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Terrorisme et action internationale humanitaire d'urgence

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Academic year: 2021

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(1)Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 33. TERRORISME ET ACTION INTERNATIONALE HUMANITAIRE D’URGENCE Yves Sandoz Director, Geneva University, Centre for International Humanitarian Law In his keynote speech Yves Sandoz gave a detailed analysis of the consequences of terrorism for humanitarian action. In his text he convincingly argues that the legitimate security requirements and need to prevent terrorists threats should not weaken the respect for international humanitarian law. Nor should the distinction between the necessary political and security action, on the one hand, and the mandate and work of the humanitarian organizations, on the other hand be blurred. In the first place, he calls for a firm condemnation of terrorism. According to Yves Sandoz, we have to state and to repeat clearly: “there is no good terrorism”. As a deliberate violent attack aimed primarily against civilians, terrorism is a serious breach of international humanitarian law, and has to be unequivocally condemned as such. Terrorism is not a new phenomenon and there are different forms of terrorism. However, the attacks on 11 September 2001 represented a major escalation of terrorism and there is also a potentia widespread threat not only against America but also against other members of the international community. Because of the very nature of terrorism, international humanitarian law does not cover terrorists as explicitly as combatants in international or internal conflicts. At the same time, however, it is clear that the core principles and protections of international humanitarian law also apply in the fight against terrorism and with respect to terrorists. Today, it is in the interests of all that the basic principles of international humanitarian law should be reaffirmed and respected by all members of the international community. A third important issue addressed by Yves Sandoz was the nature and independence of humanitarian organizations and the need to resist the temptation to enlist them in the “war on terrorism”. The fact that humanitarian actors categorically reject and condemn terrorism should not lead to a weakening of the humanitarian character of their mandate and action. While humanitarian actors, like all organizations, have to evolve and to adapt to changing circumstances, this should not weaken the humanitarian character of their work. Finally, the keynote speaker reminded the conference once more of the importance of demonstrating a true solidarity with the poor and underprivileged in the world and of the urgent need to lay the bases of a just and universal peace in the world. The idea of permanent peace in the 21st century must not be seen as an illusion: it is a necessity. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. © UNHCR 2002.

(2) Key-note Speeches p 33 à 44. 34. 29.11.2002. 8:41. Page 34. Key-note Speeches. Je tiens tout d’abord à vous dire combien je suis heureux de participer une fois de plus à cette réunion organisée par l’université de Webster, qui est devenue un rendez-vous annuel important de la vie internationale genevoise, une occasion précieuse de faire le point sur des sujets d’actualité dans le domaine du droit et de l’action humanitaires. Or si cette manifestation a gagné ce crédit, elle le doit avant tout au professeur Otto Hieronymi, qui l’a créée et développée avec une compétence et une persévérance remarquables. Permettez-moi de saisir cette occasion pour l’en remercier chaleureusement... et pour le remercier aussi des paroles beaucoup trop aimables qu’il vient de prononcer à mon sujet. On ne peut plus faire de discours aujourd’hui sans parler du 11 septembre 2001, comme si les événements de cette journée avaient changé le cours de l’histoire, avaient en quelque sorte donné une nouvelle signification aux réflexions prospectives qu’avaient engendrées le moment purement symbolique de l’entrée dans le nouveau millénaire. Pourquoi cet événement, si tragique soit-il, nous a-t-il tant frappé? C’est bien sûr, d’abord, par l’effroi de voir périr des milliers de victimes innocentes. Mais on ne saurait ignorer que des milliers d’autres victimes innocentes meurent chaque jour dans l’indifférence générale. Plus encore que par l’ampleur du drame, c’est donc sans doute son caractère spectaculaire qui a frappé le monde entier. La superpuissance mondiale était touchée de plein fouet à travers des symboles de sa puissance, et cela presque en direct, sous les yeux du monde entier. Le terrorisme démontrait de manière spectaculaire qu’il n’avait pas de barrière. L’on doit toutefois également se demander pourquoi l’on continue de parler aujourd’hui de cet événement avec une telle intensité et cela est probablement lié à ses suites davantage même qu’à l’événement lui-même. Suites directes, d’abord, qui nous ont fait voir des foules aller jusqu'à se réjouir de ce qui s’était produit, laissant ainsi percevoir un climat d’hostilité qui règne dans certaines parties du monde à l’égard des Etats-Unis au premier abord, mais probablement aussi de tous les Etats riches de la planète. Suites aussi de par la condamnation quasi universelle des actes terroristes par les dirigeants du monde, démontrant une certaine unité de ceux-ci, au moins de façade, face à certaines menaces. Suites ensuite de par la réaction immédiate des Etats-Unis qui, touchés eux-mêmes, ont démontré et continuent de le faire que la plus grande puissance militaire du monde ne comptait que sur elle-même pour agir, mettant en quelque sorte en lumière une certaine marginalisation de l’Organisation des Nations Unies en tant que telle dans les décisions concernant l’usage de la force. Et suites enfin quand ce même Etat a insisté sur la participation nécessaire de tous les Etats de la planète pour lutter contre ce phénomène, reconnaissant par là que lui aussi ne pouvait se passer des autres dans le long terme. Tout cela posant les bases d’un nouveau débat sur le fonctionnement et l’organisation du monde. Or la place que joue et doit jouer l’action humanitaire d’urgence, qui est une des questions que je souhaite aborder avec vous ce jour, fait elle aussi partie de ce contexte général..

