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Saint-Jacques et des marins-pêcheurs dans la baie de Saint-Brieuc Author(s): Michel CALLON

Source: L'Année sociologique (1940/1948-) , 1986, Troisième série, Vol. 36 (1986), pp. 169- 208

Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: https://www.jstor.org/stable/27889913

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des exp?riences scientifiques : controverses et r?plications

?L?MENTS POUR UNE SOCIOLOGIE DE LA TRADUCTION

Introduction

Les sociologues qui ont entrepris depuis quelques ann?es l'analyse d?taill?e des contenus scientifiques et techniques se trouvent dans une situation paradoxale. Les explications et interpr?tations qu'ils proposent sont en effet marqu?es d'une profonde asym?trie. Leur tol?rance est sans borne lorsqu'ils

reconnaissent aux scientifiques et aux ing?nieurs qu'ils ?tu dient le droit ? la controverse. Ils savent alors se montrer

impartiaux et traitent dans les m?mes termes les diff?rents protagonistes, n'accordant ? aucun d'entre eux, m?me ? ceux qui finissent par s'imposer, un de ces privil?ges nomm?s : rai

son, m?thode scientifique, v?rit? ou efficacit?, qui rendent compte du succ?s sans vraiment l'expliquer1. Cette attitude a

La domestication des coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc

par Michel CALLON

* (Version fran?aise d'un article ? para?tre en anglais in John Law (ed.), Power, Action and Belief : the New Sociology of Knowledge, Sociological Review Monograph 32, Keele and London, University of Keele and Routledge

and Kegan Paul.

1. Les principes m?thodologiques qui d?finissent le cadre d'analyse d'un nombre croissant d'?tudes sociales de la science ont ?t? expos?s en toute clart? par D. Bloor (Bloor, 1976) et caract?risent ce qu'il appelle le programme fort de la sociologie des sciences.

L'Ann?e sociologique, 1986, 36

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?t? ? l'origine de descriptions tr?s vivantes et tr?s d?taill?e de la science telle qu'elle se fait2.

Mais le lib?ralisme dont font preuve ces sociologues a des limites. Il ne va pas jusqu'? autoriser les acteurs ?tudi?s ? discuter ouvertement de la soci?t? et de sa constitution. Lors qu'ils rendent compte des aspects scientifiques et techniques des controverses, ces sociologues restituent fid?lement les points de vue en pr?sence et s'abstiennent ? juste titre de prendre partie. Ils admettent l'existence d'une pluralit? de descriptions de la nature entre lesquelles ils n'?tablissent aucune priorit? ni aucune hi?rarchie. Pourtant, et l? est le paradoxe, dans les analyses qu'ils proposent, ils agissent comme si cet agnosticisme ? l'?gard des sciences de la nature et des techniques ne pouvait ?tre ?tendu aux faits de soci?t?.

Pour eux la Nature est incertaine, mais la Soci?t? ne l'est pas3.

S'agit-il d'un simple privil?ge que, dans un r?flexe corpo ratiste, les sociologues s'accordent ? eux-m?mes en sous trayant leurs propres savoirs ? la discussion publique ? Ce n'est pas si simple. Cette asym?trie joue en effet un r?le essentiel dans l'explication des sciences et des techniques.

Puisque la Nature n'est pas en mesure d'?tablir ? elle seule le consensus entre les experts, il faut au sociologue et au philo sophe quelque chose de plus contraignant, de moins ?qui voque, pour expliquer la naissance, le d?roulement et l'?ven

tuelle fermeture des controverses. Certains placent cette force sup?rieure dans la m?thode scientifique et par voie de cons?

quence dans l'existence de normes sociales qui en garan

2. Ces ?tudes empiriques ont port? sur une grande vari?t? de domaines scientifiques. Les plus significatives, et parmi elles celles r?alis?es par T. Pinch et A. Pickering, ont ?t? regroup?es in K. Knorr, R. Knorr, R. Whitley

(eds), 1980. Signalons ?galement le num?ro sp?cial 11, 1 (1981) de Social Stu dies of Science consacr? aux controverses scientifiques. Voir ?galement : B. Barnes et S. Shapin (eds), 1979, ainsi que Wallis (eds), 1979. Un classique du genre reste : H.-M. Collins, 1975. Une bonne mise en perspective de ces

?tudes peut ?tre trouv?e in S. Shapin (1982).

3. C'est sans doute dans les analyses propos?es par les sociologues d'Edin burgh que cette affirmation appara?t avec le plus de nettet? (Barnes, 1979 et 1982 ; D. MacKenzie, 1978). Un bon bilan de cette sociologie a ?t? pr?sent?

par J. Law et P. Lodge (1984) qui l'ont mise en relation de fa?on tr?s f?conde avec la philosophie de M. Hesse (1974). Les ethnom?thodologues, ou ceux qui en sont proches, ?chappent en partie ? cette critique. De ce point de vue l'article de M. Lynch (1982) est exemplaire puisque l'auteur admet explicite ment la construction simultan?e du fait scientlflaue et du contexte social dont il ne saurait ?tre s?par?. Pour une utilisation de cet argument dans

l'analyse des textes, voir M. Call?n et al. (1984).

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tissent la mise en uvre4. D'autres recourent sans m?diation aucune aux forces sociales constitu?es, qu'il s'agisse de classes, d'organisations ou de professions5. Pour les uns et pour les autres, la Soci?t?, quelle que soit la description qu'ils en donnent, finit par avoir le dernier mot dans son face ? face avec la Nature. Si l'on supprime les normes, alors les sciences

s'effondrent ; si l'on nie l'existence des classes sociales et de leurs int?r?ts ou encore si l'on fait dispara?tre la lutte des scientifiques pour accro?tre leur capital de cr?dibilit? ou leur r?putation, alors les sciences et les techniques s'immobilisent, priv?es de tout ressort.

Ce privil?ge souvent implicite accord? aux sciences so ciales6 dans l'explication des sciences et des techniques conduit ? trois difficult?s majeures.

La premi?re, et la plus apparente, est d'ordre stylistique.

Alors que les scientifiques et les ing?nieurs engag?s dans les controverses les plus techniques doutent autant de la soci?t?

que de la nature, le compte rendu qui en est donn? gomme g?n?ralement toutes les discussions des acteurs sur les struc

tures sociales. Le sociologue a tendance ? censurer de fa?on s?lective les acteurs lorsqu'ils parlent d'eux-m?mes, de leurs alli?s, de leurs adversaires ou des contextes sociaux plus larges. Il ne les laisse s'exprimer en toute libert?, et sans juger le contenu de leurs propos que lorsqu'ils parlent de la Nature. Les quelques rares textes dans lesquels cette censure n'est pas exerc?e produisent un effet litt?raire tr?s diff?rent,

tout simplement parce que les acteurs ne sont pas amput?s

4. La croyance en l'existence de normes et en leur r?le r?gulateur est une des caract?ristiques fondamentales de la sociologie mertonlenne et post mertonienne qui se rattache ainsi au courant plus g?n?ral de l'analyse ?onc tionnaliste ou culturaliste des institutions (Merton, 1973). Cette croyance est partag?e explicitement ou implicitement par une grande partie des ?plst?

mologues ou des philosophes des sciences. La simple affirmation de l'existence d'une m?thode scientifique, quelle que soit la mani?re dont celle-ci est caract?ris?e, conduit n?cessairement au postulat de l'existence de normes, techniques ou sociales et par voie de cons?quence ? une sociologie ? laquelle les sociologues eux-m?mes ne croient plus gu?re. Pour ce recours aux normes comme explication ? en derni?re Instance ?, voir l'article arch?typlque de G. Freuden tha? (Freuden tha?, 1984). Plus on insiste sur l'existence d'une m?thode scientifique et plus la sociologie que n?cessite cette affirmation

s'av?re simpliste et d?pass?e.

5. C'est le cas des analyses d'inspiration marxiste (Yoxen, 1981). Dans cer tains cas les analyses produites sont remarquables (D. MacKenzie, 1978 ; S. Shapin, 1979 ; T. Kuhn, 1970).

6. Sur ce discours de ma?trise des sciences sociales et l'asym?trie qu'il produit, voir les critiques profondes de M. Serres (Serres, 1980) et de I. Sten gers (Prigogine et Stengere, 1979).

