des ménages contemporains, à partir du calcul économique, en avenir certain. Notons dès à présent qu'un individu placé en univers certain anticipe des valeurs parfaitement définies pour les éléments de son calcul (ce qui n'exclut pas le fait que celles-ci peuvent s'avérer erronées par la suite), agit selon ses prévisions et connaît sans ambigu'ité les conséquences de ses actions. Les auteurs ont en outre délaissé l'étude de la famille traditionnelle pour ne retenir que les fonctions et les préoccupations de la famille contemporaine.
Opposée à la famille ancienne, lieu où se tissent les relations sociales, la famille nucléaire, repliée sur elle-même, élargit l'horizon de ses prévisions et détermine dès lors l'échéancier de ses revenus en fonction duquel elle fixe entre autres le nombre de ses enfants. De plus, l'éveil du sentiment familial au sein de la famille moderne, qui cesse de considérer l'enfant comme un bien de production, s'accompagne d'une profonde mutation dans l'allocation du temps maternel entre foyer et activité salariée. La « nouvelle économie domestique » assimile donc l'enfant à un « bien de consommation » et soutient que le choix des parents en matière de fécondité s'effectue en terme d'utilité marginale entre les enfants et les autres biens. L'enfant représente un
coût économique et sa présence oblige et empêche certaines consommations.
En outre, ces argumentations néo-classiques s'inspirent des théories sur le capital humain. Leur cohérence s'analyse ainsi : le ménage, unité de décision rationnelle et prévoyante, cherche à assurer la sécurité de ses enfants et dans ce but leur consacre des dépenses en temps et en argent qui constituent en fait des investissements en capital humain déterminant aujourd'hui les revenus de demain. Il existe par conséquent une relation étroite entre le montant total de capital reçu par l'enfant et son profil de carrière (sa « qualité » diront les auteurs) ainsi qu'entre ce montant et le nombre d'enfants par famille.
Nous abordons immédiatement les deux approches fondamentales de la
« nouvelle économie domestique » que nous critiquerons par la suite. La première voie de recherche s'intéresse à la relation entre la fécondité et le revenu et met l'accent sur les notions d'élasticités quantité et qualité des enfants par rapport au revenu. La seconde évoque le lien entre la fécondité et la valeur du temps maternel.
1 — La substitution entre le nombre et la qualité des enfants
Le raisonnement de G.S. BECKER (3) s'appuie sur l'hypothèse selon laquelle les ménages effectuent un calcul en terme de coûts-bénéfices; ils choisissent le montant des resources qu'ils sont prêts à financer pour chaque enfant et dont dépend la plus ou moins grande qualité de ceux-ci. De telles dépenses, en améliorant la qualité de l'enfant, rapportent une utilité aux parents qui « égalisent des satisfactions et des sacrifices marginaux pour déter- miner le nombre optimal de leurs enfants ». Toujours selon l'auteur, les ménages consomment des « services infantiles » et en retirent d'autant plus d'utilité que la qualité des enfants est élevée. En clair, les motifs de repro- duction reposent sur le choix entre la quantité et la qualité des enfants.
BECKER avance que, théoriquement, lorsque le revenu du ménage s'accrolt, la demande d'enfants augmente aussi. Néanmoins, cette élasticité quantité positive par rapport au revenu se trouve contrecarrée par le fait suivant : au fur et à mesure que le revenu s'élève on attend une qualité supérieure; et l'élasticité-qualité (positive) en fonction du revenu est supérieure à l'élasticité- quantité. Il découle de la supériorité de l'« élasticité qualité théorique » sur l'« élasticité quantité théorique » que l'« élasticité quantité observée » est négative. Le nombre d'enfants d'un ménage apparaît donc corrélé néga- tivement avec son revenu. Toutefois BECKER précise, pour justifier l'exis- tance de la courbe en U de la fécondité par rapport au revenu, que le lien inverse entre le revenu et la fécondité ne s'applique qu'aux ménages à faibles revenus et que, lorsqu'on s'élève dans la hiérarchie salariale, 1'« élasticité quantité théorique » s'accroît et l' ({ élasticité quantité observée », tout en restant inférieure à l'« élasticité quantité théorique », devient positive. Mais,
comme le remarque très justement B.MARIS (4), l'argumentation n'est pas probante car rien ne prouve que l'augmentation du revenu ne rendra pas l'élasticité qualité de plus en plus forte vis-à-vis de l'élasticité quantité et que la substitution ne continuera pas à s'effectuer au détriment du nombre.
