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Écriture cinématographique et cinéma contextuel à travers l expérience de D. Piţa

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Culture et histoire dans l'espace roman

 

7 | 2011

Cultures et arts

Écriture cinématographique et cinéma contextuel à travers l’expérience de D. Piţa

Mylène Doué

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/cher/12890 DOI : 10.4000/cher.12890

ISSN : 2803-5992 Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 2011 Pagination : 201-211

ISBN : 978-2-35410-042-1 ISSN : 1968-035X Référence électronique

Mylène Doué, « Écriture cinématographique et cinéma contextuel à travers l’expérience de D. Piţa », reCHERches [En ligne], 7 | 2011, mis en ligne le 30 mars 2022, consulté le 31 mars 2022. URL : http://

journals.openedition.org/cher/12890 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cher.12890

Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

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n°7 / 2011 Culture et Histoire dans l’Espace Roman

à travers l’expérience de D. Piţa

MYLÈNE DOUÉ Université Montpellier III

La question de l’origine de l’œuvre d’art pose celle de sa provenance essentielle. D’après l’idée commune, l’œuvre surgit de et par l’activité de l’artiste. Par quoi cependant et par où l’artiste à son tour est-il ce qu’il est ? Par l’œuvre … Heidegger M.

L

e cinéma de D. Pi

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a s’inscrit avec véhémence aux côtés des cinéastes roumains de la génération des années 1960-1970, parmi lesquels Lucian Pintilie et Liviu Ciulei constituent les noms les plus connus. Leur génération, qui voit éclore un nouvel imaginaire, est initialement révélée par le théâtre. Le contexte socioculturel dans lequel évolue l’auteur possède certes des implications avec les représentations linguistiques qu’il emploie.

Et cependant le langage entretient bien d’autres relations avec les modes d’expression qu’il choisit d’illustrer.

Le médium cinématographique qui fait l’objet de notre étude possède cette particularité de dilatation ou de compression temporelle de la durée (celle du spectacle), qui confère au procédé virtuel employé à la transformation, de transfigurer un espace artistique porté à l’écran. La création qui résulte de l’écriture cinématographique ne diffère pas de ce point de vue de la réflexion au sujet de l’art car elle rend perceptible un espace artistique. Et elle nous conduit aux mêmes considérations qui animent la question de l’origine de l’œuvre d’art : que nous apprend l’art, comment l’artiste envisage-t-il la

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démarche de création ? Quel rapport entretient l’œuvre face à son créateur ? Transfiguration ou sublimation, la question du travail à l’origine de l’œuvre de l’art repose sur les réflexions dont témoigne l’artiste à travers sa ferveur pour l’expression de son art, pour la part de vérité qu’il souhaite établir et mettre en lumière.

Le portrait du cinéaste, né en 1938, s’inscrit dans le contexte roumain particulier des années 1970 à 1990. L’époque socialiste en Roumanie est constitutionnellement proclamée depuis 1948, et structure le cadre propice à la première institutionnalisation de l’appareil cinématographique et des moyens de production (une école enseignant la discipline cinématographique est crée en 1950 suivie par la construction des studios en périphérie de Bucarest). Dan Pi

ţ

a fit lui-même ses classes à l’Institut des Arts du Théâtre et du Cinéma, la même université où il enseignait encore il y a quelques années, la discipline cinématographique.

La perspective de la censure imposée par le régime entre 1975 et 1989 pour infléchir le processus de création nous invite à apporter un éclairage sur sa filmographie, à l’appui de l’écriture cinématographique qu’il développe.

La thématique de fresques sociales dont le caractère réaliste socialiste semble à priori inonder la censure communiste est-elle véritablement l’enjeu du cinématographe des sociétés conduites par des régimes communistes ? Dans quelle mesure ce qui est porté à l’écran appartient-il à son auteur ? Dans quelles mesures l’artiste et son imaginaire reproduisent-ils un inconscient préalablement existant ? Pourquoi un film est-il censuré ? Comment un auteur, un intellectuel parviennent-ils à trouver l’équilibre entre réalité et imaginaire, au regard du contexte politique et du climat social dans lequel ils vivent ? Pourquoi parle-t-on d’art subversif ? Ces questions, qui éveillent encore la possibilité d’un recours aux associations pluridisciplinaires, sont autant de points de contact qui illustrent l’ambivalence de la place et du rôle d’un intellectuel, d’un artiste dans la société à laquelle il appartient.

