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Réalité et enjeux de l’acquisition massive des terres par l’agro-industrie au Sénégal Focus sur la zone du Delta du Fleuve Sénégal et du Lac de Guiers

Jérémy BOURGOIN, Djibril DIOP, Djiby DIA

L

’augmentation des prix des produits agricoles à partir de 2008 a conduit de nombreux pays (tels la Chine, l’Inde, l’Arabie Saoudite) mais aussi des investisseurs privés à lancer une véritable dynamique d’externalisation de leur production agricole, tandis que de nombreux pays en développement, et particulièrement africains, leur cédaient des terres arables, considérées, à tort ou à raison, comme disponibles. Outre ce contexte international de pression sur les terres agraires et de marchandisation de l’espace agricole, le discours dominant plébiscité par les organisations internationales de développement (Banque Mondiale, FMI, FAO) valorise fortement l’ouverture des territoires nationaux aux investisseurs agricoles étrangers, l’agro-industrie étant considérée comme une potentielle source d’entraînement et de développement pour les agricultures nationales (Byerlee et al., 2013) en particulier en Afrique. Cette stratégie permettrait aux Etats de s’attaquer à la réduction de l’écart de rendement (‘yield gap’) fréquents dans les pays en voie de développement et qui illustre l’écart entre la productivité réelle et la productivité potentielle. De nouveaux modèles de développement agricole (e.g.

association public/privé pour les aménagements, associations entreprises agricoles/agriculture familiale dans l'appui à la production, etc.) sont ainsi préconisés pour favoriser l’augmentation de la productivité agricole. A ce titre, le potentiel des structures agro-industrielles pour significativement augmenter les rendements et contribuer à une sécurité alimentaire globale a été illustré par de récentes études (Von Braun et Meinzen-Dick, 2009).

Cependant, l’investissement agro-industriel est critiqué par de nombreuses études et décrit comme "un accaparement de terres" pouvant affecter la sécurité alimentaire locale (Toft, 2013, Cotula, 2013) et une forme de spoliation reconnue comme un crime contre l’humanité par la Cour Pénale Internationale (CPI, 2016).

Au Sénégal, les pouvoirs publics ont entrepris des réformes politiques et institutionnelles qui traduisent une vision du développement rural orientée vers des filières à haute valeur ajoutée et la promotion de l'entrepreneuriat privé agricole. Ces réformes vont dans le sens d’une facilitation de l’implantation de fermes agro-industrielles sur le territoire national. Dans cette perspective, la vallée du fleuve Sénégal a été identifiée comme un pôle de développement des dynamiques de production agro-industrielles. Ces orientations s'inscrivent dans le Plan Sénégal Emergent (2014), dont le Plan Stratégique a été adopté dès 2012, qui promeut l’agriculture commerciale, la modernisation de l'agriculture familiale et le développement du secteur agro-alimentaire. Cette vision est traduite dans le cadre du Programme de Relance et d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture Sénégalaise (2014), notamment par la promotion de synergies entre agro-industries et agriculture familiale.

L’agro-industrie au Sénégal : quelle ampleur et quel impact ?

Malgré des initiatives passées visant à quantifier les surfaces acquises par les agro-industries au Sénégal, un flou persiste quant à leur dynamique et leur insertion territoriale. Cette situation d’incertitude alimente de nombreux débats et controverses sur l’acquisition massive de terres et plus généralement sur l’avenir de l’agriculture sénégalaise. L’arrivée de l’entreprise Senhuile à la suite d’un décret présidentiel déclassant la zone périphérique de la réserve sylvo-pastorale du

Ndiael (soit 26 550 ha) en 2012 a notamment exacerbé les tensions autour de la dynamique agro- industrielle et suscité de nombreuses incompréhensions au vu de la faible mise en valeur effective des terres affectées. En effet, nos propres estimations confirment que l’entreprise ne cultivait en 2015 que 3000 hectares sur les plus de 20 000 hectares affectés (Figure 1).

Les note s politiques de L ’I SRA -B AME Février 201 7 – n°6

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Figure 1. Localisation des périmètres affectés et cultivés de Senhuile

A l’échelle nationale, les recensements disponibles (Figure 2) estiment l’extension spatiale des agro- industries issues de capitaux étrangers entre 34.002 ha (Bourgoin et al., 2016) et 473 328 ha (LandMatrix, 2016).