2 — Fécondité et activité maternelle
Les décisions relatives à la fécondité se forgeant à partir du dialogue du ménage, unité non seulement de consommation mais aussi de travail, H.
LEIBENSTEIN (5), R.J. WILLIS (6) et T.W. SCHULTZ (7) ont mesuré l'influence sur la reproduction du libre choix entre l'activité et l'inactivité féminine. Leurs modèles insistent sur le rôle joué par le salaire de la mère (variable exogène) sur la répartition de son temps entre activité domestique et travail professionnel ainsi que sur la taille de la famille. Les auteurs avancent que les dépenses consacrées aux enfants visent à accroître leur qualité et à procurer des utilités monétaires et non monétaires dans le futur. L'acqui- sition de capital humain, surtout pour les enfants en bas âge, se révèle exi- geante en temps, notamment en temps maternel, et dépend des choix con- jugaux relatifs à la consommation et à l'offre de travail. Dès lors, comment se détermine le partage du temps maternel entre foyer et activité ?
La prise de décision quant aux comportements de fécondité s'effectue sous des contraintes de revenu et de temps et l'allocation du temps se fait par l'optimisation d'une fonction de préférence dont les arguments sont essen- tiellement monétaires. Sous l'hypothèse de libre transférabilité d'une unité de temps de la sphère domestique à la sphère marchande, la valeur du temps de la mère est égale à son salaire si elle travaille et lui est supérieur si elle est inactive (8). Ceci dit, de quelle façon les femmes réagissent-elles aux variations des salaires réels ou potentiels et quelle incidence cela a-t-il sur la fécondité ? Lorsque le salaire de la femme augmente, la valeur de son temps s'élève aussi, ce qui accroît le coût des enfants, exigeants en temps maternel. La venue d'un enfant entraîne un coût d'opportunité résultant de l'abandon du travail salarié d'autant plus fort que le salaire féminin est élevé. Puisque l'offre de travail est considérée comme étant une fonction croissante du salaire, la femme est tentée de substituer des activités intensives en temps marchand à d'autres activités, notamment au temps qu'elle consacre aux enfants, lorsque son salaire augmente. Les modèles débouchent sur une relation négative entre le revenu et la fécondité.
Cependant, il est à remarquer que l'existence d'une liaison inverse entre le revenu et la fécondité est vérifiée jusqu'à un certain seuil de revenu au-delà duquel se produit un relèvement de la fécondité. Confrontées à une courbe en
U de la fécondité en fonction du revenu, les théories microéconomiques ont fourni trois explications. La première, développée par R.T. MICHAEL (9), s'appuie sur la prise en compte du temps du mari. Bien que l'éducation des enfants soit peu intensive en temps paternel, il s'avère que lorsque le revenu du ménage s'accroît, le père s'occupe des enfants, d'où une remontée de la fécondité pour les couples à hauts revenus. La seconde explication (10) retient une fonction de production de services domestiques qui considère la productivité de la femme comme une fonction croissante de son éducation (et donc de son salaire) ce qui altère l'effet substitution, dévaforable au temps passé auprès des enfants. Enfin une dernière justification, due à R. GRONAU (11) fait intervenir la notion de substitution des services domestiques ex- térieurs (jeunes filles au pair, garderies d'enfants...) aux services domestiques fournis par la mère. Tandis qu'une augmentation du salaire féminin accroît le prix des enfants si les biens qui leur sont nécessaires sont produits à la maison, lorsque ces biens sont procurés par le marché (et à condition que ces services extérieurs soient substituables au temps maternel), le prix des enfants est réduit par la hausse du salaire féminin (12).
De tels modèles ne sont pas exempts de critiques même si on ne con- sidère qu'un avenir certain. En effet, il convient tout d'abord de remarquer que la « nouvelle économie domestique » s'intéresse uniquement à l'intensité de la fécondité (la dimension de la descendance finale) et omet de traiter de la distribution des naissances dans le temps. Une telle négligence provient de l'exclusion de notions telles que le cycle de vie du ménage et ses préférences intertemporelles, essentielles pour toute étude sur les comportements. Les modèles jusqu'ici retracés possèdent aussi une structure théorique statique qui exclut la prise en considération d'une possibilité d'accumulation intertem- porelle des revenus (dont l'existence dépend du degré de préférence pour le présent ou pour le futur d'une part et de l'incertitude sur les revenus d'autre part) et qui élude des réalités, précisément les aspects liés à l'activité féminine sur le marché du travail, qu'il s'agisse des abandons d'emplois consécutifs à une naissance ou des difficultés d'insertion dans la vie active chez les mères de famille.