A l’origine de ses œuvres il y a bien évidemment le contexte dans lequel s’inscrit le courant de sa génération. Mais aussi la mise en perspective de ce que représente le cinéma (et la création d’auteur) à ses yeux ainsi que la mise en lumière de tout un patrimoine culturel, littéraire et artistique, qui fonde la réflexion du moment social, de la période de l’histoire …

L’origine de la création artistique selon Dan Pi

ţ

a : c’est la passion. Celle qui mène au courage et qui s’accompagne de la témérité. « Rien ne peut se réaliser en art, en politique, en sciences, techniquement, ou dans la vie sans oser, sans rompre les barrières, sans vouloir ouvrir les portes, sans vouloir

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dépasser la barre » (Piţa, 2005 : 7). Telle est sa vision de l’art. Il faut oser dépasser les limites imposées, dépasser même ses propres limites pour faire valoir un talent au grand jour.

L’expression artistique relève encore de ce qu’il appelle la témérité (le courage de braver) car elle permet à un auteur d’aller au-delà de sa création et d’exprimer. Sans passion, rien n’est possible. Car l’histoire de la passion c’est aussi celle du courage : « celui qu’on ressent face à la peur, face à celle de se tromper … de perdre sa chance avant les autres » (Piţa 2005 : 8). La passion, enfin, attise l’esprit de création pour dépasser cette peur.

Il n’est pas anodin d’observer trois temps dans sa filmographie : celui de ses débuts, qui relève d’un classicisme dans le style D. Piţa, celui d’une période creuse, qui relève du temps de gestation artistique nécessaire et enfin celui de la diffusion postcommuniste de ses travaux.

De 1965 à 1975, les travaux du cinéaste relèvent du cheminement intérieur de l’auteur, une recherche culturelle au sujet de la signification virtuelle de la mise en scène qui met en perspective ce que représente le film à ses yeux. Il conçoit trois courts-métrages qui lui permettent de valider son diplôme de l’I.A.T.C. avant de signer une œuvre collective, aux côtés de Mircea Veroiu pour un reportage documentaire qu’ils envisagent en termes de film d’actualité. Pour « Apa ca un bivol negru » (1971), la thématique de l’eau laisse percevoir une première approche allégorique de l’objet du film :

« L’eau telle un buffle noir », soit une figure qui personnifie les maux infligés aux populations touchées par les inondations des affluents danubiens.

Figure bienveillante, à la fois symbole sacré immuable et représentation du passage du temps, le documentaire constitue une approche technique en prise directe avec l’environnement choisi pour terrain d’expertise. Les deux jeunes diplômés se lancent dans la prise d’images avec l’enthousiasme qui leur est propre.

La technique du cinématographe telle qu’en parle Dan Piţa à travers ses mémoires (Confesiuni cinematografice) relève du travail d’équipe, d’une recherche commune qui s’affranchit des règles pour établir une convention tacite entre lui, en tant que régisseur, et les acteurs (comédiens et techniciens) lors des répétitions et sur le plateau de tournage. La culture cinématographique est chez lui une seconde nature car il compare le film à un territoire qui lui était propre dès les premiers moments de sa vie, quand les murs de sa chambre devenaient un écran magique sur lesquels les ombres reflétaient de mystérieuses silhouettes, visages humains ou lignes tracées par des personnages évoluant sur la musique et les bribes de conversations

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radiophoniques que déversait le poste d’écoute des pièces voisines (Piţa, 2005 : 5). Il formulera plus tard, qu’à l’occasion d’un interview la question

« Qu’est-ce que le film ? » lui avait été posée et qu’il avait alors donné cette réponse :

