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La mémoire est-elle soluble dans le droit? : Des incertitudes nées de la décision n°2012-647 DC du Conseil constitutionnel français

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La mémoire est-elle soluble dans le droit? : Des incertitudes nées de la décision n°2012-647 DC du Conseil constitutionnel français

GARIBIAN, Sévane

Abstract

Contrairement à ce que l'on a pu lire, le débat français sur les lois dites mémorielles n'est pas clos. Pour preuve, le nombre de commentaires suscités par le dernier épisode d'un feuilleton qui divise l'opinion depuis une décennie : la censure, par le Conseil constitutionnel, de la loi Boyer de 2011 visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, dans une décision très attendue du 28 février 2012 laquelle, au risque de décevoir, brouille les termes du débat. Celle-ci ne nous éclaire, en effet, ni sur la constitutionnalité de lois considérées comme non normatives (telles que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens) ; ni sur celle de la pénalisation du négationnisme en son principe (opérée à ce jour par la seule loi Gayssot). Plus que cela : l'analyse de la décision confuse du Conseil constitutionnel révèle un évitement de statuer sur ces deux points – évitement dont on questionnera le caractère stratégique –, renouvelant ainsi les interrogations, y compris sur la loi Gayssot que les Sages mettent paradoxalement en danger.

GARIBIAN, Sévane. La mémoire est-elle soluble dans le droit? : Des incertitudes nées de la décision n°2012-647 DC du Conseil constitutionnel français. Droit et Cultures , 2013, vol. 66, no. 2, p. 25-56

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:33763

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Sévane Garibian

La mémoire est-elle soluble dans le droit ?

Des incertitudes nées de la décision n°2012-647 DC du Conseil constitutionnel français

sumé : Contrairement à ce que l'on a pu lire, le débat français sur les lois dites mémorielles n'est pas clos. Pour preuve, le nombre de commentaires ~uscités par le dernier épisode d'un feuilleton qui divise l'opinion depuis une décennie : la censure, par le Conseil constitutionnel, de la loi Boyer de 2011 visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, dans une décision très attendue du 28 février 2012 laquelle, au risque de décevoir, brouille les termes du débat. Celle-ci ne nous éclaire, en effet, ni sur la constitutionnalité de lois considérées comme non normatives (telles que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens) ; ni sur celle de la pénalisation du négationnisme en son principe (opérée à ce jour par la seule loi Gayssot). Plus que cela: l'analpc de la décision confuse du Comeil constitutionnel révèle un évitemmt de statuer sur ces deux points - évitement dont on questionnera le caractère stratégique -, renouvelant ainsi les interrogations, y compris sur la loi Gayssot que les Sages mettent paradoxalement en danger.

Mots-clés: négationnisme, normativité, autorité de la chose jugée, génocide des . .t\.unéniens, loi Boyer, loi Gayssot, lois mémorielles, liberté d'expression.

(Legally) binding memory?

Uncertainties arising from Decision n° 2012-647 DC of France's Constitutional Co un cil

Abstract: Despite reports tu the contrary, the debate in France over the so-called

«memory» laws has yet to be resolved. The proof of this is to be found in the volume of comments generated by the latest episode in a soap opera that ha~ been dividing opinion for more than a decade: the striling down of the 2011 Boyer law, which sought to sanction the deniai of the existence of genocides recognized as such by the law, in an eagerly awaited ruling pronounced on 28 February 2012 which, at the risk of disappointing sorne parties, blurred the terms of the debate. For this ruling clarifies neither the constitutionality of laws considercd as non-binding (such as the law of 29 January 2001 recogoizing the Armenian genocide) nor thar of the principle of sanctioning genocide deniai. (which is still only covered by the Gayssot law). And that is not ail: an analysis of the Constitutional Council's confused decision reveals an active (IVoidcmce of making a ruling on thcse two points - an avoidance which looks suspiciously lilœ bcing strategie in nature - rhus btinging a whole range of issues into question, including the Gayssot law itself, which France's lawgivers have, paradoxically, placed in jeopardy.

Keywords: Genocide Denia!, Normativity, Force of Res ]Hdicata, Armenian Genocide, Boyer Law, Gayssot Law,« i\1emmy » Laws, Freedom of Speech.

Druit el Crtllllm, 66, 2013/2 25

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C'est J !ravel~ les mats, mM les mots, qu'on voit et q11'011 mtend Gilles Deleuze

C

ontrairement à ce que l'on a pu lire\ le débat français sur les «lois mémorielles» n'est pas clos. Il ne cesse de continuer. Pour preuve, le nombre de commentaires suscités par le dernier épisode d'un feuilleton qui divise l'opinion depuis une décennie : la censure, par le Conseil constitutionnel, de la loi Boyer de 2011 visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loï2, dans une décision très attendue du 28 février 20123 laquelle, au risque de décevoir, brouille les termes du débat plus qu'elle ne les éclaire.

Ce dernier rebondissement se situe au cœur d'une vive controverse qui porte de manière plus générale sur la question du bien-fondé et de la légitimité des lois dites mémorielles : si elle émerge en 2001 avec l'adoption coup sur coup des lois reconnaissant le génocide des Arméniens, d'une part, puis la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (loi Taubira), d'autre part\ la polémique prend toute son ampleur au moment de la promulgation de la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la

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Voir Anne Le;•ade et Bertrand J\Iathieu, "Le législateur ne peut: fixer des vérités et en sanctionner la contestation», L:1 Semaim;illidique Édition Glnéralc, n°14, 2 avril2012, p. 680.

