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L'étrange cas de la "théologie presque astronomique" des Essais de Théodicée

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JOURNAL OF

INTERDISCIPLINARY HISTORY OF IDEAS

2014

Volume  Issue  Item 

– Section  : Articles –

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” des Essais de éodicée

par Andrea Costa

c b n a

(2)

JIHI 2014 Volume  Issue 

Section 1 : Editorials

. What is next ? (M. Albertone – E. Pasini)

Section 2 : Articles

. L’étrange cas de la « théologie presque astronomique » des Essais de éodicée (A. Costa)

. Le contrôle de l’activité législative de la nation en  : l’opinion de Dupont de Nemours (A. Mergey)

Section 3 : Notes

. Research Report | Does a method for interdisciplinarity exist ? estions and research perspectives from Mann’s Be- trachtungen eines Unpolitischen (E. Alessiato)

Section 4 : Reviews

. Book Reviews (G. Gronda, C. Carnino, S. Mammola)

Section 5 : News & Notices

. Activities of the GISI | Les activités du GISI ()

. . . .

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L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” des Essais de Théodicée

Andrea Costa *

Le mythe cosmogonique anonyme raconté au §  du premier livre des Essais de

éodicée de Leibniz, et qui fût même l’objet d’une traduction et d’une édition in- dépendante peu après, est considéré aujourd’hui uniquement comme une curiosité érudite, apanage de rares spécialistes et de quelques fétichistes du texte de Leibniz.

Cet anonymat est interprété comme un simple escamotage stylistique dont Leibniz se serait servi pour présenter une narration écrite de sa propre main. L’identifica- tion exacte de la vraie référence de l’un des passages les plus étranges de toute la

éodicée permet de le situer dans la connection des querelles du XVII siècle sur l’origénisme et le manichéisme, avec la cosmologie philosophique et les commen- cements de l’histoire de la terre (géologie) aux début du XVIII siècle.

1 O par la célèbre narration finale du rêve de éodore, le petit mythe cosmogonique raconté au §  du premier livre des Essais de éo- dicée est considéré aujourd’hui comme une curiosité érudite, apanage de rares spécialistes et de quelques fétichistes du texte de Leibniz. Malgré le nombre plus que discret d’interprétations étranges et bigarrées que ce récit semble être en- core à même de susciter, l’influence actuelle de cee curieuse cosmogonie sur l’interprétation complexive de la théodicée leibnizienne n’est désormais plus

* École Nationale des Chartes (andrea.costa @ enc.sorbonne.fr).

Journal of Interdisciplinary History of Ideas (), , p.  :– :. Peer-reviewed.

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comparable à celle qu’elle pouvait exercer dans les années immédiatement suc- cessives à la publication des Essais et que, par la suite, elle a conservée jusqu’au milieu du XVIIIᵉ siècle au moins, quand plusieurs érudits ont cru y voir une clé d’accès privilégiée aux positions les plus secrètes et inavouables de la pensée de Leibniz.

Le fait que le mythe cosmogonique du §  avait déjà été, à lui tout seul et un an avant la parution de la première traduction latine des Essais en ¹, l’objet d’une traduction et d’une édition indépendante, illustre bien l’intérêt que les contemporains de Leibniz avaient porté à ce passage en particulier. L’auteur de cee première traduction, richement commentée et annotée, fut Christoph Langhansen², professeur de philosophie et de mathématiques à Königsberg qui avait déjà dédié plusieurs œuvres au philosophe de Leipzig. C’est justement sous la plume de Langhansen que l’on rencontre aussi les toutes premiers doutes concernant la véritable paternité de cee “théologie presque Astronomique”

que les Essais se limitaient à présenter comme étant la subtile invention d’un

“homme d’esprit” anonyme :

¹ Il s’agit de l’édition réalisée par les soins du père jésuite Barthélémy des Bosses. Bien qu’elle fût éditée après la mort de Leibniz, la traduction fut réalisée sous la supervision de l’auteur :Godefridi Guilielmi Leibnitii Tentamina theodicææ de bonitate Dei libertate hominiset origine mali. Latine versa notationibus illustrata à M.D.L. Ab ipso Auctore emendata & auctiora. Tomus prior [sic] (Francofurti : Sumptibus Caroli Josephi Bencard, ). Pour les informations biographiques concernant Leibniz, cf. E. J. Aiton,Leibniz. A Biography(Bristol and Boston : Hilger, ) ; J. A. Eberhard et J. G. Eckhart, Leibniz-Biographien(Hildesheim : Olms, ) ; M. R. Antognazza,Leibniz. An Intellectual Biography (Cambridge : Cambridge University Press, ). Cf. encore sur les fonds leibniziens E. Bodemann, Der Briefwechsel des G. W. Leibniz in der Kön. Öff. Bibliothek zu Hannover, Repr. Nachdr. der Ausg.

aus Hannover von  (Hildesheim : Olms, ), aussi LBr ;Die Leibniz-Hanschrien der Kön.

Öff. Bibliothek zu Hannover, Repr. Nachdr. der Ausg. aus Hannover von  (Hildesheim, Olms,

), aussi LH ; le catalogue Rier (version en ligne :http://ritter.bbaw.de) ; et M. Palumbo, La biblioteca lessicografica di Leibniz, inBibliothecæ Selectæ, éd. Eugenio Canone (Firenze : Olsch- ki, ) ;Leibniz e lares bibliothecaria. Bibliografie,historiæ literariæe cataloghi nella biblioteca privata leibniziana(Roma : Bulzoni, ).

² Voir saPro loco professionis in eologia extraordinariæ Notas et Animadversiones in Anonymi cu- jusdam theologiæ astronomicæ systema, publico eruditorum examini submiit Præses Christophorus Langhansen, […] Respondente Johanne Philippo Bullinger(Regiomonti : Typis Reusnerianis, ).

Christoph Langhansen (-) fut un mathématicien et théologien d’une certaine renommée.

Il dédia aussi sa thèse à la théodicée de Leibniz, qu’il soutint avec Johannes Henricus Lysius à l’uni- versité de Könisberg,Dissertatio de necessitate absoluta omnium, quæ existunt, in eodicea Leibnitii asserta(Regiomonti : Lieris Reusnerianis, ).

 : 

Andrea Costa

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Il y a un homme d’esprit, qui poussant mon principe de l’Harmonie jusqu’à des suppo- sitions arbitraires que je n’approuve nullement, s’est fait une éologie presque Astro- nomique.¹

En interprétant cet anonymat comme un simple escamotage stylistique dont Leibniz se serait servi pour présenter une narration écrite de sa propre main, les Notas et Animadversiones in anonymi cujusdam theologiæ astronomicæ systema de Langhansen inaugurent, involontairement, une tradition herméneutique qui sera destinée à persister jusqu’à nos jours² :

Nomen autoris nec indicat Leibnitius, nec detegunt Collectores Actorum Eruditorum quando ad A.  p.  in recensione tentaminis eodicee eologiæ Astonomicæ mentionem faciunt. antum autem nobis constat toutm illus systema meditationibus ipsius Leibnitii tribuendum, in gratiam Origenistarum popolorum, quibus Vir illustre saltem præ Manichæis favit.³

Le commentaire de Langhansen ne se limite pas à situer le récit leibnizien dans le sillon d’une tradition de “paravents liéraires” qui remonte au moins à Lucien de Samosate, mais suggère aussi la possible cause de ce choix stylistique, en indiquant que l’intégralité du §  de la éodicée aurait été écrite “in gratiam Origenistarum populorum”. Dans ce cadre, la formule “jusqu’à des suppositions arbitraires que je n’approuve nullement” revêt forcement le sens d’une clause

¹ Essais de éodicée, §  ; GP VI, . On fera usage des sigles suivantes : A (suivi du numéro de la série en chiffres romains, du numéro du tome, de la page), G. W. Leibniz,Sämtliche Schrien und Briefe, hrsg. von der Akademie der Wissenschaen zu Berlin (Berlin : Akademie Verlag,  et sg.) ; D, G. W. Leibniz,Opera omnia, éd. L. Dutens (Genevæ : ap. Fr. de Tournes,  : réimpr. Hildesheim : Olms, ) ; ET, G.W. Leibniz,Essais de théodicéee, éd. par J. Brunschwig (Paris : Flammarion, ) ; GP,Die Philosophischen Schien von G. W. Leibniz, hrsg. von C. I. Gerhardt (Berlin : Weidmann,

- ; réimpr., Hildesheim : Olms, -),  vol. ; ML,Malebranche et Leibniz. Relations personnelles, présentées avec les textes complets des auteurs et de leurs correspondants revus, corrigés et inédits, éd. par A. Robinet (Paris : Vrin, ).

