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FEMMES REPRENEURES : TOUJOURS DES DÉFIS À RELEVER

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FEMMES REPRENEURES : TOUJOURS DES DÉFIS À RELEVER Katia Richomme-Huet, Aude d’Andria

De Boeck Supérieur | « Entreprendre & Innover » 2012/2 n° 14 | pages 58 à 66

ISSN 2034-7634 ISBN 9782804174354 DOI 10.3917/entin.014.0058

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2012-2-page-58.htm ---

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Femmes repreneures : toujours des défis

à relever

> Katia Richomme-Huet

> Aude d’Andria

Résumé

Un dirigeant d’entreprise sur trois seulement est une femme. En pratique, la transmission familiale se fait plus fréquemment en direction des héritiers mâles, les femmes n’étant appelées à la succession que par défaut ou par accident. La solidité des stéréotypes explique que les femmes héritent d’une entreprise moins fréquemment que les hommes.

Or trois exemples analysés dans l’article démontrent – s’il en était besoin- que les femmes entreprenantes sont tout aussi aptes que les hommes à réussir une succession familiale, à reprendre l’entreprise de leur employeur ou à racheter et à redresser une PME en situation délicate.

Les points forts

Les femmes sont minoritairement concernées par la transmission

successorale des entreprises, mais encore moins nombreuses – à peine 5 % - à racheter une entreprise « de l’extérieur ».

L’exemple de Tolix, rachetée au tribunal de commerce par une salariée de

l’entreprise et redressée avec succès, démontre que les compétences et capacités nécessaires pour redresser une entreprise ne sont pas « genrées ».

Le véritable levier qui permettrait de débrider l’enthousiasme féminin en

matière de transmission-reprise d’entreprise réside dans un meilleur partage des tâches familiales liées à la parentalité.

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Entreprendre & Innover / Septembre 2012 / 59 Katia Richomme-Huet, Aude d’Andria

M

ajoritaires dans la population fran- çaise avec un taux de 51,4 %, en quasi parité dans la population active occu- pée avec un taux de 46,7 % (Insee, 2012) 1, les femmes se retrouvent minoritaires à la direction des entreprises. Selon le rapport

« Women Matter » (2010) 2 de McKinsey, la France compte 15 % de femmes dans les hautes sphères du CAC 40, rejoignant les USA, mais loin derrière la Norvège qui a déjà un tiers de femmes dans le top management de leurs grandes structures.

Aussi, les pouvoirs publics viennent-ils de s’engager avec la loi Zimmermann-Copé 3 à des pratiques positives. La mesure phare de cette loi est la mise en place de quotas en vue de féminiser les comités de direc- tion et les conseils d’administration. Dès 2012, 2 500 des plus grandes entreprises doivent parvenir à un seuil de représenta- tion à 20 % de femmes et à 40 % en 2016.

Bien que ces mesures soient de nature à vouloir changer les mentalités, la barrière du genre au détriment des femmes sem- ble encore résister lorsqu’il s’agit d’accé- der à la direction des entreprises quels que soient leur taille et leur secteur.

Femmes et entrepreneures : une réalité en demi-teinte

En tant qu’entrepreneur, les femmes sont également loin d’atteindre la parité (Rapport Bel 4, 2009). Si nous considé- rons comme entrepreneur celle qui dirige

1 Insee Références, Fiches thématiques « Travail, em- ploi » - Regards sur la parité - édition 2012.

2 McKinsey, Women Matter, Women at the top of corpo- rations: making it happen, octobre 2010.

3 Loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à la repré- sentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’éga- lité professionnelle.

4 Bel G. L’entrepreneuriat au féminin, Avis et Rapports du Conseil Économique et Social, République française, octobre 2009.

et possède la majorité du capital de son entreprise, alors elles ne représentent qu’un tiers du total (APCE, 2009 5).

