Les patrologies Syriaque et Orientale
et la
Revue de l'Orient Chrétien
Présentation par
F.Nau
Extraitede la
Revue de l'Orient Chrétien
1907
LES PATROLOGIES SYRIAQUE ET ORIENTALE
ET LA REVUE DE L'ORIENT CHRÉTIEN
Le
touriste, après avoir gravi péniblement une montagne, prend plaisiràrevoir lechemin
parcouru, à découvrir de nou- veaux horizons et à former, de son observatoire, les plans de nouvelles excursions', c'est-à-dire de nouvelles fatigues.On
nous permettra de nous accorder une satisfaction analogue et,après l'apparition du
tome
II de la Patrologie Syriaque, des tomes I et IIde la Patrologie Orientale et de sixnuméros
dela seconde série de YOrient Chrétien, dejeter
un
coup d'œil sur le chemin parcouru etde prévoir lesfuturstravaux.Il y a près de vingtans que M«' Graffin, professeur à l'Ins- titut catholique de Paris, formait le projet de compléter les Patrologies de
Migne
par la publication destextesOrientaux.L'entreprise était beaucoup plus difficile que celle de Migne, lequel n'avait qu'à réimprimer d'excellentes éditions et pou- vaittrouver facilement des
hommes
connaissant assez de grec et de latin pour corriger des réimpressions.IIn'envapasde
même
pourles textes orientaux.La
plupart sont inéditsetse trouvent parfragments dansun
grandnom-
bre de bibliothèques; les textes éditéseux-mêmes
n'ont sou- vent que des éditions provisoires basées sur quelquesmanus-
crits et
non
sur l'ensemble des manuscrits.Nous
ensommes
donc, pour ces textes, au pointoùl'onen était,pour les textes grecs et latins, au
commencement
du xvi" siècle, avant les éditionsdes bénédictinsetde leursémules.On
doit vaincreles difficultésscientifiquesde recherche des manuscrits,collations, traductions et éditions, enmême
temps que les difficultés ty- pographiques, les seules que connut Migne.M^
Graffin espérait triompher des difficultés scientifiques avec 1appui desnombreux
savants qui consacrent en toutORIENT cmuÈmN. 8
114 REVUE DE l'orient CHRÉTIEN.
pays leurs labeurs aux langues orientales et avec Taide de ses meilleurs élèves. Sans parler
du
contrôle continu qu'il comptait exercer sur les publications, il se réservait, dans la PatroiogieSyriaqiie^ la tâchela plus ingratemais la plusim-
portante, qui était de collationner les divers manuscrits, caril
ne concevait alors que des éditions ne varietur, autant
du
moins que sesforceslelui permettraient.Restaient les difficultés typographiques, et elles étaientplus nombreuses pour lestextes orientaux que pourlestextesgrecs et latins.
En
effet, Migne, qui aédité demanière suffisante destextes grecs-latins, s'est trouvé, au moins une fois, en pré- sence d'untexte syriaque(1). Celui-ci avaitété édité et traduit en latin parJ. Wetstein en 1752, corrigé et réédité par Gal- landi, traduit en allemand par Zingerle (1827) et en français parC. Villecourt. Migne se trouvaitdonc enprésence d'un
mo- nument
édité, réédité, traduiten trois langues, toutedifficulté scientifique semblait écartée. Et cependant, dans rédition Migne, les r remplacent les d, et réciproquement; lesm
sont pourlesc,lesn
pourlesi, les c pour lesbet réciproquement,les lettres à liaison remplacent les lettres isolées. Inutile
de
dire que les points diacritiques sont rares et que les points- voyelles manquent, mais les signes
du
plurieleux-mêmes
sont souvent omis ou se trouvent sur l'adjectif etmanquent
sur lenom
qui lerégit (2).De
plus, lacolonne syriaque occupedeux
fois la placede lacolonne latine, qui doit encore être allongée par de
nombreux
blancs; enfin les variantes, imprimées avecles caractères
du
texte, s'étagent disgracieusement au bas des pages.Etpour aboutiràcedésastreuxrésultat,enmatière aussifacile, Migne a encore
dû
recourir à l'imprimerie Impériale (1857), devenue depuis Nationale,et employer les anciens ca- ractères dessinés et fondus àRome
par lesAssémani et la ty-(1) Palrolofjiegrecque^ tomeI, col. 379à451 : Duae epistolaesanclidémentis {ad virgincs).
