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QU'EN RETROUVANT L'AMANT...

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Academic year: 2022

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QU'EN RETROUVANT

L'AMANT...

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR Chez Fasquelle :

LUI ET LUI, roman.

LES ÉGARÉS, roman.

QUAND LA NUIT FINIRA, roman.

LES AMANTS INTERDITS, roman.

JUSQU'A LEUR DERNIER SOUFFLE, roman.

Chez d'autres éditeurs :

LES ENFANTS DE L'AMOUR, roman, et film avec Léonide Moguy.

LES CHAUDIÈRES DE L'ENFER, document sur le problème de l'alcoolisme en France.

LES VENTRES MAUDITS, reportage.

FEMMES SANS HOMMES, reportage.

MESSALINE, IMPÉRATRICE DE FEU, roman historique.

LES DROGUÉS, reportage, épuisé.

UNE FEMME PURE, roman, épuisé.

LOTUS MORT, poèmes, épuisé.

E n p r é p a r a t i o n : LA MESSE DES TÉNÈBRES

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MARISE QUERLIN

QU'EN

RETROUVANT L'AMANT...

Roman

FASQUELLE ÉDITEURS II, RUE DE GRENELLE, PARIS-VI

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IL A ÉTÉ TIRÉ 50 EXEMPLAIRES S U R V É L I N N A V A R R E NUMÉROTÉS DE

1 A 50

Dépôt légal : 4 trimestre 1957. N° 612.

© 1957 Fasquelle Éditeurs.

Printed in France.

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... ; et permets en ce jour Qu'en retrouvant l'amant je retrouve l'amour.

RACINE,

Les Frères ennemis, acte I, scène VI.

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PREMIÈRE PARTIE

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CHAPITRE PREMIER

Cette nuit-là, fatiguée, Françoise Hérouane voulut rentrer plus tôt que d'habitude à l'hôtel.

Elle jeta machinalement un regard vers son poi- gnet et vit qu'il était nu. Elle venait d'oublier que, l'après-midi, elle avait vendu sa montre ornée de brillants à un bijoutier de Lisbonne. Les quatre mille escudos qu'elle en avait tirés s'étaient en quelques instants éparpillés sur les numéros du tapis de la roulette du Casino d'Estoril. Elle alla consulter la pendule, juste au-dessus de l'entrée de la salle de baccara. Ses yeux tombèrent sur le calendrier accroché derrière le caissier prin- cipal : 9 août 1941. A cet instant, onze heures sonnèrent.

Allait-elle rentrer si tôt ? Les autres nuits, elle restait parfois jusqu'à quatre heures du matin, à observer les joueurs, ou bien à causer avec d'autres épaves, comme elle des réfugiés, toujours du même sujet : la guerre.

Elle hésita, car elle ne pouvait plus dormir depuis

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que le directeur de l'hôtel avait fait transporter ses valises dans une pièce exiguë, sous prétexte que, ne payant plus ses notes, il lui fallait libérer sa chambre avec salle de bains au profit d'un réfugié mieux renté.

Il y avait treize mois que Françoise avait échoué au Portugal, nantie de cent mille francs qui, à la frontière, ne valaient plus que dix mille escudos.

Elle avait depuis vendu ses fourrures et ses bijoux.

Le dernier venait de passer de son poignet aux mains des détrousseurs de cadavres.

Lorsqu'elle regagnait sa chambre vers quatre heures du matin, elle n'osait éclairer par crainte des moustiques et, surtout, pour ne pas voir dans le miroir déteint du lavabo ce visage qui lui faisait horreur : le visage de son enlisement.

Elle se déshabillait rapidement sous le reflet doré des lampadaires du parc et, malgré sa fatigue, ne pouvait s'endormir.

La fantasmagorie des derniers mois de son existence se reformait dans sa tête comme les des- sins colorés d'un kaléidoscope. Son évasion lui apparaissait alors comme la plus désespérante des prisons.