La place des femmes Ű

à la direction des entreprises

Compte tenu des méthodes d’enregistre- ment concernant les entreprises, leurs propriétaires et leur mode de gouver- nance, il reste difficile d’accéder avec précision aux chiffres de l’entrepreneuriat féminin 6. En outre, et bien que les estima- tions recensées varient entre 25 et 30 %, le plus inquiétant est la stagnation sur vingt ans 7. Davantage présentes à la tête des entreprises individuelles (32 %) que des sociétés (21 %), elles se situent essen- tiellement dans des micro structures.

Il s’agit généralement de leur première entreprise puisque plus de 4 femmes sur 5 n’ont jamais créé ou dirigé une firme dans leur passé professionnel (APCE, 2009). De plus, bien que détentrices d’un diplôme plus élevé que les hommes, à 44 % de l’en- seignement supérieur, elles s’installent souvent dans des secteurs peu contrai- gnants en termes de barrières à l’entrée 8. Les secteurs d’activités privilégiés sont le commerce de détail, les services aux entreprises et aux personnes, la santé et l’éducation en majorité.

L’ensemble de ces points converge pour montrer que la ressource féminine est pré-

5 APCE, Les créatrices d’entreprises, octobre 2009.

6 PME/TPE en Bref, Une photographie de l’entrepre- neuriat féminin au-delà des clichés, n°30, février 2008 ; http://www.pme.gouv.fr

7 Observatoire Fiducial de l’entrepreneuriat féminin, 2006 ;

http://www.fiducial.fr/files/fiducial/pdf/observatoi- re2006.pdf

8 Carrier C., Julien P.A., Menvielle W. « Un regard criti- que sur l’entrepreneuriat féminin : une synthèse des étu- des des 25 dernières années », Gestion, 2, Vol.31, 2006, p.36-50.

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sente mais encore insuffisamment déve- loppée et valorisée (Observatoire Fiducial, 2006). Les principales causes sont connues et régulièrement explicitées.

Tout d’abord, une éducation spécifique liée à un statut idéalisé de femme et (future) mère, elle-même éducatrice, les fige encore dans un rôle domestique non partagé et conduit à une socialisa- tion différente des filles fondée sur des stéréotypes (Bourdieu, 1998) 9. Schéma- tiquement, cela commence dès l’enfance (la segmentation des jouets en fonction du sexe en étant une illustration presque caricaturale), puis par une scolarité per- çue comme une valeur ajoutée à condi- tion de ne pas être supérieure à celle du futur conjoint (avec une orientation moins ambitieuse 10).

Ensuite s’ajoutent leurs qualités perçues dans les entreprises et le positionnement global dans la Société, qui tend à accen- tuer la supériorité, voire la domination masculine (Bourdieu, 1998). Dans l’ensem- ble, ces facteurs assortis des croyances, valeurs et cultures, contribuent à forger une image et une identité de la femme plus souvent dévalorisée, voire négative en dehors de la maternité et de son foyer.

Dès lors, ce statut infériorisé du travail à l’extérieur explique à la fois les inégalités

9 Bourdieu définit l’habitus en lien avec la socialisation, comme un système de disposition durable et structuré acquis dès l’enfance (par transmission, inculcation, imi- tation, observation et interactions), qui conditionne les schèmes individuels de perception, de pensée et d’action.

Bourdieu P. (1998), La domination masculine, Seuil : Paris, 142 pages.

10 Demouge (2006 : 206) parle de « ségrégation scolaire qui se modifie peu » entre hommes et femmes, et mal- gré certains progrès, « la qualification des femmes reste inférieure à celle des hommes ». Demouge N. (2006),

« L’orientation et la problématique du genre », In Danvers F. (2006), Modèles, concepts et pratiques en orientation des adultes, Les Presses Universitaires du Septentrion : Villeneuve d’Ascq, p. 179-222.

mais aussi un sentiment latent de culpa- bilité 11, poids supplémentaires pour un entrepreneur au féminin qui n’en a guère besoin (Duchenéaut et Orhan, 2000 ; Lee- Gosselin, 2009) 12. Dans ces conditions, c’est souvent après une phase de rupture (changement dans la vie privée et/ou pro- fessionnelle, maternalité 13, congé paren- tal, chômage, formation...), agissant comme un déclencheur positif ou négatif, que les femmes dépassent cette vision de rôles contradictoires, reconstruisent leur image d’elles (fin de l’inégalité salariale et du plafond de verre) et se revalorisent à travers le projet entrepreneurial (par la création de leur emploi et de leur statut, voire de ceux d’autres personnes grâce au recrutement de personnel).

