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Démocratie délibérative au sein du Mouvement pour une Justice Globale : Une analyse des effets de facteurs contextuels

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Academic year: 2022

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Démocratie délibérative au sein du Mouvement pour une Justice Globale : Une analyse des effets de facteurs contextuels

TONKA, Luc

TONKA, Luc. Démocratie délibérative au sein du Mouvement pour une Justice Globale : Une analyse des effets de facteurs contextuels. Geneva Laboratory of Political Science - GreenLab, 2012, no. 3

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:22842

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

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Démocratie délibérative au sein du Mouvement pour une Justice Globale :

Une analyse des effets de facteurs contextuels

Luc Tonka

Geneva Laboratory of Political Science

Green Lab N° 3 • 2012

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Afin de mieux se présenter, le Département de science politique de l'Université de Genève a lancé en 2009 deux nouvelles publications. Sous le nom de Geneva Laboratory of Political Science, ces publications aideront à diffuser les travaux qui se font au sein du Département et à nourrir les échanges avec l'extérieur. Le nom souligne la vocation de « laboratoire » de ces textes, c’est-à- dire de lieu de réflexion, d'expériences et de débat. La publication se distingue par deux couleurs.

La série Blue Lab a été créée afin de favoriser la diffusion de travaux en cours de la part des membres du Département. Il peut s’agir de communications présentées à des colloques ou d’autres textes théoriques ou de recherche.

La série Green Lab accueille des travaux plus achevés et généralement plus longs. Elle est destinée en particulier à la publication des meilleurs mémoires de Master des étudiantes et étudiants qui achèvent leurs études auprès du Département.

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Démocratie délibérative au sein du Mouvement pour une Justice Globale : Une analyse des effets de facteurs contextuels

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Luc Tonka

Mémoire de Master en Science politique Directeur de Mémoire: Marco Giugni

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Copyright © Luc Tonka 2012 Editor

Département de Science Politique et Relations Internationales Université de Genève

Boulevard du Pont d'Arve 40 1211 – Genève 4

Switzerland

ISSN 1663-649X (Printed Version) ISSN 1663-8751 (On-line Version)

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Remerciements

Je souhaite remercier Marco Giugni pour sa confiance et son soutien pragmatique au cours de l’élaboration de ce travail. Ce mémoire a bénéficié des commentaires de Nina Eggert, Julien Debonneville et Edmée Ihne. Un grand merci à Nina pour ses précieuses suggestions et sa disponibilité, à Julien pour l’esprit toujours positif de ses commentaires et à Edmée pour ses patientes relectures.

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1 Table des matières

1. Introduction... 3 

2. Revue de la littérature ... 7 

2.1 La place de l’organisation dans l’étude de mouvements sociaux ... 8 

2.2 La démocratie au sein des SMOs ... 9 

2.3 Démocratie délibérative et mouvements sociaux... 13 

2.4 Travaux du projet DEMOS ... 18 

3. Cadre Théorique ... 24 

3.1 Variable dépendante... 25 

3.1.1 Différentes conceptions de la démocratie... 25 

3.1.2 Caractéristiques des démocraties délibérative et représentative ... 26 

3.1.3 Démocratie délibérative au sein du GJM ... 30 

Variables indépendantes... 31 

3.2 Structures d’opportunité politique (POS)... 31 

3.2.1 Aperçu général du concept ... 32 

3.2.2 Impact des POS sur les organisations et leur mode de prise de décisions ... 35 

3.2.3 Effets directs et indirects des structures d’opportunité politique ... 36 

3.2.4 Hypothèses ... 38 

3.3 Familles de mouvements... 40 

3.3.1 Nouveaux Mouvements Sociaux (NSMs) ... 41 

3.3.2 Lien entre changement structuraux et manifestations collectives ... 41 

3.3.3 Caractéristiques communes des NSMs ... 43 

3.3.4 Hypothèse ... 45 

3.4 Relations avec les institutions étatiques... 46 

3.4.1 Processus de développement des SMOs... 46 

3.4.2 Néo-institutionnalisme dans l’étude des organisations ... 47 

3.4.3 Hypothèses ... 50 

3.5 Caractéristiques internes des SMOs... 52 

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4. Données et opérationnalisation... 56 

4.1 Données relatives aux pratiques démocratiques au sein du GJM ... 56 

4.2 Opérationnalisation des variables ... 58 

4.2.1 Variable indépendante : mode de décision délibératif participatif ... 58 

4.2.2 Variables indépendantes contextuelles... 59 

4.2.3 Variable indépendantes de contrôle... 62 

5. Analyses et résultats... 65 

5.1 Analyses bivariées des facteurs liés au contexte politique... 65 

5.2 Analyse bivariée d’un facteur lié au contexte culturel... 71 

5.3 Analyse bivariée des facteurs liés au contexte relationnel... 74 

5.4 Analyse multivariée ... 77 

6. Conclusion ... 81 

7. Bibliographie ... 87 

Annexe I... 94 

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3 1. Introduction1

Depuis l’émergence de la théorie de la mobilisation des ressources dans les années 1960-1970, les mouvements sociaux tendent à être perçus de manière positive. Le changement de paradigme entre les « Strain and Breakdown Theories », qui insistaient sur les facteurs psychologiques et le caractère déviant de ces mobilisations collectives, et la

« Resource Mobilization Theorie », décrivant le caractère rationnel de ces actions, reflétait aussi un changement de génération parmi les chercheurs, qui avaient une certaine affinité avec les causes défendues par les groupes proches du « civil right movement », voire étaient eux- mêmes actifs en leur sein (Buechler, 1993 : 218). Cette perception initiale positive ainsi que l’attention portée sur un ensemble de mouvements assez restreint (le plus souvent les mouvements féministes, pacifistes et écologiste) rend difficile de concevoir les mouvements sociaux autrement que comme des forces progressistes dans le jeu démocratique.

Tilly (2003) nous rappelle cependant que si la démocratie moderne et les mouvements sociaux tels que nous les connaissons aujourd’hui sont apparus en même temps au cours du XVIIIème siècle en Europe, ces deux phénomènes ne sont pas automatiquement liés. D’une part, des mouvements sociaux se sont développés dans d’autres régimes politiques, et, d’autre part, certains mouvements sociaux vont, de par leurs objectifs ou les moyens qu’ils emploient, à l’encontre d’un processus de démocratisation2.

Cette précision mise à part, le fait est que beaucoup de mouvements sociaux participent à une plus grande démocratisation en permettant à des voix dissidentes de se faire entendre, élargissant ainsi et la consultation, et l’étendue des thèmes soumis à un regard démocratique (Ibarra, 2003). De fait, les mouvements sociaux se sont vu attribuer un rôle particulier dans certaines théories délibératives, en tant qu’acteurs maintenant la pluralité des discours dans l’espace public (Dryzek, 2000 : ch4).

Cependant, entre leur rôle dans le système démocratique et leur organisation interne, il ne semble pas devoir y avoir un lien logique particulier. Le même auteur souligne d’ailleurs la diversité des organisations regroupées sous la notion de société civile. Si elles montrent

1 Dans le cadre de ce travail nous nous basons sur les données récoltées dans le cadre du projet européen Democracy in Europe and the Mobilization of Society (DEMOS). Nous abordons les détails de ce projet dans la partie 4. Des informations supplémentaires et la documentation relative au projet sont disponibles sur le site http://demos.iue.it/ [page consultée le 7 Septembre 2010].

2 Démocratie et démocratisation ne sont pas équivalentes : par démocratisation on entend soit l’extension de la démocratie par exemple dans des pays précédemment sous un régime autoritaire, soit un approfondissement de la qualité de la démocratie. Ce deuxième sens permet de concevoir la démocratie comme évolutive, et mesurable selon différentes dimensions sur un continuum plutôt que comme une qualité intrinsèque de certaines institutions (voir Seferiades [2008 : 5] pour une représentation graphique allant dans ce sens).

