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LES ARCHIVES AUDIOVISUELLES AU CAMEROUN

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Academic year: 2022

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AU CAMEROUN

Quelles perspectives ?

CHANTAL KAMOLE MOUKOKO

JOSEPH ELOGO

La tenue des colloques sur les cinquantenaires en Afrique sub-saharienne francophone a offert l’occasion tant aux historiens qu’aux politiques de faire appel à la mémoire collective. Au Cameroun notamment, ces rencontres scientifiques réunissant historiens, anthropologues, sociologues et juristes avaient pour but d’évaluer les cinquante années d’indépendance et de réunification des deux Cameroun francophone et anglophone. La restitution fiable de l’histoire de ce pays n’a pas tenu compte du souci de préservation des archives menacées de disparition par l’instabilité des organisations concernées en sus de la volatilité des supports, remettant ainsi en cause le témoignage du souvenir. Pourtant les archives audiovisuelles sur le Cameroun, de par leurs particularités dans la restitution de l’information rétrospective et face au besoin de mémoire, constituent les contreforts de ce passé collectif dont il faudrait entretenir le souvenir commémoratif parmi les peuples et les jeunes générations.

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1. Introduction

Dans la plupart des pays africains, surtout francophones, l’année 2010 a été celle de la célébration des cinquante ans de leur indépendance. Pendant ces célébrations, le constat général a été le manque criant d’archives audiovisuelles relatives à l’histoire de ces pays (Ba, 2011)1. Deux obstacles majeurs ont contribué à cet état de fait : d’une part les conditions de conservation peu propices à la pérennité des supports en raison des contraintes climatologiques ; d’autre part le retard et la lenteur de prise de conscience lente des pouvoirs publics quant à l’importance de la question.

Les nouveaux supports, notamment numériques viennent complexifier davantage les moindres efforts fournis au moment où la plupart des pays africains ont pour obligation de restituer fidèlement par l’image et le son le témoignage de ce passé collectif. Dans un contexte camerounais où les archives audiovisuelles sont mal préservées, voire menacées de disparition on peut noter l’absence totale d’un pan de l’histoire détenue dans des entrepôts documentaires à l’étranger, parfois difficiles d’accès de par les procédures locales. Comment entretenir le souvenir commémoratif parmi les peuples et les jeunes générations camerounaises alors que le besoin de mémoire est plutôt satisfait par des sources étrangères ?

Des investigations sur ce terrain ne semblent pas révéler d’initiative pour l’organisation de la récolte, du recensement et de la reproduction des archives audiovisuelles sur le Cameroun capables de soutenir des thèses en histoire, géographie, droit, politique, etc. Le témoignage de l’histoire du Cameroun à travers les manifestations scientifiques (conférences, colloques, débats…) devient quelque peu biaisé faute d’authentification des supports audiovisuels dont l’intégralité n’est pas conservée par les Camerounais. Notre objectif est d’explorer et analyser tous les dispositifs et infrastructures de conservation des archives audiovisuelles tant publiques que privées, dans le contexte numérique où la technologie augmente les inégalités. Ensuite nous examinerons l’effectivité de leur exploitation par les chercheurs, et enfin, ouvrons de nouvelles perspectives.

1. 50 ans du Sénégal à travers les archives de la télévision nationale sénégalaise, in Journal Warbika, n° 6, septembre 2011 : la gestion des archives audiovisuelles en Afrique de l’Ouest : spécificités et perspectives.

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2. Cadre théorique

Le code du patrimoine en France, dans son Livre II2 définit en termes génériques les archives comme « l’ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l’exercice de leur activité ». Cette conception large reprise dans la plupart des lois et chartes nationales d’archivage en Afrique subsaharienne, contrairement à l’image classique ancrée dans l’imaginaire, ne désigne pas seulement le support papier mais concerne aussi ce que l’on a appelé depuis plusieurs décennies les « archives nouvelles »3. Ce sont des formes d’enregistrement de données liées au développement des technologies dites nouvelles (audiovisuel et informatique).