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d'une partie d'eux-m?mes7. L'impression de r?ductionnisme sociologique que donnent tr?s souvent les meilleurs textes consacr?s aux contenus scientifiques provient sans doute de cette censure syst?matique et parfois impitoyable qu'exercent

les sociologues au nom de leur savoir. Les chercheurs ont le droit de d?battre des neutrinos solaires, des coefficients d'association statistique ou de la forme du cerveau, et ceci dans les moindres d?tails, mais toutes les analyses et interpr?

tations sociales qu'ils proposent et discutent dans le m?me temps sont consid?r?es comme hors sujet ou, pire, sont rete nues contre eux pour expliquer leurs choix scientifiques ou

techniques8. Dans certains cas l'effet peut ?tre tellement

7. Les deux classiques du genre demeurent les livres de J. D. Watson (Watson, 1968) et de J. T. Kidder (Kidder, 1982). La description propos?e par Kidder est particuli?rement frappante puisque, m?me dans le cas d'un mar ch? bien identifi?, de fortes incertitudes demeurent non seulement sur les caract?ristiques techniques du micro-ordinateur mais ?galement sur les rela tions sociales qui se nouent autour de lui. Les ing?nieurs oui le con?oivent travaillent en plein brouillard : ? They lived in a land of mists and mirrors.

Mushroom management seemed to be practiced at all levels in their team.

Or perhaps it was a version of Steve Wallach's ring protection system made flesh : West feeling uncertain about the team's seal status upstairs ; West's own managers never completely aware of all that their boss was up to ; and the brand-new engineers kept almost completely Ignorant of the real stakes, the politics, the intentions that lay behind what they were doing. But they proceeded headlong ? (p. 105). Une illustration r?cente de ce genre litt?raire

est fournie par l'analyse de Pasteur par B. Latour (Latour, 1984). Dans un domaine qui n'est pas celui de la sociologie de la connaissance, L. Boltanski a montr? que les Incertitudes sur la soci?t? et la taille des acteurs ?taient au c ur des d?nonciations envoy?es sous la forme de lettres ? un grand quoti dien du soir fran?ais (Boltanski, 1984).

8. La question peut se poser de savoir si dans les sciences fondamentales les controverses sur l'?tat et la composition de la soci?t? Jouent un r?le aussi important que dans le cas des sciences appliqu?es ou des techniques. En d'autres termes, les scientifiques qui d?battent des neutrinos solaires

(T. Pinch, 1980 et 1981), du charme des particules (A. Pickering, 1980) ou de la composition de TRP (B. Latour, 1979) sont-ils amen?s ? douter aussi faci lement de tel ou tel aspect du monde social qui les entoure ? Ce qui semble admissible pour un artefact qui doit se trouver un public (Call?n, 1980 ; Pinch et Bijker, 1984), l'est-il pour des connaissances scientifiques de base d?battues entre sp?cialistes au sein de laboratoires prot?g?s du monde ext?

rieur ? La r?ponse ? cette question fondamentale m?riterait de longs d?ve loppements. Contentons-nous ici de deux observations. Premi?rement, si les analyses de controverses scientifiques restent bien souvent confin?es ? Tint?

rieur des laboratoires ou des communaut?s de sp?cialistes, c'est tout simple ment parce que les sociologues qui les ?tudient s'arr?tent de suivre les pro

tagonistes lorsqu'ils quittent le terrain de la science proprement dite. Guille min, Weber et Bahcall ne peuvent ?viter de trouver des cr?dits, de mettre au point des enseignements, d'?crire des manuels, de coloniser des revues ou d'en monter de nouvelles. Toutes ces activit?s sont en g?n?ral soigneusement censur?es par les observations sociologiques ; elles sont pourtant des compo santes essentielles du travail scientifique lui-m?me. Or, dans ces diff?rentes activit?s, les chercheurs font en permanence des hypoth?ses sur leurs inter locuteurs, leur identit?, ce qu'ils veulent et attendent. resterait ? montrer, mais il s'agit ici d'un programme de recherche, que toutes ces activit?s, qui

se d?roulent en g?n?ral ? l'ext?rieur des laboratoires, constituent des ?l?

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d?sastreux que le lecteur a l'impression d'assister au proc?s des sciences de la Nature, au nom d'un savoir scientifique pri vil?gi? (la sociologie), jug? indiscutable et inaccessible ? la critique.

La seconde difficult? est d'ordre th?orique. Comme l'ont relev? de nombreux auteurs, les controverses sur les explica tions sociologiques de la science sont interminables. Les socio logues n'arrivent que tr?s rarement ? se mettre d'accord entre eux. Comme tous les scientifiques qu'ils ?tudient, ils sont d?chir?s par des controverses permanentes et les consensus, lorsqu'ils sont atteints, semblent encore plus rares et plus fragiles qu'ailleurs. Faut-il parler de classes sociales et d'int?

r?ts plut?t que de normes et d'institution ? Le d?bat est aussi vieux que la sociologie et n'?pargne pas la sociologie des sciences, puisque les deux positions y sont d?fendues avec autant de pugnacit? et de r?ussite9. Est-il l?gitime de parler de classes sociales alors que l'observation ne porte que sur quelques individus ? Comment rep?rer des normes ou des

r?gles du jeu et d?cider de leur g?n?ralit? ? Autant de ques tions permanentes qui divisent les sciences sociales et n'ont aucune raison de dispara?tre. Le constat est clair : l'explica

tion sociologique des controverses scientifiques et techniques est aussi controvers?e que les connaissances et les objets dont

ments essentiels de la science et ne sont pas sans influence sur ses contenus.

Deuxi?mement, l'?tude dynamique des controverses montre l'existence de phases au cours desquelles les d?bats portent indissociablement sur la soci?t?

et sur les connaissances (Shapin, 1979). Ceci se produit notamment au mo ment o? les r?seaux de traduction prennent forme et se n?gocient (Call?n, 1931). Au fur et ? mesure que ces r?seaux se stabilisent, les activit?s, les r?les, les int?r?ts se diff?rencient et se fixent ; les controverses s?parent de plus en plus les probl?mes scientifiques et techniques et les contextes

sociaux. Mais tant que des controverses existent et se d?veloppent, le recru tement par les protagnistes, d'alli?s ext?rieurs dont l'identit? n'est jamais compl?tement ?vidente (administration, enseignement, industrie...) est n?ces saire. Une controverse ? purement ? scientifique qui ne proposerait pas simultan?ment une analyse ? sociologique ? de certains acteurs impliqu?s ou ? enr?ler est une contradiction dans les termes. Les scientifiques ne peuvent ?tre d'accord sur la soci?t? que s'ils sont compl?tement d'accord sur les contenus techniques. Ceci peut arriver et de plusieurs mani?res : scl?rose ou bureaucratisation totales d'une sp?cialit? (Crane, 1972), coup de force

? politique ? ? l'int?rieur de la science oui rend indiscutables les connais sances en rendant indiscutables les structures sociales o? elles se d?ve

loppent (sur Lyssenko voir D. Lecourt. 1976).

9. C'est la th?se d?velopp?e par Gouldner ? propos de la sociologie en g?n?ral (Gouldner, 1971). Un bon exemple de controverse interminable sur les explications de la science propos?e par les sociologues est celle oui a port?

sur les int?r?ts et leur r?le dans la construction et la validation des connais sances. Sur ce point voir l'examen critique des th?ses en pr?sence in M. Call?n et J. Law (1982).

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elle rend compte. Ceci ne serait pas g?nant si le recours ? une soci?t? certaine et connue n'?tant pr?cis?ment maintenu pour expliquer les controverses sur la Nature et notamment leur fermeture. La difficult? th?orique est celle-ci : ? partir du mo ment o? l'on admet que les savoirs sur la Nature et les savoirs

sur la Soci?t? sont aussi incertains, ambigus et discutables les uns que les autres, il est impossible de leur faire jouer des r?les diff?rents dans l'analyse. Puisque la Soci?t? n'est pas plus ?vidente et moins controvers?e que la Nature, l'explica

tion sociologique voit ses fondements se d?rober sous elle. Et si d'aventure, mais ceci est hautement improbable l'accord se r?alisait sur nos conceptions de la soci?t?, quelle force invo quer pour expliquer ce consensus soudain, qui ne puisse ?tre contest?e ? son tour ? La r?currence est infinie et l'explication toujours repouss?e10.

La troisi?me difficult? est d'ordre m?thodologique. Tous ceux qui ont ?tudi? des innovations scientifiques ou tech niques savent qu'au cours de leur ?laboration, l'identit? des acteurs et leurs tailles respectives sont des enjeux permanents dans les controverses qui se d?veloppent. Quelles sont les convictions de Pasteur ou de Pouchet sur la g?n?ration spon tan?e ? Les positions des protagonistes ne se laissent jamais d?finir clairement, m?me r?trospectivement, car la d?finition de ces positions est objet de discussions11. Quels sont au juste

les int?r?ts de Renault lorsque EDF annonce que la fin du XXe si?cle consacrera l'irr?sistible extension des usages du v?hicule ?lectrique ? Qui croire de l'un ou de l'autre pour d?terminer ce que veut r?ellement Renault12 ? La science et la technique sont des histoires dramatiques dans lesquelles l'identit? des acteurs est un des ?l?ments en discussion.

