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Former à la complexité des situations éducatives

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Academic year: 2022

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Former à la complexité des situations éducatives

CAPITANESCU BENETTI, Andreea, D'ADDONA, Cynthia

Abstract

Face à des situations qui les mettent en difficulté, les jeunes enseignants ont tendance à chercher des explications et réponses rapides et à confondre complexe et compliqué. La formation doit plutôt les entrainer à accepter la complexité, à problématiser autrement, avec des outils d'analyse plus solides, mais aussi plus déroutants.

CAPITANESCU BENETTI, Andreea, D'ADDONA, Cynthia. Former à la complexité des situations éducatives. Cahiers pédagogiques , 2017, no. 541, p. 38-39

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:100684

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38 I Les Cahiers pédagogiques I N° 541 I DÉCEMBRE 2017

DOSSIER

LES TÂCHES COMPLEXES À LA LOUPE 2. Minitâche ou maxiprojet, pour quels apprentissages!?

familles socioéconomiquement défa- vorisées ») se comportent « mal » vis-à-vis de l’élève et de sa famille.

Le point commun entre leurs deux indignations, c’est qu’elles se défi- nissent comme psychologisantes et moralisantes, alors que nous aime- rions qu’elles deviennent sociolo- giques et épistémologiques ou didac- tiques. Il nous revient donc de

« problématiser le monde » avec les étudiants, afin de leur en faire com- prendre la complexité. Dans cette analyse, nous introduisons avec force les enjeux des programmes, des rythmes scolaires, des tâches scolaires, de manière générale l’orga- nisation des savoirs scolaires.

Les interrogations spontanées des étudiants évitent totalement de mettre en lumière les tâches sco- laires qu’ils considèrent comme naturelles, évidentes, claires, légi- times à priori. Le savoir enseigné (ou non !) n’est quasiment jamais évoqué dans leurs situations. Cer- tains novices disent même qu’il n’est pas pertinent de connaitre le savoir en jeu dans la situation, car leur attribution se situe en amont : du côté des prédispositions de l’élève, de son envie ou non d’apprendre.

Le déplacement en direction des savoirs, des contenus d’enseigne- ment, est loin d’être aisé. Est-ce que ce point aveugle cacherait une sorte de conflit de loyauté avec leur for- mateur de terrain dans le compa- gnonnage de formation ? Ils reviennent à l’université avec les explications des situations délivrées par leur formateur de terrain, sans les remettre en question. Ils ne se sentent pas pouvoir exprimer d’autres explications, afin de ne pas être en porte à faux avec le forma- teur de terrain qui les évalue, en fin de compte.

… À L’ENQUÊTE

Après avoir pris en compte les indignations, apporté un regard cri- tique sur les tâches scolaires (leur place dans le programme, leur sens, les libellés des consignes, leur ensei- gnement), il nous faut différer l’ur-

Face à des situations qui les mettent en difficulté,

les jeunes enseignants ont tendance à chercher des explications et réponses rapides et à confondre complexe et compliqué. La formation doit plutôt les entrainer à accepter la complexité, à problématiser autrement, avec des outils d’analyse plus solides, mais aussi plus déroutants.

E

n tant que formateurs d’enseignants en primaire, notre objectif est d’amener les professeurs à problé- matiser le terrain scolaire avec, comme ressources, des outils théo- riques et pratiques. Nous savons que la pratique enseignante n’est pas une théorie appliquée : en situation de travail, le maitre agit selon une ratio- nalité limitée, dans l’urgence et l’incertitude de l’action. Les profes- sionnels doivent parfois combiner plusieurs logiques, car ils ont plus d’un objectif à atteindre. En outre, leur travail est parfois « empêché », selon la formule d’Yves Clot[1].

C’est dans cette compréhension de l’épaisseur du travail réel que nous tentons d’emmener nos étu- diants : exemple lors d’un module de formation qui a lieu durant leur deuxième année de formation, construit et pensé en alternance durant trois mois. Au-delà d’une alternance spatiale (deux semaines sur les bancs de l’université, deux semaines en classe avec un forma- teur de terrain, et ainsi de suite) nous visons une compréhension entre ce que l’étudiant vit dans la classe et les apports de l’université (et réciproquement).

La tâche principale demandée aux étudiants en situation d’observation participante est d’identifier, sur le terrain scolaire, des situations qui leur paraissent complexes : des situa- tions dans lesquelles ils repèrent un incident critique, un élément déclen- 1 Yves Clot, La fonction psychologique du travail, PUF, 1999.

cheur ou une rupture qui les intri- guent, qui entrainent des questions.

Chacune d’entre elles doit être rédi- gée sur une page ou deux. En effet, l’écriture comme aide à l’analyse des situations nous semble être un outil intéressant afin de mettre leurs expériences en mots. Ceci leur per- met déjà de poser une certaine dis- tance par rapport à des situations souvent chargées d’émotions.

DE L’INDIGNATION…

En tant que formateurs, nous jugeons ces situations complexes, alors que les étudiants les consi- dèrent comme compliquées, diffi-

ciles à résoudre, et recherchent sou- vent des solutions simples et rapides.

D’après notre expérience, les étu- diants s’indignent toujours du monde scolaire qu’ils observent.

Olivier Maulini et Carole Veuthey mettent en évidence que les étu- diants se focalisent sur deux aspects.

Premièrement, les élèves et les familles se comportent « mal » vis- à-vis de l’école : soit l’élève « dys- fonctionne », « ne rentre pas suffi- samment dans son métier d’élève » ou « l’entourage n’est pas suffisam- ment impliqué dans sa scolarité ».

Deuxièmement, les enseignants eux- mêmes (« l’enseignant est trop sévère, trop dur, stigmatise les

Former à la complexité des situations éducatives

C’est dans cette

compréhension de l’épaisseur de travail réel que nous

tentons d’emmener nos étudiants.