(3) Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 35. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. 35. Avant de vous faire partager quelques réflexions à cet égard, je souhaiterais toutefois brièvement en revenir au sujet de ce jour indépendamment des événements du 11 septembre et de leurs suites. Le terrorisme n’est en effet pas une invention récente et il convient toujours de rappeler sans la moindre hésitation qu’il est prohibé sans aucune nuance par le droit international, que ce soient les droits de l’homme en temps de paix ou le droit international humanitaire en temps de conflit armé. On peut expliquer le terrorisme et on doit certainement chercher à analyser ses causes profondes, mais on ne saurait le justifier. Certes, il reste des questions ouvertes, la première étant la définition du terme, sur laquelle les Etats ne sont pas encore parvenus à s’entendre. Mais cette difficulté ne doit pas devenir prétexte à masquer le problème. Ce dont on veut parler, ce qui est au cœur des préoccupations et ne saurait être évacué par des digressions sémantiques, ce sont des actes de violence indiscriminée touchant délibérément des civils, c’est à dire ne faisant pas cette distinction essentielle entre les personnes engagées dans la guerre et celles qui ne le sont pas. La réprobation de tels actes doit être sans nuance. Il n’y a pas de «bon» terrorisme, il faut le répéter haut et fort. Cela étant dit, cette condamnation ne saurait pas non plus devenir un prétexte pour refuser toute analyse et il est nécessaire de distinguer divers types d’actes terroristes en fonction des effets qu’ils produisent. Il y a d’abord les actes réellement aveugles, dont l’objectif est avant tout de faire pression ou de déstabiliser les autorités en vue d’obtenir ensuite des avantages politiques que l’on estime ne pas pouvoir obtenir d’une autre manière. En fait, l’attaque aveugle n’est alors pas un premier choix, mais le seul moyen, dans un rapport de force inégal, dont estiment disposer ceux qui commettent de tels actes. Le climat dans le pays est de ce fait très lourd et les organisations humanitaires présentes le subissent, mais ce type de terrorisme n’empêche pas a priori leur action, dans la mesure où ces organisations partagent avec l’ensemble de la population le risque d’être atteintes par un acte aveugle. Or ce risque reste généralement plus faible, si on l’analyse sur le plan statistique, que ne le laisse croire la médiatisation très forte de tels actes. Autre est la situation dans le cadre de guerres raciales ou ethniques, dans lesquelles le terrorisme n’est pas seulement utilisé pour déstabiliser le pouvoir, mais pour chasser, voire réduire ou même exterminer la population dans des guerres de type génocidaire. La population elle-même est une cible et ceux qui l’aident une entrave. Les organisations humanitaires peuvent de ce fait être visées par ces actions de type terroriste, pour les empêcher de remplir leur rôle. Quand c’est le cas – et l’on a tous quelques exemples à l’esprit, même si cela reste heureusement rare – ces organisations n’ont généralement pas d’autres choix que de retirer leurs délégués, car elles ne sauraient exposer la vie de ceux-ci à un tel risque. Bref, les organisations humanitaires sont vulnérables au terrorisme qui les vise, il faut en être bien conscient. Mais ce n’est pas leur problème qui doit être au cœur des préoccupations dans des situations de ce type, mais le fait que.

