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Mathématiques du jonglage

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Vincent Pantaloni

Résumé

Ceci est un exposé résumé et imprimable (donc sans animation) d’un article que j’ai publié sur mon site MathZani. Je me suis restreint à 16 pages pour faire 4 feuilles A4 en livret recto–verso. J’y présente des résultats mathématiques sur le jonglage que l’on trouve rarement regroupés ensemble et difficilement en français.

On commence par le premier résultat mathématique sur le jonglage : le théorème de Shannon. On présente ensuite la notationsiteswapinventée en 1985 pour coder une figure de jonglage. On établira un théorème donnant une condition nécessaire pour qu’un siteswap soit jonglable et le nombre de balles nécessaires à sa réalisation.

On déterminera ensuite tous les jonglages possibles pour un nombre donné de balles et une hauteur maximale des lancers. On modélisera la situation avec des graphes de changements d’états.

Démonstrations et figures originales. Figures créées avec Inkscape ou PsTricks.

***

J’ai pu exposer le fruit de ces recherches dans le cadre de mon enseignement de mathématiques en anglais (D.N.L. mathématiques en section européenne) ainsi que pour un projet transversal sur le cirque en classe de seconde ou encore sous forme de conférences pour la semaine des mathématiques. En 2017 Colin Wright - un des inventeurs du siteswap - m’a fait l’honneur de me demander de traduire sa conférence jonglée pour la Nuit des Mathsà Blois.

Many people leave school convinced that mathematics is a boring, difficult and inaccessible subject, practised by equally boring, difficult and inaccessible in- dividuals. Many juggling mathematicians have found that a presentation of mathematical juggling spiced up with some fancy juggling by the presenter is a perfect way to demonstrate to people that mathematicians can be very interes- ting individuals whose mathematics can be a lot of fun, incredibly beautiful and very useful and accessible.

Burkard PolsterinThe Mathematics of Juggling

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Introduction

À l’été 2013 je me suis lancé le défi d’apprendre à jongler à cinq balles. J’avais appris vingt ans plus tôt à jongler avec trois balles mais n’avais jamais poussé cette activité plus loin. J’ai alors découvert un univers qui, contre toute attente, comportait de bien belles mathématiques assez récentes. Pour montrer que les mathématiques sont vivantes, j’ai eu envie de partager le fruit de mes recherches d’abord avec mes élèves, puis avec un public plus large via des conférences et un article sur mon siteMathZanidont ceci est un résumé.

Si comme moi vous cherchez des tutoriels pour apprendre à jongler, vous rencontrerez peut-être un étrange code appelésiteswap utilisé par les jongleurs pour décrire des figures de jonglage. Par exemple pour apprendre la cascade à cinq balles on recommande de commencer par maîtriser le jonglage normal à quatre balles puis les figures de s’entraîner au 55550 et au 552. De jolies figures à trois balles sont codées par 441 ou encore 5241.

Que signifient ces nombres ?

Il est fortement recommandé pour visualiser les figures de jonglage dont on donne le code siteswap d’utiliser Juggling Lab soit en ligne soit avec l’application gratuite (590 Ko) du même nom pour smartphone et tablette.

Table des matières

I Théorème de Shannon 2

I.1 Une égalité de rapports. . . 2

I.2 Hauteur des lancers pour jongler B balles. . . 3

II Siteswap 4 II.1 Origines de la notation . . . 4

II.2 Principe de la notation . . . 4

II.3 Exemples de siteswap. . . 4

II.4 Questions mathématiques sur le siteswap . . . 5

II.5 Une transformation sur les siteswap . . . 6

II.6 Théorème de la moyenne . . . 7

II.7 Créer de nouvelles figures par transformation. . . 8

II.8 Graphes de transition. . . 10

II.8.1 Notation binaire des états . . . 10

II.8.2 Construction du graphe de transition . . . 10

II.8.3 Siteswap premier ou composé. . . 12

II.8.4 Dualité . . . 12

II.8.5 Graphes réduits . . . 13

II.8.6 Siteswap excité . . . 15

Bibliographie 15

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I Théorème de Shannon

I.1 Une égalité de rapports.

Si on essaye de passer du jonglage à trois balles au jonglage à 4 puis 5 balles (et plus si affinité) on se rend vite compte qu’il va falloir lancer les balles plus haut.

