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O. INTRODUCTION GENERALE La figure de J. Derrida, qui n’est plus à présenter

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Academic year: 2021

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« Comme l’écriture, le texte de J. Derrida est atopique, hors catégorie, hors la loi, bâtard »

(Sarah Kofman )

O. INTRODUCTION GENERALE

La figure de J. Derrida, qui n’est plus à présenter

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, contraste avec le paysage intellectuel et philosophique contemporain, parce qu’elle serait, pour le moins, inclassable.

Les chercheurs les plus érudits comme les chevaliers de la plume s’accordent à considérer Derrida comme un paradoxe, par rapport au mouvement de pensée général de son temps, non seulement à cause de sa grandeur longtemps méconnue dans son propre pays, dirions- nous dans son propre continent, mais aussi en raison de la spécificité de son type et style de pensée. Dans les milieux intellectuels français, par exemple, sous l’intitulé Le paradoxe Derrida, l’auteur de De la Grammatologie fut récemment présenté par les éditorialistes des journaux Le Monde et Le Monde diplomatique comme le plus grand philosophe de cette époque en Occident, mais ignoré par son milieu.

Evoluant dans la confluence de plusieurs disciplines du savoir, la pensée de Derrida n’est pas d’un accès aisé. Non seulement elle reste très difficile à pénétrer, à cause de son statut et de son style particuliers et à peine déterminables, mais aussi elle se prête et sollicite l’imbrication de plusieurs régions épistémologiques et/ou philosophiques, pour parler comme M. Foucault, avant de livrer, un tant soit peu, son intelligibilité. Vouée à une dissémination sans cesse, cette pensée qui évolue, se développe et s’accroît à un rythme vertigineux et sans fin, est loin de se soumettre à une fixation objective que nécessite toute démarche épistémologique. C’est dire, en d’autres termes que, pour prendre la mesure de l’importance de la pensée de J. Derrida aujourd’hui, il faut compter avec l’imprenable ou, plus précisément, l’incommensurable. L’on est, pour ainsi dire, d’entrée de jeu, livré à l’aporie de l’incalculable calcul ou du possible impossible. Du coup, il devient quasiment

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P Po ou ur r t to ou ut t é él lé ém me en nt t b bi ib bl li io og gr ra ap ph hi iq qu ue e, , l le e l le ec ct te eu ur r p po ou ur rr ra a u ut ti il le em me en nt t s se e r ré éf fé ér re er r, , e en nt tr re e a au ut tr re es s, , à à l l’ ’o ou uv vr ra ag ge e q qu ue e G Ge eo of ff fr re ey y B

Be en nn ni in ng gt to on n a a c co os si ig gn né é a av ve ec c D De er rr ri id da a s so ou us s l le e t ti it tr re e J Ja ac cq qu ue es s D DE ER RR RI ID DA A, , P Pa ar ri is s, , S Se eu ui il l, , 1 19 99 91 1, , 3 37 73 3p p. .

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impossible d’en fixer le contexte d’émergence, tant il est vrai que la marge de ce dernier, qui se dilate sans réserve, nous livre à (une) épreuve de la limite sans limite.

A peine le statut de cette pratique de pensée eut-il cessé de soulever des questions, que l’on se précipita à y reconnaître une impulsion structuraliste voire néo-structuraliste, d’un nouveau style (M. Frank, F. Lyotard, G. Vattimo, L. Goldmann

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, etc.). Alors que d’aucuns, probablement influencés par le fait que Derrida enseigne dans le Département de Littérature à l’Université de Yale, ne voient dans son travail qu’une affaire de critique littéraire, d’autres trouvent en lui, soit un nietzschéen, soit un hégélien, soit encore un heideggerien dissident. De cette dissidence avec les ténors de la philosophie moderne et contemporaine, Derrida s’inscrirait dans un quasi-courant de pensée baptisé la post- modernité. Quelles que soient les réticences de notre auteur à ce propos, cette étiquette fera tache d’huile, au point de paraître comme le lieu commun parmi ses interprètes et lecteurs.

Le travail de déconstruction, dont l’envergure nous semble, encore une fois, incommensurable et insuffisamment pensé jusqu’ici, ne sera interprété, par bon nombre de chercheurs, que comme une remise en question des acquis de la modernité, même du point de vue philosophique (Cf. J. Habermas).

Bien qu’éclairante, à plus d’un titre, une telle approche du travail de Derrida en occulte, à notre avis, le statut et les enjeux essentiels. Cette dissertation se propose d’amorcer une clarification de la position de Derrida dans l’enceinte de la philosophie moderne et contemporaine. A partir de cet éclairage, nous nous efforcerons de déterminer quelques enjeux philosophiques majeurs de la pensée de notre auteur – furent-ils ou pas considérés comme tels par lui. En fait, en dépit du nombre de plus en plus croissant d’études sur Derrida – dans les domaines de recherche aussi variés que la littérature, la critique littéraire, l’herméneutique, la linguistique, l’anthropologie, la sociologie, les arts (musique, cinématographie, peinture, etc.), le droit, la politique et plusieurs branches de la philosophie (à commencer par l’histoire de la philosophie, la métaphysique, la philosophie de l’art, l’épistémologie, la philosophie analytique et du langage, la philosophie juridique et politique, la philosophie sociale et l’éthique, etc.) –, l’intérêt d’une interrogation pour une meilleure élucidation de sa pratique de pensée, nous semble aujourd’hui des plus vifs.

