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Comment retrouverons-nous demain la France? La

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LES GRANDES CONFERENCES DU « FIGARO »

RAYMOND BARRE

LA FRANCE

EN DIFFICULTE

C

omment retrouverons-nous demain la France ? L a question qui m'est posée m'inspire deux observa- tions préliminaires que je tiens pour essentielles.

La première est que cette question pourrait laisser croire

— surtout si l'on se place du point de vue de l'opposition à laquelle j'appartiens — qu'à la prochaine échéance, les élections législatives de 1986, l'alternance serait acquise. Je ne voudrais pas pour ma part passer sans précautions du souhait à la certi- tude de la victoire électorale de l'opposition.

Il y a certes de bonnes raisons de penser que, sauf événe- ment majeur, l'opinion publique française marquera en 1986, comme elle le fait dans de nombreuses consultations électorales locales, sa volonté de mettre fin à l'expérience du socialisme à la française.

Mais nous ignorons encore selon quelle loi électorale les Français seront appelés à voter. On peut tenir pour acquis que le scrutin majoritaire actuel sera remplacé par un autre mode de scrutin, dont la fonction essentielle sera d'empêcher l'appari- tion au sein de la future Assemblée nationale d'une majorité claire et solide. Le président de la République sait, d'une part, que le chef de l'Etat sous la Ve République a besoin d'une majorité parlementaire pour gouverner et, au lendemain de son élection, il s'est assuré par la dissolution de l'ancienne Assemblée nationale la majorité ample et fidèle qu'il souhaitait. Il peut, d'autre part, à bon droit douter de retrouver une semblable majorité ; il ne peut donc avoir d'autre objectif — s'il veut survivre — que de faire sortir des urnes une Assemblée nationale sans majorité afin d'y pouvoir, grâce au savoir-faire qu'il a acquis

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LA FRANCE EN DIFFICULTE 379 et manifesté sous la République précédente, dégager des combi- naisons de circonstances lui permettant d'attendre 1988. Je ne vois pas ce que le pays y gagnera : mais la politique d'inspiration partisane a ses raisons que la raison nationale ne connaît pas.

Il peut aussi se faire qu'en dépit d'une loi électorale conve- nablement « cuisinée », la vague puissante du rejet populaire conduise à l'Assemblée nationale une nette majorité nouvelle.

J'ai souvent dit que dans ces circonstances, la logique de la Ve République conduisait le chef de l'Etat à tirer les conséquences de la situation politique ainsi créée. Il paraît que cette conclusion serait par trop abrupte et qu'avec la compréhension du peuple français, il serait possible que la France soit gouvernée dans d'aussi étranges conditions que celles où le pouvoir effectif passe- rait des mains du président entre celles du premier ministre et où le gouvernement mettrait en œuvre son programme, comme si n'existait pas un président doté par la Constitution de pouvoirs propres et, tout particulièrement, du pouvoir discrétionnaire de dissolution.

Si une telle situation se présentait, j'en serais désolé pour mon pays, mais je constaterais avec philosophie que la France a sans nul doute besoin, après la cure de désintoxication écono- mique et sociale qu'elle est en train de subir, d'une cure de désintoxication institutionnelle et politique, qui faciliterait à terme le retour au réalisme et le profond renouvellement de la classe politique, dont le pays a, de temps à autre, besoin.

Par rapport à la première observation préliminaire que je souhaitais formuler, je conclurai simplement que, sous la V1' Répu- blique, l'alternance se produit au sommet de l'Etat et que le vrai changement ne pourra s'effectuer en France que lorsqu'il se réalisera là. L'échéance de 1986 n'est donc pas dépourvue de beaucoup d'incertitudes.

Ma seconde observation concerne l'importance pour notre avenir — quelle que soit l'issue des futures consultations élec- torales — de la prise de conscience par les Français de la situation exacte de notre pays, de ses handicaps, des contraintes auxquelles il aura à faire face, mais aussi des atouts dont il pourra disposer.