Pour comprendre pourquoi et même déterminer à quelle hauteur lancer les balles pour réussir à réaliser un jonglage régulier avec un nombreB de balles (B est un entier supérieur ou égal à 1), il y a le théorème de Shannon. Du même Claude Shannon que la théorie de l’information. Ce grand mathématicien a démontré le premier théorème sur le jonglage et même fabriqué des machines qui jonglent.

Théorème 1 (Shannon). Pour un jonglage régulier (i.e. chaque main fait le même lancer à chaque fois) avec B balles, on a l’égalité de rapports suivante :

f +d e+d = B

H où les lettres f, d, e, et H désignent :

f : le temps qu’une balle passe en l’air d : le temps qu’une balle passe dans la main e : le temps qu’une main reste vide

H : le nombre de mains utilisées pour jongler

Démonstration. Je vais donner une démonstration de ce théorème dans le cas H = 2 (deux mains) et B = 3 (trois balles). Le principe se généralise bien.

Il faut imaginer qu’on déroule verticalement dans le temps le mou- vement de trois balles vues du dessus.

On observe ce motif de tresse (on peut d’ailleurs effectivement ob- tenir une vraie tresse si on jongle avec des cordes accrochées aux balles). Si on représente cette tresse schématiquement comme ci- contre sur une période (entre les pointillés) on peut y lire les diffé- rents temps utilisés par Shannon.

On compte le temps d’une période de deux manières : d’une part pour une balle (ici la bleue à droite) et d’autre part pour une main (la gauche). On obtient :

2(f+d) = 3(e+d)

Et donc en divisant de part et d’autre par 2(e+d) : f+d

e+d = 3 2

Ce qui est bien le résultat annoncé pour le cas H = 2 etB = 3.

En partant de la relation de Shannon du théorème 1 on peut exprimer le temps de volf en fonction des autres variables en multipliant par (e+d) :

f = (e+d)B

H −d (1)

(4)

3 I THÉORÈME DE SHANNON

Cette dernière relation montre que f est une fonction affine croissante du nombre de balles B. Autrement dit, plus on veut jongler avec un nombre important de balles, plus il faut augmenter leur temps de vol f.

Comment augmenter f? En lançant les balles plus haut !

J’ai alors voulu déterminer la hauteur des lancers pour un jonglage régulier à B balles.

I.2 Hauteur des lancers pour jongler B balles.

Étant uniquement soumis à l’accélération de la pesanteur g (environ 10m.s2 sur Terre), la loi de la chute des corps nous dit que chaque balle met un temps t pour tomber d’une hauteur h, liés par la relation :

h= 1

2gt2. (2)

Comme une balle met autant de temps pour monter à la hauteur h, on a f = 2t et donc h = 12g(f

2

)2

. Soit pour g = 10, après simplification : h = 54f2. En combinant ce résultat avec l’équation (1) obtenue grâce au théorème de Shannon on a donc :

h= 5 4

(

(e+d)B H −d

)2

.

Pour deux mains (H = 2) et en fixant les valeurs de e et d à un quart de seconde (e=d= 1/4) on obtient :

h= 5 4

(B 4 1

4 )2

.

ce qui se réarrange (en arrondissant 645 = 0,078125 au centième ) en h= 0,08(B1)2 Propriété 2. Pour un jonglage régulier à B balles il faut lancer chaque balle à une hauteur h (exprimée en mètres) environ égale à : 0,08(B1)2.

B h

1 0 2 0,1 3 0,3 4 0,7 5 1,3 6 2,0 7 2,9 8 4,0 9 5,1

10 6,5 b b b

b b b b b b b

0 1 2 3 4 5 6 7

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

B h h = 0,08(B1)2

Figure 1 – Hauteur des lancers en mètres en fonction du nombre de balles.

La hauteur évolue comme le carré du nombre de balles, une balle de plus augmente considérablement la difficulté. Pour éviter d’avoir à lancer trop haut, on peut diminuer e+d, c’est à dire être plus rapide avec les mains. Les hauteurs pour 8, 9, 10 balles peuvent sembler exagérées, mais regardez la vidéo de Bruce Sarafian avec différents records pour 8, 9, 10, 11 et 12 balles ou celle d’Alex Baronavec 13 balles pour apprécier la hauteur des lancers et la vitesse des mains.

