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Il fait beau... mais ne le répétez pas.

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Academic year: 2022

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Il fait beau...

mais ne le répétez pas.

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DU MÊME AUTEUR

Souvenirs provisoires (Julliard) La Pomme de son œil (Julliard)

Le Soleil et les ombres (Laffont), prix de l'Académie française (fondation H. de Jouvenel) et prix des Critiques cinématographiques (Armand Tallier)

Au théâtre

L'Empereur de Chine L'Ile heureuse

Un beau dimanche Farfada

Lucy Crown (d'après le roman d'Irwin Shaw)

Sur simple envoi de votre carte nous vous tiendrons régulièrement au courant de nos publications.

Editions Jean-Claude Lattès 91, rue du Cherche-Midi, 75006 PARIS

© 1980, Éditions Jean-Claude Lattès

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JEAN-PIERRE AUMONT

JClattès

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P o u r François Truffaut, cette chronique irrévérencieuse d'un Hollywood qu'il n'a pas connu.

J.-P. A.

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PREMIÈRE PARTIE

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1.

Il arriva à Hollywood le 13 juin 1945.

Un Hollywood à l'apogée de ses technicolorades emplumées, de ses partys démentes, de son opulence et de sa gloire.

Un Hollywood, centre du monde, qui pensait que la guerre avait été déclarée, puis gagnée, uniquement pour qu'Esther Williams puisse continuer à se balan- cer au-dessus d'une piscine, Clark Gable à cligner de l'œil, Fred Astaire à faire des claquettes au plafond, le lion de la Métro à rugir, et Errol Flynn à envahir — secondé, il est vrai, par une horde de frimants — le Japon.

Le Queen Mary, en 1945, n'offrait pas à ses passa- gers le confort qui avait fait sa réputation. 14 526 G.I.

s'y entassaient. La traversée dura vingt jours. Le Queen zigzaguait à travers l'Atlantique, non pour évi- ter les icebergs, mais pour échapper à quelques mines qui ignoraient peut-être qu'un armistice avait été signé. La chère, orgueil de la Cunard, se limitait à des boîtes de conserve, et l'eau douce était rationnée.

Patrick avait fait partie des Forces françaises libres. Parlant anglais, il avait été affecté à une unité

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américaine. La guerre finie, fatigué de l'Europe à qui il avait suffisamment prouvé son attachement, il avait décidé de tenter fortune aux États-Unis. Quand, au centre de démobilisation, on lui avait demandé vers quels foyers il désirait se rendre, il avait répondu : Hol- lywood.

Pourquoi Hollywood ? Il n'en savait rien.

Ils débarquèrent enfin sur les quais de Brooklyn.

Une Marlène Dietrich échevelée, en uniforme, et levant les deux b r a s — « la statue de la Liberté n'en lève qu'un », remarqua Patrick — les accueillit. Elle serra sur son cœur chacun des 14 526 G.I., sous l'œil inquiet de leurs fiancées qui les attendaient depuis deux ans...

Patrick décida de rester quelques jours à New York. Sa solde ayant été dilapidée, avant son départ, avec des filles, il n'avait en poche que cinq dol- lars, quelques rondelles en caoutchouc, une curiosité en éveil, une disponibilité vorace...

Tant mieux... Ça l'amusait de conquérir les Amé- riques avec cinq dollars... Il jeta son baluchon sur son épaule et sortit des docks, en sifflotant.

Forteresse de pierres, New York, au premier abord, l'écrasa. Il marcha au hasard jusqu'à ce qu'il atteignît Broadway. Il s'y laissa porter par le flux des passants, à travers d'acrobatiques enseignes élec- triques, des boutiques porno, des cravates bigarrées vendues à l'encan, du pop-corn. Un feu d'artifice, un roulis, un carnaval...

Il avait quitté ses parents à seize ans pour leur prouver — et se prouver à lui-même — qu'il était capable de mener sa barque. S'offraient à lui trois pos-

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sibilités : continuer ses études, chercher du travail ou vivre de ses charmes. Il choisit de trimbaler sur son dos des cageots, vers quatre heures du matin, aux Halles. La belle Mme Marchand rougissait de honte à la pensée que son fils exerçait un tel métier. Elle aurait voulu qu'il devînt avocat, médecin, architecte, n'im- porte quoi, mais une profession libérale, grands dieux !