C'est dans le souci d'intégrer l'ensemble de ces concepts que se situe l'objet de la première partie (13). Dans un premier chapitre seront étudiées les interactions entre la fécondité et l'activité féminine. Nous constaterons que les calendriers familiaux et professionnels sont étroitement liés. Le second chapitre s'intéresse à l'analyse du calendrier des naissances; le caractère dynamique de la fécondité ne sera pas ignoré. En effet, nous apprécierons le poids des inclinations envers les individus et le temps sur les comportements de reproduction du ménage tout au long du cycle de vie. Enfin, le troisième chapitre aborde la constitution de la descendance finale sous un aspect empirique.
N O T E S
(1) H. LEIBENSTEIN : « The economic theory of fertility », The evolution of popu- lation theory, ed. J. Overbeek, 1977, pp 153-157.
(2) G.S. BECKER : « An economic analysis of fertility », The evolution of population theory, ed. J. Overbeek, 1977, pp 1 64-1 70.
(3) G.S. BECKER et G. LEWIS : « On the interaction between the quantity and quality of children », Journal of Political Economy, vol. 81, n° 2, Part 11, mars-avril 1973, pp 279-288; G.S. BECKER et N. TOMES : « Child e n d o w m e n t s and the q u a n t i t y and quality of children », Journal of Political Economy, vol. 84, n° 4, Part 11, août 1976, pp 143-162.
(4) B. MARIS : « Famille, fécondité et choix économiques. Une critique des modèles microéconomiques de fécondité », Consommation, n° 3-4, 1979, pp 107-129. Sur ce sujet, se référer aussi à l'article de J. BLAKE : « Are babies consumer durables ? A critique of the economic theory of reproductive motivation », Population Studies, vol. 22, mars 1968, p p 5-25.
(5) H. LEIBENSTEIN op. cit. (1977) et « An interpretation of the economic theory of fertility : promising path or blind alley ? », Journal of Economic Literature, vol. 12, n° 2, juin 1974, pp 4 5 7 - 4 7 9 .
(6) R.J. WILLIS : « A n e w approach to the economic theory o f fertility behavior », Journal of Political Economy, vol. 81, n° 2, Part 11, mars-avril 1973, pp 16-164.
(7) T.W. SCHULTZ : « New economic approach to fertility », Journal of Political Economy, vol. 81, n° 2, Part 11, mars-avril 1976, pp 2-13.
Pour une s y n t h è s e d e ces articles, se référer à B.M. FLEISHER et G.F. RHODES : « Ferti- lity, women's wage rates and labor supply », American Economic Review, mars 1979, pp 14-24.
(8) Il est en effet supposé que les femmes évaluent ex-ante le prix de leur temps et que si elle jugent que celui-ci exède leur salaire réel o u potentiel, elles resteront ou devien- dront inactives.
(9) R.T. MICHAEL : « Education and the derived d e m a n d for children », Journal of Political Economy, vol. 81, n° 2, Part III, mars-avril 1973, p p 1 28-164.
(10) R.A. POLLAK et M.L. WACHTER : « The relevance of the household production function and its implications for the allocation of time », Journal of Political E c o n o m y , vol. 83, n° 2, avril 1975, pp 255-277.
(11) R. GRONAU : « Leisure, h o m e production and w o r k : t h e o r y of the allocation of time revisited », Journal of Political Economy, vol. 85, n° 6, décembre 1977, pp 1099- 1123, et « The effects of children o n the housewife's value of time », Journal of Political Economy, vol. 81, n° 2, Part 11, 1973, pp. 168-198.
(12) Le prix d u temps consacré aux enfants est le prix des services extérieurs (le salaire de l'aide ménagère par exemple et non le salaire de la mère) cf. B. MARIS op. cit. (1979).
(13) Les problèmes relatifs à l'incertain seront traités dans la deuxième partie.
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