B. Sarafian : https://youtu.be/QsOHV779nwU A. Baron : https://youtu.be/gXBRf_WFt08

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II Siteswap

II.1 Origines de la notation

La notation siteswap inventée par Paul Klimek en Californie a été développée indépen- damment et simultanément en 1985 par deux groupes : par Bruce Tiemann et Bengt Magnusson (étudiants au California Institute of Technology et en Angleterre à Cam- bridgepar MikeDay, et les jeunes mathématiciens ColinWright, et AdamChalcraft.

II.2 Principe de la notation

On reprend le schéma de la tresse, où on représente le temps qui s’écoule vers le bas. On effectue le premier lancer de la main à gauche au point rouge. Les numéros ¬, ­, ®, … sur le schéma ci-contre de part et d’autres représentent l’ordre des mains qui vont lancer alternativement à un rythme régulier. L’intervalle de temps entre deux mouvements de main est pris comme unité de temps. On néglige dans cette modélisation les tempse etdutilisés dans le théorème1de Shannon. À partir de là on peut coder les différents lancers par le nombre de temps qu’il faudra à la balle pour retomber.

¬

­ ®

¯ °

± ²

³

1. La balle est lancée directement dans la main opposée, rapidement (1 temps)

2. La balle est lancée et rattrapée par la même main, pas très haut (10 cm). En pratique, on ne la lance pas : elle reste dans la main.

3. La balle est lancée dans la main opposée mais plus haut (environ 30 cm d’après la propriété 2Fig. 1) puisqu’il lui faut trois temps pour retomber. Dans le même temps on doit pouvoir faire trois lancers 1. C’est le lancer pour jongler la cascade à 3 balles.

4. La balle est lancée verticalement (à environ 70 cm) pour retomber dans la même main.

5. Lancer croisé haut, environ 1,3 m. Pour la cascade à 5 balles.

Ainsi de suite, les lancers impairs sont croisés et les pairs sont verticaux et retombent dans la même main. On peut alors désigner une figure de jonglage par la succession de ces nombres entiers, c’est son siteswap. On donne juste le code sur une période si le mouvement est cyclique, ce qui est généralement le cas.

II.3 Exemples de siteswap

On a déjà donné des exemples de siteswaps : 441 ou 5241 qui se font avec trois balles.

On peut aussi citer 501 (un jonglage à deux balles) ou 55550 (avec quatre balles) qui comportent un zéro. Un zéro signifie qu’il n’y a pas de balle dans la main à ce moment et donc… on ne lance pas de balle.

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5 II SITESWAP

Figure 2 – Tresses pour les jonglages réguliers à 3, 4, 5 balles.

Voici le diagramme en échelle de la figure 12345 et le jonglage correspon- dant. Pour faire ce diagramme, je pars du haut et je note les nombres 12345-12345... alternativement sur chaque point. Ensuite on trace les lancers correspondants en partant de chaque point. On observe que le 5 est indépendant, il est toujours fait avec la même balle bleue. Les deux autres motifs identiques sont faits par deux balles (rouges) qui subissent finalement les lancers 1, 2, 4, 3.

Les jonglages réguliers correspondent aux siteswaps de période 1. La cascade à trois balles est simplement : 3. Plus généralement le jonglage régulier à n balles se code par :n. La Fig2montre les tresses régulières pour les jonglages réguliers à 3, 4 et 5 balles. On observe que le jonglage régulier à 4 balles ne croise pas : tout se passe comme si on jonglait avec deux balles dans chaque main.

II.4 Questions mathématiques sur le siteswap

Les questions mathématiques que je me suis posées et auxquelles je vais répondre sont : Question no1 :

Toute succession de nombres correspond-elle à un siteswap jonglable ? Réponse : Non. Par exemple le siteswap 12 ne peut pas être jonglé comme le montre le diagramme ci-contre car deux balles arriveraient simultanément dans la même main.

Question no2 :

Y a-t-il une condition sur les nombres pour qu’un siteswap soit jonglable ? Question no3 :

Si un siteswap jonglable est donné, comment savoir combien il nécessite de balles ? Question no4 :

Comment déterminer tous les siteswap jonglables ?

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Pour répondre aux questions nos2 et 3, on va utiliser un résultat important : le théorème de la moyenne. Pour le démontrer, on peut introduire une transformation sur les siteswap pour se ramener à un siteswap constant.

II.5 Une transformation sur les siteswap

Il est temps d’expliquer l’origine du mot siteswap. Dans le diagramme en échelle on a le point (site) de départ et d’arrivée de chaque balle. Si on considère deux balles lancées successivement, on peut en gardant les mêmes points de départ intervertir leur point d’arrivée sans perturber le reste de la séquence. On a échangé (to swap en anglais) les sites d’arrivées. Qu’est-ce que cela change à la paire de nombres considérée ?