De sorte qu’il serait trop ambitieux de prétendre brosser en quelques pages la dette de

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Au A u co c ou ur rs s de d e s so on n e en nt tr re et ti ie en n a av ve ec c De D er rr ri id da a, , en e n l la a sé s éa an nc ce e du d u 2 27 7 ja j an nv vi ie er r 19 1 96 68 8, , au a ut to ou ur r d de e la l a di d if ff fé ér ra an nc ce e, , ce c et t au a ut te eu ur r dé d éf fe en nd d l l’ ’i id dé ée e q qu ue e, , e en n dé d ép pi it t de d es s m mé ér ri it te es s qu q u’ ’o on n se s e do d oi it t de d e re r ec co on nn na aî ît tr re e à à De D er rr ri id da a, , s so on n ad a dh hé és si io on n à à la l a p ph hi il lo os so op ph hi ie e st s tr ru uc ct tu ur ra al li is st te e c co on nt te em mp po or ra ai in ne e, , q qu ui i a ab bo ou ut ti it t à à l la a n né ég ga at ti io on n du d u su s uj je et t, , re r es st te e in i nc co on nt te es st ta ab bl le e. . Cf C f. . L. L . G GO OL LD DM MA AN NN N, , La L a

“D “ Di if ff ér ra an nc ce e” ”, , d da an ns s B Bu ul ll le et ti in n d de e l la a S So oc ci ét é F Fr ra an ça ai is se e d de e P Ph hi il lo os so op ph hi ie e, , P Pa ar ri is s, , L Li ib br ra ai ir ri ie e A Ar rm ma an nd d C Co ol li in n, , 1 19 96 69 9, , p p. . 1 11 12 2- - 1

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pensée contractée, en notre temps, par les discours et pratiques économiques, politiques, juridiques, éthico-sociaux, philosophiques et autres, à l’endroit du travail philosophique de Derrida.

Une telle enquête nécessiterait donc un travail considérable que nous ne saurions entreprendre ici

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. Par conséquent, cette thèse se contentera de circonscrire, dans un champ essentiellement épistémologique, au sens large du terme, quelques axes d’analyse qui prouvent non seulement l’actualité et la pertinence de la pensée de Derrida mais aussi et surtout l’urgence ainsi que la nécessité de ne point rester indifférent à l’égard de cette pensée en œuvre, communément reconnue sous le nom de la déconstruction, et dont on lui attribue la paternité. Nous verrons, au demeurant, – et Derrida lui-même le reconnaît –, que cette paternité ne lui revient pas en réalité. Car, la pratique de la déconstruction remonte à Nietzsche et surtout à Heidegger, chez qui elle reçoit sa première thématisation.

Touchant à tout, selon les propres termes de Derrida, la déconstruction constitue le lieu commun de ses interprètes et lecteurs provenant de différents horizons philosophiques.

Dans et par-delà ce lieu commun, notre dissertation entend focaliser son attention sur un concept non conceptualisable dans la logique et l’épistémè au sens traditionnel ou, plutôt, sur un non-concept, celui de la différance (donc avec un a). A travers lui s’annonce une logique, si nous osons dire, a-logique de la dissémination et de la diffraction sans terme.

Sans vouloir surdéterminer outre mesure la différance dans le corpus philosophico- épistémologique de Derrida, elle nous semble, néanmoins, s’imposer comme une clé interprétative obligée du travail du ‘’père’’ de la déconstruction contemporaine.

Pourtant, de cette position de la différance – que d’aucuns ont réduite à une pure distorsion orthographique par le simple goût de jeu de mots ou d’écriture – au cœur de l’œuvre de Derrida, les enjeux, en terme de conséquences, jusqu’ici manifestement insoupçonnées, dans la communauté des lecteurs et interprètes de Derrida, sont incalculables. C’est dire que, pour nous, le non-concept ‘’différance’’ qui, par son jeu de diffraction et de dissémination sans fin, déjoue la rationalité stricte de la logique classique, oppositionnelle et identitaire (de la présence), ouvre la voie à l’autre-de-la logique, à une forme ou pratique de pensée a-logique, dirions-nous, à une logique – puisqu’elle exige

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L’ L ’a av va an nt ta ag ge e d de e no n ot tr re e pr p ro ox xi im mi it té é te t em mp po or re el ll le e av a ve ec c D De er rr ri id da a vi v ir re e ic i ci i en e n dé d és sa av va an nt ta ag ge e. . Ca C ar r, , au a us ss si i p pa ar ra ad do ox xa al l q qu ue e c ce el la a pu p ui is ss se e p pa ar ra aî ît tr re e, , ce c et tt te e pr p ro ox xi im mi it té é q qu ui i fa f ac ci il li it te e l le e co c on nt ta ac ct t e et t, , au a u be b es so oi in n, , le l e ‘ ‘’ ’d di ia al lo og gu ue e’ ’’ ’ ph p hy ys si iq qu ue e a av ve ec c l’ l ’a au ut te eu ur r- - pr p ro od du uc ct te eu ur r de d e l’ l ’œ œu uv vr re e so s ou us s e ex xa am me en n, , co c on ns st ti it tu ue e un u n ré r ée el l ob o bs st ta ac cl le e à à l la a r ré éa al li is sa at ti io on n d’ d ’u un n t tr ra av va ai il l e ex xh ha au us st ti if f d de e so s on n v