Si je devais te donner une réponse … de routine, je te dirais purement et simplement que le film signifie : action, rythme, conflit, crime, sexe, politique, spectaculaire. Mais si tu veux une réponse … plus sérieuse et plus large, alors je vais te dire ceci : pour moi, le film est l’Homme de la rue, est Geste, est Cri, est Murmure, est Tendresse, est Caresse ou Poing dans l’estomac. C’est le monde fantastique du subconscient. Il est Magie. Il est Soleil du matin, souriant de ses rayons chauds dans la blanche chambre de l’enfance, à travers les branchages de l’abricotier des voisins. C’est le couchant rosé, vue de la toiture de la maison. C’est le calme de l’après-midi d’un été torride, qui passe sur l’asphalte gluant des Bucarestois. C’est Lune pleine et étincelante que l’on voit nuit après nuit, et qui projette sur les murs blancs de ma chambre des ombres longues, étrangères, menaçantes et parfois même effrayantes.

En définitive, le Film est un écran blanc sur lequel quelqu’un dépose une histoire. Le Film est haine, amour, il est dédain, il est dureté et indifférence – il est ma vie (Piţa, 2005 : 54).

Il doit son premier succès cinématographique à la réalisation de « Nunta de piatră / Noces de pierre » de 1972, œuvre pour laquelle il fait preuve d’une profonde rupture avec la tradition cinématographique pour s’émanciper avec un film à l’essence naturaliste, réalisé presqu’intuitivement, en quête d’authenticité. Avec le moins de moyens possibles, il se rend dans un petit hameau des montagnes carpatiques pour filmer en pleine nature, avec pour seuls artifices la ruralité et les effets de lumière que le jour y permet.

Il est alors un artiste en phase avec les considérations mystiques qui signent l’œuvre de création inspirée. « Sans dialogue » si possible (…) tout simplement en donnant aux images le libre-arbitre, d’exprimer, de parler par elles-mêmes (Piţa, 2005 : 15). Les plans fixes, longs, l’utilisation d’un même cadrage et d’un objectif à focale normale qui ne déforme ni n’influence les portraits des personnages soulignent la simplicité de la narration pour ce film dont le tragique relève d’une mise en scène purement et formellement basique. Le succès de la production improvisée par Dan Piţa lui vaut de remporter un prix au festival des films d’auteur (Bergamo, Italie) cette année-là. Il décide de poursuivre l’expérience et de donner de la fluidité et une harmonie stylistique à son film. Le plateau de tournage de l’épisode de la noce lui inspire la réalisation d’autres séquences. En 1974, il réalise le second épisode des « Noces de pierre » : « Duhul aurului/ Le fantôme de l’or », puis il développe sur quatre années une trilogie qui met en scène trois frères des

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contrées transylvaines des Carpates roumaines à la recherche de la bonne fortune. La dimension rurale du milieu dont sont issus ses personnages lui inspire une légende urbaine qu’il situe dans la perspective du western.

L’innovation dont fait preuve le cinéaste dès ses débuts dénote une écriture de création, qui lui vaut d’engager le terme de « régisseur d’esprit » (regizor cu « minte ») pour parler du langage spécifique du cinématographe.

A ses yeux « le métier de régisseur de film est surtout une question de pratique avant d’être l’œuvre de confessions, théoriques, basées sur des exposés scientifiques » (Piţa, 2005 : 36). Et pourtant, il faut bien laisser un peu de soi dans chaque film réalisé … Empreint de philosophie mystico- religieuse, Dan Piţa se révèle à sa manière « plus comme un prêtre au pays » lorsqu’il se propose d’imaginer, de contrôler le texte pour transfigurer en images, les scènes puis les séquences qui constitueront le film (Piţa, 2005 : 40). Il développe une réflexion sur le propos de la science du régisseur qui fonde la culture cinématographique à l’origine d’un grand film. La place de l’écrit préalable à l’idée du film, le rôle fondateur d’un scénario, la dépendance narrative aux dialogues inscrits par le texte sont autant d ‘éléments qui mènent le cinéma parlant vers un perfectionnement de l’art cinématographique.

