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L'évolution de la sécurité sociale suisse face aux grands défis actuels

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L'évolution de la sécurité sociale suisse face aux grands défis actuels

GREBER, Pierre-Yves

GREBER, Pierre-Yves. L'évolution de la sécurité sociale suisse face aux grands défis actuels.

Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, 1997, no. 19, p. 99-118

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:43524

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DOCTRINE P.-Y. GREBER

L'EVOLUTION DE LA SECURITE SOCIALE SUISSE FACE AUX GRANDS DEFIS ACTUELS

Pierre-Yves GREBER Université de Genève

1. SYNTHESE DU SYSTEME SUISSE ACTUEL

1.1 1.2 1.3

L'absence de conception d'ensemble

Les conséquences : diversification et grande complexité Les régimes principaux

2. DEVELOPPEMENTS ET TENDANCES DE LA SECURITE

SOCIALE EN SUISSE

2.1 La recherche d'un consensus sur la sécurité sociale

1 2 5

de demain 6

2.1.1 Un accord sur les finalités et les principes est-il possible ? 6

2.1.2 Quelle réforme du financement ? 11

2.2 Le sens général des réformes 17

2.3 Universalité ou sélectivité? Adaptation ou démantèlement

du système de protection? 21

2.4 Une tendance à la privatisation ? 24

2.5 Autres tendances ? 27

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100 CAIDERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SECURITE SOCIALE N° 19-1997

P.-Y. GREBER DOCTRINE

1. SYNTHESE DU SYSTEME SUiSSE ACTUEL

1.1 L'absence de conception d'ensemble

1. En Suisse, le législateur n'a jamais envisagé l'introduction d'un véritable système de sécurité sociale, définissant des finalités, des principes et des instruments (financement, institutions) au service de ceux-ci. La question a été évoquée à l'origine, lors de la préparation de la première base constitutionnelle fédérale, l'art. 34bis (1890), mais elle a été résolue par la négative : les autorités ont choisi une approche prudente et pragmatique, commençant par l'assurance-maladie et l'assurance-accidents1. Le Plan Beveridge (1942)2 a suscité de grands débats en Suisse. Cependant, les autorités, les partis de tendance libérale et les organisations patronales n'ont guère fait preuve d'en- thousiasme à son égard, craignant une «étatisation» de la protection sociale3. L'adop- tion de la Convention OIT N° 102 concernant la norme minimum de la sécurité sociale (1952)4, instrument majeur de droit international, n'a pas eu non plus d'effet entraînant dans ce pays5 . L'approche pragmatique et diversifiée a été maintenue. Le projet de loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales écarte l'idée d'une

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Voir Jean-Louis DUC : Commentaire de l'art. 34bis Cst. In: Commentaire de la Consti- tution fédérale de la Confédération suisse du 29 mai 1874. Helbing & Lichtenhahn, Ba- sel/Schulthess Polygraphischer Verlag, Zürich/Stampfli, Bern. - Alfred MAURER : Suisse. In: Un siècle de sécurité sociale 1881-1981. L'évolution en Allemagne, France, Grande-Bretagne, Autriche et Suisse. Centre de recherche en histoire économique et so- ciale de l'université de Nantes/Max-Planck-Institut für auslandisches und internationales Sozialrecht. München/Nantes 1982, pp. 527 sv. - Hans Peter TSCHUDI : Entstehung und Entwicklung der schweizerischen Sozialversicherungen. Helbing & Lichtenhahn. Ba- sel!Frankfurt am Main 1989.

ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE : Le Rapport Beveridge, 50 ans après : un numéro double spécial. Revue internationale de sécurité so- ciale 1-2/1992. -William BEVERIDGE : Social Insurance and Allied Services. His Ma- jesty's Stationery Office. London 1942 (American edition : The MacMillan Company.

New York 1942). - Jean-Jacques DUPEYROUX : Droit de la sécurité sociale. 12e éd.

Dalloz. Paris 1993, pp. 50-53. -INSTITUT EUROPEEN DE SECURITE SOCIALE/

EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : Les réformes en Europe Centrale et de l'Est. 50 ans après Beveridge/Reforms in Eastern and Central Europe. Beveridge 50 years after. Annuaire IESS/EISS Yearbook 1992. Acco. Leuven/Amersfoort 1993, pp.

333 sv.

Edgar MILHAUD : Le Plan Beveridge. Les Annales de l'économie collective. Genève 1943, pp. 233-234.

S. Günter NAGEL/Christian THALAMY : Le droit international de la sécurité sociale.

Presses universitaires de France. Paris 1994, pp. 15-16. -Guy PERRIN : Histoire du droit international de la sécurité sociale. Tome V de La Sécurité sociale. Son histoire à travers les tex.ies. Association pour l'étude de l'histoire de la Sécurité Sociale. Paris

1993, pp. 500 SV.

Rapport du Conseil fédéral à 1 'Assemblée fédérale sur la 35e session de la Conférence internationale du travail, du 18 décembre 1953. Feuille fédérale 1953 III 1021, 1029.

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DOCTRINE P.-Y. GREBER

codification globale, 1' estimant trop complexe et trop exposée à un vote négatif en cas de votation référendaire6. Philippe BOIS avait bien résumé la situation : «L'existence du ré- férendum7 rend difficile la mise sur pied d'un système global d'assurances sociales (la même remarque vaut d'ailleurs pour les autres domaines du droit). En effet, sur une question de principe, simple, les opposants votent généralement non pour la même rai- son. Dès qu'il s'agit d'un système plus complexe, impliquant un nombre de choix plus grand, les raisons de voter non augmentent. Et se créent alors ces fameux « cartels de non » composés de groupes disparates, refusant la loi pour des raisons différentes, mais dont le cumul constitue une majorité. Ajoutons à cela, souvent, l'alliance de fait d'une droite conservatrice qui trouve que l'Etat va trop loin et d'une extrême gauche qui l'es- time trop timide( ... ) et l'on mesurera mieux la quasi impossibilité de la réalisation d'un système plus cohérent de sécurité sociale ».8 Cette observation garde toute sa valeur et comme la détérioration de la situation économique et le changement de climat politique (moins porté sur le consensus) rendent encore plus délicate la réalisation d'accords sur des questions de principe, l'on voit que l'adoption d'une conception d'ensemble n'est pas pour demain. D'ailleurs, un rapprochement avec l'Union européenne, sous la forme d'un accord bilatéral ou d'une entrée dans l'espace économique européen, ou une ad- hésion à l'Union ne modifieraient pas l'approche : il n'existe pas de système communau- taire de sécurité sociale, seulement des approches limitées en matière d'harmonisation (égalité de traitement entre femmes et hommes) ou de convergence, auxquels s'ajoutent les règlements consacrés à la coordination des législations nationales9 .

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Rapport sur une partie générale du droit suisse des assurances sociales et projet de loi.

Contribution d'un groupe de travail de la Société suisse de droit des assurances en vue d'améliorer la coordination en matière d'assurances sociales. Supplément à la Revue suisse des assurances sociales et de la prévoyance professionnelle. Stfunpfli. Bern 1984, pp. 23-24. Voir aussi: FF 1991-72, 1991-280. -Pascal MAHON : L'évolution récente de la législation sociale fédérale (avec un aperçu de droit communautaire). Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la FEAS, 2-3/1996, pp. 82 sv. (p. 85 et références aux chro- niques précédentes).

Cet auteur fait référence au référendum législatif facultatif, instrument de démocratie directe, qui permet au peuple de se prononcer sur les lois adoptées par le Parlement. En cas de vote populaire négatif, la loi est caduque.

Philippe BOIS : Spécificités de la politique sociale en Suisse. In : Droit et politique so- ciale. Delta Vevey 1980, pp. 29 sv. (pp. 43-44). Etude également publiée dans la Revue française des affaires sociales [Paris] 1980, N° 3.