A dix-huit ans, il s'était acoquiné avec la fille d'un restaurateur de Clermont-Ferrand. Ils s'étaient fiancés tout ce qu'il y a de plus officiellement, mais qui s'en souvenait ? Pas lui, en tout cas. Ils avaient été amants pendant quelques mois, puis Patrick était « monté » à Paris pour s'y faire arrêter bêtement par la Gestapo en criant « Vive de Gaulle » sur des Champs-Elysées étonnés.

Relâché deux mois plus tard, il s'était engagé dans les forces gaullistes, où il avait vécu tant d'heures ardentes que ses fiançailles n'avaient laissé nulle trace en sa mémoire, moins encore en son cœur.

On lui disait souvent: « Avec votre gueule, vous devriez faire du cinéma... »

Il n'en avait pas la moindre envie. Il se cherchait, avec l'espoir de ne pas se trouver.

Les femmes lui tombaient dans les bras, avant qu'il ait le temps de les désirer. Il sautait d'une couche à l'autre, indifférent et comblé, semant les victimes à la ronde. Il appréciait un rayon de soleil comme un ca- deau personnel. Il inventait des fables. On le traitait de menteur, mais il était mythomane, ce qui n'a aucun rapport. Il arborait, sur son uniforme, une Légion d'honneur à laquelle il n'avait pas droit. Quand, six mois plus tard, le gouvernement la lui décerna, il l'ar-

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racha de ses costumes. Du moment qu'on la lui oc- troyait, ça ne l'amusait plus de la porter.

S'amuser, tout était là. C'était son credo, sa ligne de vie, son ambition. Courageux jusqu'au défi, morale- ment et physiquement. Ne cherchant pas la bagarre, mais l'accueillant avec grâce. Disant merde à qui pou- vait lui être utile, et perdant des heures à aider le pre- mier venu.

Il était capable de beaucoup d'amour. Aussi était- il amoureux à la fois de ses cheveux en bataille, de son sourire de guingois, de sa démarche de royal débar- deur, et de son sexe, auquel il attachait une importance excessive, comme s'il était le seul garçon au monde qui possédât un sexe et fût impatient de s'en servir. Quant à son nom, Patrick Marchand, il en était si fier que, s'il avait écrit une lettre anonyme, il l'aurait signée.

Il est vrai qu'il écrivait peu. La seule carte postale qu'il envoyât jamais : Je pense à toi. Je t'aime, ce fut à lui-même qu'il l'adressa.

A minuit, il échoua dans un cabaret faussement nommé « Place élégante ». Une blonde quadragénaire le regarda. Il ne broncha pas. C'était sa technique. Elle lui demanda de faire marcher le ventilateur. « Ça me fait paraître plus jeune. »

« Cinglés!... Dans ce patelin, ils sont tous cin- glés !... »

Il l'accompagna chez elle, à l'hôtel Pierre, puis rentra dormir à l'Holiday Inn sur la V I I I Avenue, dans une petite chambre où la radio, la Bible sur la table de nuit, le mini-bar qui délivre la glace coupée en morceaux, et la machine qui, moyennant dix cents, secoue votre lit pendant cinq minutes, l'enchantèrent.

Le lendemain matin, la femme de chambre entra

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d'autorité. Il avait négligé d'afficher à sa porte « Don't disturb ». Maggy était jeune, rousse, mince et ne se fit pas prier pour rejoindre Patrick dans son lit. Il l'invita à dîner, la prévenant qu'il ne lui restait 'que quatre dol- lars. Elle l'emmena chez P. J. Clark, un bar-res- taurant où mannequins et journalistes font la queue pendant une heure pour obtenir un tabouret à une table surchargée. Là, Patrick rencontra Alain Gizzo, un reporter qu'il avait connu à Paris. Une fille et un copain dès le premier jour, ça commençait bien...

— Que puis-je faire pour vous ?