(2)Col. ;«1, 1. 21 »;û (pour »»û);
—
col. 383, 1. 14 .Nj^Cpour ^s^j^^);—
c. 385,1. 9 l^o^;oo (pour l^ûâ-^o);
—
col.389,I. 17^^(pourj^);—col. 391,1.8"^-^aa (pour'^-as). ._ihid' It^MÎ (pouriK^^t-f)-—
Col. 393,L 23o*ûoj(pour o*ûô^);1.22 »-oP(pour wo;a).
—
Col. 389, 1. 22f^?^^ (pour f^'^^).—
Danslesdoux premières colonneslessignesdupluriel figurentquatorzefoisetmanquentseize fois, etc., etc., etc. Notre butn'estpas decritiquerMigne, maisdefaire remar- quer surun exemple prischez ce célèbre éditeur, combien il était difticile de faireimprimercoiTectementen France un texteonentaJ.PATROLOGIES SYRIAQUE
pographie papale au xviii^siècle et devenus,parconfiscation, lestypes courantsde Timprinierie Nationale(1).
M*^Graffin
commença
par créerun
nouveau type de carac- tères syriaquesjacobites, àla fois élégants et faciles à juxta- poser au latin; il le réalisaen corps 16 eten corps 9 et achetaun
corps 7 pour les variantes. Pour donnerun
texte aussi« fini » que possible, il voulut lui ajouter les voyelles et, pour éviter leur chevauchement lorsqu'onles composesur une ligne spc^ciale, il les fit fondre avec la consonne correspondante.
Après quoi, avec Taide d'un de ses élèves, il publia(1894) le premier volumedelaPatrologieSyriaque comprenantles
œu-
vres d'Aphraates (hors la
Dém.
XXIIl) avec traduction latine et les variantes de tous les mss. accessibles. Le texte et la tra- ductionsont disposés sur colonnes parallèles; les variantes, les ,renvois à TÉcritureetde raresnotes figurentau bas des pages.
II suffira d'un coup d'œil jeté surcetouvrageet sur Tessai in-
formede Migne pourjuger
du
progrèsréalisé (2).• CependantlaPatrologieSyriaqueconçue
comme
une édition définitive, rencontrait de nombreuses difficultés. Il fallait d'a- bord recueillir touslesouvrages d'unmême
-auteur, rechercher tous les manuscrits accessibles, trouverun
savant qui voulût traduire en latin. Restaient ensuite les difficultés de collation de tous les mss., de mise en pages sur colonnes parallèles, de confection de lexiques et de tables que M**^ Graffin contrôlait et, leplus souvent, assumait personnellement.Pour concentrer tes reproductions des divers manuscrits d'un
même
ouvrage, ilavaiteu recours àlaphotographie;maisla photographie sur plaques, qu'il avait employée pour son premier volume de Patrologie Syriaque, lui paraissait lente,
(l) D'ailleurs cet établissement • nVxécute, pour le compte des particulio!*s, quelesouvragesexigeant l'emploi de caractères étrangers qui nese rencontrent pas dans les imprimeriesdu commerce •.Cf.Nouveau Larousse illustré^ t. V, p.249. Oncomprend en effetquecette imprimerie, fondéeetentretenueparles contribuables,nepuisseleur faire uneinégale
—
etparsuitedéloyale—
concur- rence. Migne ne pouvait donc pas compter sur elle pour Timpi-ession d'une longue suited'ouvrages.{2} Chacun imaginera facilement le nombre de voyagesqueÛU' Graflin dut
faireà l'imprimerie Firmin-Didot, au Mesnil,département de l'Eure, pour for-
mer compositeurs et correcteurs. 11 voulut assister en personne au tirage de chaquefeuillepourvérifier lesdernières correctionsetpouvoir répareraussitôt lesaccidents (brisou déplacementsdelettres) quipouvaientse produire durant
letirage.
