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Qu’est-ce qu’une expertise citoyenne en santé environnementale ? Questions sur l’expérimentation rennaise Ambassad’Air

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Qu ’ est-ce qu ’ une expertise citoyenne en santé environnementale ?

Questions sur l ’ expérimentation rennaise Ambassad ’ Air

Résumé. Ambassad’Air désigne une opération menée à Rennes (Ille-et-Vilaine) dans laquelle des habitants volontaires mesurent la qualité de l’air auquel ils sont exposés dans leur habitat ou au cours de leurs déplacements en ville grâce à des capteurs individuels.

L’article prend appui sur les supports de communication qui accompagnent cette opération pour la présenter et interroger la notion d’expertise citoyenne utilisée pour qualifier la contribution des volontaires à la politique locale de l’air extérieur. Le point de vue sociologique adopté conduit à ne pas s’interroger sur la validité métrologique des captations effectuées, ni sur leur contribution à la surveillance de la qualité de l’air. Il analyse cette opération comme un dispositif de médiation entre les perceptions ordinaires de la pollution par les habitants, les mesures réalisées par les dispositifs dédiés et la politique de la ville en matière de qualité de l’air, dont le succès dépend de la capacité des volontaires à développer une expertise spécifique qui leur permet d’échanger avec les différentes parties prenantes.

Mots clés :pollution de l’air ; surveillance environnementale ; témoin expert.

Abstract

What is civic expertise in environmental health? Queries about the Ambassad’Air experiment in Rennes

As part of the Ambassad’Air program in Rennes (Brittany), volunteers receive individual devices to measure the air quality in their homes and as they move around the city. The article draws on the public communication documents related to this program to describe it and to consider the concept of civic expertise used to characterize these volunteers’

contribution to local outdoor air quality policy. It applies a sociological perspective and therefore does not address the issues of the metrological validity of the records or their contribution to the monitoring of air quality. Instead it analyzes this operation as a form of mediation between inhabitants’ ordinary perceptions of pollution, the air quality measurements by professionals, and the city’s air policy, the success of which depends on the capacity of volunteers to develop specific expertise that allows them to interact with the different stakeholders.

Key words:pollution; air; environmental monitoring; expert witness.

MARCELCALVEZ

Université de Rennes, CNRS, ESO [(Espaces et Sociétés)] - UMR 6590 Place du recteur Henri Le Moal CS 24307 F35000 Rennes France

<marcel.calvez@univ- rennes2.fr>

Tirés à part : M. Calvez

Pour citer cet article : Calvez M. Qu’est-ce qu’une expertise citoyenne en sante environnementale ? Questions sur l’experimentation rennaise Ambassad’Air.Environ Risque Sante 2018 ; 17 : 498-504.

doi :10.1684/ers.2018.1214 Article reçu le 7 mars 2018,

accepté le 2 mai 2018

doi:10.1684/ers.2018.1214

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A

mbassad’Air désigne une opération développée par la ville de Rennes et la Maison de la consommation et de l’environnement depuis l’automne 2016. Elle mobilise des habitants volontaires qui, grâce à des capteurs, mesurent la qualité de l’air auquel ils sont exposés dans leur habitat ou au cours de leurs déplacements en ville. Selon ses concepteurs, cette opération a pour objectif de faire participer les habitants à la prise en charge de la question de la qualité de l’air au plan local. Dans le discours public, les volontaires sont appelés à exercer une expertise citoyenne, c’est-à-dire agir en tant que personnes à qui est reconnue une certaine compétence fondée sur leur expérience et les savoirs techniques qu’elles ont acquis, pour contribuer à une politique publique locale relative à la qualité de l’air et à la lutte contre les pollutions atmosphériques[1]. La notion d’expertise citoyenne heurte la distinction établie entre l’expert doté de connaissances scientifiques et techniques et le profane qui bénéficie d’une expérience.