Femmes repreneures : Ű

un statut à choix multiple

Bien que globalement proches à première vue des motivations qui prévalent pour la création d’entreprise, celles qui pous-

11 Pour Corbeil, Descarries, Gill et Séguin (1990 :106), les femmes se trouvent dans « une situation d’ambivalence et de culpabilité envers leur mère, leur conjoint, leurs en- fants, leur employeur et leurs collègues. Or, ( ), ce n’est pas la maternité en soi qui pose problème, mais bien ses conditions sociales d’exercice. Autrement dit, ce n’est pas tant l’expérience maternelle qui rend si difficile l’articula- tion du travail salarié au travail maternel, mais bien l’as- signation quasi exclusive des femmes aux travaux domes- tiques et à la prise en charge des enfants, d’une part, et l’incapacité de repenser les responsabilités à l’égard des enfants en matière de responsabilités conjointes des pa- rents et de la société, d’autre part ». Corbeil C., Descarries F., Gill C. et Séguin C. (1990), « Des femmes, du travail et des enfants : des vies dédoublées », Nouvelles pratiques sociales, vol. 3, n° 2, p. 99-115.

12 Duchéneaut B., Orhan M. Les femmes entrepreneurs en France, Editions Seli Arslan, Paris, 2000.

Lee-Gosselin H. « Les femmes entrepreneurs : des ques- tionnements à renouveler », in Gasse Y. (Ed.), L’entrepre- neuriat francophone : évolution et perspectives, L’Harmat- tan, 2009, p. 63-72.

13 Par maternalité, il est entendu l’ensemble de processus psycho-affectifs qui se développent chez une femme à l’oc- casion de ses maternités successives (Racamier, 1961).

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Entreprendre & Innover / Septembre 2012 / 61 Katia Richomme-Huet, Aude d’Andria

sent un entrepreneur à vouloir reprendre une organisation existante diffèrent sur le fond. Certes, il faut vouloir se réaliser en étant son propre patron, saisir et déve- lopper de nouvelles opportunités… mais surtout être prêt à acheter un outil de pro- duction qui existe déjà et dans l’état où il se trouve. Or, les entreprises à reprendre n’affichent pas toutes le même état de santé : la répartition serait autour de 60 % de firmes saines, 25 % de « saines en appa- rence » et 15 % en difficulté 14.

Il existe différentes modalités de reprise pour les femmes non intéressées par la création ex nihilo. Trois formes sont présentées ici : la succession, la reprise par une salariée de l’entreprise (RES), la reprise par une femme personne physique extérieure (RPP) 15. D’un côté, la succes- sion intervient lorsque l’entreprise appar- tient à la famille, ce qui transforme la fille en héritière et en successeur, avec une continuité de la dimension familiale par le transfert de la propriété et de la ges- tion 16. De l’autre côté, c’est par le rachat d’une entreprise existante que l’entrepre- neur féminin réalise ses ambitions. Elle peut profiter du départ à la retraite de son patron ou d’une situation difficile l’en- treprise qui l’emploie pour la racheter : il s’agit alors d’une reprise par une ou plu- sieurs salariés (RES) et lorsque le repreneur

14 Deschamps B. et Paturel R. Reprendre une entrepri- se, saine ou en difficulté, Dunod, Paris, 2002, 2005 et 2009

15 Nous excluons ici la reprise par une personne morale (filiale, fusion et acquisition) ainsi que la vente et/ou la liquidation de l’entreprise.

