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Géographie et écologie humaine

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Géographie et écologie humaine

RAFFESTIN, Claude

RAFFESTIN, Claude. Géographie et écologie humaine. In: BAILLY Antoine, FERRAS Robert, PUMAIN Denise. Encyclopédie de géographie . Paris : Economica, 1992. p. 23-36

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4444

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Géographie et écologie humaine

Claude Raffestin

1. Une problématique commune

Je ne sais pas si P. Veyne a eu raison d'écrire que M. Foucault a révolu- tionné l'histoire, seuls les historiens peuvent ou non en témoigner mais, en tout cas, la méthode foucaldienne a fourni, avec l'archéologie du savoir, une précieuse méthode aux recherches « généalogiques » auxquelles les sciences humaines sont souvent confrontées (Veyne, 1978 ; Foucault, 1969).

Peu importe finalement que le mot géographie apparaisse plusieurs siècles avant celui d'écologie qui est une création savante de Haeckel, en 1866. Bien avant que les dénominations de ces deux disciplines existent les questions essentielles qui les ont fondées ont été formulées dans la pensée occidentale depuis l'Antiquité. Glacken, dans un beau livre trop peu connu, les a explicitées avec précision :

— « La terre, environnement à l'évidence bien adapté à l'homme et à la vie organique, est-elle une création intentionnelle ?

— Ses climats, ses reliefs, la configuration de ses continents ont-ils influencé la nature morale et sociale de ses habitants, et ont-ils déterminé le carac tère et la nature humaine elle-même ?

— Dans sa longue occupation de la terre, l'homme l'a-t-il modifiée par rap- port à ses hypothétiques conditions originelles ? » (Glacken, 1967).

Ces questions condensent les énoncés fondateurs des problématiques qui ne cesseront pas d'inspirer la géographie humaine et l'écologie humaine, dont l'objet est moins la terre que les relations que les hommes entretiennent avec elle, depuis l'Antiquité. D'ailleurs, les questions explicitées par Glacken sont toutes de nature relationnelle.

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La première, pour s'en tenir à la pensée occidentale, s'enracine chez Homère qui ne fut rien moins que le père de la géographie pour Strabon et chez Hésiode avec Gaïa, la Terre, qualifiée de « demeure toujours sûre de tous les êtres ». Elle se prolonge avec la cosmologie de Ptolémée dont la thèse géocentrique a persisté du IIe au XVe siècle et avec Albert le Grand dans son De Natura locorum pour arriver à l'hypothèse Gaïa de J. Lovelock (Lovelock, 1986).

La deuxième question a traversé tous les siècles, depuis Hippocrate jus- qu'à aujourd'hui, en passant par Bodin et Montesquieu, pour ne citer qu'eux, avec leurs théories climatiques.

La troisième question, bien que déjà formulée par Platon dans le Critias :

« Tout ce qu'il y avait de terre grasse et molle s'est écoulé et il ne reste plus que la carcasse nue du pays », attendra jusqu'au XVIIIC siècle pour devenir obsédante et le XIXe pour être magistralement développée par Marsh que le Club de Rome redécouvrira sous forme systémique dans Limits of the Growth au début des années 1970 (Marsh, 1864).

Ces questions procèdent d'ontologies qui reposent toutes sur des mythes dont le déploiement progressif a permis l'élaboration de la géographie et de l'écologie : « Was die Wissenschaft wiederholt, hatte der Mythos schon sugge- riert »... (ce que la science répète, le mythe l'avait déjà suggéré) (Blumenberg, 1979).

Il ne s'agit pas, on l'aura compris, de jouer au jeu des précurseurs depuis longtemps disqualifié par Canguilhem et par Foucault, entre autres, mais de retrouver des préoccupations dont la permanence a défié le temps. La géo- graphie et l'écologie humaine se sont nourries de ces questions fondamen- tales.