L'observateur qui ignore ces incertitudes court le danger

10. Le classique probl?me de la r?flexlvit? peut ?tre pos? en des termes nouveaux depuis que nos connaissances sur les controverses se sont d?ve lopp?es. La r?flexlvit? n'est rien d'autre que l'extension aux sciences de la soci?t? de l'analyse qu'elles proposent pour expliquer la construction du consensus au sein des sciences de la Nature. La soci?t?, pas plus que la Nature, ne peut ?tre invoqu?e pour expliquer la fermeture d'une controverse

et la fabrication d'un savoir positif. n'existe aucun garant ultime, aucune explication en derni?re instance qui ? son tour ne puisse ?tre disput?e. Ceci n'interdit d'ailleurs pas la r?alisation de consensus en principe provisoires.

L'argument que nous d?veloppons ici est Identique ? celui qui permet ? K. Popper de retirer tout fondement logique ? l'Induction (Popper, 1934).

11. J. Farley et G. Geison (1974).

12. M. Call?n (1981).

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d'?crire une histoire partisane dans laquelle sont mis en sc?ne des acteurs dont la r?alit? et l'existence m?me sont probl?matiques.

Une mani?re d'?viter toutes ces difficult?s serait de revenir en arri?re et de nier tout simplement la possibilit? d'une explication sociologique des sciences et des techniques. Nous pensons qu'une autre issue est possible qui conserve et pro

longe les acquis r?cents de la sociologie des sciences et des techniques. Nous voulons montrer dans ce papier que l'ana lyse peut ?tre poursuivie avec une soci?t? consid?r?e comme incertaine et discutable. Dans les controverses ?tudi?es les acteurs qui interviennent d?veloppent des argumentations et des points de vue contradictoires qui les am?nent ? proposer des versions diff?rentes du monde social et du monde naturel.

Qu'arrive-t-il si l'on maintient tout au long de l'analyse la sym?trie entre les n?gociations qui portent sur l'un et sur l'autre ? Aboutit-on n?cessairement ? un chaos indescriptible ? Telles sont les questions auxquelles nous nous effor?ons de

r?pondre dans cette ?tude.

Pour ?viter les trois difficult?s pr?sent?es pr?c?demment, nous nous sommes impos? d'observer trois principes de m?thode.

Le premier principe ?tend l'agnosticisme de l'observateur aux sciences sociales elles-m?mes. Non seulement l'observa teur se montre impartial vis-?-vis des arguments scientifiques et techniques utilis?s par les protagonistes de la controverse, mais de plus il s'interdit de censurer les acteurs lorsque ceux

ci parlent ? propos d'eux-m?mes ou de leur environnement social. Il s'abstient de porter des jugements sur la fa?on dont

les acteurs analysent la soci?t? qui les entoure, il ne privil?gie aucun point de vue et ne censure aucune interpr?tation ; il ne

l?ve pas le doute sur l'identit? des acteurs impliqu?s, lorsque celle-ci est au c ur des n?gociations.

Le second principe est un principe de sym?trie g?n?ralis?e qui ?tend, tout en la remaniant assez profond?ment, la d?fini

tion qui en a ?t? donn?e par D. Bloor13. En effet il ne s'agit plus seulement d'expliquer dans les m?mes termes

les diff?rents points de vue et argumentations qui s'opposent

13. D. Bloor (1976).

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au cours d'une controverse scientifique et technique. Puisque les acteurs m?lent en permanence consid?rations sur la soci?t? et sur la nature, nous imposons ? l'observateur d'utili ser un seul r?pertoire pour d?crire les points de vue en pr?

sence, que la controverse ou les d?saccords, lorsqu'ils existent, portent sur des enjeux scientifiques ou techniques ou sur la

constitution de la soci?t?. Le choix du vocabulaire pour r?ali ser ces descriptions et fournir ces explications est bien entendu laiss? ? discr?tion de l'observateur. Il n'est donc pas question de reprendre purement et simplement les analyses propos?es par les acteurs eux-m?mes. Il existe en principe une

infinit? de r?pertoires possibles14. Au sociologue de choisir celui qui lui semble le mieux adapt? ? son propos et de convaincre ses coll?gues du bien fond? de son choix. Optant dans ce texte pour le r?pertoire de la traduction, nous savons que notre r?cit et notre explication ne sont ni plus ni moins valides que n'importe quels autres. Mais, suivant le principe de sym?trie g?n?ralis?e, nous nous imposons comme r?gle du

jeu de ne pas changer de registre lorsque nous passons des aspects techniques aux aspects sociaux, esp?rant que le r?per

toire de la traduction, qui n'est en rien celui des acteurs ?tu di?s convaincra le lecteur de son pouvoir d'explication.

Le troisi?me principe est celui de la libre association. Il exige en particulier que l'observateur abandonne toute dis

tinction a priori entre faits de Nature et faits de Soci?t? et qu'il rejette l'hypoth?se d'une fronti?re d?finitive s?parant

les deux. Ces divisions sont consid?r?es comme conflictuelles car elles sont des r?sultats et non des points de d?part. De

14. D'un certain point de vue l'argument aue nous d?veloppons ici est comparable ? celui de M. Weber (Weber, 1965). Pour M. Weber, le sociologue, guid? par son propre rapport aux valeurs (Wertbeziehung), s?lectionne le pro bl?me ? ?tudier et les ?l?ments de la r?alit? qui lui semblent les plus perti nents. Ce n'est qu'une fois r?alis?e cette op?ration de r?duction d'un r?el, en droit infiniment diversifi?, que commence le travail sociologiaue proprement dit. Le principe de sym?trie g?n?ralis? dote le sociologue-observateur d'un pouvoir discr?tionnaire analogue. Le choix du r?pertoire est en principe enti?

rement libre, la seule contrainte ?tant qu'il vaille ? la fois pour la Soci?t?

et pour la Nature. Si on voulait absolument poursuivre le parall?le avec la sociologie weberienne, on dirait que le choix du r?pertoire est l'?quivalent du rapport aux valeurs du sociologue. SI l'on voulait signaler les diff?rences, on ferait observer que le choix de ce r?pertoire n'est pas laiss? ? la discr?tion totale du sociologue, puisqu'il doit (troisi?me principe) rendre visibles toutes les associations et toutes les mises en relation op?r?es par les acteurs eux m?mes. Cette contrainte m?thodologique, dont la sociologie weberienne n'a que faire a pour seul but de redonner aux acteurs les marges de man uvre que les id?aux-types leur retiraient pour les transf?rer ? l'observateur.

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plus il accepte de consid?rer que l'inventaire des cat?gories utilis?es, des entit?s mobilis?es et des relations dans les quelles elles entrent, est en permanence discut? par les acteurs. Au lieu d'imposer ? ces derniers une grille d'analyse pr??tablie, il les suit pour rep?rer comment ils d?finissent et associent, parfois en les n?gociant, les diff?rents ?l?ments dont ils composent leur monde, qu'il soit social ou naturel15.

Dans le texte qui suit nous donnons un exemple d'applica tion de ces trois principes. Notre but est de montrer qu'il est possible de douter de la soci?t? elle-m?me en m?me temps que les acteurs et que ceci ne conduit ni au chaos ni ? l'absur dit?. Au contraire, et comme on esp?re le prouver, l'histoire gagne en intelligibilit? car sont pr?serv?es toutes les fluctua

tions auxquelles elle donne lieu. Dans l'?pisode que nous retra ?ons ici, s'entrelacent en permanence des prises de position sur la soci?t? et sur la nature sans que l'on puisse dire les quelles des unes ou des autres sont d?terminantes. C'est pour quoi nous avons titul? ce texte : la domestication des coquilles Saint-Jacques et des marins-p?cheurs dans la baie de Saint Brieuc.

I. Coquilles Saint-Jacques et marins-p?cheurs

Mets pris? par les consommateurs fran?ais, les coquilles Saint-Jacques ne sont exploit?es syst?matiquement que depuis une vingtaine d'ann?es. En France elles sont p?ch?es en trois lieux : au large des c?tes normandes, en rade de Brest et en baie de Saint-Brieuc. Les esp?ces y sont diff?rentes. Cer

taines, comme ? Brest, sont coraill?es toute l'ann?e, alors qu'? Saint-Brieuc elles perdent leur corail pendant le prin

temps et l'?t?. Ces caract?ristiques sont commercialement importantes car les consommateurs, telle est du moins la conviction des marins-p?cheurs, pr?f?rent les coquilles corail

l?es ? celles qui ne le sont pas.

Tout au long des ann?es 70, le stock de Brest s'?teint pro gressivement du fait de l'action conjugu?e des pr?dateurs marins (les ?toiles de mer), du froid impos? par plusieurs hivers rigoureux et des marins-p?cheurs qui, pour satisfaire des consommateurs insatiables, capturent les coquilles ? Ion

15. J. Law (1985b).

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gueur d'ann?e sans leur laisser le temps de se reproduire.