Cc texte voté au Sénat (sans amendement) le 23 janvier 2012 résulte de la proposition de loi déposée à L\ssemblée nationale par la députée OMP Valérie Boyer, le 18 octobre 2011, et adoptée le 22 décembre 2011 (parallèlement, une proposition de loi socialiste comparable avait été déposée au Sénat le 21 novembre 2011). Il est voté à une très large majorité, au terme d'une unique lecture par chactmc des deux assemblées (les documents des diverses étapes de la discussion sont accessibles sur le site du Sénat: http:/ /www.senat.fr/dossier·legislatif/ppl11-229.html). En amont : une proposition de loi relative à l'incrimination pénale de la contestation publique du génocide arménien déposée par le sénateur Guy Fischer, le 8 av1il 2011, et à laquelle aYait été opposée, par le Président de la Commission des lois, une exception d'irrecevabilité (votée le 4 mai 2011 par 196 voL'< contre 74). La proposition de Guy Fischer avait eu pour but de poursuivre la na,·ette sur une proposition de loi socialiste adoptée par l'Assemblée nationale le 12 octobre 2006, transmise le même jour au Président du Sénat, mais jamais inscrite à son ordre du jour.

Décision n° 2012-647 DC,JO, 2 mars 2012.

Loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 relati\·e à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, JO, 30 janvier 2001; ct loi n° 2001-434 du 21 ITL'Ù 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'escla\'age en tant que crime contre l'humanité,JO, 23 mai 2001.

Droit •t Lïiltmu, 66, 2013/2

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La méJnoù~ e.rt-clle sol11ble dans le droit ?

Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés5. Celle-ci, rappelons-le, ne retenait dans son article 4 alinéa 2 gue «le rôle positif de la présence française outre-mer». La disposition litigieuse fera en définitive l'objet d'une abrogation par décret du 15 février 20066, n'apaisant ainsi les esprits gue le temps d'un court répit avant le vote, le 12 octobre de la même année, d'une proposition de loi à l'Assemblée nationale visant à pénaliser la négation du génocide des Arméniens sur le modèle de la loi Gayssot de 1990 qui incrimine la contestation de la Shoah7. Au même moment, l'Allemagne lance un programme de lutte contre le négationnisme au sein de l'Union européenne, en projetant la mise en place de nouveaux instruments juridiques en la matière. La controverse atteint son point culminant8 .

C'est précisément la proposition de loi adoptée le 12 octobre 2006 qui se trouve à l'origine du long processus législatif aboutissant, cinq ans plus tard, au vote de la loi Boyer9 destinée à être déférée devant le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2012 (suite à sa saisine par plus de soixante députés et sénateurs en application de l'article 61 de la Constitution), avec l'issue que l'on connaît10. Entretemps, l'année 2008 connaît trois événements en lien avec le débat qui nous occupe : d'abord, la révision constitutionnelle visant la modernisation des institutions de la Ve République, dans le cadre de laquelle est notamment ajouté un nouvel article 34-1 à la Constitution permettant le vote de résolutions par les assemblées11 ; ensuite, le 18

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Loi no 2005-158 du 23 février 2005 portant reconnaissance de la Nation ct contribution nationale en faveur des Français mpatriés,JO, 24 février 200S.

Décret n° 2006-160 du 15 fénicr 2006. L'article 4 alinéa 2 de la loi de 2005 avait préalablement été

« délégalisé »par décision du Conseil constitutionnel (décision n° 2006-203 L du 31 janvier 2006,]0, 2 féHier 2006) concluant au caractère réglement".Ùre de cette disposition.

Loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 rendant à réprimer tout acte racisre, antisémite ou xénophobe, JO, 14 juillet 1990.

Pour la synthèse la plus récente de cette décennie de contro1•erse : I3oris Adjemian, «Le débat inache1•é des historiens français sur les 'lois mémorielles' et la pénalisation du négationnisme : retour sur une décennie de controverse», JIBvNe cmJJéltiellltt dts q11estion.r mnle!J1poraùtes, n° 15, 2012, p. 9-34.

Cf. supra, note 2. Juste a1·ant son adoption au Sénat le 23 jamier 2012, les sénateurs votaient, le 19 janvier, une proposition de loi 1'Îsant à compléter la loi du 23 fénicr 2005 en posant le principe de l'interdiction de route injure ou diffamation en1•ers les harkis au motif, selon la Commission des lois, d'une lacune à laquelle il fallait remédier. Les deu' thématiques se croisaient alors à nom·eau dans le calendrier parlementaire.

Le dossier complet, contenant les saisines par les députés puis les sénateurs, ainsi que les obsen·ations du Gouvernement (cnregi~trées le 15 février 2012, favorables à la loi) suivies de celles, en réplique, des députés requémnts (enregistrées le 21 février 2012) sont accessibles sur le site du Conseil constitutionnel : http:/ /www.conseil-constitutionncl.fr/.

Voir l'ait:iclc 12 de la loi constitutionnelle n" 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V• République, JO, 24 juillet 2008. La réhabilitation des résolutions (qui constituent une ancienne pratique) fut, pour certains, un souhait de longue date (cf. notamment Bmno I3aufumé,

Droit et Citlt11m, 66, 2013/2 27

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S évam GmibiaJJ

novembre, la présentation du Rapport sur les questions mémorielles (dit Rapport Accoyer, du nom du Président de l'Assemblée nationale et président-rapporteur de la mission d'information en charge)12 ; enfin, dix jours plus tard, l'adoption à l'unanimité de la décision-cadre européenne qui impose aux États membres de rendre punissables, dans un délai de deux ans, notamment« [ ... ] la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide »13 - décision-cadre dont la loi Boyer de 2011 était initialement censée petmettre la transposition en droit français.