vi iv va an nt t, , d dè ès s l lo or rs s q qu ue e l l’ ’h hé ér ri it ta ag ge e d de e p pe en ns sé ée e n n’ ’a a p pa as s e en nc co or re e l l’ ’a au ut to or ri it té é t te es st ta am me en nt ta ai ir re e. . M Ma ai is s, , a au uc cu un n t tr ra av va ai il l d de e l le ec ct tu ur re e e et t d’ d ’i in nt te er rp pr ré ét ta at ti io on n n ne e sa s au ur ra ai it t p pr ré ét te en nd dr re e à à l’ l ’e ex xh ha au us st ti iv vi it té é. . Ca C ar r, , m mê êm me e l la a m mo or rt t e em mp pi ir ri iq qu ue e d de e l’ l ’a au ut te eu ur r n ne e pr p ro od du ui it t q qu u’ ’u un n le l eu ur rr re e d’ d ’u un n c co or rp pu us s ac a ch he ev vé é, , t to ou ut t e en n d di is ss si im mu ul la an nt t l la a m mo or rt t qu q ui i o op pè èr re e to t ou uj jo ou ur rs s d dé éj jà à d da an ns s le l e t te ex xt te e, , ac a ct tu ua al li is sa an nt t ai a in ns si i la l a th t hè ès se e de d er rr ri id di ie en nn ne e s se el lo on n l la aq qu ue el ll le e ‘’ ‘ ’t to ou ut t g gr ra ap ph hè èm me e e es st t d d’ ’e es ss se en nc ce e te t es st ta am me en nt ta ai ir re e’ ’’ ’. . Ce C ec ci i e es st t d’ d ’a au ut ta an nt t p pl lu us s v vr ra ai i po p ou ur r l

l’ ’œ œu uv vr re e d de e D De er rr ri id da a q qu ue e l la a p pl lu ur ri id di is sc ci ip pl li in na ar ri it té é q qu ui i l l’ ’e en nt to ou ur re e n n’ ’e es st t p pa as s e en nc co or re e s su uf ff fi is sa am mm me en nt t p pe en ns sé ée e. .

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toujours la cohérence et la conséquence requises pour toute discipline du savoir, non- logique –puisqu’elle désobéit aux canons de la logique traditionnelle. La ‘’logique’’ de la différance permettrait une lecture de la pensée de Derrida sous la forme d’une unité toujours différée et fragmentée, malgré la croyance si ténue, parmi les interprètes, à l’impossibilité de quelque unité que ce soit de l’œuvre du ‘’père’’ de la déconstruction.

En fait, c’est au nom du principe de la différance qu’en ‘’lecteur’’ de l’histoire de la philosophie, Derrida réussit à délimiter les prétentions de la métaphysique traditionnelle – à travers laquelle émerge, de part et d’autres, une visée oppositionnelle, dichotomiste et réductrice au même, en un mot, une tendance à la négation et/ou à la suppression de l’irréductible altérité (de l’autre en général) – pour instaurer ce qu’il convient de désigner comme une pratique de la béance, de l’incommensurable, de l’incalculable, de l’inépuisable et irréductible altérité ou, plus précisément, de l’itérabilité comme altérabilité de toute donnée d’être ou de sens. Le mouvement de la différance déstabilise ainsi les assises traditionnelles de la ratio ou de la logique classique, au point de faire difficulté même à toute volonté systémique, voire systématique du savoir en général. Rebelle à toute codification, l’écriture comme champ de manifestation de ce mouvement général, sera non seulement transformée et radicalisée, mais placée dans une position déconstructrice pour déjouer toutes les oppositions classiques. Sous le nom de grammatologie, Derrida annonce, dès le début de sa carrière philosophique, ce mouvement général de la science non scientifique, et donc non logique, de l’écriture généralisée.

Avec la pratique grammatologique (c’est-à-dire de l’écriture généralisée) non scientifique, s’engage un vaste mouvement de déconstruction de la métaphysique traditionnelle logocentriste. Ce mouvement qui, à nos yeux, est coulé sous la forme d’une logique non-logique de la différance regorge, on l’a dit, par rapport à la pensée de Derrida et l’histoire de la philosophie, des enjeux incalculables. Parmi plusieurs, cette thèse s’emploiera à en circonscrire deux qui nous paraissent être principaux. Il s’agira, d’une part, de la construction du passage de la déconstruction du logocentrisme à la logique de la différance et, d’autre part, de la transgression de la révolution linguistique et pragmatique, communément appelée Linguistic-turn, par le travail de la différance. La construction de ces deux enjeux constitue les deux parties de cette étude.

L’intérêt d’un tel choix peut se décliner négativement et positivement.

Négativement, orienter notre élaboration de la logique de la différance vers deux champs

bien circonscrits nous évitera toute dispersion préjudiciable à une approche conséquente de

la pensée de Derrida en pleine expansion. Positivement, il permet de cibler des pistes de