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souvent une affinité avec les valeurs de la démocratie discursive dans leur fonctionnement interne, on y trouve aussi des exemples a priori moins compatibles avec ce modèle, tel que ceux défendant des valeurs conservatrices (Dryzek, 2000 : 100-101).

Malgré cela, les mouvements sociaux sont traditionnellement perçu comme offrant des alternatives à la démocratie représentative (della Porta, 2009a : 225). Pour certains, ce sont même les derniers lieux d’expérimentation des formes de démocratie radicale après les transformations au niveau des partis politiques (Seferiades, 2008). Della Porta (2009b : 5) souligne qu’une plus grande participation des membres peut être nécessaire pour compenser un manque de ressources ne permettant pas d’offrir de compensation matérielle. Cela semble être le seul argument logique allant dans le sens d’un fonctionnement participatif au sein des organisations des mouvements sociaux (SMO), mais il ne peut être appliqué à l’ensemble des mouvements sociaux sans un examen empirique.

Le rôle démocratique des mouvements sociaux semble détaché du fonctionnement interne des groupes qui les composent. Il est dès lors peu surprenant que les tentatives de développement d’une démocratie plus participative aient été traitées sous l’angle de la cohérence idéologique. Ainsi les expériences de ce type menées par des groupes tels que la Students for a Democratic Society (SDS) ont été qualifiées de « pré-figuratives ». L’idée étant que les groupes qui pratiquent une forme de démocratie radicale le font pour fonctionner en accord avec l’idéal qu’ils envisagent à une plus grande échelle. En ce sens, ils préfigurent une société nouvelle (Buechler, 2000 ; Polletta, 2002 ; Breines, 1980 : 421). Bien que le concept ait été créé pour rendre compte de l’impact potentiel d’une telle forme d’organisation, il est resté associé à des changements de nature culturelle et personnelle, en opposition à des résultats proprement politiques (Polletta, 2002 : 7).

Certains auteurs (Polletta, 2002 ; Mansbridge, 2003) ont proposé une nouvelle approche : en s’intéressant de près aux différents publics auxquels s’adressaient des groupes emblématiques d’une démocratie participative, des avantages stratégiques semblent expliquer leurs choix organisationnels. Comme on le verra par la suite (section 2.2), la participation accrue des membres dans le processus de décision amène des bénéfices en termes d’innovation, de solidarité et de développement futur du mouvement.

Les éléments que nous avons avancés jusqu’ici nous montrent que l’association courante entre démocratie et mouvements sociaux ne constitue pas une vérité absolue. D’une part, on ne peut pas affirmer théoriquement que les mouvements sociaux soient liés à un processus de démocratisation de la société ou de l’Etat. D’autre part, lorsque les organisations des mouvements sociaux expérimentent des formes innovantes de démocratie, les bénéfices

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générés par ce type de fonctionnement dépendent de leur base militante. Nous en concluons que le rôle démocratique des mouvements sociaux doit être établi par une analyse empirique.

Pour notre étude, nous nous intéressons au Global Justice Movement (GJM) comme cas empirique. Apparu avec le nouveau « cycle de protestation »3 qui s’est développé depuis les événements de Seattle en 1999 (della Porta, 2007a : 2), le GJM se distingue de ses prédécesseurs par de nombreux aspects : son caractère transnational nettement plus marqué (Smith 2001 : 8-9 ; Rucht, 2003 : 220), qui traduit aussi le changement d’échelle du pouvoir institutionnel de l’Etat-Nation au niveau international (della Porta, 2009b : 6) ; la multiplicité des thématiques abordées en comparaison d’une spécialisation sur un sujet particulier qui prévalait lors des récentes vagues de mobilisation par les Nouveaux Mouvements Sociaux ; un retour à la protestation alors que l’on assistait à une « institutionnalisation » des mouvements sociaux (della Porta, 2007a : 2), protestation aussi accompagnée par un renouveau du répertoire d’action avec l’emploi de la dérision (Smith, 2001) et surtout l’invention du forum social, à la fois action de protestation et espace d’échange (Giugni et al, 2009). Le caractère multi-thématique de ce mouvement est un aspect qui nous intéresse tout particulièrement

En effet, cette particularité montre la grande diversité du GJM, mise en avant par les chercheurs autant que par les activistes eux-mêmes (della Porta, 2009b). Elle peut être en partie expliquée par les origines variées des groupes constituant le mouvement, puisque des organisations plus anciennes ont contribué à l’émergence du GJM (della Porta, 2007b), comme c’est habituellement le cas lors du développement de nouveaux cycles de contestation.

Le fait que des thèmes aussi variés que l’agriculture, la suppression de la dette du Tiers- monde, les enjeux féministes ou la protection de l’environnement se retrouvent liés en un seul mouvement n’aurait pas été possible sans la constitution d’un Master Frame (della Porta et al., 2006) ciblant spécialement les politiques néo-libérales prônées par les organisations intergouvernementales telles que l’OMC ou le FMI (Ayres, 2004). Non seulement les organisations ont pu se mettre en réseau par l’intermédiaire de « broker issues » (della Porta 2007a : 16), mais il semble qu’au niveau individuel, les membres aient joué un rôle important dans l’émergence d’actions communes. Comme le montre des interviews menées avec des leaders d’organisations italiennes, la présence de membres impliqués dans plusieurs groupes simultanément est un des mécanismes intervenant dans la « cross fertilization » du mouvement (della Porta et Mosca, 2007 : 10). Un tel phénomène est attesté par le nombre

3 Tarrow (1998 : 144) donne cinq caractéristiques de l’émergence d’un cycle de protestation: a)un conflit accru, b) une large diffusion sociale et géographique, c) une expansion du répertoire d’action, d) l’émergence de nouvelles organisations et le renforcement des anciennes et e) un nouveau master frame.

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important de participants au forum social européen déclarant une participation dans plusieurs groupes actifs sur des thématiques différentes (voir Andretta et al., 2009). Les membres de chaque organisation sont probablement porteurs de valeurs et d’expériences variées, ce qui apporte une diversité malgré le profil socio-démographique assez semblable au sein du GJM.

Les participants sont en effet majoritairement jeunes, ont atteint un haut niveau d’études et travaillent principalement dans le secteur public (Andretta et Sommier, 2009). Bien que l’on ne puisse pas tirer de conclusions quant à la composition exacte de chaque groupe actif au sein du GJM, il semble que les participants aux Forums Sociaux Européens (ESF) soient assez éloignés du public visé par les organisations étudiées par Polletta (2002).

De cette brève description du GJM, nous postulons que ce mouvement constitue un cas idéal d’étude de formes alternatives de démocratie. En effet, ses revendications de démocratisation vis-à-vis des organisations intergouvernementales, la nécessité d’accorder des composantes hétérogènes et l’accent porté sur la démocratie comme thématique englobante en font le mouvement de la démocratie par excellence. Cependant, si nous nous intéressons à la base militante des SMOs qui le composent, nous sommes bien loin d’un public nécessitant une socialisation politique. En comparaison des groupes qu’ont étudiés Polletta (2002) et Mansbridge (2003), les activistes du GJM ont peu de bénéfices politiques à retirer de l’emploi des formes participatives et consensuelles de démocratie.

C’est la raison pour laquelle dans le cas du GJM nous proposons de nous intéresser en premier lieu aux facteurs contextuels qui pourraient influencer les modèles de démocratie interne. En effet, les études précédentes (Polletta, 2002 ; Mansbridge, 2003) se sont surtout concentrées sur les caractéristiques propres aux individus ou groupes d’individus directement impliqués dans la pratique de ces formes démocratiques, au détriment des éléments du contexte plus général environnant les organisations.