² Seul Martin Mulsow, dans son texte récent “Das Planetensystem als Civitas Dei : jenseitige Lohn- und Strafinstanzen im Wolffianismus”, dansDas Jenseits. Faceen eines religiösen Begriffs in der Neu- zeit, éd. L. Hölscher et M. Mulsow (Göingen : Wallstein, ), -, a génériquement hypothétisé la possible identification de la source en J. W. Petersen (). Notre contribution démontre qu’une telle identification peut s’appuyer sur des preuves documentaires et textuelles. Je suis redevable à Enrico Pasini, que je remercie, pour l’indication du texte de Muslow.

³ Langhansen,Pro loco professionis in eologia extraordinariæ Notas et Animadversiones, .

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prudentielle qui ne peut que suggérer – de manière infiniment plus efficace que toute affirmation positive possible – l’exacte contraire de ce qu’elle exprime.

Il est intéressant de noter comment, une vingtaine d’années à peine après la publications des Notas et Animadversiones, la glose de Langhansen semble avoir été universellement reçue et acceptée, tant en ce qui concerne la question de l’aribution qu’en relation à la supposée intentio auctoris à l’origine de la stra- tégie leibnizienne. Ainsi, cee même façon d’interpréter les données textuelles, permet par exemple au ministre protestant Isaac de Beausobre, dans son His- toire du Manichéisme de , de placer la figure de Leibniz rien de moins que dans les chapitres dédiés à l’hérésie marcionite, dont le philosophe de Leipzig était considéré comme un exposant aussi tardif qu’illustre :

Il y a un homme d’esprit, qui poussant mon principe de l’Harmonie jusqu’à des suppo- sitions arbitraires que je n’approuve nullement, s’est fait une éologie presque Astro- nomique. Il croit […] leurs malheurs.” On peut voir dans l’Auteur le reste de la Fiction.

Tout ce que je veux remarquer, c’est que la éologie Astronome de M. Leibniz, quel qu’il soit, n’a fait que approprier l’Idée de quelques Anciens sur l’origine du Démon.

C’étoit l’Ange qui présidoit au Globe de la Terre. Marcion a cru que cet Ange en étoit le Créateur, mais il n’en a pas fait un Démon. Il s’en faut beaucoup¹.

Non seulement de Beausobre n’avance plus aucun doute sur le fait qu’il a à faire à une théologie de Monsieur Leibniz, mais il se montre également sûr du fait que ce récit ne sert qu’à cacher, sous les apparences trompeuses d’une fiction, la véritable position d’un philosophe dont la perversion intellectuelle aurait poussé encore plus loin que celle de l’hérésiarque de Sinope. Si les com- mentateurs contemporains se montrent bien plus prudents concernant les rai- sons profondes qui auraient poussé Leibniz à produire et ensuite à “dégui- ser” ainsi son récit, il reste néanmoins vrai que les éditions modernes de la

éodicée suivent encore la lectio proposée par Langhansen et que la paternité leibnizienne de la théologie astronomique du §  est considérée généralement comme un donné acquis et presque indiscutable. En se référant à ce paragraphe, Gaston Grua, en  affirmait de façon typique : “Ce passage masque sous un ton plaisant l’arait d’une hypothèse aribuée à un admirateur”².

¹ Isaac de Beausobre,Histoire critique de Manichée et du manichéisme(Amsterdam : J. F. Bernard,

-), -.

² G. Grua,Jurisprudence universelle et éodicée selon Leibniz (Paris : Presses universitaires de

 : 

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2 S aucun doute la “théologie presque astronomique” du §  repré- sente l’un des passages les plus étranges de toute la éodicée et, pro- bablement, l’un de plus mystérieux de toute la production leibnizienne, tout du moins du point de vue des doctrines qu’il évoque et des remarques critiques qu’il a suscité dès sa première publication. A partir des paragraphes  et , le discours leibnizien développe un bilan très érudit sur la proportion des biens et des maux, ainsi que le nombre des sauvés et des damnés qui découle de cee proportion. Le §  marque une brusque interruption de ces thèmes et ouvre ce qui pourrait sembler être une sorte de parenthèse narrative dans le développe- ment du discours. Le récit, introduit par les formules et les clauses qu’on vient d’examiner, est censé se référer au thème de la correspondance harmonique du règne de la nature et de la grâce, en le présentant toutefois de façon inadéquate et excessive, selon l’avertissement de l’auteur lui-même. En la résumant dans ses traits essentiels, la narration nous présente un univers organisé selon le mo- dèle classique des hiérarchies angéliques, dans lequel la rébellion de Lucifer au- rait entraîné, comme corrélat dans le monde physique, un certain changement de position du globe terrestre et sa conséquente dégradation. La réparation de cee catastrophe exigea l’intervention du Christ, présenté comme le premier-né de toutes les créatures qui, dans un premier temps, s’était manifesté sur le Soleil où il avait “planté son tabernacle”, mais qui ensuite est redescendu sur terre. Le récit se clôt par la référence au grand incendie purificateur qui marquera la fin de notre globe et dont la déflagration coïncidera avec la nouvelle manifestation

France, ), . Le même commentaire sera ensuite rapporté dans la note relative au §  de l’édition desEssais de éodicéepubliée en  par Jacques Brunschwig et, de là, sera diffusé, à quelques variantes près, dans les appareils critiques de toutes les éditions de laéodicéeactuelle- ment disponibles, à ma connaissance, sans exception aucune : “Cet ‘homme d’esprit’ ne paraît pas avoir été identifié. Selon Grua ce passage masque sous un ton plaisant l’arait d’une hypothèse aribuée à un admirateur” (ET, , note ).

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du Christ ainsi qu’avec la grandiose réconciliation universelle qui entérinera le salut de toutes les créatures, y compris Lucifer et ses légions d’anges rebelles.

Il faut tout d’abord noter que, si cee étrange cosmogonie était, comme l’on croit, une production totalement originelle de Leibniz, elle représenterait un cas presque unique dans l’immense production du philosophe. Bien que le procédé consistant à placer une narration ou une sorte d’explosion de figures de styles à fin de “docere, delectare et movere” – en particulier à la fin de la partie argu- mentative d’un texte – caractérise en proportions différentes toutes les œuvres de théodicée de Leibniz, le répertoire auquel le philosophe fait le plus volon- tiers appel ne se compose que de récits déjà existants, adaptés et modifiés par l’auteur selon les exigences rhétoriques du moment. Un cas particulièrement célèbre reste celui de la narration tirée de Lorenzo Valla qui clôt les Essais de

éodicée, mais des parties imagées composées d’une longue série d’exempla, tout à fait traditionnels et hypercodifiés, figurent aussi à la fin de la toute pre- mière œuvre que Leibniz dédia à la question du mal et de la justice de Dieu, le Von der Allmacht de ¹. La Confessio Philosophi de -² se clôt également par une nouvelle proposition de l’histoire de Saint Macaire tirée de la Légende dorée de Jacopo da Varagine, tandis que le De libertate, fato, gratia Dei de ³ propose une version du mythe de Deucalion et Pyrra.

Mais même une fois admise, par analogie avec cee casuistique, l’existence d’une source qui serait aussi à la base du mythe cosmogonique des Essais, les problèmes se multiplient dès que l’on se tourne vers le contenu de l’histoire à la recherche d’un possible indice pour commencer les recherches. La caracté- ristique première de ce récit semble en effet être le manque total de cohérence interne. Le premier bloc de l’histoire se concentre sur l’idée qu’à l’origine de l’état actuel du monde il y a un acte de rébellion, celui que la tradition chré- tienne aribue à Lucifer, pour décrire ensuite la véritable action de Dieu comme une œuvre de “restauration” des dégâts provoqués par ce clinamen originaire.

Une première tentation pourrait donc être celle de commencer la recherche de la source dans la direction du manichéisme, comme le suggérait le titre du texte de

¹ Von der Allmacht und Allwissenheit Goes und der Freiheit des Menschen, A VI , -. Cf.

aussi A. Costa, “Istanze teologico-politiche nella fase tedesca della teodicea leibniziana (-)”, Giornale critico della filosofia italiana, , n.  () : -.

² Confessio Philosophi, A VI , -.