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recherche qui n’ont pas fait jusqu’ici, suffisamment, l’objet de l’attention philosophique, en tout cas pas encore avec l’arrière-fond de la logique de la différance comme axe transversal de la pensée de Derrida. L’on obtient ainsi un double gain, aussi bien par rapport à la communauté des lecteurs et disciples de Derrida que par rapport à ce dernier lui-même. En fait, jamais Derrida et les derridiens n’ont stigmatisé la différance comme clef de lecture de l’ensemble connu de son œuvre, encore moins comme principe directeur- déclencheur de toute déconstruction ou, pour risquer d’emprunter à Husserl cette expression que Derrida déconstruit par ailleurs, comme principe des principes de sa pensée. Jamais non plus Derrida et les derridiens n’ont franchi le seuil du débat Searle- Derrida et ses épilogues, pour tenter d’envisager le fait que ce ‘’principe des principes’ que nous préférons nommer ‘’logique non-logique de la différance’’, qui sous-tend toute l’argumentation déconstructrice de Derrida envers la théorie du performatif, aussi bien dans Signature événement contexte que dans Limited Inc a b c ou dans Vers une éthique de la discussion, comportait les marques de transgression du Linguistic-turn en ses thèses essentielles. Trop peu de chercheurs se rendent compte de l’unification fragmentée de la pensée de Derrida que permet de réaliser ce ‘principe des principes’. Derrida, pour le dire avec Rudy Steinmetz, « paraît signer d’un nom une œuvre qui s’est développée, au point de vue de ses stratégies stylistiques, en trois phases qui restent soumises au même principe fondateur, celui de la différance originaire sous l’égide de laquelle l’écriture obéit à un double principe de répétition et de transformation »

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.

Notre propos consistera à faire ressortir les enjeux, à nos yeux très méconnus, de ce principe directeur de la pensée de Derrida, selon une triple démarche – à la fois thématique, constructive et analytique –, afin d’éclairer, au-delà du projet de son auteur, ses implications fondamentales. Il va de soi que les expressions ‘’principe directeur’’ ou

‘’principe des principes’’ ne constituent ici que des façons de parler. Car, toute l’œuvre de Derrida s’ordonne vers la déconstruction de l’archè. Pour mieux déterminer le sens de notre approche, il convient de préciser qu’elle renonce à toute orientation historique et synthétique.

En effet, d’une part, pareille orientation risquerait d’occulter les enjeux que nous nous efforçons de révéler et, d’autre part, elle n’est pas appropriée pour l’étude d’une

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R R. . ST S TE EI IN NM ME ET TZ Z, , L Le es s st s ty yl le es s d de e De D er rr ri id da a, , Br B ru ux xe el ll le es s, , E Ed d. . d de e Bo B oe ec ck k- -W We es sm ma ae el l, , 1 19 99 94 4, , p. p .1 13 3. . L L’ ’a au ut te eu ur r r ré és su um me e en e n t

tr ro oi is s te t er rm me es s c ce es s di d if ff fé ér re en nt ts s st s ta ad de es s de d e l la a p pe en ns sé ée e d de e De D er rr ri id da a. . Il I l s s’ ’a ag gi it t d’ d ’a ab bo or rd d de d e l la a ph p ha as se e d’ d ’e ex xp po os si it ti io on n, , q qu ui i co c om mm me en nc ce er ra ai it t av a ve ec c l le e m mé ém mo oi ir re e d de e ma m aî ît tr ri is se e su s ur r H Hu us ss se er rl l, , le l eq qu ue el l m mé ém mo oi ir re e se s er ra a pu p ub bl li ié é a au ux x Pu P uf f. ., , e en n 1 19 99 90 0, , p pl lu us s d de e tr t re en nt te e a an ns s ap a pr rè ès s s sa a so s ou ut te en na an nc ce e, , so s ou us s l le e ti t it tr re e Le L e Pr P ro ob bl èm me e de d e la l a g ge en ès se e da d an ns s l la a p ph hi il lo os so op ph hi ie e d de e H Hu us ss se er rl l. . En E ns su ui it te e, , vi v ie en nt t c ce el ll le e de d e l l’ ’e ex xp pl lo os si io on n, , qu q ui i d dé éb bu ut te er ra ai it t av a ve ec c La L a di d if ff ér ra an nc ce e pu p ui is s, , en e nf fi in n, , ce c el ll le e d de e l’ l ’i im mp pl lo os si io on n, , d de ep pu ui is s la l a p

pu ub bl li ic ca at ti io on n d de e L La a C Ca ar rt te e p po os st ta al le e. .

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pensée dont l’orbite fluctue et se déplace à un rythme très accéléré. Tout au plus peut-on en soumettre l’économie à une évaluation thématique, d’un point de vue analytique afin de parvenir à une construction d’une logique non logique de la différance. C’est le cas de cette dissertation. En d’autres termes, notre méthode consistera à repérer une thématique (par exemple, la différance, l’écriture, la trace, la dissémination, l’itérabilité, la supplémentarité, le parasitisme, le jeu, etc.) et à l’analyser afin de dégager les enjeux qui contribuent à construire ce que nous qualifions de ‘’logique de la différance’’.

L’élucidation des enjeux de la différance, tel est le but de cette thèse. Elle s’articule en deux parties principales. La première, intitulée De la déconstruction du logocentrisme à la logique de la différance, s’efforcera de vérifier l’hypothèse selon laquelle la logique non logique de la différance puiserait ses prémisses dans le travail de déconstruction de la métaphysique traditionnelle dans lequel s’est engagé Derrida dès le début de sa carrière philosophique. Mais, paradoxalement pour l’opinion courante, il nous semble que c’est toujours déjà au nom du principe ‘’différance’’ que s’engagerait ladite déconstruction.

Trois chapitres se partagent l’économie de cette partie, à savoir De la linguistique de Rousseau au paradoxe saussurien de l’arbitraire du signe linguistique (chapitre I), Derrida et Husserl (Chapitre II) et la Logique de la différance (chapitre III).