Depuis que j'ai été, en 1976, appelé à exercer des respon- sabilités gouvernementales, je n'ai jamais voulu dissimuler aux Français les réalités, ni sacrifier à cette sorte de sentimentalisme

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qui, sous prétexte de ne point rendre nos concitoyens malheureux et de ne pas les priver d'espoir, conduit à pratiquer un optimisme de commande et à leur faire miroiter de façon répétée une prochaine « sortie du tunnel ». Je n'ai jamais voulu à plus forte raison chercher à les abuser par des promesses démagogiques à visée électorale.

Un grand peuple — et je considère que notre peuple mérite d'être considéré comme tel — doit être conduit de manière sérieuse et avec respect, je veux dire sans recourir aux sorti- lèges de l'illusion, en fonction d'objectifs précis et avec fermeté.

Nous voyons aujourd'hui où mène le désir de faire rêver les Français : ils se retrouvent en plein cauchemar. Le prix de l'illu- sionnisme ou de la démagogie, ou de la simple crainte de regarder la réalité en face, c'est la perte de crédibilité durable de ceux qui s'y sont livrés.

L'appréciation aussi précise que possible de la situation de la France, une information sans complaisance des Français sur ce qui est réalisable et sur ce qui ne l'est pas, sur ce qui est requis et ce qui doit être écarté, la prise en compte par les responsables politiques des contraintes nationales et internationales, voilà ce qui est en tout temps une exigence de l'action gouvernementale, mais qui le sera surtout demain, si le changement venait, très nor- malement, libérer les attentes des citoyens et permettre aux reven- dications des catégories les plus diverses de se donner libre cours.

C

omment retrouverons-nous la France ? L a France sera demain ce qu'auront fait d'elle les mutations qui caractérisent le monde et l'Europe, les succès et les échecs du passé, les graves conséquences de la politique appliquée depuis 1981, mais aussi le comportement du peuple français, dont Toc- queville a pu dire avec raison « qu'il est tellement mobile dans ses pensées journalières et dans ses goûts qu'il finit par devenir un spectacle inattendu à lui-même et demeure aussi souvent surpris que les étrangers à la vue de ce qu'il vient de faire ».

Je ne me livrerai pas au procès systématique d'une expé- rience politique, qui ne se déroule — ne l'oublions pas — que parce qu'une majorité des Français l'a voulue. Consciemment ou inconsciemment, par un choix délibéré ou par un vote d'humeur, qu'importe ! Le résultat est là ! L'objectivité est donc essentielle,

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surtout pour demain, si nous voulons éviter des réactions pure- ment idéologiques et dégager un diagnostic que la plupart des Français soient disposés à admettre et qui soit, dès lors, une base largement acceptée pour l'action à conduire.

Il y a une réalité que les Français doivent comprendre et qui s'imposera à tout gouvernement, de quelque tendance qu'il soit, dans les prochaines années : la France est affaiblie et appau- vrie.

\Jevolution démographique de la France est un sujet de grande préoccupation. En 1983, le taux de natalité a été, dans notre pays, proche du niveau le plus bas observé pendant l'après- guerre. L'indice de fécondité est inférieur à celui qui est néces- saire pour assurer le renouvellement des générations et se tient en dessous du niveau qui était le sien dans les « années trente » ; on observe un mouvement continu de baisse des mariages, un degré de vieillissement de la population qui n'a jamais été aussi élevé ; le nombre des moins de vingt ans est inférieur à 30 % de la population totale au 1e r janvier 1984.

La stagnation démographique de la France et le vieillisse- ment de sa population privent notre pays du dynamisme qu'insuffle à une société et à une économie une population jeune et entrepre- nante. C'est moins le service des retraites, quelque légitime que puisse être ce souci, que la vitalité de la nation qui est affectée par notre évolution démographique. Pour renverser la tendance, la mise en place d'une politique à long terme en faveur de la famille et en faveur de l'enfant s'impose. Mais, en ce domaine, les incitations financières risquent d'être impuissantes si les valeurs de générosité et de dévouement ne recommencent à prévaloir sur l'individualisme, l'égoïsme et la facilité qu'ont favorisés les temps de la prospérité, si le climat économique ne se caractérise pas par un retour à la confiance en l'avenir.