Bettina KAHIL: L'influence du droit communautaire sur le développement de la sécurité sociale : vers une union sociale européenne ? In : La sécurité sociale en Europe à l'aube du XXIe siècle. Helbing & Lichtenhahn. Basel/Frankfurt am Main 1996, pp. 89 sv.- Gé- rard LYON-CAEN/Antoine LYON-CAEN: Droit social international et européen. 8e éd.

Dalloz. Paris 1993, pp. 221 sv., 300 sv., 320 sv. -Erwin MURER: Europâisches So- zialversicherungsrecht. Erfahrungen und Entwicklungen. Schweizerische Zeitschrift fiir Sozialversicherung und berufliche Vorsorge 1993, pp. 31 sv. - Bernd SCHULTE : Ein- fiihrung in die Entwicklung des europaischen Sozialrechts unter besonderer Berücksichti- gung des Gerichtshofes der Europaischen Gemeinschaften. Schweizerische Zeit- schrift fiir Sozialversicherung und berufliche Vorsorge 1994, pp. 241 sv.

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1D2 CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SECURITE SOCIALE N° 19-1997

P.-Y. GREBER DOCTRINE

1.2 Les conséquences : diversification et grande complexité

2. La voie suivie consiste donc dans un alliage de pragmatisme et de prudence, ca- ractéristiques correspondant aux vertus- ou défauts- helvétiques ! Cela ne veut cepen- dant pas dire immobilité : la sécurité sociale s'est considérablement développée ces der- nières décennies; les branches indemnités de maladie et maternité mises à part, elle ga- rantit une protection qui peut, d'une manière générale, être considérée comme convena- ble. Compte tenu des protections complémentaires10, les prestations peuvent être, pour certaines personnes, même très élevées. Mais pour d'autres, le «filet de sécurité» peut être placé bien bas (chômeurs ayant épuisé leur droit aux prestations fédérales, parents sans qualifications élevant seuls un ou plusieurs enfants, par exemple), le droit fédéral ne connaît pas de revenu minimum d'insertion (RMI) selon le modèle français; dans un pays riche en comparaison internationale, le recours obligé à l'assistance demeure une réali- téll. Inégalités flagrantes qu'une stratégie d'ensemble permettrait de faire disparaître, au moins progressivement.

3. Sur le plan législatif, l'absence de conception d'ensemble entraîne celle d'un code de la sécurité sociale. Le législateur n'a pas adopté un tel texte, dans lequel il au-

1o INSTITUT EUROPEEN DE SECURITE SOCIALE/EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : Les protections complémentaires en matière de sécurité sociale/

Complementary Protection in Social Security. Annuaire IESS/EISS Yearbook 1990. Ac- co. Leuven/Amersfoort 1991. Rappelons que c'est à cette occasion que l'Institut euro- péen est venu tenir son Colloque annuel en Suisse, plus précisément à Genève. Deux au- teurs helvétiques étaient d'ailleurs rapporteurs et leurs contributions sont incluses dans 1 'Annuaire. - Bernard VIRET : Assurances privées et protections complémentaires en matière de sécurité sociale (pp. 77 sv.). -Hans NAEF : Les assurances complémentaires aux assurances sociales en Suisse (pp. 167 sv.). Sur cette problématique, voir en outre : - Jean-Louis DUC: La protection de base et les protections complémentaires en matière de soins de santé en droit suisse. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 15- 1995, pp. 47 sv. -Bettina KAHIL : La protection de base et les protections complémen- taires en matière de soins de santé dans la Communauté européenne. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 15-1995, pp. 31 sv.- Jacques-André SCHNEIDER: Les régimes complémentaires de retraite en Europe : Libre circulation et participation. Hel- bing & Lichtenhahn. Basel!Frankfurt am Main 1994.

11 Dossier : Le revenu minimum. Contributions de Frédéric RADEFF, Peter TSCHÜM- PERLIN, Ueli TECKLENBURG. Sécurité sociale, revue de l'Office fédéral des assu- rances sociales 1/1997, pp. 5 sv. -Cora HOTZ 1 Valérie HUGENTOBLER 1 Frédéric RADEFF: Les législations cantonales en matière d'assistance et d'aide sociale, un aper- çu. Sécurité sociale 411995, pp. 219 sv. - George SHELDON : Le visage modifié du chômage- chômeurs de longue durée et chômeurs en fin de droit. Sécurité sociale 3/1995, pp. 160 sv. -Werner THOMET : Commentaire concernant la loi fédérale sur la compé- tence en matière d'assistance des personnes dans le besoin. 2e éd. Schulthess Polygra- phischer Verlag. Zürich 1994. -Ernst ZÜRCHER: Les droits sociaux dans les constitu- tions cantonales. Les instruments de la lutte contre la pauvreté. Sécurité sociale 2/1995, pp. 93 sv.

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rait pu décrire les finalités et les principes, 1' organisation et le financement de la sécurité sociale avant de poser les règles spécifiques aux différentes protections (soins de santé, retraite, etc.). Un tel code n'a jamais existé, aucun projet ne l'envisage12. Dès lors, la lé- gislation est diversifiée. Sur le plan fédéral, elle comprend une vingtaine de lois, une centaine d'ordonnances; s'y ajoutent les conventions de droit international (notamment les conventions adoptées par l'Organisation internationale du Travail et par le Conseil de 1 'Europe - la Suisse est membre des deux - et les conventions conclues avec une ving- taine de pays en matière de coordination) 13, dans certains domaines les droits canto- naux14, voire communaux; certaines institutions bénéficient d'une autonomie et adoptent des règles15 .

4. Inutile de souligner que cet ensemble, plus ou moins disparate, de règles en constante évolution16, n'est pas très pratique à manier pour le praticien. D'autant plus que la prise en compte de la jurisprudence est absolument indispensable17. Au fur et à mesure des années, la complexité croissante des lois et des ordonnances peut représenter une gêne également pour le législateur et le gouvernement 18.

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Voir ci-dessus, au N° 1, la difficulté représentée, à cet égard, par le référendum facultatif auquel sont exposées toutes les lois fédérales.

Voir p. ex. : - Alexandre BERENSTEIN : Le droit international de la sécurité sociale dans la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances. ln : Le droit des assurances sociales en mutation. Mélanges pour le 75e anniversaire du TFA. Stampfli. Bern 1992, pp. 3 sv. -Verena BROMBACHER: Internationales Sozialversicherungsrecht ais Paral- lelentwicklung zur europaischen Integration. Idem, pp. 53 sv.- Emil DÀHLER: Die So- zialpolitik der Internationalen Arbeitsorganisation und ihr Einfluss auf die Sozialgesetz- gebung in der Schweiz. Dissertation der Hochschule St.-Gallen. Organisation Kolb. St.- Gallen 1976.- Jean MEYER: Le statut des travailleurs immigrés dans la sécurité sociale suisse. Helbing & Lichtenhahn. Basel/Frankfurt am Main 1990. -Gustavo SCARTAZ- ZINI : Quelques aspects de droit suisse et européen de la sécurité sociale. In : La sécurité sociale en Europe et en Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1996, pp. 75 sv.

Pour l'ancien régime d'assurance-maladie, voir: -Jean-Louis DUC : L'assurance-mala- die malade ... Et si les cantons faisaient usage de leur compétence dans ce domaine ? In : Droit cantonal et droit fédéral. Université de Lausanne. Payot. Lausanne 1991, pp. 65 sv.

Situation générale, voir. -Pierre GILLIAND/Stéphane ROSSINI : La protection sociale en Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1997, pp. 5-6, 42 sv.

Cas typique dans les régimes complémentaires de pensions (prévoyance professionnelle) : -Jacques-André SCHNEIDER: Les régimes complémentaires de retraite en Europe, cité à la note 10, pp. 223 sv.

Voir les chroniques législatives, précieuses, rédigées par Pascal MAHON pour Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la FEAS.

Cf. l'ouvrage collectif indiqué dans la note 13.