Au chapitre premier, subdivisé lui-même en deux sections, traitant respectivement de la linguistique de Rousseau et du concept de l’arbitraire du signe linguistique chez Ferdinand de Saussure, nous vérifions l’hypothèse selon laquelle ces deux penseurs partageraient une commune appartenance à l’orbite phono-logocentrique, haptocentrique et dichotomiste, privilégiant la parole au détriment de l’écriture, l’ouïe au détriment de la vue.

Ce faisant, ils se tiendraient loin de l’empire de la logique de la différance, au sein de

laquelle parole et écriture s’entendent, précisément, comme la différance, le délai, le

retardement, la temporalisation ou la temporisation et la spatialisation de l’une à (dans)

l’autre. Il s’agira de démontrer, à la suite de Derrida, que le philosophe des Lumières et le

linguiste genevois posent, chacun de leur manière, deux gestes d’inscription dans le logo-

phonocentrisme dont l’étude aura laissé des marques indélébiles dans la construction de la

pensée de Derrida, en termes d’héritage transformateur. En fait, même si Derrida

stigmatise le fait que Rousseau ne réussit guère à transgresser, par ses réflexions sur

l’écriture ou le langage, l’orbite de la métaphysique de la présence, il n’en demeure pas

moins que l’auteur de L’Emile organise, à ses yeux, une thématisation de l’écriture sous

une grille d’analyse nouvelle, comparativement à la secondarisation dont celle-ci a fait

l’objet depuis l’Antiquité grecque jusqu’à Descartes et Hegel. Chez Rousseau, la réduction

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de l’écriture par rapport à la parole sera axée sur son incapacité à rendre compte de la présence à soi du sujet dans les sentiments. On verra que, pour Derrida, ce geste est loin d’être tout à fait novateur puisqu’il serait une répétition d’un mouvement déjà encours dans l’Antiquité, notamment dans le Phèdre et le De interpretatione. Toutefois, le geste de Rousseau ne manque pas de singularité. Car, si Descartes rejette carrément le signe, et plus précisément le signe écrit, hors du cogito, au stade de l’évidence claire et distincte, et si Hegel réapproprie le signe sensible au mouvement de l’idée et – tout en critiquant Leibniz – fait l’éloge de l’écriture phonétique dans l’horizon d’un logos absolument présent à soi, Rousseau semble, aux yeux de Derrida, vaciller entre la fascination de et/ou par l’écriture et son exclusion. A la différence de Descartes et de Hegel, il se serait battu avec le problème de l’écriture.

Dans le cadre de ce combat, l’auteur du Contrat social ira jusqu’à condamner la caractéristique universelle leibnizienne au motif qu’elle suspendrait la voix. Son objectif consisterait à redonner au phonologique et à la métaphysique logocentrique toutes leurs lettres de noblesse, contre la menace envahissante de l’écriture. A la constatation commune à Rousseau et à Lévi-Strauss selon laquelle l’écriture ou la fonction de l’écrivain est liée à la violence comme un dangereux supplément, un élément (vecteur) de culture venant pervertir l’innocence naturelle de l’homme vivant dans une communion de nature avec ses semblables, Derrida oppose sa thèse d’une violence tout aussi originaire que l’écriture comme trace ou inscription originaire. L’opposition de l’originaire au dérivé se trouvera ainsi déconstruite par la radicalisation et la généralisation de la logique de la supplémentarité, elle-même expression de la logique de la différance déjouant toutes les dichotomies traditionnelles relevant de la logique de l’identité. Tombent aussi en ruine les dichotomies parole/écriture, nature/culture/, Orient/Occident, Nord/Midi, passion/raison, barbare/civilisé, etc.

Consécutivement à cette radicalisation de la supplémentarité se produit chez

Derrida une généralisation de l’écriture, nous nous permettrions de dire une révolution

grammatologique, dont les conséquences déborderont le champ de recherche propre à la

pensée philosophique, pour envahir le terrain du droit, de la politique, de l’anthropologie,

de la sociologie, de la linguistique, en un mot, de l’épistémè en général. Il en résulterait

que les prétentions de Rousseau à établir une frontière étanche du point de vue de la

formation de la langue entre ce qui proviendrait du Nord, du Sud ou du Midi seraient

limitées non seulement par les difficultés internes à son propre système argumentatif mais

aussi par les effets de la loi ou de la structure de la supplémentarité. Cette dernière, on le

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sait, ne s’accommode point des oppositions dichotomiques propres à la logique classique.

Cette limite du système argumentatif de Rousseau nous conduit à la découverte de ce que la déconstruction du logo-phonocentrisme rousseauiste se fait sous l’autorité du principe et/ou de la logique de la différance, quand bien même Derrida ne l’affirme pas.

Pour ce qui est de Ferdinand de Saussure, notre recherche tentera de confronter ses deux thèses essentielles, à savoir celle de l’arbitraire du signe linguistique et celle de l’opposition différentielle et la logique de la différance. Le but est d’examiner, à la suite de Derrida, si le père de la linguistique moderne ne sombre pas dans quelques inconséquences, au point d’occulter les meilleures ressources de son itinéraire. Ces inconséquences feraient droit à une survivance des présuppositions métaphysiques dans la constitution de la linguistique comme science, au point que toute tentative de l’en démarquer bouleverserait ses assises internes. Dans cette mouvance générale affectée par les présuppositions métaphysiques, le système saussurien résisterait difficilement à l’objection de Derrida, récusant toute possibilité de l’unité sémantique du signe. Ce dernier serait toujours déjà sollicité par la logique de la différance ou, plus précisément, fracturé et fragmenté par elle. Le père de la linguistique moderne n’irait donc pas jusqu’au fond de sa thèse de l’arbitraire du signe linguistique, au point où même l’opposition parole/écriture devient, in fine, inopérante.