Durant la m?me p?riode, Saint-Brieuc, dont la production d?cline r?guli?rement, ?vite la catastrophe : les pr?dateurs y sont moins abondants et la pr?f?rence des consommateurs pour les coquilles Saint-Jacques coraill?es contraint les ma rins-p?cheurs au repos forc? pendant la moiti? de l'ann?e, favorisant ainsi la reproduction du stock16.

L'objectif de l'?tude, dont nous rendons compte partielle ment dans cet article, ?tait d'analyser la constitution progres sive au long des ann?es 70, d'un savoir ? scientifique ? sur les coquilles Saint-Jacques17. Le point de d?part que nous avons choisi est un colloque qui se tient ? Brest en 1972. Il rassemble des scientifiques ainsi que les d?l?gu?s professionnels des marins-p?cheurs qui examinent ensemble la possibilit? de ma?triser la culture des coquilles Saint-Jacques afin d'en augmenter la production. Les discussions s'organisent autour des trois ?l?ments suivants :

1) Trois chercheurs appartenant au CNEXO18, d?couvrent, au cours d'un voyage au Japon, que les coquilles Saint-Jacques y font l'objet d'une v?ritable culture intensive. La technique est la suivante : les larves sont fix?es sur des collecteurs immerg?s o? elles croissent ? l'abri des pr?dateurs ; arriv?es ? une taille suffisante elles sont ? sem?es ? sur les fonds ma rins o? elles se d?veloppent en toute qui?tude pendant deux ou trois ans avant d'?tre p?ch?es. Cette technique, selon les

r?cits de voyage des trois chercheurs, a permis non seulement de pr?server les stocks existants, mais ?galement de les augmenter consid?rablement. C'est autour de leur compte

16. Le stock est une notion couramment utilis?e en d?mographie des populations. Le stock, dans le cas oui nous occupe, d?signe la population des coquilles Saint-Jacques vivant et se reproduisant en baie de Saint-Brieuc.

Un stock donn? est d?fini par une s?rie de param?tres variables avec le temps : effectifs, classe d'?ge, tailles, taux de mortalit? naturelle, taux de f?condit?, etc. La connaissance du stock suppose des mesures syst?matiques qui permettent d'en pr?voir l'?volution. La dynamique des populations ?la bore des mod?les math?matiques pr?cisant l'influence de telle ou telle variable (intensit? de l'effort de p?che, r?partition des captures selon les classes d'?ge) sur l'?volution du stock. Elle est un des outils essentiels de ce que les sp?cialistes des p?ches maritimes appellent la gestion rationnelle des stocks.

17. Pour r?aliser cette ?tude nous avons dispos? de tous les articles, rap ports, comptes rendus de colloques, se rapportant ? l'exp?rimentation de Saint-Brieuc et ? la domestication des coquilles Saint-Jacques. Une ving taine d'interviews ont ?t? r?alis?es aupr?s des diff?rents protagonistes.

18. Le CNEXO (Centre National d'Exploitation des Oc?ans) est un orga nisme public mis en place au d?but des ann?es 70 et charg? de conduire des recherches visant ? mieux conna?tre les ressources maritimes et ? les valoriser.

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rendu que s'organisent les diff?rentes contributions au col loque et les discussions qui prennent place.

2) La m?connaissance des m?canismes de croissance des coquilles Saint-Jacques est totale. La communaut? scientifique ne s'y est jamais vraiment int?ress?e ; les marins-p?cheurs n'?tant h?ritiers d'aucune tradition puisque l'exploitation

intensive est r?cente, ne savent rien des premiers instants des coquilles Saint-Jacques qu'ils ne connaissent qu'? l'?tat adulte lorsqu'ils les remontent dans leurs dragues. Au d?but des ann?es 70, il n'existe donc aucune relation directe entre les

larves de coquilles et les marins-p?cheurs. Comme on le verra, c'est par l'entremise des chercheurs que ce lien sera progres sivement construit19.

3) Une activit? de p?che intensive dont les cons?quences deviennent visibles en baie de Saint-Brieuc. Brest a ?t? ray?

de la carte. A Saint-Brieuc la production d?cro?t r?guli?re ment. Les repr?sentants des marins-p?cheurs dont l'activit?

est particuli?rement lucrative, s'inqui?tent de cette baisse qui semble in?luctable et craignent que la catastrophe de Brest ne se reproduise ? Saint-Brieuc.

Tel est le point de d?part choisi. Dix ans plus tard, des connaissances ? scientifiques ? ont ?t? produites et certifi?es ; un groupe social (celui des marins-p?cheurs de la baie de Saint-Brieuc) uni autour de privil?ges qu'il a su instituer et pr?server, s'est constitu? au fil du temps20 ; une communaut?

de sp?cialistes s'est organis?e pour ?tudier les coquilles et promouvoir leur culture. C'est une partie de cette ?volution que nous allons maintenant retracer.

19. Deux exemples montrent l'?tendue de l'Ignorance des experts et des professionnels de la p?che. Pendant toutes les ann?es 70, les sp?cialistes se sont battus, sans Jamais se lancer dans une campagne d'exp?riences, pour savoir si une coquille ? corail temporaire conservait cette propri?t? lorsqu'elle ?tait transplant?e dans un lieu o? les coquilles sont ? corail permanent.

Quant aux marins-p?cheurs, ils ont toujours affirm?, contre l'opinion des experts, que les coquilles Saint-Jacques se d?pla?aient au fond des oc?ans.

Sur ces deux points controvers?s, 11 a fallu toute une s?rie d'exp?rimenta tions, au d?but des ann?es 80, pour montrer que des coquilles ?cossaises, coraill?es en permanence, conservaient cette caract?ristique dans la baie de Saint-Brieuc et pour convaincre, film vid?o ? l'appui, les marins-p?cheurs que seuls les courants sous-marins ?taient responsables des d?placements des coquilles Saint-Jacques.

20. En 19S4, gr?ce ? toutes les alliances dont nous ne retra?ons ici que les d?buts, les marins-p?cheurs de Saint-Brieuc per?oivent un revenu annuel moyen de 300 000 (une fois amortis les Investissements) pour cinq heures

de travail hebdomadaire pendant seulement six mois.

(13)

II. Les quatre ?tapes de la traduction

Par d?cision de m?thode nous choisissons de suivre un acteur tout au long de ses op?rations de construction-d?cons truction de la Nature et de la Soci?t?. Ici, notre point de d?part est constitu? par les trois chercheurs au retour de leur voyage en Extr?me-Orient. Peu nous importe, ? ce stade de

l'enqu?te, d'o? ils viennent et pourquoi ils agissent. Dans l'histoire que nous analysons, ils sont le primum movens.

Nous allons les accompagner dans leurs premi?res tentatives de domestication. Celle-ci passe par quatre ?tapes, qui dans

la r?alit? peuvent se chevaucher, mais qui constituent les diff?rents moments d'un processus g?n?ral auquel nous don nons le nom de traduction.

1. La probl?matisation ou comment se rendre indispensable ? Une fois rentr?s chez eux, pleins d'usage et raison, ils ?crivent une s?rie de rapports et d'articles dans lesquels ils consignent leurs impressions de voyage et d?veloppent des projets. Ils ont vu, de leurs yeux vu, affirment-ils, des larves

se fixer sur des collecteurs puis cro?tre jusqu'? l'?ge adulte ? l'abri des pr?dateurs de tous poils. La question qu'ils posent est simple. L'exp?rience est-elle transposable en France et plus particuli?rement en rade de Saint-Brieuc ? La r?ponse n'est pas ?vidente car ils savent, et personne ne contestant

leurs affirmations nous les tenons pour incontestables, que l'esp?ce briochine (Pect?n Maximus) est diff?rente de l'esp?ce ?lev?e dans les eaux nippones (Pect?n Patinopecten Yessoen sis). L'aquaculture des coquilles ? Saint-Brieuc semble donc probl?matique puisque aucune r?ponse connue ne peut ?tre

apport?e ? cette question cruciale : Pect?n Maximus se fixe-t-il dans les premiers instants de son existence ? D'autres interro gations, tout aussi importantes, l'accompagnent : quand s'op?re la m?tamorphose des larves ? A quelle vitesse s'effec tue la croissance des naissains ? Peut-on fixer suffisamment de larves pour s'engager dans le repeuplement de la baie ?

La probl?matisation, et ceci n'est pas original, consiste donc en la formulation de probl?mes. Mais la vigilance ?

laquelle nous obligent les trois principes que nous nous sommes impos?, nous conduit ? reconna?tre qu'elle ne saurait

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?tre limit?e ? ce seul m?canisme. En effet, dans les divers documents qu'ils ?crivent ? ce moment-l?, les trois chercheurs ne se contentent pas de poser les quelques questions mention n?es ci-dessus. Ils identifient un ensemble d'acteurs dont ils

s'attachent ? d?montrer qu'ils doivent, pour atteindre les objectifs ou suivre les inclinations qui sont les leurs, passer obligatoirement par le programme de recherche propos?. A ce mouvement, par lequel les trois chercheurs s'efforcent de se

rendrent indispensables, nous donnons le nom de probl?ma tisation.