Heureusement que la Suisse a adopté un recueil systématique du droit fédéral (RS), ré- gulièrement mis à jour (volumes 8.3 et 8.4 pour la sécurité sociale).

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104 CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SECURITE SOCIALE N° 19-1997

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1.3 Les régimes principaux19

5. Les régimes principaux qui composent la sécurité sociale en Suisse sont les sui- vants:

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l'assurance-maladie, universelle pour les soins de santé et facultative en ce qui concerne les indemnités joumalières20·21;

l'assurance-accidents, obligatoire pour les salariés et facultative pour les indé- pendants22'23;

le régime de base de pensions- l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité- de conception universelle, destiné à couvrir les besoins vitaux, utilisant la techni- que financière de la répartition24·25;

le régime complémentaire de pensions -la prévoyance professionnelle vieilles- se, survivants et invalidité - obligatoire pour les salariés (et pour une partie seu- lement du salaire), destiné à maintenir - compte tenu des prestations du régime de base - le niveau de vie, fonctionnant essentiellement en capitalisation, complé- té à son tour, par des protection facultatives (prévoyance professionnelle surobli- gatoire )26'27;

Jean-Louis DUC : Les assurances sociales en Suisse. Duc éditeur. Lausanne 1995. - Thomas LOCHER : Grundriss des Sozialversicherungsrechts. Stâmpfli. Bem 1997. - Alfred MAURER : Bundessozialversicherungsrecht. Helbing & Lichtenhahn. Basel/

Frankfurt am Main 1993.

Loi fédérale sur l'assurance-maladie (LAMai), du 18 mars 1994 (RS 832.10).

Alfred MAURER: Das neue Krankenversicherungsrecht. Helbing & Lichtenhahn. Basell Frankfurt am Main 1996. - LAMal-KVG. Recueil de travaux en l'honneur de la société suisse de droit des assurances. Sous la direction de J.-L. Duc. IRAL, N° 17. IRAL.

Faculté de Droit. Université de Lausanne. Lausanne 1997.

Loi fédérale sur l'assurance-accidents (LAA), du 20 mars 1981 (RS 832.20).

André GHELEW/Olivier RAMELET/Jean-Baptiste RITTER: Commentaire de la loi sur l'assurance-accidents. Réalités sociales. Lausanne 1992. -Alfred MAURER: Schweize- risches Unfallversicherungsrecht. Stamfpli. Bem 1985 (Erganzungsband 1989). - Alexandra RUMO-JUNGO : Bundesgesetz über die Unfallversicherung. 2e éd. Schult- hess Polygraphischer Verlag. Zürich 1995.

Loi fédérale sur 1 'assurance-vieillesse et survivants (LA VS), du 20 décembre 1946 (RS 831.20).

Pierre-Yves GREBER!Jean-Louis DUC/Gustavo SCARTAZZINI: Commentaire des ar- ticles 1 à 16 de la loi fédérale sur l'assurance-vieillesse et survivants. Champ d'applica- tion personnel et cotisations. Helbing & Lichtenhahn. Basel!Frankfurt am Main 1997. - Hanspeter KÀSER : Unterstellung und Beitragswesen in der obligatorischen AHV. 2e éd.

Stampfli. Bem 1996.- Ueli KIESER: Bundesgesetz über die Alters- und Hinterlassenen- versicherung. Schulthess Polygraphischer Verlag. Zürich 1996. - Michel V ALTERIO : Commentaire de la loi sur l'assurance-vieillesse et survivants. Les prestations. Réalités sociales. Lausanne 1988. -Michel V ALTERIO : Droit et pratique de l'assurance-invali- dité. Les prestations. Réalités sociales. Lausanne 1985.

Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP), du 25 juin 1982 (RS 831.40) - Loi fédérale sur le libre passage dans la prévoyance pro-

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l'assurance-chômage, couvrant aussi l'insolvabilité de l'employeur, obligatoire pour les salariés, fondée sur le triptyque prévention, indemnisation, réadaptation

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les régimes d'allocations familiales et ceux consacrés ' à l'assistance sociale sont basés sur les droits cantonaux. Les premiers s'adressent essentiellement aux salariés; les seconds sont généralement encore proches de l'assistance publique traditionnelle3°.

2. DEVELOPPEMENTS ET TENDANCES DE LA SECURITE SOCIALE

EN SUISSE

2.1 La recherche d'un consensus sur la sécurité sociale de demain

2.1.1 Un accord sur les finalités et les principes est-il possible?

6. Poser une telle question peut paraître étrange : la Suisse n'a-t-elle pas la réputa- tion, bien établie, de pratiquer une politique largement consensuelle ? La diversité des langues et des cultures, l'approche pragmatique nettement préférée au grand débat d'idées, la démocratie directe, incitent les principales forces politiques à négocier et à dégager des dénominateurs communs. En politique sociale comme d'une manière géné-

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fessionnelle vieillesse, survivants et invalidité (LFLP), du 17 décembre 1993 (RS 831.

42).

Jean-Pierre BEAUSOLEIL : La prévoyance professionnelle. Faculté des S.E.S. Universi- té de Genève. Genève 1995. - Carl HELBLING : Personalvorsorge und BVG. 6e éd.

Haupt. Bern/Stuttgart/Wien 1995. -Hans Michael RIEMER: Das Recht der beruflichen Vorsorge in der Schweiz. Stampfli. Bern 1985. -Jacques-André SCHNEIDER: Les ré- gimes complémentaires de retraite en Europe, cité à la note 10. -Hans-Ulrich STAUF- FER: Die berufliche Vorsorge. Schulthess Polygraphischer Verlag. Zürich 1996.

Loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité (LACI), du 25 juin 1982v (RS 837.0).

Daniele CA TT ANEO : Les mesures préventives et de réadaptation de 1 'assurance- chômage. Faculté de Droit de Genève. Helbing & Lichtenhahn. Basel!Frankfurt am Main 1992. -Doris GORGÉ : Guide des droits et devoirs des chômeurs. Editions I.E.S. Genè- ve 1997. - Hans-Ulrich STAUFFER : Bundesgesetz über die obligatorische Arbeitslo- senversicherung und Insolvenzentschâdigung. Schulthess Polygraphischer Verlag. Zürich 1992.

Pascal MAHON : Commentaire de l'art. 34quinquies. In : Commentaire de la Constitu- tion fédérale, cité à la note 1. - Ueli KIESERJGabriela RIEMER-KAFKA : Tafeln zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht. Schulthess Polygraphischer Verlag. Zürich 1994. -Blaise KNAPP : Commentaire de l'art. 48. In : Commentaire de la Constitution fédérale, cité à la note 1. - Randolf KOLLER : Die kantonalen Familienzulagengesetze.

Thèse de Zürich. Zehnder. Wil SG 1984.

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raie. Pourtant, l'élaboration d'un « système »31 de sécurité sociale ne s'est pas faite sans peine; les débats ont été nourris déjà lors de la mise en place des dispositions constitu- tionnelles, plus encore au stade de l'adoption des lois. Certaines lois ont d'ailleurs suc- combé en votations référendaires (p. ex. les premiers textes concernant l'assurance- maladie et accidents, l'assurance-vieillesse; la révision de 1987 sur l'assurance-maladie et maternité), d'autres ont vu leur portée considérablement réduite, au plan parlementaire, pour «éviter» un référendum (la loi sur la prévoyance professionnelle), d'autres enfin jouent les serpents de mer, réapparaissant juste au moment où on les croyait définitive-

ment englouties (projets de lois fédérales sur l'assurance-maternité, sur les allocations familiales). Nonobstant ces éléments, les principales tendances politiques ont pu se ré- unir, depuis 1945 - avec une période plus difficile à 1' époque du premier choc pétrolier, de 1973 - sur des projets dont la réalisation a permis de donner de la substance à la sé- curité sociale suisse3B 3 . Deux facteurs ont contribué à cette réussite. Tout d'abord une croissance économique marquée en Suisse, qui a apporté de nouveaux moyens fi- nanciers à la politique sociale et rendu évidemment les arbitrages entre postes de dépen- ses nettement moins difficiles. Mais aussi la présence et le labeur de véritables pion- niers, qui ont su expliquer les enjeux d'une politique et d'un système de sécurité sociale, joignant une compétence scientifique de haut niveau à une conviction solide et patiente;

