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Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC): de l’expertise ex post à l’expertise ex ante en matière de protection internationale de l’environnement

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Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC): de l'expertise ex post à l'expertise ex ante en matière de

protection internationale de l'environnement

MBENGUE, Makane Moïse

MBENGUE, Makane Moïse. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC): de l'expertise ex post à l'expertise ex ante en matière de protection internationale de l'environnement. In: Société française pour le droit international. Le droit international face aux enjeux environnementaux . Paris : Pedone, 2010. p. 189-206

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:56128

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LE GROUPE D'EXPERTS INTERGOUVERNEMENTAL SUR L'EVOLUTION DU CLIMAT (GIEC) :

DE L'EXPERTISE EX POST A L'EXPERTISE EX ANTE EN MATIERE DE PROTECTION INTERNATIONALE

DE L'ENVIRONNEMENT

par

Makane Moïse MBENGUE

Lecturer à la Faculté de droit de l'Université de Genève

et à l'Institut de hautes études internationales et du développement (Genève)

CIRCULARITE DE LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE ET DROIT DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES

La gestion des phénomènes environnementaux globaux a pour particularité d'être teintée d'incertitude scientifique. Une certitude génère une incertitude.

Une incertitude en cache nécessaire1nent une autre. Aussi, la gestion et la régulation internationales des phénomènes environnementaux sont-elles de nature diachronique. Elles n'obéissent pas à une logique linéaire dans laquelle l'incertitude scientifique se mue progressivement en certitude scientifique. Bien au contraire, elles s'inscrivent dans une dynamique circulaire au sein de laquelle certitude et incertitude s'entrecroisent, s'entremêlent et se neutralisent avec, comme conséquence récurrente, une persistance de l'incertitude1. C'est cette dynamique circulaire de la connaissance scientifique qui marque de son empreinte le droit international des changements climatiques et les mécanis111es sur lesquels il repose, dont notam1nent le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Afin de mettre en exergue la spécificité de l'expertise conduite par le GIEC, il est important, à titre préliminaire, de délimiter le contexte scientifique dans lequel évolue le droit international des changements climatiques.

La circularité de la connaissance scientifique, en tant que substrat du régime juridique relatif aux changements climatiques, différencie ce dernier de régimes soumis aux fourches caudincs de la linéarité de la connaissance scientifique.

1 Voir L. Boisson de Chazoumes, «Le droit et l'universalité de la lutte contre les changements climatiques», Cahiers droit, sciences & technologies, dossier« Droit et climat», 2009, vo!. 2, pp. 29-36.

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S.F.D.I. - COLLOQUE D'AIX-EN-PROVENCE

Le droit international ne remplit pas une fonction sociale identique selon qu'il repose sur une approche de circularité ou qu'il intègre une approche de linéarité de la connaissance scientifique. Dans la première hypothèse, le droit international exerce une fonction d'anticipation per se ou de «tout- anticipation ))2 des risques environnementaux. Dans la seconde hypothèse, le droit international joue un rôle de prévention ou de «mi-anticipation »3 des risques environnementaux.

La prévention des risques environnementaux se fonde sur un postulat majeur: la capacité des sujets de droit international à acquérir la certitude scientifique quant à l'existence et aux effets des risques environnementaux.

Ce postulat trouve une expression particulière dans le cadre de l' Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) de ! 'Organisation mondiale du commerce (OMC). L'article 5:7 dudit Accord4 permet aux Etats d'adopter des mesures restrictives du com1nerce international - mesures dites SPS - en cas d'« insuffisance de preuves scientifiques pertinentes». Toutefois, ces mesures ne peuvent être que (< provisoires », car les Etats membres de l'OMC sont tenus de les retirer dans un « délai raisonnable » au terme duquel ils sont présumés être en mesure d' « évaluer objectivement » les risques environnementaux et sanitaires, c'est-à-dire d'acquérir plus de certitude scientifique sur la nature <lesdits risques.

Seuls ces risques« objectivement évalués» peuvent faire l'objet de mesures SPS permanentes. L 'Accord S PS se profile, de ce fait, comme un instrument de prévention et non comme un instrument d'anticipation des risques environnementaux5.

L'anticipation des risques environnementaux s'appuie sur une prémisse autre : la capacité des sujets de droit international à capter ! 'incertitude scientifique liée à certains risques environnementaux. La différence est de taille.

Dans le contexte de la prévention, l'action des sujets de droit international est subordonnée prima facie à l'existence d'un seuil minimal de certitude scientifique sur les risques environnementaux. Dans le cadre de l'anticipation, l'action des sujets de droit international n'est point tributaire d'un quelconque seuil de certitude. L'incertitude scientifique devient le fait générateur de l'action en matière de protection internationale de l'environnement. D'ailleurs, pour permettre à l'incertitude scientifique de déployer tous ses effets, nombre

2 Sur les implications de ce concept, voir M. M. Tvlbengue, Essai sur une théorie du risque en droit international public. L'anticipation du risque environnemental et sanitaire, Paris, Pedone, 2009, pp. 97-116.

3 Sur le contenu de ce concept, voir ibid., pp. 65~96.

4 L'article 5:7 se lit comme suit: «Dans les cas où les preuves scientifiques pertinentes seront insuffisantes, un Membre pourra provisoirement adopter des mesures sanitaires ou phytosanitaires sur la base des renseignements pertinents disponibles, y compris ceux qui émanent des organisations internationales compétentes ainsi que ceux qui découlent des mesures sanitaires ou phytosanitaires appliquées par d'autres Membres. Dans de telles circonstances, les Membres s'efforceront d'obtenir les renseignements additionnels nécessaires pour procéder à une évaluation plus objective du risque et examineront en conséquence la mesure sanitaire ou phytosanitaire dans un délai raisonnable».

5 Sur ce point, voir L. Boisson de Chazoumes, M. M. Tvlbcngue, U. P. Thomas,« Réflexions sur la relation entre la science, l'incertitude scientifique et l' Accord sur les mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) », in Liber Amicorum Anne Petîtpierre-Sauvain. Economie Environnement Ethique: de la responsabilité sociale et sociétale, Genève, Schulthess, 2009, pp. 43-56.

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LE DROIT INTERNATIONAL FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

d'instruments internationaux de protection de l'environnement ont fait le choix d'une terminologie particulière. Ils ne se réfèrent pas expressément à } 'incertitude scientifique mais à l' « absence de certitude scientifique absolue » ou à l'« absence de certitude scientifique totale »6.