Depuis une année, de la place Rossio de Lisbonne aux jardins éclatants d'Estoril, elle avait vu déferler tout le flot de l'Europe envahie.

Des milliers de réfugiés enfuis en hâte qui cher- chaient des chambres, des repas, des vêtements, des dollars, des amis, des compatriotes, des visas. Leur

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foule jacassante remplissait nuit et jour les consu- lats des pays restés libres. On mendiait en toutes langues un secours ou un affidavit. Des liasses de formules de toutes couleurs étaient rédigées, des télégrammes envoyés, des attestations reçues, des décrets-lois pris. Jour après jour, un tampon offi- ciel dessinait, sur la page d'un passeport, l'hiéro- glyphe décernant à un transitaire le droit de pro- longer son attente dans un Portugal vigilant. L'es- poir fit place à la peur, l'angoisse précéda l'expi- ration des visas.

Des semaines passèrent : on attendait on ne savait quoi. Un départ ? Une arrivée ? L'illusion d'une sécurité dans un ersatz de foyer reconstruit ! Puis, peu à peu, une fallacieuse allégresse se subs- titua à l'inquiétude et à la peur. Les réfugiés finirent par se reconnaître comme des favorisés avant de se décerner ce titre de « résistant », qui n'avait pas encore trouvé sa place dans les voca- bulaires des pays occupés.

Les Anglais bien nantis prirent l'habitude de fouler les épais tapis de l'Aviz-Hôtel, les Français et les Belges celle de se retrouver à cinq heures autour des tables de l'Imperium-Tea ; les Norvé- giens, les Hollandais, des Allemands aussi, et d'autres aux nationalités imprécises, offrirent leurs corps aguerris aux sables dorés des plages. Les Américains, dans l'attente d'un Clipper, animèrent les bars bien achalandés. Partout en Europe régnaient la nuit et la faim. Mais, dans cette Babel

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préservée, on pouvait se nourrir, danser, se pro- mener, oublier.

Dans les cafés de l'Avenida et du Chiado, tard dans la nuit résonna le cristal des verres de ceux qui tuaient le temps en parlant de ceux qui tuaient ailleurs.

Autour des tables de roulette et de baccara du Casino d'Estoril, certains demandèrent à la chance la possibilité de tenir jusqu'à l'ultime délivrance que leur serait un plus lontain exil.

Car personne n'était certain de pouvoir rester au Portugal jusqu'à la solution d'une guerre dont on ne prévoyait pas la fin. Une police glacée n'y gardait que ceux qui, prévoyants, s'étaient fait pré- céder d'un rassurant compte en banque. Les autres, parqués dans des résidences assignées, sou- mis à des vexations policières, seraient traités comme des prisonniers.

On craignait que les Allemands n'envahissent la péninsule Ibérique. Chacun se sentait à nou- veau traqué et fautif de l'être si loin de sa patrie.

On scrutait l'espion dans son voisin ; tous l'étaient un peu.

Comme les mois passaient, les mieux pourvus vinrent s'installer à Estoril, plage élégante à trente kilomètres de Lisbonne : le Deauville du Portugal.

On vit alors des marchands de diamants hol- landais bourrés de dollars, des juifs qui, à l'heure du petit déjeuner, quittaient la salle de jeux pour se faire baptiser — ce renoncement étant indis-

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pensable pour obtenir la naturalisation dans cer- tains Etats de l'Amérique du Sud ; des Autrichiens nantis de passeports cubains ; des Anglais auxquels les bombardements de Londres avaient laissé un indélébile égarement ; des Russes avec des passe- ports grecs, des Roumains avec des passeports anglais, des Tchèques, des Bulgares, des Hongrois, des Serbes, tous heureux d'être momentanément assez rayés de la carte de l'Europe pour ne plus appartenir qu'à eux-mêmes.