Dans ce travail, nous nous concentrerons sur le contexte extérieur de l’organisation avec une approche quantitative. En nous inspirant des différents courants théoriques dévolus à l’étude des mouvements sociaux, nous testerons l’impact relatif des facteurs contextuels que sont l’environnement institutionnel, l’ancrage idéologique et le contexte relationnel. Comme d’autres auteurs l’ont souligné, les caractéristiques de l’organisation à proprement parler sont également à prendre en compte (Kriesi, 1996). Le schéma général suivant permet de mieux se représenter l’objectif de ce travail :

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7 Figure 1 : Stratégie de recherche

Notre travail est organisé de la manière suivante : Dans la prochaine section (2.1) nous présentons une revue de la littérature concernant la relation entre démocratie et mouvements sociaux. Nous faisons part des raisons qui justifient selon nous le rapprochement entre la démocratie délibérative et le GJM, et nous présentons quelques travaux déjà réalisés sur ce sujet. La partie 3.1 est consacrée à la définition conceptuelle de notre variable dépendante ; elle est suivie de la présentation des théories qui nous permettent de lier les différents contextes que nous considérons et les modèles de démocratie interne. Spécifiquement, nous formulons des hypothèses relatives aux structures d’opportunités politiques, aux familles de mouvements sociaux et aux relations avec les autorités. Nous prenons également en compte des variables de contrôles relatives à la structure des organisations elles-mêmes. Avant de présenter nos résultats, nous décrivons en détail nos choix d’opérationnalisation. Notre partie d’analyse est scindée en deux parties : la première est consacrée aux analyses bivariées et dans la seconde nous présentons une analyse multivariée. Nous concluons sur ces résultats.

2. Revue de la littérature

Contexte institutionnel (POS)

Contexte culturel (Famille de Mouvements)

Contexte relationnel (isomorphisme)

Caractéristiques propres au SMOs

Modèle de démocratie interne

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2.1 La place de l’organisation dans l’étude de mouvements sociaux

La théorie de la mobilisation des ressources (RMT) a placé les organisations des mouvements sociaux (SMO) au centre de l’analyse, mais d’une manière assez particulière puisque les études auxquelles elle a donné naissance ont souvent considéré l’organisation comme un facteur déterminant dans les processus de mobilisation, sans toutefois en étudier véritablement la substance.

En effet, la RMT4 postule que les revendications (grievances) sont présentes dans toute société et à tout moment, mais que, pour autant, les mouvements sociaux sont loin d’être omniprésents. En conséquence, et contrairement aux théories précédentes, la RMT affirme que ces griefs ne peuvent pas constituer la raison suffisante de l’émergence de mobilisations collectives. Supprimant l’automatisme entre revendication et mobilisation effective, la RMT place le facteur déterminant dans la présence d’organisations capables de rassembler les ressources nécessaires à une protestation efficace (Buechler, 2000 : 35). Ainsi les SMOs ont avant tout été considérées comme des ressources à la disposition des activistes, avec peu d’attention portée à la diversité des formes d’organisations possibles, et à leur impact sur la protestation elle-même. En somme, les SMOs ont constitué une sorte de « boites noires », dont on a ignoré le fonctionnement en raison de leur homogénéisation sous le terme de

« ressources » (Clemens et Minkoff, 2004 : 155-156).

Récemment cependant, le paradigme de la RMT s’est trouvé revigoré par un renforcement du constructivisme dans les études des mouvements sociaux, en particulier par l’intérêt porté à la question de l’identité (ou identification) comme facteur individuel de mobilisation (Caniglia et Carmin, 2005 : 205-206), ainsi que par le rapprochement avec les théories issues de la sociologie des organisations. Reconnues comme vecteur de sens et de symboles propre à façonner au moins en partie l’identité des activistes, considérées comme étant sujettes aux mêmes dynamiques que les organisations économiques, les SMOs sont désormais étudiées « in their own right » (Clemens et Minkoff, 2004 : 156).

Parmi les publications récentes (eg. Davis et al., 2005), certains auteurs se sont attelés à démontrer l’applicabilité des théories organisationnelles5 aux SMOs, ou, à l’inverse, l’existence de dynamiques semblables à des mouvements sociaux au sein de certains champs organisationnels, comme ce fut le cas pour la gestion des déchets aux USA (Lounsbury, 2005). Bien que l’étude des processus de décisions internes soit désignée par les tenants de ce

4 Nous faisons ici référence à la version « entrepreneuriale » de cette théorie, avancée notamment par McCarthy et Zald (1977). Pour une revue et une critique des différents courants de la RMT, voir Buechler (2000 : 32-40).

5 Nous employons l’expression « théorie organisationnelle » comme équivalent pour les théories issues de la sociologie des organisations telles que le néo-institutionnalisme développé notamment par DiMaggio et Powell (1991) ou l’écologie des populations proposée entre autre par Hannan (2005).

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métissage théorique comme un domaine pouvant particulièrement bénéficier d’un tel rapprochement (Minkoff et McCarthy 2005 : 298), notre objectif n’est pas de puiser dans cette littérature et d’en démontrer la pertinence. Nous nous intéressons plutôt au fait que la forme d’une organisation exprime en partie l’identité du groupe qui l’adopte (Clemens, 1996 : 207).

2.2 La démocratie au sein des SMOs

Les travaux réalisés dans le cadre du projet DEMOS participent du regain d’intérêt pour les SMOs. Donatella della Porta (2009a : 226) positionne clairement cette recherche à l’encontre d’une « hyper normalisation » de la littérature tendant, par les études qu’elle génère, à confirmer une vision exclusivement instrumentale des SMOs. Dans cette optique, le tournant culturel déjà mentionné ainsi que la multiplication des travaux en théorie politique concernant la démocratie délibérative ont présenté d’excellentes opportunités pour palier les carences de la littérature concernant la démocratie à l’intérieur des mouvements sociaux. En effet, malgré une représentation solidement ancrée des mouvements sociaux en tant que lieu de développement d’alternatives démocratiques, peu d’études se sont penchées sur la question de manière empirique ou normative (della Porta, 2009a : 225).

Clairement, l’apport du projet DEMOS est considérable concernant tant le GJM que la question de la démocratie dans les mouvements sociaux (eg. della Porta, 2009c, 2009d, 2007b ; della Porta et al. 2006). Les modèles démocratiques étant au cœur du projet de recherche, les études qui en sont issues couvrent de très nombreux aspects (eg. relation entre valeurs et pratiques démocratiques, entre préférences individuelles et mise en œuvre au niveau des SMOs, etc.). Par conséquent, nous ne nous réfèrerons dans cette revue de la littérature qu’aux études portant sur le même sujet que notre travail, à savoir l’impact du contexte sur les modèles démocratiques adoptés par les SMOs. Mais avant de nous pencher sur les travaux les plus proches de notre recherche, nous examinons quelques auteurs qui se sont attaqués à la question de la démocratie dans d’autres mouvements sociaux.

Parmi ceux-ci, Polletta (2002) est sans doute l’auteur ayant couvert la plus grande diversité de mouvements. Elle offre un aperçu historique du développement de la démocratie participative au sein des SMOs aux Etats-Unis durant le XXème siècle. Son travail, basé sur des entretiens approfondis avec d’anciens membres des organisations qu’elle étudie ainsi que sur des documents d’archive, offre une riche description des tentatives passées et présentes d’expérimentation démocratique au sein des principaux mouvements sociaux de cette période (civil rights, féministes, new left). Son ouvrage, Freedom is an endless meeting, offre un nouvel éclairage sur les raisons qui poussent à adopter un fonctionnement participatif et sur

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les causes d’échec de ces tentatives, réfutant en partie les thèses conventionnellement admises. Trois éléments sont particulièrement intéressants dans le cadre de ce mémoire :

1. Au début du XXème siècle, la gauche syndicale (labor movement) a été un lieu historique d’expérimentation pour une plus grande participation de la base, une forme de

« pédagogie démocratique » en vue de former des leaders locaux, et ainsi assurer la pérennité de l’organisation (Polletta, 2002 : 28). Le développement durant les années 1960 d’une démocratie radicale au sein de la «New Left » est plus facilement associé au mouvement pacifiste (d’où lui provient son aspect préfiguratif)6, que rattaché à la « Old Left » contre laquelle elle s’est elle-même construite. Néanmoins, le travail de Polletta (2002 : ch2) montre que les participants au « civil rights movement » ont bénéficié des enseignements de cette ancienne gauche par des contacts personnels.

