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Recoudre son intuition avec la réalité

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1842 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 1er octobre 2014

actualité, info

Chaque patient est identifié par son nom, prin­

cipalement son nom de famille ; M. Michel, Mme Ramirez, Mme Linder­Nunes, M. Jevic, Mme N’Goba. Prononce­t­on de façon cor­

recte le nom de nos patients en entrant dans leur chambre ? Le nom véhicule­t­il leur iden­

tité et leur(s) origine(s) ?

Je rentre dans le box d’une patiente aux ur­

gences après avoir rapidement lu son nom de famille composé : un premier nom anglopho ne, accolé par un trait d’union à un nom d’origine vaudoise. Comme je dis son nom de façon hésitante, ma patiente m’apprend à le pro­

noncer. J’ai le sentiment d’avoir tout à ap­

prendre sur cette patiente, en commençant par la prononciation de son nom de famille.

J’écoute cette patiente me raconter son his­

toire et note un joli accent anglais sur un fran­

çais parfait. Je regarde d’un petit coup d’œil sur son étiquette ; son prénom est anglophone.

Après l’avoir examinée, je dois lui suturer une plaie au niveau occipital. Je prépare le matériel, fais asseoir la patiente et m’installe dos à elle. Tout en désinfectant, je lui pose quelques questions pour approcher sa vie.

J’apprends qu’elle est retraitée. Je l’écoute, puis lui explique que je vais anesthésier loca­

lement sa plaie et que je vais effectuer des points de suture. Me concentrant sur mon geste, je ne pose pas de question et la pa­

tiente, comme par respect, se tait. Le silence est présent. Tout en effectuant cette tâche manuelle, mon esprit se promène. Je repense aux deux noms de famille de ma patiente dont j’ai fait la connaissance il y a vingt minutes.

Elle est mariée m’a­t­elle dit. J’imagine alors une journée grise et pluvieuse sur Londres.

Ma patiente, encore toute jeune, se rend à ses cours d’infirmière, le cœur triste. Elle a récem­

ment perdu son père, les gouttes de pluie lui font rappeler ses larmes tant pleurées. Au

coin de la rue, elle tombe nez à nez avec un Vaudois qui visite la ville lors d’un voyage payé avec son premier salaire. Lors de leur ren­

contre brutale, il la bouscule et fait tomber tous ses livres. Pour s’excuser, il lui offre un thé, c’est alors le coup de foudre. Elle, dont la vie est triste, ressent à ce moment précis qu’elle a besoin de lui. Elle déménage en Suisse, ils décident de se marier. Vient alors le choix du nom de famille. Quitter le sien ? Prendre un nouveau nom vaudois qui la délie de ses origines ? Elle décide de garder son nom de famille et d’accoler le nom de son époux ensuite, comme nom d’alliance.

«Ça y est, j’ai terminé les points de suture», lui dis­je. Je me remets en face de ma pa­

tiente réelle et la patiente imaginaire s’en va.

Elle me dit : «Merci beaucoup, je vais appeler carte blanche

Dr Coralie Wenger-Bonny Chemin de Pierrefleur 54 1004 Lausanne

coralie.wenger@gmail.com

Virus Ebola : imposer avec fermeté des mesures prophylactiques impopulaires ?

«Ce type d’épidémie explosive témoigne dramatiquement de l’immense faiblesse des moyens sanitaires des pays concernés, ainsi que d’un certain manque de fermeté des au- torités locales vis-à-vis des mesures prophy- lactiques, certes impopulaires, mais absolu- ment indispensables. Aussi, la communauté internationale doit-elle se mobiliser pour ju- guler le plus rapidement possible cette épi- démie de grande ampleur». Telle est la con- clusion d’une «mise au point» sur l’actuelle épidémie ouest-africaine d’Ebola. Elle est signée de Patrice Bourée (Laboratoire de pa- rasitologie, Hôpital Cochin, Paris) et publiée dans la dernière livraison (septembre 2014) de La Revue du Praticien.

Prise au pied de la lettre, cette analyse peut effrayer. Aller «juguler l’épidémie» en im- posant aux trois pays affectés (Guinée, Sierra Leone et Liberia) des mesures prophylac- tiques impopulaires mais indispensables ? On mesure sans mal comment un tel propos pourrait être interprété. Certains y perce-

vront des accents coloniaux, une nouvelle mainmise des pays occidentaux sur le conti- nent noir. Jusqu’où aller dans la contrainte quand il s’agit de mise en quarantaine de populations entières, quand il s’agit de ne plus respecter l’intimité et, contre toutes les traditions culturelles, de brûler des cada vres devenus infectieux ?