sans que la liste ne doive être considérée comme exhaustive, il convient de citer ici les noms d'Alexandre BERENSTEIN, d'Ernst KAISER, d'Alfred MAURER et de Hans Peter TSCHUDI. En effet, l'expansion économique n'a pas pour effet «naturel» une redistribution selon des critères de justice sociale : la première facilite indéniablement la seconde, mais sans l'induire. Un choix politique, qui ne peut en une telle matière com- plexe qu'être accompagné sur le plan scientifique et technique, est nécessaire; il doit être voulu, soutenu par la population concernée34 . Pierre GILLIAND et Stéphane ROSSINI relèvent ainsi que : «En Suisse comme ailleurs, la politique sociale s'acquiert et se con- quiert. Elle se façonne au travers des crises. La Suisse - on l'oublie trop - est sortie d' une situation de pauvreté et d'émigration seulement à la fin du siècle précédent. Le systè- me de protection sociale s'est mis en place avec lenteur. ( ... )opposer la politique sociale à la politique économique est artificiel. Le social n'est pas l'antonyme de l'économique;

ce sont deux approches complémentaires d'une même réalité : la vie d'une société ».35

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Il est courant de distinguer des systèmes de sécurité sociale, eux-mêmes composés de régimes. L'expression est reprise ici, même si le terme de système est discutable lorsqu'il est appliqué à la Suisse, du fait de l'absence de vision globale (cf. le N° 1).

Cf. cependant ci-dessus le N° 2.

Voir notamment: -Alexandre BERENSTEIN : L'assurance-vieillesse suisse. Son élabo- ration et son évolution. Réalités sociales. Lausanne 1986. - Pierre GILLIAND : Politique sociale en Suisse. Introduction. Réalités sociales. Lausanne 1988. - Alfred MAURER : Suisse. In : Un siècle de sécurité sociale, cité à la note 1. - Jürg SOMMER : Das Ringcn um soziale Sicherheit in der Schweiz. Rüegger. Diessenhofen 1978. - Hans Peter TSCHUDI : Entstchung und Entwicklung der schweizcrischen Sozialversicherungen, cité à la note 1.

Voir Yves CHASSARD : La convergence des objectifs et politiques de protection socia- le: une nouvelle approche. Europe sociale, supplément 5/1992, pp. 13 sv. (p. 17).

Pierre GILLIAND/Stéphane ROSSINI : La protection sociale en Suisse, cité à la note 14, p. 3.

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7. Un accord sur les finalités et les principes, même approché de manière très prag- matique, restera-t-il possible à l'avenir ? La question est ouverte; l'environnement a changé : l'économie suisse, à l'instar des autres économies dans le monde, est entrée dans l'instabilité, le chômage a passé d'un stade résiduel à un degré moyen, les emplois se fragilisent, la pauvreté est devenue visible. De plus, le pays se cherche : quelles rela- tions développer entre ses diverses régions, quels liens tisser avec l'Union européenne, le reste du monde? Le tout sur un fond de mutations sociales et démographiques.36

8. Certes, le climat économique détérioré a marqué davantage les fronts politiques et rendu plus difficile le dialogue social. Pour l'instant, les acteurs économiques et so- ciaux gardent généralement en mémoire les avantages de la négociation et de la paix so- ciale. Ils savent que la stabilité de la Suisse est un atout de premier ordre sur le plan de l'économie, ils ont conscience de l'apport de la sécurité sociale à cette paix et à cette stabilité. Des acteurs tentés voire fascinés par l'ultralibéralisme seraient prêts à se lancer dans d'autres stratégies; ils sont - au moins actuellement - minoritaires, ce qui ne veut pas dire sans influence.

9. Dans un tel contexte, une telle évolution, comment envisager- voir repenser37 - la sécurité sociale de demain? D'une manière générale, il semble exister un accord pour maintenir l'essentiel de la protection, moyennant certains rééquilibrages et en revoyant le financement. Mais au-delà de cette première appréciation, la situation apparaît moins claire et elle varie bien sûr selon les options politiques. Peut-être peut-on la résumer comme suite :

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une première tendance (partis de gauche, syndicats, diverses sensibilités socia- les), demande le comblement des lacunes les plus importantes : introduction d' une véritable assurance-maternité, règlement par la loi et de façon obligatoire des indemnités journalières de maladie, institution d'un revenu minimum d'insertion remplaçant l'assistance publique traditionnelle. A cela s'ajoute la revendication d' un abaissement de l'âge d'ouverture à pensions;

une deuxième tendance (partis de tendance libérale, organisations patronales) estime qu'il est exclu, pour des raisons de concurrence internationale et de vieil- lissement démographique, de développer le système actuel; la limite supérieure des prélèvements obligatoires admissible serait atteinte;

une troisième tendance (ultralibérale) est fondée sur la sélectivité (ou ciblage) : la protection sociale doit être concentrée sur les plus démunis (le critère détermi- nant doit être la preuve de l'incapacité d'exercer une activité rémunérée assurant le minimum vital), la responsabilité individuelle doit être renforcée, la privatisa- tion largement pratiquée.

La sécurité sociale en Europe à l'aube du XXIe siècle. Mutations, nouvelles voies, ré- formes du financement. Helbing & Lichtenhahn. Basel/Frankfurt am Main 1996. -La sé- curité sociale en Europe et en Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1996.-Note 35.

Repenser la sécurité sociale. Réalités sociales. Lausanne 1995.

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10. A «l'état pur», ces trois tendances, trop sommairement esquissées38, ne sont guère conciliables. On ne peut pas simultanément combler les lacunes du système, tra- vailler dans une enveloppe budgétaire strictement impérative, démanteler le système pour le remplacer par une protection sélective. Singulièrement, les première et troisième orientations sont fondamentalement opposées. Pourtant, les données économiques et so- ciales ne sont pas virtuelles, un système - avec ses prélèvements et ses prestations - fonctionne et demande à être piloté, dans un environnement en mutations rapides. Même fascinée par la technologie et le marché, une société reste composée d'êtres humains. A partir de cette réalité «toute simple», une seule solution : dialoguer, négocier, travailler en souplesse par scénarios, dégager des stratégies, des priorités; déterminer ce que l'on peut et ce que l'on veut, oser modifier ce qui a été apporté par l'histoire mais qui n'a plus de raison d'être aujourd'hui. Vite dit, mais difficile à réaliser : la première étape doit être le rétablissement d'un climat de confiance pour concilier l'économie et le social;

sacrifier l'un d'eux se terminerait maP9. La deuxième peut être de réfléchir au concept de sécurité sociale et à son évolution future : un minimum de vision d'ensemble (besoins, financement) peut éclairer les choix. Ces éléments, importants, le sont d'autant plus dans un pays qui pratique la démocratie directe40 et où donc l'adhésion de la population aux réformes est encore plus nécessaire.

2.1.2 Quelle réforme du financement ?

11. La réforme du financement occupe une position centrale dans les débats sur le futur de la sécurité sociale41. A cet égard, la Suisse n'occupe pas une place particulière ! Cependant, elle a l'avantage d'avoir pour l'instant une situation globalement équili- brée : les recettes totales s'élèvent à environ 104 milliards de francs et les dépenses à

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Voir p. ex. : Commission nationale suisse Justice et Paix/Institut d'éthique sociale de la FEPS :Quel avenir pour l'Etat social? lES/ISE, Labor et Fides 1997.

Réfléchissons une minute à ce que serait 1 'Europe, dans la situation économique actuelle, sans programmes de protection sociale, mais avec ses taux de chômage et de pauvreté. La leçon des années trente peut être considérée.

