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Qu'est-ce que s'informer?

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Academic year: 2022

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Qu'est-ce que s'informer ?

Le contenu de ce document est protégé par le droit intellectuel de l’auteur, François-Bernard Huyghe (contact@huyhe.fr)

Il peut être partiellement reproduit et cité à la condition d’indiquer son auteur, sa source et l’adresse http://www.huyghe.fr.

Les notions employées dans cette brochure sont expliqués et développés dans

« Comprendre le pouvoir stratégique des médias » éditions Eyrolles 2005

http://www.editions-eyrolles.com/Livre/9782708134003/comprendre-le-pouvoir-strategique-des-medias%3C/

ou http://www.huyghe.fr/livre_20.htm Les textes qui suivent ont été publiés par La lettre Sentinel http://www.infosentinel.com

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Qu’est-ce que s’informer ?

Qu’y a-t-il de commun entre une organisation complexe dotée de gros ordinateurs et de gros budgets et un animal préhistorique à gros corps et petit cerveau ? Ceci : ils doivent s’informer pour survivre. Qu’il s’agisse de se nourrir, de copuler pour se reproduire ou de conquérir des marchés planétaires, nul ne peut se contenter de réagir à des signaux, : il faut aller en quête d’information. Donc rechercher, percevoir et interpréter les différences (dans l’environnement) qui font une vraie différence (pour notre comportement et son succès).

En d’autres termes, même si votre entreprise est dotée de merveilleux outils de data mining, de logiciels sémantiques ou de knowbots qui explorent le Web invisible de long en large, même si votre structure distingue finement une fonction de veille concurrentielle, de veille brevet, de veille sociétale…, elle doit résoudre une question simple : comment acquérir des connaissances vraies et pertinentes. Exactement comme un gastéropode.

- Acquérir implique un effort. S’informer coûte. Certes de l’argent : la documentation ou les « nouvelles » (au sens de la presse) ne sont pas gratuites. Mais cela coûte surtout du temps et de l’effort de cerveau humain. Cet « effort » peut d’ailleurs être pénible psychologiquement, voire infliger des blessures narcissiques, si nous avons l’honnêteté de critiquer nos préjugés et nos biais cognitifs. Par définition l’information nouvelle contraste avec celle que nous possédions déjà, elle se distingue du déjà-vu et du déjà- su (sinon c’est de la redondance). Pour la conquérir, il faut renoncer au confort du rassurant et de l’évident. Il faut faire son deuil de la facilité et de la séduction inhérentes à tout ce qui flatte nos stéréotypes et nos préconceptions. Souvent l’information neuve empêche ce que la relation communautaire rend si agréable : penser comme ses ancêtres, comme ses voisins, comme ses camarades ; elle gâche le plaisir de se redire ce qui nous réunit. Elle complique ce que l’idéologie rend trop évident (les réponses précèdent les questions). Il faut un effort mental minimum pour intégrer ce qui est significatif, replacer l’information dans un contexte, la recadrer par rapport à ce que nous savons déjà. Au final le terminal ultime – notre cerveau – a une capacité et un temps limités pour accomplir toutes ces tâches, ce qui veut dire que notre quête connaîtra, elle aussi, des limites. À noter qu’acquérir ne veut pas toujours dire mémoriser, ni même stocker, que ce soit sous forme d’un livre ou d’un document dans un disque dur. Il y a trois façons d’acquérir et conserver l’information : la confier à ses neurones, l’externaliser à un emplacement de stockage (tel un livre dans sa bibliothèque où l’on saura la retrouver à son gré), l’externaliser dans un flux d’informations que l’on a cartographié. Cela consistera par exemple la laisser sur Internet en ayant repéré son mode d’accès, c’est-à-dire en ayant repéré assez de méta- information (quel type de document, sur quel site, par quels mots clefs, dans le cadre de quelle recherche) pour repérer l’information.

- Des connaissances, cela veut dire que le processus de l’information n’est parachevé ni quand cette dernière est disponible sous forme de données stockées quelque part

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(comme dans un disque dur), ni quand elle circule sous forme de messages, mais quand elle est littéralement in-formée, mise en forme. Donc devenue connaissance.

Une connaissance suppose à la fois un contraste (par rapport à un fond, à un contexte, à une norme…) et un système de référence (ne serait-ce que celui de la langue) qui lui donne sens. Elle émerge quand l’information est interprétée, contribue à une représentation générale de la réalité, et appelle une réaction qualitative de l’interprétant. En clair : il n’y a pas d’information en soi, il y a toujours de l’information pour quelqu’un en particulier qui est dans un certain rapport au monde.

- « Vraies » : pose d’autres problèmes. Sans chercher à résoudre la question philosophique de l’essence de la vérité, disons qu’il faut considérer comme vraie une information à la fois vérifiable – cohérente avec l’ensemble de ce que nous pouvons comprendre, sanctionnée par l’expérience– et dont nous savons à quelles conditions elle pourrait être fausse. Ce dernier point (le principe de falsifiabilité en épistémologie) est particulièrement crucial si on tente de mener une anticipation : il est trop facile de trouver des signaux qui confirment l’hypothèse de départ. Par ailleurs, il faut bien comprendre ce qu’est une énonciation vérifiable et falsifiable. La phrase « Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre », n’est ni vraie ni fausse, ni vérifiable ni falsifiable : elle vaut par sa capacité d’évocation, pas par sa valeur probante. En revanche la phrase « Ceci est un vers de Charles Baudelaire » doit être considérée comme vraie, du moins tant qu’il n’aura pas été démontré que l’existence de l’auteur des Fleurs du mal est un gigantesque canular littéraire ou qu’il faisait écrire ses poèmes par un complice.

- « Pertinentes » :suppose un rapport avec des besoins. Ces besoins sont le plus souvent ceux de l’action ou de la décision. La phrase « Le cours du pétrole finira bien par s’effondrer » est certainement vraie (du moins si l’on admet le principe que rien ne se prolonge à l’infini) mais elle ne nous est pas très utile sans précision de date : dans six mois ou dans trente ans ?