Un tel langage, interprété dans son sens ordinaire ainsi qu'à la lumière de l'objet et du but des instruments relatifs à la protection internationale de l'environnement, laisse penser que la détermination d'une situation d'incertitude scientifique n'est pas sujette à un seuil quantitatif et qualitatif minimal.

En d'autres termes, étant donné que, pour la majorité des nsques environnementaux, il est matériellement impossible de parvenir à une certitude scientifique «totale» voire «absolue», toute certitude scientifique, tant qu'elle n'est pas« absolue», peut être qualifiée d'incertitude scientifique. Partant, les instruments incorporant le langage en question font transparaître qu'il existe un état factuel quasi permanent d'incertitude scientifique dans certains pans de la protection internationale de l'environnement. A son tour, ledit état factuel d'incertitude sert de moteur pour l'adoption par les Etats de mesures d'anticipation des risques environnementaux.

Cette méthodologie juridique, qui vise à établir un lien rationnel ou une relation de connexité entre l'anticipation et l'incertitude scientifique, est nettement perceptible dans la Convention sur la diversité biologique, laquelle souligne «qu'il importe au plus haut point d'anticiper ( ... ) les causes de la réduction ou de la perte sensible de la diversité biologique à la source et de s'y attaquer »7, tout en indiquant que, «lorsqu'il existe une menace de réduction sensible ou de perte de la diversité biologique, /'absence de certitudes scientifiques totales ne doit pas être invoquée comme raison pour différer les mesures qui permettraient d'en éviter le danger ou d'en atténuer les effets »8.

La Convention-cadre sur les changements climatiques s'inscrit dans la même démarche. Elle relève que la « prévision des changements climatiques recèle un grand nombre d'incertitudes, notamment en ce qui concerne leur déroulement dans le temps, leur ampleur et leurs caractéristiques régionales »9.

Elle pose comme principe que les Etats Parties doivent « prendre des mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques et en limiter les effets néfastes», de telle sorte que, «quand il y a risque de perturbations graves ou irréversibles, l'absence de certitude

6 Voir, par exemple, Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, Rio de Janeiro, 13 juin 1992, principe 15 (le texte de la Déclaration de Rio est disponible dans L. Boisson de Chazournes, R. Desgagné, M. M. Mbengue, C. Romano, Protection internationale de l'environnement, Paris, Pedone, 2005, p. 13). Voir aussi Convention sur les polluants organiques persistants, Stockholm, 22 mai 2001, article l°' (ibid., p. 521).

7 Convention sur la diversité biologique, Rio de Janeiro, 5 juin 1992, préambule (ibid., p. 118).

8 Convention sur la diversité biologique, Rio de Janeiro, 5 juin 1992, préambule.

9 Convention~cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, New York, 9 mai 1992, préambule (le texte de la Convention est disponible dans L. Boisson de Chazoumes, R. Desgagné, M.

M. Mbenguc, C. Romano, op. cit., p. 394).

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S.F.0.1. - COLLOQUE D'AIX-EN-PROVENCE

scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l'adoption de telles mesures »10.

Le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est également guidé par la logique d'anticipation puisqu'il renvoie à l'article 3 de la Convention11, lequel érige en principe le fait que« l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte POUr différer» l'adoption de inesures d'anticipation des changements climatiques, L'anticipation et l'incertitude scientifique sont donc au cœur du régime juridique relatif aux changements climatiques. Elles imprègnent les mécanismes sur lesquels repose ledit régime, dont en particulier l'expertise menée par le GIEC. A partir du moment où l'ossahrre et le modus operandi d'un mécanisme s'articulent autour d'une approche d'anticipation aux fins d'objectivation de l'incertitude scientifique, le mécanisme en question est susceptible de relever de la catégorie générique des mécanismes de type ex ante12.

L'expertise du GIEC se profile ainsi en tant qu'expertise ex ante. C'est une expertise qui a pour vocation principale d'apporter un traitement anticipatif aux risques environnementaux liés au phénomène des changements climatiques. La nature d'expertise ex ante de l'activité du GIEC est renforcée par le fait que c'est une expertise articulée autour de la quantification et de la qualification de l'incertitude scientifique entourant les risques susceptibles de découler des changements climatiques. L'activité du GIEC ne se confine pas au traitement curatif des dommages, c'est-à-dire à une intervention postérieure à la réalisation de dommages afin d'en déterminer les raisons et les conséquences. De même, l'activité du GIEC ne se cantonne pas à une quantification et à une qualification des aspects des changements climatiques faisant l'objet de certitude scientifique.

Le traitement curatif et la certitude scientifique sont les ingrédients d'une expertise ex post et non d'une expertise ex ante. Là ne se limite pas la dichotomie entre expertise ex post et expertise ex ante. Cette dernière est une expertise

«à finalité politique »13 qui vise à« éclairer, nuancer et ordonner »14 la décision juridico-politique dans le champ de la lutte contre les changements climatiques.

10 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, New York, 9 inai 1992, article 3.3 (ibid.).

11 Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 1 1 décembre 1997, préambule.

12 Pour une application d'une telle approche dans le champ des mécanismes d'alerte, voir M. M.

Mbengue, «Les mécanismes d'alerte dans le champ du vivant», in E. Brosset (dir.), Le rôle des acteurs privés en droit international et européen du vivant, Paris, La Documentation française, 2009, pp. lll-138.

13 R. Encînas de Munagorri et O. Leclerc, «Théorie du droit et expertise : conclusion prospective sur les apports de l'analyse juridique», in R. Encînas de Munagorri (dir.), Expertise et gouvernance du changement climatique, Paris, LGDJ, 2009, p. 205.

14 Formule inspirée du rapport de !'Organe d'appel dans Etats-Unis - Prohibition à l'importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes, 12 octobre 1998, WT/DS58/AB/R, para. 153,

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LE DROIT INTERNATIONAL FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

Contrairement à l'expertise ex post, l'expertise ex ante n'a pas pour but unique la

« co1npréhension des faits »15.

Lorsque l'on analyse de près le GIEC, il est aisé de constater que les différents traits caractéristiques précédemment évoqués de l'expertise ex ante sont perceptibles à l'arme du cadre juridique qui régit le mandat du GIEC en tant que tel, autrement dit à l'échelle des instmments constitutifs du GIEC16. Les instruments constitutifs définissent le mandat constitutionnel du GIEC en tant qu'organe d'expertise ex ante. Ce mandat repose sur deux piliers qui correspondent chacun à un niveau de compétence attribuée au GIEC. Le premier est qualifiable de niveau de compétence inhérente dans la mesure où les instruments constitutifs ne le définissent pas explicitement. Il se réfère au traitement de l'incertitude scientifique par le GIEC (B). Le second niveau de compétence renvoie à une compétence explicite du GIEC, à savoir l'initiation d'instruments juridiques relatifs aux changements climatiques (C). Ces deux niveaux de compétence sont, en réalité, régis et orientés par le principe directeur essentiel de l'expertise du GIEC, à savoir l'anticipation des risques liés aux changements climatiques (A).