Regardons d’abord un exemple : 51.

Par rapport au temps zéro, on prévoit l’arrivée de la première balle dans cinq temps et de la deuxième dans deux temps (puisqu’elle sera lancé un temps après la première). Si on fait l’échange des arrivées (en pointillés), la première balle lancée arrivera dans deux temps (on lance donc un 2) et la deuxième arrivera dans cinq temps il faudra donc lancer un 51 = 4.

Ainsi on a par cet échange des sites d’arrivée : 51 7→ 24. On peut remarquer que si on refait l’échange des arrivées à partir de 24 on retombe sur 51. On vient de voir sur cet exemple une transformation sur deux nombre consécutifs d’un siteswap :

Propriété 3. On peut à partir d’un siteswap jonglable échanger les arrivées pour deux lancers consécutifs (a, b) a et b sont deux entiers. Alors a devient b+ 1 et b devient a−1 et on obtient un nouveau siteswap jonglable. On notera E (comme échange) cette transformation :

E : (a;b)7−→(b+ 1;a−1)

On remarque que la somme reste constante après cette transformation :b+1+a1 =a+b.

Cette technique permet de créer de nouvelles figures de jonglage à partir de tours existants.

Cela ne change pas le nombre de balles. Par exemple, on a déjà vu12345avec trois balles.

En bouclant, un 5 est suivi d’un 1. 1234512345. On peut lui appliquer la transformation E : 51 7→24 pour obtenir 1234242345

On remarquera que même si le nombre de balles n’a pas changé, et le reste du motif est demeuré identique, on a dû recolorier les balles après la transformationE. Mais pourquoi s’arrêter là ? On remarquera que :

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7 II SITESWAP

Propriété 4. Si une suite périodique d’entiers n’est pas constante, on peut trouver deux termes consécutifs (a;b) avec a > b.

Démonstration. Notons (an)n∈Nune suite non constante d’entiers et périodique. Notons p le plus petit entier non nul tel que ap est égal au maximum de la suite. La suite étant périodique et non constante, il existe n > q tel que an ̸= ap. Notons q le plus petit de ces n. i.e. q = Min{n∈N, n > p, an ̸=ap}. Comme ap est le max de la suite, alors : ap =aq1 > aq.

II.6 Théorème de la moyenne

Ainsi, tant qu’il y a des nombres différents dans un siteswap, on peut toujours en trouver deux qui se suivent comme (a;b) avec a > b. On opère alors l’échange des arrivées pour obtenir(a;b)7→(b+ 1;a−1). L’écart entre les nombres a diminué de deux. Cette transfor- mationE conserve la somme, donc la moyenne des deux nombres tout en les rapprochant de leur moyenne. Poursuivons notre exemple, voici la succession des transformations en partant de 12345 = 45123 :

451237−→424237−→334237−→33333

Comme chaque application de la transformation E conserve le nombre de balles et un siteswap valable, on en déduit que 12345 se jongle avec autant de balles que 33333, c’est à dire avec 3 balles. À chaque étape le total T reste inchangé : T = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 = 3+3+3+3+3soitT = 5×3. Le nombre constant 3 qu’on trouvein finecorrespond donc à T/5, soit le total divisé par la longueur du siteswap. Ainsi le nombre de balles nécessaire pour jongler le siteswap 12345 correspond à la moyenne des nombres du siteswap. Ce résultat est général. Ce qui a été fait sur cet exemple peut toujours se faire avec cet algorithme de retour à la moyenne :

• Prendre un siteswap S jonglable.

• Tant que S comporte des nombres différents faire :

• Opérer une permutation circulaire pour mettre le maximum de S en premier.

• Choisir deux nombres (a, b) consécutifs avec a > b et les transformer en E(a, b) : (a, b)(b+ 1, a1)

• Fin du Tant que.

• Retourner le siteswap S.

En un nombre fini d’étapes cet algorithme permet d’obtenir un siteswap équivalent de même longueur, avec un même total et qui ne comporte que des nombres identiques.

On en déduit le théorème de la moyenne qui répond à la question no4 du II.4 :

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Théorème 5 (de la moyenne). Tout siteswap jonglable est tel que la moyenne de ses nombres est égale au nombre de balles nécessaires pour le jongler.