Toute démarche d’information suppose donc quatre préalables:

- Une stratégie générale. Dans le domaine de l’intelligence économique, la veille est généralement définie comme la « détection de menaces et opportunités dans l’environnement ». Mais on ne peut détecter et interpréter tous les signaux.. Il faut hiérarchiser les veilles les structurer : quel type d’information formelle faut-il acquérir dans le domaine des brevets, de la prospective politique, de l’évolution de la législation communautaire, de la compréhension des courants intellectuels ou sociétaux émergents, par exemple ? La réponse diffère fortement suivant le type d’activité. Il faut donc commencer par bien concevoir ce que l’on a besoin de savoir.

- Une analyse des risques informationnels. Elle répond à la question complémentaire « Que ne puis-je me dispenser de savoir ? » Ceci implique à la fois d’analyser

- quel type d’information on ne peut se permettre de perdre ou de voire

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altérée,

- quelle information on ne peut se permettre de laisser diffuser ou circuler, - et quels signaux peuvent annoncer une crise grave ou insupportable.

Toute procédure de communication de crise cohérente repose forcément sur cette démarche. Sauf à se condamner à la paranoïa galopante (s’attendre à tout, redoubler toutes les procédures de sécurité, revérifier ce qui a été vérifié, tout tester…)

.

- Une évaluation des besoins et moyens d’information. Ceci suppose de fixer un coût supportable (en termes de financement, de personnel, de temps, d’énergie) par rapport à un résultat attendu. Cette démarche doit également distinguer ce que l’on doit faire directement et de ce qu’il est possible de mutualiser, d’externaliser, de sous-traiter…, en matière d’information. Il est souvent inutile de réinventer la roue et de se doter d’une base de données hyper-complexe, là où une bonne revue de presse suffirait. A-t- on des besoins de documentation si exceptionnellement pointue qu’aucune publication ou aucun centre de recherche bien connu ne puisse le satisfaire.

- Dernière étape l’organisation de sa propre procédure de traitement de l’information en s’inspirant par exemple du « cycle du renseignement » cher aux services du même nom. Cette terminologie sulfureuse recouvre en réalité des étapes simples et logiques :

- Savoir ce que l’on cherche à savoir (idéalement sous forme d’une hypothèse à confirmer ou à infirmer pour prendre une décision),

- Savoir quand il faut savoir (être en attente de toutes les données ou de toutes les confirmations peut mener au fameux processus de régression à l’infini et surtout à l’indécision stratégique),

- Savoir où savoir (identifier les sources utiles)

- Mais aussi savoir ce que l’on sait. Ceci implique notamment d’analyser l’information, d’extraire de tout le bruit des données recueillies, de qualifier la valeur de ces éléments, de les replacer dans un contexte, d’en tirer les conséquences éventuelles, d’en faire un véritable élément d’anticipation et surtout de choix pour un décideur.

- Enfin il faut faire savoir c’est-à-dire faire parvenir l’information à la personne juste, sous la forme juste, au moment juste où elle en aura besoin.

- Finalement, le cycle tend à se relancer de lui-même : ce que nous savons nous aide à préciser ce que nous devrions savoir. Par exemple à formuler une hypothèse plus précise sur l’avenir

Tout ce qui précède peut s’appliquer à une entreprise, à une bureaucratie, à une collectivité, mais aussi à un individu : un étudiant préparant un mémoire ou un citoyen, désireux de ne pas mourir idiot et de comprendre quelque chose en politique ou en

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économie,

La conséquence la plus évidente est que s’informer consiste à passer des compromis.en fonction de critères du raisonnable ou du vraisemblable (choix qu’il sera toujours impossible de déléguer à un logiciel ou à une procédure).`

S’informer consiste donc à certains égards à concilier des critères inconciliables, ou du moins, à fixer l’aiguille à un point raisonnable entre deux pôles.

_ Le couple le plus évident est : quantité de données (ou du moins surinformation, risque de plus en plus présent sur Internet) et spécificité de la demande (phénomène bien connu : plus une requête est précise, plus elle accumule de critères, sélectifs, moins elle a de chances d’être satisfaite).

_ Mais aussi : communicabilité, (au sens de ce qui se partage aisément, est communément admis, se reçoit spontanément, ce qui correspond aux stéréotypes, ce qu’il est agréable de croire…) versus valeur novatrice de l’information.

_ Il faut également choisir entre la normalisation de la recherche et son individualisation. Dans le premier cas, le Charybde serait la démarche unique aboutissant à des résultats standards (voire même sur Internet, à une « pensée copier-coller » qui consiste à s’approprier un texte tout fait). Quant au Sylla, ce serait ici l’adoption de critères arbitraires valorisant systématiquement l’information « marginale » voire délirante mais qui correspond à des phantasmes propres au chercheur (comme les maniaques des soucoupes volantes qui arrivent à trouver des centaines d’indices de la présence des OVNI parmi nous et des contradictions dans tous les « déclarations officielles »).

Nous verrons aussi qu’il faut dans certaines circonstances choisir de privilégier l’information pure (des énonciations relatives à la réalité) ou la métainformation (tout ce qui permet de comprendre la genèse, la logique ou la valeur de celle qui précède).

Mais ces compromis prennent un sens très différent suivant le mode de recherche de l’information.

Chacun doit plus ou moins maîtriser la technique de la documentation de type classique (correspondant grosso modo à une méthode de recherche telle qu’un bon bibliothécaire l’enseignerait à un débutant) l’utilisation des réseaux humains (très vaste domaine qui va de l’espionnage à la façon de demander des tuyaux à ses relations), mais il faut aussi apprendre à s’adapter au flux médiatique. Enfin et surtout, il faut maîtriser les nouvelles règles propres l’univers numérique, leurs immenses possibilités mais aussi les nouvelles dépendances...