2. Une dichotomie entre mouvements sociaux « expressifs » et efficaces (« instrumental »),

« préfiguratifs » et « stratégiques » est souvent mise en avant dans la littérature (voir Buechler, 2000). La démocratie participative est habituellement associée aux premiers de ces termes, mais l’examen qualitatif minutieux mené par Polletta fait apparaitre les avantages pratiques et politiques d’une telle forme (2002 : 2). Une organisation basée sur un mode participatif présente, entre autres, des avantages au niveau de la solidarité au sein du groupe, apporte des innovations (par le plus grand nombre d’inputs), et facilite le développement du mouvement et de ses membres (2002 : ch1, en particulier pp 5-12). En fait, pour Polletta la tension intrinsèque supposée entre démocratie et efficacité politique doit être remise en question, puisque pacifistes et syndicalistes du début du XXème siècle, bien qu’ayant une vision largement opposée des améliorations démocratiques possibles, ont tout deux cherché à mettre en œuvre leurs solutions pour des raisons politiques (2002 : 29).

3. Il semble que cette idée d’une tension fondamentale entre démocratie et efficacité trouve sa principale source dans l’échec constaté des tentatives successives d’application d’une forme plus participative de prise de décision. En effet, les groupes tels que le Student Nonviolent Coordination Committee (SNCC), la Students Democratic Society (SDS) ou les collectifs féministes étudiés dans cet ouvrage et leurs expérimentations démocratiques se sont soldés par un échec face à l’accroissement du nombre de membres impliqués.

Plutôt que de lier directement la taille des organisations avec les limites des modes de décisions participatifs, Francesca Polletta s’est penché sur les modèles de relations

6 Comme l’écrit Polletta (2002 : 27) : « Pacifist’s well-known commitment to making ‘the means reflect the ends’ has been cited as inspiration for the utopian character of the 1960’s movements in general and, in particular, their commitment to participatory democracy. »

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sociales qui sous-tendaient les pratiques mises en place dans ces mouvements particuliers. Ainsi, en l’absence de modèle délibératif préexistant, les activistes se sont basés sur des relations sociales qu’ils connaissaient déjà : relations d’amitié, fraternité religieuse ou relation d’enseignement entre adultes7. Ces relations spécifiques ont permis de dépasser certaines difficultés de fonctionnement, mais elles ont aussi été la source de blocages lorsque les groupes se sont agrandis. Parce qu’elles comportent une part d’inégalité et d’exclusion non prise en compte, les relations de cette nature ne sont pas aisément étendues à d’autres individus (Polletta, 2002 : 16-21).

Un autre ouvrage s’intéresse aux processus de prise de décision de manière qualitative.

Le volume 24 de Research in Social Movements, Conflicts and Change est principalement consacré à une série d’articles sur l’emploi du consensus au sein des SMOs. La plupart des articles sont basés sur des études de cas approfondies, à l’exception de Mansbridge (2003) qui en offre une synthèse ainsi qu’un développement conceptuel utile. Elle nous rappelle que le consensus peut avoir deux « visages » : l’un individualiste et protecteur, comme c’est le cas au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU pour les cinq nations bénéficiant d’un veto ; l’autre plus « positif » supposant qu’il existe une « bonne » réponse, atteignable par le biais de la délibération (2003 : 230-1). Ainsi le consensus est applicable à des situations à la fois de totale identité et de totale divergence d’intérêt (2003 : 231-2). C’est un rappel utile dans la mesure où l’aspect positif d’un « esprit de consensus » est souvent mis en avant. Bien que les cas pris en compte par Mansbridge (2003) ne correspondent pas exactement8 à ce que Polletta (2002) nomme « démocratie participative » ; ses conclusions quant aux avantages d’un mode de fonctionnement consensuel recoupent celles énoncées par cette dernière. En effet, sous d’autres appellations plus détaillées, on retrouve essentiellement les avantages en terme de solidarité, d’innovation et de développement, énoncés par Polletta (2002 : 209 ; Mansbridge 2003 : 234).

Mansbridge (2003) liste une série de conditions pour lesquelles l’usage du consensus amène plus d’avantages que d’inconvénients. Ce qu’elle nomme « contexte » se réfère en grande partie aux caractéristiques sociales d’un groupe (formant une SMO) ou à ses valeurs.

Ainsi, d’après elle, les coûts d’instauration d’un système consensuel sont faibles, par exemple lorsque le groupe est homogène (238), lorsque les membres du groupe ont une expérience

7 Les termes en anglais sont : friendship, religious fellowship et tutelage.

8 Mansbridge (2003 :243-8) fait clairement la différence entre « consensus » qu’elle étudie, et « égalité des participants », « participation » ou « décentralisation » ; là où Polletta (2002 : ch1 note 6) utilise le terme démocratie participative pour désigner aussi bien une forme d’organisation décentralisée avec une division minimum du travail et un ethos égalitaire, qu’un processus de prise de décision à la fois direct (plutôt que représentatif) et consensuel (opposé au vote majoritaire).

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préalable d’un tel fonctionnement (239) ou lorsque la composition du groupe est stable (« low turnover »)(241). Relativement, les bénéfices sont substantiels lorsqu’une expérience d’oppression préexistait (qui rend le principe de reconnaissance des individus important), lorsque les membres du groupe ont besoin des compétences acquises dans un cadre délibératif, lorsqu’il existe un pouvoir informel nuisible au développement du groupe (235) ou lorsque l’unanimité a un caractère sacré pour le groupe (236). D’autres éléments plus généraux sont cités mais ils pointent à des situations propres au groupe tel que « le statut quo est acceptable »9. En Fait, seuls deux éléments du « contexte » font référence à l’extérieur du groupe : le fait que des divisions internes puissent être exploitées par des outsiders et le besoin stratégique de présenter un front uni à l’extérieur (234).

Ces deux textes ont le mérite de porter un regard neuf sur les formes de démocratie intégrant un processus délibératif, reconnaissant des avantages proprement politiques à ces pratiques, et leur redonnant en ce sens un caractère d’efficacité qui leur avait été nié en les qualifiant d’expressives, de pré-figuratives ou encore d’orientées vers des changements culturels. Ils identifient tous deux des avantages au niveau de l’innovation, de la solidarité et du développement aussi bien personnel (pour les membres) qu’organisationnel (pour le mouvement dans son ensemble). Ils reconnaissent également, de manière explicite (Mansbridge, 2003) ou non (Polletta, 2002) que ce type de structure est plus ou moins utile selon les caractéristiques des membres.

Une critique majeure que l’ont peut toutefois adresser à ces études est leur focalisation sur les éléments propres aux groupes qui pratiquent une forme de démocratie délibérative. Le contexte dans lequel se situent ces expériences de démocratie radicale n’est pas systématiquement étudié. L’approche qualitative adoptée par Polletta (2002) se prête sans doute peu à une perspective comparative, mais hormis l’expérience individuelle des membres clés des groupes dont elle fait l’histoire, le lecteur peine à discerner pourquoi ces expérimentations démocratiques se développent à certains moments, en certains lieux, et dans certains milieux particuliers. Nous pensons que ces interrogations peuvent être adressées par une conceptualisation explicite du contexte et une plus grande attention aux variations qui s’y manifestent.