La loi déférée au Conseil constitutionnel en janvier 2012 n'est donc

«ni banale, ni anodine »14, loin s'en faut. Le nombre et la variété des moyens soulevés dans la saisine dont elle fait l'objet le traduisent, et «attestent indiscutablement du souci de [ses] auteurs ( ... ) de ne négliger aucun des arguments susceptibles de conduite à une déclaration d'inconstitutionnalité »15 :

violations respectives de la liberté d'expression, de communication et de la recherche, du principe de la séparation des pouvoirs, des principes de légalité et d'égalité, ainsi que du libre exercice d'activités des partis politiques - sans compter, en incidence, « et même s'il n'incombe pas au Conseil constitutionnel d'assurer la conventionalité de la loi »16, la violation du Statut de la Cour pénale internationale ... «Nombre et variété ne font bien évidemment pas le sérieux des moyens», dira-t-on à juste titre11.

Le commentaire officiel accompagnant la décision des Sages18, suite à leur censure de la loi sous examen, le souligne : « la loi déférée était la première loi organisant la pénalisation d'une loi mémorielle française. C'était donc une double 'première' pour le Conseil constitutionnel qui n'avait jamais eu à connaitre d'une loi mémorielle dans le cadre de son contrôle de conformité des lois à la Constitution, tant en contrôle a priori qu'en contrôle a posterioti,

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«La réhabilitation des résolutions : une nécessité consl1rutionnellc », Rewe du droitp11blic (RDP), 1994, p. 1399-1440).

Accessible à l'adresse http:/ /www.assemblcc-nationale.fr/13/rap-info/i1262.a.sp.

Décision-cadre n° 2008/913/JAI du 28 no,·embre 2008,joumal '!fficicl de I'UIIiOII ettropéemre, n° L 32f\.

Reouegf11irale de droit illlmratiollalpnb/#·, n° 3, 2012, note de Jean MatcinJ,>e, p. 745.

Anne Le1·ade et Bertrand :tviatbic::u, op. àt., p. 684.

Mémoire de saisine du Conseil constitutionnel par les députés, cf. s11pra, note 1 O.

,\nnc Levade et Be1·tmnd Mathieu, op. cit., p. 683-684. Certains estiment que le détail et la longueur des mémoires de saisines illustrent une volonté d'é1iter la sanction de la jurisprudence relative au."< saisines blanches, issue de la décision n°2011-630 DC du 26 mai 2011, JO, 2 juin 2011 (Ariana Macaya et

~liche! Vcrpcau."<, «Le législateur, l'histoire et le Conseil constitutionnel», Ac!riCI!itfs ]undiques-Dmit ./Jdmùristralif, 16 juillet 2012, p. 1407).

«Une particularité du système français qui ne manque jamais d'intriguer les juristes éu-angers » (Laurent Pech, « Lois m6norielles et liberté d'expression : de la controverse à l'ambiguïté», ll.lvm jra11wùe de dmil camtifldior/llel (HfDC), n° 91, 2012, p. 569).

Droite/ C11ltlll~s, 66; 2013/2

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u1 !Jlémoire ut-elle so!Hb/e dcm.r le droit ?

ni à se prononcer sur un dispositif pénal attaché à une telle loi »19. Et pourtant. i\J.ors même que l'occasion leur était enfin donnée de se prononcer sur les nombreuses questions soulevées au ftL des années par ces lois dites mémorielles, les juges constitutionnels rendent une décision dont le caractère (au mieux) «politiquement correct» était, selon certains, prévisible20.

(_)ualifiée tour à tour, dans la doctrine, d'« ambiguë »21, « pas pleinement satisfaisante »22, « elliptique »23, «lapidaire »24, « succincte » et « obscure » sans être « à la hauteur des enjeux soulevés par cette affaire »25 ou, à l'inverse, d'« emblématique »26, «incisive» et «cinglante »27, «audacieuse» et «frontale »28,

«décisive et historique »29, la décision du 28 février 2012 reste avant tout

«tout-à-fait remarquable par ce qu'elle ne fait pas »3° : elle ne nous éclaire, ni sur la constitutionnalité de lois considérées comme non normatives, telles que la loi du 29 janvier 2001 reconnaissant le génocide des Arméniens (à laquelle renvoie implicitement le texte de la loi Boyer) ; ni sur celle de la pénalisation du négationnisme en son principe. Plus que cela : l'analyse de la décision du Conseil constitutionnel révèle un évitement de statuer sur ces deux points, renouvelant ainsi les interrogations plutôt que d'y répondre.

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Commentaire officiel, p. 5 (accessible sur le site du Conseil constitutionnel: http://www.conscil- constilutionnel.fr/ conseil-constitutionnel/ root/ba.nk/ download/2012647DCccc_647 dc.pdf).

Voir la prévision en cc sens d'un auteur dans une note rédigée a ,~am la décision du Conseil constitutionnel : Pascal Puig. <<La loi peut-elle sanctuariser l'Histoire~>>, Jl.ev11e trilllestliellt de drait cù:il (RTDciv.), n° 1, janvier-mars 2012, p. 83.

François Brunet, <<De la censure constitutionnelle de la loi \~sant à réprimer la contestation de l'existence des génocides recorums par la loi'>>, &vue de sàent~ <>imim!le el de droit pi11al .-ompmi (RSC),

2, a l'ri!-juin 2012, p. 348.

Jacques Francillon, «Pénalisation de la contestation de l'existence d'un génocide rccorum par la loi>>,

RSC, 1, janvier-mars 2012, p. 180.

Ariana i\{acaya et .Michel Ve1pcaux, op. dt., p. 1411.

l'rancis Hamon,« Le Conseil con~tirutionnel et les lois mémorielles», PetitesAfjidJes, <JO, 4 mai 2012, p. 8.

Iu"lUrent Pech, op. cit., pp. 567-568.

.Anne Levade et Bertrand Mathieu, op. cit., p. 6!14.