³ De libertate, fato, gratia Dei, A VI , -.

 : 

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Beausobre, mais l’on s’apercevrait très tôt de l’absolue incompatibilité entre les doctrines fondamentales de ce courant et le système hiérarchique-émanatiste, typique du néoplatonisme de la Renaissance, décrit par Leibniz dans les pre- mières lignes de cee histoire¹.

Une autre possibilité serait celle de mere le paragraphe leibnizien en relation avec tous ces textes qui, au XVIIᵉ siècle, étaient compris dans un genre liéraire souvent appelé par le nom de Philosophia mosaica, d’après le titre d’un livre de Fludd de ². Sous ce nom, qui survit encore aujourd’hui dans certains cata- logues de bibliothèques, sont compris des textes très hétérogènes, réunis par la volonté commune de rendre intelligible l’histoire racontée dans la Genèse à la lumière d’un certain nombre de notions scientifique et astronomiques. Dans ce cas, c’est l’importance accordée par tous ces textes au déluge universel, consi- déré par ces auteurs comme la catastrophe primordiale qui clôt l’âge d’or de l’humanité, qui nous éloigne des éléments présentés dans le récit de Leibniz.

Le deuxième bloc de l’histoire est axé sur la figure du Christ, présenté comme le véritable premier homme et sur le mythe kabbalistique de l’Adam Kadmon³, ce qui exclut d’emblée tous les textes marcionites du nombre des sources en- visageables⁴. En revanche, ce thème est bien présent dans les textes de la Ka- bale chrétienne où l’on retrouve, à partir surtout de la publication de la Kab- bala denudata de Knorr von Rosenroth⁵ et des écrits de Kircher, la figure de

¹ L’avantage reconnu du système manichéen est justement celui d’apporter une solution tran- chante au problème fondamental de la théodicée et c’est justement à cause de cee grande efficacité métaphysique que St. Augustin l’a combau avec autant d’énergie. En revanche, une cosmogonie faisant du principe négatif une sorte d’émanation hiérarchique du positif ne servirait qu’à déplacer le problème d’un degré.

² Cf. Robert Fludd,Philosophia moysaica, in qua sapientia et scientia creationis et creaturarum sacra vereque christiana(Goudæ : excud. P. Rammazenius, ). Leibniz lui-même fait référence à ce texte, par exemple dans leDe religione Magnorum Virorum(A IV , ), où il le range avec des œuvres comme leDe Sacra philosophiade Vallesius, l’Antoniana Margaritadu père Pereira ou encore laTelluris theoria sacrade Burnet, un auteur sur lequel on retournera ensuite.

³ Le mythe est dérivé d’un passage d’un texte midrashique, le הבר רבדמב (Bamidbar Rabbah), dans lequel Adam n’est pas appellé ןושארה (HaRishon), le premier, mais ןומדקה (HaKadmon), le primordial.

⁴ Le docétisme était justement le noyau central de la doctrine marcionite.

⁵ Cf. Christian von Rosenroth,Kabbala denudata seu doctrina hebræorum transcendentalis et meta- physica atque eologica, opus antiquissimæ philosophiæ barbaricæ variis speciminibus refertissimum (Sulzbaci et Francofurti : apud Zunuerum, -). Voir à ce propos A. P. Coudert,Leibniz and the Kabbalah(Dordrecht : Kluwer, ) ; “Leibniz and the Kabbalah”, dansLeibniz, mysticism and L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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l’Adam Kadmon mise en relation avec celle du Christ. Le récit a également des points en commun avec la liérature socinienne ou crypto-socinienne, ou l’on retrouve autant l’idée du Christ représenté comme l’homme originaire, que celle de l’ἐκπύρωσις (ekpurosis, conflagration ou déstruction par le feu) et de l’ἀποκατάστασις (apokatastasis, la restauration finale).

Mais chez les sociniens, on ne trouve pas le thème de la rébellion de Luci- fer et encore moins une cosmologie quelconque, tandis que les thèmes gnos- tiques dont le cabalisme chrétien est imprégné, ne s’accordent pas avec l’idée origéniste d’une rédemption globale de l’humanité toute entière. De plus, il faut ajouter que les observations personnelles que Leibniz intercale parmi les blocs de cee histoire, ne peuvent que désorienter davantage les interprètes qui s’en- gagent dans la quête d’une source, en particulier si l’on considère le commen- taire par lequel le philosophe clôt toute la narration : “mais nous n’avons point besoin de telles hypothèses […] Car il ne paraît pas qu’il y ait un endroit prin- cipal dans l’univers connu qui mérite d’être le siège de l’aîné des créatures, et le soleil de notre système au moins ne l’est point”¹. Le fait que le seul aspect qui stimule le commentaire de l’auteur, dans une histoire qui arrive pourtant à inclure en elle presque toutes les hérésies connues des cinq premiers siècles de l’ère chrétienne, ne concerne qu’un détail pas plus saugrenu que tous les autres éléments du récit, ne peut que surprendre. Enfin, pour compliquer davantage ce cadre, interviennent les deux hexamètres latins que Leibniz place à la fin du paragraphe :

Inque Deos iterum fatorum lege receptus Aureus æternum noster regnabit Apollo².

La source de ces vers n’a jamais été identifiée de manière officielle et la plu- part des éditions contemporaines des Essais de éodicée se limitent à en fournir la traduction.

Face à un contexte qui semble tout mere en œuvre pour décourager l’iden- tification d’une source possible, il resterait néanmoins une toute dernière pos- sibilité : celle de considérer ce manque de cohérence lui-même comme un in- dice. En suivant cee piste, la recherche devrait donc se tourner vers tous ces

religion, éd. by A. P. Coudert, R. H. Popkin et G. M. Weiner (Dordrecht : Kluwer, ), -.

¹ ET, .

² ET,ibidem.

 : 

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groupuscules de mystiques, illuminés et alia similia pour lesquels l’incohérence interne du système professé n’a jamais représenté un problème insurmontable.

Même si l’époque de Leibniz n’a pas été avare des personnages de la sorte, nous n’aurons pas besoin de pousser notre quête bien loin.

3 L signification de la cosmologie du §  nous est suggérée par Leibniz lui-même, juste à la fin du paragraphe précèdent : “Le livre de l’Évangile éternel, publié depuis peu en allemand, soutenu par un grand et savant ouvrage intitulé Ἀποκατάστασις πάντων, a causé beaucoup des bruits sur ce grand pa- radoxe”¹.

La référence concerne Johann Wilhelm Petersen (-), exposant assez typique d’un climat spirituel et culturel très répandu dans l’Allemagne de la se- conde moitié du XVIIᵉ siècle. Personnage rocambolesque, Petersen fut d’abord professeur de poésie à l’Université de Rostok, pasteur à Hanovre (quand Leib- niz y arriva) et ensuite à Lübeck, mais il fut souvent obligé de quier les postes successifs qu’il obtenait, à cause des violents antagonismes avec les représen- tants des communautés académiques ou ecclésiastiques des différents lieux où il s’installait².

¹ ET, .

² Pour le détails des rapports entre Leibniz et Petersen, je renvoie au texte de Michel Fichant dédié aux écrits leibniziens sur l’Ἀποκατάστασις πάντων, dans lequel l’on trouve aussi des extraits de la correspondance échangée en  entre Leibniz et Overbeck : G.W. Leibniz,De l’horizon de la doctrine humaine,  et La restitution universelle, , éd. par M. Fichant (Paris : J. Vrin, ) ; cf. aussi Coudert, “Leibniz and the Kabbalah” ; H. Hotson, “Leibniz and Millenarianism”, danse Young Leibniz and His Philosophy (-), éd. Stuart Brown, Dordrecht, Kluwer, , p.-.

Pour l’histoire des débats qui concernèrent Petersen, sa femme Johanna Eleonora von Merlau, théo- logienne piétiste renommée, et la mystique visionnaire Rosamunde Juliane von der Asseburg, jus- qu’au moment où il fût démis de son poste à Lüneburg, cf. M. Mahias,Johann Wilhelm und Johanna Eleonora Petersen : eine Biographie bis zur Amtsenthebung Petersens im Jahre (Göingen : Van- denhoeck und Ruprecht, ) ; cf aussiAllgemeine Deutsche Biographie,s.v., vol.  (), -.