Exemples :

• 441 se jongle avec (4 + 4 + 1)÷3 = 3 balles.

• 5241 se jongle avec (5 + 2 + 4 + 1)÷4 = 3 balles.

• 552 se jongle avec 12÷3 = 4 balles.

• 421 ne se jongle pas puisque 4 + 2 + 1 = 7 n’est pas divisible par 3.

Ce théorème donne donc une condition nécessaire pour qu’un siteswap soit jonglable : il faut que la moyenne du siteswap soit un nombre entier.

On a ainsi une réponse à notre question no2 du II.4 avec une condition nécessaire : Corollaire 6. Pour qu’un siteswap soit jonglable il est nécessaire que la moyenne de ses nombres soit entier.

Par exemple1234de moyenne2,5n’est pas jonglable. Plus généralement123· · ·nne peut être jonglable que si n est impair puisque sa moyenne est :

1

n × n(n+ 1)

2 = n+ 1 2

Une condition nécessaire mais non suffisante. La condition énoncée par le corollaire ci-dessus n’est pas suffi- sante pour garantir qu’un siteswap soit jonglabla. Par exemple on peut jongler 123 (avec6/3 = 2balles) mais pas 321 car au 3e temps on aurait trois balles arrivant dans la même main ! Donc la propriété de la moyenne ne suffit pas et cet exemple montre aussi que pour un siteswap jonglable donné, une per- mutation des nombres n’est pas toujours jonglable.

Cependant, on a le théorème de réarrangement qui est une conséquence de ce théorème A combinatorial problem on abelian groups. par Marshall Hall paru dans Proceedings of the American Mathematical Society en 1952 :

Théorème 7 (de réarrangement). Tout n−uplet d’entiers naturels de moyenne entière peut être réordonné de manière à obtenir un siteswap valide.

La preuve mathématique de ce théorème est d’un niveau élevé. On trouvera ici sur le groupe de discussion rec.juggling une adaptation pour le jonglage de la preuve de Hall par Dean Hickerson.

Exemple : 5421 n’est pas valide mais 5241 est un siteswap valide.

II.7 Créer de nouvelles figures par transformation

On s’est servi de la transformation d’échange des points d’arrivée pour moyenner un siteswap et le rendre régulier. Il est intéressant de noter qu’on peut faire le contraire pour créer à partir d’un jonglage régulier un tour plus complexe. Par exemple dans le jonglage régulier à quatre balles, les balles ne croisent pas. Certains spectateurs quand ils s’en rendent compte disent que « c’est de la triche », voire que c’est trop facile (en général ils n’ont jamais essayé). Quand je débutais on m’avait dit qu’à 4 balles on ne croisait

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9 II SITESWAP

pas, que c’était comme ça parce que 4 est pair. Mais peut-on croiser en jonglant à quatre balles ? Oui on peut, et c’était déjà connu depuis longtemps mais le jonglage n’est plus régulier. On va voir comment, cf Fig. 3.

On part du jonglage régulier à quatre balles de siteswap 4. On applique la transformation E d’échange des points d’arrivée pour deux lancers consécutifs : 44 7→ 53. Si on le fait une fois, on croise deux balles (la bleue et la verte sur le diagramme ci-dessous). Mais on peut aussi remplacer tous les 44 par des 53 et alors on ne fait que croiser, c’est ce qui est représenté sur la troisième tresse. Le motif n’est plus symétrique, on remarque par exemple que c’est toujours la même main qui lance les 3 et l’autre qui lance les 5. On peut

Figure 3 – Du jonglage régulier 4 (non croisé) au siteswap 53 croisé.

généraliser la transformation d’échange en ne prenant pas des lancers consécutifs mais espacés d’un temps t.

Propriété 8 (échange généralisé). D’un siteswap valide de la forme a· · ·b a et b ont des positions séparées de t on peut obtenir un autre siteswap valide en le transformant en (b+t)· · ·(a−t).

Exemples : 4447→642 pour t= 2. 44447→741 pour t= 3.

On augmente encore plus la dissymétrie des lancers. Et si on veut des lancers croisés à la même hauteur, comme des 5 ? Avec le diagramme en échelle montré sur la Fig. 4on voit qu’on aboutit au siteswap 552.