En fait, la thèse de l’arbitraire du signe linguistique, poussée jusqu’au bout, permettrait de détourner la linguistique voulue scientifique de l’illusion quasi transcendantale (de croyance à) d’une espèce de pureté du phonétique. Bien plus, enfermé dans la logique classique et la métaphysique traditionnelle, Ferdinand de Saussure ne se rendrait même pas compte, il occulterait plutôt l’un des acquis déterminants de sa démarche, à savoir l’émergence, dans son travail, de quelque chose comme l’avenir d’une grammatologie générale dont la linguistique scientifique ne serait qu’une région. A la secondarisation de l’écriture opérée par le linguiste genevois, qui fait de la parole l’objet privilégié de sa discipline, Derrida confronte la pratique de la trace dans laquelle se confond la suprématie que le linguiste entendait réserver à la parole et à l’écriture phonétique – censées constituer le lieu de la présence pleine du sens – opposée à l’écriture non-phonétique, considérée comme pôle de l’absence complète du sens.

Dans le deuxième chapitre, nous tenterons une évaluation de l’impact de la

phénoménologie husserlienne dans la pensée de Derrida de façon à examiner, plus

précisément, en quoi la logique non logique de la différance travaille, toujours déjà, à la

déconstruction des principes fondateurs de la phénoménologie qui lui servent, a contrario,

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d’arrière-plan. Cette élaboration déconstructrice du dialogue entre Husserl et Derrida se réalisera en trois sections. Dans la première, nous cernerons la problématique du signe dans sa double composante, à savoir le signe comme indice et le signe comme expression.

Nous nous efforcerons de démontrer que l’élaboration husserlienne de cette problématique, malgré son effort de rigueur et de systématisation reste, pour bien des motifs, cloîtrée dans l’ornière de la métaphysique dichotomiste de la présence, et se révèle, somme toute, comme une tentative de déconstruction manquée.

La deuxième section consacrée à la théorie de la signification tente de démontrer, dans les limites des analyses de La voix et le phénomène, même si elles ne prennent pas en charge l’intéressant ouvrage postume de Husserl intitulé Leçon sur la théorie de la signification – ouvrage dans lequel le problème de la signification connaît des développements très détaillés –, que les distinctions dualistes et oppositionnelles qui sous- tendent les travaux du phénoménologue allemand (comme, par exemple, celles de l’intérieur à l’extérieur, de l’indice à l’expression, de la présence à l’absence, etc.) deviennent impraticables dans une perspective de la signification comprise selon la logique de la différance. Cette logique de la différance permettra, entre autres, la déconstruction de la croyance ténue chez Husserl à l’existence d’une couche intérieure du sens placée sous l’autorité de la parole vive ou encore à l’espoir d’une pureté du signe expressif dans le soliloque.

A toutes ces croyances à parvenir à quelque propriété et/ou pureté que ce soit, Derrida confronte l’irréductibilité d’une médiation de l’altérité. Aussi verra-t-on, par exemple, que dans l’opposition indice/expression Derrida introduit une complication fondamentale en radicalisant le pôle indicatif, longtemps secondarisé au point que l’irréductibilité de l’altérité fera de toute communication un acte non pas d’expression mais plutôt d’indication. Et ce, puisqu’on ne communique jamais rien sous le mode de la présence pleine, sans détour, sans la médiation d’une certaine altérité. Cette irréductibilité de l’altérité jouerait autrement dans le rapport de la réalité à la représentation dont la troisième section esquisse l’élaboration.

L’idée essentielle ici est que, à l’instar de Ferdinand de Saussure – et comme c’est

le cas à propos du couple indice/expression –, Husserl ne tire pas toutes les conséquences

de son examen du rapport entre la réalité et la représentation. Cette opposition conceptuelle

entre réalité et représentation devient, selon le point de vue de la logique de la différance,

tout aussi impraticable que les autres couples d’opposition traditionnels, dans la mesure où

chez Derrida, le langage en général est toujours déjà transi de représentation. La

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représentation devient, pour le dire très brutalement, l’essence même du langage, de sorte qu’il devient impossible de distinguer rigoureusement, dans le langage, la réalité et la représentation.

Circonscrire la logique de la différance, tel est l’objet du troisième chapitre.

L’hypothèse mise en avant ici peut se résumer comme suit : le concept non-concept de la différance commande toute la déconstruction derridienne, à quelque domaine qu’elle s’applique. Il serait à l’œuvre, quasiment à l’insu de Derrida, même dans les travaux qui pourraient apparaître comme préparatoires à son élaboration. Articulée en trois sections, la tache visant à circonscrire la logique de la différance consistera, en premier lieu, à tracer une sorte de trajet allant de la différence (avec un e) à la différance (avec un a). Cette démarche permettra de situer la pratique derridienne de la différence, parmi tant d’autres, afin de révéler sa spécificité.

Puisque Heidegger passe, aux yeux de maints observateurs, pour l’instigateur principal de la pratique derridienne de la différence, la deuxième section lui sera consacrée.

