NOTE
PROTECTION DES PROTÉINES ALIMENTAIRES CONTRE LA DÉSAMINATION BACTÉRIENNE
AU NIVEAU DU RUMEN
III.
—EFFET
DU TANNAGE DE LAPROTÉINE
DU LAIT SUR SONDEVENIR
DANSLE RUMEN
ET SONEFFICACITÉ MÉTABOLIQUE
CHEZ LE MOUTON
ADULTE
AL’ENTRETIEN J.
DELORT-LAVALFrançoise
LEROY S.-Z. ZELTERMonique DIEZ,
MichèleFISZLEWICZ, Marguerite
NAVILLE,J. BRUERRE
Ph. BEAUMATINLaboratoire de Recherches sur
la
Conservation etl’Efficacité
desAliments,
Centre national de Recherches
zootechniques,
I. N. R.A.,
., 78 -Jouy-en-Josas
INTRODUCTION
Les
protéines
alimentaires sontprofondément
remaniées dans le rumen par les actions cata-boliques
etanaboliques de
laflore digestive. Lorsque
laprotéine
est dequalité médiocre,
cesactions sont
généralement bénéfiques,
par suite de sa transformationpartielle
en azote micro-bien,
caractérisé par unmeilleur équilibre
amino-acide. Parcontre,
si elle est bienéquilibrée
audépart
et vulnérable auxdésaminases,
le processuscatabolique l’emporte
souvent et il enrésulte
unamoindrissement
de sonefficacité azotée
finale. Saprotection
contrel’attaque
de lamicropopulation
ruminale devrait parconséquent
améliorergrandement
son utilisation métabo-lique
parl’animal.
LsxoY et al.
( 19 6 4 )
ont effectivement montré que la formation decomplexes insolubles
entreprotéines
et substances tannantes entraîne une réduction substantielle del’ammoniogénèse
dansle rumen ; mais il a
également
été constaté(L EROY
etZ ELTER , i9!o)
que le traitement partannage peut réduire
l’utilisationdigestive
de l’azote durégime.
Semblable traitement offrirait donc de l’intérêt seulement dans la mesure où il serait démontré quel’épargne azotée, procurée par l’inso-
lubilisation des
protéines,
ainsi soustraites à l’action desprotéases
et des désaminases de la micro-population ruminale, pourrait
surpasser la baisse dedigestibilité observée après tannage.
Dans ce
but,
nous avons étudié le devenir d’une source deprotéines
solubles et riches enacides aminés
essentiels,
lapoudre
de laitécrémé,
tannée ou non, au niveau du rumen et l’effet de cetannage
sur le bilan d’azote du mouton adulte à l’entretien.MATÉRIEL ET MÉTHODES
1
. -
Dis!zositif expérimental
Six moutons adultes de race
Ile-de-France, porteurs
de canulespermanentes
de rumen, sontrépartis
en deux lotscomparables,
enfonction
de leurpoids
vif(6 3
à 75kg). Après
dixjours d’adap-
tation auxrégimes expérimentaux,
ils sontplacés
en cages à métabolisme individuelles et soumis durant dixjours
à une mesure de bilande
matièresèche,
de matièreorganique
et d’azote. Deux séries deprélèvements
surchaque
animal sont effectuées ensuiteaprès
un repas test, à troisjours d’intervalle, pour
l’étude de l’évolutionpostprandiale
del’ammoniogenèse
et de la teneur enacides gras volatils dans la rumen.
2
. -
Régimes
alimentairesLes
régimes alimentaires
des deux lotsexpérimentaux comprennent,
outre unequantité
fixée
(environ
175 g de matièresèche)
d’un foin degraminées
dequalité médiocre,
un alimentcomposé (tabl. i)
dont environ 4o p. 100de l’azote est fourni par lapoudre
de lait non tannée ou tannée. Letannage
de ceproduit
a été obtenu par addition de i5parties
de matière sèche d’extrait tannant dechâtaignier
à 100parties
depoudre
de lait écrémé selon latechnique décrite précé-
demment
(Z ELTER et al., 1970 ). Après
untemps
de contact de deux àquatre heures,
le taux de matière sèche dumélange
a été amené à 90 p. 100par unséchage
dequatre
àsept
heures à unetempérature
inférieure à50 °C.