Les archives audiovisuelles se définissent comme un contenu enregistré sous un format sur un support qui nécessite d’être lu par un matériel de lecture spécifique4. Dans un fonds d’archives audiovisuelles, on peut trouver des documents produits dans différents contextes ou pour différents usages5. La typologie des concepts explique l’utilisation de plusieurs termes (audiovisuel, document, record en anglais, film, radiodiffusion, télédiffusion, son, vidéo) qui renvoient aux concepts d’image en mouvement et de son enregistré, leur sens pouvant être nuancé en fonction des pays, des langues ou des civilisations6. Dans l’optique de la protection et l’accessibilité du patrimoine documentaire et culturel mondial, l’UNESCO a initié tour à tour la Recommandation pour la sauvegarde des images en mouvement (1980), le rapport intitulé Mémoire du monde : principes directeurs pour la sauvegarde du patrimoine documentaire (1995) et la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel

2. Code du patrimoine, art. L. 211-1.

3. Hendrick Annette. Archives et documentation : guide à l’usage des associations et des particuliers, Bruxelles, 1993, p. 65.

4. Association des Archivistes Français (AAF). Les archives audiovisuelles, Paris, INA, 2005, p. 7.

5. Ibid, p. 8.

6. Edmondson Ray. Philosophie et principes de l’archivistique audiovisuelle : A l’occasion de la commémoration du 25e anniversaire de la Recommandation de l’UNESCO pour la sauvegarde et la conservation des images en mouvement, Paris, UNESCO, 2004, p. 24.

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(2003). Dans cette optique, la problématique des archives audiovisuelles n’est plus pour les archivistes et les documentalistes de distinguer les genres, les supports, et les formats. Il s’agit aujourd’hui plus que jamais de prendre des mesures de conservation préventive, et d’envisager la numé- risation et la valorisation des fonds audiovisuels enregistrés sur des supports souvent menacés de dégradation dans le temps. Ces nouveaux types d’archives suscitent des problèmes spécifiques de traitement, de conservation, de valorisation7. Leur particularité à l’échelle internationale et leurs enjeux ont été la préoccupation de l’UNESCO qui a adopté en coopération avec le Conseil de coordination des associations d’archives audiovisuelles (CCAA) la date du 27 octobre pour célébrer la journée mondiale du patrimoine audiovisuel. Cette décision consensuelle résulte du constat de la menace qui pèse sur le patrimoine audiovisuel mondial ainsi que de l’extrême vulnérabilité des enregistrements sonores et des images en mouvement.

La notion de patrimoine a été abordée par Marie-Anne Chabin (2000) dans son ouvrage Le management de l’archive. Cette notion désigne « tout ce qui mérite d’être préservé et par extension concerne tout ce qui doit être transmis de façon communautaire aux générations suivantes ». La notion de patrimoine a pour corollaire une autre notion plus immatérielle, celle de mémoire. Chabin la développe à juste titre sous deux aspects, le « devoir de mémoire » et le « pouvoir de mémoire ». Le devoir de mémoire, expression des années 1980, se définit comme « l’obligation publique et collective, d’abord de connaître son passé collectif même déplaisant, ensuite de l’accepter, enfin d’en entretenir le souvenir parmi la population et les jeunes générations ». Il s’agit d’une histoire individuelle, d’une connaissance du passé « dont chacun se sent encore acteur ou l’ayant droit de ceux qui l’ont faite, vécue et surtout subie ». Deux éléments permanents permettent de construire cette mémoire : le témoignage du souvenir des anciens et le recours aux archives « qui lisent ce que les hommes ont oublié, occulté ou sublimé ». La mémoire a aussi un « pouvoir » inspiré par le besoin d’identité des groupes et des individus, une mémoire fondée sur l’archive chargée de « nourrir l’histoire des hommes, des pays et des civilisations, tâche confiée au métier d’historien ».

7. Les archives audiovisuelles (Actes du XXVIIe Congrès national des archivistes français), Paris, Limoges, 1985.

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Les supports audiovisuels contenant l’histoire du Cameroun conservée et sauvegardée constituent, à n’en plus douter, le patrimoine et la mémoire collective du pays.

3. Historique

Au Cameroun, le ministère de l’Information et de la Culture a longtemps été le ministère de tutelle de l’unique radiodiffusion avant l’avènement de la Télévision en 1985. Au-delà des images fixes développées par un service ministériel chargé de la photographie, une structure appelée

« centre audiovisuel » était chargée de la production, de la conservation et de la diffusion des images essentiellement sur le Cameroun sous le label

« Cameroun Actualités » dans les salles de cinéma avant la projection de tout long métrage. La seule radio de l’époque, Radio Cameroun créée en 1948, produisait, diffusait et rediffusait des éléments sonores conservés dans ses locaux. Le « service des archives », devenu « Archives Nationales » plus tard ne conservait que des documents sur support traditionnel.