Alors qu'elle allait se décider à sortir de la salle de jeux, Françoise Hérouane se heurta à Alix Barlington, qui l'aborda avec un sourire crispé :

— Françoise, dit-elle, j'étais justement à votre recherche. Voulez-vous me rendre les deux cents escudos que je vous ai prêtés hier ? Vous m'aviez dit que c'était pour aller vendre votre montre à Lisbonne. Est-ce fait ?

— Oui, mais je viens de tout reperdre. Pour- quoi n'êtes-vous pas venue plus tôt ?

L'Anglaise, toujours si correcte malgré sa pro- fession de « chercheuse d'or », ouvrit la bouche pour lancer une insulte, puis la referma, interdite, cherchant ses mots. « Elle a l'air d'une carpe », pensa Françoise Hérouane en la regardant avec pitié. Elle était loin cependant de supposer l'Anglaise capable de faire un scandale. Mais Alix

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avait bu, selon son habitude, et se mit à hurler :

— Vous êtes impossible ! Vous savez bien que je n'ai plus un sou ! Vous auriez pu mettre ces deux cents escudos de côté avant de les perdre...

— Oui, dit Françoise, vous avez cent fois rai- son, mais je vous en supplie, ne criez pas ainsi.

L'Anglaise marmonna une dernière injure, puis se dirigea à travers les couloirs du hall, vers le night-club du casino : le Wonder-Bar, qui com- mençait à s'animer. Françoise la suivit des yeux pendant quelques instants et trouva à nouveau qu'elle avait une ressemblance frappante avec un poisson sorti de l'eau. Mais, en même temps, une immense tendresse déferlait en elle pour cette femme qui lui apparaissait soudain comme le sym- bole de cette fantasmagorique humanité agitée dans sa peur.

Elle était lasse à mourir de se demander pour- quoi, elle aussi, avait abouti à ce cloaque, pourquoi Guy, son mari, avait disparu de sa vie, pourquoi il lui semblait, au milieu du malheur collectif de cette foule hallucinée, que le monde était vide.

Elle ne pouvait pas s'extraire de ses propres mal- heurs parce qu'elle savait que le vrai désespoir était resté derrière, avec la faim et les bombes.

Machinalement elle suivit Alix vers le fond du hall et entra au W onder-Bar. Les lumières y étaient tamisées, quelques couples tournaient dou- cement. Une femme rousse, à la belle voix éraillée,

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chantait, assise sur le piano : Music Maestro please. Devant le bar se tenait l'ancien amant espagnol d'Alix : Felipe de Malonso. Il était ivre comme chaque soir et buvait alternativement un verre de whisky et un verre de bière.

Près de lui, un inconnu avec lequel il avait engagé une conversation, dont seule son ivresse faisait les frais, regardait froidement le spectacle.

Felipe s'avança vers Alix, mais déjà un autre ami l'avait entraînée sur la piste de danse. Alors il agrippa Françoise :

— Venez, darling, je vais vous offrir un siège et un whisky.

Il lui désigna un tabouret de bar et, avant d'avoir réfléchi, elle s'y trouva juchée à côté de l'inconnu.

— Ah ! reprit Felipe, que je vous présente à mon vieil ami ! Je dis : vieil ami, parce que Mon- sieur parle fort bien l'espagnol. Mais je ne le connais que depuis une demi-heure. Etes-vous Espagnol ? demanda-t-il, s'adressant à l'inconnu, que ce verbiage faisait sourire.

— Non ! répondit l'homme, cette fois en fran- çais. J'ai visité Madrid, mais je ne suis pas Espa- gnol.

Mais Felipe de Malonso, que l'alcool faisait délirer, n'écoutait plus et avait sauté sur la piste pour arracher Alix aux bras de son danseur.

Françoise resta seule à côté de l'étranger.

— Voulez-vous un autre verre ? lui demanda- t-il.

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— Je veux bien.

— La même chose ?

— Oui.

— Barman, deux scotch.

Il se tourna vers elle :

— Would you like to dance with me ?

— Oui, dit-elle. Mais continuez à parler fran- çais, car je suis Française.