Jérôme RmLx, <<Le Conseil constitutionnel et le génocide a1ménien: de l'a-nonnatiYité à l'inconstitutionnalité de la loi», Remd/ Dalloz (D.), n• 15, 12 ani! 2012, p. 988 et 991.

\"Vanda :Mastor et jean-Gabriel Sorbara. <<Réflexions sur le rble du Parlement à la lumière de la décision du Conseil constitutionnel sur la contestation des génocides recorums par la loi», Revlltfrally"tlise de dmit administratif n• 3, m'li-juin 2012, p. 508.

)<athalie Mallet-Poujol, «La loi de pénalisation du négationnisme: la censure constimtionnelle ou le crépuscule des lois mémorielles», Ugipmse, n° 293, avril2012, p. 226.

.Jean lvfatringue, op. cit., p. 745.

Droit el C11/lmu, 66, 2013/2 29

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S éwme Cmibiall

L'incertitude quant à la constitutionnalité de lois « sans portée normative »

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle d'abord qu'il résulte de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (DDHC), «comme de l'ensemble des autres normes de valeur constitutionnelle relatives à l'objet de la loi que, sous réserve de dispositions particulières prévues par la Constitution, la loi a pour vocation d'énoncer des règles et doit par suite être revêtue d'une portée normative »31 . Et de continuer : «une disposition normative ayant pour objet de 'reconnaître' un crime de génocide ne saurait, en elle-même, être revêtue de [cette] portée normative ; ( ... ) toutefois, l'article 1er de la loi déférée réprime la contestation ou la minimisation de l'existence d'un ou plusieurs crimes de génocide 'reconnus comme tels par la loi française' »32.

Les Sages font en premier lieu implicitement référence à la loi de 2001 portant reconnaissance du génocide des Arméniens : la seule, en France, à reconnaître un génocide, donc la seule visée alors par le texte de la loi déférée. S'ils affirment l'a-normativité (discutable) de la loi de 2001, les juges n'en tirent pour autant aucune conclusion quant à sa constitutionnalité.

Il leur importe surtout, semble-t-il, de distinguer «de manière quelque peu alambiquée »33 la loi sous examen (qui, elle, pénalise un comportement et est à terme censurée) des «lois mémorielles» - catégorie à l'appellation problématique englobant variété de textes aux fonction et objet différents, sur la constitutionnalité desquels le Conseil constiturionnel évite scrupuleusement de statuer.

L~a-normativité (discutable) de la loi non censurée du 29 janvier 2001 En rappelant la portée de l'article 6 de la DDHC, le Conseil se conforme à ses décisions récentes34, qui mettent en œuvre la politique jurisprudentielle publiquement exprimée par son Président Pierre Mazeaud dans ses vœux au chef de l'État prononcés le 3 janvier 2005. Celui-ci affirmait, à l'instar d'un Portalis pour gui« la loi permet ou elle défend, elle ordonne, elle établit, elle punit ou elle récompense »35, que «la loi ne doit

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Cons. 4.

Cons. 6 (nous soulignons).

Laurent Pech, qp. ât., p. 568.

Décisions n°2004-SOO DC du 29 jLùllet 2004,]0, 30 juillet 2004; n°2005-516 DC du 7 juillet 2005,]0, 14 juillet 2005; n°2005-512 DC du 21 avril 2005, JO, 24 avril 2005; n" 2010-605 DC du 12 mai 2010,

JO, 13 mai 2010.

Célèbre cit:llrion de Jean-Étienne-Marie Portalis issue de son Discom~ priliiJIÙiaÙt a11 pl~lltier projet de ûxle civi/(1801).

Droit el Cit1111res, 66, 201 J /2

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Ù1 méntoù~ est-elle .ro/11ble dans le droit ?

pas être un rite incantatoire »36. Il s'agissait alors, en écho à une certaine nostalgie de la conception traditionnelle et idéale du droit évidemment caduque37, de censurer les «lois bavardes » ou autres «droit mou, droit flou, droit à l'état gazeux »38 : tant de« neutrons législatifs» ou normes «à charge juridique nulle »39, issus d'une pratique législative consacrée par le Conseil constitutionnel lorsqu'il constate, en 1982, qu'une loi peut contenir des dispositions « dépourvues de tout effet juridique ct (gui], en raison même de leur caractère inopérant, n'ont pas à faire l'objet d'une déclaration de non- conformité à la Constitution »40

La nouvelle exigence de normativité posée, depuis, par le Conseil doit néanmoins être relativisée41. D'une part, d'un point de vue pratique, le commentaire officiel de la décision du 28 février 2012 rappelle que les juges constitutionnels ont toujours pu tirer de l'absence de normativité de dispositions qui leur étaient déférées des conséquences variées42 - pour conclure qu'en définitive le Conseil «n'a prononcé qu'une censure sur ce fondement »43 . D'autre part, d'un point de vue théorique, il est possible d'avoir une lecture critique des présupposés (et d'une certaine interprétation classique de l'article 6 de la DDHC) ainsi que des justifications de cette exigence de normativité, à la lumière d'une conception formelle de celle-ci construite sur une distinction entre norme et énoncé - l'existence de la norme ne dépendant pas du contenu de l'énoncé44. Une telle approche a

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Discours reproduit dans les Cahiers d11 éonieil coH.rtiii!IÎOJIIIe/, n° 18, JUillet 2005 (accessible sur le site du Conseil constimtionnel : http:/ /ww\v.conseil-constitutiunnel.fr/ comcil-constit:utionnel/ fl'ancais/ cahiers-du- conseil/ cahier-n-18/vocux-du-president-du-conseil-constit1.1tionnel-m-pierre-m.~zeattd-au-presidcnt-dc­

la republique.51930.html).