Dans ce cas, elle peut introduire un brouillage entre l’évaluation de la qualité de l’air comme le résultat de travaux métrologiques répondant à des normes recon- nues, et l’exposition individuelle à des pollutions que les habitants volontaires mesurent en fonction de leurs déplacements dans la ville. Mais aborder la question de la contribution d’Ambassad’Air selon les canons de la métrologie ne permet pas de rendre compte de la contribution de ces experts citoyens à une politique locale relative aux pollutions atmosphériques. En adop- tant un regard sociologique, c’est cette contribution à une politique locale qui retient l’attention. Cette opération, toujours en cours d’élaboration, est trop récente pour qu’il soit possible d’en mesurer les effets sur les représentations et les pratiques relatives à la pollution atmosphérique, pour autant que ces effets puissentetre^ mesurés de façon spécifique. C’est pourquoi le point de vue concernera la façon dont cette place des volontaires a été conçue. La mise en œuvre d’Ambassad’Air s’est en effet accompagnée d’une médiatisation importante par des publications ainsi que des émissions radiophoniques qui sont appelées à participer au développement d’une conscience locale de la pollution atmosphérique1. Ces productions discursives convergent les unes avec les autres pour arriver à un degré de saturation et de convergence du matériau recueilli à partir duquel l’analyse devient possible. L’objectif de l’article est de

présenter l’intervention telle qu’elle émerge de ces publications et de caractériser les dynamiques sociales attendues que recouvre la notion d’expertise citoyenne.

Une mobilisation sociale pour la qualité de l ’ air

Avec ses partenaires associatifs, la ville de Rennes s’est donnée pour objectif de «sensibiliser les habitants sur les enjeux de qualité de l’air et faire évoluer les comporte- ments. [Ambassad’Air] consiste pour les habitants à devenir eux-m^emes parties prenantes de la mesure de la qualité environnementale de leur ville». L’opération est présentée comme l’une des réponses au contentieux avec la Commission européenne pour non-respect des valeurs limites applicables aux PM10 (particules en suspension dans l’air dont le diamètre est inférieur à 10m). Au-delà de ce contentieux, dont la ville est sortie en 2015, l’action s’inscrit dans le cadre du Contrat local de santé2et dans le Plan de protection de l’atmosphère de l’agglomération.

Elle vise à décloisonner les questions de santé environ- nementale prises en charge par différents acteurs locaux dans des situations diversifiées (sont cités les acteurs de la santé, ceux des quartiers, des espaces verts, de la mobilité, de l’éducation, des personnes âgées) et à impliquer les habitants, au-delà des spécialistes des questions de qualité de l’air. C’est en ce sens qu’est évoqué le développement d’une «expertise citoyenne de Rennais sur la qualité de l’air» qui participe au «projet de la ville d’une démocratie locale vivante».

Ambassad’Air est présenté par ses concepteurs comme «un projet réellement innovant à la fois technologiquement et surtout socialement». Il prend appui sur des expériences développées dans quelques villes dont le projet Smart Citizen, développé par le Fab Lab de Barcelone, qui propose des technologies open sourcede mesures de la pollution atmosphérique dans la perspective de la participation politique des citoyens au plan local3, et le projet Mobicitair de mesure de la qualité de l’air à Grenoble4qui propose un kit de mesure des PM2,5.

Le projet sollicite des volontaires résidant à Rennes en vue de «leur donner les moyens de comprendre, de partager, et surtout d’^etre force de proposition face à une question qui nous concerne tous : la pollution de l’air».

Ces habitants sont équipés de capteurs qui leur

1Les sources utilisées sont les suivantes.Documentation audio et vidéo: 15 mars 2017, France 3 régions ; 11 janvier 2018, « La qualité de l’air », émission Radioactive sur C-Lab (la pollution de l’air à Rennes) ; 11 janvier 2018, France Bleu Armorique (la qualité de l’air à Rennes) ; 15 janvier 2018, reportage vidéo de France 3 Bretagne. Documentation écrite : publication de la ville de RennesMaison de la consommation et de l’environnement, « Mieux respirer, c’est dans l’air ! Ambassad’Air. Saison 2 2017/2018

» (novembre 2017, 20 pages), Dossier : les citoyens ne manquent pas dair, dansSans transitionjanvier-février 2018.

2Rennes fait partie du réseau français des villes-santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dont la présidence est assurée par la maire-adjointe déléguée à la Santé, initiatrice du projet Ambassad’Air. http://metropole.rennes.fr/actualites/

education-vie-sociale-sante/sante/citoyens-a-vos-capteurs/

3https://fablabbcn.org/0000/01/06/smart-citizen.html

4http://www.mobicitair.fr/

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permettent de mesurer et d’enregistrer en temps réel des données sur la qualité de l’air extérieur à leur domicile ou lors de leurs déplacements. Selon les concepteurs du projet, ces mesures sont appelées à «enrichir et complé- ter les mesures effectuées par Air Breizh, association agréée par l’État pour la surveillance de la qualité de l’air».