L’actualité projetée dans les salles de cinéma rendait compte de l’activité gouvernementale, notamment des visites du chef de l’État à l’intérieur du pays ou à l’étranger, ou des séquences d’activités culturelles, sans pour autant rentrer dans les fondements même de l’histoire du pays consignée dans des bandes audiovisuelles par les puissances colonisatrices. Cette histoire a très souvent été restituée soit par des témoignages humains, soit par les premiers livres d’histoire sur le Cameroun à usage scolaire.

La question légitime est de savoir si l’administration coloniale partageait avec les nationaux les sources enregistrées sur le territoire camerounais ? Or, aucun indice ne le confirme aujourd’hui, ce qui pourrait induire deux hypothèses partiellement admises : soit l’actualité coloniale sensible consignée sur les supports audiovisuels n’était pas accessible aux populations locales et servait de compte rendu au pouvoir central colonial et se conservait hors du pays ; soit les institutions sus-évoquées ont hérité de ce patrimoine et l’ont mal conservé. Dans le premier cas les archives produites l’ont été suivant les traditions, les formes de gouvernement ou d’administration, et les civilisations des peuples qui ont habité en leur sein ou des nations qui y ont étendu leur empire (Pérotin, 1966). Dans le deuxième, le climat tropical du Cameroun est caractérisé par l’association permanente de la chaleur et de l’humidité, éléments qui, ajoutés au facteur

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humain, ont contribué à détruire ce pan de l’histoire du Cameroun. Ces constats sont à la base de notre réflexion : l’hypothèse selon laquelle le souvenir commémoratif parmi les jeunes générations camerounaises ne peut s’entretenir alors que le besoin de mémoire est plutôt satisfait par des sources étrangères, les sources locales étant déficitaires et mal organisées.

En effet, la plupart des pays francophones, notamment le Cameroun, se sont souvent tournés vers les ex-puissances colonisatrices, notamment la France, pour entrer en possession de certains épisodes de leur histoire8. Au plan législatif les Archives nationales du Cameroun sont rattachées au ministère en charge du Patrimoine culturel, c’est-à-dire celui des Arts et de la Culture, et sont régies depuis seulement 2014 par un décret qui les organise et structure leur fonctionnement9. Au plan nominatif, cette structure attend d’être pourvue de responsables officiellement désignés et chargés de la gestion du patrimoine archivistique national. Pourtant c’est l’instance faîtière en matière de politique d’archivage au Cameroun.

4. État des lieux

Les organismes producteurs d’archives audiovisuelles sont constitués de chaînes de radiodiffusion et de télévision publiques et privées. S’agissant des chaînes publiques ou étatiques, la Cameroon Radio Television (CRTV) sur le volet radio, compte une chaîne nationale, dix stations régionales, et cinq chaînes commerciales en modulation de fréquence. En ce qui concerne la télévision, elle compte une chaîne de télévision hertzienne sur satellite, un centre de production, un centre de formation professionnelle de l’audiovisuel à vocation internationale, et une régie publicitaire intégrée appelée CRTV Marketing and Communication Agency. Plus récentes que les chaînes publiques, les chaînes privées se concentrent surtout dans les capitales régionales, avec pour tête de proue les deux grandes métropoles que sont Douala et Yaoundé et qui constituent notre terrain d’étude.

En effet, ces deux villes ont historiquement impulsé la culture de l’audiovisuel et hébergent aujourd’hui les chaînes de télévision et de radio

8. Le problème de déclassement des archives coloniales sur le Cameroun est d’actualité car les Archives Nationales ne détiennent pas les documents audiovisuels sur certains épisodes de l’histoire du pays.

9. Décret n° 2014/0882/PM du 30 avril 2014 portant organisation et fonctionnement des Archives nationales.

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publiques et privées de renom. Nous nous sommes tout d’abord basés sur une étude intitulée paysage médiatique des villes urbaines du Cameroun commise périodiquement par le Cabinet Cible, étude qui mesure l’audience de différents supports médias en semaine et en week-end sur 24 heures. De toutes les chaînes médiatiques étudiées, nous avons prélevé un échantillon de deux stations télé appartenant à la seule chaîne de télévision publique (CRTV), trois chaînes privées à Douala et trois à Yaoundé dites de « grand visionnage ». S’agissant des chaînes radio, nous avons retenu trois stations de la CRTV et trois chaînes privées de « grande audition ».