A. Le principe directeur de l'expertise du GIEC : l'anticipation des risques liés aux changements climatiques

Le GIEC a été créé conjointement, en 1988, par !'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour

!'Environnement (PNUE)17. C'est un organe intergouvernemental non doté de la personnalité juridique internationale. La qualité de membre du GIEC est reconnue à tous les Etats membres de !'Organisation des Nations Unies (ONU) et de l'OMM18. L'ancrage du GIEC dans une logique d'anticipation des risques liés aux change1nents climatiques est antérieur même à sa création. En effet, dans sa Résolution 9 (Cg-X), qui reconnaît le besoin d'une entité interdisciplinaire chargée des questions scientifiques relatives au climat global, le Congrès de

!'OMM insistait sur le fait que !'OMM « through the World Climate Programme, has a responsibility to provide Members with state-oj:...the-art

15 O. Leclerc, «Les règles de production des énoncés au sein du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat», in R. Encinas de Munagorri (dir.), Expertise et gouvernance du changement climatique, op. cit., p. 92.

16 Par << instrmnents constitutifs)), il faut entendre tous les instruments juridiques qui, directement ou

indirectement, concourent à définir et à délimiter le mandat du GJEC.

17 La présente contribution n'a pas pour objet de retracer dans le détail les étapes qui ont conduit à la création du GIEC. Pour une analyse complète de l'histoire du GIEC, voir: Sh. Awragala, << Context and Early Origins of the Intergovernmental Panel on Climate Change», Climatic Change, 1998, vol.

39, p. 605 ; T. Skodvin, Structure and Agent in the Scient[fic Diplomacy of Climatic Change: An Empirical Case Study of Science-policy Interaction in the Intergovernmental Panel on Climate Change, La Haye, Kluwer, 2000; R. Encinas de Munagorri, «L'organisation de l'expertise sur le changement climatique>), in R. Encinas de Munagorri (dir.), Expertise et gouvernance du changement climatique, op. cit., pp. 46~48.

18 Le GIEC compte 194 Etats membres au 1 "'novembre 2009.

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S.F.D.I. -COLLOQUE D'AIX-EN-PROVENCE

projections of' long-tenn changes in the global climate »19. L'idée de

«projections à long-terme» traduit le souci d'anticipation qui devait présider à la constitution du (JIEC en tant qu'instance d'expertise.

La Résolution 4(EC-XI) du Conseil exécutif de ! 'OMM portant création du GIEC confirme le caractère anticipatif de l'expertise devant être fournie par le GIEC. Elle souligne, en effet, que la communauté internationale est confrontée à un besoin de « maintain and develop further an efficient long-term monitoring system, making it possible to diagnose accurately the current state of the climate system, the trends, and the factors having an iryfluence on climate ».20 L'expertise du GIEC, tel qu'il ressort de la Résolution 4(EC-Xl), ne se limite donc pas à faire un diagnostic de l'état présent du système climatique mais également à prédire ou à anticiper l'étatfatur du climat global21.

D'ailleurs, un indicateur déterminant renforce la légitimité de cette affirmation. Il s'agit du patronyme du GIEC lui-même : Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat. L'appellation « contrôlée » du GIEC en anglais est moins prescriptive : lntergovernmental Panel on Climate Change (!PCC). Le mot «change», dans sa stricte acception, pourrait laisser sous-entendre que les changements climatiques couvrent exclusivement des situations de fait avérées, voire cristallisées. Partant, l'activité du GIEC se limiterait à analyser scientifiquement les conséquences des changements climatiques. Autrement dit, à travers l'appellation anglaise du GIEC, il pourrait être présumé qu'en réalité le GIEC accomplit à titre principal des activités d'expertise ex post. Or, tel n'est pas le cas, ni en vertu de son mandat constitutionnel ni à la lumière de sa pratique.

La terminologie française «évolution» reflète mieux l'activité d'expertise du GIEC dans sa globalité et sert de terreau à la fertilisation de cette activité. Elle implique que le GIEC s'intéresse de prime abord, et à titre principal, à des situations de fait potentielles dans le cadre de la lutte contre les changements climatiques, situations qui surviendront peut-être ou ne surviendront jamais.

19 Voir OMM, Resolutions ofTenth Congress (Geneva, 4-28 May 1987), 9(Cg-X) -Global Climate Change. Seul le texte anglais de la Résolution est disponible à ! 'adresse suivante : http :/ /www. wmo. înt/pages/ govemance/po licy /documents/ 5 08 _ E. pdf

20 Voir OMM, Resolutîons of the Fortieth Session of the Executive Council (Geneva 7-16 June 1988), 4(EC-XL) - Intergovernmental Panel on Climate Change. Seul le texte anglais de la Résolution est disponible à l'adresse suivante : http://www.wmo.int/pages/governance/polîcy/documents/508 _ E.pdf

11 L'importance du temps futur en matière de lutte contre les changements climatiques a été reconnue dans le rapport de !'Organe d'appel rendu dans l'affaire Brésil - Pneus. L'Organe d'appel a considéré que: «Nous reconnaissons que certains problèmes complexes liés à la santé publique ou à l'environnement peuvent être traités uniquement au moyen d'une politique globale comprenant de multiples mesures interdépendantes. A court terme, il peut être difficile de discerner la contribution apportée par une mesure spécifique à la réalisation d'objectifs concernant la santé publique ou l'environnement de celles qui sont imputables aux autres mesures faisant partie de la même politique globale. De plus, les résultats obtenus grâce à certaines actions - par exemple, des mesures adoptées en vue d'atténuer le récha1!1fement de la planète et le changement du climat, ou certaines actions préventives visant à réduire l'incidence de maladies qui peuvent ne se manifester qu'après un certain temps peuvent uniquement être évalués avec Je recul>> (Brésil - Mesures visant l'importation de pneumatiques rechapés, rapport de !'Organe d'appel, 3 décembre 2007, doc. WT!DS332/AB/R, par.

151 ).