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Le monde de l‘imprimé : le rêve encyclopédique

La recherche d’information dans le monde de l’imprimé, la galaxie Gutenberg chère à Mc Luhan – ou, si l’on préfère, dans la graphosphère (milieu technique dominé par l’imprimerie, période qui commence au XV° siècle et s’achève dans la seconde partie du XX° avec le triomphe de l’audiovisuel ) est une expérience familière pour la plupart d’entre nous.

Nous avons passé des années d’école à apprendre à lire, à choisir et interpréter un livre ou un article, à l’évaluer, à en discuter avec d’autres lecteurs. Nous sommes nés (au moins pour les, dinosaures gutenbergiens comme l’auteur de ces lignes) avec l’habitude de considérer la vie intellectuelle comme conversation silencieuse avec des personnes vivantes ou mortes via des textes écrits. Nous avons connu un monde ordonné, rassurant : de l’instituteur à l’école primaire au bibliothécaire (diplômé en sciences de la recherche et documentation), en passant par la critique littéraire de notre quotidien favori ou par la revue de presse de notre entreprise ou notre administration, tout le système n’avait qu’un but apparent : nous aider à trouver le « bon » document.

Dans ce paradis perdu, tout était ordonné et rassurant. Le texte contenant la réponse à notre question (de la recherche d’une donnée factuelle ou d’une interrogation métaphysique) devait se trouver quelque part, fixée pour plusieurs générations, sous forme matérielle : livre, revue, journal, rapport classé et protégé. À ce texte devaient s’ajouter après coup des métatextes : des discours a son propos, tels une critique littéraire ou une interview de l’auteur. Chaque texte était clairement attribuable. Le contenu était clairement séparé de son support et de son langage. Le texte avait un auteur -un individu ou un collectif comme « la Rédaction » ou « le comité Théodule » - qui, souvent en avait produit plusieurs versions et avait décidé à un moment de « figer » des capsules de sens encloses par le bon à tirer, le n° d’édition.. Ce contenu était alors devenu des traces matérielles (de l’encre fixée mécaniquement sur du papier) transportées, stockées et offertes au public ou à un public restreint suivant des procédures canoniques.

La garde du trésor était confiée à des professionnels et à leurs territoires : librairies, archives, bibliothèques, quelque part, solidement bâties. Chaque bibliothèque était régie par un ordre explicite : romans, essais, périodiques, annuaires et dictionnaires…

Sa structure reflétait celle de la connaissance telle qu’on la rêvait au temps des Lumières, voire la structure d’une Encyclopédie : un arbre du savoir. Des grandes branches (physique, histoire, sciences humaines..) des sous-branches (sociologie, sociologie urbaine, sociologie des médias….).

De plus le papier imprimé survivait dans un milieu culturel et institutionnel voué à sa reproduction et fondé sur sa légitimité : École, académies, République des lettres…

Dans ces univers, des monades, les textes, étaient abritées par ces institutions qui étaient comme leur biosphère. Celles-ci ne remplissaient pas seulement une fonction de conservation, mais aussi d’accréditation. Le livre, ou l’article affrontait l’épreuve du temps parce qu’en amont, il avait déjà été sélectionné. Rédacteurs en chef, comités

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de rédaction, directeurs de collection, comités scientifiques, puis libraires et bibliothécaires avaient déjà effectué un premier écrémage (droit d’être publié, droit d’être conservé ou exposé) . Ils se conjuguaient au droit d’être célébré que lui accordaient ou non les critiques (revues et journaux, communautés des pairs : scientifiques, universitaires, gens de lettres, commentateurs, thésards…).

Parvenus à destination, les livres ou publications faisaient l’objet d’une disposition matérielle : rangement dans telle section avec telle cote ou sur tel rayonnage. Des professionnels en faisaient aussitôt la cartographie, au moins dans les institutions de conservation comme les bibliothèques. Suivant des règles formalisées (présentation du titre, édition, année, catégories Dewey, mots-clés), des strates entières de traces laissées par des auteurs se disposaient à leur place comme prédestinée : telle pièce, tel rayon, telle cote. Et, en principe, notre mémoire commune ne cessait de s’accroître.

Le lecteur, lui, se laissait guider par plusieurs habitudes lentement acquises et souvent par des connaissances implicites.

La décision de lire ou pas (d’acheter le journal, d’emprunter le livre…) se faisait à l’issue d’une brève délibération impliquant dans des proportions variables :

- Des considérations purement pratiques : coût ; temps de lecture, éloignement physique du lieu de stockage du texte (du kiosque au coin de la rue à la Bibliothèque Nationale pour un chercheur de province)

- La relation de confiance acquises au fil de la pratiqu : telle bibliothèque était riche, tel éditeur sérieux, telle collection orientée sur tel courant intellectuel, tel auteur fiable, tel quotidien « de référence », « bien informé » ou du moins conforme aux « valeurs » du lecteur.

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- Un système de réputation : lecture de la critique, conseils d’amis, de libraires, de bibliothécaires, et souvent informations glanées à l’occasion de la conversation, cet art bien français. Cette réputation pouvait être renforcée par des recommandations, récompenses ou prix décernés par des institutions.

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- L’usage d’équivalents littéraires des cartes et portulans : les catalogues et bibliographies pour guider un trajet de lecture. Quand le système de repérage et classification faisait appel à des éléments dits « métatextuels » comme les mots clés, ceux-ci étaient rares et sélectionnés suivant des règles communs.

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- Le résultat d’un premier contact physique avec le livre ou la publication. Ce contact prenait souvent la forme d’un rituel ou d’un itinéraire propre à chaque lecteur. Albert lit systématiquement la première et la dernière phrase. Béatrice picore des morceaux de texte. Claude regarde l’index, la bibliographie et les notes, pour vérifier le sérieux de l’auteur. Denise devant un journal, feuillette, regarde les titres, les chapôs, les photos, et se décide pour un article. Etc.

