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Les tours de Notre-Dame

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Academic year: 2022

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Les tours de Notre-Dame

C'est elle, j'en suis à peu près sûr, que j'ai vue dans une pharmacie du boulevard Saint-Michel, non loin de la Seine. Que je n'en sois pas tout à fait sûr, cela n'a guère dépendu, sans doute, que d'un peu de patience de ma part. Elle attendait son tour, comme moi et quelques autres clients, mais elle n'attendait pas de la même manière. Elle ne se tenait pas près du comptoir, dans le groupe; elle était dans un coin de la pharmacie, comme si elle hésitait à s'avancer, ou plutôtcomme si elle était

distraite, indifférente, ne sachant pas ce qu'elle voulait.

Ce n'est pourtant pas cela qui m'a le plus frappé; je ne l'aurais même pas remarqué, peut-être, si elle avait été pareille à toutes les filles qui circulaient, cet après-midi- là, sur le boulevard Saint-Michel. Il y avait quelque chose en elle, sur toute sa personne, qui m'a obligé à détourner les yeux aussitôt, puis à la regarder de nou- veau, furtivement. J'ai eu l'impression immédiate qu'elle était non seulement isolée dans ce coin de la pharma- cie où elle ne regardait rien dans les vitrines, mais qu'elle était seule, absolument seule, et je me suis demandé si elle n'était pas entrée dans cette pharmacie par hasard, si, même, elle se rendait bien compte de l'endroit où elle était, si elle nous voyait, nous autres. Il m'a semblé que personne ne faisait attention à elle, à moins que tout le monde n'ait eu la même impression que moi, la même petite frayeur à la regarder. Il suf-

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fisait d'un coup d'oeil pour remarquer beaucoup de

choses, tellement l'abandon et la détresse étaient évi- dents sur toute sa personne. Seule comme on l'est lorsque tout est devenu indifférent, lointain, inexistant, comme on l'est dans une chambre fermée, comme on l'est lorsqu'on dort. Un instant, mes yeux ont ren- contré les siens; ils n'étaient pas sans expression, mais comment dire? Je n'ai peut-être vu pareil regard que dans les hôpitaux on passe devant une chambre dont la porte est ouverte, un malade est assis dans son lit et il vous regarde au passage, on ne le reverra jamais, on

l'a assez vu.

Une employée de la pharmacie lui'a demandé ce qu'elle désirait; j'étais tout près d'elle; je n'ai pas été surpris en entendant la réponse de la jeune fille. C'était le même produit que je venais d'acheter un instant plus tôt. Si j'avais fait attention à cette personne, d'une manière furtive et insistante à la fois, assez pénible pour moi, c'est qu'il y avait quelque chose de commun entre nous le besoin de ces comprimés qui ont été, peu de

temps après, retirés du commerce, car certains jeunes en

faisaient, paraît-il, de redoutables cocktails. C'était, pour nous autres, un modeste excitant. Ainsi, nous avions besoin tous deux du même appoint, par cette belle journée du mois d'août, quand Paris était spa- cieux, tranquille, quand on aurait dû pouvoir se laisser vivre. Je me suis demandé un instant si j'avais l'air, dans mon genre, aussi triste, aussi perdu que cette jeune fille, puis j'ai eu vaguement honte de ce retour sur moi- même. Elle devait vraiment être au-delà de l'abandon, arrivée à je ne sais quelle extrémité, à une sorte de per- fection. Je ne l'ai vue que peu d'instants, en somme, dans cette pharmacie, puis dans la rue quand je l'ai suivie involontairement jusqu'au premier tournant, et il se peut qu'à force de repenser à elle j'aie complété son image de détails imaginaires, pourtant je crois que je suis allé dans le sens de la vérité, sans l'atteindre abso-

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Les tours de Notre-Dame

lument elle est au-delà de tous les détails. Elle n'était

pas vêtue comme une pauvresse, mais comme si elle avait été, un jour, bien habillée, et qu'elle eût gardé la même robe, les mêmes bas, les mêmes souliers, la même coiffure, sans en prendre aucun soin depuis longtemps;

la robe pendait d'un côté, il y avait une grande échelle visible par-derrière à l'un de ses bas; ses cheveux ceux d'une jeune fille de vingt et un ans, ainsi que je l'ai appris le lendemain même étaient ternes comme la poussière des rues, et dans la pharmacie, quand elle a penché la tête pour fouiller dans son sac, ils lui tom- baient sur les yeux comme des cheveux dé noyée, raides et sales. Je crois qu'elle avait les yeux gris-bleu.