Il distingue à ce titre deux types de scénario : celui qui relève d’une écriture originale et celui qui a pour modèle une source littéraire existante.

Tous deux placent la réalité dans une optique suggestive (chaque régisseur se définit par son mode de sentir et de raconter (Piţa, 2005 : 47) qui fonde la culture du travail d’un régisseur.

De 1975 à 1990, l’avancée des travaux suit une courbe différente à la lumière du régime instauré par Nicolae Ceauşescu. La production cinématographique subit une censure lourde de conséquences. Mais qui est Dan Piţa à cette époque ? Il n’a pas été exilé, il a dédié son œuvre à la recherche d’une vie et il l’exprime en ses termes : « dans chaque film que tu réalises, c’est un peu de toi que tu laisses » (Une leçon de cinéma, Marina Roman, lumeam.ro). Que signifie-t-il par là ? Que l’émotion est à ses yeux l’argument qui fait sans doute le plus sens. Que les grands films ne sont rien d’autre que les confessions de leur auteur. Qu’un même texte peut être vu de milles façons mais que chaque régisseur détient sa manière personnelle, voire intime, de raconter. A propos de la censure, il dira

Je n’ai jamais cru qu’une copie appartienne au régisseur et puisse passer au bout de je ne sais combien d’années pour quelque chose qui le représente, et

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c’est pour cela que je n’ai jamais essayé de refaire aucun de mes films après 1989 (Piţa, 2005 : 19).

Il n’est pas explicitement acquis qu’on puisse comprendre en le voyant une fois sorti de son contexte politique pourquoi un film est censuré.

L’univers du monde paysan, très présent dans le folklore littéraire au 19e siècle, a pu inspirer nombre des auteurs et artistes plus contemporains du 20e siècle. C’est le cas de D. Piţa, qui développe les images filmiques à travers une certaine culture littéraire :celle qui a fondé ses classes en tant que régisseur de talent. C’est le cas des Noces de pierre, pour lesquelles une nouvelle de Ion Agârbiceanu « La o nuntă / Une noce » lui inspire un personnage emblématique, sorti tout droit de son imagination pour les besoins du scénario. C’est le cas de Tănase Scatiu, qu’il transcrit d’une adaptation censurée de « Bietul Ioanide / L’infortuné Ioanide » d’après un livre de Duiliu Zamfirescu (en 1975). C’est le cas des Jours de sable, adapté du roman de Bujor Nedelcovici pour le film Faleze de nişip / Falaises de sable (en 1982).

C’est le cas de Novembre, dernier bal, inspiré du roman « Locul unde nu s-a întămplat nimic / L’endroit où rien ne s’est produit » de Mihail Sadoveanu (en 1987). C’est encore le cas pour Eu sînt Adam/ Moi, je suis Adam (en 1996), construit sur la prose fantastique de trois nouvelles de Mircea Eliade, et dans lesquelles un même personnage emblématique (un professeur) se dissocie à travers les époques pour opérer une recherche sur sa propre identité.

La production durant la période dite creuse, antérieure aux années 1990 laisse présager quantité de projets cinématographiques qui n’en sont restés qu’à l’état de séries séquentielles, ou qui ont été habilement détournés des archives nationales, démontés ou tout simplement interdits à la diffusion imposée par le régime d’Etat.

Après 1989, la chute du régime et la libéralisation de la scène artistique qui s’ensuit a pour effet de permettre la diffusion de toutes les séquences des films qui avaient été interdites ou censurées (quand les films et leurs négatifs n’avaient pas été détruits) mais en même temps, la concurrence de la scène internationale se fait violemment ressentir. Le film de 1992, Hotel de lux / Hôtel de luxe remporte un prix au Lion d’or de Berlin cette année-là. Il constitue un achèvement de la satire politique engagée par Dan Piţa en rapport avec la société roumaine depuis 1974. Cette année- là est particulièrement riche pour la production des images filmiques.

Après le succès des épisodes des Noces de pierre tournées dans les contrées carpatiques éloignées de la capitale, le genre du film historique s’est imposé sur les écrans télévisés des foyers roumains avec le style D. Piţa.