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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Il n’est pas déterminé que Leibniz et Petersen se soient rencontrés person- nellement, mais à partir de la correspondance qu’ils ont échangés entre  et

, nous savons que Leibniz l’avait incité à entreprendre la rédaction d’une œuvre poétique dédiée à l’histoire sacrée du monde. A partir de  Leibniz as- sume directement le rôle de guide de Petersen dans l’élaboration de son œuvre et nous pouvons suivre certaines étapes de ce travail grâce à la correspondance de Leibniz avec Fabricius¹. L’entreprise est presque contemporaine d’une autre tentative tout à fait analogue, celle que Leibniz avait entreprise avec le poète néo-latin de nationalité française Claude François Fraguier². Malheureusement cee recherche d’un Lucrèce personnel s’avéra décevante pour Leibniz : le pro- jet parisien ne va pas même se déclencher et l’œuvre de Petersen, présentée en effet par l’auteur comme la mise en vers des thèmes leibniziens, paraîtra seulement en , après la mort du philosophe. Le poème, intitulé Uranias³, se compose de quinze chants de - hexamètres chacun : la correspondance parfaite entre le récit du §  et l’histoire racontée par les vers de Petersen, ne se révèle que par la confrontation, en parallèle, des deux versions de l’histoire.

Cee démarche demande une recomposition préalable de toutes les asymétries, car Leibniz résume le mythe dans sa séquence chronologique linéaire, tandis que le poème procède par analepsies. Le schéma suivant, grâce auquel l’on peut confronter entre eux certains des passages les plus caractéristiques de ce mythe dans ses deux versions, s’avère toutefois suffisant pour identifier clairement et au delà de toute incertitude, l’œuvre de Petersen comme étant la source directe, ou la conséquence presque immédiate de la “fable théologique” de Leibniz⁴ :

¹ La correspondance entre Leibniz et Petersen avait pour intermédiaire Johann Fabricius (-

), professeur de théologie à Altdorf et ensuite à Helmstedt, en relation avec Leibniz de 

à . Actuellement en cours de publication dans les tomes de l’édition nationale allemande, la correspondance peut être présentement consultée dans D V, -.

² Leibniz avait été introduit à Fraguier (-) par son correspondant Nicolas Rémond ; pour différentes vues sur ce projet de poétisation de la philosophie leibnizienne voir A. Robinet, “Intro- duction”, dans G.W. Leibniz,Principes de la Nature et de la Grâce fondés en raison. Principes de la philosophie, ou, Monadologie(Paris : PUF, ), - ; E. Pasini, “La Monadologie : histoire de nais- sance”, dansLa Monadologie de Leibniz. Genèse et contexte(Paris-Milano : Mimesis, ), -.

³ Johann Wilhelm Petersen,Uranias qua opera Dei magna omnibus retro seculis et œconomiis tran- sactis usque ad apocatastasin seculorum omnium per spiritum Primogeniti gloriosissime consumman- da carmine heroico celebrantur(Francofurti et Lipsiæ : novi Bibliopoli,  ; par la suiteUranias).

⁴ Dans la table on trouve à gauche le texte du §  de laéodicée, a droite les vers de l’Uranias.

 : 

Andrea Costa

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Il croit que le desordre present de ce bas monde a commencé lorsque l’Ange, President du globe de la Terre, laquelle étoit encor un Soleil (c’est à dire une étoile fixe et lu- mineuse par elle même) a commis un peché avec quelques moindres anges de son departement, peutêtre en s’élevant mal à propos contre un ange d’un Soleil plus grand, qu’en même temps par l’harmonie preé- tablie des Regnes de la Nature et de la Grace, et par consequent par des causes naturelles arrivées à point nommé, nostre Globe a été couvert de taches, rendu opaque, et chassé de sa place ce qui l’a fait devenir étoile errante ou planete, c’est à dire Sa- tellite d’un autre Soleil, et de celuy là même peutêtre dont son ange ne vouloit point reconnoitre la superio- rité ; et que c’est en cela que consiste la chute de Lucifer.

e maintenant le chef des mauvais anges, qui est appellé dans la Sainte Ecriture le Prince et même le Dieu de ce Monde, portant envie avec les anges de sa suite à cet animal rai- sonnable qui se promene sur la sur- face de ce globe, et que Dieu y a sus- cité peutêtre pour se dedommager de leur chute, travaille à le rendre com- plice de leur crimes, et participant de leur malheurs

Lucifer ante alios Genius pulcherrimus omnes, Sentit ubi tanta sese virtute potentem, Tam facie fulgere alta, quam munere celso, Excitat ingentem circum præcordia fastum Turgidus, elatoque superbiit impius ore.

Utque ferens referensque pedem Iunonia pennas Miratur volucris, gemmantesque explicat alas, Adverso sub sole rotans, caudamque nitore Sydera adæquantem varios contorquet in orbes : Haud secus ista nova secum spaciatur in aula Coelicolum, atque amplo jam non contentus honore Altius ire parat, Regnum coeleste eandri

Aeterni adfectat (II, v. -)

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

(14)

C’est le fils eternel de Dieu en tant que fils unique, mais (selon quelques anciens Chretiens, et selon l’Auteur de cee hypothese)

Nec eodoretus, non ipse Hieronymus obstat, Augustinus adest, Isidorus, Beda sequuntur, Hipponensis ait, si quis prius astruat, orbem Fluxisse Angelicum, quam noster conditus esset Nil sensu tali sanctas offendere mentes (II, v. -)

s’étant revétu d’abord, dès le com- mencement des choses, de la nature la plus excellente d’entre les crea- tures, pour les perfectionner toutes, il s’est mis parmy elles ; et c’est la se- conde filiation, par laquelle il est le premier né de toute creature. C’est ce que les Cabalistes appeloient Adam Cadmon.

Ille ego primatum teneo, velut ille eander, Principium & Primogenitus, Sapientiaque alma, Præmondanus homo, & Cadmon cœlestis Adamus (II, v. -)

Il avoit peutêtre planté son taber- nacle dans ce grand Soleil qui nous eclaire : mais il est enfin venu dans ce globe où nous sommes

Est locus, (ut perhibent) qua clauditur orbita rerum Finibus immensis, trans nostri limina mundi Astrorumque vias, vastis diffusus in orbem, Atque patens late spaciis, hic una serenis Ignibus est sine nocte dies, mollesque jocantur Per campos auræ, nullis hic jura procellis, Sed regnat secura quies, & flore perenni Perpetuum ver vestis agros, non mutua duris Frigida, nec pugnant calidis, non humida siccis : Has habitat natura domos, sedet illa virenti Sublimis solio, cui pulchro in vere coruscat Frons, rosæque genæ, cui ridet masculus almo Ore color, plenisque vigor laudabilis annis, Blandaque magnanimo descendit gratia vultu.

Tempora velarunt frondes, turgentia late Ubera inexhausti latices jaculantur amoris,

os tellus bibit, & vitalibus ebria succis Exsudat, redditque sibi, quies pascitur Aether, Solanturque suas languentia sydera flammas.

(II, v. -)

 : 

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il est né de la Vierge, et a pris la nature humaine, pour sauver les hommes des mains de leur ennemi et du sien

a est Adam Cadmon, & qua est de carne Mariæ, Sanctus Adamus heri atque hodie, qui in tempore

natus

Ut carnem indueret nostram, in qua criminis expers Hostia pro nobis factus peccata piaret

(II, v. -)

Et quand le temps du jugement ap- prochera, lorsque la face presente de nostre globe sera sur le point de per- ir, il y reviendra visiblement pour en retirer les bons, en les transplantant peutêtre dans le Soleil ; et pour pu- nir icy les mechans avec les Demons qui les ont seduits. Alors le globe de la terre commencera à bruler, et sera peutêtre une Comète.

Est super ingentis coeli septemplicis ignes, Effulgens regio, & tenui mage splendida vitro, Hæc circum late immensis complexibus ambit Omnipotens, quicquid mundi genitalis origo Sponte sua tenues in luminis edidit Oras.

Non illam rubro surgens de gurgite Phoebus Illustrat, Phoebique nitens de lumine Phoebe, Verum ipse Astrorum Rector, qui sydera coelo Immisit, solemque suum, Titaniaque astra Candida subjectis infundere lumina terris Jussit, inexhausta complet late omnia luce, Lux ipse, æternæ que æterno lucis amictu Illustris, rigat æternum candore recenti.

Non illic pendent lychni laqueribus aureis, Ipse suas fedes, superum fulgentia tecta.

Collustrat sole, ac stellis fulgentior agnus.