Voir la présentation de Jacques Ülc\'l!llier dans les Cahiers du Conseil constitutiomlfl, n°21, 2006, p. 58.

Rapport public du Conseil d'État, Études et D0<111Jimti du Conseil d'État, Paris, T .a Documentation française, 1991, n° 43, p. 32.

Jean I'oyer, « Loi d'orientation de la recherche et du dé,-eloppement teclmologique »,JO, AN, 21 juin 1982, p. 3667.

Décision 82-142 DC du 27 juillet 1982,}0, 29 juillet 1982. Pour une mise en lien U\•ec les questions soulevées dans le cadœ de l'adoption de la loi du 29 jam'ler 2001 : Sévane Gru:ibian ct Stéphane Rapin,

"Le génocide annénien hors-la-loi ? >>, in Catherine Coquio ct Carol Guillaume (dir.), Dl! <1i1Jm ,·ollll?

l'humanité eJt Ripllbliqmjimtj'aise (1990-2002), Paris, L'Harmattan, 2006, p. 67 et s.

Pour des traYaU-'< récents et utiles sur la normatiYité, offrnnt dh·erseo approches, voir notamment : le dossier spécial sur «La nunnativité >> dans les Cahim du Conseil coustituli01mtl, n° 21 précité ; ainsi que Catherine lrubicrge et olii, La fom 1/0mlntive. Naissnll<l d'1111 concept, Paris, Bwxelles, LGDJ, Bruylant, 2009 ; ou encore T'rançois Brunet, LtiiOI'IIIrlliuiti w drvit, Paris, Les Éditions Mare et Martin, 2012.

Commentaire oftïciel, p. 10 (a,·ec, à titre d'exemple, les décisions n° 96-384 DC du 19 décembre 1996,

JO, 29 décembre 1996 ; n°98-401 DC du 10 juin 1998, JO, 14 juin 1998; ct n°2001-455 DC du 12 janvier 2002,)0, 18 janvier 2002).

ldem (il s'agit de la décision n°2005-512 DC du 21 ani12005,JO, 24 anil2005).

À cc sujet, nous renvoyons à Véronique C:hrunpeil-Desplats, «N'est pas normatif qui peut. L'exigence de normatiYité dans la jurisptudcncc du Conseil constitutionnel», Cahiti'J d11 éimsei/ ConJiilllliOJme4 n° 21, 2006, p. 6:}-68 et « Les nouveau_' commandements du contrôle de la production législative », in

DroitetC11ltmvs, 66, 2013/2 31

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Séua11e Gmibia11

pour mérite d'éviter les ambiguïtés posées par l'assimilation entre juridicité et normativité, tout en rendant mieux compte à la fois de l'évolution et de la diversité des fonctions (y compris symbolique ct politique) que remplissent les lois45 : «l'objet législatif consiste également à garantir, organiser, instituer, etc ... Rien ne parait limiter a priori 'l'expression de la volonté générale' à la seule fixation de dispositions 'déontiques' (interdiction, prescription, pennission), car le discours juridique - notamment législatif- se manifeste de façons bien plus diverses »46.

C'est pourquoi il est par ailleurs possible de remettre en question l'a-normativité de la loi du 29 janvier 2001 affirmée par les juges constitutionnels, à la suite de certains auteurs pour lesquels une loi reconnaissant un génocide est bien normative en soi47 - voire même doublement normative, en ce qu'elle reconnaît (donc qualifie) et en ce qu'elle reconnaît un crime (et non un « simple fait »)48 -, perdant au passage son caractère purement mémoriel49_ D'autres encore, admettant que la normativité peut s'acquérir, par effet rétroactif, en plusieurs temps, ont envisagé l'alternative qui aurait consisté à doter la loi de 2001 d'une « normativité dérivée » issue de celle de la loi déférée5°.

Quoi qu'il en soit, les Sages choisissent de ne pas procéder à une lecture combinée de ces deux lois : ils maintiennent une séparation claire entre les textes et, déjouant un célèbre pronostic51, refusent d'appliquer en l'espèce leur jurisprudence «État d'urgence en Nouvelle-Calédonie» (selon laquelle «la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen de

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L'anfJiùctJif'e d11 droit. Mllolll!!J m l'ho1111ellr de Midxl Tropt1; Paris, Econornica, 2006, p. 267-280; ainsi que Éric Millard, «Qu'est-ce qu'une norme juridique?», Cabiers dlll.OJJsâl Collsfilutiomul, ibid., p. 59-62. Voir aussi Denys de Bechillon, Q11'est-œ qu'11nc ri,P,Ie de droit ?, Paris, Odile Jacob, 1997. A l'im·erse : Bernard Mathieu, «La normativ;de la loi : une exigence démocratique>>, Cabisrs d11 Conseil Con,1itJtfiolllte/, ibid., p. 69-73.

Voir Véronique Champeil-Dcsplats, «N'est pas normatif qtù peut ... », ibid. ainsi que Jacques Chevallier, «Droit et mémoire», in Pierre Noreau et Louise Rolland (dix.), Mllangu Andlit Lajmè. J...e droit: lille WIÙ1b/e dépendante, Montréal, Thémis, 2008, p. 656-657. Voir aussi i\riana Macaya et !'vlichel Vcrpeaux, op. dt., p. 1409, où les auteurs regrettent la confusion opérée par les juges constitutionnels entre impérativité et norrnatiYité.

François Brunet, «De la censure constitutionnelle de la loi ... », op. cil., p. 345.

Par exemple: Georges Vedel, <<Les questions de constitutionnalité posées par la loi du 29 jam-ier 2001 », in Didier Maus et Jeannette Bougrab (dir.), l'ra!J{OÙ L~~t-haù~, /Ill rip11blh·ailt 011 .rervù~ de fa Ripublique, Paris, Publications de la Sorbonne .• 2005, p. 54 et s, ou encore J érômc Roux, op. ât., p. 989 ;

ou, de manière pltlS nuancée, Nathalie Mallet-Poujol, op. cit., p. 222.