C'est dire l'importance et l'urgence que revêt l'action pour revitaliser l'économie française, aujourd'hui atteinte de leucémie.

Les Français ne se sont pas rendu compte, à cause de l'expan- sion continue et brillante des vingt dernières années, de la vulné- rabilité de notre économie. Or tout observateur attentif pouvait au début des années soixante-dix en discerner les causes :

— une industrie comportant, à côté d'entreprises prospères et conquérantes, un grand nombre d'autres

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entreprises souvent mal gérées, bénéficiant de concours financiers de l'Etat, recourant à un endettement trop important par rapport aux fonds propres dont elles dispo- saient, peu tournées vers l'exportation et obsédées par la protection du marché intérieur, survivant en fin de compte par l'inflation et par les ajustements du franc ;

— une agriculture ayant entrepris à partir de 1960 une gigantesque mutation, ayant accru sa production, développé ses investissements, apportant à notre balance commerciale un surplus important, mais trop dépendante de subventions et crédits bonifiés de toutes sortes, d'une augmentation notable et régulière des prix dans le Marché commun, d'un financement communautaire que l'on pou- vait croire pour des raisons politiques sans limite, en un mot une agriculture dont l'expansion quantitative n'a pas été suffisamment accompagnée d'un effort de compétiti- vité et de liaison structurelle avec l'industrie agro-alimen- taire ;

— une rigidité des relations sociales se traduisant par l'application sans discernement à une économie très hétérogène de dispositions légales, réglementaires ou conventionnelles uniformes, qui étaient à l'origine de coûts et de charges affaiblissant la capacité de concur- rence des entreprises ;

— enfin une gestion de l'économie caractérisée par l'utilisation des contrôles, par une intervention constante de l'administration, par des conceptions inadaptées en matière d'investissement (l'investissement à tout prix), de crédit (le crédit bon marché), de monnaie (il faut déva- luer pour exporter davantage).

Ces observations, je les ai personnellement faites alors qu'à Bruxelles, responsable des affaires économiques et monétaires dans la commission des Communautés européennes, je comparais les structures et les performances des diverses économies euro- péennes et extra-européennes. Le premier choc pétrolier, puis la crise profonde et durable qui a frappé le monde depuis le milieu des « années soixante-dix », ont fait disparaître les facteurs interna- tionaux favorables, qui masquaient la vulnérabilité des économies industrialisées, et, parmi elles, celle de l'économie française. Je

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LA FRANCE E N DIFFICULTE 383 ne pensais pas à l'époque qu'il me reviendrait quelques années plus tard d'assumer la responsabilité de la remise en ordre des affaires françaises, remise en ordre qui impliquerait non seule- ment un rétablissement de nos équilibres fondamentaux, mais une adaptation de nos structures et un changement profond des méthodes de gestion de notre économie.

L'action alors entreprise au milieu de grandes difficultés poli- tiques et économiques internationales, et de déplorables tensions sociales et politiques intérieures, d'une défense forcenée par les catégories socio-économiques de leurs avantages, avait cependant abouti à redonner la liberté des prix aux entreprises et à améliorer leurs structures financières, à tenir les finances publiques, à stabi- liser la monnaie, à mettre un terme à la surindexation des rému- nérations allègrement pratiquée depuis de nombreuses années.

Mais c'était une tâche de longue haleine que celle qui consistait à faire de l'économie française une économie moderne, compa- rable à celle de ses principaux partenaires et concurrents et capable d'assumer la concurrence internationale.