16 Constantinidis C. « Entreprise familiale et Genre : les enjeux de la succession pour les filles », Revue Française de Gestion, 2010, p. 143-159

Richomme-Huet K., De Freyman J. « Father-Daughter Suc- cession in France: the ONET Group Case Study » in Halkias D., Thurman P., Smith C., Nason R. (Eds) Father-Daughter Succession in Family Business: A Cross-Cultural Perspec- tive, Gower Publishers, London, 2011, p. 109-115

et l’entreprise n’ont aucun lien initial, il s’agit d’une reprise par une personne phy- sique (RPP). En France, 20 % des femmes reprendraient une entreprise par héritage ou par donation (APCE, 2009) avec deux types de situations observés. Dans un pre- mier cas, les femmes reprennent l’entre- prise de leur conjoint qui part en retraite, pour compléter leurs propres trimestres (elles participaient déjà à l’activité). Dans le second cas, elles reprennent l’activité héritée (conjoint ou famille) en atten- dant de pouvoir céder cette entreprise.

Concernant les chiffres de reprise externe, le phénomène semble encore plus réduit et confine à être ultra-minoritaire puisque seulement 5 % des repreneurs externes potentiels sont des femmes (Observatoire du CRA, 2006).

Autrement dit, quelle que soit la forme de transmission, les cas sont plutôt rares.

C’est pourquoi, il paraît intéressant de met- tre en exergue trois cas pour montrer, au- delà de leur singularité, leur exemplarité.

L’objectif poursuivi est d’aller contre les a priori et d’illustrer le spectre des situations rencontrées tant du côté de la femme (et des choix qui l’ont conduite à cette situa- tion) que de celui de l’entreprise transmise compte tenu de son état de santé.

Trois femmes relèvent le défi

Le premier cas s’intéresse à la succession d’une PME familiale saine (la Société Arté- sienne de Minoterie), le deuxième cas décrit la reprise par une salariée d’une PME familiale en difficulté (l’entreprise Tolix Steel Design) et le troisième cas concerne une TPE saine en apparence (la société Hermès Maintenance) 17.

17 Nous avons collecté les informations à partir d’entre- tiens menés auprès de ces femmes repreneurs (au total, nous disposons de 7 entretiens de 10 à 20 minutes). Nous

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Cas 1 - La succession au féminin : Ű

(ap)prendre et trouver sa place dans une entreprise saine

Candidates invisibles, qualifiées de succes- seurs par défaut, de la dernière chance ou de second choix, voire dans certains cas de solution temporaire, les femmes arrivent très souvent à la tête de l’entreprise fami- liale de façon presque fortuite, à la suite d’une succession mal ou non préparée. Le cas de Martine Tartar à la tête de la Société Artésienne de Minoterie (SAM) est assez illustratif de ce type de circonstances (Cf.

Encadré 1). Enfant unique et dernier espoir d’un père déjà âgé, elle se retrouve propul- sée à la direction de la SAM à peine ses étu- des d’ingénieur terminées (en 1976). « Au départ, je n’étais pas du tout câblée pour être meunier et pour reprendre l’entreprise familiale, mon père était âgé ; donc le pro- blème de la succession s’est posé ; je suis arrivée en disant si cela me plaît je reste, sinon je m’en vais ». Cependant, une fois en place, cette héritière va vite se révéler être la femme de la situation.

La position « insolite » de Martine Tartar, femme chef d’entreprise aurait pu la dés- tabiliser mais elle a su déployer et faire reconnaître la palette de ses compétences techniques, managériales, humaines et entrepreneuriales à l’ensemble de sa pro- fession. « C’est un milieu très masculin. ( ) Il n’y a pas une femme dans notre métier, alors il y a 35 ans, vous imaginez mais je suis arrivée jeune femme et, tout compte fait, cela s’est bien passé ». C’est pour-

avons privilégié la démarche de la réutilisation des don- nées qualitatives (Chabaud et Germain, 2006) puisqu’elle permet de (re)lire avec un filtre nouveau une même réa- lité. De plus, nous avons complété nos données avec des sources documentaires secondaires afin de mieux contex- tualiser les éléments mis en avant.