1.1. La probl?matisation comme entre-d?finition des acteurs. ? Les questions formul?es par les trois chercheurs et les com mentaires qu'ils en donnent mettent directement en sc?ne

trois acteurs21 : les coquilles Saint-Jacques (Pect?n Maximus), les marins-p?cheurs-de-la-baie-de-Saint-Brieuc, les coll?gues scientifiques22. La d?finition de ces acteurs, telle qu'elle appa ra?t dans les diff?rents documents r?dig?s par les trois cher cheurs, est assez grossi?re. Elle est cependant suffisamment pr?cise pour expliquer en quoi ces acteurs sont n?cessaire ment concern?s par les diff?rentes questions formul?es. Ces

d?finitions peuvent ?tre synth?tis?es de la mani?re suivante : a) Les marins-p?cheurs de Saint-Brieuc : ils p?chent les coquilles sans se soucier de l'?puisement du stock jusqu'? la derni?re coquille23 ; de leur activit?, ils tirent des b?n?fices

importants ; s'ils ne r?fr?nent pas leurs ardeurs, ils finiront par ?tre ruin?s comme le montre l'?volution des courbes de

tonnages produits. Ces p?cheurs sont cependant cens?s ?tre

21. Nous utilisons la notion d'acteur dans le sens o? les s?miotlciens uti lisent la notion d'actant (Greimas et Courtes, 1979 ; Latour, 19S4). Sur l'implication d'acteurs ext?rieurs dans la construction des connaissances scientifiques ou des artefacts, voir T. Plnch et W. Bijker C1984) et leur utili sation de la notion de groupe social. La d?marche propos?e Ici est un peu diff?rente de la leur. D'abord parce que, la suite le prouvera, nous ne limi tons pas la liste des acteurs aux seules entit?s sociales. Mais surtout parce que la d?finition des groupes, de leur identit? et de ce au'ils veulent ou pour suivent, est constamment n?goci?e tout au long du processus de traduction.

Ce n'est pas un donn? intangible, mais une hypoth?se (une probl?matisation) introduite par certains acteurs et qui par la suite se voit plus ou moins infirm?e, confirm?e ou transform?e.

22. Sur la d?finition des unit?s constitutives, voir B. Latour et S. Strum (1985).

23. Suivant la nature des stocks (dispers?s ou concentr?s) et la demande des consommateurs, la rentabilit? marginale peut d?cro?tre plus ou moins rapidement. Dans le cas des coquilles Saint-Jacques, ces param?tres se com binent pour rendre rentable la capture de la derni?re coquille Saint-Jacques.

(15)

conscients de leurs int?r?ts ?conomiques ? long terme et par voie de cons?quence se montrer bien dispos?s ? l'?gard du programme de repeuplement et des ?tudes ? lancer pour le r?aliser. Aucune autre hypoth?se n'est faite sur leur identit?.

Les trois chercheurs ne se prononcent pas sur l'existence d'un groupe social uni. Ils d?finissent un marin-p?cheur moyen, unit? de base d'une communaut? constitu?e d'?l?ments tous

semblables.

b) Les coll?gues scientifiques participant aux colloques ou cit?s dans les publications : ils ne savent rien sur les coquilles Saint-Jacques en g?n?ral, ni sur celles de Saint-Brieuc en par

ticulier, et sont incapables de r?pondre aux questions sur la fixation. Ils sont cens?s ?tre int?ress?s par l'accroissement

des connaissances sur cette question et ne pas ?tre g?n?s par la strat?gie propos?e qui consiste ? ?tudier les coquilles in situ plut?t que dans des cuves exp?rimentales.

c) Les coquilles Saint-Jacques de Saint-Brieuc : esp?ce par ticuli?re (Pect?n Meximus), dont personne ne conteste qu'elle soit coraill?e six mois par an seulement. Elle n'est connue qu'au stade adulte, au moment o? elle est p?ch?e. La question pos?e laisse entendre qu'elle peut se fixer et ? accepter ? une protection qui lui permettra de prolif?rer et de se perp?tuer24.

Bien s?r, et sans cela il manquerait ? la probl?matisation un point d'appui, les trois chercheurs, en m?me temps qu'ils d?finissent d'autres acteurs, d?voilent ce qu'eux-m?mes sont et veulent. Ils se pr?sentent comme des chercheurs ? fonda mentalistes ? impressionn?s par les r?alisations ?trang?res,

cherchant ? parfaire les connaissances disponibles sur une esp?ce peu ?tudi?e, voulant le bien des marins-p?cheurs et

l'accroissement des stocks de coquilles.

Comme on le voit sur cet exemple, la probl?matisation, loin de se r?duire ? la simple formulation d'interrogations, atteint au moins partiellement et localement certains ?l?ments constituant le monde social et le monde naturel. Une seule question : Pect?n Maximus se fixe-t-il ? suffit ? probl?matiser

24. Que le lecteur ne vole pas d'anthropomorphisme dans ces phrases ! Peu Importent les raisons du comportement Imput? aux coquilles, qu'il s'agisse des g?nes, d'un plan divin ou de toute autre cause ! Seule compte ici la d?fi nition des comportements des diff?rents acteurs Identifi?s. Les coquilles sont

cens?es se fixer comme les marins-p?cheurs sont cens?s poursuivre leurs int?r?ts ?conomiques ? court terme. Dont acte.

(16)

toute une s?rie d'acteurs, c'est-?-dire ? ?tablir de fa?on hypo th?tique leur identit? et ce qui les lie25.

1.2. La probl?matisation comme d?finition de points de pas sage oblig?s (PPO). ? Les trois chercheurs ne se bornent pas ? identifier quelques acteurs. Ils montrent que ceux-ci, dans

leur int?r?t, doivent admettre le programme de recherche propos?. L'argumentation qu'ils d?veloppent dans leurs papiers est toujours la m?me : si les coquilles Saint-Jacques cherchent ? se perp?tuer (quels que soient les m?canismes plus ou moins obscurs qui expliquent cette pulsion), si les marins-p?cheurs entendent pr?server leur int?r?t ?conomique ? long terme (quelles que soient les raisons de ces orienta tions), si les coll?gues scientifiques visent le progr?s des connaissances (quel que soit le ressort de cette ambition), alors ils sont amen?s ? accepter (1) qu'ils doivent au pr?alable conna?tre la r?ponse ? la question : comment les coquilles se fixent-elles ? et (2) que l'alliance autour de cette interrogation est profitable pour chacun d'entre eux26.

Les trois chercheurs Pect?n Maximus Les marins-p?cheurs Les coll?gues scientifiques

I ._I I I

t I I I

Point de passage oblig? : Pect?n Max/mus se fixe-t-il ?

Flg. 1

La probl?matisation, outre la d?finition des acteurs qu'elle implique, poss?de donc des propri?t?s dynamiques : elle indique les d?placements et d?tours ? consentir et pour cela les alliances ? sceller. D?finis comme ils le sont, les coll?gues scientifiques, les coquilles Saint-Jacques et les marins p?cheurs sont entrav?s dans leur existence m?me : ce qu'ils visent, ils ne peuvent l'atteindre par eux-m?mes. Des obstacles

25. . Hindess (Hiridess, 19S2) a bien montr? le caract?re n?gociable des int?r?ts. Mais il faut aller plus loin : l'identit? des acteurs elle-m?me est controversable et notamment le point de savoir s'ils sont mus par des valeurs, des int?r?ts ou par leur d?sir. Voir sur ce point M. Call?n et J. Law (1983).

26. Pour une analyse comparable voir M. Call?n (1981) et B. Latour (1984).

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probl?mes se dressent sur leurs routes : l'avenir de Pect?n Maximus est en permanence menac? par les pr?dateurs de

toutes sortes qui les frappent mortellement : les marins p?cheurs, en maximisant leurs profits ? court terme, ne peuvent assurer leur survie ? long terme ; les coll?gues scien

tifiques, qui veulent le d?veloppement des connaissances, sont oblig?s d'admettre que manquent de premi?res et indispen

sables observations sur les coquilles Saint-Jacques in situ.

Quant aux trois chercheurs eux-m?mes, leur projet passe par la question pr?alable de la fixation. Pour tous ces acteurs l'alternative est claire : ou bien changer de route, ou bien reconna?tre qu'il faut d'abord soutenir l'?tude de la fixation des larves et attendre ses premiers r?sultats27.