Notre travail se propose de chercher plus largement les déterminants contextuels qui influent sur le choix des processus de prise de décisions au sein des SMOs. Par déterminants contextuels nous entendons notamment les institutions politiques qui ont été identifiées comme une donnée centrale dans l’explication de l’émergence des mouvements sociaux (eg.

9 Ce point semble incomplet, il faudrait plutôt lire : « le statu quo au sein du groupe est acceptable pour ce groupe-ci »

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Kitschelt, 1986), mais qui jouent aussi un rôle dans leurs structures internes (Rucht, 1996) et sur l’évolution des SMOs qui les composent (Kriesi, 1996). Un tel contexte demeure une variable importante même à une époque où se développent des mouvements transnationaux (Giugni et al., 2006). Mais nous pensons aussi au contexte culturel vers lequel la notion d’identité pointe immanquablement, ainsi qu’au contexte relationnel qui prend une importance particulière dès lors que l’on conceptualise les acteurs (SMOs ou mouvement dans son ensemble) comme inscrits dans un champ d’interaction, comme nous invite à le faire les approches de sociologie des organisations déjà évoquées.

2.3 Démocratie délibérative et mouvements sociaux

Après avoir évoqué les travaux portant sur des formes innovantes mais diverses de démocratie au sein des mouvements sociaux, il nous semble important de nous rapprocher de notre objet d’étude. Dans cette section nous nous efforçons de montre la pertinence du lien entre une théorie démocratique particulière, la théorie délibérative, et un mouvement spécifique, le GJM. Bien que la démocratie délibérative soit définie en détails dans la partie 3.1, une esquisse générale de celle-ci est nécessaire à la bonne compréhension de la discussion qui suit.

La démocratie délibérative est une conception théorique normative qui connait un développement important depuis les années ‘90. Ses défenseurs soutiennent que la démocratie ne doit pas se réduire à un comptage de voix ou à un simple rapport de force, mais qu’elle est un processus de transformation des préférences individuelles et de construction du bien commun qui repose d’abord sur l’argumentation rationnelle et la justification des positions de chacun. En conséquence, les discours sont une part importante de ce processus qui devrait se solder par un consensus. La participation et l’égalité sont particulièrement soulignées par les tenants de cette approche (voir della Porta, 2005a, 2005b, ainsi que la partie 3.1)

Cette vision de la démocratie constitue d’abord un débat interne à la science politique sur les caractéristiques d’un « bon » système démocratique. Cependant, les difficultés réelles rencontrées par les démocraties occidentales peuvent expliquer, sinon l’essor de ce courant délibératif en théorie politique, du moins une partie du vif intérêt qu’il suscite. En effet, le besoin d’une alternative ou d’une réforme aux systèmes traditionnels se fait sentir face au manque croissant de légitimité d’un fonctionnement « top-down » du politique. D’après della Porta, deux défis se posent : d’une part la diminution de la participation conventionnelle (par le biais d’élections ou de votations) et d’autre part le déplacement du pouvoir vers des institutions moins soumises au contrôle démocratique (2005a : 75). Ensemble, ils limitent la capacité des partis politiques (ou d’autres acteurs institutionnels) à faire pont entre la société

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civile et l’Etat, et donc leur habileté à former les identités collectives. En conséquence, les acteurs institutionnels sont incapables de répondre à des demandes de plus en plus fragmentées (della Porta, 2005a : 75). La logique délibérative est vue comme une solution à cette situation parce qu’elle a en son cœur une démarche « bottom-up » qui permet la construction d’un bien commun, donc d’une demande commune (della Porta, 2005a : 75).

Dans le processus de globalisation, au-delà de l’écart grandissant entre acteurs institutionnels et les différents segments de la société que nous venons de mentionner, le principe de division territoriale semble être remis en cause de manière frontale. Plus précisément, les institutions représentatives sont pensées pour et calquées sur le modèle de l’Etat Nation, c'est-à-dire qu’elles prévoient que dans des frontières géographiques données, la communauté constituée par les habitants est en mesure de se choisir des représentants par le recours à des élections (Held, 2003 : 516-517). Certes, les communautés nationales n’ont jamais décidé de politiques qui n’affectaient qu’elles mêmes et les gouvernements ne sont pas toujours les seuls à prendre des décisions qui affectent leurs citoyens (Held, 2003 : 517) mais dans le cadre de la globalisation, la disjonction entre la communauté délimitée par l’espace national et les décideurs qui affectent son destin est plus qu’évidente. Elle se manifeste dans de nombreux domaines tels que l’environnement, l’économie ou la culture (Held, 2003 : 518- 520). D’après Held, les fondements de la démocratie représentative (la légitimation par le consentement exprimé à travers les urnes) sont remis en cause des frontières définissant la

« relevant community » (2003 : 522).

Les mouvements sociaux, en parallèle au déclin de la participation traditionnelle, ont connu un succès croissant auprès de la population, montrant que la participation ne décline pas dans son ensemble, mais connait une redistribution selon ses modalités (en l’occurrence institutionnelles vs non institutionnelles) (Topf, 1995). L’émergence du GJM au moins depuis Seattle en 1999 marque un retour à la protestation après une période d’institutionnalisation des mouvements sociaux en général. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les cibles du GJM sont avant tout les institutions intergouvernementales qui participent au transfert du pouvoir des institutions nationales vers les exécutifs et les acteurs internationaux, ainsi que du politique vers le marché (della Porta, 2005a). Au cœur de l’argumentaire des organisations du GJM se trouve une volonté de démocratisation de ces institutions internationales dont elles dénoncent aussi bien le contenu des décisions que leur manque de légitimité. D’une certaine manière, les mouvements sociaux et particulièrement ceux qui se mobilisent au niveau transnational comme le GJM représentent une double réponse à ces enjeux démocratiques face à la globalisation. En effet, en écho à la question de la « communauté pertinente » pour une politique donnée, il est intéressant de relever qu’en ce qui concerne les mobilisations des

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mouvements sociaux, si elles sont nécessairement sélectives et reposent sur une base volontaire, la participation ne relève pas du tout des critères de citoyenneté. Même si ce type de mobilisation est plus rare, cet aspect est particulièrement souligné lors des événements simultanés en plusieurs lieux, comme ce fut le cas lors des manifestations contre la guerre en Irak (Verhulst, 2010). Quant au second volet de la réponse du GJM aux problèmes liés à la globalisation, c’est naturellement sont appel à une démocratisation des IGOs. Cet aspect particulier du cadrage tient en effet lieu de bridging issue entre les différentes composantes thématiques du mouvement (della Porta et al., 2006 : ch4) et renvoie à l’argument de cohérence idéologique que l’on attend d’un tel positionnement. Bien que cet argument soit ténu, il est difficile de ne pas faire un parallèle entre le GJM et la théorie délibérative en raison de ce diagnostic commun et de leur occurrence quasi simultanée.

La seconde raison qui nous pousse à voir un rapprochement entre démocratie délibérative et mouvements sociaux est issue de la théorie même de la délibération. En effet, certaines variantes de cette dernière renvoient au développement de la démocratie délibérative en dehors de l’Etat et des institutions classiques de la démocratie. Habermas et Dryzek notamment estiment que pour obtenir un système globalement délibératif il est nécessaire de se reposer sur la société civile dans un modèle à deux « étapes » (della Porta, 2005a : 75).