Depuis 1981, les facteurs de vulnérabilité sont aggravés:

— extension du secteur public par les nationalisa- tions, ce qui accroît l'emprise de l'Etat sur les activités économiques et alourdit les charges pesant sur les finan- ces publiques ;

— multiplication des contrôles sur les entreprises, ce qui dément en pratique les propos socialistes-libéraux dont nous sommes aujourd'hui abreuvés après les incanta- tions du « socialisme à la française » ;

— augmentation massive des charges pesant sur les entreprises : qu'on sache que la Régie Renault, à la fin de 1980, était bénéficiaire et que le troisième choc après les deux chocs pétroliers, je veux dire le « choc socialiste », est le principal responsable de ses déficits depuis 1981 ;

— développement des activités soumises à des

« statuts », ce qui aggrave la rigidité des relations éco- nomiques et sociales ;

— apparition, avec la décentralisation, de niveaux multiples d'administration : commune, département, région et Etat, ce qui a tendance à entraîner les chevau-

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chements de responsabilités, les financements croisés, et à créer des écrans supplémentaires entre le pouvoir poli- tique et les citoyens.

Mais les conséquences les plus sensibles de la gestion posté- rieure à 1981 se manifestent dans le domaine financier:

— d'une part, la détérioration des finances publi- ques, qui se traduit par un accroissement constant du déficit budgétaire depuis 1981 (un déficit de 150 milliards est officiellement reconnu en 1984) en dépit d'une ponc- tion fiscale massive et, par voie de conséquence, une augmentation également massive de la dette publique ; comme celle-ci est financée pour plus de la moitié par l'émission de bons du Trésor, une mine inflationniste est posée sur la voie du développement futur de notre éco- nomie ;

— d'autre part, l'endettement de la France sur le plan international : nous pouvons évaluer cet endette- ment à la fin de 1984 à environ 60 milliards de dollars ; durant les dix premiers mois de 1984, les emprunteurs français ont levé à l'étranger plus de 10 milliards de dollars. Même si la balance des paiements courants de la France redevient équilibrée — ce que je souhaite per- sonnellement pour des raisons nationales —, il n'en res- tera pas moins que nous serons contraints dans l'avenir de continuer à emprunter pour rembourser la dette exté- rieure. La France a suffisamment de crédit pour y faire face. Mais ce que les Français doivent comprendre, c'est que le service de la dette extérieure ne leur permettra pas dans l'avenir de bénéficier de la totalité du produit qu'ils pourront obtenir par leur travail. C'est l'occasion de leur rappeler notre vieil adage : « Qui paie ses dettes s'enri- chit. »

Si je n'ai point jusqu'ici parlé de l'emploi, c'est parce que, contrairement à une conception largement répandue en France, il ne peut être traité en soi, indépendamment du contexte écono- mique et social.

Ce qu'il y a de plus préoccupant aujourd'hui dans la situa- tion de l'emploi en France, ce n'est pas l'augmentation du nombre

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LA FRANCE EN DIFFICULTE 385 de demandeurs d'emploi; c'est le fait que depuis 1981, l'éco- nomie française non seulement ne crée plus d'emplois, mais en perd régulièrement. Il avait été créé 270 000 emplois entre 1976 et 1980; 250 000 emplois ont disparu dans l'ensemble de l'éco- nomie depuis trois ans. Quand on recherche les causes majeures de cette évolution, on découvre bien évidemment celles tenant au ralentissement de l'activité économique, mais aussi des causes tenant à des traits structurels propres à la France :

— l'absence de flexibilité du marché du travail ;

— la rigidité des salaires, qui sont fixés sans tenir compte de la situation différenciée des entreprises ;

— l'existence de dispositions légales ou conven- tionnelles qui limitent la durée d'utilisation des équipe- ments productifs de nos entreprises.

Le souci de protection des salariés, légitime pour une bonne part, a abouti à limiter la capacité d'adaptation des entreprises à l'évolution des marchés, à accroître leurs coûts et à réduire leurs ressources pour l'investissement, à favoriser une politique malthusienne de l'emploi, c'est-à-dire en fin de compte à desservir l'intérêt à long terme des travailleurs et notamment des jeunes à la recherche d'un emploi.