Souvent ce « contact physique » se résume en un coup d’œil : la couverture du

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livre, le titre, la typographie du journal et sa mise en page, son illustration suffisent à déclencher la décision d’achat, ou du moins, celle de feuilleter.

- Enfin le texte est évalué en fonction de ce que les sémiologues appelleraient sa transtextualité (tout ce qui met un texte en rapport avec d’autres). En clair, le lecteur évalue en fonction d’autres lectures qui lui permettent de mieux interpréter le texte-clef :

-citations (ou parodies ou allusions à) d’autres textes,

- appareil entourant le texte même (titres, sous-titres, critique, préface, notes),

-autres textes auquel le texte lu fait allusion sans nécessairement les reproduire même en partie ( par exemple les phrases « les marxistes pensent que » ou « les éditorialistes néo-conservateurs soutiennent la guerre en Irak »),

-reprise sous une forme dérivée (développement ou, au contraire, simplification pédagogique, pastiche, critique) d’un texte antérieur, -appartenance à une catégorie de textes (les éditoriaux du Monde, un livre de sciences humaines…).

A la fin et à la fin seulement du cycle, l’acquisition de l’information contenue dans le texte, chacun à sa façon propre : lecture de bout en bout, en diagonale, par picorage ou coups de sonde, annotée ou pas…

Tel est le monde d’où nous sommes issus. Un monde dont –le lecteur commence à s’en douter – il faudra réviser toutes les règles depuis que nous vivons aussi dans la vidéosphère dominée par l’audiovisuel et dans l’hypersphère des informations numérisées et en réseau,.

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S’informer avec des images

Une image peut-elle produire un savoir ? À quelques exceptions près (comme les Encyclopédistes qui croyaient en sa vertu pédagogique et employaient planches et schémas pour se faire comprendre), les philosophes ont tendance à répondre par la négative. Ils tendent à opposer l’image qui hypnotise, qui séduit, qui réduit, etc; à la parole qui enseigne par contact avec sage ou à l’écrit qui permet la réflexion et ouvre un dialogue invisible mais stimulant avec le lecteur. Platon voulait banir de sa cité idéale les peintres, les scuplteurs et tous ceux qui font de la mimésis, de l’imitation.

Pour lui, l’idée de lit était supérireure au lit fabriqué par un menuisier, mais ce dernier était inifiniment meilleur que le lit peint qui ne faisait que déformer la réalité et créer des illusions. L’image qui s’adresse aux sens est chatoyante, trompeuse… L’icône s’oppose au Logos.

Les religions n’ont pas non plus été tendres envers les fabricants d’images. Les mouvements iconoclastes, qui détruisaient les figurations religieuses ou profanes, se retrouvent à toutes les époques, et pas seulement dans les religions monothéistes.

Parmi les repoches– être un acte démiurgique qui rivalise avec la créatin divine, favoriser l’idôlatrie en représentant de faux dieux, inciter aux plaisirs terrestres - il y a aussi le reproche d’insuffisance sémantique. Une image faite par un homme ne peut représenter l’essence d’un être ominipotent comme le Créateur, ou simplement la nature ineffable du Saint.

Quand l’image est devenue indicielle, c’est-à-dire quand est apparue la photographie qui est un enregistrement du réel et non sa reproduction par un main habile, ce fut un cri pour prophétiser la mort de l’art. Et quand l’image s’est animée, nombre de penseurs se sont mis à énumérer les dégâts psychiques qu’allair produire cette technique. Mais l’horreur de l’horreur, reste la télévision, cet objet que les intellectuels aiment haïr. Des membres de l’école de Francfort exilés aux USA sous le nazisme à Karl Popper, ou de Neil Postman à Pierre Bourdieu, de la gauche à la droite, au nom de la culture humaniste ou de la lutte des classes, les pamphlets ne se comptent plus.

Umberto Eco avait même formé le mot d’apocalyptiques pour désigner tous ceux qui croient que „le média ne véhicule pas l’idéologie, il est l’idélogie“. Et il a parodié avec talent ces fulminations contre la manipulation du réel par les images télévisées ou ces descritpions du téléspectateur passif, amorphe, livré à la fascination d’un monde sans réalité fait pour l’entretenir dans ses rêves stéréotypés.

Rappelons cependant les principaux reproches faits à l’information télévisuelle :

- La hâte, le règne du vite filmé, vite diffusé, vite jugé, vite pensé. Donc l’absence de recul et de réflexion la tendance à recourir aux stéréotypes. Vite digéré, vite oublié. Cette hâte produit souvent une hystérie qui atteint à son tour les acteurs : il faut réagr pour le vingt heures, il faut annoncer une mesure spectaculaire…, en attendant que les caméras se détournent.

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- Le flux d’images qui met tout sur le même plan : il écrase toute hiérarchie, tout sentiment de ce qui est vraiment important. Le spectaculaire l’emporte sur le singificatif et le répétitif (ce à quoi s’intéressent les médias) sur l’informatif.

Les images qui nous sont présentées ne sont qu’une infime partie de celles qui sont disponibles, ne serait-ce que celles des agences. Mais cette infime partie finit souvent par être sélectionnée selon les mêmes critères dans le même pays, si bien que l’on ne cesse de se repasser les mêmes séquences à peu près dans le même ordre, au même moment, et avec des commentaires similaires..

- La mise en scène de la réalité (avec acteurs indentifiables, souvent bons et méchants, suspense, développement, dénouement…) a des effets pervers comme le développement de la polémique au détriment de la réflexion, la recherche du sensationnel ou la réduction du complexe.

- La fusion émotionnelle, le sentiment de vibrer ensemble, l’emportent sur la recherche du sens.

- La force du direct, le sentiment de participer, la séduction des grandes communions (nous vivons l’histoire tous ensemble, toute la planète vibre à ces images, regardez, vous êtes concernés..), la fusion émotionnelle, la p r é d o m i n a n c e d e l a c o m m u n i c a t i o n / c o m m u n i o n s u r l’information/distanciation…

- Le formatage : pour simplifier, ratisser large et soutenir l’attention distraite du téléspectateur, on recourt aux lieux communs, aux simplifications, on emploie les mêmes ressorts, on classe tous dans des genres et catégories très répétitifs.