Pour Dryzek en particulier, la société civile représente un espace plus adéquat pour le développement d’une démocratie délibérative animée en raison des moindres contraintes qui y pèsent sur les acteurs. Pour lui, leurs objectifs n’y sont pas soumis à des considérations électoralistes ou à la raison d’Etat, comme ce peut être le cas au sein de l’appareil étatique (Dryzek, 2000 : 103). Dryzek décrit un système dans lequel le rôle de la société civile, et des mouvements sociaux qui la composent en partie, est de maintenir des discours alternatifs de sorte que le processus de démocratisation puisse toujours être poursuivi. Pour ce faire, l’Etat et la société civile sont les deux sphères d’action possibles, et le choix de l’une ou l’autre par un groupe dépend de la configuration entre les impératifs étatiques et les intérêts propres à ce groupe. Mais l’émergence des identités et discours séditieux (insurgent) se fait en premier lieu au sein de la sphère publique indépendante de l’Etat (Dryzek, 2000 : 79). Considérant le rôle démocratique essentiel accordé à ces groupes de la société civile, Dryzek estime que les choix des acteurs en termes de pouvoir coïncideront forcément avec l’option optimale d’un point de vue de démocratisation, quand bien même il reconnait que tous ne poursuivent pas un idéal démocratique (à l’interne ou pour le régime dans lequel ils évoluent) (2000 : 112). En d’autres termes, si les acteurs de la société civile, tels que les mouvements sociaux, ont souvent un fonctionnement interne proche de la démocratie délibérative défendue par Dryzek (2000 :

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100), il n’est pas nécessaire que ce soit le cas pour que le système fonctionne globalement de manière délibérative.

L’histoire montre toutefois, et c’est le troisième élément de notre raisonnement, que les mouvements sociaux et les organisations qui les composent ont souvent été des lieux d’expérimentation de la démocratie radicale. Comme le montre Polletta (2002) on peut faire remonter les racines des expérimentations participatives et consensuelles actuelles au moins à la première partie du XXème siècle. Claus Offe attribue aux mouvements sociaux une propension à s’investir dans les questions « métapolitiques » (Offe cité par della Porta, 2005b : 337), c'est-à-dire non pas directement de traiter un sujet de politique mais de poser une réflexion sur la manière dont la politique est globalement menée, les choix entérinés. Une propension donc à réfléchir sur les modes de démocratie mis en œuvre, qui augmente la probabilité d’explorer voire d’inventer différentes possibilités d’organisation et en particulier un mode délibératif participatif. Herbert Kitschelt voit également dans les mouvements sociaux de la gauche libertaire un type d’acteur central dans les démocraties occidentales, dont les combats invoquent « an ancient element of democratic theory that calls for an organization of collective decision making referred to in varying ways as classical, populist, communitarian, strong, grass-roots, or direct democracy against a democratic practice in contemporary democracies labeled as realist, liberal, elite, republican, or representative democracy » (Kitschelt, 1993 : 15). L’auteur explique cette tendance par les cycles de préférences oscillant entre les avantages propres aux différents systèmes démocratiques (libéral, organisationnel, direct) représentés par différents acteurs (respectivement les candidats individuels, les partis de masse et les mouvements sociaux), avantages qui ne sont jamais tous réunis. Il en découle selon lui une tendance récurrente du public à plébisciter l’un ou l’autre acteur, une tendance cyclique qui s’articule selon Kitschelt avec les cycles de mobilisation mis en évidence par Tarrow. L’émergence de mouvements sociaux répond donc avant tout à une demande des citoyens pour une plus grande réactivité, demande à laquelle la démocratie directe10 est le mieux à même de répondre. Un second facteur invoqué par Kitschelt (1993 : 23ss) est relatif aux sujets de politiques publiques, selon leur caractère limité dans le temps ou non et leur interdépendance vis-à-vis d’autres thématiques. D’après lui, les mouvements sociaux et la démocratie directe qu’ils défendent sont plus adaptés à des problèmes politiques de nature intermittente (pas de suivi dans la durée) et discrète (peu lié à d’autre problématiques). Cette caractérisation semble peu compatible avec le cas du GJM

10 La référence à la démocratie directe ne correspond pas exactement à la démocratie délibérative, mais les principes et caractéristiques que Kitschelt (1993 : 19-20) emploie pour la décrire sont compatibles avec notre propre conceptualisation, et la formation des préférences en particulier est approchée par le biais de la délibération.

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dont l’ampleur doit en partie être attribuée à sa capacité à lier des problématiques initialement perçues comme indépendantes par un master frame offrant un diagnostique commun (della Porta et al., 2006 : ch4). Kitschelt reconnait toutefois implicitement que les mouvements sociaux s’impliquent également dans la durée et prennent en compte la complexité des problématiques en invoquant la présence à la fois d’organisations structurées et de groupes

« grass-roots » (1993 : 26-27).

En prenant le cas particulier du GJM, l’institution de modes de décisions participatifs tels que la démocratie délibérative s’avèrent particulièrement avantageux. Contrairement aux mouvements décrits par Polletta (2002) et Mansbridge (2003), le GJM ne semble pas réunir des individus nécessitant un empowerment. Leur profil socio-démographique indique en effet que ce sont avant tout des personnes bénéficiant d’un haut niveau de formation, actives au niveau politique, qui s’impliquent dans ce mouvement (Andretta et Sommier, 2009). En revanche, comme nous l’avons souligné précédemment, le GJM réuni une grande diversité de traditions de mobilisation, de thématiques et de cultures organisationnelles (della Porta, 2009c). Ainsi au niveau du mouvement dans son ensemble, il semble important de mettre en place un fonctionnement apte à accommoder cette diversité et à fonder une identité commune.

Un modèle délibératif semble particulièrement adapté à cette nécessité et a déjà été mis en place dans une certaine mesure au niveau des forums sociaux européen (voir della Porta, 2009d). Un tel fonctionnement semble aussi utile au niveau des network organizations, qui sont composées de membres collectifs, soit de multiples organisations plutôt que de membres individuels. Dans un tel cas la problématique du respect de la différence se pose de la même manière qu’au niveau du mouvement global. En revanche, bien que nous n’ayons pas de données pour chaque organisation individuellement, il semble que la diversité en terme d’expérience sociale (ou de background) soit bien moindre à l’intérieur de chacun des groupes composant le GJM. C’est le type de différence particulièrement souligné dans la littérature théorique. Mais même au niveau individuel, le GJM présente une forte hétérogénéité en termes d’expérience organisationnelle, puisque les activistes du GJM tendent dans leur majorité à être membre de plusieurs groupements à la fois. Della Porta et Mosca (2007) ont montré l’impact que cela pouvait avoir par rapport à l’innovation et à la diffusion de modèles organisationnels. Etant donné la diversité induite par ces implications multiples au sein des organisations du GJM, la démocratie délibérative semble un bon moyen de tirer parti de ces expériences.

Nous espérons avoir montré dans cette section qu’il existe une logique à l’adoption par les organisations du GJM d’un modèle délibératif de prise de décision. Pour des raisons structurelles, telles que développées par Kitschelt ou Dryzek, ou pour une question de

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circonstances comme l’intérêt simultané suscité par le GJM et la démocratie délibérative (qui elle-même renvoie à une crise objective de la démocratie représentative) ou encore par la nécessité pour le GJM de s’accommoder de sa grande envergure, le rapprochement entre ce mouvement et ce modèle de prise de décision semble justifié.

2.4 Travaux du projet DEMOS

Nous terminons notre revue de la littérature par les travaux réalisés dans le cadre du projet DEMOS. Certains auteurs ont fait un parallèle entre la démocratie interne des SMOs et les facteurs contextuels que nous souhaitons étudier dans notre travail. Nous nous référons ici aux études de Giugni et Nai (2009), Reiter (2009) et della Porta (2009e). Avant de nous plonger dans leurs recherches, il nous faut d’abord préciser que nous ne partageons pas nécessairement les points de vue de ces auteurs. Nous considérons les travaux de Reiter (2009) et della Porta (2009e) comme une exploration. En effet, ils mettent en avant la diversité des conceptions que recouvrent les notions de consensus et de participation. Nous envisageons leurs analyses comme une manière d’apréhender les liens potentiels entre notre variable dépendante et les contextes qu’ils décrivent. Cependant, nous nous distinguons dans la manière de considérer le sens de la causalité.