Nous avons opté pour une approche qualitative matérialisée par l’usage d’un guide d’entretien préparé et structuré selon les thèmes jugés prioritaires pour notre étude, notamment la conservation des archives dans les chaînes publiques et privées aussi bien radiodiffusion que télévision, par un examen du circuit de l’archivage de la production à l’exploitation, les conditions de conservation, les types d’archives produites et les ressources humaines en charge de les gérer. Nous avons obtenu au préalable les contacts nécessaires permettant des entretiens semi-directifs en face à face ou téléphoniques avec des responsables et techniciens dans leurs pratiques professionnelles. Pour la circonstance nous avons pris appui sur une équipe d’étudiants du Département de communication de la Faculté des lettres et sciences humaines de l’université de Douala pour une observation des pratiques dans les centres de production concernés.

Afin de boucler notre démarche, des missions et rencontres de travail ont eu lieu entre les professionnels de l’université de Douala et ceux des Archives nationales, dans le but d’évaluer la conservation des archives au Cameroun dans leur ensemble et particulièrement les archives audiovisuelles. Des recoupements ont été effectués pour examiner les réponses et les constats par rubrique (volumétrie, types de supports, conditions de conservation, procédures d’archivage, délais de conservation, etc.) comme l’indiquent les tableaux 1 et 2 ci après.

5. Analyse des données recueillies

5.1. Problème managérial global et absence de vision prospective

À l’observation, malgré la multiplication des chaînes radio et télévision depuis plus d’une décennie, on ne perçoit pas très clairement leur

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spécialisation par thème ou par cible. De manière générale, en dehors de quelques chaînes radio privées spécialisées en sport, musique et religion, les média audiovisuels sont généralistes du fait de leur ouverture au plus vaste public et de leur couverture des sujets variés (information, magazines, sports, variétés, jeux, divertissement, films ou téléfilms).Les supports professionnels des programmes de télévision que nous avons vus sont constitués essentiellement par le film et la bande magnétique, les vidéodisques étant destinés à une utilisation grand public.

Tableau 1. Gestion des archives AV dans les chaînes de télévision

Nom de  

la chaîne  Stations 

Volumé‐

trie  (Film,  bandes  magnét, 

vidéo) 

Conditions de  conservation  (conditionne ment, Confort 

thermique) 

Perso nnel  quali‐

fié 

Espace  de  stockage 

Délais de  conser‐

vation 

CHAÎNES DE TÉLÉVISION PUBLIQUES 

CRTV 

Centre de  prod 

Indéter

minées  Inappropriées  01  Existant  Indéter‐

minées  Littoral  Indéter

minées  Inappropriées  01  Existant  Indéter‐

minées 

CHAÎNES DE TÉLÉVISION PRIVÉES  Canal 2 

Interna‐

tional 

Douala  Indéter

minée  Inappropriées  00  Existant  Indéter‐

minées  Equinoxe 

TV  Douala  Indéter

minée  Inappropriées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  STV 

(Spectru m TV 2) 

Douala  Indéter

minée  Inappropriées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Samba TV  Yaoundé  Indéter

minée  Inappropriées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Ariane TV  Yaoundé  Indéter

minée  Inappropriées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Camer 

Movies  Yaoundé  Indéter

minée  Inappropriées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées 

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Tableau 2. Gestion des archives AV dans les chaînes de radio

Nom de 

la chaîne  Stations 

Volumétrie  (Bandes, 

CD) 

Conditions  de  conservation  (conditionne

ment,  Confort  thermique) 

Perso nnel  Quali‐

fié 

Espace  de  stockage 

Délais de  conser‐

vation 

CHAîNES DE RADIO PUBLIQUES 

CRTV 

Poste  National 

Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  01  Existant  Indéter‐

minées  Centre  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Existant  Indéter‐

minées  Littoral  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  01  Existant  Indéter‐

minées  CHAîNES DE RADIO PRIVEES 

Radio 

Equinoxe  Douala  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Sweet 

FM  Douala  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  (RTM) 

Real Time  Music 

Douala  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  FM 94  Yaoundé  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Radio 

Bonne  Nouvelle 

Yaoundé  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées  Magic FM  Yaoundé  Indéter‐

minée 

Inappro‐

priées  00  Inexis‐

tant 

Indéter‐

minées 

Notre enquête révèle également que les chaînes de télévision de grand visionnage conservent très souvent les copies de journaux télévisés, des magazines, des débats, des retransmissions d’événements divers à des fins de rediffusion mais qu’elles font vite à « écraser »10 (au mépris du devoir de mémoire). Sur le registre du divertissement, sont conservés les téléfilms,

10. Dans le jargon du métier, il s’agit d’effacer les contenus (image ou son) afin de réutiliser le support pour des raisons dites « économiques ».