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LE DROIT INTERNATIONAL FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

C'est, en partie, ce trait de caractère qui permet de mettre en relief la singularité de l'expertise du GIEC en tant qu'expertise ex ante. Mais seulement en partie.

La complexité de l'expertise conduite par le GIEC est telle qu'il faut se pencher sur d'autres pans de son activité pour l'appréhender dans toute sa dimension.

B. Une compétence inhérente

à

l'expertise du GIEC : le traitement de l'incertitude scientifique

De manière générale et in abstracto, 1' expertise se définit comme la procédure destinée à éclairer une personne chargée de prendre une décision22.

Vue sous cet angle, l'expertise remplit une fonction cognitive. Elle a pour objet et but un apport de connaissances scientifiques et techniques à des fins de prise de décision ou pour améliorer la connaissance générale d'un phénomène tel que les changements climatiques. A ce niveau, l'expert s'apparente à l'interprète d'un traité dont la tâche consiste principalement, en vertu des règles coutumières d'interprétation du droit international public, à éclairer le sens ordinaire des termes d'un traité. Une telle perspective est palpable dans la Résolution 4(EC- XI) du Conseil exécutif de !'OMM précitée. La Résolution insiste sur le besoin de « improve our knowledge of the sources and sinks oj' the major radiative/y important trace gases ("greenhouse gases "), and develop more relîab1e methods for predicting their future atmospheric concentrations »23. Elle interpelle, en outre, les Etats sur la nécessité de « promote research aimed at closing gaps in our ability to understand and predict the climate system »24. La fonction de clarification de la connaissance attachée à l'expertise du GIEC transparaît nettement dans ces passages de la Résolution 4(EC-XI).

Toutefois, dans le champ de la lutte contre les changements climatiques, l'expertise ne se limite pas à sa dimension in abstracto. Elle inclut également une dimension in concreto. Cette dernière a trait spécifiquement à l'objectivation de la« non connaissance» ou de l'incertitude scientifique. Il ne s'agit plus pour l'expert de se limiter à fournir aux décideurs une connaissance scientifique ou technique sur une question. L'expert entreprend une démarche particulière qui consiste à évaluer ce qui dans la connaissance per se relève, d'une part, de la certitude scientifique et, d'autre part, de l'incertitude scientifique. L'expert dissèque et décode concrètement chaque composante ainsi que chaque aspect de la connaissance liée au phénomène des changements climatiques afin de pénétrer le domaine réservé de l'incertitude. C'est en cela que l'expert s'inscrit dans une démarche in concreto.

22 Voir, sur cette définition, R. Encinas de Munagorrl et O. Leclerc,« Théorie du droit et expertise:

conclusion prospective sur les apports de l'analyse juridique», op. cit., p. 203. Les auteurs indiquent que « les définitions de l'expertise sont nombreuses ; elles se recoupent pour reposer sur un apport de connaissances à des fins de prise de décision( ... ). Envisagée dans ce qui fait son unité, l'expertise se caractérise par deux traits principaux. Elle suppose l'existence d'une procédure orientée vers la décision. Elle fait l'objet d'une commande créant un lien de droit entre l'expert et le commanditaire de l'expertise».

23 Voir OMM, Resolutions of the Fortieth Session of the Executive Council (Geneva 7-16 June 1988), 4(EC-XL) - Intergovemmental Panel on Climate Change, op. cit.

24 Ibid.

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S.F.0.1. - COLLOQUE D'AIX-EN-PROVENCE

La Résolution 4(EC-XI) du Conseil exécutif de !'OMM fait de cette dimension de l'expertise le fil d'Ariane de l'expertise conduite par le GIEC. En effet, le mandat du GIEC en vertu de la Résolution est d' « assess the scientific information that is related to the various components of the climate change issue such as emissions of major greenhouse gases and modification of the Earth 's radiation balance resulting there.from, and that needed to enable the environmental and socio-economic consequences of clirnate change to be evaluated »25. La Résolution 9(Cg-X) du Congrès de !'OMM, laquelle a posé les jalons vers la création du GIEC, prévoyait déjà que le « Programme climatique mondial » couvre « all scientific aspects of global climate change, including the collection and analysis of data »26.

Etant appelée à appréhender tous les aspects scientifiques des changements climatiques, l'expertise du GIEC ne se limite pas à éclairer la connaissance en vue de la prise de décision ; elle vise également à obscurcir la connaissance afin de notifier à la communauté internationale les zones et poches d'incertitude scientifique liées à la connaissance des changements climatiques. Dans ce sillage, l'expert n'agit pas en tant que tel comme l'interprète d'un traité et s'évertue plutôt à révéler le « sens ambigu ou obscur »27 de la connaissance scientifique. C'est ainsi qu'il convient de comprendre l'invitation qui avait été faite au GIEC par l'Assemblée générale des Nations Unies de prendre les mesures en vue de disposer d'une «étude d'ensemble et de recommandations»

sur «l'état des connaissances en climatologie et en matière d'évolution du climat »28. Cette préoccupation tendant à définir le certain et l'incertain en matière de connaissance sur le phénomène des changements climatiques trouve une résonance particulière dans la Résolution 44/207 <.<. Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures » qui insiste sur la « nécessité d'effectuer des travaux de recherche et des études scientifiques supplémentaires sur les origines, causes et effets des change1nents clùnatiques »29.

Le discours de l'expertise s'en trouve redéfini. I1 n'est plus teinté de certitude scientifique; c'est un discours faisant appel au doute. Les quatre rapports d'évaluation30 rendus par le GIEC mettent en lumière cette dynamique31. Ils révèlent ce que 1' on a qualifié de compétence inhérente du

25 Voir OMM, Resolutions of the Fortieth Session of the Executive Council (Geneva 7-16 June 1988), 4(EC-XL) - Intergovemmental Panel on Climate Change, op. cil.

26 Voir OMM, Resolutions ofTenth Congress (Geneva, 4-28 May 1987), 9(Cg-X) -Global Climate Change, op. cil.

27 Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969, article 32 a).

28 Voir Résolution 43/53 du 6 décembre 1988, <i Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures», point 10.

29 Voir Résolution 44/207 du 22 décembre 1989, «Protection du climat mondial pour les générations firésentes et futures».

0 Les rapports d'évaluation comprennent plusieurs volumes et fournissent des informations scientifiques, techniques et socio-économiques sur les change1nents c\ilnatîques, leurs causes, leurs incidences et les mesures qui pourraient être prises pour y faire face.