116 REVUE DE l'orient CHRÉTIEN.
incommode, coûteuse. 11 chercha mieuxeteut lepremier Tidée d'employer, devant l'objectif,
un
prisme à réflexion totale qui donne du premier coup sur papier l'image négativeredressée de la pagedu manuscrit. Cette invention, àelle seule, suffirait à lui mériter la reconnaissance de tous les savants, car il en- seigna son procédé à qui voulut le connaître et alla jusqu'à laisserson premier appareil, alors unique, au photographe delaVaticane, Luchetti, afin qu'ilpûtêtre utilisé auprofitdetous.
Depuis lors les principales bibliothèques et bon
nombre
de sa- vants se firent construire des instruments analogues qui déri- venttousdirectementouindirectementdeceluideM^''Graffin(1).Le problème de la collation des manuscritsétait résolu.
Restaient les difficultés résultant des traductions latines et de la miseen pages. Deplus, M*' Graffin s'était rendu compte que la PatrologieSyriaque àelle seule entraîne de
nombreux
ouvrages chrétiens orientauxécritsen d'autres langues et pres- que tous inédits qui en sont les sources, les remaniements oules dérivés. 11 résolut donc de lui adjoindre une Patrologie Orientalequicomprendrait lestextes orientaux,et
même
grecs non imprimés par.Migne, traduits dans lalangueque le savant chargé de l'édition estimerait la plus avantageuse et qui pa- raîtraient parfascicules, au fur etàmesure de leur découverte ou de leur préparation, le texte au haut de la page et la. tra- duction au bas, et avec, sous le texte, les varianteset, sous la traduction, les renvois et lesnotes. Ces fascicules eux-mêmes, au fur età mesure de leur apparition, devaient être réunisen volumes, et former une collection de textes analogue à lacol- lection Texteund
Untersuchungen que M. Harnack a fondée et dirige avec tant de succès. Ce nouveau projet fut réaliséau Congrès international des orientalistes de 1897, avec l'aide de M. J. Perruchon et de savants de tous pays yenus à Paris àl'occasion dececongrès.Aussitôt
W
Graffin fitdessiner, graveret fondre un nouveau caractère éthiopien (corps 12et corps 9) et M. Perruchon voulut bien se charger d'éditer
Le
livre des(1) M«'Graffin exposa son appareil dephotographie à l'exposition universelle de 1900,Groupe 1,Classe3,n- 43du Catalogue,dansl'exposition particulière des professeui-sde l'enseignementlibre, qu'il fut seul à organiser,diriger et solder, et qui obtientdeux grandsprix, deuxmi-dailles d'or, deux médailles d'argent, une mt^daillode bronze.
b.-
117 mystères
du
ciel etde la terreet de préparer,de concert avecMM.
René Basset, Conti Rossini et I. Guidi, l'éditiondu Sy- naxaire
éthiopien. Les vicissitudes de cetteentreprise, lama-
ladie deM.J. Perruchon qui vint
un
instant la compromettre, et les circonstances dans lesquelles je fusamené
à offrir à M**Graffin,quiavaitétémon
maître etqui m'avait libéralementdonné
des photographies et des copies de mss., ont déjà été racontéesailleurs (1). De plus, le détail des ouvrages parus se trouve surlacouverturede laprésenteRevue. Ilme
suffit donc d'ajouter que les caractères créés exprès pour la Patrologie Orientale(éthiopien,corps12et9; arabe,corps16'; copte,corps 16 et9; estranghélo, corps 16et9; syriaque jacobitedéjàmen-
tionné, corps 16et9), lesquinze fascicules parus, lesneuffasci- cules quisontàTimprimerie ou entrenosmains prêtspourl'im- pression, sansparlerdestravauxenpréparation, sontunpositif
témoignage de la vitalitédecette
œuvre
et de son avenir (2). 11nous reste à ajouter quelques lignes sur le tome
H
de laPa-
trologie Syriaque et sur la
Revue
de VOrient Chrétien.Le
tome II de la Patrologie Syriaque contient :P
la dé- monstrationJrAY// d'Aphraate avecun
lexiquedetouslesmots employés par cet auteur, des tables desnoms
et des matièreset des citations de la sainte Écriture et une concordance
du
texte avec l'éditionprinceps de
W. Wright
; 2° Bardesane,Le
livre des lois des
pays
avec une étude sur l'auteur et ses ou- vrages et des tablescomme
ci-dessus; 3** deux rédactionsdu martyre
de saintSiméon
bar Sabba'éavec une étude sur la vie, les écrits, le martyre deSiméon
et sur la persécution de Sapor, et des tables; 4*l'Apocalypse et la lettre deBaruch
avecpréfaces et tables; 5**
Le
Testamentd'Adam
avec,en ap- pendice, ies Apotelesmata d'Apollonius de Tyane, source d'une partie du Testamentd'Adam.