— Tout.

Le vice-consul daigna sourire. Il était myope et fluet. Un léger zézaiement lui conférait une sorte d'onctueuse condescendance. A travers les baies vitrées, le sommet des gratte-ciel hérissait un dia- gramme de fièvre. Patrick saisit une chaise et, sans y être invité, s'assit à califourchon.

— J'ai fait la guerre, comme tout le monde...

(L'autre pâlit, car il s'était planqué.) J'ai été démobi- lisé, je ne connais personne ici, je n'ai pas un sou, et me voilà...

Le vice-consul leva les yeux pour prendre le pla- fond à témoin d'une situation qui le dépassait.

— Well, well, well... (Il se gratta un bouton qu'il avait sur la joue. C'était toujours du temps de gagné.) Que faisiez-vous avant la guerre ?

— Étudiant. A Béziers, d'abord. Puis à Clermont- Ferrand.

Le vice-consul dévisagea Patrick d'un air soup- çonneux. Il lui semblait étrange qu'on pût être étudiant à Béziers, plus encore à Clermont-Ferrand.

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— Quel âge avez-vous ?

— Vingt-deux ans.

— Puis-je voir vos papiers ?

Le vice-consul les parcourut, tout en cherchant comment il pourrait se débarrasser de ce compatriote démuni. Il attaqua, dans un soupir:

— Votre cas, hélas! n'est pas unique...

— Je m'en doute.

— Si vous saviez le nombre de jeunes Français qui viennent nous demander du travail... Comme si nous étions un bureau de placement...

— Y en a un?

— Un quoi ?

— Un bureau de placement.

— Pas pour les étrangers.

Il se gratta à nouveau, et reprit, d'un ton embar- rassé :

— Nous faisons ce que nous pouvons, vous le pensez bien. Mais n'allez pas croire... Qu'est-ce que vous avez l'intention de faire dans la vie ?

— J'aimerais devenir un raté... C'est pas facile.

Le vice-consul pensa avoir mal entendu.

— ... Je ne parle pas de ceux qui sont nés ratés, je parle de ceux qui y parviennent à force de volonté...

Ah! non, c'est pas facile...

Jamais, dans ses cauchemars les plus hardis, le vice-consul n'aurait imaginé une réponse aussi stu- pide. Il pensa qu'un asile d'aliénés conviendrait mieux à ce foutriquet qu'un bureau de placement. Du geste auguste du semeur, il désigna la porte et se replongea dans ses paperasses.

— Où veux-tu qu'on aille ce soir ? Maggy n'est libre qu'à dix heures...

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« Tiens, pensa Patrick, Alain connaît mieux que moi les heures de liberté de Maggy ! »

Les deux garçons entrèrent dans un ciné porno de Broadway. Derrière l'écran, dans la pénombre, des couples pratiquaient en silence ce que le film venait de leur inspirer.

Quand ils retrouvèrent Maggy, Patrick suggéra d'aller à Harlem.

— Vous êtes fous. Aucun taxi n'acceptera de nous y conduire. C'est trop dangereux...

Maggy les entraîna vers Greenwich Village, un Saint-Germain-des-Prés plus débraillé. Les filles en bikini, les garçons en blue-jeans déambulaient dans un laisser-aller familier, vibrant... Ils finirent la soirée dans un « loft » de Soho, un de ces ateliers abandonnés où des gens qui ne se connaissent pas vivent en com- munauté. Des joints circulaient de bouche en bouche, comme le calumet de la paix.

De retour à l'Holiday Inn, Maggy vint faire l'amour avec Patrick.

Au milieu de la nuit, elle le quitta.

Le lendemain matin, il la retrouva dans le lit d'Alain.

— Navré de vous déranger... (Il se saisit d'un des appareils photo de son copain.) Tu m'as piqué ma Nana. Je te pique un appareil. Nous sommes quittes.

Il partit à la recherche d'un Mont-de-Piété. Il rit tout seul — ça lui arrivait souvent — en pensant que, quand il était petit, il appelait cette officine « le Mont- de-Pitié ».