31 La présente contribution n'a pas pour ambition d'explorer les règles d'adoption des différents documents et rapports du GIEC. Cette question a fait l'objet d'un article très détail!é et co1nplet. Voir O. Leclerc,« Les règles de production des énoncés au sein du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat», op. cit.

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LE DROIT INTERNATIONAL FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

GIEC, en l'occurrence le traitement de l'incertitude scientifique liée aux changements climatiques. Le premier rapport (1990) faisait manifestement état de la situation extrême d'incertitude scientifique à laquelle était confrontée la communauté scientifique internationale quant aux origines du réchauffement climatique. Le GIEC constatait à ce moment là que «l'importance du réchauffement climatique est grossièrement cohérente avec les prédictions des modèles climatiques, mais elle est aussi comparable à la variété naturelle du climat »32. Le deuxième rapport (1995) demeure prudent sur l'origine anthropique des changements climatiques et indique timidement qu'« un faisceau d'éléments suggère qu'il y a une influence perceptible de l'homme sur le climat global »33. Pour certains partisans de la science dure (sound science), l'utilisation du verbe « suggérer » pourrait laisser planer des doutes sur le caractère scientifique de l'expertise du GIEC. Toutefois, le recours à un tel langage se justifie eu égard à la dimension in concreto de l'expertise menée par le GIEC.

Cette dernière a pour vocation première d'attirer l'attention de la communauté internationale sur les zones d'incertitude marquant le phénomène des changements climatiques.

Le troisième rapport d'évaluation (2001) du GIEC quitte la sphère de la

«suggestion» pour entrer dans celle de la «probabilité». Le rapport déclare que

« la plus grande part du réchauffement observé au cours des 50 dernières années a probablement été occasionnée par l'augmentation des concentrations en gaz à effet de serre »34. A ce stade, même si le ton employé par le GIEC devient beaucoup plus empreint de certitude, le rapport d'évaluation démontre que l'on n'est toutefois pas dans une situation de certitude scientifique « absolue» et que, dès lors, l'incertitude scientifique persiste sur certains aspects. Six ans plus tard, lors de la publication de son quatrième rapport (2007), le GIEC se fait plus affinnatif encore sur la probabilité que le réchauffement soit le résultat de l'activité humaine, mais sans exclure définitivement l'incertitude scientifique en la matière. Ce n'est plus probable; c'est «très probable »35. La seule certitude scientifique qui transparaît de son rapport c'est que «le réchauffement du système climatique ne fait aucun doute, comme l'indique de façon évidente l'observation de l'augmentation de la température moyenne de l'air et des océans, la fonte généralisée des neiges et des glaces et l'élévation moyenne du niveau des mers »36.

32 Cité par O. Leclerc, ibid., p. 59.

33 Deuxième Rapport d'évaluation du G!EC, Changements climatiques, 1995, Résumé à l'intention des décideurs, Genève, GIEC, 1995, disponible sur: http://www.ipcc.ch.

34 Voir Bilan 2001 des changements climatiques: les éléments scientifiques, Contribution du Groupe de travail l au troisième Rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), publié sous la direction de J. T. Houghton, Y. Ding, D. J. Griggs, M.

Noguer, P.J. van der Linden et D. Xiaosu, disponible sur: http://www.ipcc.ch.

35 Le rapport affirme que la« majeure partie de l'augmentation moyenne de la température observée depuis le milieu du XXe siècle est très probablement due à l'augmentation observée de la concentration de gaz à effet de serre émis par l'activité humaine». Voir Bilan 2001 des changements climatiques: les éléments scientifiques, ibid.

36 Changements climatiques 2007: les éléments scienâfiques, Contribution du Groupe de travail I au quatrième Rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, Résumé à l'intention des décideurs, Résumé technique et questions fréquentes, publié sous la

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S.F.D.I. -COLLOQUE D'AIX-EN-PROVENCE

Après dix-sept ans, force est précautionneuse sur certains climatiques.

de constater aspects du

C. Une compétence explicite :

que l'expertise du GIEC reste phénomène des changements

l'initiation d'instruments juridiques relatifs

à

la lutte contre les changements climatiques

L'initiation ou l'élaboration par le GIEC d'instruments juridiques internationaux symbolise le «.fons et origo »37 de la nature ex ante de l'expertise du GIEC. Avant d'en brosser les contours, il convient de mettre à jour un autre aspect de la distinction entre expertise ex post et expertise ex ante.

La différence majeure entre expertise ex post et expertise ex ante a trait à la relation juridique (« legal bond» en anglais) qu'entretient chacune de ces expertises avec les instruments juridiques internationaux de protection de l'environnement. L'expertise ex post inscrit l'activité des experts dans la mise en œuvre d'un instrument relatif à la protection de l'environnement38 ou dans le contentieux international hé à l'application ou à l'interprétation dudit instrument39. C'est donc une expertise qui intervient dans la phase ultérieure à l'adoption d'un instrument international. Au sein de la Convention-cadre sur les changements climatiques, le rôle d'expertise ex post est principalement dévolu à l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique40 ainsi qu'à l'Organe subsidiaire de mise en œuvre41. Ces deux organes sont composés respectivement d'experts« multidisciplinaires» ou spécialisés« dans le domaine des changements climatiques» dont l'activité d'expertise concerne essentiellement l'application de la Convention-cadre sur les changements climatiques, ce qui apparaît clairement pour l'Organe subsidiaire de mise en œuvre en raison de sa dénomination. De plus, la Convention-cadre indique que

direction de S. Solomon, D. Qin, M. Manning, Z. Chen, M. Marquis, K. Averyt, M. Tignor et H.L.

Miller Jr., Genève, GIEC, 2007, disponible sur: http://www.ipcc.ch.

37 Formule qui évoque l'origine d'une situation en général et reprise de l'arrêt du 20 décembre 1974 rendu par la Cour internationale de Justice dans l'affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c.

France), C.I.J Recueil 1974, para. 31.

38 Bien que le Règlement sanitaire international (2005) de }'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne soit pas un instrument de protection de l'environnement, il offre une belle illustration de cette dimension de l'expertise ex post. En effet, l'article 48 du Règlement sanitaire international prévoit que le Directeur général de !'OMS crée un Comité d'urgence d'experts qui« donne son avis sur: a) la question de savoir si un évènement constitue une urgence de santé publique de portée internationale ; b) la question de savoir si une urgence de santé publique de portée internationale a pris fin"·

39 Pour un tel modèle en dehors du droit international de l'environnement, voir Mémorandum d'accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, Appendice 4 «Groupe consultatif d'experts». Voir, en particulier, point 6: «Le groupe consultatif d'experts soumettra un projet de rapport aux Parties au différend en vue de recueillir leurs observations et d'en tenir compte, selon qu'il sera approprié, dans le rapport final, qui sera également remis aux parties au différend lorsqu'il sera soumis au groupe spécial. Le rapport final du groupe consultatif d'experts aura uniquement valeur d'avis>>.