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des séries et feuilletons documentaires, des vidéoclips, des émissions propres à la ligne éditoriale de chaque chaîne télévisuelle. S’agissant des chaînes radio, la même diversité est observée, notamment en ce qui concerne l’information avec le journal radiophonique enregistré, des débats radiophoniques et des enregistrements d’événements, des jeux et des variétés. Quelques chaînes de télévision privilégient les documentaires étrangers au détriment de ceux consignant l’histoire du Cameroun. Des problématiques communes à toutes les chaînes de radio et de télévision que nous avons pu relever, on peut retenir (voir tableaux 1 et 2) :

– L’absence d’un service chargé de gérer les archives qui illustre le risque d’une activité et des postes de travail peu rentables, l’accent étant mis sur les prestations commerciales et bénéfiques financièrement.

– Des locaux inappropriés pour la conservation des documents, les besoins de mémoire ne constituant ni un impératif ni une urgence pour les décideurs. Les archives, lorsqu’elles n’ont pas été détruites, constituent un lieu de débarras de vieux documents.

– L’absence de prise de conscience des mauvaises conditions de conservation spécifiquement dans la ville de Douala située en bordure de mer.

– Le manque de personnel qualifié, considéré du point de vue de l’employeur comme dépense « inutile » en matière de salaires.

– Des copies de sauvegarde inexistantes faute de matériel adéquat et dans le souci d’économiser le peu de matériel existant.

– Des documents régulièrement « écrasés » pour récupérer les supports et les réutiliser à d’autres fins.

– La préférence des documentaires sportifs, des films et séries télévisuelles aux documentaires historiques sur le Cameroun. Ce dernier aspect ne met pas à l’ordre du jour l’enrichissement des fonds d’archives audiovisuelles par une duplication des supports détenus dans les organismes étrangers.

5.2. La conservation des archives : une problématique généralisée

La problématique de la conservation des archives est d’ordre général au Cameroun et les archives audiovisuelles n’échappent pas à la règle. Le devoir de mémoire absent de nos réflexes culturels ne se manifeste qu’en

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cas de besoin de preuve, surtout auprès du CNC11, puisque la réalité des contestations nourrit l’utilisation des archives. Il s’agit sur un plan purement historique « de tirer le passé vers le présent et non de se projeter dans le passé » (Chabin, 2000). Les chaînes publiques et privées de radio et de télévision recherchent plus le profit commercial que culturel. Organiser la chaîne d’archivage exigerait plus d’argent et de temps que solliciter les spots publicitaires auprès des sponsors. L’état des lieux effectué sur les outils de conservation du « témoignage du souvenir » permet de comprendre les difficultés inhérentes au soutien audiovisuel des diverses thématiques développées au cours des débats et des émissions à caractère culturel ou historique.

Les résultats de l’étude ont permis de comprendre l’insuffisance des supports par ailleurs menacés par le vieillissement et les dégradations, remettant ainsi en cause certains travaux de recherche. Le danger d’une telle insuffisance est le manque de fiabilité des témoignages de l’histoire du pays, au-delà de la dépendance intellectuelle et historique permanente vis-à- vis des puissances colonisatrices dont dépend l’avenir culturel et patrimonial d’une nation. Du coup l’âme d’un peuple s’estompe faute d’avoir préservé lui-même sa mémoire. L’absence d’une démarche de rapatriement ou de duplication du patrimoine exilé vient conforter le postulat de la dépendance informationnelle de nos chercheurs. Pour le peu d’archives détenues, la logistique de gestion et les infrastructures adéquates ne sont pas à l’agenda des priorités des pouvoirs publics. Cette absence de vision prospective dans la préservation du patrimoine culturel et historique a pour principale conséquence la privation parmi les peuples et les jeunes générations des contreforts de ce passé collectif.