Hoc coelum, summique ingens hæc machina Regis Non unquam Solisve ortus, obitusve cadentis Vidit, & æthereo non circumvolvitur axe, Sed stabilis, sed certa manens compage tenetur.

Hic secura quies, semperque innubilis æther, Omnia sunt pacata, ostendunt omnia pacem.

(XV, v. -)

Ce feu durera je ne sais combien d’æones : la queue de la Comète est designée par la fumée qui montera incessament, suivant l’Apocalypse ; et cet incendie sera l’enfer, ou la se- conde mort dont parle la Sainte Ecri- ture.

Sunt varii Æones, nam quilibet Æon

Sabbatha certa videt, donec complebitur orbis Maxima conversis revolutio debita seclis (XIV, v. -)

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

(16)

Au delà du simple intérêt d’érudit, cee corréspondence contribue à donner un nouveau sens à un paragraphe dont la fonction macrostructurelle à l’inté- rieur des Essais a jusqu’à présent échappé à la critique leibnizienne. L’histoire de la rédaction presque collective de l’Uranias dessine le contexte qui justifie l’étrange mélange d’appréciation et de distance par lequel Leibniz semble se référer à l’“homme d’esprit” à qui l’on doit la paternité du mythe. Le fait que Leibniz admee que ce dont il est question dans le récit est bien son principe de l’harmonie préétablie, tout en soulignant dans le même temps que ce principe est poussé à des extrémités qu’il n’approuve nullement, s’explique très bien si l’on considère qu’une œuvre poétique qui se déclarait ouvertement inspirée de sa propre philosophie était déjà conçue, comme on va le voir, à l’époque même de la rédaction de la éodicée.

De surcroît, l’identification du rapport avec l’Uranias nous permet aussi de formuler des hypothèses concertant le sens des commentaires que Leibniz intro- duit dans le récit. Ainsi, il ne serait peut-être pas excessif d’interpréter l’étrange perplexité de Leibniz sur la primauté aribuée au soleil par la cosmogonie comme une référence ironique à cee véritable mystique solaire qui, suite à la diffusion des premières traductions de la Civitas Solis de Campanella, s’était imposée parmi les membres des communautés chiliastiques allemandes et dont toute l’œuvre de Petersen est fortement imprégnée¹. Par ailleurs, sachant qu’à l’arrière plan de ce récit se trouvent les mondes mystiques représentés par Pe- tersen, la raison pour laquelle Leibniz reproche au récit d’avoir poussé trop loin le principe de l’harmonie préétablie, devient tout de suite évidente. Pour Leib- niz, l’harmonie préétablie entre le règne de la nature et de la grâce est l’un de ces principes architectoniques qui nous fournissent un cadre régulateur pour formuler et unifier des hypothèse relatives aux phénomènes et à leurs corréla- tions. Il est vrai que ces principes font office de postulats auxquels est accordé

¹ Enrico de Mas,L’aesa del Secolo Aureo, Firenze, Olschki, . En , l’un des associés de Johan Valentin Andreæ, le saxon Tobias Emmanuel Adami, publia en Allemagne la première traduction latine de laCivitas solisde Campanella qui devint très rapidement l’un des textes de référence dans les communautés chiliastiques et mystiques allemandes. À partir de l’œuvre de Campanella, l’image du soleil comme le lieu du salut commença à se répandre parmi les Rose-Croix etalia similia: nous la retrouvons en particulier dans les textes de Jane Leade – dont la lecture, comme on le verra par la suite, introduit Petersen à la doctrine de larestitutio– ainsi que dans toute la symbologie communautaire de la Société Philadelphique anglaise et allemande.

 : 

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une présomption de certitude maximale dans l’ordre de vérités contingentes, mais ils se dessinent dans le même temps comme étant essentiellement justi- fiés a posteriori, pour autant qu’ils s’avèrent utiles et féconds dans l’explications des phénomènes. En revanche, dans l’univers philadelphique, les règnes de la nature et de la grâce entretiennent entre eux un rapport d’inter-expression par- faitement iconique. De plus, le prophète et les initiés prétendent avoir un accès direct au règne de la grâce et pouvoir y lire les évènement qui, en vertu de cee correspondance harmonique parfaite, ne manqueront pas de se produire dans celui de la nature. Il est pourtant capital que le principe de l’harmonie préétablie que Leibniz pose comme fondement même de sa théodicée, demeure clairement distinct de l’aitude pansémiotique constituant la caractéristique première de tous les milieux mystiques, et du mysticisme chiliastique en particulier.

4 L semble avoir eu connaissance de l’activité poétique de Petersen en , quand ce dernier lui envoya des vers qu’il avait composés à l’occasion des noces, célébrées le même année¹, entre le prince Wilhelm Frie- drich et Sophie Dorothea. Un passage de la lere du  octobre  de Leibniz à Fabricius nous informe de l’opinion favorable que la vis poetica de Petersen reçut du philosophe : “Petersianos versus magna cum voluptate legi : explorata mihi erat eruditio Viri, sed tantum ligato sermone posse ignorabam”².

C’est justement au verso de ce premier envoi de Petersen, dans les annotations esquissées en vue de la réponse définitive, que Leibniz formula aussi la première ébauche du projet poétique dont nous avons fait mention :

Ego qui sæpe cogitare soleo, quomodo fieri queat ut dotes magnorum homi- num maxime in communia commoda proficiant, vidi a Te posse proficisci, quod

¹ “Übersendung eines Gedichts bei Gelegenheit der Vermählung der Prinzessin Sophie Dorothee mit dem Kronpr. von Preussen” (Bodemann,Der Briefwechsel, ). Cf. Rier .

² D V, .

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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sæpe optavi, justum opus rerum coelestium heroico carmine comprehensum.

eologia enim sublimior etiam in prosa splendet, qui si induat virgilianam ma- jestatem, quam tu unus et omnium optime circumdare posses. […] Hic castus elegantissimarum fictionum locus esset ; etsi nihil a nobis tam pulchrum fingi possit, quod non veritate superetur. Præter Te autem, a quo tale quid spera- ri posset, neminem novi, cui et divinarum rerum recessus interiores patent, et vim eloquendi entheam¹.

Nous ne disposons pas de preuves documentaires à même de témoigner des premières réactions de Petersen suite à la proposition de Leibniz. Dans un cadre où les rapports entre les deux correspondants sembleraient s’être interrompus pendant un certain temps, la définition du contexte dans lequel s’inscrit la corré- lation mise en évidence entre la éodicée et l’Uranias, reste ouverte à plusieurs hypothèses interprétatives.

D’une part, la riche production de Petersen – dont l’inspiration mystique et allégorique se présente comme une constante dès le début de son activité poétique – n’est certainement pas avare de vers qui auraient pu suggérer avant l’heure le noyau thématique développé ensuite dans l’Uranias. En dépit de ce que Leibniz déclare à Fabricius en , il reste en principe possible que des fragments de la production de Petersen, diffusés dans les circuits chiliastiques, soient tombés plus ou moins fugitivement sous les yeux du philosophe avant cee date, en déposant ainsi des graines qui par la suite auraient pu germer.

Nous ne pouvons pas non plus écarter la possibilité que le réseau commun partagé par le philosophe et le poète ait pu occasionner un ou plusieurs échanges directs, au cours desquels Petersen aurait pu faire part à Leibniz de ses positions – ce qui nous offrirait une explication bien naturelle de la relation entre les deux textes. En effet, au cours de ces années, une telle occasion aurait facilement pu

¹ G.W. Leibniz,De l’horizon,cit., -. Leibniz en décrit ainsi le contenu, dans cee phase encore très loin de la cosmologie chiliastique de laéodicée: “Materia tanti operis : primum Deus in abdito æternitatis sibi perpetuo sufficiens, tum Cosmogonia, mox Oeconomia providentiæ in gu- bernatione rerum ; sed altera pars operis de futuris, sive ad corpora sive ad animas pertineant et ad hunc vel alium, ubi de purificatione animarum et restitutione rerum, vel potius amplificatione et exaltatione per gradus. Novissimam nec infimam partem dari optem magnitudini coelestis regni et ut sic dicam Aulæ divina, ibi admiranda Angelicarum virtutum pingenda essent vivis coloribus et beatarum animarum celebranda felicitas, quibus non noster tantum sub pedibus orbis sed innume- rabiles mundi paterent, et variis in omne ævum spectaculis divinæ sapientiæ et bonitatis, incederent magis magisque amorem et venerationem supremæ Mentis”.