Chabaud D. et Germain O. « La réutilisation des données qualitatives en sciences de gestion : un second choix ? », M@n@gement, vol. 9, no. 3, 2006, p. 199-221.

quoi, et quand les conditions le permet- tent, la gestion progressive du successeur (homme ou femme) par une immersion précoce dans l’entreprise peut faciliter la succession. L’objectif est de permettre à chacun de se convaincre des compétences de l’héritièr(e), de sa réelle envie d’assu- mer la continuité et de son engagement affectif pour assurer la pérennité sans de la structure familiale 18. Ce point est fon-

18 Ici, sans doute parce qu’instruite de sa propre expé- rience, le processus successoral a été planifié par la chef d’entreprise. On peut seulement noter qu’il s’agit de Mat- thieu, le fils de Martine et non pas de sa fille également ingénieur.

Encadré 1 : La SAM, une succession par la fille (héritière)

Société de meunerie du Pas de Calais (à Vitry en Artois), SAM est une entreprise familiale de plus de quatre générations.

Indépendante, petite parmi les grands, l’entreprise (35 000 tonnes de farines, 11 millions € de CA et un effectif de 23 sala- riés) se positionne à la 30e place de son marché. Femme parmi des hommes dans un « métier d’hommes », Martine Tartar a repris l’entreprise sans y être préparée, elle a appris le métier de meunier sur le tas. Sa conviction profonde est qu’il faut savoir rester attentif à ses clients. Pour assurer son développement, elle a choisi une stratégie de niches haut de gamme dans sa région.

Pionnière dans le développement de la filière qualité, elle engage très tôt son entreprise dans plusieurs démarches de certification, obtenant en 2003 les certi- fications HACCP (alimentation humaine) et GMP (alimentation animale), puis les référentiels ISO 22000 en 2006 et ISO 14001 en 2009. Convaincue et opiniâtre, Martine Tartar prône depuis ses débuts une politique de développement respon- sable fondée sur une zone d’activité de proximité (clients et fournisseurs régio- naux).

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damental lorsqu’il s’agit d’une femme, le but étant alors de la légitimer dans son rôle de dirigeante, car elle est souvent perçue de façon moins affirmée que ne pourrait l’être un successeur mâle.

Cas 2 - La reprise par une salariée Ű

d’une entreprise en difficulté

En cette période de crise, le nombre de PME en difficultés ne cesse d’augmenter 19. Ainsi, après le dépôt de bilan qui facilite la mise en œuvre des mesures de sauvetage, le stade ultime des procédures collecti- ves est la mise en liquidation judiciaire.

Il appartient alors au mandataire ad hoc et/ou à l’administrateur judiciaire de trou- ver un repreneur ou à défaut d’établir un bilan économique et social à l’attention du Tribunal qui fera alors cesser l’activité.

Il faut donc une certaine dose de courage, de lucidité et d’engagement au repreneur pour racheter dans de telles conditions, surtout quand il s’agit d’un ou plusieurs salarié(s) qui engage(nt) leurs indemnités de licenciement. Tel a pourtant été le cas de Chantal Andriot, salariée de Tolix Steel Design lorsqu’elle a décidé de reprendre l’entreprise, figure emblématique dans le secteur de la tôle emboutie et du design industriel (Cf. Encadré 2).

Ce renouveau spectaculaire est dû à une femme qui s’est refusée à la résignation.

« L’idée [de la mort de Tolix] m’était insupportable ! La société était en liquida- tion judiciaire, j’ai donc proposé un plan de reprise, très modeste, au tribunal de commerce. Sur les trois propositions de reprise, c’est mon offre qui a été retenue ( ) C’est aussi simple que cela ! ». Elle a

19 Environ 60 000 entreprises ont fait l’objet d’une pro- cédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire en 2010 / Cabinet Altares, Défaillances et sauve- gardes en France : Bilan de l’année 2010, 18 janvier 2011.

Encadré 2 : Tolix, une entreprise galvanisée par la reprise d’une salariée Ébranlée par le « tout plastique » des années 1980-1990, l’entreprise Tolix a connu un déclin continu pendant plus de dix années jusqu’à sa mise en liqui- dation judiciaire. La famille fondatrice et propriétaire, cinquième génération, est alors décidée à tourner la page. Mais Chantal Andriot se refuse de voir mourir cette entreprise centenaire. Entrée com- me comptable dans les années 1970, puis directrice du service et des ressour- ces humaines, elle croit à l’entreprise, ses produits et le savoir faire des salariés.