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Le cinéaste avait cependant encore à sa charge de produire un film qui retraçait l’ascension sociale d’un personnage au pays. Il s’agit de Filip cel Bun / Philippe le Bon, dont le projet cinématographique est entretenu en parallèle du montage d’Un conte d’été, pour le projet personnel du régisseur et son adaptation de Tănase Scatiu. C’est finalement beaucoup de séquences filmées et de lieux de tournage qui ont été censurés pour permettre la diffusion de la vie de Filip cel Bun cette année-là. Mais les projets de Dan Piţa devaient encore donner libre cours à l’expression de l’esprit tumultueux de la société roumaine d’alors. Comme nous l’avons vu auparavant, Dan Piţa possédait cette faculté de se représenter un personnage emblématique, capable d’évoluer au-delà de la diégèse filmique pour répondre aux besoins des actions engagées par le film qu’il avait en tête. Pour son personnage Tănase Scatiu (en 1975), censuré par Nicolae Ceauşescu en personne, et pour lequel le scénariste avait été contraint d’écrire tout un nouveau chapitre de « Viaţa la tară / La vie à la campagne » à propos de la vie au pays du personnage, D. Piţa remarque que : « C’est peut-être là l’un des plus illustres exemples de l’élision de la censure » (Piţa, 2005 : 20). Avec son équipe, ils ont en effet inventé une scène qui n’existait pas dans le livre de Duiliu Zamfirescu mais qui était pourtant suggérée tout au long du roman et qui a été filmé dans l’esprit du film. (Piţa, 2005 : 21) : « Pour nous cependant, ce qui était intéressant c’était que le film sorte auprès du public de la manière dont il avait été réalisé, dans la manière dont il avait été conçu ».

La place du personnage emblématique dans les films de D. Piţa participe pour beaucoup à la complexité de la syntaxe et de la morphologie du langage du film. Le cinéaste est aussi l’initiateur d’un autre genre caractéristique du cinéma roumain de cette époque : la parabole filmographique. Les premières ébauches des films produits en 1980 et 1990, « Concurs / Concours » et

« Dreptate în lanţuri/ Justice enchaînée » (en 1982 et 1983) trouvent leurs origines dans des projets qui avaient été montés au cours des années à l’I.A.T.C. La fable du Concours improvisé autour d’une épreuve sportive organisée par un syndicat travailliste pour les employés de l’usine, devait initialement s’intituler « Pădurea / La forêt » » mais il n’était qu’au stade embryonnaire du futur film et il fallut attendre plus de 15 ans avant que le scénario (le film) n’entre en production et qu’il devienne réalité (Piţa, 2005 : 49). L’action a bien lieu dans une forêt, mais celle-ci prend la forme d’un parcours labyrinthique dans lequel les différents protagonistes se révèlent tour à tour résolus à témoigner d’une satire sociopolitique du temps où les éléments paranormaux rencontrés au détour des bois trouvent

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leur signification comme au travers d’un parcours initiatique. L’angle de la prise de vue, essentiellement horizontale, confronte l’introspection à divers plans de la vie sociale dans une perspective neutre, où le cheminement des positions de chacun des personnages ne semble pas pouvoir s’élever. Par opposition, l’angle de la prise de vue dans Hotel de lux est significativement dressé à la verticale, l’appareil ayant à décrire par son mouvement vertical des événements et des scènes qui se passent aux différents paliers d’un édifice partagé en étages, chacun d’eux correspondant visuellement à un segment social à part. Ces deux films peuvent être considérés comme des discours pleins de métaphores et de symboles dans lesquels la parabole joue un rôle majeur (Piţa 2005 :95-96). Parallèlement aux écrits de « Pădurea » qui conduisent la trame de Concurs, Dan Piţa nous dit avoir tout d’abord écrit « Picolo », qui devint plus tard « Şeful de sala / Le chef de salle », avant de se préciser près d’une vingtaine d’années plus tard pour le scénario final de 1992. C’est là que tout l’imaginaire de l‘auteur dédié à la formulation d’une écriture cinématographique rend compte de la fragmentation des univers qu’il met en scène et entre lesquels des passerelles sont permises.