Ces questions ne sont sans doute pas nou- velles. Elles ressurgissent avec tous les phé- nomènes épidémiques causés par un agent pathogène à fort potentiel contagieux. Mais l’épidémie d’Ebola présente des caractéris- tiques jamais rencontrées jusqu’ici. Une léta- lité pouvant (en Afrique) atteindre les 70%, des conditions de promiscuité facilitant am- plement sa diffusion, l’absence de toute pré- vention vaccinale comme de toute théra- peutique médicamenteuse spécifique, des in frastructures sanitaires quasi absentes, des populations meurtries par des années de guerre civile. C’est, pour reprendre un terme anglo-saxon cousinant avec notre effet boule

de neige, la perfect storm. C’est le worst-case scenario, la confluence et la potentialisation du pire.

A l’heure, française, où nous écrivons ces lignes, le pire est désormais chiffré. Et c’est un pire au carré. Tout d’abord, dans les co- lonnes du New England Journal of Medicine où l’OMS annonce 20 000 cas d’Ebola à la fin octobre.1 Ensuite, sur le site des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) amé- ricains. Avec des courbes ascendantes à faire froid dans le dos.2 Sur la base des données épidémiologiques disponibles, les experts des CDC estiment que l’on peut tabler sur 1,4 million de cas d’Ebola d’ici janvier 2015.

Une estimation qui ne concerne que la Sierra Leone et le Liberia, la Guinée francophone n’étant pas incluse dans leur travail. Cette estimation dramatique est le fruit d’un nou- veau modèle informatique des autorités sa- nitaires américaines.

Les experts des CDC estiment plus préci- sément que le virus Ebola pourrait affecter entre 550 000 et 1,4 million de personnes dans ces deux pays – et ce d’ici le 20 janvier prochain. Sans parler de la Guinée.

Ces chiffres effrayants ne sont pas stricto sensu des projections. Ils sont basés sur l’hy- pothèse selon laquelle un très grand nombre de cas de la plus grave épidémie d’Ebola ne point de vue

Recoudre son intuition avec la réalité

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 1er octobre 2014 1843

1 WHO Ebola response team. Ebola virus disease in West Africa — The first 9 months of the epidemic and forward projections. N Engl J Med 2014 ; epub ahead of print.

2 Estimating the future number of cases in the Ebola epi­

demic – Liberia and Sierra Leone, 2014­2015. Early re­

lease. www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/su63e 0923a1.htm

a Il n’est pas certain que l’expression «cela ne va pas être triste» soit la mieux adaptée.

Bibliographie

1 Schröder FH, et al. Screening and Prostate­Cancer Mortality in a Randomized European Study. N Engl J Med 2009;360:1320­8 NEJM. Org march 18, 2009 2 Gerald L. Andriole and PLCO Project Team. Mortality

Results from a Randomized Prostate­Cancer Screening Trial. N Engl J Med 360;13 March 26, 2009 NEJM. Org march 18, 2009

mon cher mari, pour qu’il vienne me cher­

cher. Il est toujours présent dans les mo­

ments où j’en ai besoin.» Ai­je vu juste pour l’histoire d’amour ?

Quelle image se fait­on de nos patients aux urgences, lorsque le temps est trop court pour faire connaissance avec leur vie ? Quels vécus transportent un nom de famille ou un accent, seules identités visibles ou accessi­

bles au premier abord ? Souvent, nous avons envie d’en savoir davantage mais le temps man que… Alors il nous reste le plaisir de notre imagination ! Fréquemment, mon envie serait d’apprendre à connaître le patient avec l’histoire qu’il transporte mais, surtout aux ur­

gences, on doit s’en remettre à une patholo­

gie, focaliser sur l’essentiel. L’ imaginaire est­il mon compromis ?

Et le patient, retient­il le nom du médecin qui s’est occupé de lui aux urgences ? Que véhicule le nom du médecin, quel parcours le patient imaginera­t­il ? Reconnaîtra­t­il son médecin si celui­ci change de nom au cours de sa carrière ?

Traversant les couloirs des urgences, j’aper çois ma patiente qui rejoint son mari dans la salle d’attente et… ils se parlent alors… en espagnol !

sont pas signalés. Un fait avoué il y a quel- ques semaines par l’OMS qui n’en continue pas moins à publier ses relevés chiffrés offi- ciels qui ne correspondent en rien à la réalité.