Figure 2. Estimation des surfaces agro-industrielles au Sénégal selon différentes sources

Ces distinctions sont dues aux méthodologies de recensement et à des définitions de seuil pour la caractérisation des agro-industries différentes. Par exemple, certaines sources cumulent tous les types de projets (réalisés, en cours d’installation, et annoncés dans les médias), possèdent différentes méthodes de suivi (sources) et ne procèdent souvent peu ou pas à la mise à jour de leurs données. Si ces chiffres illustrent une volonté croissante des investisseurs à s’intégrer sur le territoire national, certains recensements ne fournissent que peu d’information quant à la concrétisation des projets (IPAR 2011, Copagen 2013). Cependant, nous pouvons noter que le recensement de Land Matrix (2016) indique que seule la moitié des superficies convoitées sont réellement affectées. Quoique, des efforts aient été réalisés par le Gouvernement Sénégalais pour la mise en place d’un cadre d’investissement très souple pour attirer l’investissement étranger dans l’agriculture, notamment en matière d’incitation fiscale à l’investissement, l’affectation foncière

Le s note s pol itiq ues de L ’I SRA -B AME

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Figure 3. Analyse de la différence entre surfaces cultivées et surfaces affectées pour certaines agro-industries de la zone Delta/Lac de Guiers

n’étant qu’un droit d’usage ne sécurise pas les investissements à réaliser. En effet, un intérêt public soulevé par l’Etat pourrait rompre la dynamique d’exploitation.

Ces chiffres énoncés plus-haut illustrent un climat spéculatif soutenu, avec des mises en valeur des terres affectées très lentes voire non mise en œuvre. Ce phénomène s’illustre par l’écart entre les superficies affectées selon Land Matrix (2016) et celles recensées sur le terrain auprès des entreprises (Bourgoin et al., 2016). Les travaux de recherche menés par le CIRAD et l’ISRA (Bourgoin et al., 2016) réalisés en partenariat avec l’ONG Enda Pronat et l’Observatoire National de la Gouvernance Foncière piloté par le CNCR, indiquent une forte concentration d’agro-industries à capitaux étrangers dans la zone du Delta du Fleuve Sénégal/Lac de Guiers et celle des Niayes/Bassin Arachidier, avec 24.866 ha de superficies mises en culture. Ces travaux permettent pour la première fois de proposer une cartographie précise des périmètres cultivés par les agro-industries. Ce résultat a été obtenu en combinant analyse d’images satellites et enquêtes

de terrain associées à la prise de points GPS (Guillouet, 2016).

L’étude de Bourgoin et al., (2016) propose un recensement des surfaces cultivées mais ne dispose pas de tous les contrats qui permettraient de connaitre les superficies totales des agro- industries, sachant que celles-ci adoptent une stratégie d’exploitation progressive des surfaces. La figure 3 illustre cette situation dans la zone du Delta/Lac de Guiers avec des données d’enquêtes.

Selon ces informations sur les contrats d’affectations (données de terrain 2015-2016), plus de 12.000 hectares n’ont pas encore été mis en culture, soit 36% des surfaces affectées.

Importance relative de la dynamique agro-industrielle dans la stratégie d’intensification de la production agricole

Il est important de noter que la dynamique agro- industrielle dans la zone du Delta/Lac de Guiers n’est pas nouvelle et qu’elle reflète une volonté historique d’intensifier la production agricole.

Le s note s pol itiq ues de L ’I SRA -B AME

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Figure 4. Identification de potentielles zones agricoles par différentes sources

Aujourd’hui, le développement de périmètres privés continue avec une présence plus importante d’agro- industries qui possèdent les capitaux nécessaires pour le développement de l’irrigation. Les projets peuvent ainsi se développer sur des zones jusque- là réservées à l’élevage (e.g. les terres sableuses du diéri). Cette dynamique agro-industrielle s’oriente vers des systèmes de production de riziculture intensive, et de culture commerciale à haute valeur ajoutée. Elle est notamment accompagnée par le projet PDIDAS (Projet pour le développement inclusif et durable de l'agrobusiness au Sénégal) initié par la Banque Mondiale, dont l'objectif est de promouvoir la croissance et l'emploi par une augmentation de 10 000 hectares d’investissements productifs privés dans les filières agricoles. En 2015, le projet a déjà pré-identifié plus de 18 000 hectares de terres pouvant accueillir de futurs investisseurs ou les extensions d’agro- industries déjà présentes. D’autres projets ou dynamiques locales viendront renforcer le développement agricole dans la région et certains ont pu être référencés (Figure 4). Si le PDIDAS (2015) travaille avec les communes à l’identification de terres pouvant accueillir de futurs investisseurs ou les extensions d’agro-industries déjà présentes, la SAED (2012) a aussi identifié de futures terres à mettre en valeur pour la riziculture ou la polyculture.

Plus en lien avec la continuité de la dynamique foncière locale, les communes ont aussi à faire face à une forte demande d’affectations de terres qui

pourrait se concrétiser dans le futur et nous pouvons envisager que les terres de la réserve du Ndiael, désaffectées au profit de l’entreprise Senhuile, pourraient potentiellement être mises en valeur dans un futur proche.