Le gouvernement socialiste a enfin découvert et compris qu'il n'est pas possible de résoudre les problèmes de l'emploi si les entreprises ne sont pas capables de faire des profits. Ce qu'il y a cependant de dangereux dans la situation actuelle, c'est que le gouvernement socialiste entend rétablir la rentabilité des entre- prises par l'encadrement généralisé des salaires et l'amputation du pouvoir d'achat et par l'acceptation de licenciements massifs.

Je ne suis pas sûr que ce soit là la méthode la meilleure pour redonner aux entreprises des marges d'autofinancement satisfai- santes. Aux profits dégagés par les procédés de l'économie de contrainte, je préfère les profits nés d'un dynamisme des entre- prises au sein d'une économie de liberté, où les chefs d'entreprise et les salariés assument leurs responsabilités respectives, où les contrôles étatiques et administratifs font place aux contraintes de la stabilité de la monnaie, de la stricte gestion des finances publi- ques et de la concurrence intérieure et internationale. C'est ce type de gestion économique pratiqué par nos partenaires et concur- rents qui peut assurer à la fois le développement aussi régulier

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que possible de l'économie et un progrès social reposant sur les fondements solides de la productivité et de la compétitivité.

Mais l'emploi dépend aussi — et peut-être d'abord — de la formation des hommes. A cet égard, la politique du gouverne- ment actuel n'a guère contribué à l'amélioration de notre système d'éducation. J'ai de bonnes raisons de connaître les insuffisances qui le caractérisent. Elles ne datent pas de 1981. Le système d'enseignement en France a été profondément perturbé depuis

1960 par l'afflux des élèves et des étudiants, auquel il a fallu faire face par un programme considérable de constructions sco- laires et de création d'universités ainsi que par des recrutements massifs, d'une qualité moindre que par le passé. Les événements de 1968 ont profondément ébranlé notre système scolaire et uni- versitaire. La syndicalisation étendue et la politisation croissante du corps enseignant n'ont cessé de le détériorer. Le système d'en- seignement français n'a plus été fidèle au principe de « laïcité » posé par Jules Ferry, c'est-à-dire le respect des convictions des jeunes et le refus de tout endoctrinement, de quelque sorte qu'il soit. J'ai pu, pour ma part, ayant entre 1976 et 1981 porté une attention particulière aux problèmes de l'éducation, mesurer les difficultés d'une remise en ordre du système d'enseignement fran- çais, tenant d'une part aux résistances corporatistes, d'autre part au manque d'intérêt des milieux politiques pour les problèmes de fond suscités par l'enseignement, enfin aux réactions négatives provoquées dans tout le corps enseignant — y compris celui le plus conscient de ses devoirs — par des tentatives autoritaires et réactionnaires, contraires aux traditions de liberté intellectuelle qui honorent l'enseignement français.

Depuis 1981, la loi d'orientation relative à l'enseignement supérieur compromet gravement l'avenir de nos universités, et je ne connais pas d'universitaire objectif — à quelque tendance poli- tique qu'il appartienne — qui n'en appréhende les graves consé- quences. L a regrettable tentation de créer un grand service public laïc et unifié de l'enseignement a connu l'échec qu'elle méritait : mais avions-nous besoin de cet affrontement d'un autre âge, auquel les parents d'élèves ont apporté la réponse qui convient : une démonstration puissante et tranquille de leur attachement à la liberté de l'enseignement.

Le nouveau ministre de l'Enseignement, M . J.-P. Chevène- ment, redécouvre les vertus de l'instruction civique et chante les

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LA FRANCE E N DIFFICULTE 387 louanges de 1' « élitisme républicain » : comment ne m'en félici- terais-je pas ! Mais que de temps perdu et surtout que de réformes, que d'habitudes prises, qui, en fait, nous en éloignent pratique- ment !

La démographie, l'économie, l'éducation, voilà trois sujets de préoccupation pour la France d'aujourd'hui et de demain, en dehors de tout jugement partisan. Les réalités sont là ! Elles sont là pour tout le monde, et aucun Français ne saurait échapper à leurs conséquences, même s'il s'obstinait à les ignorer.