Histoire. À la fin des années 80 à l’université de Cambridge, Colin Wright et ses collègues inventaient la notation siteswap. Colin m’a raconté que c’est en observant ces transformations qui correspondaient à des jonglages connus mais qu’ils venaient de coder :

447→53puis 4447→552

qu’ils se sont dit qu’il y avait peut-être possibilité de poursuivre la suite logique en tentant 4444 7→ 5551. Et en effet cette figure est jonglable (pas facile), mais elle n’avait jamais été jonglée avant. On peut aussi aller jusqu’à 55550qui correspond au jonglage régulier à cinq balles mais où il manque une balle (il faudrait un 5 en place du 0).

La clarté d’une notation mathématique adaptée avait révélé l’existence de jonglages jusqu’alors inconnus.

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Figure 4 – Du jonglage régulier 4 (non croisé) au siteswap 552 croisé.

On va maintenant voir comment avec la notion d’états et de changement d’états on peut déterminer tous les siteswap possibles avec un nombre donné de balles lancées à une hauteur maximale arbitraire.

II.8 Graphes de transition

II.8.1 Notation binaire des états

Disons que l’on se restreigne à des lancers inférieurs à 5. Si des balles ont été lancées, on ne peut plus qu’attendre qu’elles tombent et regarder quand elles tomberont. La dernière tombera dans au plus cinq temps. On peut noter la situation (l’état des balles) par un 5-uplet en binaire. Par exemple :

10110

Le premier 1 à gauche signifie qu’une balle va tomber dans un temps. On continue en lisant de gauche à droite : aucune balle dans deux temps, puis une balle dans trois et une autre dans quatre temps. Il y a manifestement trois balles en l’air.

Ce nombre binaire code l’état des balles en l’air à un temps donné. Que va-t-il se passer au temps suivant ? Une balle arrive, il va falloir la lancer et le temps va avancer d’une unité, on mange donc le premier nombre et on décale tout d’un cran vers la gauche et on met un zéro au bout. On a donc l’état 01100 mais il faut lancer la balle et indiquer quand elle va arriver avec un 1. On ne peut que faire un lancer qui la fasse arriver sur un des 0.

On ne peut donc pas lancer de 2 ou 3 mais on peut lancer 1, 4 ou 5. On obtient alors les différentes transitions possibles :

état initial : 10110 si on lance 1 : 11100 si on lance 4 : 01110 si on lance 5 : 01101

II.8.2 Construction du graphe de transition

Cas du jonglage à deux balles. Lorsqu’on se restreint à des lancers de hauteur inférieure à h(donc aucune balle ne mettra plus de htemps pour retomber) les différents états possibles sont les h−uplés constitués d’exactement deux 1 (parce qu’il y a deux

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11 II SITESWAP

Figure 5 – Graphes de transition. Deux balles et une hauteur max de h = 3, 4, 5.

balles) et des 0. J’ai construit le graphe de changement d’état (ou de transition) par récurrence sur la hauteur h des lancers les plus hauts qu’on s’autorise. cf Fig. 5

h=2. On n’a qu’un état possible : 11. On ne peut pas faire grand chose, on ne peut ni lancer 0 ni 1 donc seul le 2 (en vert sur la figure) peut être lancé et on retombe sur le même état. C’est le jonglage régulier à deux balles. C’est le cas de le dire. On a une balle dans chaque main, et on ne fait rien (rappel : le lancer 2 correspond à une balle qui reste dans la main).

h=3. Trois états possibles : 110, 101, 011. On s’autorise aussi des lancers de 3 (en bleu sur la figure). partant de 110 on peut arriver sur 101. Partant de 101 on peut encore lancer un 3 pour arriver sur 011 ou lancer un 1 et arriver sur 110. Partant de 011 on ne peut rien faire qu’attendre un temps avant qu’une balle tombe c’est à dire lancer un 0 et arriver sur 110.

h=4. On a six états. Les trois précédents 110, 101, 011 auquels on ajoute un zéro final : 1100, 1010, 0110 et trois nouveaux états se terminant par un 1 : 0011, 0101 et 1001. On complète le graphe précédents en ajoutant les lancers. Les lancers 4 sont en bordeaux.

h=5. On a dix états. On procède de même. Le graphe n’est plus planaire.

Cas du jonglage à trois balles. De la même manière j’ai construit le graphe de transition pour trois balles et une hauteur maximale de 5 (b = 3, h= 5). cf Fig. 6.

Figure 6 – Graphes de transition. b : nombre de balles,h : hauteur maximale.

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Tous les siteswaps possibles. Ces graphes permettent de répondre à notre question no4 du II.4 et de déterminer tous les siteswaps possibles en jonglant deux ou trois balles à des hauteurs inférieures à 5.