Il en tira cent dollars, avec lesquels il paya son hôtel. Puis il se dirigea vers Pennsylvania Station, muni du billet de chemin de fer que l'armée lui avait offert. Il monta dans l e Mississippi qui, en l'occurrence, n'était pas un fleuve, mais un train.

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Le convoi se mit en m a r c h e lentement, longeant le port de New York.

Le Normandie gisait dans un dock, comme un élé- phant couché avec des mouches sur son flanc.

« L'image m ê m e de l'Europe, conclut Patrick. N'y pen- sons plus. »

Pour lui l'Europe était morte, puisqu'il l'avait quittée.

Il ouvrit son cœur et ses yeux aux paysages chan- geants qui s'offraient à lui : le Delaware, la Virginie, portant encore, avec ses tombes dressées de guingois p a r m i l'herbe mouillée, les traces lointaines de la guerre civile ; le Tennessee, avec ses maisons à colon- nades d'où il s'attendait à voir surgir quelque accueil- lante Scarlett O'Hara. Traversant le Kansas, il entra au wagon-restaurant et s'assit auprès d ' u n e femme enroulée dans des cheveux noirs, des yeux verts et du vison. Il c o m m a n d a un scotch.

— Trois minutes trop tard, fit le barman, qui refusa de les servir. Nous traversons le Kansas. C'est un État sec.

— Sec?

— Revenez dans une demi-heure. Nous serons dans le Colorado.

Que faire p e n d a n t u n e demi-heure, sinon l ' a m o u r ? Patrick entraîna la dame au vison sur sa cou- chette. Une demi-heure plus tard, main dans la main, ils retournèrent au wagon-restaurant. Patrick estima qu'il avait mérité un double whisky et laissa payer la d a m e au vison. Elle s'appelait Doris, elle était mariée à un médecin-major qui l'attendait à Los Angeles.

Le lendemain, il put contempler les pampas du Texas. Des cow-boys, bardés de cuir, chapeautés de

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larges feutres, tannés, musclés, sillonnaient, à un galop d'ouragan, de larges pans de désert. Puis l'apo- calypse du Grand Canyon ; dinosaures figés, continents en formation, striures de feu... Patrick n'eut guère le temps de s'en émouvoir, il glissait déjà entre les oran- gers accueillants de la Californie.

A Los Angeles, il descendit du train, fit un signe complice à la d a m e au vison que son mari, un athlète, attendait, un bouquet ridicule à la main, laissa ses valises dans une cathédrale de m a r b r e qui tenait lieu de consigne, et s'accouda à un palmier poussiéreux.

— Où vais-je aller? demanda-t-il.

Il répondit:

— Tout droit.

Il était son interlocuteur favori. Que de conversa- tions passionnantes il avait avec lui-même, se contredi- sant, discutant, s'engueulant, pour toujours finir p a r se mettre d'accord.

Il secoua sa mèche, qu'il avait rebelle, et s'en- fonça dans un square où ronflaient des clochards mexicains. Une odeur de chandelles brûlées l'entêta. Il m a r c h a au h a s a r d j u s q u ' à Main Street, artère princi- pale de ce damier sale et sans âme que constitue

« Downtown ». Des ivrognes titubaient, des corps sil- lonnaient les rues, quelques bars étaient encore ouverts, où des filles bouffies accueillaient les clients.

Au-dessus des bouteilles de gin, il y avait un écriteau : Jésus est mort pour vos péchés, ce qui semblait suggé- rer, puisque Jésus, une fois pour toutes, s'était sacrifié, qu'on pouvait bien, maintenant, s ' a d o n n e r sans remords au péché. Il sortit, traîna le long de rues sordides encombrées de détritus, de racolage, de boîtes de strip-tease, de brocanteurs, et de missions protestantes où il était aisé d'obtenir, sans l'avoir mérité, le salut de son âme. A toute heure on peut y

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entrer, s'y asseoir, entendre une vieille fille s'épou- m o n n e r devant un auditoire clairsemé — parfois même devant une salle vide — sur les bienfaits de la vertu.

Aux murs, s'étalait en lettres grasses : Depuis quand n'as-tu pas écrit à ta mère?