François Brunet, «De la censure constitutionnelle de la loi. .. », op. cit., p. 345 et s.

Jérôme Roux, op. dt., p. 989.

Pascal Puig. op. cit., p. 82.

Robert Badinter,« Le Parlement n'est pas un tribunal», I~ Mo/1(/e, 14 jam-ier 2002.

DIVit et Citltmu, 66, 201312

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Lt1 mé111oùr est-elle s~/11blc dam le droit ?

dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine »)52. Les deux motifs invoqués dans le commentaire officiel de leur décision sont les suivants53 : premièrement, c'est la loi déférée qui conférait à la loi de 2001 une portée (adoptant ainsi a ptiori l'hypothèse précitée d'une

« normativité dérivée» de cette dernière)54; ct, deuxièmement, la loi Boyer

«étant censurée, il ne pouvait, en tout état de cause, être considéré qu'était modifié, complété ou affecté le domaine de la loi du 29 janvier 2001 ».

Certes, ces deux motifs sont discutables : le premier, parce qu'il serait possible de considérer, si tant est que l'on accepte le constat d'a-normativité de la loi de 2001, qu'en lui donnant une portée la loi de 2011 affecte bien son domaine et/ ou la complète55 ; le second, parce que «la portée modificatrice ou non de la loi nouvelle( ... ) doit s'apprécier 'à l'occasion' et non à l'issue de [son] examen, puisque ce contrôle incident n'est pas une fin en soi »56. Reste que le Conseil interprète ici sa propre jurisprudence .rflicto

sensu-ce qui est d'autant moins étonnant que le texte de la loi Boyer, même s'il la visait implicitement, ne se référait pas à la loi de 200157. C'est ce qui lui permet de ne pas statuer sur la constitutionnalité de la loi reconnaissant le génocide des Arméniens ni, plus largement, sur celle des lois recognitives, dites « sans portée normative », rendues inoffensives puisque, per se, non liberticides : « on voit mal en quoi un acte juridiquement inerte pourrait être susceptible de porter la moindre atteinte 'attx droits et libertés qtte la Constitution garantit »58. En outre, le grief d'absence de normativité d'une loi ne peut être

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D~cisionn° 85-187 DC du 25 janvier 1985,]0, 26 janvier 1985.

CommenL'Iire officiel, p. 12.

Cc que semble en outre confirmer le même commentaire officiel de la décision, p. 5 : «la loi déférée était la première loi orga11Ùaflf la péHalùatiofl d'rou loi I!Jitmliel/e jrallçaùr » (nous soulignons).

Dans ce sens, voir par exemple Anne Levade et Bertrand Mathieu. op. dt., p. 682, ou Jean-Pierre Camby, <<La loi et 1.: négationnisme : de l'exploitario11 de l'histoire au droit au débat sur l'histoire», Petite.r Ajjï.-be,·, 70, 6 avril 2012, p. 5.

Jérôme Roux, op. til., p. 990, qui précise en outre : « Sinon, on comprendrait mal pourquoi le contrôle incident de la loi promulguée est exclu lorsque la loi nouvelle en assure 'la sitJJp!e mise en applimtion' >>. Sur cc point, voir la décision du Conseil constitutionnel n° 89-256 DC du 25 juillet 1989, JO, 28 juillet 1989.

Dans le même sens: Wanda l\{asror et Jean-Gab1'iel Sorbara, op. ât., p. 510, ct Nathalie :tvlallet-Poujol,

ap. âl., p. 222. D'aucuns notent que les juges constitutionnels auraient pu se saisir d'office, cc d'autant plus que, vu son manque de caractère impératif, cette disposition aurait difficil<:mem fait l'objet d'une application qui aurait pu donner lieu à un<: Ql'C >> (Ariana Macaya et i\·fichel Ye1peaux, op. dt., p. 1409).

Jérôme Roux, op. oit., p. 990; ,-oir aussi Pascal Puig, !!Ji. oit., p. 82. Nous obsen.-erons en outre que, lorsque l'occasion fut donnée à un tribunal de se référer à la loi du 29 janvier 2001 pour en tirer des conséquences juridiques dans l'affall:e Corwtf de T11rq11ti!· ff7anadoo initiée par Je Comité de Défense de la Cause arménienne, celui-ci affirma que la loi« ne met ( ... ) auame obligation à la charge des particuliers et constitue seulement une plise de position ofticielle, particulièrement solennelle, puisque adoptée sous forme de loi, du pou,·oir législatif sur cet é1·énement historique>>. Et de conclure que, en l'état du dispositif législatif, la négation du génocide des 1\.rméniens sur un sire interner ne présente donc pas un

«caractère manifestement illicite>> ijugement du TGI de Patis conflmlé par la cour d'appel de Paris le

Droit et c.:itlttm~. 66, 2013/2 33

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S éva11e Gari bian

invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC)59.