4

°

Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, New York, 9 mai 1992, article 9, op. cit.

41 ibid.

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LE DROIT INTERNATIONAL FACE AUX ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX

cet organe est« chargé d'aider la Conférence des Parties à assurer l'application et le suivi de la Convention »42.

Pour ce qui est de l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique, il suffit également de se rapporter à la lettre de la Convention- cadre qui stipule que l'organe a pour fonction inter alia « de faire le point, sur le plan scientifique, des effets des mesures prises en application de fa Convention » 43. Il est intéressant de noter que seule la dimension in abstracto de l'expertise caractérise l'activité de l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique. En effet, parmi les fonctions principales de l'organe, figure celle

« de faire le point des connaissances scientifiques sur les change1nents climatiques et leurs effets »44. Contrairement au GIEC, !'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique n'est pas chargé d'analyser ou d'évaluer les connaissances scientifiques. Il a plutôt pour mandat d'éclairer la Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques, organe chargé de prendre la décision en matière de lutte contre les changements climatiques. L'on perçoit ici le lien inhérent qui existe entre l'expertise ex post et la dimension in abstracto de l'expertise. Cependant, cela ne signifie pas qu'il y a une identité totale et automatique entre ces deux pans de l'expertise. Toute expertise ex post est en soi fondée sur une approche de 1 'expertise qui consiste à éclairer la décision d'un sujet de droit international (dimension in abstracto de l'expertise). Par contre, la dimension in abstracto de l'expertise ne repose pas nécessairement et inextricablement sur un mécanisme d'expertise ex post. Ladite dimension peut être intégrée à titre subsidiaire ou incident au sein d'un système d'expertise ex ante ainsi que l'illustre le GIEC.

Donner son effet utile à l'expression « faire le point » implique la reconnaissance d'une présomption en vertu de laquelle l'Organe subsidiaire de conseil scientifique et teclmologique sert de réceptacle à la certitude scientifique et non à l'incertitude scientifique. Le contexte (au sens de l'article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)) dans lequel se déploie l'expression «faire le point» renforce le caractère irréfragable d'une telle présomption. La même disposition, qui donne pour fonction à !'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique « de faire le point des connaissances scientifiques », prévoit concomitamment que l'organe a pour mandat de « répondre aux questions scientifiques » que la Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques et/ou ses organes subsidiaires pourraient lui poser. La <<réponse>> à une question scientifique présuppose la connaissance préalable de la réponse, et donc, par ricochet, l'existence d'une certaine certitude scientifique. Par contre, l' « évaluation » ( « assessment » en anglais) de la connaissance scientifique ne dépend pas d'une certitude scientifique préalable. L'évaluation peut tout à fait déboucher sur une situation d'incertitude scientifique. Or, le mandat du GIEC

42 Ibid., article l 0.1.

43 Ibid., article 9.2 b), op. cit.

44 Ibid., article 9.2 a).

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consiste prima jàcie en l'évaluation de l'information scientifique et non en l'apport de réponses à des questions scientifiques.

Dans plusieurs de ses résolutions, l'Assemblée générale des Nations Unies est ainsi allée jusqu'à qualifier le GIEC de « Groupe intergouvernemental pour /'étude du changement climatique » et non de Groupe intergouvernemental « sur l'évolution du climat »45. 11 serait trop simpliste de ne voir là qu'un problème de traduction de l'anglais vers le français46. L'usage répété, dans plusieurs résolutions de l'Assemblée générale, de l'appellation «Groupe intergouvernemental pour l'étude du change1nent climatique » témoigne de la perception que l'Asse1nblée se faisait de l'activité du GIEC: une activité d'évaluation et non une activité litnitée à la seule fourniture de réponses aux questions que soulèveraient au préalable les Etats membres de l'ONU et de

!'OMM, ainsi que la Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques ou certains organes principaux ou subsidiaires de ces organisations internationales. 11 n'est dès lors pas étonnant que les Principes régissant les travaux du GIEC (en anglais, Princip/es governing !PCC work) précisent que «the raie of' the !PCC is to assess on a comprehensive, objective, open and transparent basis the scientific, technical and socio-economic information relevant to understanding the scientific basis of risk of human- induced climate change, its potential impacts and options for adaptation and mitigation »47. L'objectif d'évaluation confirme plus que jamais la nature ex ante de l'expertise du G IEC.

Si ces divers facteurs permettent, certes, de singulariser le rôle du GIEC dans le droit international des changements climatiques, ils démontrent néanmoins qu'au sein d'un même régime juridique de protection de 1 'environnement, l'expertise ex post et l'expertise ex ante peuvent coexister et se soutenir 1nutuellement. Aucune de ces catégories d'expertise n'opère à l'iinage de régimes se suffisant à eux-mêmes (« self-contained regimes »). Expertise ex post et expertise ex ante communiquent bel et bien soit par l'entremise d'organes spécialisés dans l'un ou l'autre type d'expertise (relation entre !'Organe subsidiaire de conseil scientifique et technologique et le GIEC au sein de la Convention-cadre sur les changements climatiques), soit au sein d'un même système d'expertise (cas de l'expertise du GIEC qui revêt à certains égards une dimension in abstracto).

Ceci étant, chaque type d'expertise conserve son autonomie et son irréductibilité. L'expertise ex ante telle que conçue dans le cadre du GIEC renvoie à l'intervention des experts dans la phase d'initiation et d'élaboration

45 Voir, par exemple, Résolution 44/207 du 22 décetnbre 1989, «Protection du climat pour les générations présentes et futures», préambule, points 6 et 8. Voir également Résolution 45/212 du 21 décembre 1990, «Protection du climat pour les générations présentes et futures», point l.

46 Voir, par exemple, Résolution 43/53 du 6 décembre 1988 «Protection du clünat pour les générations présentes et futures», dans laquelle 1' Assemblée générale fait mention du «groupe intergouvernemental de l'évolution du climat».

47 Princip/es governing JPCC work, approved at the fourteenth session of the IPCC, Ier octobre 1998, para. 2, disponible sur: http://www.ipcc.ch. Les Principes ont été amendés lors de la 25ème session du GIEC en avril 2006. Seule la version anglaise est disponible.