Ce dernier écrit, qui est en langue grecque, est édité pour lapremière fois.^La
Revue
de VOrientChrétien^ fondée, en 1896, surl'initia-(1) Remie Critique, 1905-1906.
(2) Inutileencore de mettreen relief le nombre de lettres (un millier), d'an- nonces,d'articlesquiontété nécessairespourmettrecetteœuvreen train etles difficultésde tous genresprovenantsouvent desmoindrescausesmatériellesou dufaitde certains.Cesdifficultéspourraient facilement êtrecomparéesàtoutes les épreuves endurées par saintPaul : periculis lalronum, pericuUs exgénère, periculisexgerUibus, periculis incivitale.,,periculis infalsisfratribus.
118 REVUE DE l'orient CHRÉTIEN.
tive et avec le concours matériel deSaSaintetéLéonXIll,
pour
compléter par des articles de caractère plus nettement scien- tifique la Revue bi-mensuelle de la Terre Saintey avait été aiguillée de plus en plus, par M. Léon Clugnet, dans la voie scientifique d'éditions de textes chrétiens orientaux.À
la findt! sa neuvième année, des difficultés matérielles
menacèrent
son existence (1), mais leshommes
désintéressés et dévoués qui forment aujourd'hui son comité directeur (voir page2
de lacouverture) unirent leurs efforts pour la sauver. Actuel- lement cette Revue est ouverte à toutes dissertations relati- ves aux chrétiens orientaux. Elle peut ne pas s'occuper de la chronique locale, des
menues
nouvelles d'Orientet ne pasfaire de vulgarisation puisque tel est le rôle plus spécial de laRe-
vue dela Terre Sainte dontelle estle supplément.A
défautde
dissertations ellepublie des analyses ou traductions des textes orientaux inédits ainsi que de courts textes également inédits afin de vulgariser le plus vite possible les littératures orien- tales et de porter leurs œuvres à la connaissance des savants.
M*^Graffin consacra aussi k cette
Revue
une part de son acti- vité et lui obtint en particulier un secours de cent francsde
M. Sénart,membre
de l'Institut, et unedernière maistrèsim-
portantesubvention de Sa Sainteté Pie X.
Et maintenant il nous suffit d'ajouter que le tome IV de la Patrologie Syriaque est fort avancé, et que l'existence de la
Hevue
de l'Orient Chrétien est assurée pour plusieurs an- nées. Ce sera l'honneur de M*^ Graffin et de ses collaborateurs(1avoir si bien mis en relief les chrétientés orientales par ces collections do textes et de dissertations.
F. Nau.
(1) En mai 1905,à mon retour du congrès des Orientalistes d'Alger, lo pre- tuicrnumôron'cHaitpasonc.oro commencé.Je proposai alorsà Mr'Charmetant,
jt*distingua? directeurdesŒuvn^sd'Orient,delaRevue dela Terre Sainte etde
li^n supplt'mcnt laRevue de VOrienlChrétien,de diminuerlesdf^.penses et je lui oiTris do l'aire gratuitement fonction de secrétaire pour terminer la s»'Mne et fhcrcher une combinaison poursiiuver la,Revuej Fortde l'appui de RU^Char- metant et de Mk' Graffin, après bien des démarches inutiles,jetrouvai enfin M.TabbéJ.Bousquet,M.l'abbé L.Leroy etM.l'abbé E.Mangenot,professeursaux Institutsde Parisoud'Angere,pourunirleurseffortsauxnôtres.Cetteannéecha- cundesmembresducomité directeur verse cent cinquante francspour laReMie.