(4) Key-note Speeches p 33 à 44. 36. 29.11.2002. 8:41. Page 36. Key-note Speeches. ces organisations laissent généralement sans aide, derrière elles, des populations dans la détresse. Ce départ doit donc être un signal d’alarme pour la communauté internationale, qui devrait alors impérativement et de toute urgence s’investir davantage sur le plan politique, voire militaire. L’analyse des actes terroristes ne saurait toutefois pas s’arrêter là et l’on doit se demander s’il faut étendre la notion de terrorisme à d’autres actions et situations, notamment celles où des dictateurs sanguinaires ont régné par la terreur, en éliminant, torturant ou incarcérant tout opposant (ce que l’on appelle le terrorisme d’état)... voire dans l’utilisation de certains moyens. Même si c’est éloigné de notre contexte, l’on peut se demander si les bombardements de villes lors de la deuxième guerre mondiale – allemands d’abord, alliés ensuite, avec le choc particulier provoqué par l’utilisation de bombes nucléaires – n’étaient pas, à grande échelle, des actes terroristes: il s’agissait de démontrer que l’on pouvait anéantir des populations, soit de terroriser celles-ci , et de déstabiliser par là un gouvernement pour obtenir la reddition de celui-ci. La légitimité de l’exigence par rapport à un gouvernement qui avait commis les pires horreurs, pour ce qui concerne les bombardements alliés, a quelque peu occulté cet aspect du problème. Il est toutefois au cœur de questions que l’on doit se poser quand on parle de lutter contre «le mal», car il touche la philosophie du droit international humanitaire, qui veut justement éviter de mêler la justesse de la cause à la question des moyens et qui juge à cet égard à la même aune les bombardements allemands sur des villes que les bombardements alliés. Je ne veux pas aller plus loin sur ce terrain évidemment très délicat et qui mériterait en lui-même un long débat. Si je m’y suis néanmoins aventuré, c’est pour rappeler la complexité du débat sur le terrorisme et le risque que l’on s’y perde. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai insisté sur le fait que ce débat ne doit pas nous égarer, ni permettre d’éluder la condamnation sans nuance de certains actes dont la qualification de terroristes tombe sous le sens. Bref, sur un plan général, il convient de rappeler que le terrorisme est condamné sans ambiguïté par le droit international humanitaire et donc par ceux qui sont chargés de contribuer à le faire respecter – il n’y a pas de neutralité par rapport à des actes terroristes – et que s’il est une entrave à l’action humanitaire dans tous les cas, il est un obstacle insurmontable quand les organisations humanitaires sont directement la cible d’actes terroristes. Revenons toutefois maintenant, si vous le voulez bien, à quelques réflexions plus générales et à plus long terme que nous inspirent les événements de ces derniers mois. La première est celle de l’interdépendance toujours plus grande de chacun dans le monde d’aujourd’hui. Il est apparu comme une évidence, suite aux événements du 11 septembre, que la lutte contre le terrorisme nécessitait une mobilisation de tous les Etats, qu’il ne devait pas y avoir d’Etats complices, ni de maillons faibles. Mais cette interdépendance qui a sauté aux yeux par rapport à la lutte contre le terrorisme est une réalité qui dépasse largement ce cadre..

(5) Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 37. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. 37. La planète comptait 1 milliard d’habitants il y a cent ans et 2 milliards il y a cinquante. Elle abrite aujourd’hui 6 milliards d’êtres humains et la progression va continuer en tout cas jusqu'à 8 ou 10. Il n’y a plus de grandes terres d’accueil, telles qu’ont été les Amériques ou l’Australie, capables d’absorber les migrants qui fuient la misère ou la persécution. La planète, dont les ressources semblaient quasi illimitées, marque des signes d’essoufflement et nous fait découvrir sa fragilité face aux pollutions massives que lui font subir les effets conjugués de la croissance démographique et du développement industriel. Les grandes entreprises économiques ne connaissent pas de frontières. Les problèmes de l’eau, de l’air, des ressources alimentaires, des migrations massives, de la criminalité organisée ne peuvent plus se résoudre au niveau individuel de chaque Etat. Notre appréhension de la guerre ne doit pas échapper à cette analyse. On ne peut plus confiner au pays concerné les effets d’une guerre interne. On a vu notamment en Afrique les effets déstabilisants pour les pays voisins de guerre engendrant un afflux massif de réfugiés. Mais l’on doit aussi considérer le phénomène sous l’angle plus global de la planète: les atteintes cumulées, directes ou indirectes, sur l’environnement de multiples conflits internes qui se déroulent sont de moins en moins supportables. Bref, un conflit interne n’est plus une affaire purement interne d’un Etat. Le droit international était essentiellement un droit de