La science hippocratique n'est pas la nôtre mais elle illustre par son souci d'établir des correspondances entre le corps de la terre et le corps de l'homme d'une part et entre « l'âme » des institutions et celle de l'homme d'autre part une problématique relationnelle qui est toujours d'actualité dans la géogra- phie et l'écologie humaine. Albert le Grand, à sa manière, lui fera écho au XIIIe siècle : « En outre, ces élément montrent que les hommes qui émigrent vers des zones au climat différent, sans tenir compte des conditions naturelles défavorables, se développent mal et se détruisent ; ils retrouvent la santé lors- qu'ils reviennent dans leur pays d'origine » (Albert le Grand, p. 33). Dans une perspective biogéochimique J. Lovelock a formulé une hypothèse qui pro- longe actuellement la première question d'une manière saisissante : « Nous avons depuis lors défini Gaïa comme une entité complexe comprenant la biosphère terrestre, l'atmosphère, les océans et la terre ; l'ensemble constitue

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2. Des évolutions confondues

Jusqu'au XVIIIe siècle toutes ces questions s'entrecroiseront et se mêleront sans doute en raison de l'absence d'une spécialisation disciplinaire qui n'émergera que dans le dernier quart du XIXe siècle mais aussi en raison de leur caractère holistique qui, d'ailleurs, a très probablement retardé l'évolu- tion tant de la géographie que de l'écologie humaine. Toujours est-il que ces deux disciplines doivent beaucoup dans leur formulation moderne à une période axiale qui, avec la part d'arbitraire inévitable en cette matière, va de 1760 à 1860. Il est loisible de parler de période axiale pour la géographie et l'écologie humaine dans l'exacte mesure où les deux composantes naturelle et culturelle de ces disciplines vont se dégager pendant cet intervalle séculaire (Jaspers, 1957). Cette « Achsenzeit », précédée par la théologie naturelle et l'économie de la nature chère à Linné, et quasiment inaugurée par le

« Tableau économique » de Quesnay, sorte de charte de la Physiocratie, qui date de 1758 est bornée par « l'origine des espèces » de Darwin publiée en 1859. Par la suite géographie et écologie humaine, tout en continuant à entretenir des relations plus ou moins étroites selon les auteurs et les moments, connaîtront des développements et des orientations différenciés à la faveur d'une spécialisation toujours plus forte. Mais préalablement consi- dérons le « siècle axial » fondateur.

L'économie de la nature de Linné est une préfiguration du cercle écolo- gique qui doit être fermé : « si une seule fonction importante manquait dans le monde animal, on pourrait craindre le plus grand désastre dans l'uni- vers... » (Drouin, 1991, p. 40). Quesnay, imbu de l'idée d'ordre naturel, a développé dans son « Tableau » implicitement une sorte de cycle qui serait propre à orienter l'écologie humaine en ce sens que la seule source réellement productive est l'agriculture avec la biomasse végétale qui conditionne tout le processus (Bresso, 1982). Buffon, dans son œuvre immense, a également posé des jalons qui ont été utiles tout autant à la géographie qu'à l'écologie humaine.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier, à la fin du XVIIIe siècle, le rôle des chi- mistes avec la compréhension de la nutrition des plantes et de la respiration des animaux. Parmi eux, Lavoisier est certainement celui qui a esquissé avec

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le plus de précision le cycle écologique qu'il appelle cette « merveilleuse cir- culation entre les trois règnes » :

« Les végétaux puisent dans l'air qui les environne, dans l'eau, et en géné- ral, dans le règne minéral les matériaux nécessaires à leur organisation.

Les animaux se nourrissent ou des végétaux ou d'autres animaux qui ont été eux-mêmes nourris de végétaux, en sorte que les matières qui les for- ment sont toujours, en dernier résultat, tirés de l'air et du règne animal.

Enfin, la fermentation, la putréfaction et la combustion rendent conti- nuellement à l'air de l'atmosphère et au règne minéral les principes que les végétaux et les animaux leur ont empruntes » (Drouin, p. 51).