La probl?matisation, comme le montre ce sch?ma, d?crit un syst?me d'alliances, nous disons d'associations28, entre des

Les entit?s Les trois chercheurs Pect?n Maximus Les

marins-p?cheurs Les coll?gues scientifiques

If

PPO

obstacle -probl?me les pr?dateurs

obstacle-probl?me : le profit ? court terme

obstacle-probl?me : l'absence totale d'informations sur Pect?n Maximus

faire avancer les connaissances et repeupler la baie

au profit

Leurs buts des marins-p?cheurs se perp?tuer

assurer un profit

augmenter les connaissances sur Pect?n Maximus sans remettre en cause ? long terme les chasses gard?es Fig. 2

27. Comme on le sait, par son ?tymologie, le mot probl?me d?signe les obstacles qui sont jet?s en travers du chemin suivi par un acteur et qui entravent sa progression. Nous employons donc cette notion dans un sens compl?tement diff?rent de celui qui est donn? par les philosophes des sciences ou les ?pist?mologues. Les probl?mes ne sont pas g?n?r?s spontan?

ment par l'?tat des connaissances ou la dynamique des programmes de recherche. Ils r?sultent de la d?finition et de la mise en relation d'acteurs qui n'?taient pas encore li?s les uns aux autres. Probl?matlser c'est d?finir une s?rie d'acteurs et dans le m?me mouvement identifier les obstacles qui les emp?chent d'atteindre les buts ou objectifs qui leur sont Imput?s. Les probl?mes, et les ?quivalences qui sont postul?s entre eux, r?sultent donc de

l'interaction entre un acteur donn? et toutes les entit?s sociales ou natu relles qu'il d?finit et pour lesquelles il s'efforce de devenir indispensable.

28. Sur la notion d'association voir M. Call?n et B. Latour (1981).

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entit?s dont elle d?finit l'identit? ainsi que les probl?mes qui s'interposent entre elles et ce qu'elles veulent. Ainsi se cons truit un r?seau de probl?mes et d'entit?s au sein duquel un acteur se rend indispensable. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit d'une Sainte Alliance pour faire foisonner les coquilles en baie de Saint-Brieuc.

2. Les dispositifs d'int?ressement ou comment sceller les alliances

Nous avons soulign? l'aspect hypoth?tique de la probl?ma tisation. Sur le papier, ou plus exactement dans les rapports et articles pr?sent?s par les trois chercheurs, les groupes iden tifi?s ont une existence r?elle. Mais la r?alit? est un processus.

Elle passe (comme on le dit d'un corps chimique) par des ?tats successifs, se r?alisant ou s'irr?alisant en fonction des ?preuves de force qui s'engagent29.

Chacune des entit?s convoqu?es par la probl?matisation peut se soumettre et s'int?grer au plan initial, ou ? l'inverse

refuser la transaction en d?finissant autrement son identit?, ses buts, ses projets, ses orientations, ses motivations ou ses int?r?ts. La situation n'est d'ailleurs jamais aussi tranch?e.

Comme le montre la phase de probl?matisation, il serait absurde pour l'observateur de d?peindre des groupes formu lant en toute ind?pendance leur identit? et leurs buts. Ceux-ci ne se mettent en forme et ne s'ajustent que dans l'action30.

Nous appelons int?ressement l'ensemble des actions par lesquelles une entit? (ici les trois chercheurs) s'efforce d'impo ser et de stabiliser l'identit? des autres acteurs qu'elle a d?finis par sa probl?matisation. Toutes ces actions prennent corps dans des dispositifs.

Pourquoi parler d'int?ressement ? L'?tymologie de ce mot justifie son choix. Int?resser c'est se placer entre (inter-esse), s'interposer. Mais entre quoi et quoi ? Revenons aux trois

29. Un bel exemple d'un tel changement d'?tat est donn? dans J. T. Kldder (1982) o? l'on volt l'ordinateur prendre forme dans des conversations, se transformer en ordinateur de papier pour devenir un lacis de c?bles et de circuits imprim?s. Pour l'argument philosophique sur la r?alisation et l'irr?alisatlon voir Irr?ductions (Latour, 1984).

30. C'est sans doute l? l'enseignement majeur de la sociologie tourai nienne. L'acteur n'existe pas en dehors du rapport dans lequel il entre. Son

Identit? fluctue en m?me temps que ce rapport (Touraine, 1974). On notera la diff?rence avec P. Bourdieu pour qui l'acteur, qu'il nomme d'ailleurs agent, est d?fini par quelques propri?t?s essentielles (Bourdieu, 1972 et 1975).

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chercheurs. Dans le cours de leur probl?matisation, ils s'allient, sur un objectif commun, les coquilles, les marins p?cheurs et leurs coll?gues. Mais pas n'importe quelle coquille, ni n'importe quel coll?gue ou n'importe quel marin-p?cheur.

L'?tre des uns et des autres, leurs inclinations ou leurs buts sont d?finis avec soin. Or ces d?finitions, sauf exceptionnelles co?ncidences, sont toujours en comp?tition avec d'autres.

Pour inter-esser B, A doit couper tous les liens que la foule invisible ou au contraire bien pr?sente, active ou au contraire passive, des autres entit?s C, D, E... s'efforce d'?tablir avec B31.

Les propri?t?s de B et son identit? (qu'il s'agisse des coquilles Saint-Jacques, des coll?gues scientifiques ou des marins-p?cheurs) ?voluent donc et/ou se red?finissent tout au

long de ces processus d'int?ressement. Parfois une situation stable est atteinte. B ? r?sulte ? alors de l'association qui le lie ? A et qui, dans le m?me mouvement, le dissocie de tous les C, D et E (s'il en existe) qui tendent ? donner de lui une autre d?finition. A cette relation ?l?mentaire qui commence ? mettre en forme et ? consolider le lien social, nous donnons le nom de

triangle de l'int?ressement?1.

Fig. 3

31. Serres utilise la notion d'Int?r?t dans un sens voisin (Serres, 1983). Les conclusions qu'il en tire sont oppos?es. Pour lui les int?r?ts st?rilisent la connaissance parce qu'ils s'interposent entre elle et son objet. L'apologue qu'il utilise est magnifique (celui d'Alexandre s'interposant entre Diog?ne et son soleil), mais l'Interpr?tation qu'il en donne est fausse comme l'ont montr? les d?veloppements r?cents de la sociologie des sciences.

32. Aucune hypoth?se n'est faite ici sur la nature ou la taille de A, B, C, D, E... Il peut s'agir Indiff?remment de classes sociales oui s'entred?flnlssent (Touralne, 1974), du p?re et du fils qui nouent leur complexe d' dlpe, des m?canismes ?l?mentaires du d?sir mim?tique (Girard, 1982) ou... des coquilles

Saint-Jacques qui sont Int?ress?es par des chercheurs.

(20)

L'?ventail des strat?gies et des dispositifs possibles pour r?aliser ces interruptions est illimit?. Comme le dit Feyera bend pour la m?thode scientifique : tout est bon. Ce peut ?tre

la force pure et simple au cas o? les hens entre B, C, D seraient fortement ?tablis ; ce peut ?tre la s?duction ou une simple sollicitation lorsque est d?j? proche de la probl?ma tisation de A. Dans tous les cas, sauf situations extr?mement rares o? la mise en forme de co?ncide parfaitement avec la probl?matisation propos?e, les entit?s int?ress?es voient leur

identit? et leur ? g?om?trie ? se modifier tout au long du pro cessus d'int?ressement33, comme le montre clairement l'his

toire de la domestication des coquilles Saint-Jacques.

La domestication des coquilles illustre de fa?on frappante les m?canismes g?n?raux de l'int?ressement. Les trois cher cheurs s'inspirent d'un dispositif ?labor? par les Japonais. Il s'agit de fili?res constitu?es de collecteurs plong?s dans la mer. Chaque collecteur comporte un sac ? petites mailles enfermant un support pour la fixation des larves. Ceci permet d'assurer un bon passage de l'eau et des larves tout en emp?

chant les jeunes coquilles de s'?chapper. Le dispositif interdit en outre l'acc?s des pr?dateurs. Les larves sont donc prot?

g?es pendant toute la p?riode o? elles se trouvent sans d?fense, c'est-?-dire sans coquille34. Les collecteurs sont mon

t?s en s?rie sur une ligne aux deux extr?mit?s de laquelle se trouvent des flotteurs maintenus en mer par un syst?me d'ancrage.

La fili?re et ses collecteurs constituent un arch?type du dis positif d'int?ressement. Les larves sont ? extraites ? de leur

contexte. Elles sont en particulier prot?g?es des pr?dateurs (?toiles de mer) qui les agressent et les exterminent, des cou rants qui les transportent au large o? elles p?rissent, des coups de drague des marins-p?cheurs qui les mutilent... Elles sont (physiquement) dissoci?es de tous les acteurs qui les menacent.

Par ailleurs, ce dispositif d'int?ressement prolonge et ma t?rialise les hypoth?ses faites sur l'identit? des coquilles et sur leur comportement. Les collecteurs perdent toute efficacit?