L’efficacité de ce traitement a été mesurée par le taux d’azote restant soluble en milieutrichloracétique
à 10p. 100après
incubation de 16 heures à390 C
enprésence
d’un inoculum de panse : letannage
a abaissé ce taux de6 9 , 5
pour le témoin à7 ,6
p. 100 pour le laittanné,
soit une réductionde 8 9
p. 100 en valeur relative.L’aliment
composé, présenté
enagglomérés
de 5 mm dediamètre,
est distribué en deux repaségaux,
à huit heures d’intervalle( 9 h- y h),
et le foin durant lanuit,
laquantité
totale de matière sèche distribuée étantajustée
à la taillemétabolique
de l’animal. Unsupplément vitaminique (
3
00o UI de vitamine A-f-
600 UI de vitamineD)
sous forme huileuse estajouté
au repas du matin. L’eau de boisson est consommée à volonté par l’animal durant le bilanazoté ;
elle lui estretirée,
pour lajournée, quinze
minutes avant le repasd’épreuve qui précède
lesprélèvements
dans le rumen.
3
. -
Techniques
de collecte etd’analyse
Des
prélèvements
de contenus de rumen sont effectués 15, 30,6o,
go, 150, 210, 300,3 60
et420
minutes
après
le début du repasd’épreuve.
Unprélèvement
témoin est effectué à,jeun, quinze
minutes avant le début de ce repas. 200ml d’une solution aqueuse à 5 p. 100de
polyéthylène- glycol (PEG),
destiné à évaluer le volume deliquide
du rumen, y sont introduits par la canuleau
temps
go minutes. Lestechniques
deprélèvement
etd’analyse
de ces échantillons sont décrites ailleurs(L ERO Y
etZ EL TER, 1970).
Les bilans d’azote sont établis sur deux
sous-périodes
de 5jours
etcomportent l’analyse
desaliments et des
refus,
de l’urine recueillie en milieu acide et des fècesfrais,
acidifiés au moment de larécolte, broyés
ethomogénéisés.
Les constituantsmajeurs
des aliments(tabl. i)
et des ma-tières fécales sèches sont dosés selon les méthodes officielles
d’analyse
des aliments des animaux.L’azote est dosé sur l’urine et les matières fécales
fraîches
parmicrokjeldahl après
minéralisation d’uneprise
d’essai contenant environ 100mg N.L’attaque
acide intervient en milieusulfurique,
en
présence
decatalyseurs (sulfates
depotassium
et decuivre, oxyde
rouge demercure).
RÉSULTATS
Les données concernant l’évolution
postprandiale
dequelques
métabolites dans le rumenaprès
le repasd’épreuve
sontgroupées
dans lafigure
i ; cellesqui
concernent le bilan d’azote et de matière sèche sur ces mêmes animaux sontindiquées
dans les tableaux 2et 3.i. - Teneur en azote soluble et ammoniacal et acidité volatile du contenu du rumen
après
unrepas
testLes concentrations d’azote
ammoniacal,
d’azote soluble et d’acidité volatiletotale,
dans lesprélèvements qui précèdent
etsuivent
lerepas d’épreuve,
sontregroupés
dans lafigure
la, oùchaque point représente,
sauf pour l’azotesoluble,
la moyenne des données recueillies à troisjours
d’intervalle sur le même animal. Laquantité trop
faible d’alimentingéré
par l’un des ani- maux dugroupe
« non tanné >s nous a conduità l’éliminer
de l’essai.Les teneurs en azote soluble différencient les deux traitements. Le maximum
atteint,
entre 45et 90minutes après
le repas, est nettement moins accusé dans le lot d’animaux recevant l’ali-ment
tanné ;
dans ce cas, la décroissance de cette teneur estplus
lente et il en résulte une teneuren azote soluble dans la panse
plus élevée,
au-delà de trois heuresaprès
le repas.Le
pic
d’azote ammoniacal se formeplus tardivement,
vers 90minutes. La différence entre les deuxtraitements, quoique
de même sens que pour l’azotesoluble,
est moins nette et la décroissance de la courbe du témoin est ici encoreplus rapide
que celle des animaux recevant lerégime
« tanné ».La teneur en acides gras volatils
paraît
elle aussilégèrement
diminuée par letannage.