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d'un instrument international relatif à la protection de l'environnement. L'expert participe non seulement à la compréhension scientifique des faits mais également à la« décision sur la force probante des informations scientifiques »48. Le rôle du GJEC dans l'initiation et l'élaboration d'instruments juridiques relatifs à la lutte contre les changements clünatiques fait partie intégrante de son mandat constitutionnel tel qu'établi dans la Résolution 4(EC-XJ) du Conseil exécutif de l'OMM portant création du GIEC. La Résolution prévoit e.î:pressis verbis que l'activité du GIEC, en plus de l'évaluation de l'information scientifique, doit consister à « formulating realistic response strategies for the management of the climate change issue ».49

L'expression « response strategies » est assez large pour couvrir une vaste palette de mesures susceptibles d'être formulées et proposées par le GJEC. Parmi ces mesures, figure bien entendu l'élaboration d'instruments juridiques internationaux relatifs aux changements climatiques. Ainsi, d'une compétence explicite visant des « response strategies », ont été déduites très vite des compétences en matière d'initiation et d'élaboration d'instruments juridiques relatifs à la lutte contre les changements climatiques. L'Assemblée générale des Nations Unies, dans sa Résolution 43/53 qui prend acte de la création du GJEC50,

a alors mandaté ce dernier, par l'entremise du Secrétaire général de l'OMM et du Directeur exécutif du PNUE, pour formuler des recommandations sur les

«stratégies envisagées pour retarder, limiter ou atténuer les effets d'une évolution nuisible du climat», sur le «recensement et le renforcement éventuel des instruments juridiques internationaux relatifs au climat», et surtout, sur les

«éléments à prévoir dans une éventuelle convention sur le climat »51.

Une telle consolidation de son mandat constitutionnel a des implications sur ce qu'il serait légitime d'appeler la fonction «normative>> du GJEC. Pour illustration, l'Assemblée générale, dans sa Résolution 45/212 qui a permis de lancer à l'échelle des Nations Unies les négociations sur la Convention-cadre sur les changements climatiques, a explicitement invité le comité intergouvernemental de négociations à s'appuyer sur le premier rapport d'évaluation du GIEC (<y compris son étude relative aux mesures juridiques »52. La publication des rapports d'évaluation du GIEC s'est suivie jusqu'à présent de l'adoption de nouveaux instruments juridiques relatifs aux changements climatiques. Pensons au rapport d'évaluation de 1995 et à l'adoption deux ans plus tard du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre sur les changements climatiques. Pensons également au rapport d'évaluation de 2001 qui a sans nul doute servi de moteur aux fameux Accords de Marrakech adoptés en 2001 lors

48 O. Leclerc, «Les règles de production des énoncés au sein du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat», op. cil., p. 88.

49 Voir OMM, Resolutions of the Fortieth Session of the Executîve Council (Geneva 7-16 June 1988), 4(EC-XL)- lntergovernmental Panel on Climate Change, op. cit.

50 Résolution 43/53 du 6 décembre 1998, «Protection du climat pour les générations présentes et futures».

51 Ibid., point 10, c), d), e).

52 Résolution 45/212 du 21 décembre 1990, «Protection du climat pour les générations présentes et futures», point 15.

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de la Septième Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre sur les changements climatiques. Le rapport d'évaluation de 2007 sera sûrement déterminant dans le cycle actuel de négociations du« Post-Kyoto 2012 ».

CONCLUSION :

« MOINS D'EXPERTISE EX ANTE, MIEUX D'EXPERTISE EX ANTE » •••

Il est crucial de relever que l'expertise ex ante du GIEC - perçue dans sa dimension initiation/élaboration d'instruments juridiques-, au gré de la pratique subséquente, s'émancipe au fil des ans et devient le point central du mandat du GIEC. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un regard attentif sur la pratique subséquente du Congrès et du Conseil exécutif de !'OMM. Par exemple, la Résolution 11 (1991) du Congrès de !'OMM mettait l'accent sur la nécessité pour le GIEC d'entreprendre un « scientific and technical work in support of the negotiations of a framework convention on climate change » et de procéder à

<<further environmental and socio-economic analyses for the various policy options from near- and long-term perspectives posed as response strategies »53. Dans le même sillage, en 1992, le Conseil exécutif de !'OMM demandait au GIEC de « provide scientific and technical assessments in support of the United Nations Framework Convention on Clirnate Change, in particular: (i) Such assessments related ta the objective of the Convention of "stabilization of greenhouse gases in the atmosphere at a level that would prevent dangerous anthropogenic interference with the climate system" (article 2 of the Convention) ))54.

Il apparaît clairement que le GIEC est de plus en plus appelé à jouer un rôle dans le façonnement des instruments juridiques relatifs à la protection du climat global. C'est pourquoi les divers instruments régissant l'expertise du GIEC font mention tant de sa fonction «scientifique» que de sa fonction «technique».

Cette dernière a acquis une importance telle dans le système d'expertise du GIEC que les organisations qui ont créé le GIEC s'orientent vers l'octroi à celui-ci d'une autonomie pleine et entière dans la conduite de son activité. La 14èrne session du Congrès de !'OMM a adopté une résolution demandant au GIEC « to review ifs terms of reference and propose updated terms of refi?rence for consideration and endorsement by the WMO Executive Council and, as appropriate by the Governing Council ofUNEP »55.

L'autonomie plus ou inoins grande conférée au GIEC révèle un autre aspect du caractère ex ante de l'expertise du GIEC. Il s'agit de l'autonomie dans l'initiation de l'expertise proprement dite. L'expertise ex post est toujours une

53 Citée dans GIEC, Review of JPCC Tenns of Reference (Submitted by the Secretariat), IPCC- XXV/doc. 8, 27 février 2006, 25ème session du GIEC, p. 1.

54 Ibid., p. 2.

55 Citée dans GIEC, Revîew of JPCC Terms of Reference (Submitted by the Secretariat), IPCC- XXV/doc. 8, 27 février 2006, 25•m• session du GIEC, p. 2.