coexistence, mettant l’accent sur l’indépendance et la souveraineté de chaque Etat, duquel on exigeait avant tout qu’il ne nuise pas à son voisin, sans s’occuper de la manière dont il gérait ses affaires internes. Or, la gestion non seulement du terrorisme, mais de tous les grands problèmes planétaires évoqués ci-dessus ne se satisfait plus de cette manière de faire. Et c’est là qu’intervient un débat qui se développe aujourd’hui. La prise de conscience que nous sommes tous embarqués dans cette barque fragile qu’est notre planète doit logiquement nous amener à développer en commun des règles qui nous permettent de mieux préserver les intérêts collectifs de la planète. Quand une barque prend l’eau, il ne s’agit plus seulement de se retrancher dans sa cabine. Le siècle qui s’ouvre devra donc impérativement voir se développer considérablement le droit international (ou plus exactement un droit mondial puisqu’il ne s’agit plus seulement de gérer les relations entre les Etats mais de défendre la planète et les intérêts collectifs de la communauté internationale) et les institutions internationales chargées de veiller à son application. On doit espérer que c’est bien cette direction que prendra la communauté internationale. Cela malgré un certain sentiment de malaise qui provient du fait que la plus grande puissance mondiale ne paraît aujourd’hui très intéressée ni par le droit international, ni par les institutions internationales. Ce n’est pas très surprenant d’ailleurs, car comme toute superpuissance, les Etats-Unis n’ont pas d’inclinaison pour un droit ou des institutions qui leur fixeraient des contraintes que personne n’est en mesure de leur imposer. Mais le message qui, espérons-le, finira par passer,.

(6) Key-note Speeches p 33 à 44. 38. 29.11.2002. 8:41. Page 38. Key-note Speeches. est celui-ci: précisément parce qu’ils sont forts à cette période de l’histoire, les Etats-Unis pourraient et devraient jouer un rôle moteur dans le développement du droit international et des institutions internationales, pour gagner ou renforcer la confiance des autres Etats. Cela me paraît essentiel pour obtenir de ceux-ci une pleine adhésion à des mesures non seulement visant à lutter contre le terrorisme, mais aussi propres à résoudre les nombreux autres problèmes évoqués ci-dessus, et pour ne pas isoler les gouvernements de leur peuple dans ces justes causes. Décider unilatéralement où est le mal et comment le combattre ne saurait remplacer dans la durée cette nécessaire évolution. Mais l’interdépendance de tous met en lumière une autre exigence, celle que le monde soit formé d'un réseau d'Etats forts et crédibles. On ne luttera pas sérieusement contre le terrorisme, ni contre les autres maux qui menacent l'ensemble de la planète, sans des Etats unis par des valeurs communes et dotés de gouvernements qui contrôlent la situation. Davantage que celui des gouvernements complices, le problème de la lutte contre le terrorisme sera probablement, dans la durée, celui des Etats qui n'ont pas les moyens de participer efficacement à cette lutte sur leur propre territoire. La solution de facilité, qui a souvent prévalu dans le passé, on ne peut l'ignorer, c'est de soutenir des gouvernements forts mais non démocratiques, des dictateurs auxquels on pardonne tout pour peu qu'ils soient «alignés» dans certains domaines d'intérêt commun. Mais ce n'est heureusement plus acceptable et l'on doit rester très vigilant face à la tentation de sacrifier les droits de l'homme sur l'autel de la lutte contre le terrorisme, soit de sacrifier précisément les valeurs que l'on prétend défendre. Or un gouvernement ne maîtrisera pas la situation s'il est incapable d'assurer pour le moins les services essentiels que l'on est en droit d'attendre de lui, la santé publique, l'éducation, la sécurité et la justice. L'avenir d'Israël, pour évoquer une question d’une brûlante actualité, passe bien sûr par l'acceptation profonde de son existence dans la région, mais aussi par un Etat palestinien fort et par des projets communs, par une dynamique régionale qui soit porteuse d'espoirs. Dans cette situation comme partout dans le monde – et c'est particulièrement vrai en Afrique – le voisinage d'un Etat faible est une source de dangereuse instabilité pour soi-même et pour toute la région. Cela demandera bien sûr un effort de compréhension, car de nombreux Etats s'accrochent aveuglement à leur souveraineté nationale pour refuser toute évolution, sans comprendre que celle-ci ne vise pas à les affaiblir, bien au contraire, mais modifie leur rôle, qui ne sera plus seulement de gérer comme bon leur semble ce qui est de leur compétence, mais de mettre en oeuvre le droit mondial en devenir. Cette exigence d’un réseau d'Etats sans faille implique par ailleurs aussi des gouvernements forts et crédibles, responsables (dans le sens anglais de «accountable») à l'égard de la communauté internationale, ce qui doit conduire inévitablement la communauté internationale à se pencher un peu davantage sur la.

