Environnement, sociétés, espacesr
Avant-propos
Stéphanie Thiébault (UMR ArScAn - Archéologie environnementale)
Les réunions qui se sont tenu dans le c a d re du thèm e transversal 1 au cours des années 2002-2003 ont considéré trois axes. Le premier est une réflexion sur la perception du paysage, le second se situe dans le prolongem ent des études am orcées sur le « bois dans tous ses états » a v e c une journée d a va n ta g e consacrée aux usages e t aux techniques, le troisième concerne les crises environnementales.
La perception du paysage
Les termes de paysage e t d'e nvironnem ent sont diversement employés dans la littérature notam m ent e t revêtent des concepts parfois forts différents. L'archéologie anglo-saxonne a d o té depuis longtemps l'arch éologie du paysage « Landscape A rchaeolo gy » d 'u n c a d re bien défini. Ce ferm e est utilisé pour décrire finem ent les m éthodes d e terrains, la photo-interprétation, l'utilisation des S.I.G. dans le b u t d e trouver des sites, d e restituer des modèles d 'im p la n ta tio n e t les réseaux d e relations.
Le paysage devient aujourd'hui « o b je t » d e musée e t d o n c « o b je t » à restaurer et à conserver. Environnement, paléo é co lo g ie sont a u ta n t d e notions fréquem m ent utilisées qui revêtent ce p e n d a n t des cham ps d e recherches très divers. De plus, les « Assises nationales d e l'arch éologie environnem entale », tenues en mai 1999 à Nanterre (les Nouvelles d e l'Archéologie, n° 78, 1999), o n t clairem ent m ontré les problèmes posés par l'absence d 'u n e structure de réflexion e t d e recherche sur l'intégration des disciplines concernées : fragm entation des connaissances, absence d e bases de réflexion conduisant à une meilleure intégration des approches et, souvent même, absence de discussion entre les chercheurs concernés...
Un séminaire, d o n t le b u t est d e donner la parole aux différents intervenants qui s'intéressent, à plusieurs titres à ces problématiques, est organisé dans le c a d re du thèm e transversal 1. Il a pour o b je ctif de confronter les différentes conceptions q u 'o n t et que diffusent les chercheurs (philosophes, historiens, archéologues ethnologues, géographes, écologues e t environnementalistes) e t les acteurs (paysagistes, écologistes, agriculteurs...). L'objectif est d e restituer des discours sur les paysages e t les environnements à différentes échelles d'analyse e t pour des époques diverses.
La première réunion a eu lieu en mars 2002. Elle réunissait Anne Cauquelin, philosophe e t historienne de l'a rt et Pierre Donnadieu, g é o grap he e t professeur à l'é co le du paysage d e Versailles. N 'a ya n f pas obtenu de com pte-rendu de ces deux personnalités, nous nous perm ettons de présenter un résumé d e leur intervention à partir d e notes écrites. Q ue les lecteurs e t les intervenants veuillent bien nous excuser d e la nature un peu décousue des propos, seules les idées directrices des interventions sont ici transcrites.
Anne Cauquelin est l'auteur d e « L'invention du paysage » e t s'est to u t d 'a b o rd présentée com m e « énervée » a v e c les idées d e nature. Son exposé a d é b u té par une réflexion sur la notion d e paysage, espace g éograp hie d e la nature auquel se superpose une construction intellectuelle plus la perspective.
La nature chez les grecs anciens est un c o n c e p t sans image, c'e st une bonne maîtresse de maison, une « bonne m énagère ». À partir d e Byzance e t du basculem ent vers l'iconographie, la nature est associée à Dieu jusqu'au Q uattrocen to où l'invention d e la perspective perm et d 'e n g lo b e r la nature d 'u n seul regard : le paysage.