- L’effet d’anticipation : on filme ce qui intéresse ou concerne les „gens“. Mais comment sait-on ce qui „intéresse les gens“ ? est-ce ce que réclame l’Audimat, ce que le public a l’habitude de se voir proposer ou ce dont un groupe de décideurs (les „gardiens des portes“) ont décidé qu’il serait digne d’être porté à l’attention des „gens“ ? Et sur quels critères ?

- Le pas-vu devient facilement le pas su et le pas intéressant. Ce dont il n’existe pas d’images, nul n’en parle, ce n’est pas un objet de „débat“, donc on s’y intéresse de moins en moins et on cherche moins à en trouver de images.

Donc…

- La tentation du pistacisme : les médias traitente de ce dont traitent les médias et en particulier d’eux-mêmes. Du coup, il peut se produire un effet emballement : on parle d’un sujet qui acquiert, par exemple, la dignité de symptôme d’époque ou de fait de société; puis on commente et on commente le commentaire du

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commentaire (le débat, la polémique) qui devient à son tour un phénomène éminent, digne d’être largement traité. Jusqu’à ce que la baudruche se dégonfle et que le sujet de société soit chassé par un sujet de société ou le problème par le problème (voir par exemple comment l’affaire de la grippe aviaire disparaît du jour au lendemain de l’actualité pour cause de CPE).

- La production de pseudo-événements (des événements qui ont été mis en scène pour passer à la télévision), de pseudo-personnalités (des gens qui sont bien connus pour être connus et dont la présence médiatique est liée à la visibilité médiatique antérieure) et de pseudo-commentaires (réflexions générales ou morales, généralement dans le registre de l’indignation, censées éclairer l’événement mais totalement prédictibles et absolument formatées pour passer et être assimilées dans le temps imparti). À noter que l’emballement peut partir d’un événement faux, mais que personne n’a pris le temps de vérifier ou n’a eu le courage de contester. Voir la prétendue agression antisémite dans le RER.

Par ailleurs, les acteurs tendent de plus en plus à prendre des pseudo-décisions : effets d’annonce, plans de communication, mobilisation des tribunes, …

- En amont, la prédominance de l’image modifie les habitudes et les mentalités.

Par exemple, la sélection de la classe politique se fait de plus en plus sur la télégénie. Les programmes tendent à se gommer au profit du marketing politique…

- Le trucage pur et simple : scènes jouées, situations provoquées, images traitées, désinformation. La technologie numérique le met à la portée de chacun

- La semi-authenticité de l’image. Comment en douter, puisque la caméra n’a fait qu’enregistrer des événéments qui se déroulaient devant son objectif ? Pourtant, il faut rappeler quelques évidences : une image télévisée dépend de son commentaire, de son contexte et de son montage. C’est un lieu commun, mais il faut le répéter : elle est construite et son interprétation nous est sinon imposée, du moins proposée avec insistance.

- Les déficiences de l’image qui est d‘abord particularisante. Elle peut montrer une personne, une victime, un „jeune“ ou un „Iranien“ que l’on fera parler au nom d’une catégorie de gens, à qui on fera représenter le sort d’une communauté.

Les sentiments que l’on éprouve à l’égard d’un individu visible ou d’une situation spectaculaire tendront à être généralisés. À la télévision on personnifie et on incarne, le fait est exemple et symptôme. Or l’image ne peut par définition représenter les abstractions (La République, la Justice) ni ce qui est absent, ni ce qui est conditionnel, ni ce qui est contradictoire. Donc rien de ce qui aide vraiment à comprendre le réel. La télévision tend à montrer des gens. Les gens sont sympathiques ou pas, ont l’air compétents, sincères, proches des préoccupations des gens, bon pédagogues ou pas. Malheureusement cela n’a

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rigoureusement rien à voir avoir la vérité de ce qu’ils énoncent ou la valeur de la cause qu’ils défendent ou avec le rôle de la catégorie qu’ils représentent.

- Le provincialisme paradoxal : bien que nous répétions sans cesse que les images ne connaissent pas de frontières et que les médias sont par excellence le domaine de la globalisation dans le village planétaire, les images que nous voyons dépendent fortement de nos cultures et de nos habitudes nationales.

Rien de plus frappant que de comparer deux JT le même jour à la même heure dans deux pays européens : à se demander si nos vivons dans le même monde.

- Le journalisme télévisuel qui est souvent un journalisme de l’urgence – et qui, dans tous les cas n’a plus guère le temps et les budgets pour faire des enquêtes de fond- est de plus en plus dépendant des ses sources. Voire de ses fournisseurs d’images qui ne sont pas toujours désintéressé.

Faut-il continuer la liste ? On a presque honte de prétendre ajouter sa pierre, surtout si on s’adresse, comme ici, à un public qui se pose sérieusemet la question du „Qu’est-ce que s’informer ?“ et dont la première idée ne serait sans doute pas de se précipiter sur le JT pour comprendre en profondeur la marche du monde. Mais la réponse était peut- être dans la question : si nous nous immergeons si volontiers dans ces flux d’images, si nous en délectons, est-ce vraiment parce que nous voulons apprendre ce qui se passe ? Ou parce que nous avons besoin de leur présence et de leur partage ?

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S’informer dans l’univer numérique

Comment s’informer sur Internet au sens défini précédemment (acquérir des connaissances vraies et pertinentes) ? Il semblerait que la question doive être résolue depuis longtemps tant il existe de sociétés, de consultants, de logiciels, qui se proposent de nous initier aux délices de la veille sociétale ou stratégique, avec des bases de données, de la cartographie sémantique, du knowledge management, du crawling, du data mining et autres techniques qu’il faudra évaluer par benchmarking…

Par ailleurs, qui n’a un jour suivi une formation sur l’emploi des métamoteurs et des agents intelligents, qui n’a au moins lu un texte sur les opérateurs booléens (qui relient plusieurs des mots d’une requête par des termes comme et, ou, sauf, etc) ?