(7) Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 39. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. 39. qualité et sur la légitimité démocratique de ces gouvernements. Or cet aspect du problème est fort délicat car la crainte reste vivace chez les Etats qui n'ont conquis leur indépendance que récemment de voir les Etats nantis prendre tout prétexte pour remettre en question cette indépendance et, par là aussi, leur culture et leur organisation sociale. Ces évolutions sont donc complexes et l’on ne pourra progresser qu’à petits pas, mais je crois qu’il est important dès maintenant d’en accepter la nécessité et de fixer clairement l’objectif. Autant cette conscience de l’interdépendance que le caractère manichéen de la lutte contre le mal qui s’est développée depuis les attentats terroristes du 11 septembre nous amènent à nous poser la question du rôle de l’action humanitaire d’urgence et de son indépendance. Les organisations humanitaires ne font pas les événements mais les subissent, sinon, parfois, en alertant les gouvernements ou l’opinion publique face à des situations qui dépassent le seuil du tolérable. Elles doivent donc constamment adapter à la réalité de situations nouvelles leurs méthodes d’action, voire parfois aussi leur «doctrine». Or, l’on pourrait voir émerger à nouveau, au vu de ce qui précède, la tendance de vouloir insérer l’humanitaire dans l’action générale visant à préserver la paix et la justice, sur laquelle se fonde la légitimité d’une action internationale. En fait, c’est le retour de ce que l’on a appelé «l’approche intégrée», suite à la première édition de «l’agenda pour la paix» de Boutros Boutros Ghali. Dans l’optimisme ambiant qui régnait avec la fin de la guerre froide, l’on voyait l’ONU jouer enfin le rôle central qui était censé être le sien à l’origine pour faire régner la paix. L’humanitaire n’avait alors plus à être neutre, il devait s’aligner avec ceux qui étaient du côté du droit et de l’ordre internationaux. Quoique l’ONU ait de fait été plus active depuis cette période, notamment à travers un nombre considérable d’opérations de maintien de la paix dont on sous-estime d’ailleurs souvent l’importance et l’impact, il n’en reste pas moins que cet optimisme est aujourd’hui bien tempéré. L’ONU est loin d’être en mesure d’intervenir dans toutes les situations conflictuelles. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de nombreuses voix pourraient toutefois s’élever à nouveau pour que les organisations humanitaires se rangent du côté des défenseurs du droit international de la paix. Cela dans la ligne de ce que certains ont déjà souhaité dans des situations où l’ONU est militairement active, directement ou par les troupes qu’elle autorise à agir, comme dans la guerre du Golfe, voire même dans le cadre d’une action comme celle de l’OTAN au Kosovo, originellement fondé non pas sur une décision de l’ONU mais sur le principe de «l’intervention d’humanité» (question qui, d’ailleurs, fait aussi l’objet d’une controverse mais que nous n’aborderons pas dans ce cadre). Cette approche présente pourtant trois dangers: D’abord elle risque d’affaiblir, chez ceux qui défendent le droit international ou la paix, ou s’érigent en défenseurs de ces valeurs, la vigilance à l’égard de leur propre comportement. Le droit international humanitaire.