33. Sur l'analyse de ce processus voir L. Thevenot (Thevenot, 1984) et son concept d'Investissement dans les formes.

34. Lorsque la coquille est form?e, elle constitue alors un bouclier efficace contre certains pr?dateurs, comme les ?toiles de mer.

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si les larves ? refusent ? de se fixer, de cro?tre, de se m?ta morphoser et de prolif?rer en (relative) captivit?. L'int?resse ment, s'il r?ussit, confirme (plus ou moins compl?tement) la

validit? de la probl?matisation qui, dans le cas contraire, se trouve r?fut?e.

S'il faut des collecteurs pour int?resser les coquilles et leurs larves, une telle ? machination ? s'av?re superflue pour int?resser les marins-p?cheurs et les coll?gues scientifiques.

Les premiers ne sont d'ailleurs pas vis?s dans leur ensemble.

Les trois chercheurs choisissent de convaincre ceux qui les repr?sentent dans les organisations professionnelles. Ils mul tiplient les rencontres, les d?bats pour leur expliquer les rai sons de l'extinction des coquilles Saint-Jacques ? Brest ; ils ?tablissent et commentent des courbes dont personne ne conteste qu'elles ? montrent ? la diminution spectaculaire du stock de Saint-Brieuc ; ils pr?sentent de fa?on emphatique les r?alisations spectaculaires des Japonais. Quant aux coll?gues scientifiques, ils sont atteints au cours de colloques ou ? tra vers des publications. L'argumentation d?velopp?e est tou jours la m?me : une revue exhaustive de la litt?rature montre qu'on ne sait rien sur les coquilles Saint-Jacques ; ce manque

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de connaissance est dramatique car il s'agit (au moins en France) d'une esp?ce menac?e dont l'importance ?conomique va croissante35.

Dans le cas des coquilles Saint-Jacques, comme dans le cas des marins-p?cheurs et des coll?gues scientifiques, l'int?resse ment est fond? sur une certaine interpr?tation de ce que sont et veulent les acteurs ? enr?ler et auxquels s'associer. Les dispositifs de l'int?ressement, qui cr?ent un rapport de forces favorables, sont, dans le premier cas, une fili?re immer g?e en baie de Saint-Brieuc et, dans les deux autres cas, des textes ou des conversations qui am?nent les acteurs concern?s (coll?gues, marins-p?cheurs) ? suivre les trois chercheurs.

Dans tous les cas le dispositif d'int?ressement fixe les entit?s ? enr?ler, tout en interrompant d'?ventuelles associations concurrentes et en construisant un syst?me d'alliances. Des structures sociales prennent forme, compos?es ? la fois d'enti t?s naturelles et humaines.

3. Comment d?finir et coordonner les r?les : l'enr?lement Aucun dispositif de capture aussi contraignant soit-il, aucune argumentation aussi ? convaincante ? soit-elle, n'est assur? du succ?s. En d'autres termes le dispositif d'int?res sement ne d?bouche pas n?cessairement sur l'alliance, sur l'enr?lement. L'enjeu est de transformer une question en une s?rie d'?nonc?s consid?r?s comme certains : Pect?n Maximus se fixe ; les marins-p?cheurs veulent repeupler la baie.

Pourquoi parler d'enr?lement ? Il ne s'agit pas de revenir ? une sociologie fonctionnaliste ou culturaliste, dans laquelle

la soci?t? est constitu?e d'un r?pertoire de r?les et de titu laires de r?les36. L'enr?lement n'implique pas, mais n'exclut pas, des r?les pr??tablis. Il d?signe le m?canisme par lequel un r?le est d?fini et attribu? ? un acteur qui l'accepte. L'enr?

lement est un int?ressement r?ussi. D?crire l'enr?lement c'est donc d?crire l'ensemble des n?gociations multilat?rales, des

35. De nombreuses ?tudes ont montr? au'il ?tait possible d'analyser l'argu mentation scientifique comme un dispositif d'int?ressement. Voir entre

autres : M. Call?n et al. (1983a) ; M. Call?n et al. (1984) ; M. Call?n, J. Law, A. Rip (eds) (1985) ; J. Law (1983) ; J. Law et R. Williams (1982) ; B. Latour

(1984). Ce point ?tant connu, nous ne pr?sentons pas dans l'analyse ici pro pos?e le d?tail des m?canismes rh?toriques par lesquels les coll?gues et les marins-p?cheurs sont int?ress?s.

36. Pour un expos? syst?matique et p?n?trant de ce cadre d'analyse, voir Nadel (1970).

(23)

coups de force ou des ruses qui accompagnent l'int?ressement et lui permettent d'aboutir.

Revenons ? nos coquilles et ? leur enr?lement. Int?resser les coquilles Saint-Jacques c'est les fixer sur des collecteurs.

Mais cette fixation n'est pas simple ? obtenir. C'est avec les coquilles que les trois chercheurs doivent conduire les n?go ciations les plus dures et les plus longues. Nombreuses sont les forces ennemies, comme dans un conte de f?e, qui contre carrent le projet des chercheurs et d?tournent les larves avant qu'elles ne soient prises au pi?ge. Les courants d'abord :

? Sur six fili?res pos?es, quatre ont bien d?but? leur travail avant de conna?tre des sorts variables. Il semble tr?s nette ment" que les larves se fixent mieux ? l'int?rieur de la baie,

dans les zones o? les courants de mar?e sont plus faibles ?37.

N?gocier avec les coquilles, c'est n?gocier d'abord avec les courants qui, par les turbulences qu'ils produisent, s'opposent aux fixations. Mais il n'y a pas que les courants avec lesquels les chercheurs doivent compter. Des parasites en tous genres viennent perturber l'exp?rience et s'opposer ? la capture.

? Une grande partie des variations est imputable aux lev?es ? parasites ?. Nous avons eu beaucoup de visiteurs, provoquant des accidents (lignes d?plac?es, collecteurs emm?

l?s) se traduisant imm?diatement par des r?sultats nuls : il semble que les coquilles supportent tr?s mal toute manipula tion (exondage, collecteurs se frottant les uns aux autres) et r?agissent en se d?tachant de leur support ?38.

C'est un v?ritable combat qui est livr?. Que ce soit les cou rants ou les parasites, nombreuses sont les forces qui s'oppo sent au lien par lequel les chercheurs veulent s'associer aux coquilles39. Dans le triangle A, B, C dont nous parlions pr?

37. D. Buestel, J.-C. Dao, A. Muller-Feuga, R?sultats pr?liminaires de l'exp?rience de collecte de naissains de coquilles Saint-Jacques en rade de Brest et en baie de Saint-Brieuc in Colloque sur l'aquaculture, Brest, octobre 1973, Actes de Colloque, n? 1, 1974, CNEXO (ed.).

38. Ibid.

39. La description que nous donnons n'adopte pas un point de vue d?lib?

r?ment anthropomorphique. Que les courants Interviennent pour contrecarrer les exp?riences des chercheurs ne signifie pas que nous les dotions de quel conques motifs. Les chercheurs peuvent parfois utiliser un vocabulaire ten dant ? attribuer aux ?toiles de mer, aux variations climatiques et aux cou rants marins des mobiles et des Intentions. Mais sur ce point pr?cis se voit la distance qui s?pare l'observateur de l'acteur en m?me temps que la neu tralit? du premier par rapport aux positions du second. Le r?pertoire choisi, celui de l'int?ressement et de l'enr?lement, permet de suivre les chercheurs dans leur lutte contre ces forces qui s'opposent ? eux sans que l'on ait ? se prononcer sur le3 ressorte de cette lutte.

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c?demment, C, le tiers qu'on veut exclure, qu'il s'appelle cou rant ou ?toile de mer, ne s'avoue pas battu et veut rendre ? A (le chercheur) la monnaie de sa pi?ce en interrompant Ta relation A-B, en int?ressant ? son tour B, les larves par tous convoit?es.

Les d?nombrements montrent par ailleurs que les fixations sont plus nombreuses ? entre le fond et 5 m?tres au-dessus.

C'est peut-?tre d? ? la profondeur o? est la larve comme ? un comportement particulier au moment de la fixation, la coquille se laissant tomber et se fixant lorsqu'un obstacle emp?che sa chute ?40.

La fili?re, dispositif d'int?ressement, r?v?le ? l' il de l'observateur les gradients de fixation. Les hypoth?ses et les interpr?tations des chercheurs ne sont rien d'autre qu'un pro gramme de n?gociations : faut-il, larves, aller vous chercher au fond de la baie ou bien vous attendre en chemin et tendre votre pi?ge en travers de votre chute ?

Ce n'est pas tout. Les chercheurs sont pr?ts ? n'importe quelle concession pour attirer les larves. Que pr?f?rent-elles comme mat?riaux sur quoi se fixer ? L? encore pour r?pondre ? la question, une s?rie de transactions est n?cessaire.