Parmi ceux qui liront ces lignes, il y aura sans doute quelques uns parmi les milliers de professionnels de la quête d’information dans notre pays, et plus vraisemblablement encore, des lecteurs qui passent plusieurs heures par semaine à veiller face à un écran.

Ceux-là sont certainement sidérés par la surabondance des moyens offerts.

Pour ne donner qu’un exemple le CIGREF (Club Informatique des Grandes Entreprises Françaises) publie un guide des outils de collecte, traitement et visualisation de l’information : il en présente une centaine, dont certains de très bon niveau en sciences cognitives, linguistique, informatique, etc..

Cela signifie que, face aux milliards de pages d’information potentielle sur le Web visible (et ne parlons pas du Web dit invisible que certains estiment plusieurs centaines de fois plus important), nous avons besoin de déléguer à des algorithmes et à des organisations des tâches que le cerveau humain accomplit seul dans une tâche de documentation traditionnelle. Ce peut être : trouver des sources, interpréter en catégories communes des textes, paroles et images, classer, synthétiser, filtrer ce qui est redondant, se représenter (parfois graphiquement) le résultat de sa recherche, etc.

Dans un cybermonde où l’information est dématérialisée (ou du moins, semble dématérialisée : le jour où vous avez une panne de disque dur, vous réalisez que l’information était physiquement quelque part, fut-ce sous forme de cristaux de silicone), votre problème n’est pas de gérer des stocks (des traces de l’information attendant d’être consultées quelque part classées mais de vous diriger dans des flux d’information instables et sans limite connue.

Souvent, l’utilisateur au quotidien a des besoins beaucoup moins sophistiqués ; il n’a pas à détecter très vite des signaux rares et faibles enfouis sous d’énormes quantités de données. Il recherche une information factuelle ou simplement un éclairage sur un thème évoqué par les mass media. Il veut le plus souvent savoir comment taper les bons mots clés, identifier les sources fiables et ne pas perdre trop de temps. Chacun tend d’ailleurs à inventer sa propre heuristique : trucs et astuces, bonnes adresses, démarches de collecte et de vérification, etc.

Mais, même pour des besoins très simples comme ceux-là, il s’agit d’être face à un écran, et de naviguer dans l’information, dans des flux de données aux contours

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instables et mal fixés, au lieu d’avoir à aller chercher des objets (de livres, des articles de revue…) qui stockent quelque part un contenu ayant un auteur bien identifié et sous une forme ayant date certaine (celle de l’impression, par exemple).

Ainsi comment parvient-on à l’information sur Internet ? Quel trajet mène à une page précise ?

Il n’y a que trois réponses à cette question. :

- Soit cette page vous a été indiquée et recommandée par quelqu’un. Ainsi, ce quelqu’un vous a donné cette adresse en vous faisant parvenir un lien dans un courriel.

Ou vous l’avez lue et suivie dans une lettre électronique à laquelle vous êtes abonné.

Ou vous l’avez relevée dans un livre ou un journal. Ou vous avez cliqué dans un lien hypertexte au cours d’une de vos navigations. Mais dans tous les cas, quelqu’un a délibérément souhaité que vous (ou vous et le maximum d’internautes) alliez rechercher de l’information sur cette page précise. Il a ainsi agi soit parce qu’il a une forme quelconque d’intérêt - fut-ce un intérêt idéologique ou amical - à ce que vous alliez sur cette page, soit parce qu’il pense enrichir son propre texte. Ainsi, lien peut en faciliter la compréhension, en prouver le sérieux, en faciliter la lecture en déléguant certaines définitions ou certains rappels à d’autres sources,…

- Soit vous y avez accédé en suivant un trajet familier. Vous avez cliqué sur un de vos favoris. Vous avez recherché ce que dit un site (ou un portail) que vous connaissez et à qui vous accordez un certain crédit : être véridique ou être bien informé, ou jouir d’un prestige intellectuel, ou être conforme à vos opinions, ou au contraire être très représentatif d’un courant d’idées ou d’une institution dont vous voulez connaître les réactions. Le plus souvent, vous avez suivi une simple routine. Par exemple, vous avez coutume de visiter ce site à intervalle régulier et de vous tenir au courant de ses nouveautés et évolutions. Ou encore, vous pensez que vous gagnerez du temps en commençant par un certain type de documents qui auront déjà fait une synthèse sur le sujet et vous dirigeront dans vos recherches ultérieures. Ainsi, beaucoup commencent systématiquement une recherche sur un sujet par une visite à un site dictionnaire, ou à une encyclopédie comme Wikipedia, ou à un site spécialisé dans l’actualité du domaine.

- Soit vous avez fait appel à ce que nous nommerons une « machine à interpréter », un opérateur non humain tel un robot de recherche ou un métamoteur. Celui-ci vous a proposé des réponses à une demande formulée sous forme de mots-clefs. Dans la plupart des cas, encore, ces réponses vous ont été proposées dans une très longue liste de dizaines de pages dont vous ne regarderez que la ou les premières. D’une manière ou d’une autre un algorithme a indexé selon ses critères un nombre considérable de sources potentielles, mais il a aussi ordonné les réponses selon d’autres critères qui lui sont propres. Certains de ces critères sont officiellement déclarés secrets, pour ne pas rendre la tâche trop facile aux tricheurs. En clair, le résultat dépend de règles d’indexation et de hiérarchisation qui, elle-même, reflètent des choix en amont et gouvernent les règles de classement. L’immense pouvoir de diriger l’attention de

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millions d’internautes dépend d’un code plus ou moins explicite.