(8) Key-note Speeches p 33 à 44. 40. 29.11.2002. 8:41. Page 40. Key-note Speeches. est construit sur des valeurs universellement reconnues. Ne pas observer ses principes et règles pervertit même la meilleure des causes: l’ONU ou ceux qui agissent en son nom ont donc une responsabilité toute particulière et ne sauraient prétendre s’exempter du respect de ce droit. Cela paraît évident mais n’a pas été facile à faire admettre à tout le monde et l’on doit donc considérer comme un succès que, suite à des travaux préparatoires effectués en étroite collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge, le Secrétaire général de l’ONU ait promulgué des règles sur l’observation du droit international humanitaire par les forces de l’ONU. Il peut y avoir, et il y aura sans doute, des soldats qui commettront des crimes de guerre parmi les forces de l’ONU ou les forces qui sont engagées conformément à une décision de celle-ci, c’est inévitable au vu du nombres des soldats engagés. Il faut l’admettre et agir en conséquence dans le domaine de la prévention comme dans celui de la répression. Toute indulgence à l’égard de tels soldats minerait la crédibilité de l’Organisation toute entière. Ce premier aspect du problème est à nouveau très présent dans la lutte contre le terrorisme. Il est essentiel que celle-ci soit menée en respectant parfaitement les droits de l’homme, précisément pour ne pas entrer dans un cercle vicieux où les moyens utilisés pour lutter contre le terrorisme alimenteraient celui-ci, d’une part, et mineraient les valeurs défendues par ceux qui luttent contre le terrorisme, d’autre part. Il s’agit donc, pour les organisations humanitaires, d’avoir le courage d’être impopulaires, notamment en insistant sur l’importance de veiller à ce que les détenus accusés de terrorisme bénéficient des garanties de traitement et des garanties judiciaires universellement reconnues. Le second inconvénient d’une telle approche est qu’elle ferait également faiblir la volonté d’appliquer le droit international humanitaire parmi les forces armées adverses. Si de toute manière on considère comme des criminels les soldats qui en font partie et si l’on ne respecte pas strictement à leur égard les obligations découlant du droit international humanitaire, on comprend aisément que la motivation des membres de ces forces armées s’en trouvera fortement réduite. Au niveau du soldat, il est important que le critère reste l’application du droit international humanitaire, soit donc, surtout, le respect des civils, des blessés et des prisonniers. Une criminalisation de l’acte de guerre lui-même nuirait indéniablement à ces règles essentielles. C’est pourquoi il faut aussi être très attentif aujourd’hui à ne pas tomber dans la tentation de qualifier sans examen sérieux des combattants de terroristes. N’oublions pas que cette attitude a été très souvent celle de Gouvernements confrontés à des opposants, pour dénier tout droit à ceux-ci. La troisième objection que l’on peut avoir à l’égard de cette approche, enfin, est qu’elle diminuerait fortement la possibilité pour les organisations humanitaires de déployer des actions d’assistance et de protection. Associée avec une des parties au conflit, une organisation humanitaire n’aurait plus la confiance de l’autre et ne pourrait donc pas jouer son rôle.

(9) Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 41. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. 41. pour aider les populations civiles comme, d’ailleurs aussi, pour visiter et protéger les soldats capturés de la partie avec laquelle elle serait associée. Mais c’est surtout dans le long terme que les effets négatifs d’une telle approche se ferait sentir. La médiatisation particulière de certaines situations ne saurait faire oublier, en effet, que les organisations humanitaires, dans la majorité des conflits armés actuels, sont encore laissées à ellesmêmes et ne peuvent compter pour être acceptées que sur leur force de persuasion et sur leur réputation de neutralité et d’impartialité. La communauté internationale commettrait donc une grave erreur en mettant cette réputation à mal dans des situations où l’indépendance des organisations humanitaires paraît moins indispensable: de telles situations restent aujourd’hui des exceptions. L’indépendance des organisations humanitaires ne signifie toutefois ni qu’elles doivent s’isoler, ni qu’elles doivent rester sans réaction quand elles sont incapables d’agir de manière autonome. De fait, les organisations humanitaires ont développé considérablement leurs relations entre elles ces dernières années, pour tenter de remédier aux dérapages provoqués par un manque de coordination ou par le manque de professionnalisme de certaines d’entre elles. Par ailleurs, ce serait mal comprendre le principe d’indépendance que de penser qu’il interdit toute concertation. Bien au contraire, les organisations doivent se concerter avec tous les principaux acteurs d’une situation, y compris donc, le cas échéant, des troupes de l’ONU. La complexité croissante des situations rend d’ailleurs cette concertation indispensable pour comprendre tous les aspects des problèmes, se faire comprendre et accepter par chacun et, en conséquence, se mouvoir avec le minimum indispensable de sécurité sans lequel aucune action n’est envisageable. Mais concertation ne signifie ni subordination, ni manquement à des engagements de confidentialité. On ne saurait par ailleurs ignorer, dans les réflexions nécessaires que l’on doit poursuivre, la recherche des causes profondes des actes terroristes. Comment expliquer, en particulier, que des jeunes gens aillent jusqu'à sacrifier leur vie et à détruire aveuglément celle de civils innocents ? Bien sûr, il y a une part de manipulation mais cela n’explique pas tout et ces extrémistes ont derrière eux une masse de jeunes gens qui n’iront pas jusqu'à les imiter mais qui partagent leur frustration. On ne peut notamment pas oublier l’image de foules qui se réjouissaient d’attentats aussi abominables que ceux du 11 septembre. Il serait très prétentieux pour moi de prétendre apporter une réponse à cette question mais je crois que deux éléments doivent en tout cas être pris en considération. Le premier est d’ordre économique. Quel que soit le système que l’on adopte, il est clair que l’on ne peut se satisfaire de situations qui laissent le quart, le tiers ou même dans certains pays la moitié des jeunes gens en âge de travailler sans emploi: le désespoir, le manque de perspective ouverte par la société «légale», pousseront presque inévitablement ces jeunes dans la marginalité, dans la criminalité plus ou moins organisée et, pour certains, dans les bras de doctrinaires extrémistes. Ce n’est pas là une.