C'est probablement Kant qui a tracé le programme philosophique le plus achevé au XVIIIe siècle en matière de classification des sciences dans laquelle il attribue une place importante à la géographie. Il n'est pas question de se livrer à une réévaluation de l'œuvre du philosophe de Koenisberg en matière de géographie mais il faut admettre que sa pensée a diffusé chez beaucoup d'auteurs au cours des décennies suivantes. Gottfried von Herder sera son élève et dans ses « idées pour l'histoire de la philosophie de l'humanité » il réalisera une vaste synthèse qui peut être considérée comme une harmonisa- tion de la nature et de l'histoire constituant par là même un repère dans l'éla- boration d'une géographie et d'une écologie humaine. Hegel dans La raison dans l'histoire, en explicitant le conditionnement naturel, proposera une vision éco-géographique dont les géographes allemands, certains d'entre eux du moins, feront leur profit : « Elles (les conditions naturelles) constituent avant tout les possibilités particulières à partir desquelles opère l'Esprit » (Hegel, 1965, p. 218). La conception hégélienne du fleuve est indéniablement écolo- gique : « C'est un faux principe qu'ont soutenu les Français pendant les guerres de la Révolution, lorsqu'ils prétendirent que les fleuves seraient les frontières naturelles » (Hegel, p. 227).

Pourtant, c'est avec von Humboldt que la géographie et l'écologie vont véritablement se fonder selon une conception moderne qui fera place à une appréhension scientifique fondée sur l'observation. De 1799 à 1804, von Humboldt accompagné de Bonpland entreprendra ses fameux Voyages dans l'Amérique équinoxiale qui constitueront la matière de 30 volumes publiés entre 1807 et 1834. Par sa méthode de description du monde, von Humboldt sera à l'origine de la géographie du paysage dont ses Tableaux de la nature témoigneront. L'œuvre humboldtienne est un extraordinaire monument scientifique dont les différentes parties illustrent tout à la fois les sciences de la nature et les sciences de l'homme, la géographie tout autant que l'écologie

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humaine. Fondateur de la méthode comparative il montrera que beaucoup d'oppositions ne sont pas légitimes : « On a cru caractériser les différentes parties du monde en disant que l'Europe a des bruyères, l'Asie des steppes, l'Afrique des déserts, l'Amérique des savanes ; mais par cette distinction, on établit des contrastes qui ne sont fondés ni dans la nature des choses ni dans le génie des langues » (Humboldt, p. 38). Von Humboldt s'est dégagé de la tendance « idiographique » souvent caractéristique de ses prédécesseurs pour s'élever à une conception « nomothétique » dont il a montré toute la richesse non seulement dans le domaine physique mais encore dans le domaine humain. Von Humboldt, dans la critique qu'il fait de l'esclavage aux Antilles, a probablement donné avant la lettre une des premières analyses d'écologie humaine.

Mais von Humboldt, en liaison d'ailleurs avec de Candolle, créera la géo- graphie des plantes qui conduira à l'écologie végétale et à la géographie botanique. L'aboutissement contemporain de cette orientation est constitué par la géographie et l'écologie du paysage.

Ritter, dans ses travaux, a accentué la méthode comparative et a fourni des schémas géographiques pouvant inspirer une démarche en écologie humaine et cela d'autant plus qu'il a mis l'accent sur les relations diachro- niques de l'homme à l'espace.

L' « Achsenzeit » est close en quelque sorte par deux auteurs dont l'un aura une postérité scientifique absolument fabuleuse, Darwin, alors que l'autre demeurera quasiment inconnu, Marsh, quand bien même son œuvre illustre la direction prise par l'écologie humaine contemporaine.

L'évolutionnisme darwinien influencera la pensée géographique de beau- coup d'auteurs parmi lesquels on peut citer Ratzel avant que celui-ci ne déve- loppe le diffusionnisme qui marquera son Anthropogeographie.