Dans la réalité, les trois méthodes, recommandation, habitude, interprétation se mêlent plus ou moins. Par exemple, un algorithme peut vous « recommander » un lien ou un texte en vous signalant que les gens qui se sont intéressés au même livre A que vous achètent souvent le livre B. Ou encore un site vous « construit » une revue de presse numérique en fonction de votre profil supposé ou des articles les lus ou les plus recommandés par les internautes s’intéressant au même domaine que vous. De façon plus générale, sur Internet, le succès tend à aller au succès. Ce qu’exprime parfaitement le système dit du « page rank » de Google qui privilégie les sites les plus

« populaires » et considère comme les plus « pertinentes » (donc les plus dignes d’être classées en haut de liste, donc les plus susceptibles d’attirer de nouveaux visiteurs), les réponses qui ont reçu le plus de « votes » d’autres visiteurs.

Premier constat : pour une grande part,, la façon d’accéder à l’information dépend de facteurs purement psychologique, voire de croyance ou de confiance : confiance en une source habituelle ou crédit accordé à l’indication que vous fournit tel ou tel voire foi en la communauté des internautes. Cette confiance « démocratique » ne s’exprime jamais autant que dans l’usage d’une encyclopédie de type Wikipedia : il faut faire le pari que les « bons » (les gens compétents qui désirent diffuser le savoir pour l’amour du savoir et rectifier les erreurs) sont plus nombreux et plus obstinés que les « mauvais

» (désinformateurs, mésinformateurs, rédacteurs intéressés cherchant à faire de la publicité sous couvert d’un texte informatif). Et surtout qu’ils gagnent à la fin.

Second constat : dans notre accès à l’information, outre la confiance plus ou moins nourrie par l’expérience, nous dépendons de « prothèses sémantiques », de dispositifs humains ou numériques destinés à diriger notre attention vers telle ou telle information, selon des règles parfois obscures.

Au stade actuel, tant que le Web sémantique – sur lequel nous reviendrons – n’est pas encore une réalité, ceci se fait avec des mots. Prenons un exemple quotidien. Que s’est-il passé quand vous avez lancé une requête sur votre recherche favori ? En réalité vous avez recueilli les fruits d’un travail fait par des robots qui ont exploré le cyberespace, suivi des liens de site en site pour découvrir de nouvelles pages, y ont prélevé des vocables et les ont indexés dans d’immenses bases de données en perpétuel renouvellement. Celles-ci « savent » d’où provient chaque occurrence du terme et « décident » où vous envoyer prioritairement le chercher. Dans le cas des annuaires de recherche, ce sont des êtres humains qui ont recensé et classé les pages web. Mais, dans les deux cas, on aboutit au même point : une hiérarchie.

Ce pouvoir de faire apparaître dans un certain ordre est une forme sophistiquée d’établissement de l’agenda de l’internaute. Il constitue un contrôle au second degré puisqu’il ne s’agit pas seulement de lui suggérer à quoi il faut penser ou ce qui est important, mais de lui fournir les critères pour juger de ce qui est important ou vraisemblable.

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Mais qui dit pouvoir dit contre-pouvoir. Aux stratégies de contrôle qui président à la conception de l’algorithme de recherche et indexation, s’opposent les stratégies astucieuses : celles des petits malins ou des tricheurs qui exploitent les caractéristiques des moteurs pour améliorer artificiellement le référencement de leur site. Ainsi, la possibilité d’être visible, donc d’exister dans l’opinion, ne dépend plus de moyens financiers, ceux qui permettent d’acheter de la publicité (encore que, sur Internet, un bon investissement financier permet d’acheter de la visibilité et un bon « rang »), mais il reflète la capacité à exploiter les règles invisibles du jeu. Des recettes circulent ainsi, reflétant une connaissance plus ou moins informelle des trucs qui marchent : utiliser certains mots clés à certains emplacements de sa page, créer de multiples liens externes, truffer les « balises méta » (les informations que « voient » les moteurs de recherche, mais pas les visiteurs humains) de mots clefs ayant un fort pouvoir attractif.

Quelqu’un a un jour comparé Internet à une bibliothèque mal rangée où il y aurait des dizaines de catalogues concurrents, mais où, dans certains rayons, des gens qui lâcheraient des ballons et joueraient de la trompette pour attirer votre attention.

• La stratégie du tricheur se manifeste à travers deux phénomènes folkloriques : le cloaking et le Google bombing. Le premier consiste en une sorte de maquillage ou de camouflage de son site. Il présentera un aspect différent au visiteur ordinaire et à celui qui est repéré comme important ou prescripteur (tel un robot d’indexation). Ainsi, un site cloaké peut se présenter d’une façon adaptée à son visiteur : lui apparaître dans sa langue, lui adresser une publicité spécifique, lui cacher certaines informations s’il est soupçonné d’être hostile ou indiscret, mais il peut aussi améliorer le référencement d’un site par des méthodes douteuses. Dans ce dernier cas, on peut comparer le site

«cloaké» à un hôtelier qui propose une chambre ou un repas de luxe à un journaliste ou à inspecteur du guide Michelin à un prix très bas et en feignant de traiter ainsi tous ses clients. Ici il s’agit de présenter des pages «optimisées» pour le référencement au robot qui vient visiter le site : elles sont bourrées de mots-clés, mais leur aspect rébarbatif découragerait le visiteur humain.

• Quant au Google bombing, il consiste à exploiter une des caractéristiques du moteur de recherche le plus connu. Ce dernier considère, pour dire les choses de façon très simplifiée, que, plus un site est « populaire », et notamment plus d’autres sites ont créé un lien qui pointe vers lui, mieux il doit être classé. En créant ou en réorientant délibérément des sites qui pointent tous dans la même direction, il est ainsi possible donner beaucoup de « poids » artificiel à un site, qui sera bien classé et attirera des milliers de visiteurs. Une des utilisations amusantes de cette technique consiste à faire en telle sorte que l’internaute qui recherche les termes « miserable failure » ou « magouilleur » tombent respectivement sur des pages consacrées à G.W. Bush et à Jacques Chirac.