Son dossier de reprise, cautionné par la ville d’Autun, fait l’unanimité. Devenue propriétaire et dirigeante de Tolix Steel Design en 2004, Chantal Andriot, femme dans un univers d’homme va s’attacher au redressement de son entreprise. Huit ans plus tard, le pari est tenu avec une croissance éloquente (2004 : dépôt de bilan et reprise avec 20 salariés ; 2009 : 5,3 millions de CA et 60 salariés ; 2011 : 9 millions € et 90 salariés). L’histoire a commencé en 1907 avec le fondateur, Xavier Pauchard, ouvrier-zingueur.

Pionnier de la galvanisation industriel du métal, il est devenu incontournable sur les marchés nationaux et internatio- naux dès les années 1930. Sous la mar- que Tolix, l’entreprise équipe aussi bien les administrations, les cafés, les hôpi- taux, les salles de classe, que le paque- bot Normandie, l’exposition universelle de 1937 et les musées de New York, de Paris et de Suisse. Dotée aujourd’hui de machines numériques ultra-performan- tes (qui accompagnent les nombreuses opérations manuelles) et de l’outillage hérité de l’histoire, Tolix s’est moder- nisée en élargissant sa gamme et sans délocaliser son outil de production.

Multipliant les collaborations avec les créateurs, Chantal Andriot a su réussir sa métamorphose en instituant un mo- bilier intemporel.

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fait preuve d’une grande modestie dans l’action et a mené son projet de reprise comme celui de l’évidence. « Il fallait sau- ver cette entreprise qui souffrait surtout d’une mauvaise gestion. Je n’ai pas fait la révolution, juste des aménagements. Mais nos clients distributeurs ont vu le change- ment ». Chantal Andriot a parié sur les valeurs qui ont toujours prévalu, l’innova- tion et la qualité. « Les chaises cultes sont fabriquées exactement de la même façon qu’en 1930. J’y tiens ». Mais cette femme entrepreneur n’est en rien passéiste. Avec l’inauguration d’une 3e usine en 2012, elle continue d’assurer l’expansion et se propose de façonner un nouveau destin familial à cette PME en y intégrant pro- gressivement ses deux enfants.

Cas 3 - La reprise par une femme Ű

extérieure à l’entreprise : le pari de l’expertise

Le repreneur personne physique externe est un entrepreneur sans lien avec l’entre- prise rachetée. Au début, ses seules infor- mations proviennent du cédant et son entourage, sauf s’il a été précédemment en relation en tant que client, fournisseur ou banquier par exemple. À partir de ces éléments factuels juridiques, financiers et commerciaux, le repreneur identifie les forces et les faiblesses de la cible, effectue une analyse stratégique et estime sa valeur afin de confirmer ou d’infirmer son intérêt.

Puis une fois son choix arrêté, il constitue son dossier de reprise à partir de son dia- gnostic et des réflexions stratégiques rete- nues pour l’activité future de l’entreprise.

Enfin, il définit les cadrages juridiques et financiers afin de pouvoir opérer le trans- fert de propriété et de management selon des modalités acceptées par les deux par- ties. Ce processus mobilise l’intervention de multiples acteurs spécialisés, requiert

une excellente compréhension de la dimension humaine pour prendre en main l’entreprise et en devenir le dirigeant avec une équipe déjà en place. C’est effecti- vement ce qui s’est passé pour Carine Rouvier lorsqu’elle décide de reprendre Hérés Maintenance Bâtiment et ses trois salariés, entreprise d’apparence saine (Cf.

Encadré 3).