Voir ci-dessus le N° 1.

Pierre GILLIAND/Stéphane ROSSINI : La protection sociale en Suisse, cité à la note 14, pp. 53 sv., 84 sv., 162 sv., 205 sv., 215 sv.- Yves FLUCKIGER/Javier SUAREZ : Propositions de réforme du financement de la sécurité sociale en Suisse. In : La sécurité sociale en Europe à l'aube du XXIe siècle, cité à la note 36, pp. 145 sv. - Pascal MAHON : Le financement de la sécurité sociale en Suisse. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N° 14-1995, pp. 75 sv.- Rapport sur les perspectives de financement des assurances sociales. Juin 1996. Aspects de la sécurité sociale, Office fédéral des as- surances sociales, 1/96. - OFFICE FEDERAL DES ASSURANCES SOCIALES : Le rapport du groupe de travail interdépartemental « Perspectives de financement des assu- rances sociales». Dossier. Sécurité sociale, revue de l'OF AS, 4/1996, pp. 165 sv. -Ber- nard VIRET : Aspects constitutionnels et légaux du financement des assurances sociales en Suisse. Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la FEAS, 2-3/1996, pp. 63 sv.

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environ 84 milliards (chiffres de 1994)42; la différence est due aux régimes complémen- taires de pensions (prévoyance professionnelle), fonctionnant en capitalisation et qui ne sont pas encore arrivés à maturité43 . L'équilibre global ne doit pas masquer pourtant la situation, déficitaire de 1' asurance-invalidité et plus encore de 1' assurance-chômage.

12. Cette situation globalement favorable va cependant se péjorer ces prochai- nes décennies. Le rapport interdépartemental «Perspectives de financement des assu- rances sociales » (1996)44 met en évidence un besoin de financement supplémentaire à l'horizon 2010 et, en projection, 2025. Selon les scénarios économiques retenus, ce be- soin s'élève de 3,8% (croissance supérieure) à 8,6% (croissance inférieure) des revenus sur lesquels les cotisations du régime public de pensions (A VS) sont perçues, ceci à l'horizon 201045; le scénario de référence46 aboutit à un besoin supplémentaire de 5,2%

(mêmes revenus et horizon), soit 6,8 % de taxe sur la valeur ajoutée (TVA)47. A l'horizon 2025, le scénario de référence indique une tendance complémentaire à la hausse de 4,7% des« revenus AVS), soit 6,1% de TVA48.

13. Le rapport expose les avantages et inconvénients des sources de financement en discussion. Il propose de poursuivre l'étude concernant la perception : de pour-cent du revenu du travail (relevant cependant le renchérissement du travail, la charge pesant sur les entreprises à fort coefficient de main-d'oeuvre, la hausse des charges salariales brutes affectant la capacité concurrentielle sur le plan international), de montants indé- pendants du revenu (notant son caractère fortement régressif pour les ménages), de la taxe à la valeur ajoutée (légèrement régressive), d'une taxe sur l'énergie (régressive pour les ménages, chargeant particulièrement les entreprises à forte consommation d'énergie), d'impôts sur le revenu (fortement progressifs, risques d'échappatoire par la fraude et l'économie parallèle). Le rapport propose de ne pas poursuivre l'étude concernant la taxe sur la plus-value, l'impôt sur les machines49, la contribution sociale généralisée (effet 42

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Pierre GILLIAND/Stéphane ROSSINI : La protection sociale en Suisse, cité à la note 14, p. 69.

OFAS: Dossier, cité à la note 41, p. 167.

Voir la note 41.

OFAS :Dossier, cité à la note 41, p. 175.

Le scénario de référence est bâti sur une hypothèse de croissance du produit intérieur brut de 1,3% par année jusqu'en 2010 et de 0,5% entre 2010 et 2025. Idem, p. 175.

Idem p. 177.

Idem, p. 178.

Dans le même sens, Alain EUZEBY : Progrès technique et cotisations sociales : faut-il faire payer les machines ? In : INSTITUT EUROPEEN DE SECURITE SOCIALE/

EUROPEAN INSTITUTE OF SOCIAL SECURITY : Innovation technologique et Sé- curité Socialeffechnological Innovation and Social Security. Annuaire IESS/EISS Year- book 1991. Acco. Leuven/Amersfoort 1992, pp. 343 sv. - A. EUZEBY conclut que :

« ( ... ) le progrès technique, même s'il donne parfois lieu à des excès et si certains usages qui en sont faits sont très discutables, doit continuer à être considéré comme un facteur de progrès économique et humain, dans la mesure où il améliore la productivité du travail, diminue sa pénibilité et permet d'augmenter le niveau de vie. Il serait donc peu judicieux,

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négatif signalé : échappatoire par la fraude), l'impôt sur la fortune, l'impôt sur les suc- cessions (pour les deux, échappatoire par la fraude, la consommation et les donations)50.

14. Le rapport propose des principes de financement, parmi lesquels il faut en tout cas relever : la conformité aux exigences de la justice sociale, de l'efficience politico- économique, de la gestion aisée et transparente, de l'acceptation par la population;

l'adaptation des ressources aux types de prestations (p. ex. les prestations remplaçant le revenu de l'activité rémunérée sont à financer par un pourcentage prélevé sur les revenus du travail, les prestations liées à une condition de ressources doivent être financées par les pouvoirs publics)51 ; la compétence de légiférer et de gérer ainsi que l'obligation de financer doivent se situer au même niveau étatique52 .

15. Le rapport met 1' accent également sur deux éléments importants. Tout d'abord, celui de la charge sociale établie en comparaison internationale. En 1990, la part des prestations sociales par rapport au PIB était en Suisse nettement inférieure à la moyenne observée dans l'Union européenne53 ; l'apparition plus tardive du chômage en Suisse a rapproché depuis ce pays de la moyenne européenne54. Ensuite, celui de l'acceptation sociale d'un accroissement des charges. En se fondant sur des sondages, il ne semble pas y avoir d'effritement des solidarités (notamment entre jeunes et âgés) 55 . Une étude française récente arrive à des résultats analogues, essentiels pour l'avenir de la sécurité sociale56.

16. La rapport interdépartemental de 1996 a le mérite de lancer un large débat sur le financement de la sécurité sociale en Suisse, en préférant l'analyse technique à l'échange de simples affirmations et slogans et en recourant - une fois n'est pas cou- tume57- à une vision globale (sans laquelle aucune voie cohérente ne sera trouvée). Il me semble cependant que les études devraient continuer sur l'ensemble des sources de

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surtout vis-à-vis de la concurrence internationale, de freiner les investissements qu'il suscite en établissant des cotisations sociales sur les machines ». (p. 372).

OFAS: Dossier, cité à la note 41, pp. 184-185.

Voir Guy PERRIN : Rationalisation du financement de la sécurité sociale. In : Sécurité sociale: Quelle méthode de financement? Bureau international du Travail. Genève 1983, pp. 123 sv.

OFAS: Dossier, cité à la note 41, p. 183.

Le rapport se réfère à Pierre GILLIAND/Stéphane ROSSINI : Le budget social de la Suisse. Réalités sociales. Lausanne 1995.

OFAS: Dossier, cité à la note 41, pp. 181-182.

Idem, p. 182.

Etienne SCHWEISGUTH: La montée des valeurs individualistes. In : Numéro spécial : L'évolution des valeurs des Européens. Futuribles [Paris], N° 200, juillet-août 1995, pp.

131 sv. (pp. 159-160).

Voir ci-dessus les N° 1-4.

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financement, l'impôt sur les machines étant mis à part58 . Les turbulences dans lesquelles nos sociétés sont engagées59, la juxtaposition de grandes capacités technologiques et économiques d'une part, de fragilités sociales et d'aggravation des inégalités d'autre part, impliquent une recherche large de solidarités justifiées et acceptées60 .