? Il faut noter que les croissances ont ?t? plus faibles avec les collecteurs ?quip?s de paille, gen?t ou crin, supports qui se sont tass?s et ont emp?ch? une circulation correcte de l'eau ? travers le collecteur ?41.

Ainsi est progressivement trouv? un modus vivendi. Si toutes ces conditions sont r?unies, alors les larves se fixent de fa?on significative. Mais que signifie l'adjectif ? significa

tif ? ? Pour r?pondre ? cette question nous devons introduire comme dans les conf?rences tripartites de Paris sur le Viet nam, le deuxi?me acteur avec lequel n?gocient les trois cher cheurs. Il s'agit des coll?gues scientifiques.

Les diff?rentes communications faites par les trois cher cheurs et les discussions auxquelles elles ont donn? lieu42

40. Voir note 37, ibid.

41. Ibid.

42. Les discussions ont fait l'objet de comptes rendue que nous avons pu consulter.

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montrent l'absence totale d'opposition ? l'hypoth?se d'une fixation des coquilles. Par contre, l'acceptation des premiers r?sultats obtenus ne va pas sans n?gociations pr?alables. La proposition : ? Pect?n Maximus se fixe ? l'?tat larvaire ?, n'est pas ?vidente, en d?pit des exp?riences r?alis?es ? Saint Brieuc. En effet, sur certains collecteurs, aucune fixation n'est

observ?e et le nombre de larves fix?es par collecteur n'atteint jamais les valeurs obtenues par les Japonais. A partir de quel nombre peut-on affirmer et accepte-t-on de croire que les

coquilles en g?n?ral se fixent ? Nos trois chercheurs pr?

viennent l'objection, puisqu'ils affirment dans leur premi?re communication que les fixations observ?es ne sont pas acci dentelles. D'o? l'importance des n?gociations avec les coquilles pour accro?tre leur int?ressement, et l'entreprise de s?duction

(plut?t le crin que le nylon...) qui vise ? les retenir. Avec les coll?gues scientifiques la transaction est simple : la discussion montre qu'ils sont pr?ts ? croire ? la fixation et ? juger l'exp?

rience convaincante, sous la seule condition que soit publique ment reconnue l'existence de travaux ant?rieurs pr?disant,

d'une fa?on certes imparfaite, la phase de fixation43. C'est ? ce prix que les nombres annonc?s pour les fixations seront jug?s

satisfaisants. Nos trois chercheurs acceptent, apr?s avoir iro niquement fait observer que toute r?elle d?couverte fait surgir

comme par miracle des pr?curseurs jusqu'alors m?connus44.

Quant aux transactions avec les marins-p?cheurs, ou plut?t avec leurs ? repr?sentants ?, elles sont inexistantes. Ceux-ci observent en spectateur int?ress? et attendent le verdict final, pr?ts ? admettre les conclusions retenues par les sp?cialistes.

Leur consentement est acquis (d'avance) sans discussion.

Pour l'essentiel la n?gociation est donc tripartite, l'adh?

sion du quatri?me partenaire ?tant obtenue sans qu'il bronche.

43. Un participant ? la discussion commente ainsi le rapport de Dao et al. : ? Sur le plan th?orique, il ne faut pas minimiser ce que nous savions d?j?

sur la coquille Saint-Jacques... il faut rappeler que la biologie de Pect?n ?tait un peu plus connue que ce que vous avez dit. ?

44. Dao : ? C'est une observation ?videmment tr?s int?ressante ; l'exp?

rience montre que c'est en g?n?ral lorsque l'on a r?alis? le travail que les langues se d?lient et que Ton commence ? obtenir des renseignements. Par exemple, les p?cheurs n'avaient jamais vu de coquilles fix?es par un byssus.

Par contre, depuis que nous en avons montr?, on sait o? en trouver et on sait o? 11 y en avait. Je crois que pour les renseignements scientifiques, c'est un peu la m?me chose ? (ibid.). Sur les discussions autour des pr?curseurs et du cr?dit ? leur attribuer, voir notamment A. Brannigan (Brannigan, 1979).

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Cet exemple illustre diff?rentes ?ventualit?s de l'enr?lement : violence physique (contre les pr?dateurs), s?duction, transac tion, consentement sans discussion. Il montre que la d?fini tion et la distribution des r?les (les coquilles Saint-Jacques qui se fixent ? l'?tat larvaire ; les marins-p?cheurs qui sont persuad?s que les collecteurs les aideront ? repeupler la baie ; les coll?gues qui croient en la fixation) r?sultent de n?gociations multilat?rales au cours desquelles l'identit? des acteurs est test?e.

4. La mobilisation des alli?s : les porte-parole sont-ils repr?

sentatifs ?

Qui parle au nom de qui ? Qui repr?sente qui ? Ces ques tions sont cruciales pour la r?ussite de l'entreprise conduite par nos trois chercheurs. Car, comme le montre la descrip

tion de l'int?ressement et de l'enr?lement, qu'il s'agisse de coquilles, des marins-p?cheurs ou des coll?gues scientifiques, ne sont concern?s que quelques rares individus.

Peut-on affirmer que Pect?n Maximus se fixe ? Oui, recon naissent les coll?gues : les fixations observ?es ne sont pas accidentelles. Elles ne sont pas accidentelles, tel est du moins l'?tat des croyances, mais elles sont en nombre limit?.

Quelques larves sur quelques collecteurs sont consid?r?es comme les repr?sentants cr?dibles d'une masse anonyme, silencieuse et insaisissable de coquilles tapies au fond des eaux oc?anes. Les trois chercheurs n?gocient l'int?ressement des coquilles avec une poign?e de larves qui repr?sentent toutes celles, innombrables, qui ?chappent ? la capture. Ces derni?res, ? aucun moment, ne contredisent d'une mani?re ou d'une autre les larves qui se fixent. Ce qui vaut pour quelques unes vaut pour l'ensemble de la population. De la m?me fa?on le CNPF qui n?gocie avec des d?l?gu?s syndicaux peut-il consid?rer comme repr?sentatifs de l'ensemble des travail

leurs ces quelques individus, assis ? la m?me table et qui parlent au nom des autres. Dans un cas les ?pist?mologues parleront d'induction, dans l'autre cas les politologues recour ront ? la notion de porte-parole. Pourtant la question est la m?me qui pose le probl?me de la repr?sentativit? : la masse

(patrons, ouvriers, coquilles) suivra-t-elle45 ?

45. Ce n'est qu'un cas particulier du probl?me g?n?ral de l'Induction.

(27)

De porte-parole et de repr?sentativit? il est ?galement question dans les transactions avec les coll?gues et avec les marins-p?cheurs. Ce n'est pas ? proprement parler la commu naut? scientifique qui est convaincue, mais les quelques col

l?gues qui lisent les publications ou assistent aux colloques.

Ce ne sont pas tous les marins-p?cheurs, mais leurs d?l?gu?s officiels qui donnent leur aval ? l'exp?rimentation et sou tiennent le programme de repeuplement. Dans Tun et l'autre cas, quelques individus, parlant pour les autres, ont ?t? int?

ress?s au nom des foules qu'ils repr?sentent (ou pr?tendent repr?senter).

Les trois chercheurs ne sont donc en relation qu'avec quelques repr?sentants, qu'il s'agisse de larves fix?es sur un

collecteur, de d?l?gu?s professionnels ou de coll?gues scienti fiques participant ? un colloque. Il pourrait sembler cepen dant que les situations ne soient pas comparables. Les d?l?

gu?s et les coll?gues parlent d'eux-m?mes, sans autres inter m?diaires, tandis que les larves demeurent silencieuses. Dans un cas il s'agit de v?ritables porte-parole, dans le second cas de simples repr?sentants. Pourtant cette diff?rence ne r?siste pas ? un examen approfondi.

Revenons aux coquilles Saint-Jacques. Les larves fix?es sur le collecteur ? valent ? pour l'ensemble des coquilles de Saint Brieuc. En elles-m?mes elles n'expriment rien. Pourtant elles finissent par disposer, tout comme les marins-p?cheurs, d'authentiques porte-parole. En effet, comme nous l'avons vu, la n?gociation entre les coquilles et les chercheurs tournent autour d'une seule question : combien de larves se laisseront elles prendre au pi?ge ? Que le nombre soit retenu comme principal sujet de discussion ne d?coule d'aucune n?cessit?

absolue. En comptant les larves, les trois chercheurs veulent savoir sur qui ils peuvent compter dans leurs n?gociations avec leurs coll?gues et avec les marins-p?cheurs. Leurs inter

locuteurs s'attachent aux nombres de fixations, les uns pour ?tre convaincus de la g?n?ralit? de l'observation, les autres pour ?tre convaincus de l'efficacit? du dispositif. Combien d'?lecteurs se sont d?plac?s pour choisir leurs repr?sentants ? Combien de larves se sont fix?es ? Telle est la seule question qui importe dans l'un et l'autre cas. La fixation des larves c'est

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