Encadré 3 : D’Hérés Maintenance Bâtiment à Europamiante : une femme

repreneuse dans un univers masculin Lorsqu’elle décide de se mettre à son compte, Carine Rouvier a 38 ans. Comp- table de formation, elle a acquis au fil des postes une solide expérience de gestionnaire jusqu’à devenir Directrice administrative et financière de Dépar- tement d’une grande entreprise de res- tauration collective. Parce que « cela ne se faisait pas trop pour une fille », elle a longtemps enfoui son envie de deve- nir son propre patron, mais sans réelles perspectives d’évolution et « fatiguée du fonctionnement dans une grosse struc- ture », elle décide de reprendre en 2005 Hérès Maintenance, (située à Clichy sous Bois) spécialisée dans la rénovation en bâtiment. Carine Rouvier se rend vite compte que l’activité n’est pas très ren- table et décide de repositionner l’entre- prise sur un marché de niche, celui de l’amiante ou plutôt du désamiantage.

Marché d’expertise sécuritaire, il se révè- le relativement peu concurrentiel. Grâce à un travail de formation et d’intégra- tion des nouvelles normes, l’entreprise peut se prévaloir de deux certifications majeures (Qualibat et la certification pour le désamiantage non friable). Trois années plus tard (en 2008), Carine Rou- vier transforme Hérès Maintenance en SARL Europamiante et déménage ses locaux sur Meaux. Depuis, elle connaît un fort développement et son effectif double tous les ans : 10 salariés en 2009, puis 20 en 2010, et 45 en 2011.

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Entreprendre & Innover / Septembre 2012 / 65 Katia Richomme-Huet, Aude d’Andria

Pari un peu fou et pas facile au départ, Europamiante est une entreprise qui a su se positionner sur un marché de niche en plein développement. « Nous sommes peu nombreux en France à avoir cette activité, le marché est relativement peu concur- rentiel ». Et pour cause, métier dange- reux et « typiquement masculin », être une femme dans le milieu de l’amiante permet à Carine Rouvier de proposer un autre regard sur des problématiques asexuées comme l’emploi et la trésorerie :

« Nos principales difficultés sont liées au recrutement de personnel compétent et expérimenté. [Alors], nous investissons beaucoup dans la formation ». Il s’agit d’expliquer en communicant et en main- tenant une rigueur stricte tout en faisant confiance et en déléguant : « je suis une maniaque du suivi strict de l’administratif et des opérationnels ». Avec le recul, elle ne changerait rien à son parcours de repre- neuse et entrepreneuse : « Rien, pas un iota… ni les galères ni les échecs qui m’ont permis de capitaliser et d’avancer ».

Faciliter la transmission des PME pour les femmes

Coïncidence ou convergence ? Dans les trois cas, ce n’est pas la femme repre-

neure qui pose problème mais plutôt les circonstances qui amènent celle-ci à la reprise et complexifient les conditions de son exercice.

Passer de l’extra à l’ordinaire Ű

Condition première mais non suffisante, les femmes doivent souvent compter sur l’absence d’un frère (non né ou désinté- ressé) pour postuler ou être désignées.

Avant tout processus successoral, il convient de ne pas minorer l’état des relations antérieures parents-fille et père- fille 20, qui déterminent largement le rôle et la place de la fille dans la famille et dans l’entreprise, ainsi que la qualité du transfert managérial et patrimonial. Le cas 1 illustre un cas de succession fami- liale mal (et non) préparée. Mais l’unique héritière Martine Tartar a su faire preuve de pragmatisme et démontrer sa capacité à proposer et à mettre en place des choix stratégiques et techniques résolument différents. Dans le cas 2, c’est la passion et la fidélité à une entreprise qui ont poussé l’ex-directrice financière, Chantal Andriot à reprendre son organisation en liquidation. Elle a su fédérer avec elle une poignée de salariés et établir un projet cohérent, affirmant une assurance tran- quille de réussite. À travers son parcours, il ressort beaucoup d’humilité, qualité en lien avec une estime de soi souvent peu affirmée. C’est la réussite de l’entreprise, le développement des produits appuyé sur le savoir-faire de ses salariés qui sont mis en avant et non son action. Dans le cas 3, Carine Rouvier fonde sa réussite sur le res- pect de l’humain. Pour elle, cela signifie la reconnaissance des équipes, l’écoute, la formation et l’évaluation. Sensible

20 Voir le récent ouvrage de Halkias et al. (2011) sur la succession père-fille dans une perspective internationale.

Son secret : la formation dans les mé- tiers de la démolition et du désamian- tage afin de disposer d’ouvriers et tech- niciens qualifiés, de tous âges. Elle a d’ailleurs reçu en novembre 2010 l’agré- ment RQE (Recherche Qualité Environ- nement) qui reconnaît l’ensemble des démarches améliorant ses pratiques pro- fessionnelles, la protection des hommes et la réduction des polluants. Une belle progression qui n’est pas sans risque !