Par ailleurs, même à considérer, à l'inverse des juges constitutionnels, que la loi du 29 janvier 2001 est normative, une éventuelle censure de ce texte aurait été d'une« utilité douteuse >>60 dans la mesure où il ne s'agit plus réellement de prévenir l'adoption de nouvelles lois de ce type : depuis la révision de 2008, et si l'on en croit les recommandations du Rapport Accoyer, «le vote des résolutions prévues par l'article 34-1 nouveau de la Constitution devrait donner au Parlement un meilleur outil d'expression sur l'histoire lorsqu'il souhaite reconnaître des évènements significatifs pour l'afftrmation des valeurs de la citoyenneté républicaine »61,

Pour terminer, le commentaire officiel de la décision du 28 février 2012 souligne qu'en définitive le Conseil «a veillé à ne pas entrer dans le domaine de compétence qui est celui des historiens. Ainsi la loi du 29 janvier 2001 ne lui était pas soumise et, a fortiori, il n'a formulé aucune appréciation sur les faits en cause é2. Cet tùtime argument de la non immixtion des juges constitutionnels dans le champ de compétence des historiens (sous-entendu contrairement à ce qtt'a fait le législateur?) raisonne, indépendamment même du fait qu'il ne tient pas sachant que le Conseil n'a, en tout état de cause, pas compétence pour apprécier les faits : il rappelle celui, bien connu et distinct de la question de la normativité, maintes fois répété par les détracteurs des lois dites mémorielles lorsqu'ils les accusent d'empêcher les chercheurs de« travailler dans le respect d'une séparation de l'État et de la connaissance», puisque «dans un État libre, il n'appartient ni au Parlement ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique »63. Cet

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8 noYembre 2006 :Jean-Baptiste Racine et Emmanuel Dreyer, «L'absence de caractère manifestement illicite de la négation du génocide des Arméniens >>, D., 2007, p. 851-855 et Jean-Baptiste Racine, I.e gfnoâde de.r Anmfniens. Ori,gùu et pmnanmre du oime co11t" l'h11!?lanité, Paris, Dalloz, 2006, p. 134 et s).

Voir la décision du Conseil d'État du 26 janvier 2012, n°353067 sur le rejet d\me QPC relatif à l'article 5 de la loi n° 2005-158 du 23 février 2005. },..insi <jUe: Jérôme Roux, idem, qui ajoute également <jU'une éventuelle QPC n'aurait aucune chance d'ètxc renvoyée au Conseil constitutionnel" puis<ju'elle viserait des dispositions qui sont 'dépmmme.r de paJtée normative et 1te sauraient dts !01~ itt~ regardées comme app!itab/es au litige, au sens et po11r l'applkation' des règles organiques régissant cc renvoi» (citant la décision du Conseil d'État n°340512 du 18 juillet 2011). De même, .A.riana i\Jacaya et Michel Verpeaux, op. ât., p- 1409.

Jérôme Roux, idem. Pour un avis contraire, voir notamment François Brunet, «De la censure constitutionnelle de la loi.-. », op. cil., p-349 ct s.

llilpport Accoyer, p- 181 (\'Oir aussi P-99 ct s.). Pour un état des lic\L"'< des récentes propositions de résolutions, dont celle déposée au Sénat le 26 mars 2012 « visant à la reconnaissance de la responsabilité de la République française dans les événements du 17 octobre 1961 » : voir \Vanda Mastor et Jean-Gabriel Sorbara, op. ât., p-518.

Commentaire officiel, p. 12.

Extrait' de la pétition «Liberté pour l'Histoire » lancée par dix-neuf signataires et publiée le 13 décembre 2005, en pleine polémique sur les « lois mémorielles », dans Libération ainsi que, le lendemain,

Droit el Ciilt11m, 66, 2013/2

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I _,a méJ11oil~ est-elle sol11ble da11J le di'Oit ?

argument nous offre l'occasion de reverur sur la catégorie des «lois mémorielles» dont ferait partie la loi de janvier 2001, sur la constitutionnalité de laquelle les Sages ne se prononcent pas.

Les« fois mémorielles»: retow· sur une appellation problématique L'appellation générique« lois mémorielles» est utilisée à tout va depuis son apparition, en 2005, dans une tribune de Françoise Chandernagor64. Les lois initialement pointées du doigt par les signataires de la pétition « Liberté pour l'histoire »65 sont au nombre de quatre (les plus fameuses, précitées : la loi Gayssot de 1990, la loi sur le génocide des Arméniens et la loi Taubira de 2001, ainsi que la loi du 23 février 2005), mais le Rapport Accoyer en inclut ensuite trois autres66. L'ensemble désignerait la «nouvelle génération des lois mémorielles >P, dont il est dit qu'elles s'inscrivent dans une longue tradition commémorative et «semblent procéder d'une même volonté : 'dire' l'histoire, voire la qualifier, en recourant à des concepts juridiques contemporains comme le génocide ou le crime contre l'humanité pour, d'une manière ou d'une autre, faire œuvre de justice au travers de la reconnaissance de souffrances passées é8.

Appréhendées comme le produit de la limitation par le Constituant de 19 58 des pouvoirs du Parlement, empêché jusqu'à la révision constitutionnelle

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Jans Le !\londe et l.t Figaro. Cette pétition est à l'origine de la création de l'association du même nom,

<tui re!,>roupe les détracteurs de ces lois (association actuellement présidée par Pierre Nora). A ce sujet,

YOÎJ: Gérard Noirie], «De l'histoire-mémoire aux 'lois mémorielles'. Note sur les usages publics de l'histoire en France», Rmtt arménimne des q~teslions <'O!IIemporail!es, op. ât., p. 47, l'auteur, lui-même historien, obsen·e que les initiateurs de la « pétition des dix-neuf>> sont très représentatifs d'une élite culrurclle <<située au cœur des réseaux institutionnalisés par la III< République, qui lient le journalisme, l'édition, l'université et les sommets de l'État».

Également signataire de la pétition« Liberté pour l'Histoire>> (et désormais vice-présidente de l'association d\1 même nom), elle utilise l'e>-'}lrcssion «lois mémorielles>> dans une tribune parue au journal I.t A:londe du 17 décembre 2005, tittéc «L'enfer des bonnes intentions».

Cf. !trpra, note 63.