Perspectives

Dans ce contexte, les droits et les usages autour des ressources foncières connaissent d’importantes évolutions. Des controverses ont ainsi émergé avec les politiques plus libérales des années 2000 et de nombreuses interrogations se posent sur : (i) les impacts des agro-industries sur les modalités d’accès au foncier, (ii) la place des pasteurs, (iii) l’impact sur la production et les rendements, et (iv) la nature des interactions qui vont se nouer entre agriculteurs familiaux et agro-industries. L’agro- industrie aura-t-elle un effet d’entraînement sur la zone du Delta, permettant, outre des productions et rendements élevés pour ce qui les concerne, une amélioration des conditions de vie des populations locales ?

L’expansion de l’agriculture irriguée depuis plus de 50 ans, conjuguée avec l’augmentation démographique et l’augmentation des superficies d’agriculture pluviale, font que les espaces pastoraux, longtemps inféodés à cet espace sahélien à forte disponibilité en eau et pâturages, diminuent, malgré l’existence de zonages réglementaires (Figure 5).

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Figure 5. Identification des enjeux de l’extensification agricole présente et future sur les pistes à bétail

Aujourd’hui, l’agriculture (pluviale et irriguée) obstrue plus de 25% de ces pistes, avec une forte concentration dans les zones où les ressources en eau sont les plus importantes. Il est nécessaire de noter que les agro-industries font un effort particulier pour respecter les couloirs de passage (cf. figure 5 où les couloirs obstrués le sont qu’à 8%

par les agro-industries). En faisant l’hypothèse que les visions d’extensification de l’agriculture identifiées dans la figure 4 se réalisent, la figure 5 propose une vision prospective soulignant la tendance à la fermeture des espaces de parcours.

Cette situation obligerait les pasteurs à emprunter de nouveaux parcours pastoraux, moins diversifiés, et susceptibles d’interagir avec les activités agricoles de la zone : la recomposition des usages et des acteurs de l’espace débouchera-t-elle sur des situations de conflit accrues ?

Au-delà des potentiels agricoles, la question de l’avenir du delta se pose et dépendra de la capacité des acteurs à organiser la coexistence de diverses

pratiques. S’il existe un besoin fort d’assurer un suivi des dynamiques foncières, cela doit passer par la mise en place d’une démarche participative permettant de :

— présenter et faire discuter un diagnostic par une communauté d’acteurs concernés par les enjeux de la zone (des politiques publiques aux agriculteurs) :

— avoir une compréhension partagée des dynamiques en cours et des mécanismes de partage et de contributions à la base commune d’informations ;

— échanger sur des visions des futurs possibles permettant une construction plus efficiente et inclusive des politiques de développement. La co- production et le partage d’une information géo- spatiale fiable et dynamique sur les acquisitions de terres augmenterait intrinsèquement la capacité de négociation des acteurs, améliorerait la transparence dans les transactions foncières et renforcerait la responsabilité des investisseurs.

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Pour en savoir plus :

Bourgoin, J., Valette, E., Guillouet, S. (2016). Transparency and Reliability of Tenure Information for Improved Land Governance: Assessing Agribusiness Dynamics in Senegal Using Multi-Source Geodata. Annual World Bank Conference on Land and Poverty, Washington DC 2016

Braun J. von, Meinzen-Dick, R. (2009). ‘Land Grabbing’ by Foreign Investors in Developing Countries. Risks and Opportunities. IFPRI Policy Brief: 9.

Byerlee, D., Garcia, A.F., Giertz, A., Palmade, V. (2013).

Growing Africa. Unlocking the Potential of Agribusiness. World bank/AFTFP.

Cotula, L. (2013). Human Rights, Natural Resource and Investment Law in a Globalised World: Shades of Grey in the Shadow of the Law (London: Routledge)

CPI (2016). Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires. Cour Pénale Internationale, 15 septembre 2016

Guillouet, S. (2016). Recensement des terres détenues par les exploitations agricoles étrangères au Sénégal, Institut Sénégalais de Recherches Agricoles, CIRAD, Enda Pronat, Dakar, Sénégal

PDIDAS (2015). Projet de Développement Inclusif et Durable de l’Agribusiness au Sénégal. Rapport Annuel. Sénégal SAED (2012), Zones aménagées et aménageables pour l’agriculture irriguée dans la vallée du Fleuve Sénégal, Direction du Développement et de l’Aménagement Rural.

 Jérémy BOURGOIN est chercheur au Bureau d’Analyses Macro- Économiques de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA-BAME) et au CIRAD (UMR TETIS, PPZS), bourgoin@cirad.fr

 Djibril DIOP est ingénieur de recherche au Bureau d’Analyses Macro-Économiques de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles(ISRA-BAME). djibrildiopsn@gmail.com

 Djiby DIA est chercheur au Bureau d’Analyses Macro- Économiques de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA-BAME). djiby.dia@isra.sn

ISRA-BAME

Bel-air, route des hydrocarbures BP : 3120 Dakar Tel : +221 33 859 17 55/56

Site web : http://www.bameinfopol.info/

E-mail : bame@isra.sn

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