Des volontaires sont sollicités dans deux quartiers de Rennes, l’un au nord-ouest et l’autre au sud-est, pour la première phase d’expérimentation (2016-2017), puis également dans un troisième quartier au sud pour la seconde phase (2017-2018). Au cours de cette seconde phase, le projet est également ouvert à des établissements scolaires et des équipements de quartier ou des associations. Ces volontaires sont formés et accompagnés par des spécialistes de la mesure de la qualité de l’air.

« Ces temps d’échanges et d’animation permettent à chacun de développer son expertise et sa compréhension des impacts des activités humaines sur la qualité de l’air et des changements de pratiques au quotidien». La technologie mobilisée est appelée à «rendre intelligibles des données environnementales» et par l’open data à les rendre accessibles.

Les documents de communication insistent sur le rôle de médiation des volontaires dans la mise enœuvre d’une politique locale de la qualité de l’air. Ils sont appelés à« se tenir informés régulièrement de la qualité de l’air,[à]en parler autour de soi, [à] mettre en œuvre des bonnes pratiques». L’un des outils d’évaluation de cette activité de médiation est constitué par un carnet de contact, mis en place pour la campagne 2017-2018, dans lequel chaque volontaire est appelé à identifier son action au travers d’unefiche (tableau 1).

Cettefiche recueille des informations sur la pratique de la mesure par le volontaire en fonction de ses lieux de vie ou de déplacement. Cependant, les catégories ne per- mettent pas d’obtenir des données précises etfiables qui pourraientetre utilisées dans un dispositif d’observation.^ Cela conduit à regarder le carnet comme un outil réflexif participant à la formation de sa conscience dans le domaine de la qualité de l’air. Il en est ainsi de la question relative à « l’idée à valider par la mesure », ce qui le conduit à expliciter sa perception immédiate et à le relier à une mesure. La question « vous en tirez une conclusion ? » ouvre sur son interprétation de la mesure, laquelle peut

^etre complétée par des commentaires. Cette fiche

technique est ainsi un questionnaire dans lequel le volontaire rassemble ses connaissances pour produire un énoncé sur la pollution de l’air qui peut le conduire à dissocier les odeurs de la densité de particules fines. Cettefiche le guide ainsi dans l’acquisition d’une connaissance technique au fondement de son expertise particulière.

La seconde partie du carnet a pour objet la diffusion sociale de l’action du volontaire et comprend de la m^eme façon unefiche à renseigner (tableau 2).

Les contenus de cettefiche, qui ont évolué entre les deux saisons, rappellent au volontaire son engagement à discuter des questions relatives à la qualité de l’air.

Les questions l’orientent vers un repérage élémentaire de la diffusion sociale des préoccupations relatives à la qualité de l’air, à la fois quantitative (nombre de personnes) et qualitative (type de personne, contenu de l’échange). La fiche est peu utile au sociologue car elle manque de données permettant une analyse de réseau. Son apport est d’orienter le volontaire vers un rôle de médiateur, de l’action entreprise par la ville vers les habitants et des préoccupations éventuelles de ces habitants vers les acteurs de la politique de la ville.

Le document de présentation d’Ambassad’Air pour la saison 2 (« Mieux respirer, c’est dans l’air ») comprend deux textes qui expliquent ce que l’action représente pour des volontaires identifiés par leur prénom et leur quartier de résidence. Que ces volontaires soient réels ou fictifs importe peu ; dans le contexte d’une communica- tion municipale, ces textes sont intéressants en tant que mise en récit des engagements dans le dispositif auxquels les lecteurs peuvent s’identifier. Le premier texte (Stépha- nie, quartier de Villejean, nord-ouest de Rennes) part de l’intér^et de la volontaire pour une démarche participative qui lui permet de s’impliquer dans la vie du quartier

«d’autant que[elle est]sensibilisée aux questions liées à la protection de l’environnement». Il insiste également sur son attrait pour le côté technique de la mesure. Enfin, il présente la double valeur qu’elle accorde à cette expérimentation : une connaissance sur les polluants atmosphériques et des échanges avec d’autres volontaires.