(10) Key-note Speeches p 33 à 44. 42. 29.11.2002. 8:41. Page 42. Key-note Speeches. question de telle ou telle religion mais le fait que, tout au long de l’histoire, les doctrines extrémistes ont pris leur essor dans le terreau de la misère et du chômage. Sans remonter trop loin, n’oublions pas que le nazisme est lui aussi né dans un tel environnement. Je serais bien incapable de donner des recettes pour résoudre cet aspect du problème, d’autant plus aigu qu’il s’inscrit dans un fond de croissance démographique qui va se poursuivre, en tout cas ces prochaines décennies, et aggraver encore la situation. Mais il faut en tout cas le reconnaître. Le second élément qui doit être pris en compte, c’est un sentiment d’injustice. A des degrés variables, ce sentiment est ressenti par les populations de plusieurs Etats, notamment quand la corruption est répandue. Mais outre ce problème interne, ce sentiment touche aussi la vie internationale, à travers la conviction que la gestion du monde n’est pas fondée sur une base de justice et d’équité. Et il est vrai que le rôle prépondérant joué aujourd’hui par les Etats-Unis donne souvent l’impression que cette grande puissance impose sa volonté non pas seulement en fonction de principes et de valeurs universels, mais aussi en fonction de ses propres intérêts. C’est dangereux. Il n’y a pas de doute qu’il est légitime de combattre le terrorisme, mais il me paraît important de le faire selon certaines règles et selon certains critères adoptés en commun par l’ensemble de la communauté internationale. Et cela est vrai dans beaucoup d’autres domaines, à commencer par la protection de l’environnement ou la lutte contre la corruption. Comme je l’ai dit tout à l’heure, l’ordre international doit se renforcer par des règles agréées par chacun, sur la base d’un droit international qui doit encore beaucoup se développer. L’on doit donc être très attentif à ce sentiment d’injustice, qui se répand et qui, d’ailleurs, finit par faire voir des injustices même où il n’y en a pas. C’est précisément pour cette raison que les grandes puissances, comme tous les autres Etats, doivent agir en toute transparence et se plier aux règles internationales, démontrer par leur comportement qu’elles n’abusent pas de leur position dominante mais agissent conformément aux règles d’équité et de justice qui régissent l’ordre international. Outre l’analyse des causes profondes du terrorisme, il me paraît qu’un autre aspect de la situation présente doit ensuite nous préoccuper: l’utilisation de la religion comme motif ou comme prétexte pour commettre des actes particulièrement odieux. Dans le contexte actuel un amalgame est fait par beaucoup entre islam et terrorisme, exacerbant notamment la méfiance et la suspicion à l’égard de minorités islamiques dans les pays occidentaux. Dans notre région, j’ai l’impression qu’un effort d’information important a été fait, notamment en donnant la parole aux différents leaders religieux, pour que la population ne tombe pas dans ce piège. Toutefois l’on doit constamment rester vigilant. En Suisse, par exemple, il y a eu et il y a encore beaucoup de réfugiés musulmans du Kosovo. Parmi eux se sont introduits un assez grand nombre d’individus qui se sont livrés à des activités criminelles. Il a été et il reste difficile et important de lutter pour éviter l’amalgame entre réfugiés kosovars et criminels, voire entre.