 : 

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se produire à Berlin, où Petersen se rendit souvent pour rencontrer ses protec- teurs à la cour : Dodo von Knyphausen, responsable entre autre chose de l’avoir introduit à la doctrine de la restitutio¹, ainsi que le ministre Paul von Fuchs, avec lequel Leibniz entretient aussi des relations². La référence à Petersen que l’on trouve dans une lere envoyée depuis Berlin par Leibniz à Fabricius en dé- cembre , pourrait aller dans la direction suggérée par ce dernier scenario³ :

“Plurimum ejus ingenio et zelo sum delectatus, vellemque magis frui colloquio potuisse”⁴. Sans aucun doute, la collaboration entre les deux auteurs se relance en  par l’intermédiation de Fabricius qui, au mois d’août de cee année là, envoie à Leibniz de nouveaux vers de Petersen⁵. La reprise du projet entraine une correspondance qui rend plus aisée la reconstruction des étapes suivantes du travail. Au mois de septembre , Fabricius écrit à Leibniz que “Doctori Petersen maximo quam potui opere suasi”⁶. La réponse de Leibniz, datée du 

décembre, trahit une satisfaction visible : “Miror, Petersenium nostrum pene absolvisse jam Uraniadam suam, quam vix coeptam putabam”⁷. Un mois après seulement toutefois, les marques de cet enthousiasme commencent déjà à s’es- tomper :

¹ Von Knyphausen fut le premier à proposer à Petersen la lecture des écrits de Jane Leade. Cf.Das Leben Jo. Wilhelmi Petersen, der Heil. Schrifft Doctoris, vormahls Professoris zu Rostock, nachgehends Predigers in Hannover an St. Egidii Kirche, darnach des Bischoffs in Lübeck Superintendentis und Hof- Predigers, endlich Superintendentis in Lüneburg, als Zeugens der Warheit Christi und seines Reiches, nach seiner grossen Oeconomie in der Wiederbringung aller Dinge, [Halle], Auf Kosten guter Freunde,

, . Sur les rapports entretenus entre Von Knyphausen et Petersen, cf. aussi Markus Mahias,

“Preußisches” Beamtentum mit radikalpietistischer “Privatreligion”. Dodo II. von Innhausen und Kny- phausen (-), in W. Breul, M. Meier, L. Vogel éds.,Der Radikale Pietismus – Perspektiven der Forschung, Göingen, Vandenhoeck u. Ruprecht, , -.

² A propos de ce réseau, cf. aussi G. E. Guhrauer,J. W. Petersen und Klopstock, dansBläer ür literarische Unterhaltung, , , - ; , -.

³ En revanche, la possibilité que ce soit laéodicéequi présente en toute indépendance la première version du mythe cosmogonique, apparu par la suite dans le poème de Petersen, semble beaucoup moins probable.

⁴ D V .

⁵ “Mio E[xcellentiæ] T[uæ] unam et alteram compositionem poëticam Petersenii”, LBr  Bl.

 (Rier ).

⁶ LBr  Bl. - (Rier ). Petersen lui repondit au mois de novembre : “Hac hora advolant responsoriæ D. Petersenii”, LBr  Bl. , Rier .

⁷ D V .

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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Non sine admiratione vidi opus amici nostri tam brevi tempore tanto cum successu ab- solutum, quum vix coeptum putarem, et jam bonam partem vidi. Innumera video dicta acute, pulchre, digne. Sed haud pauca occurrunt, fateor, non tantum contraria legibus, et in licentiam poeticam magis quam par est effusa, sed etiam imparia sensu, languida, et nisi mutentur, faciem elegantissimam deturpatura¹.

oique la suite de cee correspondance nous témoigne d’un long travail de révision accompli par le philosophe sur le poème, la perte des manuscrits relatifs à cee œuvre de correction rend actuellement impossible toute évalua- tion concernant la nature et l’ampleur de ces interventions leibniziennes qui auraient pu nous éclairer encore sur la genèse du mythe cosmogonique².

5 J après les deux hexamètres sans source qui concluent la narration cosmologique du § , Leibniz formule le tout dernier commentaire au récit qu’il vient de proposer : “La vision m’a paru plaisante, et digne d’un ori- géniste”³.

Si l’on considère l’ensemble des écrits philosophiques de Leibniz, le voca- bulaire du philosophe aeste une distinction assez nee entre les références à Origène lui-même et les origénistes. Tirées presque toujours du De principiis,

¹ D V .

² Cf. la correspondance avec Fabricius dans D V. Dans le Rier-Katalog (aux n. -, cor- respondants à LH  Bl. -) sont signalées plusieurs notes leibniziennes sur l’Uranias, toutes datées , mais malheureusement dispersées au cours de la deuxième guerre mondiale. Aussi dans Bodemann,Der Briefwechsel,  sont indiqués seulement “Einiges über sein Gedicht Ura- nias, welches er auf L[eibniz]’s Veranlassung schrieb”, datés . Le cadre documentaire n’offre donc pas la possibilité de pousser les recherches plus loin. Dans son autobiographie, parue en , Petersen parle de l’Uraniascomme prête pour la publication, sans faire aucune mention aux vi- cissitudes rédactionnelles qu’il rencontre. Cf. J. W. Petersen,Das Leben Jo. Wilhelmi Petersen, .

D’une manière surprenante, Leibniz n’y est pas mentionné.

³ ET, .

 : 

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la plupart de références directes du philosophe au texte d’Origène concernent essentiellement les deux thèmes origéniens qui se prêtent le mieux à l’interpré- tation via une clé ‘leibnizienne’ : la liaison de l’âme avec le corps et l’universalité de la rédemption.

Concernant le premier thème, il est connu que le De principiis contient plu- sieurs passages où le principe de l’action semble être reconduit essentiellement aux esprits, tout en reconnaissant à la matière un rôle instrumental fondamen- tal dans l’actuation des mouvements. Sur le deuxième thème, nous savons que Leibniz constate à plusieurs reprises qu’une punition éternelle ne saurait pas être proportionnée à une faute qui ne peut, elle, n’être que finie : “DEUS ne- minem aliter punit quam privative quatenus ei felicitatem non donat. Ita ruit poenæ æternæ crudelitas”¹.

S’il est vrai que Leibniz ne soutiendra jamais l’idée d’une rédemption uni- verselle qui arrivera à la fin des temps indifféremment pour tous les pêcheurs, nous savons qu’à partir de la Confessio Philosophi, il introduit la théorie de l’au- topunition des pêchés, selon laquelle les pêchés airent eux même leurs propre punition par des raisons mécaniques et c’est à cause de cela qu’il est impossible de parler de damné mais seulement de damnandi :

Habes ergo explicata illa tam mirabilia paradoxa, neminem nisi qui velit non dicam dam- nari, sed nec damnatum manere, neminem nisi a se damnadri, damnatos ese nunquam prorsus damnatos, semper damnandos […]².

De cee position dérive une sorte de ‘bienveillance latente’ à l’égard des thèses chiliastiques, dont les traces demeurent bien visibles non seulement dans la éodicée, mais également jusque dans les tous derniers écrits du philosophe³.

¹ Demonstrationum catholicum conspectus, A IV , . Nous retrouvons la même idée dans le De arcanis sublimiumde  : “Non video an non damnatio æterna sit conformis cum harmonia rerum. Posse fieri ut damnatio sit infinitæ durationis non tamen interminatæ, idque probabile esse, consentaneum esse harmoniæ rerum”, De arcanis sublimium vel de summa rerum, A IV , .

² Confessio Philosophi, A IV , .

³ En , Leibniz discute encore du chiliasme avec eobaldus Overbeck (-), hébraï- sant, théologien et mathématicien, ancien co-recteur du gymnase de Wolfenbüel et auteur dans ce temps-là d’une dissertation anti-petersenienne ; cf.Chiliasmus profligatus seu Exercitatio aca- demica qua Orthodoxa de Novissimis doctrina contra vanitates Chiliasticas e Scripturis roboratur, et a captiosis argutiis D. J. W. Petersen quas illi opposuit in edita super Animadversione vindicantur, desumpta maximam partem ex prælectionibus Dn. Gebh. eodori Meieri, Helmstadii, Impensis F.

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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En revanche, quand Leibniz parle non pas directement d’Origène, mais des origénistes en général, il semble se conformer pleinement à l’acception norma- lement donnée à cee qualification au XVII siècle, c’est-à-dire à l’utilisation de ce terme pour désigner les Sociniens, qui partageaient avec Origène l’idée d’une rédemption finale de toute l’humanité¹.