Loi n° 94-488 du 11 juin 1994 rclarive aux rapatriés anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captiYité en J\lgérie,]O, 14 juin 1994; loi n° 99-882 du 18 octobre 1999 relati\·e à la substitution, à l'expression «aux opérations effectuées en Afrique du Nord», de l'e"'Pression «à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie ct au Maroc», JO, 20 ocrobre 1999; loi 2000-644 du 10 juillet 2000 instaurant une journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français ct d'hommage aux Justes de france, JO, 11 juillet 2000. Lc\lr initiale absence de la catégorie des " lois mémorielles » avait été critiquée notamment par Gilles Manceron, « Sur quelles bases aborder le débat sur la loi, la mémoire· et l'histoire ? >>, Tratù Rcwe de Stit11<7:S H111naùm, n° 9, 2009, p. 31.

Rapport 1\.ccoyer, p. 11 et s.

Rapport Accoyer, p. 34 (extrait repris dans le corrunentaire officiel de la décision du Conseil constitutionnel, p. 3--4).

Drf!it et c:it!tmu, 66, 2013/2 35

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SéiJtme Gmibian

de 2008 de voter des résolutions69, les «lois mémorielles » procèderaient d'une motivation commune - l'invocation du «devoir de mémoire »70 -

impliquant une « dynamique de la qualification de l'histoire pouvant présenter des risques juridiques et politiques »71. Reste que la catégorie générique qui les englobe est problématique à plus d'un titre : d'abord, parce que le traitement commun et indifférencié de ces lois présuppose, à tort, qu'elles aient une fonction et un objet identiques ; ensuite, parce que cette indifférenciation altère l'évaluation concrète de la réalité des risques que de telles lois engendreraient dans une démocratie. Sans compter que la connotation quelque peu péjorative de l'expression «lois mémorielles»

véhicule une dénonciation basée sur un postulat contestable : celui d'un profond clivage entre droit et histoire/ mémoire72, d'un côté, et entre histoire et mémoire73, de l'autre, domaines présentés comme opposés, inconciliables et nécessairement rivaux. Selon leurs détracteurs, les lois dites mémorielles opéreraient toutes une sorte de «mélange des genres » néfaste et dangereux- alors même que c'est avant tout l'amalgame trompeur entre les diverses lois dont il s'agit, sur lequel est construit cette dénonciation, qui est porteur de nombreux et importants malentendus74.

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Rappott Accoye.r, p. 23 et s. Voir aussi Francis Hamon, np. cil. qui considère que les« lois mémorielles>>

proviennent d'un détoumement nécessaire de la procédure législati,·e, suite à la limitation en <1uestion, par un législateur soucieux de continuer à exercer sa << fonction u:ibunitienne ».

Terme dont les premières occurrences remonteraient aux années 1970, ct <]Ui voit son usage mtùtiple se généraliser depuis les années 1990 (voir les émdes récentes de Sébastien Ledo\L\:, <<Ecrire w1e histoire du 'de1·oir de mémoire')), Le Dibat, 170, 2012, p. 175-185, ct Jean-Pierre Riou.x, <<Les avatars du 'devoir de mémoire'», ibid., p. 186-192). Le Rapport Accoyer en souligne à la fois l'importance (p. 25 et s.) et les ambiguïtés (p. 60 et s.).

Rapport Accoyer, p. 36 et s.

Par exemple René Rémond, <<L'histoire et la loi», Éflldu, 2006/6, tome 404, p. 763-773 ctQHand l'État se n.té/e de l'histoù~, Paris, Stock, 2006, ainsi que Jacques Robe.tt, <<L'Histoire, la repen~.wce et la loi», EDf>, n° 2, 2006, p. 279-291 ; ou encore Luigi Cajani, «L'histoire, les lois, les mémoires. Sur quelques conflits récents en Europe », Reme fmnçaise de péda,~ogie, n° 165, octobre-décembre 2008, p. 65-76 ct Cédric Milhat, «La représentation juridique de la mémoire. L'exemple français», Revm ]midiq11e T!Jémi.r, n° 43, 2009, p. 51-82. Pour une analyse plus nuancée : Emmanuel Cartier, << Histoire et droit : rivalité ou complémentarité ? », RFDc; n° 67, 2006/3, p. 509-534 et Jacques Chevallier,« Droit ct mémoire», op. <it.

A cc sujet, nous l'envoyons notamment au dossier spécial "Les historiens er le tnvail de mémoire, de la revue Esplit, n° 8-9, 2000. Il est intéressant de soulif,'ller, comme le fait Sébastien Ledoux (np. dt., p. 176) que la distinction entre histoire et mémoire se situe au cœur d'une réflexion épistémologique qui a largement dominé la discipline historique depuis trente ans, plus précisément depuis l'article de Pierre Nora,<< La mémoire collective», in Jacques Le Goff (dir.), La No111Jtllt l-Ii!foù~. Paris, Retz-CEPL, 1978, p. 398-401. Et, note-t-il, « fait a pti01i paradoxal dans le cadre de cette distinction ( ... ) de plus en plus revendiquée par les historiens cule-mêmes, leurs travaux se sont développés également dans des dispositifs instimrionnels créés en fonction du de,·oir de mémoire>>. La confrontation entre histoire et mémoire ne traduirait-elle pas a1•ant tout l'intérêt croissant que les historiens m1nifestent pour cette dernière (1·oir notamment Leux de mù!loù~. publication dirigée par Pierre Nora et pamc chez Gallimard en trois tomes à partir de 1984) ?

Dans le même sens, les si!,'llataires de l'appel <<Ne mélangeons pas tout» publié le 20 décembre 2005 par le journal 20 JnÎ11111es en réaction à la pétition "Liberté pour l'Histoire» : soit trente-deux personnalités (écrivains, juristes et historiens).

Droit et Cl!ltm>Js, 66,2013/2

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