Le second texte (Chantal, quartier du Blosne, sud-est de Rennes) présente également une femme, travaillant dans le domaine de la santé, nouvellement arrivée avec sa famille dans un quartier à proximité des zones à forte

Tableau 1.Fiche 1 du carnet de contact d’Ambassad’Air.

Table 1. File 1 of the Ambassad’Air contact book.

Avez-vous fait des mesures aujourd’hui ? Jour Horaire Fixe / Vélo /

Pied

Intérieur Extérieur

Où ? Météo Vous aviez une idée à valider par cette mesure ?

Moyenne mesurée

Vous en tirez une conclusion ?

Commentaires (difcultés techniques, autres) Source : http://www.wiki-rennes.fr/Fichier:AmbassadAir_carnet_contact.docx

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densité de trafic routier. Cette volontaire met en avant l’intér^et des mesures pour comprendre la pollution et ses déterminants et pour avoir accès aux sources d’informa- tions afin d’organiser les activités de plein air de sa famille en fonction de l’état de la pollution atmosphérique. Elle voit l’action comme une façon de sensibiliser les habitants au quotidien dans une perspective de changement de comportement ou, au moins, d’interrogation sur l’impact de leurs déplacements sur la pollution de l’air.

Au-delà de l’illustration des motifs de l’engagement, les deux textes permettent de caractériser les cibles attendues de l’action : d’une part, des personnes préoccupées par les questions environnementales et de cadre de vie qui sont au cœur de réseaux associatifs de quartier et qui mobilisent leur capacité d’agir pour la cause de la qualité de l’air, d’autre part, des personnels de santé qui peuventetre des relais d’une action à partir de^ leur formation et de leurs préoccupations d’éducation pour la santé individuelle et collective.

Ambassad’Air et le dispositif agréé de surveillance

de la qualité de l ’ air

Ambassad’Air est une expérimentation qui s’inscrit dans un temps limité : en 2017, les mesures ont été effectuées pendant 60 jours entre février et mars. Parmi ces mesures, 51 % ont été réalisés à domicile et 49 % lors de déplacements à pied ou à vélo. Les données ont été restituées avant l’été. En 2018, les mesures à domicile, à pied et à vélo sont effectuées successivement pendant une semaine puis deux semaines entre février et avril ; une action ponctuelle de mesure est également effectuée dans un collège du centre ville dans le cadre d’un projet pédagogique5.

Cette opération se différencie radicalement de l’activité d’Air Breizh, l’association agréée qui assure

une surveillance continue de la qualité de l’air dans la métropole rennaise à partir de quatre stations fixes, puisqu’elle concerne l’exposition d’individus à des particules fines. Indépendamment des caractéristiques techniques des appareils de mesure personnels et de la nature des informations recueillies, les mesures effec- tuées n’ont pas la régularité du dispositif de surveillance, ni la pertinence et la représentativité des stations de mesure car les lieux et les conditions de recueil de données varient selon les volontaires, leurs lieux d’habi- tation et leurs déplacements quotidiens. Par ailleurs, les mesures s’étalent sur une période limitée de temps, en hiver et au début du printemps, correspondant à un état ordinairement dégradé de la qualité de l’air ; elles n’ont donc pas la continuité temporelle des observations de longue durée qui permettent de mettre les données longitudinales en contexte. Ces limites de la collecte de données apparaissent prises en compte dans les projets d’évolution d’Ambassad’Air puisque, dans la présentation de la saison 2, la question de la production de données exploitables grâce à une méthode commune entre les volontaires et les porteurs du projet est abordée, tout comme la mise en place de mesures fixes en vue de faciliter la comparaison entre les données recueillies par les volontaires grâce aux méthodologies des systèmes d’information géographique.