Notre perception du paysage s'est construite à partir des peintures du Q uattrocento, le m odèle est dans la tête. G râce à des exemples précis (notam m ent les tableaux d'A nnonciation), A. Cauquelin montre que nous appréhendons plusieurs espaces. L'espace représenté et celui qui é c h a p p e à la boîte. Se pose alors la question : com m ent voir c e que nous ne voyons pas ? En réalité nous percevons le paysage com m e un tout m êm e s'il n'est vu que par m orceau. Ce n 'é ta it pas le cas chez les Grecs. Ainsi, Hérodote énumère et décrit
Stéphanie Thiébault
des m orceaux d e paysage mais il n 'y a pas de prise en c o m p te d 'u n e globalité visible. Il y a une logique du paysage, une logique de la séparation ou de l'em boîtem ent, une logique du lieu.
Après une fascinante discussion, A. Cauquelin a term iné son intervention par une réflexion nouvelle d o n t le questionnem ent d e d é p a rt est : « Pourquoi les nouvelles technologies empruntent-elles des mots au paysage ? » Ainsi l'utilisation du « site » pour le site w eb, du « bug » qui signifie la bestiole, la punaise.... Se pose la question d e savoir si nous souhaitons, d e manière consciente ou inconsciente, naturaliser les techniques.
Le second intervenant, Pierre Donadieu, g é o g ra p h e e t professeur à l'École du Paysage d e Versailles est notam m ent l'auteur des « Mots d e paysage et d e jardin ». Son discours est fo n d é sur une posture socio-politique e t les rapports entre paysage e t pouvoir.
Si au XVIIIe siècle, le jardin et la peinture du paysage constituaient une mise en form e d e la nature, au XIXe, la transformation de la ville m et la nature en scène.
Le XXe siècle voit l'arrivée des architectes paysagistes puis des paysagistes. La « Société paysagiste » (A cte Sud) interpelle le pouvoir politique. Le paysage est une form e matérielle visible, une im age passée, actuelle, future ; un attribut d e qualification, il s'agit d e qualifier ou d e re-qualifier les lieux pour les faire re connaître. C 'est la construction d 'u n rapport au m onde, il fa u t traduire d e la contem plation.
Après c e développem ent, P. Donadieu a exposé les différentes étapes dans les relations entre pouvoir e t paysage en identifiant les chartes (contrat d e paysage dans les parcs naturels régionaux, l'ide ntité des territoires) ; le plan du paysage (Ministère d e l'éq uipem ent) ; les atlas d e paysage ; la loi Voynet sur les « pays » ; la recréation de la Nature...
La seconde réunion sur c e thèm e de la perception des paysages eut lieu en janvier 2003. Il s'agissait de la perception du paysage par les médiévistes d e parchem in, représentés par M onique Bourin, Professeur d'Histoire m édiévale à l'Université d e Paris I et Samuel Leturcq, enseignant à l'Université de M arne La Vallée, e t les médiévistes du sédiment, représentés par Joëlle Burnouf, Professeur d'A rch é o lo g ie m édiévale à l'Université d e Paris 1 e t m em bre d e l'UMR 7041. Les résumés d e leurs interventions figureront dans le prochain cahier des thèmes transversaux.
La prochaine séance devrait nous apporter la perception des ethnologues...