Les
quantités
totales de ces métabolites dans la panse, estimées l’aide du PEG à 90minutes sontégalement plus
réduites(fig.
ib),
mais aucune de ces différences n’estsignificative,
en raisonnotamment de la variabilité des données relatives au volume des contenus de panse dans le groupe tanné. Cette variabilité et certaines anomalies dans l’évolution des concentrations de PEG en
fonction du
temps pourraient
êtreexpliquées
par laprésence
d’acidetannique
libre dans l’alimentou le rumen. Il est en effet connu que ces deux substances sont
susceptibles
de former descomplexes
insolubles
(K AY , ig6g).
2
. - Bilan d’utilisation de la matière sèche et de l’azote
Dans le groupe recevant les
protéines tannées,
l’utilisationdigestive
de la matière sèche( 70 , 1
)
et de la matièreorganique ( 72 , 1 )
durégime
est inférieure à celle dutémoin,
soitrespecti-
vement 72,1 et !;,3
(tabl. 2 ).
Il en va de même(tabl. 3 )
pour celle de l’azote(68, 2
contre72 , 0 ) ; malgré
cet accroissement de l’excrétion fécale parrapport
au témoin(tabl. 2 ),
le bilanazoté, qu’il
soit
rapporté
à l’azotedigéré
ou à l’azoteingéré (tabl. 3 ),
est favorable au groupeexpérimental,
en
dépit
de lagrande
variabilité des résultats. Ladéperdition
d’azote fécal liée autannage
estainsi
plus
quecompensée
par l’amélioration de l’utilisationmétabolique
de l’azotedigéré.
DISCUSSION
Si nos résultats confirment ceux de travaux antérieurs
(L ER OY
etZ ELTER , 1970 ),
ils s’endistinguent
néanmoins à diverspoints
de vue : nosrégimes
contiennent moins de matières azotées(
12
contre 16 p. 100de la matièresèche)
etdavantage
de céréales( 31
contre10 )
que ceux desprécé-
dents essais. Il n’est donc pas
surprenant,
dans cesconditions,
que l’effet du traitement soit moins nettement mis enévidence,
surtout en cequi
concerne l’azote ammoniacal. L’ammo-niogenèse postprandiale
dans le rumen reste basse même avec lerégime témoin,
cequi suggère
une consommation
rapide
de l’azote ammoniacal pour uneprotéosynthèse
microbienne accruedans un milieu suffisamment riche en
glucides,
et notamment en lactoseapporté
par lapoudre
de lait. Une telle
hypothèse pourrait expliquer
laproportion
peuimportante
d’azote ammoniacal dans leliquide
du rumen.La
production
d’acides gras volatils totaux est, elleaussi, légèrement
amoindrie par le tan- nage, mais de manière nonsignificative.
Il en va de même pour l’utilisationdigestive
de la matièresèche et de la matière
organique ;
cette observation est en accord avec la thèse de LixxLE etal., (
19 6 3
), d’après laquelle
lacellulolyse peut
être réduite en l’absence d’unequantité
suffisanted’azote facilement
attaquable
par la microflore du rumen.Durant la
période
debilan,
les niveauxd’ingestion
de matière sèche et lerapport azote/
énergie (MAD/UF
=100 )
sontcomparables.