2.2 Le sens général des réformes6I

17. Le sens général des réformes récentes de la sécurité sociale en Suisse coïncide avec les observations de l' AISS, soit un mélange d'améliorations et de diminutions de la protection, l'idée étant de préserver et de consolider autant que possible les systèmes62 .

18. Premier exemple : la lOe révision du régime public de pensions (A VS/ AI), en vigueur depuis le 1er janvier 1997, réalise presque complètement l'égalité de traitement entre femmes et hommes, entre nationaux et non-nationaux, elle introduit la pension an- ticipée et elle prend davantage en considération le travail non rémunéré (éducation des enfants, assistance à des parents handicapés). En revanche, elle élèvera progressivement l'âge d'ouverture à pensions pour les femmes, de 62 à 64 ans (dès 2001 et 2005)63 , elle rend plus restrictive 1' octroi de rentes complémentaires64 .

19. Deuxième exemple : la 2e révision de l'assurance-chômage (LACI) a étendu la période d'indemnisation, elle a mis l'accent sur les mesures dites actives (incitations à reprendre un emploi) et elle maintient la protection à l'égard du régime complémentaire de pensions (pour les risques décès et invalidité) pour les chômeurs. En revanche, elle a

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Voir ci-dessus le N° 13.

Voir p. ex. :OIT-CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (8le session- 1994) : Des valeurs à défendre, des changements à entreprendre. La justice sociale dans une économie qui se mondialise : un projet pour l'OIT. Rapport du Directeur géné- ral(partie 1). Bureau international du Travail. Genève 1994. - OIT-CONFERENCE INTERNATIONALE DU TRAVAIL (85e session-1997): L'action normative de l'OIT à l'heure de la mondialisation. Rapport du Directeur général. Bureau international du Travail. Genève 1997.

Pour continuer, voir les références indiquées à la note 41, de même que : Gabrielle ANTILLE/Beat BURGENMEIER/Yves FLUCKIGER : L'économie suisse au futur.

Une réforme en trois piliers. Réalités sociales. Lausanne 1997.

Voir les chroniques législatives de Pascal MAHON, dans Aspects de la sécurité sociale, bulletin de la FEAS, depuis 1991.

ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE : Développe- ments et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995. Revue internationale de sécurité sociale 2/1996, pp. 5 sv.

Cette élévation est contestée par voie d'initiatives populaires qui donneront lieu à des votes.

Tout en respectant dorénavant l'égalité de traitement entre femmes et hommes.

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diminué le montant des indemnités journalières, elle a rendu plus sévère la notion de tra- vail convenable (qui doit être accepté par le chômeur), elle a introduit un délai de carence de cinq jours (des exceptions sont prévues) et rendu les sanctions plus sévères.

20. Tout donne à penser que ce mélange d'améliorations et de diminutions de la protection sera présent dans les révisions futures. En effet, d'une part l'évolution des besoins va exercer une pression constante (p. ex. au titre de la dépendance notamment des personnes âgées, de la garantie de ressources minimales), d'autre part les collectivi- tés publiques, à de rares exceptions près, alignent les déficits, la concurrence internatio- nale s'accroît, le vieillissement de la population continue. Piloter un tel exercice est déli- cat - d'autant plus si 1' on considère la fragilisation des deux véritables piliers que consti- tuent la famille et le travail rémunéré - et exige une vision d'ensemble, l'adoption de stratégies (définition de priorités, de hiérarchies; répartition des rôles entre collectivités publiques, partenaires sociaux, individus).

2.3 Universalité ou sélectivité?

Adaptation ou démantèlement du système de protection ?

21. Une protection sociale doit-elle en principe s'étendre à l'ensemble de la popu- lation ou au contraire être ciblée sur les plus défavorisés ? Ce grand débat remonte aux origines de la sécurité sociale, il a connu ensuite une accalmie, ou plutôt une combinaison d'universalité et de sélectivité auxquelles s'ajoutent des améliorations de type profes- sionnel, pour redevenir vif sous la pression des besoins (singulièrement du chômage de longue durée et de la résurgence de la pauvreté) et des problèmes (voire crises) de fi- nancement65. James SCHULZ a bien synthétisé les enjeux . «L'un des sujets les plus controversés auxquels est confronté l'avenir de la sécurité sociale est de savoir jusqu'à quel point les régimes peuvent s'écarter de l'objectif d'universalité accepté dans de larges milieux. ( ... ) De nombreux partisans des régimes sélectifs craignent que les régimes uni- versels ne favorisent l'intervention du gouvernement et la dépendance des individus à l'égard de l'Etat - ce qui, dans les deux cas, constitue à leurs yeux une menace pour la croissance économique et les libertés civiques. De plus, d'aucuns soutiennent que la sé- lectivité peut assurer une meilleure redistribution du revenu en réduisant au minimum les effets de distorsion de l'imposition nécessaire pour payer les prestations. Selon les te- nants de cette thèse, non seulement un régime sélectif sera plus sûr d'atteindre son but, mais encore il est vraisemblable que les secours iront à ceux qui en ont le plus besoin, étant donné que les ressources disponibles seront réparties entre un moins grand nombre de bénéficiaires. Les partisans des régimes universels contestent énergiquement ce point de vue. Ils prétendent que les ressources totales disponibles à ces fins dépendent beau- 65 Voir notanunent : Jean-Jacques DUPEYROUX : Droit de la sécurité sociale, cité à la

note 2, pp. 79 sv.- James SCHULZ: Le débat continue: sélectivité, oui, mais jusqu'où?

In: ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE: La sécurité sociale demain: permanence et changements. Etudes et recherches, N° 36. AISS. Genève 1995, pp. 45 sv.

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coup plus d'un soutien politique général (alors qu'il est rare que, dans le passé, les pou- voirs publics aient apporté leur soutien aux régimes uniquement destinés aux« pauvres).

Mais leur opposition aux régimes de prestations soumises à condition de ressources n'est pas fondée seulement sur des motifs d'ordre politique. Le fonctionnement pratique des régimes de prestations soumis à conditions de ressources d'hier et d'aujourd'hui donne également lieu à mécontentement dans de nombreux milieux. On souligne que ces régi- mes entraînent des frais d'administration élevés, que leur caractère sélectif donne des résultats incertains, que le fait de recevoir des prestations est perçu comme une flétris- sure, que les agents chargés de déterminer les conditions d'admission abusent de leur pouvoir, et que les ayants droit n'obtiennent en conséquence que de faibles taux de par- ticipation »66 . Cet auteur met en garde contre la tentation de développer la sélectivité sans avoir préalablement analysé ses conséquences pratiques67 . Les régimes sélectifs po- sent des problèmes spécifiques et complexes : à quel niveau placer les limites de ressour- ces, comment éviter la désincitation, quelle modulation selon les charges familiales, quel contrôle mettre en place ? De plus, ils semblent vulnérables tant aux décisions politiques que parce qu'ils risquent de perdre l'appui de la majorité de la population68.

22. En Suisse, actuellement, seuls les néo-libéraux prônent la sélectivité comme prin- cipe général de protection. Un « Livre blanc », publié en 1996, relève notamment ceci :

« II existe dans toute société des personnes incapables de subvenir à leurs besoins. Les aider est un devoir qui incombe à chacun et - subsidiairement - à la communauté. Cette attitude est enracinée dans la tradition humanitaire où l'engagement personnel compte autant que l'appui matériel. Au contraire, les mécanismes bureaucratiques de redistribu- tion appliqués aujourd'hui par les pouvoirs publics, mécanismes fondés sur le principe de l'arrosoir, favorisent de plus en plus l'anonymat de l'aide sociale. Parallèlement, les oeu- vres sociales touchent aux limites de leurs capacités financières. II ne faut pas que les principes incontestés de l'Etat social - et humaniste - dégénèrent finalement en une poli- tique de redistribution contre-productive. Plus la prospérité générale s'est généralisée au fil des décennies, et plus le cercle des bénéficiaires des prestations sociales s'est élargi; on constate aussi que ces prestations sont attribuées de plus en plus souvent sans égard aux besoins individuels ni même aux revenus et à l'état de fortune des intéressés. Pareille politique favorise le parasitisme, la dépendance et l'indifférence, et tue le goût du travail.