Non, je ne pouvais pas l'aider, ni personne. Savait- elle déjà où elle allait, en sortant de la pharmacie? Pas plus que moi, sans doute. J'ai marché un instant der- rière elle, au milieu des passants qui allaient dans un sens ou dans l'autre, dans l'agitation paresseuse d'un jour de vacances et de grande chaleur. Elle penchait la tête en marchant, son sac qu'elle tenait par la bride pendait presque à frôler le sol, elle allait lentement.

Arrivé devant le café qui fait le coin de la rue Saint- Séverin et du boulevard, j'ai vu qu'il y avait de la place au comptoir, et je me suis précipité machinalement j'ai si souvent eu ce mouvement, dans mes bêtes de journées de Paris. J'ai avalé deux comprimés avec un quart Vichy. J'aurais peut-être continué à penser à la

fille solitaire, si la conversation de deux hommes assis à une petite table voisine du comptoir ne m'était pas dis- tinctement parvenue.

« Il n'y a pas d'états d'âme, disait l'un, il n'y a que des moments dialectiques, des états des forces.

Vous vous trouvez, a dit l'autre, dans l'état d'âme particulier, d'ailleurs fréquent de nos jours, où l'on affirme qu'il n'y a pas d'états d'âme.

Pas mal », a dit l'autre en riant.

Celui-ci, je l'ai reconnu, c'était Arthur Adamov on

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le voyait beaucoup à cette époque dans les cafés du quartier. J'aurais bien continué à les écouter, mais ils se sont levés, je les ai regardés s'éloigner jusqu'à ce que je les perde de vue.

Difficile de se rappeler une heure, deux heures de déambulation, et pourtant! Étant donné, maintenant, la suite de cette journée, il me semble que je me suis employé, sans le savoir, à amasser beaucoup d'impres- sions qui s'additionnent pour donner un sens à tout le grouillement de gens inconnus, plus ou moins libérés de leurs soucis, qui peuplaient Paris ce jour d'août. Un

« état d'âme » là-dedans? Un « moment dialectique »?

Un « état des forces »? Je savais que cela finirait en tout cas par un état de fatigue, mais à ce moment-là, et pendant au moins deux heures, les comprimés d'amphé- tamines m'ont donné une heureuse curiosité, celle qui ne cherche rien, qui prend ce qui vient, qui récolte le temps comme si c'était une matière précieuse. Sans me donner un but particulier, je ne me sentais pas dépourvu de but; et cela me suffisait, je me berçais à chaque pas de l'idée qu'il y en avait un, et que rien ne me pressait de l'atteindre. Tout le temps, toute la vie! En effet, je m'acheminais vers quelque chose, d'une façon qui m'apparaît aujourd'hui assez mystérieuse. On en jugera je ne peux que retracer une certaine figure,

dans le chaos de cette journée.

De l'autre, je. ne connais qu'une photographie dans un journal du soir, paru le lendemain de ce même long jour. J'ai vu un visage très jeune, sous des cheveux courts, de face comme sur une photo d'identité; c'était sans doute la photo de son passeport, et je me demande comment le journal a pu l'obtenir, soit de la police, soit des personnes qui accompagnaient la jeune Américaine.

Ce n'étaient pas (toujours le journal) son père et sa mère, mais des cousines beaucoup plus âgées. Elles faisaient partie d'un groupe de touristes venant tous de la même ville, Minneapolis. Je suis curieux de Minnea-

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