Reclus, par certains côtés de son œuvre gigantesque et multiforme, appartient à la période axiale en ce sens qu'il a mêlé géographie et écologie humaine, particulièrement dans L'homme et la terre. Son ami Kropotkine avec lequel il a collaboré à la géographie universelle écrira un ouvrage dans lequel il dénoncera la lutte comme loi naturelle, s'opposant en cela à Darwin.

Alors qu'au début du XXe siècle les écoles de géographie nationales sont en place soit par dérivation soit par opposition à l'école allemande, se déve- loppent d'autres courants de pensée de nature sociologique qui vont donner naissance à l'écologie urbaine. C'est le cas aux Etats-Unis avec l'Ecole de Chicago dont Park sera le représentant le plus connu. Dans ses travaux sur la ville, en insistant sur les modèles, il influencera à terme, sinon sur le moment, toute la géographie urbaine contemporaine.

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3. Des conceptualisations différenciées

A ce point de l'analyse, il est essentiel de se demander pourquoi la géo- graphie et l'écologie humaine se sont progressivement séparées et ont élaboré des cadres conceptuels distincts. La réponse n'est pas aisée car elle ne ressor- tit pas seulement du mouvement de spécialisation accentuée que l'on peut noter dans les disciplines entre 1890 et 1910. Elle réside davantage, à mon sens, dans la manière différente d'éclairer le même objet qui n'est pas autre chose que la connaissance que ces deux disciplines tentent d'élaborer sur la pratique et la connaissance que les hommes ont de la réalité matérielle.

Pourtant, dans cette tentative les géographes ont d'abord mis l'accent sur les morphologies et les fonctions caractéristiques des paysages humanisés, autre- ment dit, ils ont sacrifié prioritairement au sens de la vue comme la notion même de paysage les y invitait. Ce « totalitarisme » de l'oeil a régné, presque sans partage, jusque dans les années 1950, c'est-à-dire jusqu'au moment où ce qu'on a appelé la géographie quantitative et/ou nouvelle géographie a découvert l'existence des structures puis des systèmes et enfin le rôle de la culture, mot pris au sens anthropologique du terme, c'est-à-dire du non direc- tement observable ou du non-visible immédiatement.

De son côté, l'écologie humaine a suivi un chemin sensiblement différent dans la mesure où elle a été obsédée par les relations entretenues par les hommes avec leur environnement physique d'une part et leur environnement social d'autre part. Les processus et les flux ont été privilégiés par l'écologie humaine qui, par là même, a actualisé le non-visible et a virtualisé le visible.

La géographie a fait l'inverse pendant longtemps.

Je ne vois que le recours à une métaphore pour faire comprendre ces pro- cessus inverses. Dans la mesure où l'objet est le même, cela veut dire que la géographie a davantage porté son attention sur le « signifiant » tandis que l'écologie humaine a porté la sienne sur le « signifié ». L'éclatement de l'ob- jet a probablement pris naissance entre 1920 et 1940 et a été préjudiciable, sans nul doute, aux deux disciplines. Je montrerai plus loin comment l'enjeu actuel pour ces deux sciences est la recomposition de la connaissance de la pratique et de la connaissance que les hommes ont de la réalité matérielle. Il ne s'agit d'ailleurs pas seulement d'un enjeu scientifique mais encore d'un enjeu socio-politique d'une extrême importance. La naissance des mouve- ments écologistes, entre les années 1960 et 1970, ici et là, dans le monde développé, en témoigne éloquemment ; la géographie, bien que remplissant toutes les conditions pour le faire, aurait été incapable de déclencher un mouvement politique axé sur l'environnement. L'écologie en a été capable mais elle est relativement impuissante aujourd'hui à en assurer la diffusion

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tous azimuts sans le recours « au visible » dont la géographie demeure encore la principale dépositaire. Une véritable protection de l'environnement passe par la réconciliation du « signifiant » et du « signifié » de l'environnement.