Il s’agira de réaliser une espèce de confrontation entre la destruction heideggerienne de l’ontologie classique et la déconstruction derridienne sous le signe de la logique de la différance. La problématique de la temporalité occupe ici le centre des enjeux. En fait, alors que Heidegger pense réaliser une destruction de l’ontologie classique remontant à Aristote jusqu’à Hegel, au motif qu’elle repose sur une entente vulgaire du temps, Derrida, tout en prenant au sérieux le travail de l’auteur de Etre et Temps, le considère néanmoins comme limité. Bien plus, Heidegger verserait lui-même dans une entente vulgaire du temps, au point de laisser quasiment intact le primat du présent, c’est-à-dire, en fait de restaurer, sans le vouloir, l’empire de la métaphysique de la présence. L’on reste ainsi en deçà de l’optique derridienne d’une restance de la trace non présente, seule à même de déconstruire la clôture onto-théologique dans laquelle se trouverait encore enfermé Heidegger.

La question restera néanmoins ouverte de savoir s’il n’est pas assez réducteur d’évaluer l’enfermement ou pas de Heidegger dans la clôture métaphysique, sous la seule lumière de Etre et Temps, sans prendre en compte, par exemple, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, texte qui semble, par ailleurs, beaucoup plus proche de Derrida, même s’il n’en fait nulle part explicitement mention. La troisième section pose la logique de la différance comme une structure d’ouverture à l’altérité au sens général.

Cette structure ne se limite plus à la pensée de la différence de l’être à l’étant, elle creuse

dans et au-delà de cette dernière une ouverture sans limite vers une pratique de la trace,

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dont la spécificité réside en ceci qu’elle n’est ni présente ni absente, défiant ainsi la logique traditionnelle.

La seconde partie de cette dissertation gravite autour d’une hypothèse assez audacieuse. Elle entend généraliser les effets de la logique de la différance non seulement au-delà de la déconstruction du logocentrisme mais aussi du dialogue initié avec la théorie austinienne du performatif et ses ramifications dans les développements postérieurs sous la responsabilité de Searle, comme tête d’affiche d’un mouvement très riche en promesses.

Nous prétendons donc élargir les effets de la différance, pour ainsi dire, au-delà des intentions expresses de Derrida, pour comprendre les thèses essentielles de la révolution linguistique et pragmatique dans les délimitations posées par la logique de la différance.

Un chemin s’ouvre ainsi vers un au-delà du Linguistic-turn, à travers le schème de jeu (chapitre I), les marques du dépassement (chapitre II), le statut des exclusions (chapitre III).

Même si Derrida ne le thématise pas comme une structure centrale de sa pensée, le schème de jeu s’impose, à notre avis, comme un axe, tout aussi transversal que la différance, du travail du ‘’père’’ de la déconstruction fraçaise. Il nous semble même inextricablement lié au principe de la différance pour témoigner, presque à l’insu de Derrida, de la spécificité de son œuvre. Démarqué de son usage nietzschéen, wittgensteinien et même heideggerien, le schème de jeu aura conquis dans la déconstruction derridienne une place privilégiée, à partir de laquelle il féconde et commande la meilleure partie de l’œuvre du philosophe français. Les quatre sections de ce chapitre traitent, respectivement, du jeu dans l’histoire de la pensée, du jeu derridien en rapport avec le jeu du monde, du jeu de la supplémentarité comme loi de la réversibilité originaire et de l’écriture comme jeu de la trace.

Notre effort consistera, en premier lieu, à situer la pratique derridienne du jeu par

rapport à l’histoire de la pensée, c’est-à-dire – sans nous engager véritablement dans une

perspective historique – en tachant de faire émerger cette pratique en comparaison avec

certains penseurs qui se réclament explicitement de l’élaboration d’une théorie ou d’une

pratique du jeu. A la lumière des travaux récents en cette matière – y compris les

séminaires de Derrida à l’Université libre de Bruxelles et l’Université de Liège (14-15

février 2001) et les séminaires de L. Couloubaritsis sur le jeu, dans lesquels une place

importante est faite à Heidegger et à Derrida –, un rapport sommaire s’établira avec

Nitzsche, Heidegger, Fink, Axelos, Vattimo, Henriot, Deleuze, Duflo, Lenain, etc. La

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spécificité de Derrida, comme par ailleurs de la plupart des philosophes de la différence, c’est de placer la pratique du jeu du côté de la non-finalité.

Cette non-finalité répond, pour notre part, au principe même de la logique de la différance qui, on ne le dira jamais assez, constitue le ‘’principe des principes’’ de la pensée de notre auteur, même s’il est douteux qu'il puisse concéder à faire de la différance un principe, puisque cela reviendrait, probablement, à cautionner la logique traditionnelle.

Contrairement à la pratique du jeu comme jeu du monde (Heidegger), l’élaboration derridienne du schème de jeu nous semble plutôt orientée vers la déconstruction de toute forme d’archie, d’origine première, de la présence pleine ou, en un mot, de tout signifié transcendantal. Cette radicalisation de la pratique du jeu atteindra son point culminant dans sa ‘’formalisation’’ en tant que loi de la réversibilité originaire. A ce point, la position de Derrida se révèle dans toute sa spécificité. En fait, alors que Heidegger rassemble la pratique du jeu dans le jeu du Quadriparti, Derrida, en philosophe de la fragmentation, pose le jeu sous la loi de la dissémination et de la supplémentarité sans fin. Pensé dans son lien à l’écriture, le schème du jeu renvoie à la trace derridienne qui n’est ni simplement présente ni purement absente. L’écriture comme jeu de la trace radicalise en fait l’ambivalence à travers la figure du Pharmakon et la structure de la supplémentarité.