Les limites dans le recueil et le traitement des données permettent d’expliquer que les différentes parties pren- antes situent l’opération non comme un prolongement ou un apport aux dispositifs existants de surveillance de la qualité de l’air, mais comme une activité alliant des préoccupations pour la qualité perçue de l’air, un intér^et pour des dispositifs techniques de mesures disponibles à l’échelle individuelle et des modalités d’animation sociale pour promouvoir une conscience de la qualité de l’environnement. Ainsi, parmi les actions envisagées dans le document de présentation de la saison 2 pour «réduire la pollution de l’air», la première action est«^etre acteur de la qualité de l’air et de sa santé »,ce qui passe par le fait de« se tenir informé régulièrement de la qualité de l’air, en parler autour de soi, mettre en œuvre des bonnes pratiques». Développer la conscience de la pollution est un objectif central susceptible de permettre l’adoption de bonnes pratiques et le changement des comportements.

Tableau 2.Fiche 2 du carnet de contact d’Ambassad’Air.

Table 2. File 2 of the Ambassad’Air: contact book.

Avez-vous discuté qualité de l’air ou d’Ambassad’Air aujourd’hui ? Jour Nb de

personnes contactées

Un.e collègue ?

Un.e ami.e ?

De la famille ?

Un.e inconnu.e ?

Autre Avez-vous utilisé un outil AmbassadAir ? Lequel ? Pourquoi cet outil pour cette personne ?

A-t-il une question / un sujet spécique lors de l’échange ?

Commentaires

Source : http://www.wiki-rennes.fr/Fichier:AmbassadAir_carnet_contact.docx

5http://www.wiki-rennes.fr/R%C3%A9sultats_des_mesures_de_- la_saison_2_d%27Ambassad%27Air

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Les volontaires sont ainsi considérés comme des inter- médiaires de l’action publique locale pour la conqu^ete d’une conscience de la qualité de l’air.

Ambassad’Air est pensé comme un dispositif de médiation entre les perceptions ordinaires de la qualité de l’air et de la pollution et les mesures qui sont réalisées par les dispositifs dédiés. Ce dispositif est appelé à tisser des liens entre les deux registres distincts, celui du vécu olfactif des habitants et celui de la mesure de la qualité de l’air. L’écart entre les deux registres est en effet au cœur des préoccupations des porteurs du projet. Ainsi, lors de l’émission de radio du 11 janvier 2018 sur C-Lab, l’animateur du dispositif indique : «Il suffit d’envoyer son mail à Air Breizh pour avoir l’information[sur l’état de la qualité de l’air]. Mais cela personne ne le sait» ou encore «On entend parler des pics de pollution, mais les particules fines tous les jours ce sont celles-là qui détruisent la santé». Le responsable de la Maison de la consommation et de l’environnement souligne de son côté la grande méconnaissance des habitants quant à la pollution de l’air, la prégnance d’idées préconçues (associant la pollution de l’air aux odeurs), ce qui le conduit à insister sur la nécessité d’agir sur la perception ordinaire de la qualité de l’air par la mesure que les volontaires peuvent faire, pour mieux apprécier les polluants et les situations de pollution auxquels ils peuvent^etre exposés. Du fait de leur position d’interface dans des réseaux sociaux ou professionnels, les volontai- res sont ainsi conduits à pallier cette absence et à diffuser une appréhension réputée plus réaliste de la qualité de l’air et de ses altérations. «Que les volontaires s’appro- prient le sujet pour pouvoir en parler autour d’eux, pas forcément en tant qu’experts, mais en sachant ce dont on parle, pour diffuser à la famille, aux amis, aux collègues de travail». Cette dissémination de connaissances est appelée à pouvoir répondre aux interrogations grandis- santes sur la qualité de l’air extérieur. À court terme, elle doit permettre aux personnes d’avoir des conduites informées au moment des pics de pollution. À long terme, elle vise à développer une conscience de la qualité de l’air en vue de favoriser des comportements vertueux (figure 1).

Ambassad’Air, la médiation et l ’ expertise

Ambassad’Air occupe une place singulière dans la politique de conqu^ete de la qualité de l’air urbain à Rennes. Au regard des sources de pollution (transport, chauffage, agriculture), son domaine d’intervention est minime, les volontaires ont une capacité d’action directe réduite. En termes de mesure de la qualité de l’air, leur contribution se restreint à la collecte de données sur les expositions individuelles. En revanche, ils sont investis

d’une place centrale comme médiateurs dans le déve- loppement d’une conscience sociale de la pollution et de la qualité de l’air urbain par les habitants. C’est cette place dans la mise enœuvre d’une politique locale qui retient l’attention du sociologue.