N'y aurait-il alors aucune distinction à faire entre géographie et écologie humaine ? Tant s'en faut. H suffit de relire Sorre pour se convaincre du contraire. Sorre est un « classique » et on peut dire, à la suite de Calvino, que plus on lit un classique plus on y trouve du nouveau, de l'inattendu, de l'inédit. Pour Sorre « à le prendre largement, toute géographie humaine est écologie » (Sorre, 1951, p. 6). Qu'est-ce à dire ? Que la géographie est une auto-écologie humaine dont le point de vue anthropocentrique s'explique aisément par la volonté d'actualisation des morphologies et des fonctions.

L'écologie humaine, en revanche, lorsqu'elle y parvient, cherche à s'inscrire dans une synécologie qui prend en compte non seulement les relations intras- pécifiques mais encore celles interspécifiques justement à travers les proces- sus et les flux.

Même si la géographie s'intéresse aux flux de matière, d'énergie et d'in- formation, elle le fait presque toujours dans la perspective de la dérivation par l'homme tandis que l'écologie prend en compte les effets de la dérivation des mêmes flux sur l'ensemble du système. Elle prend en compte les raisons des autres... La différence est de taille.

Même objet, donc, mais problématiques différentes qui ont fait évoluer l'une et l'autre disciplines vers des conceptualisations complémentaires.

Prenons l'exemple du concept de densité commun aux deux disciplines.

L'usage qu'en fait la géographie depuis Vidal de la Blache s'est probablement enrichi et n'en est pas resté à une conception classificatoire commode.

Pourtant, il serait assez difficile de trouver en géographie une véritable théo- rie de la densité qui affronte le problème des effets. D'ailleurs, ce n'est que depuis peu que la géographie a fait la distinction entre densité et concentra- tion, la seconde étant l'inverse de la première. L'écologie humaine, en revanche, à travers la dynamique des populations, s'est efforcée de dévelop- per une démo-écologie dans laquelle la problématique des effets est posée sinon résolue.

Le concept d'écosystème introduit par Tansley en 1935, qui ne sera d'ailleurs utilisé que beaucoup plus tard par les géographes, a permis de com- prendre le caractère circulaire des flux et des processus dans un système fermé, l'énergie mise à part, comme celui de la terre. A cet égard, les géo- graphes, et il serait facile de le démontrer, influencés en cela par un écono- misme diffus depuis le début du siècle, ont le plus souvent raisonné en termes linéaires comme si la terre était une ressource infinie. Quand bien

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même ils étaient convaincus, et pour cause, du contraire, ils ont mis beau- coup de temps à se débarrasser de cette contradiction interne qu'on retrouve au détour de chaque manuel, ici ou là, à propos de l'énergie, de l'eau ou de la terre pour ne citer que des exemples qui abondent dans les ouvrages relatifs au Tiers Monde.

I Ecosystème chasseur-cueilleur II Ecosystème agraire 1. Ressources renouvelables 1. Ressources renouvelables 2. Biomasse végétale primaire 2. Système agricole 3. Biomasse animale secondaire 3. Biomasse végétale primaire

4. Hommes 4. Biomasse animale secondaire

5. Fermes 6. Villes

III Ecosystème urbain 1. Ressource renouvelable 2. Agro-système

3. Biomasses primaire et secondaire 4. Villes

5. Ressources non-renouvelables

Figure 1 Evolution des écosystèmes humains adapté de H. Odum

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La mise en perspective du concept d'écosystème par H. Odum à partir d'une grammaire graphique originale procure un cadre d'analyse dont la simplicité apparente ne diminue pas l'efficacité pour appréhender les flux et les processus (figure 1). H. Odum parvient ainsi à rendre compte tout à la fois des écosystèmes naturels et des écosystèmes humains tant à grande qu'à petite échelle.

H. Odum est parvenu à exprimer clairement, sous forme graphique, ce que Vernadsky avait commencé à mettre en évidence en 1929 (Vernadsky, 1929) et ce que Lindeman avait exposé dans le cycle trophique en 1941.