Parallèlement, la part des dépenses sociales au budget de la Confédération ne cesse de croître. Elle a pratiquement doublé entre 1960 et 1994 (de 13,4 à 25,9 %). L'aug- mentation des cotisations et des impôts nécessaires au financement des dépenses sociales affaiblit la capacité concurrentielle de nos entreprises et l'attractivité de la place écono-

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James SCHULZ: Le débat continue: sélectivité, cité à la note 65, pp. 46 et 47.

Idem pp. 48-49.

ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE : Développe- ments et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995, cité à la note 62, p. 6. - Bea CANTILLON : Les transformations des modèles du travail et de la famille et leurs impli- cations sur la sécurité sociale. In : Repenser la sécurité sociale, cité à la note 37, pp. 115 sv. (pp. 135 sv.). -Pierre-Yves GREBER: Le présent et l'avenir de la sécurité sociale en Europe occidentale. In : La sécurité sociale en Europe à l'aube du XXIe siècle, cité à la note 36, pp. 1 sv. (pp. 64-68).

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mique suisse. ( ... ) L'évolution démographique et la pression toujours plus forte de la concurrence internationale exigent d'urgence un changement d'orientation de la politique sociale. Il s'agit désormais de se concentrer sur les personnes véritablement nécessiteuses des ressources publiques qui ne cessent de diminuer et de stimuler le sens de la respon- sabilité individuelle. ( ... )il faut prendre pour critère déterminant la preuve de l'incapacité d'exercer une activité lucrative permettant d'assurer le minimum vital. L'actuel système de répartition sur lequel se fondent les assurances sociales, qui versent souvent des pres- tations indépendamment du revenu et de l'état de fortune des bénéficiaires, doit être revu dans le sens d'une prise en compte bien plus rigoureuse des besoins effectifs »69 . Appli- quant cette position aux pensions, ce courant propose de garder un régime de base de pensions, permettant de mener une vie simple, mais en renonçant dans une large mesure à la technique financière de la répartition et en ouvrant sa gestion également à des assu- reurs privés; ce premier socle serait complété par des prestations supplémentaires indivi- duelles librement choisies70, selon une affiliation facultative. Ce programme néo-libéral, axé sur la sélectivité et en rupture totale - voulue - avec le système mis en place depuis 1945, a été mal reçu par les autres courants politiques; il représente en effet un rejet de l'Etat social réalisé dans ce pays.

23. Walter SElLER, à l'époque Directeur de l'Office fédéral des assurances sociales (OF AS) , a, dans une lettre ouverte, très bien exprimé ce que beaucoup ont ressenti à l'égard dudit programme : «Bien sûr, nous connaissons un régime de démocratie libé- rale. A chacun de s'assumer. Pour que ce type de société fonctionne, il faut qu'un nom- bre élevé de personnes soient autonomes et prennent soin de leurs proches, lorsque c'est nécessaire. ( ... ) Mais j'ajoute qu'une société doit être sociale pour être une société de liberté. Si l'on en arrive à ce que des hommes et des femmes doivent craindre la précarité au soir de leur vie, tremblent à l'idée des séquelles d'un accident, d'une maladie, ou d'un licenciement, on ne pourra plus dire alors de notre société qu'on y est libre, que l'autonomie et le sens des responsabilités peuvent s'y épanouir. D'ailleurs, l'Etat social est la résultante des responsabilités individuelles. Au siècle dernier et au début de celui- ci, des gens simples de chez nous ont compris que la sécurité sociale n'était possible que sur la base de la solidarité et de la compensation matérielle. Ils ont pris sur eux de lutter pour cet objectif et ont édifié notre Etat social. Seule une petite minorité de nos contem- porains seraient en mesure de remplacer, à la force du poignet et de leurs propres de- niers, les prestations de l'Etat social actuel. En moyenne, les personnes employées à plein temps obtiennent un gain brut de quelque 5000 francs par mois. Avec un tel revenu, une famille avec enfants n'a aucune chance de mettre suffisamment d'argent de côté - via l'épargne individuelle ou par le biais d'assurance- pour assurer sa prévoyance vieillesse, parer de manière satisfaisante les effets de l'invalidité, de la maladie et de la perte d'emploi. La rente de base que vous préconisez n'y suffirait d'ailleurs pas non plus. Il faudrait recourir à 1' assistance. Vous voyez les choses autrement : limiter la prévoyance- vieillesse à un revenu minimum de base uniforme assorti d'un complément individuel

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Ayons le courage d'un nouveau départ. Un programme pour la relance de la politique économique de la Suisse. Publié par D. de Pury, H. Hauser, B. Schmid. Orell Füssli.

Zürich 1996, pp. 39, 61 et 62.

Idem, p. 63-65.

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revient, pour vous, à « rendre à chaque individu la liberté de disposer de son argent. Cha- cun décide ensuite librement du montant auquel il peut ou veut renoncer à un moment donné pour assurer son niveau de vie lorsque l'âge sera venu» (trad. de l'OF AS). Pen- sez-vous vraiment que cette situation corresponde à ce que vit la majorité de la popula- tion de ce pays ? J'y décèle personnellement une forme de mépris. ( ... )L'Etat social re- connaît à sa population le droit à des prestations sociales. Vous, au contraire, exigez que la preuve du besoin soit apportée avant que les personnes qui cherchent de l'aide obtien- nent une prestation. Voulez-vous un retour à l'Etat assistance du siècle dernier? Revenir aux pauvres d'antan, humiliés et abaissés ? Voulez-vous vraiment imprimer un retour en arrière à la roue de l'histoire? A moins que vous n'ayez voulu dire autre chose.

Le bruit que s'était élevé à la sortie de votre deuxième Livre blanc a fini par se calmer. Le temps nous semble venu d'ouvrir une discussion dépassionnée sur les problè- mes réels auxquels se heurtent, non seulement, les assurances sociales mais l'ensemble de la sécurité sociale. Il faut que nous trouvions des solutions, et vite. Nous les chercherons en tenant compte des interdépendances entre la société, l'économie et la sécurité sociale, et pas seulement en se limitant à l'une des composantes du triangle ».71 Cet échange vif a eu pour mérite de montrer que l'option de la sélectivité conçue comme le principe direc- teur de la protection sociale et, il faut bien le dire, le démantèlement de celle-ci, ne re- cueillent qu'un appui minoritaire dans ce pays.

2.4 Une tendance à la privatisation ?

24. La privatisation représente un mot-clé de cette fin de siècle. Le débat qui l'entoure a également lieu dans le cadre de la sécurité sociale72. L'AISS fait part des ob- servations suivantes : « Sécurité du revenu et protection de la santé par des régimes pu- blics, ou par la prévoyance privée ? Sur ce sujet plus encore que sur celui de la compéti- tivité internationale, le débat, souvent plus passionnel que rationnel, prend vite un tour extrême- c'est tout l'un ou l'autre-, alors qu'il existe, comme on peut l'observer dans la plupart des pays, une gamme de possibilités et des formes de combinaison presque illimitées. Le dispositif complexe, public et privé, de protection sociale qui fonctionne dans un pays pourrait fort bien se révéler catastrophique dans un autre. Les formules privées, qui marchent bien et donnent de bons résultats ici, n'auraient peut-être, trans- plantées ailleurs, aucune chance de fonctionner. On ne saurait les considérer, dans le do- maine de la sécurité sociale, à tous coups comme les plus économiques et efficaces. ( ... ) Il faut absolument que les prises de position systématiques et passionnelles en faveur des régimes publics ou des régimes privés fassent place à un débat plus réfléchi, fondé sur les

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Walter SElLER: Le courage d'une vraie relance ? Lettre ouverte à Daniel de Pury, au- teur du deuxième Livre blanc «Ayons le courage d'une vraie relance». Sécurité sociale, revue de l'OF AS, 1/1996, pp. 1 (p. 2).