Le second axe, en collaboration a ve c le thèm e 3, se situe dans le prolongem ent des réunions entreprises l'an passé (cahier n°2) sur le bois dans tous ses états. Une ta b le ronde d 'u n e journée s'est tenue le 24 mai, organisée par Claire Alix (UMR 8096, « Archéologie des Amériques ») et Hélène Guiot, (UMR ArScAn - « Ethnologie préhistorique »). Elle a réuni une vingtaine d'a rch é o lo g u e s e t archéo-botanistes e t une dizaine de professionnels d e la filière bois, ébéniste, fa cte u r d 'a rc, sculpteur, menuisier e t un m écanicien du bois. Le but de c e tte réunion éta it d e com parer les hypothèses que form ulent archéologues e t archéo-botanistes c o n ce rn a n t les choix du bois pa r les populations aux connaissances des propriétés des essences ligneuses. Il est apparu, com m e le com pte-rendu le montre, q u 'u n e attitu d e opportuniste est souvent à l'origine d e la récolte des bois. Le premier critère est d o n c la proximité e t la disponibilité du bois, les artisans s 'a d a p ta n t à c e tte disponibilité. Il est to u t à fa it intéressant de souligner, à l'instar d e l'avant-propos de C. Alix e t d'H. Guiot, que « c e ne sont pas ta n t les essences qui varient mais leurs caractéristiques physiques e t par extension leurs qualités m écaniques. Ces différences de sélection du bois seraient fo n ctio n des m odifications de la forêt, elles- mêmes dues à des changem ents climatiques e t à une évolution d e l'exploitation e t de l'entretien des forêts ». Cela montre bien l'interaction qu'il y a entre les connaissances empiriques e t les connaissances physiques que nous avons sur un m êm e matériau, e t com m ent les sociétés qui l'e m p loient arrivent à s'y adapter, d e fa ç o n à l'utiliser de la meilleure fa ço n e t à un moindre coût. La loi du moindre effort est-elle un m ythe ou une réalité ?
Le troisième axe est consacré aux crises. Dans l'intervention d e Sander van der Leeuw, Professeur d 'A rch é o lo g ie à l'Université d e Paris, UMR 7041 : « Crises perçues, crises vécues », il s'ag it d e dé ve lo p p e r une a p p ro ch e qui ne distingue pas entre crises « sociétales » e t crises « environnementales », mais qui m et un m anque d 'a d é q u a tio n entre les dynamiques sociétales e t les dynam iques environnementales au centre de nos préoccupations. Illustré a v e c quelques études d e cas modernes, il s'ag it d e dévelop per un m odèle co n ce p tu e l qui perm et d e réfléchir de manière transdisciplinaire à des tels événements. Le com pte-rendu de c e tte intervention figurera dans le prochain cahier.
Une illustration de c e thèm e est donnée par Joseph Tainter, Professeur au Rocky M ountain Research Centre à Albuquerque, USA, a v e c : « The D evelopm ent an d Collapse of Political Com plexity a t C ahokia in the Am erican Midwest ». Il s'agit d 'u n e é tude de cas qui soulève le problèm e d e la chute des cultures e t des civilisations (voir égalem en t son livre : The Collapse o f A ncient Societies).
Environnement sociétés, espacesr
C ahokia est l'un des plus grands sites localisé au nord du Mexique en Amérique du Nord. Il présente sur une surface d e 14 km2 un ensemble d'architectures publiques, d 'h a b ita ts e t d'ouvrages défensifs. Cahokia se situait au som m et de la hiérarchie des sites e t recevait des marchandises d e territoires aussi éloignés que les Grands lacs ou les côtes du Golfe. Il a profondém ent influencé les com m unautés indigènes de l'est de l'Am érique du Nord. La présentation décrit les recherches récentes qui explicitent le d é ve lo p p e m e n t et le déclin d e c e grand centre politique, particulièrem ent dans ses relations a ve c les plus vastes régions qu'il dominait. L'im portance d e Cahokia ne se résume pas à son rôle dans l'est d e l'Am érique du Nord. Sa valeur réelle est d'illustrer le d é ve lo p p e m e n t e t le déclin d 'u n e com plexité politique.
En définitive, l'am bition du thèm e 1 est de mieux cerner les perceptions d e l'environnem ent e t d e les intégrer afin d'arriver à une a p p ro ch e cognitive d e l'espace. Les prochaines réunions prolongeront ce thèm e sur la perception. C ette a p p ro c h e d e la perception ne sera pas la seule à être é tudiée car nous nous attacherons, a u ta n t que faire se peut, à identifier les modes d e transmission d e l'environnem ent.
Élément bibliographique
Cauquelin A. 1989. L'invention du paysage, Pion, 182 p.