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CHAPITRE II

Tout de suite Françoise se mit à suivre le rythme que l'inconnu imposait à la valse que venaient d'attaquer les musiciens, comme s'ils avaient eu une très longue habitude de danser ensemble. Elle se sentait sans forces, enivrée, non par l'homme dont elle n'avait même pas encore détaillé le visage, mais par cette présence qui l'arrachait à sa solitude.

Les lustres s'étaient éteints et les nostalgiques accents de l'orchestre s'égrenaient dans une lumière diffusée par les abat-jour roses des tables.

Elle voulut savoir à quel sortilège elle devait la sensation si longtemps disparue de n'être plus seule au monde et leva son visage vers celui de l'homme. Sa haute taille la dominait et il se tenait légèrement penché vers elle. Alors elle le regarda attentivement : la quarantaine ; des tempes nues, des cheveux d'un brun auburn, bien lissés en arrière ; des yeux clairs, verts ou bleus, d'un rayonnement sombre et pénétrant. Un sourire iro- nique au coin des lèvres.

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Elle les sentit effleurer son front, juste à peine.

Habitué à séduire, il avait pris ce dévisagement pour une quête. Il la serra plus étroitement contre lui dans une complicité silencieuse, et elle se sentit liée à lui par une impatiente certitude.

Quand la musique se tut, ils revinrent vers le bar. Françoise s'efforça de dissimuler le trouble où il l'avait jetée, et c'est d'une voix neutre qu'elle lui demanda :

— Y a-t-il longtemps que vous êtes au Portu- gal ? Je ne vous ai jamais vu.

— Je suis arrivé ce soir même. Un taxi m'a amené de Lisbonne.

— D'où veniez-vous ?

— Devinez.

— Que sais-je ? A ce qu'il me semble, vous par- lez toutes les langues. Etes-vous Anglais, Fran- çais ? Vous n'êtes pas Allemand au moins ?

— Ce serait étonnant que je sois au Portugal si j'étais Allemand !

— Pourquoi ? Il y en a beaucoup ici ! C'est un pays neutre.

— Mais les Allemands font la guerre.

— Hélas !

— Rassurez-vous : je ne suis pas Allemand.

— Français ?

— Je suis Anglais. Et si je parle quelques langues, c'est que j'ai fait mes études et vécu un peu partout : en France, en Italie, en Hollande...

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— En Hollande ? Il y a longtemps ?

— J'y étais encore voici huit jours.

— Comment ? On peut sortir de la Hollande ?

— Ce n'est pas facile. Je me suis débrouillé.

— Mon mari, Guy Hérouane, s'y trouvait au moment de l'invasion et depuis je ne sais plus rien de lui. Plus d'un an !

— Est-il Hollandais ?

— Français.

L'inconnu la dévisagea, et elle ne put soutenir le rayonnement de ses yeux. Elle but une grande rasade de whisky d'un seul trait. Il la scrutait, gardant son sourire railleur au coin des lèvres, un sourire agaçant. Ils restèrent ainsi sans parler pendant un temps qui lui parut très long ; puis il lui demanda en français de sa belle voix grave, sans accent :

— Que faisait votre mari en Hollande ?

— Correspondant de guerre. Il s'y trouvait le 9 mai 1940 quand les Allemands l'ont envahie.

Depuis je n'ai rien su de lui...

— Parisienne ?

— Oui.

— Pourquoi êtes-vous venue au Portugal ?

— Je me suis imaginé que dans un pays neutre je pourrais facilement avoir de ses nouvelles et aller le rejoindre quelque part en Amérique ou en Angleterre... J'ai attendu. Quand je n'ai plus eu d'espoir de le joindre, j'ai essayé de partir seule.

Je n'avais pas de visas. Les Anglais ne m'ont pas

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répondu, les Américains me les ont donnés, mais quand je les ai reçus, après sept mois d'attente, je n'avais plus d'argent pour prendre un bateau ou un Clipper. J'ai vendu mes bijoux, puis du Palacio j'ai émigré au Miramar.