Jef V AN LANGENDONCK : Privatisation vs. public social security. In : Université Attila J6zsef, Faculté de Droit, Szeged : Séminaire international du droit comparé du tra- vail, des relations professionnelles et de la sécurité sociale. Annales 1994, pp. 205 sv.

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faits. Il importe que la collectivité parvienne, dans chaque pays, à un large accord sur ce que le secteur public et le secteur privé sont l'un et l'autre le mieux à même de faire et sur ce qu'ils devraient faire ensemble pour assurer à la population une protection suffi- sante, juste et sûre contre les risques sociaux. Il faut savoir aussi que la combinaison op- timale de mesures publiques et de mesures privées a toutes chances de se présenter très différemment selon le risque considéré : vieillesse, invalidité, maladie, accidents du travail ou maladies professionnelles, chômage, charges de famille ».73.

25. Il convient de rappeler que des institutions de droit privé peuvent être chargées par un législateur d'appliquer du droit public. En Suisse, la majorité des institutions gé- rant les régimes publics de sécurité sociale sont elles-mêmes de droit privé : assureurs- maladie, assureurs-accidents autres que la Caisse nationale suisse d'assurance en cas d'accidents (CNA), caisses de compensation AVS, institutions de prévoyance notam- ment. Une partie d'entre elles sont même des compagnies commerciales, qui peuvent participer à la gestion de l'assurance-maladie et de l'assurance-accidents. On ne saurait parler ici de « privatisation » : ces institutions appliquent des lois de sécurité sociale et leurs ordonnances, la jurisprudence notamment du Tribunal fédéral des assurances, les instructions de l'Office fédéral des assurances; elles les appliquent de la même manière que des caisses publiques : p. ex. une caisse cantonale de compensation doit se confor- mer à la loi sur l'assurance-vieillesse et survivants comme le fait une caisse de compen- sation professionnelle74. Ce mode de procéder ne semble pas poser de problèmes parti- culiers.

26. Peut-on constater en Suisse une tendance dans le droit applicable en matière de sécurité sociale, vers le droit privé ou, au contraire, vers le droit public ? Un re- gard rétroactif permet de rappeler que l'adoption en 1981 de la loi fédérale sur l'assurance-accidents (LAA) et en 1982 de la loi fédérale sur la prévoyance profession- nelle vieillesse, survivants et invalidité (LPP)15 a représenté un transfert du droit privé au droit public. Les assureurs-accidents autres que la CNA et les institutions de pré- voyance (caisses de pensions) bénéficiaient d'une grande autonomie avant l'adoption des lois de 1981 et 1982. Par exemple, une caisse de pension avait la faculté de refuser l'affiliation d'un travailleur invalide, malade chronique ou représentant pour une autre raison un risque accru au regard de la couverture d'assurance, ou elle pouvait admettre l'affiliation mais à une protection plus restreinte. Les femmes mariées se sont vu aussi parfois refuser l'accès à une caisse de pension. Le passage au droit public a rendu de tel- les pratiques illicites. Pour les assurés, le passage du droit privé au droit public a consoli- dé leur position, leur accordant - pour certains - une amélioration de la protection, le

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ASSOCIATION INTERNATIONALE DE LA SECURITE SOCIALE : Développe- ments et tendances de la sécurité sociale, 1993-1995, cité à la note 62, pp. 8 et 9; égale- ment pp. 37 sv.

Pascal MAHON : Institutions de sécurité sociale. Presses polytechniques romandes. Lau- sanne 1983. -Bernard VIRET : La participation des assureurs privés à l'assurance so- ciale en suisse. Revue RCC 1976, pp. 428 sv.

Voir ci-dessus le N° 5.

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GREBER

bénéfice des grands principes de droit public (légalité, égalité de traitement, proportion- nalité), l'accès à un contentieux simple, en principe gratuit et rapide. A une époque ré- cente, la révision totale de l'assurance-maladie (partie soins) et l'adoption de la loi sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle ont également représenté un déplace- ment vers le droit public. Un mouvement contraire, de privatisation, est observé en ce qui concerne les protections supralégales en matière d'assurance-maladie (soins comme indemnités journalières) : plus de bénéfice des grands principes de droit public, de contentieux de sécurité sociale76. Le législateur est parti de l'idée que le renforcement de la protection légale en matière de soins, réalisé par la nouvelle loi, enlevait de l'importance aux protections supralégales (ce qui est juste) et qu'il convenait de les in- clure dans le droit des assurances privées (ce qui n'est probablement pas dans l'intérêt des assurés, sauf s'ils sont jeunes et en bonne santé). Des idées de privatisation sont parfois formulées dans le domaine de l'assurance-chômage : outre le fait qu'elles se heurteraient probablement à la Constitution (art. 34novies), elles semblent difficilement réalisables sur le plan technique compte tenu de la spécificité du risque du chômage.

Comme déjà relevé ci-dessus, un Livre blanc voudrait privatiser les protections complé- mentaires en matière de pensions77. Si des projets plus concrets venaient à être formulés, il apparaîtrait absolument indispensable de jouer la transparence et de bien expliquer les enjeux. Sans faire preuve de dogmatisme borné, il faut simplement se rappeler que le marché s'intéresse aux bonnes affaires, ici aux « bons risques »; les solutions publiques sont certes rigides, mais garantissent l'égalité de traitement, la solidarité78.

2.5 Autres tendances ?

27. Pour terminer, il convient de rappeler que le maintien de la diversité est prévi- sible, l'idée d'une codification n'étant pas soutenue79. Peut-être le gouvernement pour- rait-il travailler de manière plus systématique lorsqu'il adopte des ordonnances, évitant un foisonnement de textes ? Le droit international et le droit européen auront-ils à l'avenir davantage d'influence sur la sécurité sociale suisse ? La réponse réside d'abord dans le résultat des négociations Suisse-Communauté européenne : un aboutis- sement aurait des effets significatifs en matière de coordination (protection des personnes qui se déplacent). D'une manière générale, les grands principes ont tendance à se rappro- cher80. Un regard intéressé et attentif mérite d'être porté aussi sur les évolutions relatives à l'harmonisation et à la convergence. Comme le relève justement Bettina KAHIL « ( ... ) même au-delà des obligations juridiques découlant des Traités, le droit social de la 76

77

78

79 80

Raymond SPIRA : Le nouveau régime de l'assurance-maladie complémentaire. Revue suisse d'assurances/Schweizerische Versicherungs-Zeitschrift 1995, N° 7/8, pp. 192 sv.

Voir ci-dessus le N° 22.

Les leçons de l'opting out britannique peuvent être méditées avec profit ! Voir Jacques- André SCHNEIDER: A propos du libre choix de la caisse de pensions. Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, N°16-1996, pp. 61 sv. (pp. 66-67).

Voir ci-dessus les N°1-3.

Pierre-Yves GREBER : Les principes fondamentaux du droit international et du droit suisse de la sécurité sociale. Réalités sociales. Lausanne 1984.

(21)

118 CAHIERS GENEVOIS ET ROMANDS DE SECURITE SOCIALE N° 19-1997 .

P.-Y. GREBER DOCTRINE

Communauté européennes semble devenir une source d'inspiration pour l'évolution de la sécurité sociale en Europe occidentale »81 . Tout en gardant la richesse de notre expé- rience et les qualités de notre système, laissons-nous donc inspirer !

81

« Etre homme, c'est précisément être responsable.

C'est connaître la honte en face d'une misère qui ne semblait pas dépendre de soi.

C'est être fier d'une victoire que les camarades ont remportée.

C'est sentir, en posant sa pierre, que l'on contribue à bâtir le monde».

(SAINT -EXUPERY, Terre des hommes, II).

* * * * *

Bettina KAHIL: L'influence du droit conununautaire sur le développement de la sécurité sociale, cité à la note 9, p. 108.

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