Andreea Capitanescu Benetti et Cynthia d’Addona, chargées d’enseignement à l’université de Genève, formation des enseignants de primaire

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LES TÂCHES COMPLEXES À LA LOUPE

DOSSIER

2. Minitâche ou maxiprojet, pour quels apprentissages!?

nous leur apprendre quelque chose sur le métier d’enseignant en passant notre temps à problématiser des situations éducatives, à les décorti- quer, à les rendre encore plus com- plexes à leurs yeux ?

Si l’on veut passer d’une forma- tion par le conseil à une formation par l’enquête pour appréhender la complexité des situations éducatives, il faut évidemment accepter une certaine forme de déplacement per- sonnel, développer un autre rapport au savoir en tant qu’étudiant. Et pour le formateur, cela suppose un accompagnement des formés au cœur de la complexité, au cœur de l’enquête, dans le but de les rendre actifs dans ce processus. Donc ni trop, ni pas assez désorientés. gence de l’efficacité immédiate pour

faire enquête. Notre rôle de forma- trices consiste ainsi et d’abord à réorienter les questions des étu- diants : « Que faut-il comprendre de la situation que j’ai récoltée dans cette classe ? Sur quoi dois-je enquêter pour construire cette compréhension ? Où est sa complexité ? Qu’exige-t-elle des professionnels dans un contexte institutionnel rempli de paradoxes et de contradictions, de dilemmes difficiles à trancher ? Quels sont, chaque fois, la place et le poids res- pectifs du prescrit, du contraint et du consenti ? » L’urgence de l’action et du « que faire pour bien faire » est forcément différée dans cette démarche. Le bien lui-même est pro- blématisé : qui définit ce bien, et sur la base de quels présupposés ?

Enquêter minutieusement en documentant les débats, voilà la démarche que nous tentons de jus- tifier et de mutualiser dans les groupes d’analyse des situations.

Nous conduisons un processus de recherche, presque infini, consistant à construire des hypothèses de com- préhension du réel. C’est dans ce travail d’hypothèses que nous convo- quons les différentes théories pré- sentées dans les cours et dans les moments de « questions et repères théoriques » que nous organisons par ailleurs sur plusieurs dimensions du métier.

LE TEMPS DU DOUTE

Pour nous, « l’enquête est la trans- formation contrôlée ou dirigée d’une situation indéterminée en une situa- tion qui est si déterminée en ses dis- tinctions et relations constitutives qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout uni- fié[2] ». En nous inspirant de cette définition, nous essayons de concen- trer notre travail collectif sur l’obser- vation et l’interprétation des diffé- rents éléments de chaque situation, c’est-à-dire sur ses relations consti- tutives : entre les différents protago- nistes, les élèves, et les enseignants, les parents et l’école, les savoirs et les tâches, le cadre scolaire et la société, les exigences du programme et les rapports de pouvoir, etc.

Les formés disent que cette démarche d’enquête leur impose beaucoup de travail, que les analyses ont un effet multiplicateur sur leurs 2 John Dewey, Logique : La théorie de l’enquête, PUF, 1938.

questionnements. Parfois, ils partent d’un problème et, à force de le sou- peser, ils se confrontent à bien plus de doutes qu’ils n’en avaient prévus initialement. Comme l’écrivent Mireille Cifali et Alain André, « poser des questions sans clamer une réponse immédiate, c’est admettre notre ignorance en singularité humaine[3] ». Cela peut rendre la réalité éducative angoissante aussi, car on délibère beaucoup. Un équi- libre est nécessairement à trouver : le processus d’enquête ne doit pas tourner en vase clos, sans quoi l’uni- versité devient la tour d’ivoire tant redoutée, déconnectée des réalités du terrain. L’analyse doit être prag- matique, elle doit donc s’ancrer dans le soupçon, mais aussi dans des

savoirs solides, des théories justi- fiées, des connaissances attestées, bref, une expertise professionnelle qui se pose des questions d’autant plus pointues que celles-ci reposent sur un niveau de connaissance d’au- tant plus élevé.

OPACITÉ

Pour nos étudiants les plus pressés, le questionnement des situations peut être pris, non pas comme un temps de formation nécessaire, mais comme un temps perdu à théoriser, à (se) poser des problèmes, à concep- tualiser, sans déboucher sur des solutions et des réponses consoli- dées. Cette dimension de leur habitus personnel et collectif résiste très fort à toutes les tentatives d’intrusion, d’ébranlement, de déconstruction.

En tant que formatrices, nous nous rendons surtout compte de l’opacité du processus de formation pour les étudiants, et, du coup, de l’opacité du processus de théorisation. Bien que nos objectifs soient explicitement énoncés d’emblée, tous ne sont pas compris par tous les étudiants, loin s’en faut. Leur expérience de la forme scolaire fait écran ; leur rapport au monde est résistant. Pouvons-

3 Mireille Cifali et Alain André, Écrire l’expérience.

Vers la reconnaissance des pratiques profession- nelles, PUF, 2007.

Parfois, ils partent d’un problème et, à force de le soupeser, ils se confrontent à bien plus de doutes qu’ils n’en avaient prévus initialement.

BIBLIOGRAPHIE

Philippe Perrenoud, Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude : savoirs et compétences dans un métier complexe, ESF éditeur, 1996.

Olivier Maulini, « Former les futurs enseignants : prendre en compte leur rapport au métier », in Valérie Lussi Borer et Luc Ria (éd.), Apprendre à enseigner, PUF, 2016.

Olivier Maulini et Carole Veuthey,

« Indignés, vous ? », Des jugements aux savoirs professionnels en formation des enseignants, CNAM, REF : Réseau éducation formation, 2017.

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