Sa mère vivait à Béziers, depuis des années.

Les lettres d ' u n fils de vingt-deux ans (s'il en avait jamais écrites) n'eussent fait que rappeler à cette bour- geoise égarée qu'elle n'était plus aussi jeune qu'elle eût souhaité le faire croire à la bonne société bitté- roise. Même enfant, il ne s'était jamais senti proche de sa mère. Elle était trop sûre de ses pouvoirs, trop occupée de ses amants, pour perdre son temps à édu- quer un rebelle qui ne lui ressemblait en rien. Il n'avait guère fait que croiser son père, qui était mort d'un infarctus en 1936.

La belle Mme Marchand n'avait pas tardé à se remarier. Elle avait épousé le maire d'une ville de l'Hérault, ce qui lui avait procuré l'espèce de prestige dont elle était friande. Patrick fut envoyé en pension,

« pour son bien ». Il savait que sa mère et son beau- père cherchaient surtout à se débarrasser de lui. Il apprit, dans sa solitude, à ne compter que sur lui- même.

« Ne souhaite pas, Nathanael, trouver Dieu ail- leurs que partout. » Partout, sauf chez soi. Dès qu'il eut passé son bachot, il partit. Au hasard. Le hasard était son copain. Il le savait. C'est le hasard qui l'avait trimbalé de Clermont-Ferrand à Paris, de New York à Los Angeles.

Des enseignes clignotaient : « French peep show, with, en personne, Fifi, la petite Parisian doll. » Il entra.

Les premiers rangs étaient occupés par de vieux voyeurs, les mains dans leurs proches trouées. Se suc- cédèrent Miss Voodoo, Miss Aphrodisia, Josette la

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vapeur, et, en dernier, la vedette du spectacle : Fifi. Il alla féliciter la petite « Parisian doll » qui ne parlait pas un mot de français, l'emmena manger un hot-dog, l'embarqua dans une chambre aux murs pelés et fit l'amour avec elle, moyennant les quelques dollars qui lui restaient. « Faut-il que je sois con pour payer une fille. A mon âge ! et avec ma gueule ! C'est bien la pre- mière et la dernière fois... »

Quant à la Parisian doll, renversée sur le lit, elle constatait en soupirant: « Another ceiling! », ce qui si- gnifiait « Un plafond de plus » et n'était pas très flat- teur pour Patrick.

Le lendemain matin, pour dix cents, Patrick acheta un journal et parcourut les petites annonces. Il y avait là de quoi rire et de quoi pleurer. Toutes les misères du monde s'y étalaient sans pudeur. Il com- mença par la dernière page, ignorant qu'elle était réservée aux messages pornographiques : Couple cherche femme qui. aime Grèce et France. Ni E.D. ni S.M. Au premier abord, cela paraissait innocent. Quoi de plus normal que d'aimer la Grèce et la France ? Mais un lexique donnait quelques explications.

« Grèce » signifiait plaisir anal. « France », plaisir oral.

« R » était réservé pour les orgies romaines. « T.V. » ne voulait pas dire « télévision » mais « travelo ».

Quant à « E.D.S.M. », c'était les initiales de « escla- vage, discipline, sadisme, masochisme ». Patrick continua à parcourir cet étrange catalogue : Mâle blanc, 27 ans, 5 feet 1/2. Longueur sexe: 6 inches. Che- veux blonds, yeux bleus, discret. Plus loin: Couple cherche autre couple pour jeux érotiques. S'exciter mutuellement, mais fornication uniquement entre époux. Appeler Léonard.

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Patrick tourna la page. Aux femmes enceintes, un entrefilet assurait une promesse d'adoption. Des insti- tuts de beauté offraient une gamme variée de per- ruques. Un médecin s'engageait à guérir en vingt- quatre heures toute maladie vénérienne. Dans la colonne « Cimetière » on pouvait lire : Emploi libre d'un piano. Enfin, à la rubrique gastronomique, Patrick lut: Restaurant français cherche plongeur capable, honnête, énergique, soixante dollars par semaine.

Il arriva au Grand Lutèce, sur Highland Avenue.