L’un des textes le plus représentatifs de la querelle origéniste du XVII siècle, sont les Parrhasiana² de Jean Leclerc, dans laquelle est mise en scène une dispute fictive entre un manichéen et un origéniste, qui se clôt naturellement avec le triomphe de ce dernier.

Or, justement dans une lere à Bierling contemporaine à la rédaction des Es- sais, Leibniz accusa Leclerc et Locke d’être des crypto-sociniens³. De son côte, Leclerc exprima a plusieurs reprises des jugements très sévères sur Leibniz et dans un compte-rendu de quelques œuvres de Bilfinger paru en  il se vanta même d’avoir refusé la publication d’un écrit leibnizien sur l’harmonie pré- établie, les Considérationssur les Principes de Vie et les Natures Plastiques par l’Auteur du Systême de l’Harmonie préétablie⁴ :

il y a plusieurs années, que feu Mr. Leibnitsii m’avoit envoyé un papier, où il exposoit son sentiment sur son Harmonie préétablie, en François, par un Gentil-Homme Ecos- sois, qui venoit de Hanovre ici, pour mere cet Ecrit, dans la Bibliotheque Universelle, mais après avoir lü plusieurs fois ce papier, j’avouë que je ne l’entendis point. Là- dessus je fis prier l’Auteur, qui me l’avoit envoyé, de vouloir bien exprimer sa pensée d’une maniere plus intelligible ; en m’engageant de l’inserer, dans le Volume suivant,

Lüderwaldi, . La correspondance avec Overbeck est elle aussi en cours de publication dans A I. Des extraits en sont publiés dans G. W. Leibniz,De l’horizon, p. -.

¹ Un exemple particulièrement significatif de cee nouvelle acception du terme “origéniste” se retrouve dans l’Origenes defensusdu jésuite Pierre Halloix, cf. Pierre Halloix,Origenes defensus, sive Origenis Adamantii,… vita, virtutes, documenta. Item veritatis super ejus vita, doctrina, statu exacta disquisitio, Leodii, ex off. H. et J. M. Hoviorum, .

² Cf. Jean Leclerc,”Parrhasiana”, ou Pensées diverses sur des matières de critique, d’histoire, de morale et de politique, Amsterdam, les héritiers de A. Schelte, -.

³ “Multa alia in Lockium animadverti possent, cum etima immaterialem animæ naturam per cuni- culus subruat. Inclinavit ad Socinianos (quemadmodum et amicus ejus Clericus) quorum paupertina semper fuit de Deo et mente philosophia”, Leibniz à Bierling,  novembre , dans GP VII, -

. Dans une lere à Malebranche de , Leibniz les traite carrément de “philosophes relâchés”

et “peu informés des connaissances Mathématiques”, cf. ML, p. .

⁴ Parues dans l’Histoire des ouvrages des sçavansde Jacques Basnage de Beauval en , aujour- d’hui dans GP IV, -.

 : 

Andrea Costa

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pourvu que je pusse l’entendre. Je dis à l’Ami, qui m’avoit apporté cet Ecrit, que je ne décidois nullement du Systême de l’Auteur, parce que pour pronnoncer d’une pensée, il faut nécessairement l’entendre […] Mr. Leibnits reçut son Ecrit et l’envoya à feu Mr.

de Bauval, sans y joindre aucun Eclaircissement. Depuis, je me suis point mis en peine d’un Systême, que l’Auteur ne se soucioit point que l’on entendît, ou qu’il craignoit de développer, de peur qu’on n’en vit le foible¹.

À la lumière de l’identification de la référence à l’Uranias, la tentation d’inter- préter toute la cosmologie leibnizienne comme une sorte de parodie, destinée aux seuls érudits de la République des Leres, des idées exprimées par un mi- lieu intellectuel dont Leclerc aussi était une expression, demeure très forte. Le même Leclerc est d’ailleurs cité avec Petersen à la fin du §  et c’est justement dans une revision du texte dont Leclerc avait refusé la publication, intitulée par Leibniz Éclaircissement sur les Natures Plastiques et les Principes de Vie et de Mou- vement² et ouverte par une référence à Leclerc, que les natures plastiques sont mises en relation avec “certaines intelligences inferieures” auxquels Aristote assigne la tâche de “faire tourner les sphère planétaires” :

Et comme on ne sa[aur]oit trouver la raison du mouvement dans la matière, qui d’elle même est indifférente à toutes les directions, il faut bien la chercher dans un Moteur immatériel, qui par bien des raisons ne sauroit estre autre que Dieu : quoyque Aristote ait encor compté parmy ces Moteurs certaines intelli- gences inferieures qu’il fait tourner les sphère planétaires, et que ceux d’entre les Cartesiens qui croyent l’influence de l’ame humaine sur le corps, comptent aussi nos Ames parmy ces intelligences capables de donner du mouvement³.

Mais l’on est là dans le domaine des suppositions. Il faut en effet considérer que, à l’époque de la rédaction de laéodicée, la perplexité que Leibniz mani- festera, à partir de , à l’égard des positions de Petersen d’une façon de plus en plus croissante, n’est encore aestée par aucune source documentaire⁴. oi

¹ Cf.Bibliothèque ancienne et moderne, /, - ; cf. aussi Jean Leclerc,Epistolario , -

 e indici generali, (éd.) Maria Grazia et Mario Sina, L. S. Olschki, Firenze, , n.

² Aujourd’hui dans GP IV, -.

³ Eclarcissement sur les Natures Plastiques et les Principes de Vie et de Mouvement, par l’Auteur du Systeme de l’Harmonie préétablie, dans GP VI, .

⁴ Dans les années de laéodicée, le jugement de Leibniz sur le mystique allemand semble en effet être encore pleinement positif : il déclare à Fabricius avoir lu avec intérêt l’Apokatastasis pan- tonet il ajoute “ego ipse Recensionis autor fui ac concinnator”. Cf. J. W. Petersen,ΜΥΣΤΗΡΙΟΝ L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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qu’il en soit, l’identification de la source du §  offre aussi d’autres retombées dont la portée dépasse la simple question de l’origénisme et de sa transposition liéraire dans les œuvres de théodicée de Leibniz, et ouvre à cee histoire des horizons transdisciplinaires inaendus.

6 E  T mis à part, les hexamètres finaux qui closent le récit du §  ne se retrouvent que dans un seul autre texte uniquement.

En fait, ils correspondent aux vers latins qui terminent le premier tirage de la Telluris theoria sacra de Burnet¹ :

Cum mortua stella

resurget,

Sordibus excussis rediviva : et carcere rupto Inferni, valvisque nigris, undabit in auras

Victrix flamma suas, sibi raptum Orbemque reposcet

Tum distincta caput,

circum sua tempora læta

Aethereas vibrare comas et spargere cælum Persequitur late et lucem sine noctem perennem

Inque Deos iterum fatorum lege reductus

Aureus æternum nostre regnabit Apollo

Les hexametres, présentés par Burnet dans la forme typographique d’une citation (à l’aide de guillemets), se retrouvent en bonne partie dans le premier chant de l’Uranias, au versets  et suivants :

Sed nova cuncta fluent, quando Natura

resurget Sordibus excussis rediviva, et carcere rupto Inferni, valvisque nigris emerget in auras

ΑΠΟΚΑΤΑΣΤΑΣΕΩΣ ΠΑΝΤΩΝ, das ist : Das Geheimniss der Wiederbringung aller Dinge, darinnen in einer Unterredung zwischen Philaletham und Agathophilum gelehret wird, wie das Böse und die Sünde, […] wieder gänzlich soll auffgehoben, und vernichtet ; hergegen die Creaturen Goes […] durch Jesum Christum […] sollen befreiet und erreet werden, Pamphilia [i.e. Offenbach], bey dem Au- thore, . Le deuxième volume fut publié en . Mêmes le références à Leclerc, dans la même lere, montrent une aitude généralement positive : “etiam Johannes Clericus Vir doctissimus huic sententiæ favet” (D V -).

¹ Cf. omas Burnet,Telluris theoria sacra, orbis nostri originem et mutationes generales, quas aut jam subiit aut olim subiturus est, complectens, cit., . Le fait que ces vers ne figurent pas dans toutes les éditions anglaises de laTelluris theoria sacra, a surement contribué à rendre plus complexe leur identification : nous pouvons les lire seulement dans l’édition latine de l’œuvre.