La mémoire culturelle déployée par l’écriture onirique dans le style D. Piţa nous amène à travers sa syntaxe symbolico-parabolique à découvrir des personnages aux caractères messianiques, des métaphores qui lui permettent de façonner un rêve semi-réaliste dont le thème de la satire politique conduit la réflexion dans les sphères occultes du réalisme magique.

Il ne faut pas oublier que le fantastique roumain manie habilement réel et irréel dans la perspective du folklore littéraire ou du conte fabuleux des vies du village roumain. Pour le scénario du film Eu sînt Adam, l’auteur a choisi la prose fantastique de M. Eliade pour introduire délibérément tous les éléments nécessaire pour s’évader du temps et de l’espace réel. Dans la tradition du Fantastique, l’expérience de la littérature proposait en fait depuis quelques centaines d’années (Piţa, 2005 : 80) de dilater ou de comprimer le temps et l’espace de l’histoire. Le parallèle qu’il établit entre les personnages de la littérature et les réminiscences des vies qu’il porte à l’écran explique encore la portée philosophique des sujets de ses films. Il ressent qu’une certaine existence de ses personnages est expliquée par là :

J’ai été, et je serais toujours attiré par le côté mystique, caché des choses, par le mystère qui se peut atteindre ou non, par ce que l’on sait sans toutefois véritablement savoir … parfois, nous sommes dominés par des forces et attirés par des réactions que nous ne pouvons maîtriser … partant du besoin que nous, les hommes, nous ressentons, de découvrir le caractère mystique des choses de tous les jours, banales ou triviales, j’ai été tenté de donner une

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note mystique au réalisme. Et j’ai essayé de créer des symboles ayant un profond écho dans l’âme de l’être humain … Parfois, je présente des scènes et des événements que je n’ai pas vécus, des lieux où je ne suis jamais allé, des images disparates, des images insensées, des fragments de conversation, des chuchotements, des visages, des lieux qui jaillissent des ténèbres devant mes yeux et en mon âme, pour ne devenir qu’à moi (Piţa, 2005 : 78).

Finalement chez cet auteur, c’est peut-être cette vie des mots à l’image qui l’incite à trouver la formule du compromis pour infléchir la censure du régime et à mettre en scène une écriture aux dimension spatio-temporelles autres. Doit-on pour autant penser qu’il illustre la littérature roumaine ? Non. A la lecture de ses confessions il semble que c’est surtout de lui qu’il a laissé des conseils qu’il souhaite léguer aux générations futures du cinématographe, des réflexions avisées au sujet du rôle et de la fonction du régisseur sur un plateau de production.

La thématique religieuse, très prenante, remplace bien souvent le monologue du héros par une prière qui fait office de moyen de communication avec la divinité. Le genre social qu’il développe en 1994 et 1995 avec « Pas în doi / Pas double » et « Pepe şi Fifi / Pepe et Fifi » est encore un préambule bien ancré dans la réalité sociale du moment historique de la Roumanie pour annoncer les films de 1997 et 2005, « Omul zilei / L’homme du jour » et « Femeia visurilor / La femme des rêves ». L’esthétique des pays postrévolutionnaire est alors engagée (Piţa, 2005 : 100). L’émotion esthétique, l’inspiration à l’origine de la création, représente toujours le principe de liberté ; elle peut être magie, pouvoir d’assurance ou de liberté de l’homme d’approcher de Dieu à travers la création (Piţa, 2005 : 115).