Le restaurateur s'appelait Emile Patant. Au-dessus de la porte, en lettres de néon:

« Chez E. Patant, c'est épatant. » Ce ne le fut pas.

Ce le fut si peu qu'après quarante-huit heures de plongeons graillonnants Patrick décida de passer à un autre genre d'exercice. Il rendit son tablier à E. Patant qui se pendit à son cordon pour le supplier de rester.

— Pas à la plonge, en tout cas, lança Patrick. Ça m'abîme les mains.

— Eh bien, soit, je vous engage comme waiter.

C'était une promotion. Pantalon de satin noir, les fesses moulées dans un tablier blanc, Patrick valsait entre les tables. Il se faisait de bons pourboires. Un soir, il tomba sur un couple dont l'homme, ivre, gras et vulgaire, se montra particulièrement désagréable. Le dry martini n'était pas assez dry, la sole sentait la marée, la salade était trop assaisonnée. Patrick éprou- vait des envies de l'étrangler. Finalement, l'homme demanda, en français pour épater sa compagne:

— Qu'est-ce que vous avez pour le désert ?

— Pour le désert, je peux vous offrir des profite-

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roles au chocolat, une pêche melba ou une bonne tarte à travers la gueule.

— Je prendrai la tarte à travers la gueule.

Patrick s'exécuta. L'autre, éméché, ne comprenait pas ce qui lui arrivait. La femme poussa des hurle- ments. Patrick fut chassé du Grand Lutèce. E. Patant était partagé entre la fureur et le désespoir. Patrick lui promit de revenir plus tard, en client. Il rentra se cou- cher dans un réduit qu'il avait loué 15 332 Sunset Bou- levard. Cette adresse l'enchantait. « C'est pas à Paris que je pourrais habiter 15 332 rue de Ménilmontant ! » Le rez-de-chaussée était occupé par une agence de pompes funèbres.

Sous sa lucarne, une banderole d'un rose allé- chant : Mourez, nous ferons le reste. Funérailles plai- santes à partir de quatre-vingts dollars. Il en aurait fallu plus pour l'attrister.

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2.

« Venice », nommé d'après Venise parce qu'il s'y trouve quelques canaux, était le quartier le plus pouil- leux de Los Angeles. C'est pourquoi les jeunes s'y plai- saient. « La crasse, c'est comme le fumier, proclamait Patrick, c'est salutaire, c'est tonique, on ne fait de grandes choses que dans la crasse... » Une longue avenue où pourrissaient de vieux journaux bordait l'Océan. Des cafés offraient des terrasses où des clo- chards jouaient aux cartes. Sur la chaussée, des filles en blue-jeans, des garçons en zoo suits, avec des bon- nets de fourrure à la Davy Crockett, déambulaient à pied, à vélo, ou — déjà — sur des patins à roulettes.

Quelques-uns s'exerçaient au hula-hoop : un cerceau en plastique qu'on faisait tournoyer autour des hanches. Des guitaristes jouaient, en se convulsant, couchés à même le macadam. Patrick partit à la recherche d'une cabine téléphonique. Celle qu'il trouva était déjà occupée par trente-quatre personnes.

Oui, trente-quatre garçons et filles s'amusaient à s'y entasser, au risque d'étouffer, avec des jambes et des bras qui dépassaient, comme les tentacules d'une pieuvre. Devant l'air surpris de Patrick, un petit vieux lui dit :

— Que voulez-vous..., c'est le retour à la vie nor-

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male... Il faut bien qu'ils dépensent leur énergie d'une façon ou d'une autre, maintenant que la guerre est finie...

Eh oui, la guerre était finie. Hitler, Mussolini, Roosevelt étaient morts, tout comme quarante-cinq millions d'innocents. La Charte des Nations unies venait d'être signée à San Francisco. Truman, le petit mercier de Kansas City, se révélait homme d'action.

Tout en jouant au piano Melancholy Baby que chanton- nait sa fille Margaret, il lançait une bombe atomique sur Hiroshima...