Reiter (2009) et della Porta (2009e) se sont intéressés aux deux dimensions à la base de notre typologie de modèles démocratiques, à savoir d’une part la dimension participative et d’autre part l’aspect consensuel des prises de décisions. Reiter (2009) en particulier analyse la congruence entre les valeurs générales mises en avant par les organisations, celles qu’ils expriment concernant le fonctionnement interne et le degré de délégation formellement mis en place (c'est-à-dire la répartition du pouvoir décisionnel telle qu’elle est formulée dans les documents des organisations, p.ex. statuts). Ses résultats montrent que s’il existe une corrélation entre les valeurs exprimées et le degré de délégation au sein d’une organisation, celle-ci est cependant relativement faible et n’exclut pas que des groupes ne faisant aucune référence à la notion de participation offrent à leurs membres une grande implication dans les décisions, et, inversement, que des organisations dans lesquelles la délégation du pouvoir décisionnel est extrêmement forte fassent abondamment référence aux valeurs participatives dans leurs documents fondamentaux (Reiter, 2009 : 47-48). Reiter (2009) explique cette variabilité en invoquant différentes traditions de participation au sein du GJM, ancrées culturellement ou structurellement. Ainsi, la configuration entre les valeurs (générales et internes) et la délégation du pouvoir varierait selon le contexte dans lequel les organisations évoluent. D’un point de vue culturel, Reiter (2009 : 50ss) regroupe les organisations selon ce qu’il nomme les « movement area », à savoir le domaine thématique dans lequel elles sont

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actives11. Ainsi dans certains secteurs les références à des valeurs participatives générales et en rapport au fonctionnement interne des organisations sont nettement moins nombreuses ; c’est le cas pour les groupes actifs dans le domaine de la solidarité et des droits de l’homme, mais aussi parmi les groupes issus de la New Left et des milieux anarchistes (Reiter, 2009 : 53-55). La gauche traditionnelle et les Nouveaux mouvements sociaux sont les secteurs dans lesquels la participation est la plus mentionnée comme valeur générale, mais cela ne se traduit pas nécessairement dans la structure des organisations puisque la délégation du pouvoir décisionnel est la plus importante parmi les groupes rattachés à la Old Left. Dans l’ensemble, la cohérence entre les attitudes et la mise en place de la participation à l’interne varie fortement d’un secteur à l’autre, et peut être expliquée de manière ad hoc en fonction de la tradition dans laquelle les groupes s’inscrivent.

Reiter (2009) emploie une autre variable pour caractériser les traditions de participation au sein du GJM. Il prend en compte les « champs organisationnels » dans lesquels s’inscrivent les différents groupes, à savoir des regroupements en fonction de la structure des organisations. Ainsi il distingue six différents champs, comprenant les syndicats, les partis politiques, les ONG et les SMO formelles, les coopératives, les « grassroots SMO » et les réseaux « modernes » (Reiter, 2009 : 57-62). Comme l’auteur le souligne lui-même, les champs organisationnels et les différents secteurs du mouvement tendent à se recouper, l’exemple le plus extrême étant les syndicats qui constituent 90% des groupes rattachés à la Old Left (Reiter, 2009 : 57). Cette classification se révèle toutefois intéressante puisqu’elle met en lumière le cas particulier des partis politiques enclins à la fois à la promotion des valeurs participatives et instaurant néanmoins pour leur pratique interne des formes très classiques de délégation, une non-congruence similaire à la situation de la gauche traditionnelle. Reiter (2009) explique ce « paradoxe » par la position des partis politiques dans le jeu démocratique ; c'est-à-dire à la fois comme véhicules ou relais des préférences des citoyens (d’où un rôle participatif et intégrateur) et comme acteurs dominants du champ politique (d’où une forme de captation du pouvoir et donc une délégation de celui-ci). En contraste avec cette situation, les réseaux modernes semblent promouvoir une nouvelle forme de participation malgré une orientation internationale et une plus forte présence de membres collectifs, deux tendances pourtant favorables à l’instauration d’une délégation plus poussée.

Troisième facteur contextuel exploré par Reiter, les relations entre acteurs, que ce soit au sein du GJM ou avec des institutions étatiques à différents niveaux. En ce qui concerne la mise en réseau des groupes au sein du GJM, la participation apparaît comme un élément de

11 Les domaines sont « Old left », New left/Anarchisme/Autonomes, Nouveaux mouvements sociaux, Solidarité/paix/droits de l’Homme et New Global (justice globale) (della Porta, 2009g:36).

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rapprochement entre les différentes tendances. Ainsi la mention de la participation est-elle corrélée avec tous les groupes thématiques identifiés, et on peut donc l’interpréter comme une valeur aidant à lier les multiples intérêts représentés au sein du GJM (Reiter, 2009 : 63-64) ; autrement dit, la participation favorise le processus de frame bridging12. Cet élément est renforcé par le fait que les organisations qui ont un moindre degré de délégation collaborent en moyenne davantage avec des organisations actives dans d’autres domaines (Reiter, 2009 : 64).

Les relations entre les organisations du GJM et les institutions étatiques semblent avant tout conditionnées par la structure organisationnelle (plus ou moins forte délégation) alors que les valeurs relatives à la participation n’ont pas d’effet notable. En effet, les relations au niveau international et national sont avant tout établies par des organisations structurées, alors qu’au niveau local la collaboration concerne également les groupes moins hiérarchisés (Reiter, 2009 : 67). Cela correspond aux hypothèses néo-institutionnelles (Reiter, 2009 : 66), puisque les groupes plus centralisés sont les plus enclins à collaborer avec les institutions étatiques, généralement très structurées13, ce qui constituerait une forme d’isomorphisme (voir partie 3.4 et DiMaggio et Powell, 1991).

L’étude menée par Reiter se révèle intéressante par les facteurs contextuels qu’elle met en évidence. Les différents secteurs du GJM qu’ils soient conceptualisés en termes de thématiques (movement area) ou de champs organisationnels offrent de bons exemples de l’apport d’une approche en fonction des positionnements des différents acteurs dans un champ plus large. L’analyse « relationnelle » concernant le positionnement des acteurs notamment vis-à-vis des institutions étatiques amène à une analyse plus riche et plus complexe, ce que Rucht (2004) estime nécessaire pour mieux saisir le phénomène que constituent les mouvements sociaux.

Cependant, le chapitre de Reiter concernant la participation souffre de quelques limites.

S’il met clairement en évidence les multiples interprétations possibles de la participation au sein du GJM, les facteurs qu’il invoque n’apportent pas une réponse générale mais des explications ad hoc. De plus, les analyses sont bivariées, ce qui ne permet pas de tirer de conclusion quand à l’impact relatif des différentes variables, et est d’autant plus problématique qu’elles semblent être fortement corrélées.

Adoptant une approche également fondée sur des facteurs structurels et culturels, Donatella della Porta (2009e) s’intéresse pour sa part à la mention des valeurs de consensus

12 Ce rôle de la démocratie comme valeur liante est souligné par d’autres travaux (della Porta et al., 2006), mais il s’agit ici plus précisément de l’aspect participatif.

13 En l’occurrence il n’y a pas d’information concernant les institutions étatiques concernées, ce lien est donc hypothétique.

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dans les documents produits par les GJMOs. Elle souligne l’aspect paradoxal du développement du consensus au sein des mouvements sociaux, particulièrement au sein du GJM, face à un ensemble de théories qui ont par le passé surtout insisté sur les conflits que ces mouvements génèrent ou expriment (della Porta, 2009e : 73-75). L’émergence d’une littérature relative à la démocratie délibérative marque un rééquilibrage, certains de ces auteurs voyant, comme nous l’avons vu, les mouvements sociaux comme des acteurs centraux de la promotion de ce type de débat consensuel (della Porta, 2009e : 74). Ceci n’exclut en théorie pas pour autant les conflits de la sphère d’action des mouvements sociaux, mais nécessite de penser une pluralité d’arènes politiques, certaines conflictuelles où les jeux de pouvoir sont toujours à l’œuvre et d’autres consensuelles permettant de dépasser les différents (della Porta, 2009e : 75). La tension entre ces deux visions semble difficilement conciliable de l’aveu même de l’auteure.