Dans le champ des politiques urbaines, la qualité de l’air urbain peut ^etre définie comme un bien commun, c’est-à-dire «un bien dont nous pensons tous, en cherchant à nous fondre dans un jugement collectif, qu’il devrait etre considéré comme un bienfait par tous, et^ auquel chacun devrait avoir accès» [2]. Les pouvoirs publics locaux sont appelés à avoir une fonction de coordination entre des acteurs aux intér^ets divergents en vue de permettre la production collective de ce bien commun. L’opération Ambassad’air peut alors etre^ regardée comme l’une des actions initiées par la municipalité en vue de contribuer à la construction collective de la qualité de l’air, conjointement à d’autres actions engagées auprès des différents acteurs parties prenantes et à la production d’une réglementation. Sa caractéristique principale est d’associer des volontaires à la production de cette qualité de l’air. Contrairement aux opérations dans lesquelles les volontaires ont un rôle d’auxiliaire scientifique6, ils sont ici mobilisés en tant que producteurs de données et porteurs de la cause de la qualité de l’air auprès des habitants.

Source : Diaporama de présentation Ambassad’Air, saison 2, 30 novembre 2017.

Mesure de la qualité de l’air

Diffusion de la donnée

Communication des informations captées (interface web, appli, mobiliser urbain) Propositions pour

améliorer la situation Changement des

comportements Implication des habitants

Compréhension de la pollution Analyse des résultats

Figure 1.La boucle vertueuse d’Ambassad’Air.

Figure 1.The virtuous circle of Ambassad’Air.

6Par exemple, les volontaires pour l’observatoire citoyen d’environnement (VOCE) dans l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions à Fos-sur-Mer (http://www.institut- ecocitoyen.fr/).

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Le rôle de médiation attribué aux volontaires en fait-il des experts de la qualité de l’air extérieur, c’est-à-dire des personnes qui ont une connaissance en vertu de laquelle elles peuvent prendre part à des décisions publiques ? Air Breizh, l’association agréée, récuse leur contribution à la mesure de la qualité de l’air telle qu’elle la définit, ce qui participe à la définition de son activité, mais aussi comme dans toute profession[3], à la défense de son mandat et de sa légitimité d’expert de la qualité de l’air. Pourtant les volontaires sont placés dans une situation d’expertise citoyenne, dans leur capacité à identifier des situations localisées qui posent problème dans leurs lieux de vie et dans leurs déplacements urbains.

Pour aborder l’opération Ambassad’Air sous l’angle de l’expertise, on prendra appui sur les apports de Collins et Evans qui distinguent les différents types d’expertise et leur contribution à la décision publique en fonction de la nature des savoirs qu’ils mobilisent[4]. Leur approche est intéressante dans un contexte oùfleurissent des reven- dications de reconnaissance d’expertises ancrées dans l’expérience, de l’épidémiologie populaire [5] à des formes de collaboration [6] ou de participation à la recherche[7]. Au lieu de se poser la question de savoir quels experts peuvent participer à la prise de décision publique en fonction de leur légitimité institutionnelle, cette approche les conduit à se demander jusqu’où la participation du public au processus de décision peut s’étendre. Ils y répondent en construisant un tableau de l’expertise et de l’expérience (TEE) qui présente les fondements cognitifs des différents types de connais- sances et d’expertise [8]. Un de leurs apports majeurs pour le sociologue réside dans l’idée que toute expertise est acquise par la socialisation, c’est-à-dire par la participation à la vie d’une communauté. Ainsi l’expertise scientifique spécialisée est acquise par la participation à la vie d’une communauté scientifique spécialisée. Cette socialisation permet d’acquérir une connaissance tacite, qui peut^etre définie comme un ensemble de savoir-faire qui ne peuvent pas etre exprimés dans le langage^ scientifique d’une discipline mais qui participent à la compétence de l’expert, comme la capacité à discriminer des procédures et à en évaluer la robustesse[9]. Le critère de la socialisation conduit à identifier différentes expertises qui ne sont pas le fait de professionnels de la science–celles qui proviennent d’une connaissance documentaire, celles qui résultent d’une interaction prolongée avec des scientifiques ou d’une contribution à la connaissance dans un domaine spécialisé–et qui peuvent participer à la prise de décision sur un registre informé autre que celui de l’usager ou de l’habitant ordinaire.