Aimée Mac Pherson, frivole prêtresse d'une nou- velle secte, dont les membres devaient communier par immersion, plongeait ses ouailles dans une piscine où ils barbotaient, vêtus de voiles. D'ailleurs, qui n'avait sa piscine ? En forme de cœur de préférence.

La réincarnation faisait des ravages. Des sou- coupes volantes apparaissaient aux plus fervents. On inventait la chlorophylle. Découverte beaucoup plus importante que la pénicilline ! En dentifrice, en déodo- rant, en chewing-gum, en parfum, on se chlorophyllait de la tête aux pieds...

Les teen-agers, de treize à dix-neuf ans, deve- naient des citoyens à part entière. Leurs idoles étaient Joe di Maggio et Doris Day. Et, bien sûr, Sinatra.

Quand il apparaissait au Paramount de New York, si maigre qu'on avait envie de lui offrir un bifteack, mille bobby-soxers s'évanouissaient en cadence... Il y en avait qui, munies d'une pelle, creusaient, à l'entrée du théâtre, la neige sur laquelle il avait marché. Elles emportaient chez elles l'empreinte de ses pieds, qu'elles mettaient au réfrigérateur pour l'empêcher de fondre...

Jamais l'industrie cinématographique n'avait été aussi florissante. Ray Milland gagnait l'Oscar pour

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Lost Week-end et Joan Crawford pour Mildred Pierce.

Une Elizabeth Taylor de treize ans, plus virginale qu'il n'est permis, faisait pleurer les chaumières avec Natio- nal Velvet... Harry Cohn, czar de la Columbia, résu- mait le pouvoir des studios en répondant, quand on lui demandait de ses nouvelles : « Je n'ai pas d'ulcère.

J'en donne. »

Il n'était pas le seul à en donner... Les milliers d'habitants de cet Éden orné de barbelés qu'était Hol- lywood vivaient dans la peur. Peur de perdre leur emploi, peur des commères (Louella Parsons et Abi- gail Revere) qui, d'une plume vacillante, bâtissaient ou détruisaient les renommées, peur du scandale et du non-conformisme, à tel point que, si l'on demandait à quelqu'un :

— Quel temps fait-il ?, la réponse était :

— Il fait beau, mais ne le répétez pas.

Patrick avait renoncé à parcourir les petites annonces. Ce n'était pas son style. Il sentait que le hasard lui apporterait quelque aubaine, plus sûrement que de laborieuses recherches. Chaque jour, il descen- dait de son taudis vers midi, et allait boire un café à Venice, où les filles l'accueillaient d'un concupiscent :

« Hy, Frenchie ! » Il leur adressait, de la main, un signe protecteur : « Hy, Tootsy ! » Puis il faisait de l'auto-stop jusqu'à la plage de Santa Monica, « Muscle Beach », où il jouait au volley-ball entre deux crawls.

D'autres filles venaient lui parler, amusées par son accent.

L'une d'elles, qu'il avait amenée dans son réduit, lui proposa de paraître avec elle dans un film porno.

— Ça consiste en quoi ?

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— Rien de spécial. Tu me baises, et tu reçois cent dollars.

— J'ai drôlement besoin de cent dollars, mais je n'ai pas l'habitude de baiser en public.

— Fais pas le con. Y a pas de public. Juste quatre ou cinq gars : le metteur en scène, le cameraman, le type du son et les deux assistants...

— Ça me gênerait qu'ils me regardent.

— Ils peuvent quand même pas se mettre un ban- deau sur les yeux pour te filmer... (Elle l'embrassa.) Fais-le pour moi...

Patrick constata en riant :

— C'est bien la première fois que je me fais prier pour faire l'amour!

— Alors ?

— Alors, c'est non.

— C' que t'es bourgeois...

— Je ne suis pas bourgeois. Je suis fier. Nuance.

Une ou deux fois par semaine, vers dix heures du soir, Big Ben donnait congé à son chauffeur, grimpait dans sa Cadillac, et se dirigeait vers « Downtown » avec les battements de cœur du chasseur à l'affût.

Sur Main Street, il ralentit. Le buste hors de la portière, il cherchait quelque proie. Un garçon, les mains dans les poches, le col relevé, striait le trottoir de larges enjambées.