(11) Key-note Speeches p 33 à 44. 29.11.2002. 8:41. Page 43. Refugee Survey Quarterly, Vol. 21, No. 3, 2002. 43. musulmans et criminels. Même si elle est relativement faible, cette tendance existe et l’on sait où peuvent mener de telles généralisations. Or des situations similaires sont nombreuses et même plus graves encore dans des pays qui comptent de fortes minorités musulmanes, comme la GrandeBretagne ou la France. J’imagine d’ailleurs à l’inverse que, dans nombre de pays arabes, la frustration provoquée par la crise israélo-palestinienne présente également le risque de reporter sur tous les Juifs le ressentiment provoqué par ce qui se passe dans ce cadre. Notre devoir à tous, je crois, est de lutter contre ce type d’attitudes, qui se produisent et peuvent se reproduire dans toutes les régions du monde. C’est aussi essentiel pour les organisations humanitaires, qui doivent absolument se démarquer des querelles idéologiques et le démontrer par leurs actes. On peut cependant légitimement se demander si les organisations humanitaires auraient encore leur place dans une véritable «guerre des civilisations» que certains prédisent. Une telle hypothèse est-elle vraisemblable? Je ne saurais me prononcer avec certitude à cet égard. Quand je regarde ce qui m’entoure je n’ai pas ce sentiment dans la mesure où les opinions, les religions, le rapport avec la religion, les habitudes culturelles sont déjà très diverses au sein de notre société. Pour qu’il y ait guerre culturelle, il faut qu’il y ait des blocs soudés et cela ne me semble pas être le cas. Mais le risque de violence débridée existe et il augmentera ces prochaines années si l’on ne parvient pas à trouver un fonctionnement plus harmonieux du monde, donnant une place aux 8 à 10 milliards d’individus qui vont bientôt peupler notre planète, en respectant la dignité de chacun. C’est pourquoi il est si important de repenser à ce fonctionnement en tenant compte des nouvelles données, de développer les règles internationales, de renforcer la solidarité des riches envers les pauvres. Si l’on ne fait pas des progrès substantiels à cet égard, alors oui, la violence augmentera et elle prendra tous les prétextes, y compris religieux. Mais le véritable danger à mon avis n’est pas tellement le choc des religions ou le choc des cultures, mais la misère et l’injustice. Et c’est contre elles que l’on doit se battre avant tout si l’on veut éviter la montée d’une violence que personne ne parviendra plus à maîtriser. Finalement, je n’aimerais pas éluder une dernière question, celle de l’adéquation du «système humanitaire», fondé sur le droit international humanitaire et des organisations humanitaires indépendantes, pour faire face dans le long terme aux catastrophes que les évolutions actuelles laissent entrevoir. Je suis convaincu, je l’ai dit, que ce système est encore le meilleur dans les circonstances actuelles. Mais il n’est pas une fin en lui-même et n’est donc pas figé. Dès lors, le message essentiel que, selon moi, les organisations humanitaires ont le devoir de transmettre, c’est qu’elles ne sauraient constituer un oreiller de paresse permettant d’esquiver les problèmes fondamentaux que doit affronter la communauté internationale. Ignorer ces problèmes ou ne pas les aborder de front serait suicidaire, d’autant plus que l’efficacité des «adoucissements» apportés par l’aide humanitaire ne pourrait alors que décroître..

(12) Key-note Speeches p 33 à 44. 44. 29.11.2002. 8:41. Page 44. Key-note Speeches. La manière d’aborder ces problèmes dépasse évidemment la compétence des organisations humanitaires. Celles-ci peuvent toutefois là aussi transmettre un message à ceux qui doivent construire le nouvel ordre mondial. Le droit international humanitaire a fait l’effort d’identifier des principes universellement reconnus – la compassion pour ceux qui souffrent, le respect de la dignité de chaque être humain, la solidarité – qui doivent être respectés même en période de conflit armé. Ces principes doivent donc a fortiori être observés en temps de paix et il est du devoir des dirigeants de veiller sans relâche à leur respect et de les considérer comme le socle sur lequel doit se bâtir le nouvel ordre mondial. Les organisations humanitaires continueront bien sûr de rechercher par tous les moyens d’aider les victimes de la guerre tant que celle-ci n’aura pas été éradiquée. Mais ces organisations doivent aussi dire que la paix universelle, dans la justice, ne saurait plus, au seuil du 21ème siècle, être considérée avec condescendance, comme une utopie fumeuse: elle est devenue une nécessité vitale pour la planète..

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