Ainsi s'est élaboré le déploiement des interactions. Celles-ci s'expriment dans des interfaces qui combinent les trois grandes logiques à l'œuvre : l'éco-, la bio- et la socio-logiques. Pendant longtemps, la distinction entre écologie générale et écologie humaine n'a pas permis de prendre la mesure globale des interfaces dans un seul mouvement. Une remarque analogue se justifie pour la géographie dont la classique division physique et humaine qui, tout en se comprenant pour des raisons méthodologiques et didactiques, n'a pourtant pas eu des effets heureux à long terme. On peut regretter, par exemple, que les travaux de Birot qui, à la fin des années 1950, se sont approchés d'une remarquable conception dynamique dans laquelle on peut repérer une esquisse des cycles biogéochimiques et du cercle écologique en général, n'en ont pas moins négligé les effets de ponction et de dérivation d'une part et de leur corollaire les effets d'accumulation et de destruction des sociétés humaines à n'importe quelle échelle (Birot, 1959). Il faudra, en France, attendre les travaux de G. Bertrand pour que soient pris en compte dans le concept de « paysage » les éléments physiques, biologiques et anthropiques (Bertrand, 1970) que prolongeront d'autres auteurs (Tricart et Kilian, 1979).

Cela a permis d'évoluer vers une notion d'aménagement renouvelée en ce sens que la pression accrue sur le milieu naturel de la part de l'homme est immédiatement prise en considération. Les analyses, qualifiées de systé- miques, de certains géographes rejoignent celles des écologues humains à maints égards mais il n'en demeure pas moins que les angles d'attaque sont sensiblement différents. C'est ce que nous allons tenter de montrer.

4. Convergences et divergences

A partir d'un schéma très simplifié nous allons tenter de résumer par superposition les « positions » et les problématiques respectives, de la géo- graphie et de l'écologie (figure 2). Considérons en perspective le système géo- graphique et le système écologique, l'un et l'autre très, voire outrageusement,

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simplifiés, dans des « modèles » descriptifs caricaturaux dont l'intérêt réside dans la mise en évidence des interactions et des interfaces.

Figure 2 Géographie et écologie humaine

Traditionnellement l'axe société-nature croisé avec l'axe fonction-morpho- logie a longtemps conditionné et conditionne encore dans une très large mesure toute la géographie qu'elle soit physique ou humaine. Ce système délimite quatre quadrants dont le premier est caractérisé par des systèmes naturels faits de réseaux multiples tandis que le deuxième est constitué par des paysages et des morphologies. L'accent a longtemps été mis sur les paysages et les morphologies car il s'agissait « d'objets visibles ». Quand bien même cette problématique n'est plus la seule à régner sans partage, force est de reconnaître qu'elle continue à polariser l'attention car c'est elle qui est susceptible d'une restitution cartographique élaborée. Le troisième quadrant, lui, prend en compte les fonctions dérivées des techniques d'encadrement comme les a appelées Gourou. De nature culturelle ces techniques, en évolution constante, donnent naissance à des relations sociales et à des réseaux géographiques qui modèlent le quatrième quadrant constitué par les paysages humains qui donnent à voir des objets dont le caractère concret, là

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encore, est redevable de représentations diverses en particulier cartogra- phiques. D'une manière générale, il est loisible de prétendre que, quand bien même les quatre quadrants sont illustrés, la géographie tend à mettre l'accent sur les « objets » qui occupent les quadrants 2 et 4, d'où un développement plus accentué des interactions et des interfaces dans la partie droite du schéma.