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expertise «commandée »56. Elle met en rapport un commanditaire (un sujet de droit international) et un commandité (l'expert scientifique en général). Le système d'expertise du GIEC obéit à une autre logique. Le GIEC peut dans certains cas être à la fois le destinateur et le destinataire de 1 'expertise. En d'autres termes, c'est le GIEC qui initie l'expertise (les questions sur lesquelles il doit se pencher) et celle-ci s'adresse de premier chef au GIEC lui-même. La faculté pour le GIEC d'initier proprio motu son expertise ressort clairement des Principes régissant les travaux du GIEC. Ces derniers prévoient que « the Intergovernmental Panel on Climate Change shall concentrate its activities on the tasks allotted to it by the relevant WMO Executive Counci/ and UNEP Governing Council resolutions and decisions as well as on actions in support of the UN Framework Convention on Climate Change process » 57.

Le GIEC peut donc décider de sa propre initiative de conduire une expertise en relation avec la Convention-cadre sur les changements climatiques. Les Principes ne font pas mention de la nécessité pour le GIEC de soumettre son expertise aux décisions préalables de la Conférence des Parties (COP) à la Convention sur les changements climatiques. Ce pouvoir discrétiom1aire du GIEC, com1ne tout pouvoir discrétionnaire, fait l'objet de limites inhérentes. Une des limites objectives est celle en vertu de laquelle les rapports du GIEC

« should be neutral with respect to policy, although they may need ta deal objectively with scientific, technical and socio-economic .factors relevant to the application of particular policies ». C'est là que le bât blesse. L'expertise du GIEC doit rester neutre sur le plan politique, c'est-à-dire sur l'orientation politique qui doit découler de son expertise. Dans le même temps et en pratique, il est évident que J'expertise du GIEC intègre le politique58. C'est d'ailleurs ce côté expertise à « finalité politique » qui lui doillle une nature ex ante.

Face à cette propension du GIEC à développer Je contenant et le contenu de son expertise, il y a, à terme, un risque que certains Etats tentent de limiter l'expertise ex ante du GIEC, notamment les 'objecteurs persistants' au régime juridique actuel de lutte contre les changements climatiques. Ceci étant, il convient de se demander si l'optique tendant à prôner «moins d'expertise ex ante du GIEC » serait la plus appropriée. La réponse est négative. Il faudrait plutôt promouvoir l'idée du «mieux d'expertise ex ante du GIEC ». Pour ce faire, les Etats doivent en premier lieu prendre conscience du fait que l'étape du GIEC est en réalité une phase 'pré-préliminaire' de négociations internationales.

En effet, étant donné l'accord - les rapports étant en principe adoptés par consensus - qui peut se former dans la phase d'acceptation59, d'approbation60 et

56 R. Encinas de Munagorri et O. Leclerc, «Théorie du droit et expertise : conclusion prospective sur les apports de l'analyse juridique», op. cil., p. 203. Les auteurs soulignent que l' «expertise fait l'objet d'une commande créant un lien de droit entre l'expert et le commanditaire de l'expertise».

57 Principles governing !PCC work, approved at the fourteenth session of the IPCC, 1er octobre 1998, para. 1, disponible sur: http://www.ipcc.ch.

ss Il suffit de prendre en compte pour cela les «Résumés à l'intention des décideurs» (en anglais, Summariesfor Policymakers), documents établis par le GIEC.

59 L'acceptation signifie que «the material has not been subject to line by lîne discussion and agreement, but nevertheless presents a comprehensive, objective and balanced view of the subject matter ». Voir Procedure.1' for the preparation, review, acceptance, adoption, approval and

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d'adoption61 des rapports du GIEC, il est difficile de concevoir comment dans la phase de négociations d'un instrument juridique relatif au climat, les Etats pourraient se démarquer ou remettre en cause des conclusions qu'ils ont eux- mêmes approuvées. Les rapports d'évaluation et autres documents du GIEC ne sont certes pas l'expression d'un pacta sunt servanda tuais leur dénier tout effet juridique serait superfétatoire. Le GIEC est un organe intergouvernemental au sein duquel les Etats côtoient des scientifiques.

Cette réalité sociologique fait que les travaux du GIEC sont au moins une 'preuve de la pratique' des Etats, pratique dont la juridicité est difficilement contestable puisqu'elle implique des sujets de droit international. Pour les Etats parties à la Convention-cadre sur les changements climatiques et au Protocole de Kyoto, certains rapports du GIEC pourraient même s'apparenter à un «accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l'interprétation du traité ou de l'application de ses dispositions »62 si lesdits rapports concernent directement une disposition des instruments en question. Il est, par conséquent, crucial que les Etats membres du GIEC prennent conscience de sa dimension juridique. Une fois cette idée conscientisée, il revient aux Etats non pas de réduire la sphère d'intervention du GIEC mais de la rationaliser.

La rationalisation passe par deux étapes : une étape de lege lata et une étape de lege ferenda. La première étape consisterait pour les Etats à faire plus grand usage de leur droit à ! 'opinion scientifique contraire ou minoritaire dans les rapports et autres documents du GIEC. Ce droit est expressément reconnu dans les Principes régissant les travaux du GIEC. Il y est dit que« in taking decisions, and approving, adopting and accepting reports, the Panel, its Working Groups and any Task Forces shall use al! best endeavours to reach consensus (. . .).for approval, adoption and acceptance of reports, differing views shall be explained and, upon request, recorded. Differing views on matters of a scientific, technical or socio-economic nature shall, as appropriate in the context, be represented in the scientific, technical or socio-economic document concerned. Differences of views on matters of policy or procedure shall, as appropriate in the context, be recorded in the Report of the Session» 63. Les Principes offrent donc la possibilité aux Etats de faire entendre leur opinion scientifique et technique individuelle lorsqu'ils sont en désaccord avec le GIEC. Cette faculté permet aux Etats qui le

publication of !PCC Reports, Appendix A to Princîples governing IPCC work, 18 avril 1999, Deuxième partie, disponible sur: http://www.ipcc.ch

60 L'approbation ne concerne que les 11 Résumés à l'intention des décideurs» et signifie que «the material has been subjected to detailed, line by linc discussion and agreement». Voir Proceduresfor the preparation, review, acceptance, adoption, approval and publication of !PCC Reports, Appendix A to Principlcs goveming IPCC work, ibid., Deuxième partie.

61 L'adoption est définie comme suit« a process of cndorsement section by section (and not line by lîne) used for the longer report of the Synthcsis Report and for Overview Chapters of Methodology Reports ». Voir Procedures for the preparation, review, acceptance, adoption, approval and publication of !PCC Reports, Appendix A to Principles governing IPCC work, ibid, Deuxième partie.

62 Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, article 31.3 a).

63 Principles governing !PCC work, approved at the fourteenth session of the IPCC, 1er octobre 1998, para. 10, disponible sur: http://www.ipcc.ch

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