Propriété 9. Un siteswap valable correspond à un cycle dans le graphe de transition en suivant les flèches.

Exemple : 01234 est un jonglage possible repéré ci-contre. De la même manière je vous laisse cher- cher les cycles correspondant à 4400, 312, 501. En observant l’exemple de 01234, on remarque qu’on passe deux fois par l’état 10100. Ce siteswap peut donc être décomposé en deux cycles : (123)(40).

Les cycles 123 et 40 sont par contre indécompo- sables, on dit qu’ils sont premiers.

II.8.3 Siteswap premier ou composé.

Définition 1. On dit qu’un siteswap estpremier si son cycle ne passe que par des états disctincts. Sinon on dit qu’il est composé.

Exemple : À trois balles, cf Fig. 6. 441 (états 111, 1101,1011) est premier. 423 (états 111, 1101) est composé : 423 = (42)(3).

Concrètement, pour le jongleur, un siteswap composé peut être travaillé par morceaux.

Si on veut apprendre à jongler 423, on travaillera 42 puis 3 et on essaiera ensuite de les enchaîner. Cette opération correspond à mettre bout à bout des éléments de tresse. On concatène des tresses différentes. Comme en arithmétique pour les nombres premiers, ou pour les permutations on a :

Théorème 10. Tout siteswap peut se décomposer en cycles premiers.

II.8.4 Dualité

Vous avez peut-être remarqué que les graphes de la Fig6pour deux balles et trois balles étaient similaires. J’ai d’abord créé le graphe pour deux balles avant de m’attaquer à trois balles, pensant que ce serait plus simple. J’ai vite remarqué qu’il y avait autant d’états pour 2 ou 3 balles puisqu’il est équivalent de choisir deux ou trois éléments parmi cinq, mais je pensais qu’il y aurait moins de transitions puisqu’à ma connaissance le jonglage à deux balles était moins riche que celui à trois balles.

En comparant les deux graphes obtenus et en les réarrangeant correctement, j’ai vu qu’ils étaient quasiment identiques ! Il y a une dualité entre ces deux graphes. Si on joue au jeu des sept différences on observe que pour passer d’un graphe (b, h) à l’autre il faut :

• Passer de b balles àh−b balles.

• Changer chaque lancer en h−ℓ.

• Changer le sens de chaque flèche.

• Changer chaque état en échangeant 0 et 1 et le lire de droite à gauche.

Chacune de ces opération est involutive,i.e.est sa propre inverse, la faire deux fois revient au point de départ. C’est pourquoi on peut dire que ces deux graphes sont duaux. On en déduit une dualité entre siteswaps :

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13 II SITESWAP

Propriété 11. Avec b = 2 ou b= 3 balles et une hauteur maximale h= 5. On passe d’un siteswap à son dual en remplaçant chaque nombre par son complémentaire à 5 et en le lisant de droite à gauche.

Exemple : Les siteswaps suivants sont duaux : 501 450 52414130

Donc en un sens, jongler à deux balles ou à trois balles avec des hauteurs maximales de 5, c’est pareil. Pour le jongleur, les figures duales 501 (à deux balles) et 450 (à trois balles) sont pourtant différentes. Ou encore 5241 à trois balles et 4130 à deux balles ne requièrent pas la même adresse. Les échanges qu’on a fait correspondent à échanger les actions lancer et recevoir ainsi que les hauteurs ce qui est difficile à ressentir concrètement.

Cependant elles ont des liens, en particulier ces deux siteswaps ne sont pas premiers et se décomposent en deux (15)(24) et(13)(04) ce qui leur donne une similitude appréciable pour le jongleur. On peut les travailler et s’entraînant pour chaque cycle séparément. On peut généraliser cette notion de dualité :

Propriété 12. Soit b et h des entiers naturels avec h > b. Si on se fixe une hauteur maximale h pour les lancers, les jonglages àb balles et ceux à h−b balles sont duaux. On passe d’un siteswap à son dual en remplaçant chaque nombre par son complémentaire à h et en le lisant de droite à gauche.

Exemple : Pour h = 7. Il y a dualité entre les jonglages à 3 et 4 balles, ou entre les jonglages à 2 et 5 balles ou 1 et 6 balles. Ils sont en même nombre et de même nature en terme de décomposition en cycles par exemple.