Au titre de ‘’Marques du dépassement’’, le deuxième chapitre cherche à construire, à partir de Derrida et à travers huit sections, quelques pistes de dépassement et/ou de débordement de la révolution linguistique et pragmatique, par la logique de la différance.

Dans l’élaboration du contexte d’émergence de la révolution linguistique, dont l’ambition principale est la critique de la métaphysique traditionnelle, nous remarquerons que le projet du dépassement de la métaphysique se heurte à une espèce de contradiction performative dans la mesure où les ténors du Linguistic-turn élaborent leurs thèses selon l’axiomatique de la logique de ‘’tout ou rien’’ qu’ils entendent ébranler. De sorte qu’il demeurerait une restance métaphysique dans le Linguistic-turn. Sous l’autorité de la loi de l’itérabilité comme altérabilité distincte de la répétabilité du même, la théorie classique du performatif trouve sa délimitation. De cette délimitation s’ouvre la voie d’une déconstructibilité du Linguistic-turn, en ses thèses essentielles. Plusieurs marques du dépassement de la révolution linguistique se font jour en terme de questions que l’axiomatique logique de tout ou rien qui la gouverne ne lui permet pas de prendre en charge. Il s’agit, de façon non limitative, du statut de la préface, de l’ouverture sans fin du contexte (interprétatif).

L’esquisse d’une théorie de l’écriture nous occupe dans la quatrième section du

deuxième chapitre. Longtemps secondarisée et reléguée dans le domaine du parasitisme,

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l’écriture chez Derrida ne souffre plus de la subordination à la parole. Une nette distinction est faite entre l’écriture au sens étroit, alphabétique et linéaire, d’une part, et l’écriture au sens général comme trace et inscription originaire devançant toute parole et tout discours, d’autre part. Il se produit ainsi une généralisation des prédicats traditionnels de l’écriture ( marque restante, force de rupture avec son contexte initial de production ou d’usage, espacement) à tout le champ du langage. A cette généralisation répond la loi de l’itérabilité qui envahit tout le champ de l’expérience, par-delà le sujet empirique, le référent ou le signifié. L’on s’ouvre ainsi à l’espace d’une graphématique générale qui produit au moins un double effet. D’une part, on transgresse le concept d’écriture au sens étroit et, d’autre part, on réussit une délimitation de la théorie classique du performatif faisant du langage et de l’écriture des auxiliaires fidèles de la théorie de la communication, selon des visées épistémiques.

Cette ouverture à l’espace graphématique général rend problématique le statut des exclusions auxquelles procèdent non seulement les théoriciens du performatif mais aussi les partisans de la révolution linguistique. Après avoir questionné le statut des mises entre parenthèses voire des réductions (epochai) prétendument d’ordre méthodologique, nous relevons, dans l’intertextualité du débat entre Searle et Derrida, que la lecture de Derrida par le philosophe américain resterait fort peu derridienne. Dans le plus fort de leur dispute, les deux philosophes auraient occulté les points de convergence qui permettraient, sous le mode de la falsifiabilité, de ressortir l’écart entre les deux pratiques de pensée. Bien qu’elle ne soit pas systématiquement étudié par Derrida, encore moins dans le débat avec Searle, la pratique du jeu resurgit, à travers la de notre auteur, dans son lien à l’indécidabilité. En fait, outre son caractère de non finalisation, le jeu joue à l’indécision et laisse ainsi l’ouverture infinie au champ du possible. Nous sollicitons la vigilance des chercheurs sur le point de savoir si la confrontation entre Searle et Derrida n’a pas induit à une interprétation unilatérale de la pensée du philosophe français, dans les sillages de l’auteur de la Réplique, laissant ainsi libre cours à des faiblesses et/ou carrément des refus de lecture.

Nous conclurons notre étude par la détermination de quelques pratiques dont la

révolution linguistique se prévaudrait de l’exclusivité mais dont, paradoxalement, la

logique de la différance amorcée par Derrida permettrait de révéler les limites ou,

simplement, l’absence de pouvoir ou, mieux, si l’on nous permet ce néologisme, l’im-

pouvoir de leur prise en charge conséquente par cette révolution. Si on se bornait à la

rationalité qui gouverne la révolution linguistique et pragmatique, plusieurs pratiques

langagières deviendraient impraticables. Cette révolution serait, en un mot, incapable de

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s’engager véritablement dans la voie de la praxis de l’événement sous la forme de la décision, de l’hospitalité, du don, du pardon et, plus précisément, de la responsabilité.

Ne serait-ce pas là l’ouverture actuelle et – la question peut se poser – ultime de la logique de différance ? C’est cette articulation subtile, qui se déployait en filigrane au cours de l’itinéraire de Derrida, que sa pensée actuelle fait émerger d’une façon décisive et inattendue, soulevant, comme nous le verrons, le statut véritable de son travail philosophique. Autrement dit, la question se pose de savoir si Derrida est un

‘’métaphysicien’’ à la recherche du dépassement de la métaphysique ou un philosophe de l’action qui se sert de la différance pour subvertir la morale en vue d’une nouvelle praxis.

Cette problématique qui nous conduit au seuil d’une philosophie pratique voire d’une

éthique et d’une politique, chez Derrida, demeure largement inexplorée.

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Références

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