Lesquantités d’énergie
netteingérées,
calculées àpartir
des données dubilan,
étaient suffisantes pour satisfaire le besoin d’entretien( 0 , 7 - 0 ,8 UF/j)
de nos animaux.
La moindre
digestibilité
desprotéines
estcaractéristique
du traitement avec des doses élevées d’extrait tannant dechâtaignier (L EROY
etZ ELTER , 1970 )
ou deformaldéhyde (R ATTRAY
etJ
OYCE
, 1970 ).
La variabilité de cet effet selon l’individupourrait
être liée àl’aptitude
de cedernier à détruire les
complexes tannin-protéines
dans le tractusdigestif.
Il est
possible
de calculer de combien letannage
modifie l’efficacité de laprotéine traitée, qui représente
environ 4op. 100de l’azote durégime.
Si l’onrapporte
la différence despertes
fécalesentre les deux
régimes
au seul azote de lapoudre
de laitexpérimentée,
ilapparaît
que letannage
réduirait d’environ huit
points
ladigestibilité apparente
de laprotéine
de lait. Le résultat dubilan, rapporté
à la mêmequantité d’azote,
montre une améliorationlégèrement supérieure
à 10p. 100 de la rétentionapparente
de l’azoteingéré
sous forme depoudre
de lait tannée.Étant
donné lemédiocre rendement
global
de transformation de l’azoteingéré
par le mouton adulteà l’entretien,
cette amélioration se traduit bienplus
nettement enpourcentage
au niveau du coefficient d’uti- lisationprotéique
de l’azote(-f-
39 p. ioo ; tableau2 )
dont la variabilité reste toutefoisimportante.
Le
présent
essai n’a pas le caractère démonstratif desexpériences qui
ont conduit à mettreen évidence au niveau du rumen l’effet du
tannage
desprotéines (L EROY
etZ ELTER , 1970 )
et ce,principalement
en raison du nombre limité d’animaux dont nousdisposions
et del’importance
des variations individuelles observées. Il est
cependant
intéressant de noter que, même avec un niveau azoté alimentaireplus
faible que dans lesprécédents
essais et unrapport azote/énergie plus
favorable à une bonne utilisation de l’azote soluble dans le rumen, la tendance des résultats de cetteétude, qui
remonte à19 66,
reste favorable auxprotéines
tannées.L’épreuve
ultérieurede croissance sur chevreaux
précocement sevrés,
mentionnée dans uneprécédente
communi-cation
(D ELORT -L AVAL
etZ ELTER , 19 68),
ainsi que les travauxplus
récents de DRIEDGER et al.(ig6g)
et de REIS et Turrxs(ig6g)
l’ont confirmédepuis.
Reçu pour publication
enjuillet
1971.REMERCIEMENTS
Ces
recherches ont étépoursuivies
avec le concours de laSociété
des ProduitsChimiques
etCellulose
Rey,
àqui
vont nos vifsremerciements,
et avec l’aide financière de la D. G. R. S. T.(contrat 6 7 oo !gr).
SUMMARY
PROTECTION OF PROTEINS IN THE FEED AGAINST DEAMINATION BY BACTERIA IN THE RUMEN. III. - EFFECT OF TANNING MII,K
PROTEIN ON ITS FATE IN THE RUMEN AND ITS METABOLIC EFFICIENCY IN ADULT SHEEP AT MAINTENANCE
Treatment of skimmed milk
powder
with atanning
substance extracted from chestnut woodmarkedly
reduced(― 8g
percent)
thesolubility
of itsproteins
both in anartificial
rumen and insheep
with apermanent
rumen cannula.When
included,
in a balanceexperiment,
in the diet of adultsheep,
the tannedprotein
caused a small decrease in
digestibility
ofnitrogen (68. 2
vs72 . 0 ).
There was asignificant improvement
innitrogen
retention(2 3 .6
vsi6.i)
andpractical utilisation (i6.i
vs m.6 percent).
Tanning
had nosignificant
effect ondigestibility
oforganic
matter orproduction
of totalvolatile
fatty
acids in the rumen.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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