D’après les analyses de della Porta (2009e : 85), le lien entre caractéristiques structurelles des organisations et le consensus est relativement faible. L’idée sous jacente selon laquelle les caractéristiques de l’organisation limitent les possibilités de choix démocratiques ou qu’à l’inverse les valeurs défendues par un groupe influencent le modèle d’organisation mis en place par celui-ci n’est donc que partiellement confirmée. En effet, peu de caractéristiques structurelles ressortent comme pertinentes dans ces travaux. Les organisations disposant d’un faible budget et ne comptant pas de professionnels (paid staff) ont une plus grande probabilité de mentionner le consensus ou la délibération dans leurs documents fondamentaux. Les indicateurs concernant les ressources de l’organisation correspondent donc aux attentes formulées par della Porta (2009e).

Par contre certaines valeur associées au consensus, comme l’égalité ou l’autonomie des différentes entités (organisations membres ou volets régionaux [chapters]), sont corrélées avec le degré de formalisation14. Le rejet explicite d’un exécutif et l’importance accordée à l’assemblée des membres sont quant à eux associés positivement aux valeurs de consensus et d’horizontalité (absence de délégation). Par conséquent, le modèle organisationnel mesuré par ces trois indicateurs (formalisation, présence/absence d’un exécutif, importance de l’assemblée) n’est pas associé de manière linéaire à la valeur du consensus. Nous verrons par la suite comme l’auteure interprète ce résultat.

Della Porta (2009e) reprend les éléments contextuels mis en exergue par Reiter (2009), à l’exception de la collaboration avec les institutions étatiques. Elle emploie par contre la date

14 Basé sur des indicateurs tels que : l’existence d’une constitution, d’un document des valeurs fondamentales, un programme formellement adopté, une adhésion formelle et l’existence d’une carte de membre (della Porta, 2009e :85 fn1).

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de fondation des groupes de l’échantillon, non pas comme caractéristique propre à ces organisations, mais comme un reflet du contexte historique de leur institution. En s’inscrivant dans la continuité des auteurs déjà présentés, elle souligne l’aspect identitaire revêtu par toute forme d’organisation, au-delà de (ou préalablement à) son intérêt en tant que moyen ; et relève la tendance au maintient des structures originelles malgré l’évolution des contraintes environnementales (della Porta, 2009e : 91), d’où l’emploi original de cette variable temporelle. Les résultats montrent que les références au consensus sont plus fréquentes parmi les organisations fondées durant les années 2000 (28%), et que cette proportion augmente graduellement au cours du temps (aucun coefficient statistique n’est toutefois donné). Les valeurs associées au consensus sont aussi plus présentes parmi les organisations les plus récentes. Ces résultats se reflètent également dans les analyses basées sur les autres facteurs contextuels, à savoir les « movement area » et les différents champs organisationnels. En effet, les références au consensus sont plus marquées dans le domaine des « new global movements» (28% des organisations contre 15 à 18% parmi les autres domaines thématiques [della Porta, 2009e : 89]), de même que les réseaux dits « modernes » le mentionnent davantage (ainsi que les autres SMOs, grass-root ou formelles) que les syndicats ou les partis politiques par exemple (91). Si ces conclusions présentent une indéniable cohérence, ils ne permettent pas de déterminer quels facteurs sont les plus déterminants, puisqu’à nouveau il n’y a pas d’analyse multivariée qui soit effectuée.

Une approche plus qualitative permet à l’auteure d’éclaircir la question du lien entre modèles organisationnels et usage du consensus. De même que la participation relève de plusieurs traditions, le consensus (et les valeurs qui y sont associées) prend (prennent) différentes significations au sein du GJM. Della Porta identifie deux conceptions possibles, l’une pluraliste, mettant l’accent sur l’autonomie des organisations membres15, et l’autre

« communautarienne », s’inscrivant dans une conception plus largement antihiérarchique et horizontale de la démocratie (della Porta, 2009e : 95). La première vise avant tout à assurer une pluralité de points de vue et à garantir l’autonomie de chacune des entités, un respect de la diversité qui permet « de travailler sur ce qui réuni, malgré les différences » (della Porta, 2009e : 93). En ce sens, cette conception fait écho aux aspects soulignés par Mansbridge (2003), notamment une conception moins angélique du consensus, comme illustrée par son usage au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce second cas, l’objectif du consensus est de parvenir à une décision satisfaisante pour tous, sans quoi les décisions sont repoussées et mises en veille. Dans la mesure où il doit aussi permettre d’éviter la création de relations et

15 Ce sont en effet dans les « organisations-réseaux » (network organisations) que l’on retrouve le plus souvent cette conception.

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de positions de pouvoir, et dans certains cas relève d’une approche pré-figurative, le consensus fait partie de l’identité même de l’organisation (della Porta, 2009e : 95-96).

Dans l’ensemble, les chapitres de della Porta (2009e) et Reiter (2009) sont éclairant du point de vue de la diversité des interprétations possibles des deux concepts qu’ils étudient.

Cela est particulièrement bien venu puisque la typologie que nous employons à tendance à homogénéiser les SMOs que nous étudions. De plus, leurs analyses nous offrent quelques pistes intéressantes pour envisager les variables contextuelles qui nous intéressent dans ce travail. Cependant, nous ne partageons pas nécessairement la conception qu’ils adoptent du rapport entre ce contexte et les dimensions de participation et de consensus.

Le chapitre de Marco Giugni et Alessandro Nai (2009) est le travail le plus proche des intentions de ce mémoire. En effet, de par la méthode employée et les variables retenues ainsi que les données utilisées, nous nous situons clairement dans la suite de ces auteurs. Ce chapitre est remarquable de par la clarté des hypothèses qu’il propose pour chacun des facteurs employés ; hypothèses qui, en s’inspirant largement des théories existantes, permettent d’avancer une relation spécifique au type de démocratie interne pratiquée, soit en l’occurrence, une démocratie de type délibératif participatif. Nous essayerons d’en faire de même pour nos hypothèses.

Le recours à une régression permet de voir l’impact respectif des différentes variables.

Comme les précédents travaux du projet DEMOS présentés ici, Giugni et Nai (2009) reprennent la distinction entre facteurs structurels et culturels, mais ils se concentrent exclusivement sur les déterminants internes aux organisations (2009 : 129). Les variables retenues concernent donc la structuration des organisations et leur background culturel. Les premières sont au nombre de trois, à savoir la taille des groupes, leur degré de formalisation (indice basé sur le nombre de professionnels, le budget et l’existence d’une carte de membre) et leur niveau territorial d’action, plus précisément le plus haut niveau auquel ils participent à des campagnes. Les secondes sont destinées à capturer la tradition culturelle dans laquelle les organisations s’inscrivent, soit la période historique durant laquelle elles ont été crées, le domaine thématique dans lequel elles sont actives et enfin leur identification ou non avec le GJM (ibid.). A cela s’ajoute une mesure de l’environnement institutionnel en fonction de la typologie des démocraties de Lijphart permettant de classer les Etats selon qu’ils constituent des démocraties dites de consensus ou majoritaire, ou encore de type mixte.

D’après les résultats de Giugni et Nai (2009 : 137), parmi les sept facteurs retenus, l’impact le plus important viens de la taille d’une organisation, mesurée en fonction du nombre de membres individuels. Selon qu’un groupe est considéré comme petit ou grand, il a 40 fois plus de chance d’avoir un mode de décision délibératif participatif. C’est le seul

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