Big Ben arrêta sa voiture un peu plus loin et en descendit.

Il était petit, sanglé dans un corset, avec une grosse tête triste et un œillet rouge à la boutonnière.

Patrick hâta sa marche. L'homme, juché sur des talon- nettes, clopina pour ne pas se laisser distancer. Patrick passa devant la boutique d'un brocanteur, où s'of-

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fraient une dizaine de caméras. Il pensa à Alain. « Le premier fric que je gagne, je lui envoie cent dollars. »

L'homme se décida à l'aborder.

— En ont-ils des choses, dans cette vitrine...

Patrick ne répondit pas. L'autre continua :

— Alors, comme ça, vous vous promenez tout seul, à deux heures du matin, dans Main Street... C'est dangereux, vous savez...

— Je n'ai pas peur.

En entendant l'accent de Patrick, l'homme sourit.

Il savait maintenant comment engager la conversation.

— Vous êtes étranger?

— Je suis français.

— Ah! la France...

— Vous connaissez ?

— Je connais Paris. Quand on connaît Paris, on connaît la France... J'habitais au George V...

— ... Et quand on connaît le George V, on connaît Paris.

L'homme rit. Sa laideur n'était pas entièrement dénuée de charme. On le sentait sensible, sous une enveloppe épaisse.

— Et qu'est-ce que vous faites à Los Angeles ?

— Je viens d'arriver.

— Voulez-vous que nous prenions un verre ?

— Je n'ai pas soif.

Patrick allait plaquer l'homme une fois pour toutes, quand une phrase l'arrêta.

— Vous n'aimeriez pas faire du cinéma ?

Patrick éclata de rire. L'offre était si banale qu'elle lui rappelait cette autre entrée en matière, clas- sique sur les rives de France : « Vous habitez chez vos parents ? »

Mais bien qu'il ne fût pas assez naïf pour ignorer ce que valait l'une de telles propositions, une voix

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intérieure lui soufflait : « Pourquoi pas ? » Il haussa les épaules, mais son geste n'était pas un refus.

L'homme sentit qu'il était sur un bon terrain. « Voulez- vous faire du cinéma ? » était le « Sésame, ouvre-toi ! » de toutes les consciences.

— Un double scotch pour moi. Et pour vous ?

— Pour moi aussi.

— On the rocks.

« Fallait te lever plus tôt, mon petit père, ce n'est pas ton scotch, même on the rocks, qui me fera perdre le nord! »

L'homme sortit un cigare et se mit, à travers la fumée, à contempler son compagnon. Cette fumée lui servait de filtre, de bouclier, de masque, pour cacher son émoi. Quand les scotches on the rocks furent ser- vis, et qu'ils eussent trinqué au hasard heureux de leur rencontre, Ben se présenta. Il était un des partenaires de la firme « Goldstein, Bullit and Twain ». Il avait pour clients, entre autres, Tyrone Power, Hedy Lamar et Cary Grant.

— Je n'ai jamais fait de cinéma de ma vie, avoua Patrick.

Et il s'admira de tant d'honnêteté. Mais ce n'était pas l'honnêteté qui le guidait, c'était l'envie de rendre le jeu plus difficile.

— Et alors ? Lana Turner vendait des ice-cream sodas. Savez-vous ce qu'elle est devenue ?

— Non.

— Lana Turner.

— Pas possible!

— Quant à Tab Hunter, je l'ai rencontré dans les mêmes conditions que vous. Rien qu'en le voyant mar- cher j'ai su que je pourrais en faire quelque chose.

(29)

Le premier roman de Jean-Pierre Aumont est d'une drôlerie et d'une rosserie irrésistibles. L'inoubliable interprète de : "Lac aux dames", "Hôtel du Nord",

"Drôle de drame", et "La nuit américaine" nous conte avec une verve féroce et une constante allégresse, l'aventure d'un jeune séducteur farfelu qui va conquérir le Hollywood des années 50.

Un Hollywood pittoresque, surprenant, insolite, que

Jean-Pierre Aumont a bien connu.

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