L'affaiblissement et l'appauvrissement que j'ai mis en relief ont affecté l'autorité et les possibilités d'influence de la France en Europe et dans le monde. Si l'action du chef de l'Etat a pu faire impression pendant quelque temps en ce domaine parce qu'elle répondait aux vœux de certains milieux : gel des relations poli- tiques à haut niveau avec l'Union soviétique ; prises de position spectaculaires dans l'affaire du déploiement des euromissiles ; démonstrations amicales à l'égard de l'Etat d'Israël tout en main- tenant d'ailleurs des relations aussi étroites que possible avec les pays arabes et les Palestiniens ; soutien des mouvements de libération en Amérique centrale (en fait un curieux mélange d'atlantisme et de guevarisme), nous pouvons constater aujour- d'hui que les positions internationales de la France ne sont plus aussi solides que par le passé. Je ne m'en réjouis pas et j'ai trop le souci de l'image internationale de mon pays pour critiquer sans mesure ceux qui sont chargés de la faire respecter.

Mais comment nos déboires économiques, les avatars de notre monnaie, l'ampleur de notre endettement pourraient-ils ne pas retentir sur notre crédibilité internationale ? Cela peut se ressentir notamment dans les affaires européennes, quelle que soit l'action personnelle du chef de l'Etat pendant la présidence française, dont je n'ai pas hésité à dire qu'elle avait apporté des solutions souhaitables aux problèmes épineux auxquels la Commu- nauté avait à faire face. Mais je sais par expérience que dans les affaires communautaires, les intérêts de la France sont d'autant mieux défendus que « l'arrière tient » et je sais aussi par expé- rience que l'entente franco-allemande est d'autant plus efficace que les deux partenaires ne sont point en situation de disparité économique trop marquée.

Par ailleurs, comment ne pas exprimer étonnement et inquié- tude devant les développements récents et stupéfiants de l'affaire

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tchadienne, devant des tensions provoquées au Maghreb par des initiatives inopportunes, devant le malaise qui se manifeste en Afrique francophone, devant l'étrange voyage à Damas ?

Dans nos relations internationales, nous payons aujourd'hui le prix d'une politique fondamentalement équivoque, que ne semble, d'ailleurs, pas servir une diplomatie directe et personnelle à base de voyages !

A

i-je noirci le tableau ? Beaucoup de beaux esprits, beaucoup de bien-pensants ne manquent pas d'allé- guer que j'ai un penchant pour les analyses pessimistes ; ils esti- ment que même si j'étais dans le vrai, il vaudrait mieux tenir un autre discours pour ne pas décourager les Français, pour leur donner de l'espoir. Ces conseils, Dieu sait si je les ai entendus, de 1976 à 1981, dans l'opposition comme dans la majorité d'alors, tandis que je m'efforçais de réveiller les Français du somnambu- lisme dont ils étaient frappés dans une période où le monde était en pleine mutation et où ils n'avaient d'autre idée que de sauve- garder leur confort ! De divers côtés, on entreprit de leur démon- trer qu'il était nécessaire de s'en remettre aux « marchands de bonheur ». Ceux-ci n'étaient que des marchands d'illusions ! J'es- père que les Français se méfieront désormais pour longtemps de ceux qui leur promettront de faire leur bonheur ! Qu'on laisse les Français faire leur bonheur eux-mêmes !