Il existe d’autres techniques dites de spamdexing pour tromper les robots : multiplication de mots clefs invisibles au visiteur humain (écrits en couleurs peu visibles, ou en très petit, ou à un emplacement discret…), pages satellites, redirections trompeuses… Les blogs ont suscité d’autres recettes : par exemple, celle qui consiste à faire déposer énormément de commentaires portant un texte tout à fait banal («

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Excellent article ! », « Je vous approuve ») sur les blogs d’autrui, mais en signant avec sa propre adresse URL, ce qui équivaut à créer un lien qui sera référencé.

Il va de soi que ces méthodes sont répréhensibles et que celui qui les emploie risque de se retrouver sur une liste noire. Il ne faut pas non plus en déduire ia contrario que tout succès d’un blog ou d’un site résulte d’une manœuvre machiavélique ou de techniques malhonnêtes. Internet est également riche en surprises, comparables au succès de certains livres inconnus et négligés par la critique qui fonctionnent par pur bouche à oreille.

La première conclusion de ce survol est que l’ensemble des procédés de validation d’une information ont totalement migré de l’amont à l’aval. Dans l’univers du livre et du journal, des dispositifs d’accréditation visaient à vérifier la valeur du texte figé soit avant publication, soit juste après, par la critique ou l’évaluation des professionnels qui en détermineraient (en partie) la visibilité (présence dans les bibliothèques ou les librairies, reprise par des citations et commentaires). Or, sur Internet, la hiérarchie et la validation de l’information se font après publication, c’est-à-dire apparition sur le Net.

Et le résultat dépend de l’interaction des trois stratégies que nous avons évoquées : stratégies de contrôle des moteurs de recherche et prescripteurs, stratégies astucieuses des tricheurs qui exploitent les règles formelles du système, stratégies altruistes et collaboratives de tous ceux qui, sur les blogs, les forums, les wikis, tentent d’aider leurs contemporains face aux trois dragons qui les menacent sur Internet : désinformation, surinformation, mésinformation

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L’AUTEUR

FRANÇOIS-BERNARD HUYGHE

HTTP://WWW.HUYGHE.FR! ! CONTACT@HUYGHE.FR

Ses ouvrages :

Maîtres du faire croire. De la propagande à l’influence (Vuibert 2008) Comprendre le pouvoir stratégique des médias (Eyrolles 2005)

Quatrième guerre mondiale (Ed. du Rocher 2004)

Écran/Ennemi Terrorisme et guerre de l’information (00hOO.com 2002) L’ennemi à l’ère numérique (PUF 2001) L’information, c’est la guerre (Corlet 2001)

Les experts (Plon 1996)

La langue de coton (R. Laffont 1991) La soft-idéologie (R. Laffont 1987) Avec Edtih Huyghe, il a écrit : La route de la soie, La route des tapis, Histoire des secrets, Images du monde, Les coureurs d’épices.... ! !

Enseignement : Iris/Ipris

Campus virtuel de l’Université de Limoges

École de guerre économique DRMCC, ENA, Etc..

Médiologue, il fait partie du comité de rédaction de Médium

François-Bernard Huyghe est docteur d’État en sciences politiques et Habilité à diriger des

recherches en Sciences de l’Information et de la communication

F.B. Huyghe est expert associé à l’IRIS et a créé

HUYGHE INFOSTRATÉGIE SARL société de conseil et formation en

intelligence économique, communication d’influence, guerre de

l’information, infostratégie...

Il anime le site : http://www.huyghe.fr

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Domaines de recherche : stratégies de l’information, décryptage des médias, intelligence économique et stratégique, médiologie, polémologie mais aussi critique des idées contemporaines, routes de rencontres des civilisations et des imaginaires (route de la soie, route des épices...)

Les maîtres du f faire croire De la propagande à l’influence Vuibert 2008

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Vuibert – Tél.: 0142 79 44 00– Fax: 01 42 7946 80

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Ouvrage disponible en librairie. Prix valables jusqu’au 31 décembre 2008, donnés sans engagement et susceptibles de modifications. Visuels non contractuels.

ISBN Titre Prix public unitaire Quantité Total

1194-9 Maîtres du faire croire 16m ... ...m

maîtres du faire croire

de la propagande à l’influence François-Bernard Huyghe

CollectionComprendre les médias ISBN : 978-2-7117-1194-9

16m, 176 pages Éditeur : Vuibert

En coédition avec le Clemi et l’Ina

La collection « Comprendre les médias » a pour ambition d’accompagner votre réflexion sur les médias en vous donnant les outils nécessaires pour déchiffrer l’actualité.

Depuis le temps où les Grecs ont inventé la rhétorique et les Chinois les anthologies de stratagèmes, des professionnels du faire croire s’organisent afin de contrôler ce que nous pensons ou ce que nous perce- vons. Leurs instruments de persuasion visent une cible unique : notre cerveau.

D’ordre politique, religieux ou économique, leurs objectifs sont divers : rendre des idées contagieuses ou déstabiliser l’autre camp, peser sur les décisions des élites ou gagner des marchés… Leur ampleur et leur gravité sont variables : de fanatiser des millions de gens à répandre une rumeur sur Internet.

À travers cette histoire des organisations et techniques d’influence, l’auteur montre leurs ressorts mais aussi leurs limites et les remèdes qu'il faut employer afin de ne pas en être victime et pour mieux com- prendre l’histoire contemporaine.

L’AUTEUR

Docteur d’État en sciences politiques,François-Bernard Huygheest spécialiste des stratégies de l’information, expert à l’Institut de recherches internationales et stratégiques, enseignant dans plusieurs instituts universitaires, et aussi consultant. Il s'est consacré aux idées contemporaines et aux rapports entre information et conflits dans différents ouvrages, notamment : La Langue de coton(Robert Laffont),L’Ennemi à l’ère numérique(PUF),Quatrième guerre mondiale : faire mourir et faire croire (Éditions du Rocher),Comprendre le pouvoir stratégique des médias(Eyrolles), etc.

Références

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