Il n’empêche que ces graphes sont assez complexe par rapport au nombre de jonglages possibles car certains lancers sont forcés. On va simplifier.

II.8.5 Graphes réduits

Figure 7 – (b= 2, h= 5) Graphe original et simplifié sans état transitoire.

Avec deux balles. On reprend le graphe pour deux balles reproduit ci-dessous. Les états qui commencent par un zéro ne sont que des états transitoires, au coup d’après on ne peut rien faire d’autre que d’attendre qu’une balle tombe (i.e. lancer un 0). On peut les supprimer quitte à mettre sur les flèches les différents lancers possibles pour aller d’un état à l’autre. C’est ce qui est fait à la figure Fig. 7. Ensuite on peut réorganiser les états

(15)

et remarquer que l’état 10001 ne comporte qu’une flèche entrante, on peut supprimer cet état quitte à rajouter des lancers multiples sur les autres flèches. J’ai aussi ôté les zéros finaux des états pour obtenir finalement le graphe réduit. cf Fig. 8.

Figure 8 – (b= 2, h= 5) Graphe réorganisé puis réduit.

Avec trois balles. De la même manière, par dualité on a le graphe réduit pour 3 balles et des lancers de hauteurs inférieures à 5. cf Fig. 9. Comme précédemment la dualité ici fonctionne ainsi : pour passer de l’un à l’autre il faut prendre le dual de chaque lancer et lire la flèche dans le sens contraire.

23,500 550, 53005520, 5050, …

Figure 9 – (b = 3, h= 5) Graphe réduit.

Avec ces graphes simplifiés il est plus facile de comprendre la notion de siteswap excité et de les repérer dans le graphe :

(16)

15 II SITESWAP

II.8.6 Siteswap excité

Définition 2. On appelle état de base l’état ne comportant que des 1. Tout siteswap passant par cet état est dit siteswap de base, on dit sinon que c’est un sitewap excité.

Un siteswap debase peut être enchaîné à partir du jonglage régulier (qui ne passe que par l’état de base). Par exemple à trois balles, 441 peut être inséré dans un jonglage régulier : 333441333. Mais 450 ou 51 sont des siteswap excités. Pour les jongler à partir du jonglage régulier(3) on devra faire un (ou des) lancer·s de transition (en magenta ci-dessous) pour atteindre un état du cycle. Ici un 4 convient. Les siteswaps entre parenthèses sont des cycles qui peuvent être répétés autant de fois que l’on veut.

(3)4(51) ou (3)4(450)

Pour revenir au jonglage régulier, il faudra faire un autre lancer de transition. Par exemple : (3)4(51)2(3) ou (3)52(51)530(3)

Conclusion

On a vu que le jonglage comportait depuis peu une théorie mathématique alors que c’est une activité pratiquée depuis la plus haute antiquité comme on le voit sur l’illustra- tion égyptienne de couverture. La hauteur des lancers est déterminée par le théorème de Shannonet la loi de la chute des corps. La notation siteswap est maintenant adoptée par beaucoup de jongleurs à travers le monde car c’est une notation simple et utile en pra- tique. On peut demander à un jongleur d’un autre pays si il sait jongler 441, il comprendra bien la question. Si on ne sait pas ce qu’est 441, ou 5241, l’information est suffisante pour essayer de le jongler : on calcule d’abord la moyenne pour voir qu’il faut trois balles puis les nombres indiquent les lancers à effectuer successivement. En général, on n’y arrive pas du premier coup pour autant… Il est satisfaisant de savoir que cette notation efficace a permis de découvrir des tours de jonglages jusqu’alors inconnus et finalement avec la notion d’état de déterminer tous les jonglages possibles. On dispose des graphes qui per- mettent de créer aisément n’importe quelle figure périodique… ou non. Cela peut même se programmer, par exemple l’application Juggling Lab peut renvoyer tous les siteswaps jonglables avec comme données : le nombre de balles, la hauteur maximale et la longueur de la période. On peut même considérer les marches aléatoires sur ces graphes afin de créer un jonglage aléatoire. À vos balles !

Bibliographie

• The Mathematics of Juggling de Burkard Polster, Springer.

qedcat.com/articles/juggling_survey.pdf

• juggle.wikia.com

• La page de Colin Wright co-inventeur du siteswap.

solipsys.co.uk/new/ColinWright.html

• Conférence de Allen Knutson de Cornell University (Mathematics of Juggling) youtu.be/38rf9FLhl-8

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