— C'est encore un très bon hôtel. J'y suis moi- même descendu.

— Je n'y serai plus bien longtemps, dit Fran- çoise sourdement.

— Pourquoi ?

— Parce que je dois quatre notes de semaine.

Alors je serai jetée à la rue dans deux ou trois jours... et mise dans un camp. Pour l'éviter, j'ai demandé voici un mois un ausweis au consulat d'Allemagne pour rentrer chez moi. J'habite Paris.

J'aime encore mieux être dans mon appartement en France occupée que dans un camp de concentra- tion à Carcaveilhos.

— Qu'est-ce que c'est ?

— L'endroit où on met ici les réfugiés sans le sou. Une prison ! Oui, je retournerai chez moi, ajouta-t-elle, songeuse, à moins que les Allemands ne m'aient tout pris.

— Pourquoi voulez-vous qu'ils vous aient tout pris ? Vous n'êtes pas juive ?

— Non. Mais c'est la guerre ! Ils ont réquisi- tionné des appartements inoccupés... Mais vous, que faites-vous ici ? Vous avez l'âge d'être mili- taire.

— Je le suis. Aviateur ! En mission.

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Il jeta sur le bar un billet de cent escudos et prit la femme par la main pour sortir.

Mais, alors qu'ils allaient atteindre la porte, M Amalakis les repoussa vers la salle. C'était une Grecque naturalisée Américaine qui avait bu comme chaque soir et voulait beaucoup s'amuser.

Elle avait donc mis des chaises tout autour de la piste de danse et tentait d'engager à sa corrida un nombre de danseurs qui dépassât d'un seul le nombre des chaises disposées en cercle. Celui qui resterait debout à l'arrêt de l'orchestre aurait à payer l'enjeu. Et l'enjeu c'était elle !

— Tout le monde en piste ! cria-t-elle. Maestro, une rumba !

Ils s'esquivèrent. Françoise suivit l'Anglais tant elle avait envie d'oublier ces hommes et ces femmes qui, pareils à des fous ou à des enfants, buvaient, hurlaient et riaient avec un cœur rempli de larmes.

Ils descendirent les escaliers qui, de la terrasse du casino, mènent à l'allée qui le ceinture. D'une paroi de verre ouverte sur une roseraie attenante à la terrasse leur parvinrent les accents étouffés de l'orchestre brésilien.

Les jardins plongés dans l'obscurité faisaient comme une grande plaque d'ombre trouée par la pâleur des roses et par celle des canards immobi- lisés frileusement sur leur lac. Autour de cette ombre, les enseignes lumineuses des palaces bril- laient sous les plaques d'or rouge des fenêtres

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encore éclairées et paraient d'un halo tremblotant les boules jaunes des mimosas de l'allée. La baie, au bout de cette allée, baignait aussi dans des ténèbres que voilait parfois la lueur vite éteinte d'une torche de pêcheur attardé sur sa barque, ou le phare des canots qui ramenaient d'un navire en train d'appareiller vers la haute mer, tous feux voi- lés, ceux qui venaient de s'arracher à des voya- geurs délivrés de l'Europe en feu.

L'Anglais avait pris le bras de Françoise Hérouane, d'un geste d'homme fort, sûr de lui, et qui protège. Ils traversèrent les jardins sans par- ler. Puis, arrivés devant la mer, ils s'accoudèrent à la rambarde qui sépare la plage en contrebas de la jetée qui la borde...

Au bout d'un moment pendant lequel ils n'échan- gèrent que quelques mots sur la beauté de la nuit portugaise, l'Anglais demanda à la jeune femme si elle désirait rentrer à l'hôtel.

— Oh ! je ne suis pas si pressée, dit-elle... Je ne peux pas dormir.

— Alors voulez-vous que nous nous prome- nions au bord de la mer ?

— Je veux bien.

Ils firent quelque pas sur la jetée presque déserte. L'air était tiède à peine et l'odeur des mimosas d'été se mêlait à celle de l'océan.