Le déficit en matière d’archivage des documents audiovisuels au Cameroun est dû à l’instabilité des organisations tutélaires et à la précarité des dispositifs de conservation. En effet, l’évolution de l’espace audiovisuel montre une mutation du ministère de l’Information et de la Culture au ministère des Arts et de la Culture en passant par le ministère de la Communication, tous impliqués dans la production, la conservation et la mise en valeur des archives audiovisuelles. La structuration des services concernés couplée à la maîtrise des conditions de conservation de ces

11. Le Conseil National de la Communication qui régule les médias au Cameroun et qui peuvent les interpeller en cas de besoin.

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archives particulières dans le contexte de la société dite de l’information, constituent les enjeux et les défis actuels de la préservation de la mémoire collective. En 2000 une loi sur les archives a été promulguée régissant les archives au Cameroun, assortie d’un décret d’application. Cette loi dispose que « toutes les organisations sont tenues d’organiser en leur sein une structure chargée de la gestion des archives ». La loi détermine les principes généraux de la structuration et de l’organisation des archives. Elle est établie dans une forme propre à la constitution de chaque nation à travers la collaboration des autorités législatives (Parlement) et du corps exécutif (Gouvernement) pour une période extrêmement longue et, toute modification, fût-elle dans la forme ou la substance, demande une nouvelle promulgation sur les mêmes lignes comme la loi elle-même (Pérotin, 1966).

Le constat est qu’aucune structure ne se sent obligée de se soumettre à cette disposition légale ; ce qui met au défi les pouvoirs publics malgré la définition récente du cadre organique du ministère des Arts et de la Culture chargé d’élaborer et de suivre la mise en place de la politique nationale en matière d’archives. Ce même ministère dans sa mission de protection, de conservation, d’enrichissement et de promotion du patrimoine culturel, artistique et cinématographique est doté de moyens pour acquérir en copies des archives audiovisuelles sur les phases importantes de l’histoire du Cameroun.

6. Conclusion

Les pays dits du Sud sont pris de vitesse par la révolution du numérique. Avec l’évolution des technologies en la matière, il est possible de gagner en temps et en volume dans le processus de conversion des documents sur de nouveaux supports à travers la dématérialisation et la numérisation. Au Cameroun, l’heure est au basculement de l’analogique vers le numérique, ce qui va très certainement impacter l’organisation de la chaîne d’archivage et surtout la conservation des supports. L’indifférence des pouvoirs publics face au « témoignage du souvenir » et paradoxalement le besoin permanent de mémoire, constituent un élément de fixation et par conséquent de dépendance. S’il est admis que les archives audiovisuelles méritent d’être conservées dans des conditions appropriées, ce vœu reste pieux d’autant qu’il ne se traduit pas par une volonté politique concrète. Si le Cameroun n’a pas pu avoir la mainmise sur les documents audiovisuels

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produits hier et conservés (à tort) par les ex-puissances colonisatrices, il est temps de planifier et de bien organiser la production nationale d’aujourd’hui que l’on devra léguer aux générations futures. L’exploration des gisements d’informations historiques sur le Cameroun sur des supports audiovisuels et/ou une reproduction juridiquement encadrée de ces supports peut se négocier avec leurs détenteurs actuels et permettre de ne plus externaliser la mise en valeur de notre mémoire collective. L’étude réalisée est limitative de par sa circonscription au niveau des deux grandes métropoles Douala et Yaoundé. En outre elle aura péché en ne ressortant pas des statistiques bien précises dans le cadre d’une approche quantitative en raison de l’inaccessibilité des fonds d’archives et de la réticence de certains responsables. C’est un vaste chantier qui reste ouvert puisqu’il offre des perspectives d’investigation plus complètes et plus étendues sur les dispositifs de conservation des archives audiovisuelles des périodes précoloniale, coloniale et même actuelle. La condition pour y parvenir est que les Archives Nationales qui en détiennent les prérogatives officielles au Cameroun s’y impliquent résolument en définissant méthodiquement et financièrement les contours d’un tel projet.

Bibliographie

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Loi n° 2000/010 du 19 décembre 2000 régissant les archives au Cameroun.

Décret n° 2001/958/PM du 01 novembre 2001 portant application de la loi n°

2000/010 du 19 décembre 2000 régissant les archives au Cameroun.

Décret n° 2014/0882/PM du 30 avril 2014 portant organisation et fonctionnement des archives nationales.

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Références

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