Il vaut mieux recenser les raisons d'espérer :

— en premier lieu, la dure expérience que les Fran- çais font depuis trois ans leur a permis de prendre cons- cience de la nature de la crise à laquelle le pays doit faire face, c'est-à-dire de son caractère profond et durable et de l'effort d'adaptation qu'ils doivent accomplir pour faire face au nouvel état du monde ;

— en deuxième lieu, les Français ont pu mesurer les conséquences néfastes des politiques d'inspiration idéo- logique : « l'autre logique » dont le socialisme à la fran- çaise entendait démontrer les bienfaits a vite fait ses preuves ; il n'est d'autre logique que celle des réalités, c'est-à-dire la reconnaissance des contraintes internatio- nales et nationales auxquelles il n'est pas possible d'échap- per ;

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LA FRANCE EN DIFFICULTE 389

— en troisième lieu, les Français découvrent l'im- passe dans laquelle les ont conduits le recours incessant à l'Etat et la revendication constante des avantages qu'il distribue. L a croissance des dépenses publiques et sociales a pour corollaire la croissance des impôts et des cotisa- tions ; lorsque les recettes ne couvrent pas les dépenses, l'Etat s'endette, c'est-à-dire rejette sur les générations futures le financement des avantages qu'il distribue géné- reusement dans l'immédiat. De plus, la multiplication des contrôles freine les initiatives et détruit l'esprit de respon- sabilité. Enfin, la recherche constante de protection en vue de la sécurité détruit en fin de compte la sécurité elle-même parce qu'elle en diminue les moyens en affai- blissant les effets positifs de l'initiative et du risque.

Ainsi s'explique — en dehors des déclarations excessives des néo-libéraux — le mouvement général que l'on observe dans l'opinion pour que l'Etat cesse de se disperser, pour qu'il revienne à ses fonctions essentielles, et d'abord à la sauvegarde de la vie et des biens des citoyens, pour qu'il modifie les modalités de son intervention de manière à respecter la liberté d'action et les respon- sabilités propres des décideurs, pour qu'il joue son rôle essentiel d'incitation, d'orientation globale et d'arbitrage national, et rien de plus.

Les Français ont aussi compris qu'ils doivent accepter la concurrence internationale sous peine de régression ; ils ont du même coup compris que les protections étaient illusoires et dange- reuses, qu'ils devaient rechercher partout la compétitivité et que celle-ci s'obtient par la formation des hommes, la créativité et l'innovation. Mais ils ne veulent pas que leur pays s'adapte à la compétition sans la mise en œuvre d'une solidarité nationale permettant d'atténuer les coûts sociaux et humains du change- ment.

Enfin les Français ont compris, et c'est peut-être ce qu'il y a de plus important, que les entreprises ont un rôle central dans toute économie, que leur prospérité commande l'investissement et l'emploi, qu'il vaut mieux que les entreprises fassent des profits plutôt qu'elles n'accumulent des pertes.

Ainsi peut se caractériser le processus de « désintoxication » que la société française devait connaître et qu'elle est en train

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de connaître, et qui est le meilleur gage de son succès dans les rudes combats de l'avenir.

Ainsi un nombre de plus en plus grand de Français semblent en mesure désormais de s'accorder sur les objectifs à atteindre pour assurer le redressement et le progrès de la France dans un monde où la compétition sera inexorable : maintenir les institu- tions que la V République a données au pays ; assurer le renou- veau démographique de la France ; lui donner une économie compétitive, respectant les principes de l'économie de marché ; favoriser une société de progrès fondée sur la formation des hommes et le dialogue social et soutenue par une fiscalité qui ne dissuade pas le travail et l'épargne ; participer activement enfin à la construction de l'Union européenne et à la coopération inter- nationale au service du développement et de la paix.

Je suis pour ma part persuadé que les Français sont de plus en plus prêts à mettre en œuvre une stratégie d'indépendance et de progrès, fondée sur les puissants ressorts de la liberté et de la solidarité.

D

emain, la France sera toujours la France. Demain, les Français seront toujours les Français, c'est-à- dire pour citer de nouveau Tocqueville, le peuple « le plus casa- nier et le plus routinier de tous quand on l'abandonne à lui- même, et lorsqu'une fois on l'a arraché malgré lui à son logis et à ses habitudes, prêt à pousser jusqu'au bout du monde et à tout oser ».

Demain, la France retrouvera l'ardeur nécessaire pour s'en- gager résolument sur la voie du progrès, de la fierté nationale et de la grandeur.

R A Y M O N D B A R R E

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