— Savez-vous, demanda Françoise, où se trouve la pointe extrême de l'Europe ? Le bout de notre monde écroulé ?

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— Non.

— A quelques kilomètres d'ici. A Guincho.

— Alors, allons au bout du monde.

Il héla un taxi qui maraudait entre la double rangée de mimosas et de palmiers, et ils y mon- tèrent.

— Voilà que je pars au bout du monde avec un homme dont je ne sais pas même le nom ! dit-elle en riant.

— Oh ! c'est vrai, je ne me suis pas présenté : je me nomme Ralph Walter.

Il sortit de la poche intérieure de son veston un briquet et un étui à cigarettes en or extrêmement plats. D'un geste aisé, il en offrit une à Françoise et l'alluma.

« Un homme riche, pensa-t-elle, qui doit être nanti de quelque mission diplomatique. Mais pas de question ! Dès qu'on en pose à ceux qui arrivent ici on se rend suspect à leurs yeux ! On l'est déjà tellement, si l'on n'est pas juif, de se trouver sur cette plaque tournante où défilent tous les espions des pays en guerre ! »

L'homme l'intriguait plus que tous ceux qu'elle avait frôlés depuis son départ de France. Près de lui elle se sentait presque guérie de ce mal qui depuis son arrivée au Portugal ne l'avait pas quit- tée : la crainte.

Elle avait tant craint d'apprendre que son mari était mort, que son appartement à Paris était occupé ; craint d'être transférée dans un camp de

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réfugiés, ou arrêtée pour dettes par la police des Estrangeros ; craint les hommes qui épiaient chaque soir les femmes seules qui traînaient au casino dans leur attente, ou plutôt craint de leur céder un soir par dégoût de la solitude, par besoin de plaisir, ou parce qu'elle n'avait plus un sou ni rien à vendre. Craint d'avoir faim et d'être sans toit !

Ralph Walter semblait répondre à l'attente qui avait partout accompagné cette crainte. Mais, pas plus qu'elle n'avait pu donner de motif précis à cette crainte, elle n'aurait pu définir exactement ce qu'elle avait attendu, sinon ce qui l'arracherait au destin de réfugiée au Portugal : un visa pour n'importe où, et l'argent pour y aller.

La voiture roulait doucement et, laissant les tor- rents de la « Bocca di Inferno » sur la gauche, ils traversèrent Cascaiss, village de pêcheurs entre Estoril et Guincho.

Il y avait une fête de nuit, et, bien que l'heure fût tardive, le port était encore illuminé. Des centaines de bateaux de pêche balançaient entre les rochers leurs voiles ocre et rouge sur la moire sombre de l'Océan. Sur la nuit, les crénaux de la citadelle du président Carmona plaquaient leurs taches roses, et, sur la place, des pêcheurs achevaient de déchar- ger des caisses de poissons argentés qu'ils dispo- saient sur de larges plateaux.

Personne ne semblait s'être couché dans le vil- lage.

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DU MÊME AUTEUR QUAND LA NUIT FINIRA LES AMANTS INTERDITS JUSQU'A LEUR DERNIER SOUFFLE

OUVRAGES RÉCENTS ANDRÉ DALMAS LE SÉJOUR INTERROMPU

GUISEPPE BERTO LE BANDIT ERSKINE CALDWELL AMOUR ET ARGENT UNE LAMPE, LE SOIR

JACQUES HOUBART BELLES BESOGNES

JEANNINE WORMS

IL NE FAUT JAMAIS DIRE FONTAINE LES UNS LES AUTRES TRADUIT PAR PIERRE LEYRIS

AUTOBIOGRAPHIE DE MARK RUTHERFORD HUGO CLAUS

L'HOMME AUX MAINS VIDES TRAN

MILLE BONHEURS PAISIBLES LÉONARD WIBBERLEY LA SOURIS QUI RUGISSAIT Illustrations de Siné FEU L'INDIEN DE MADAME

Illustrations de Bellus 620 francs (b. c. + t. l.)

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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