 : 

Andrea Costa

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Victrix flamma suas, et majestate corusca Investita sua,

circum sua tempora late Aethereas vibrare comas, et pingere coelum

Incipiet, lucemque dabit sine nocte perennem¹.

Faute de preuves documentaires grâce auxquelles établir une critique stem- matique sur la genèse de ces vers, la voie est une fois encore ouverte à plusieurs hypothèses. Burnet aurait pu recourir à une forme typographique volontaire- ment trompeuse² pour masquer, sous l’apparence d’une citation, une produc- tion poétique personnelle qui ensuite aurait été partiellement reprise tant par Leibniz dans les Essais que par Petersen dans l’Uranias. Ce premier scenario semble bien s’agencer avec la présence avérée de deux copies de la Telluris theo- ria sacra dans la bibliothèque privée de Petersen³.

Toutefois, tel qu’il est présenté dans l’œuvre de Burnet, le premier hexa- mètre de la poésie commence à la césure. Assez répandue dans les compositions d’école, la pratique de commencer une composition poétique à la césure était en revanche relativement rare dans des publications plus officielles et suggère plutôt – s’il ne s’agit pas d’une autre tromperie – la marque d’une interven- tion visant à séparer le deuxième hémistiche du vers ducontinuum narratif qui le comprenait à l’origine. Et l’aribution à Burnet de la paternité de ces hexa-

¹ Italique= text commun à Burnet et Leibniz ;gras= text commun à Burnet et Petersen.

² Ces vers, et quelques autres hexamètres qui s’avèrent, tant par le style que par le contenu, par- faitement assimilables à ceux de la poésie conclusive, sont les seuls dans l’édition de  dont la source n’est pas spécifiée et presque les seuls marqués par des guillemets ; cf. omas Burnet,Tellu- ris theoria sacra, orbis nostri originem et mutationes generales, quas aut jam subiit aut olim subiturus est, complectens(Londini impensis G. Keilby, ), -. La composition de l’hexamètre final voit même le dernier pied séparé par un alinéa : “Temperat, hanc clausit, primus patefecit | et illam”

().

³ Bibliotheca Peterseniana, id est Apparatus Librarius, quo, dum viveret, usus est Joan. Guilielmus Petersenius, doctor theologus et poeta celeberrimus constans varii generis libris, theologicis nimirum, philologicis, philosophicis, poeticis, plurimam partem eleganter compactis die . sept. seqq. an. 

Berolini in Platea vulgo die Friedrichs-Strasse dicta auf dem Fridrichswerder, in Ædibus Küsterianis

… Auctionis ritu … vendendus; voir  (“T. Burnetii theoria telluris sacra, Amst[elodami] [].

Ej[usdem] Archæologiæ philosophicæ”) et  (“T. Burnetii theoria telluris sacra Frf.[Francofurti]

[]”). On y trouve encore Knorr von Rosenroth ( : “Kabbala denudata Sultzb[achi] []  Voll.”) et Anne Conway ( : “Comitissæ Anglicanæ opuscula philosophica, philosophia vulgaris refutata [] de revolutione animarum humanarum []”) ; mais on n’y a pas repéré laéodi- cée.

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

 : 

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mètres n’explique pas la reprise fragmentaire et épisodique qu’en fait Petersen dans un poème très structuré qui compte des centaines de vers. Élément consti- tutif de la praxis stylistique de l’âge moderne maintes fois pratiquée par Leibniz lui-même¹, l’insertion de vers d’autrui dans une composition poétique originale répondait à un jeu intertextuel précis, où les vers et les fragments utilisés étaient des extraits célèbres des grands auteurs de la poésie classique latine. Opérée sur des vers de Burnet cee même pratique relèverait plutôt du plagiat que de la citation.

Le cas inverse, bien qu’indémontrable, n’est pas complètement à exclure : il pourrait s’agir de vers rédigés originairement par Petersen et repris ensuite par Burnet sous la forme d’une citation. Ce deuxième scénario ne prévoit pas forcé- ment que la rédaction de la première version de l’Uranias doive être rétro-datée à une époque antérieure à la publication de la Telluris, car la veine mystique et le ton millénariste qui caractérisent les vers de l’Uranias n’ont certainement pas aendu la mise en chantier de ce projet pour se manifester dans la poésie de l’auteur². Enfin il est aussi possible et même plus désirable, qu’il existe une troi- sième source – que des recherches ultérieures pourraient identifier – à laquelle Burnet autant que Petersen, et peut-être Leibniz aussi, auraient pu s’inspirer³.

¹ Cf. par exemple la célèbreResponsio mea V.J. Nicolao Ræmundo ut pro Homero Platonem curetet novo Maroni Fragario ut maiora canat(dans GP III, -) que Leibniz adressa depuis Vienne, le

 mai , aux déjà nommés Rémond et Fraguier. Toute la première partie de cee composition poétique de Leibniz se réduit en effet à un collage de vers que le philosophe tira d’auteurs classiques, en modifiant les hexamètres au strict minimum requis. Dans les cas les plus extrêmes, les modifi- cations sont seulement opérées sur les pieds qui précèdent ou qui suivent la césure penthémimère de l’hexamètre dactylique original, de manière à garder intact au moins un hémistiche. On peut dénombrer, à titre d’exemple, quelques uns de ces emprunts : “Extulit et doctos in Dardana suscitat arma | Sufficit, ipse deos in Dardania suscitat arma” (Verg.,Æn. II, ) ; “Nuper purpurea redimitus tempora mitra | Ille etiam picta redimitus tempora mitra” (Ov.,Met. XIV, ) ; “Festinetque utinam prodire in luminis oras | Tuto res teneras effert in luminis oras ?” (Lucr.,De rer. I, ).

² Les hexamètres auraient donc pu appartenir originairement à une composition plus ancienne de Petersen, possiblement réalisée à l’époque où il enseignait la poésie à Rostock et, par la suite, seraient arrivés jusqu’à Burnet à la faveur du réseau philadelphique qui, dans les mêmes années, était en train de s’organiser et de se développer selon un axe anglo-allemande. D’autre part, le même réseau aurait pu porter à la connaissance de Petersen le texte de Burnet, et encore Leibniz pourrait en avoir discuté avec lui dans le(s) colloque(s) à Berlin qu’on à déjà mentionné(s).

³ oi qu’il en soit, ce qui est avéré est que omas Burnet, ancien élève de Cudworth à Cambridge, propose le poème dans un contexte sérieux, en plaçant ses vers en conclusion de son œuvre. Leib- niz en revanche aurait utilisé ces vers pour mere sur un même plan les crypto-sociniens et les

 : 

Andrea Costa

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7 D un cas comme dans l’autre, l’identification de la source du §  et la triangulation entre les trois auteurs qui en suit, meent en lumière la connexion qui, dans le projet scientifique et encyclopédique leibnizien, s’ins- taure entre la science géologique naissante et la cosmologie théologique. Grand connaisseur de l’œuvre de Burnet, Leibniz avait déjà publié en  un abrégé (Protogæa) de sa propre version de l’histoire de la terre, qui ne sera ensuite publié posthume qu’en , avec le même titre de Protogæa, par le soins de Christian Ludwig Scheidt¹.

En soulignant l’existence d’une relation souterraine et cachée entre origé- nisme, théodicée et science naturelle, la crypto-citation proposée dans le mythe cosmogonique de la éodicée offre de nouvelles perspectives soit à l’approche leibnizienne sur des domaines de recherche disciplinairement hétérogènes, qui sont néanmoins traversés par une séries d’exigences communes, soit à la com- préhension des liens entre ces domaines dans la culture de son temps.

chiliastiques-millénaristes, tout en prenant ses distances avec l’auteur de l’Uranias.

¹ G.W. Leibniz, “Protogæa”, Acta eruditorum, mensis januarii, , p. - et G.W. Leibniz,Sum- mi polyhistoris Godefridi Guilielmi Leibnitii Protogæa, sive de Prima facie telluris et antiquissimæ historiæ vestigiis in ipsis naturæ monumentis dissertatio, ex schedis manuscriptis… in lucem edita a Christiano Ludovico Scheidio, Goingæ, sumptibus J. G. Schmidii, .

L’étrange cas de la “théologie presque astronomique” desEssais de éodicée

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Jesse S., “Salvation Mountain HDR”,

http://www.flickr.com/photos/jesssseeee/4088399805

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