Les enjeux du passé, qui ont pu s’avérer lourds de conséquences à travers la reprise du titre « Eu sînt Adam… cel dinainte de păcat / Moi, Adam…

d’avant le péché » qui provient d’un des travaux d’Eliade dans son ouvrage

« Histoire des religions » nous laissent imaginer ce qui aurait pu se passer si le vrai Mircea Eliade avait été interrogé par la Securitate roumaine. La capacité de travail du régisseur, qui nécessite l’étude approfondie de sources documentaires au préalable du tournage atteignait avec le sujet du film Eu sînt

… Adam, une propension exceptionnelle et une faculté de la part de l’acteur incarnant ce professeur démultiplié à déployer une force de crédibilité qui rendait possible de le comparer avec Eliade lui-même. Et puisque c’est aussi ce qu’ils s’étaient imaginés qui aurait pu se passer si Eliade n’avait pas quitté le pays mais qu’il avait été retenu pour une enquête de la Securitate (Piţa, 2005 : 82-85). La conclusion de Dan Piţa au sujet de l’art n’a pas de réponse

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à nous apporter sur les événements qu’il met en scène. Il se veut un témoin qui plonge son spectateur dans certaines affres de la vérité, qui fait tomber un voile et donne une vision anamorphosée des éléments dont il dispose. Sa réponse à ce que transmet le cinéma à travers ses œuvres peut encore être entendue de la sorte :

Le film apporte sa souffrance, ses préjugés, son orgueil, son sens de l’entendement et ses illusions vides. (Cet art) a encore la générosité de servir les autres formes d’art inconditionné, sans le moindre compromis. (Il) parvient à porter en lui autant de poésie, de littérature, de théâtre, de danse, de peinture, de musique, d’architecture qui satisfont de la sorte, de par son mode de se manifester, les besoins du public, les besoins du plus simple des hommes comme ceux du plus sophistiqué d’entre les hommes (Piţa, 2005 : 118).

Bibliographie

Boussinot R., 1980, Encyclopédie du cinéma, Paris, Bordas.

Pița D., 2005, Confesiuni cinematografice, Bucureşti, Editura Fundaţiei PRO.

Tullard J., 1982, Dictionnaire du cinéma : Les réalisateurs, Paris, Robert Laffont.

Filmographie

conçue dans le cadre des recherches aux archives du CNC (Bucarest, 2006/ 2007).

Second hand / Second Hand – 2005.

Femeia visurilor / Une femme de rêves – 2005.

Omul zilei / L’homme du jour – 1997.

Eu sînt Adam / Moi je suis Adam (My name is Adam) – 1996.

Pepe și Fifi / Pepe & Fifi – 1994.

Hotel de lux / Hôtel de luxe – 1992.

Autor anonim,model necunoscut / Auteur anonyme, modèle inconnu – 1989.

(censuré)

Noiembrie, ultimul bal / Novembre, le dernier bal – 1989.

Rochia alba de dantelă / La robe blanche de dentelle – 1988.

Pas în doi / Pas double – 1985 (censuré à sa sortie).

Dreptate în lanțuri / La raison/ La justice enchaînée – 1983 (censuré).

Concurs / Concours – 1982.

Faleze de nisip / Falaises de sable – 1982 (censuré à sa sortie).

Pruncul, petrolul și ardelenii / Le bébé, le pétrole et les Transylvaniens – 1980.

Bietul Ioanide / Souvenirs d’une vieille commode (L’infortuné Ioanide) - 1979 (censuré).

Mai presus de orice / Au-dessus de tout – 1978.

En collaboration. (Dan Piţa, Nicolae Margineanu)

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Profetul, aurul și ardelenii / Le prophète, l’or et les Transylvaniens – 1977.

Tănase Scatiu / Un conte d’été – 1975 (censuré/ et perdu).

Filip cel Bun / Philippe Le Bon – 1974.

August ăn flăcări / Un mois d’août passionnel (Serial TV) - 1974.

-(Dan Piţa, Alexandru Tatos) Série télévisuelle en 6 épisodes.

Duhul aurului/ La malédiction (Le fantôme de l’or) – 1974.

Nunta de piatră / Noce de pierre – 1972.

In rolurile principale : Petrica Gheorghiu

Apa ca un bivol negru / L’eau telle un buffle noir – 1971.

Documentaire (Andrei Catalin Baleanu, Pierre Bokor, Dan Piţa, Mircea Veroiu, Youssouff Aidaby).

Courts-métrages

Viața in roz / La vie en rose – 1969.

Dup-amiază obișnuită / Après-midi habituelle – 1968.

Paradisul / Le Paradis – 1967.

Références

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