Si les volontaires engagent des interactions avec des scientifiques, l’opération Ambassad’Air peut alors ^etre regardée comme une socialisation à l’activité d’expertise sur la qualité de l’air et non simplement comme un travail de promotion d’une conscience sociale de la qualité de l’air et de ses déterminants. Les volontaires

ont ainsi la possibilité d’acquérir la maîtrise d’un langage spécialisé relatif à la qualité de l’air, de distinguer la pollution perçue par les sens et la qualité de l’air comme produit d’une mesure répondant à des normes établies, d’^etre en capacité d’évaluer les données qu’ils recueil- lent et de les aborder avec des spécialistes du domaine.

Ils peuvent également transmettre une information spécialisée vers d’autres personnes dotées d’une expertise documentaire qui résulte de la consultation de la littérature scientifique sur la question, ou vers des personnes qui n’ont pas de connaissances spécialisées des questions qui les préoccupent. C’est au travers de la mise en œuvre des mesures de qualité de l’air et des interactions avec des experts scientifiques dans le cadre des programmes de formation et de suivi de la collecte de données que ces volontaires peuvent développer une habileté particulière qui les qualifie dans un domaine spécialisé. Cette expertise singulière devient citoyenne, en contribuant aux politiques locales par le développement d’une conscience de la qualité de l’air.

Elle nécessite que les volontaires bénéficient de capacités interactionnelles qui leur permettent de diffuser dans les réseaux sociaux, auxquels ils ont accès, les savoirs qu’ils ont pu développer dans l’expérience de la collecte et la socialisation auprès des experts scientifiques.

Conclusion

Les différentes dimensions interactionnelles de l’ex- pertise doivent etre prises en compte pour qualifier la^ notion d’expertise citoyenne promue par l’opération Ambassad’Air. Elles peuvent^etre abordées par l’observa- tion et l’analyse de l’acquisition par les volontaires de savoirs tacites soutenant les connaissances spécialisées relatives à la qualité de l’air et à sa mesure. Conjointe- ment, le regard doit aussi se porter sur la socialisation des volontaires comme médiateurs d’une cause qui leur donne une aisance langagière à aborder les questions de qualité de l’air. À ce stade de développement d’une opération qui est récente et qui n’est pas encore stabilisée (les procédures connaissent des changements, le travail de valorisation des données se construit progressive- ment), il est prématuré de tirer des conclusions sur le développement d’une expertise citoyenne. Tout au plus peut-on observer la mobilisation d’acteurs associatifs déjà engagés dans d’autres causes relatives au cadre de vie, ce qui renvoie à la dimension citoyenne. Dans ce registre, l’analyse des carnets de bord peut s’avérer intéressante pour rendre compte des logiques sociales engagées dans l’opération. Quant à l’acquisition d’une aisance dans le domaine scientifique, elle devrait pouvoiretre observée^ dans les relations que ces volontaires nouent avec les experts et les scientifiques et dans les apprentissages

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qu’ils font. Cela suppose que ces derniers les voient non comme des concurrents, mais comme des relais ou des collaborateurs dotés d’une compétence issue de leur expérience citoyenne et susceptible d’enrichir le travail d’observation et de mesure au bénéfice des habitants.

Ce travail d’analyse de l’expertise citoyenne comme pratique est à réaliser. Sous cet angle et si l’opération est pérenne, Ambassad’Air peut constituer un cas intér- essant dans le champ de la santé environnementale pour dépasser les situations d’antagonisme entre l’expertise et l’expérience caractérisant le traitement des problèmes

environnementaux en donnant à l’expertise citoyenne une place dans le processus d’analyse et de décision relatif à un

bien commun. &

Remerciements et autres mentions

Financement: aucun ; liens d’intér^ets: l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intér^et.

Références

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http://www.socioeco.org/bdf_che-document-735_fr.html 3.Hughes EC. Le regard sociologique. Essais choisis.Paris : Éditions de lÉcole des Hautes études en sciences sociales, 1996.

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6.San Sebastian M, Hurtig AK. Oil development and health in the Amazon basin of Ecuador: the popular epidemiology process.Soc Sci Med2005 ; 60 : 799-807.

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Références

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