Le modèle informatique des CDC avait été élaboré à partir des données disponibles en août – soit avant que les Etats-Unis ne mani- festent leur intérêt et n’accroissent fortement leur mobilisation. Officiellement, l’épi démie a fait 2811 morts sur 5864 cas depuis le dé- but de l’année, selon les dernières estimations de l’OMS. «Ces chiffres ne reflètent pas la si- tuation actuelle», a publiquement déclaré, lors d’une conférence de presse, le Dr Tom Frieden, directeur des CDC.

Cette publication américaine a, de toute évidence, une fonction politique et mobili- satrice à destination internationale. «Il est encore temps de contrôler cette épidémie si on agit rapidement, souligne l’institution sani taire fédérale. Notre modèle suggère que des actions étendues et immédiates, telles que celles déjà mises en œuvre par la commu- nauté internationale, peuvent faire plafon- ner l’épidémie avant qu’on ne commence à voir une baisse rapide du nombre de cas.»

Les verbes ont ici leur poids. Il ne s’agit plus désormais que de «faire plafonner» l’épidé- mie. Révision des objectifs à la baisse. Avec un virus bouillonnant de l’autre côté des

tranchées. Comment mieux dire l’urgence ? Cette urgence a été entendue de l’autre côté de l’Atlantique. A la mi-septembre, le prési- dent américain a annoncé que les Etats-Unis enverraient des moyens militaires au Libe- ria. Barack Obama a précisé que les pays africains touchés avaient fait des efforts mais aussi qu’ils «n’avaient pas les infrastructures sanitaires adéquates». «Et maintenant, ce pro- blème, qui aurait pu être résolu, est hors de contrôle parce que les malades ne sont pas mis en quarantaine comme ils devraient l’être, a encore expliqué Barack Obama. Les gens ne sont pas formés comme ils devraient l’être. Il n’y a pas assez de personnels de santé publique. Nous allons devoir envoyer des éléments militaires américains pour, par exemple, installer des unités de mise en quarantaine et des équipements, afin d’as- surer la sécurité des équipes médicales qui arrivent du monde entier. Mais même en fai- sant cela, plusieurs mois vont passer avant que le problème ne soit sous contrôle en Afrique (…). Et si rien n’est fait maintenant et si le virus se répand en Afrique et dans d’autres régions du monde, il pourrait mu- ter. Il se transmettrait plus facilement et re- présenterait un réel danger aux Etats-Unis.»

Une autre manière de dire la complexité inhérente aux mesures prophylactiques «im- populaires» est de rapporter ce «fait divers».

A la mi-septembre, on a appris la mort, en Guinée, de huit personnes appartenant à une «mission d’information et de préven- tion contre le virus Ebola». L’annonce en a été faite officiellement par le gouvernement guinéen. Un groupe de

huit personnes compre- nant des médecins et des journalistes locaux. Cela s’est passé dans le village de Womé, dans le sud du pays, près de la ville de Nzerekore. Ces personnes avaient disparu le 16 sep- tembre après des «heurts»

survenus lors d’une «cam- pagne de sensibilisation au virus», «heurts» qui avaient fait une vingtaine de bles- sés.

Les «sensibilisateurs»

avaient été accueillis «à coups de pierres et de bâ- tons». «Les manifestants soupçonnaient l’équipe d’être venue les tuer parce que, selon eux, Ebola n’est qu’une invention des Blancs pour tuer les Noirs» a ra- conté un témoin. Les cada-

vres des victimes ont été retrouvés deux jours plus tard, portant «des coups de machettes»

selon Alhoussein Kaké Makanéra, ministre guinéen de la Communication.

«C’est vraiment triste et c’est dur à croire, mais ils ont été tués froidement par les villa- geois de Womé» a ajouté le porte-parole du gouvernement, Albert Damantang Camara.

Le gouverneur de Womé, Lancéi Condé, a quant à lui dénoncé «des gens tapis dans l’ombre qui manipulent les populations».

Les témoignages se multiplient, soulignant la méfiance croissante des villageois quant aux tentatives officielles de lutte contre l’épi- démie. Il y a quelques années, deux ensei- gnants congolais, venus faire de la sensi- bilisation dans un village au cours d’une épidémie d’Ebola, avaient également été assassinés à coups de machettes.

Imposer, avec fermeté, des mesures pro- phylactiques impopulaires ?

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

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