« Mais nous avons la chance d’avoir un banquier qui nous suit, et des conseillers qui nous entourent ».

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également aux problématiques d’intérêt général, elle a mis en place des actions de formation autour de l’égalité profession- nelle, l’acquisition des savoirs de base, l’emploi des travailleurs handicapés et des seniors. À partir de son expérience, elle conseille aux femmes de « se libérer des carcans éducatifs dans lesquels on nous a souvent enfermées avec des obligations pesantes ». Ainsi, avec un marché de la reprise de l’ordre de 700 000 entreprises, il convient d’ouvrir le réservoir de femmes comme des repreneures crédibles.

Passer du discours Ű

à la concrétisation

En écho à cette réalité et dans un cadre plus global, les pouvoirs publics ont com- mencé à proposer des actions en faveur de l’entrepreneuriat féminin 21. La création d’un Observatoire par exemple devrait permettre de mieux quantifier pour mieux connaître l’entrepreneuriat féminin 22. De plus, des actions de communication et de sensibilisation auprès des jeunes filles quant à la diversification des métiers devraient notamment favoriser le goût d’entreprendre et lutter contre les stéréo- types. Il conviendrait également de ren- forcer les dispositifs de soutien et d’aide à l’accompagnement à la création et à la reprise. Mais sans objectif chiffré ni calen- drier précis, ces pistes d’actions risquent de rester du domaine virtuel.

En écoutant des femmes qui ont repris, il faut encourager les femmes à « savoir oser, aller de l’avant, ne pas hésiter » avec des mesures concrètes simples comme

21 Voir les 10 pistes d’action du Gouvernement présenté par Hervé Novelli, http://www.gouvernement.fr/gouver- nement/encourager-l-entreprise-au-feminin, mars 2008.

22 Cet Observatoire de l’entrepreneuriat féminin est pi- loté par l’APCE (préalablement réalisé par Fiducial entre 2002 et 2006).

des aides à la garde des enfants et aux tâches ménagères (ce qui créerait des emplois de proximité et compenserait le coût initial). En fait, il faut aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de la réalité des femmes au quotidien néces- sitant d’intégrer dans les dispositifs d’aide à l’entrepreneuriat féminin les contraintes induites par leurs missions familiales et parentales 23.

Pour conclure, il convient de réitérer un point essentiel : les femmes, créatrices ex nihilo, successeur ou repreneur, doivent être considérées au titre de leur contribu- tion économique majeure et non comme un simple enjeu de parité entre les genres.

Leur participation à la création de richesse, d’emplois et d’organisations mérite plus qu’un discours et devrait se concrétiser par des politiques réelles d’aide à un réé- quilibrage global de la parentalité.

Katia Richomme-Huet (Maître de Conférences HDR) est actuellement Professeur associé à Euro- med-Management, Ecole de Marseille, où elle enseigne dans le programme ESC et en MBA. Ses recherches portent sur l’artisanat, l’entrepreneuriat et les entreprises familiales.

Aude d’Andria est Maître de Conférences à l’Uni- versité d’Evry Val d’Essonne. Elle enseigne la GRH et les théories des organisations en master. Ses recherches actuelles s’inscrivent dans le champ de l’entrepreneuriat et plus particulièrement sur les problématiques de transmissions et de reprises d’entreprises en PME.

23 Cornet A, Constantinidis C., « Entreprendre au féminin.

Une réalité multiple et des attentes différenciées », Revue française de gestion, N°151, 2004, p. 191-204

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