L'écologie humaine, plus tardive, n'en a pas moins suivi une organisation grossièrement comparable mais a recouru à des concepts sensiblement diffé- rents. L'axe écosystème humain-écosystème naturel est coupé par l'axe flux- forme. Le premier quadrant conditionné par l'énergie, la matière et l'informa- tion génétique donne une place considérable aux cycles biogéochimiques et aux chaînes trophiques. Le deuxième quadrant a mis en perspectives les biomes qui sont des formations ou encore des complexes, selon les auteurs, qui « s'étendent sur une aire géographique assez grande » et dont « l'exis- tence est sous le contrôle du macroclimat » (Dajoz, 1971, p. 250). Le troi- sième quadrant rend compte de toutes les relations qui constituent abstraite- ment l'armature de la territorialité humaine. Le rôle de l'information est considérable car elle conditionne les relations qui sont médiatisées par des systèmes anthropologiques multiples pour assurer la satisfaction des besoins : systèmes symboliques, idéologiques, technologiques, etc. (Boulding, 1966).

Le quatrième quadrant met en perspective les formations territoriales moins dans une perspective d'objets que de lieux d'existence caractérisés par des opportunités et des contraintes. Contrairement à la géographie ce n'est pas tant la visualisation qui importe que la structuration des bases de l'existence.

Dans ce cas, les deux quadrants situés sur la gauche du schéma sont relative- ment plus importants : il s'agit des quadrants 1 et 3.

Comme on le voit il n'y a donc pas une superposition mais un décalage relatif qu'expriment les parties ombrées du modèle graphique. Si l'on consi- dère les choses à travers l'opposition matérialisation-dématérialisation qui est présente tout à la fois pour la géographie et l'écologie humaine celle-ci accen- tue davantage que celle-là le second élément de l'opposition. Il y a donc indé- niablement une complémentarité des démarches mais cette complémentarité est en partie demeurée en puissance car des concepts utilisés par l'une et l'autre disciplines ne sont pas à la même échelle. Ainsi, les fonctions de la géographie sont polysémiques et polymorphes tandis que les flux de l'écologie sont beaucoup plus homogènes, énergie et matière par exemple, pour ne citer que ceux- là.

Cela revient à dire que si les grandes questions sont, dans une large mesure, communes à la géographie et à l'écologie humaine, leur ontologie

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respective s'alimente à des sources différentes. Si l'on se contente de comparer problématiques, méthodologies et thématiques à grands traits, on découvrira beaucoup d'analogies entre géographie et écologie humaine. Pourtant, ce qui les sous-tend, c'est-à-dire les mythes qui font vivre l'une et l'autre, ne ressortissent pas du tout à la même origine.

La géographie est sous-tendue par le mythe de « l'homme construc- teur » : la terre est donnée à l'homme pour être transformée, humanisée, dominée en quelque sorte. Ce n'est rien d'autre que la lutte de l'homme, en tant qu'il est un organisme bio-culturel, contre le milieu. Cette lutte contre le milieu serait créatrice à travers la production de formations et d'associations utiles à l'homme. Dans la géographie classique, l'homo geographicus est vu comme un « héros civilisateur » qui par ses œuvres construit le monde.

L'ontologie géographique pourrait se résumer par le mythe prométhéen.

A l'opposé, l'écologie humaine est sous-tendue par le mythe de « l'homme destructeur » celui-là même qu'on retrouve à la racine de l'œuvre de Marsh dans laquelle est mise en évidence l'idée que vivre c'est détruire.

Evidemment, toute ontologie est indémontrable puisqu'elle a un caractère en quelque sorte axiomatique et c'est pourquoi elle rejoint le mythe. En somme, l'écologie humaine part de l'idée que l'instrumentalisation du monde par la création d'organes exosomatiques est une des causes premières de la transfor- mation et donc de la destruction de la terre, de Gaïa. Dans ces conditions, l'ontologie de l'écologie humaine pourrait se résumer par le mythe du laby- rinthe dans lequel toutes les relations nouées entre les acteurs sont médiati- sées par des instruments qui conduisent au drame final.

S'il est vrai que la géographie et l'écologie humaine procèdent toutes deux d'un anthropocentrisme inévitable, la première y adhère très étroite- ment alors que la seconde en est beaucoup plus éloignée par une sorte de décentrement, de manière à tenir compte de la biosphère non humaine. On voit que « l'entreprise ontologique est absolument indépendante des rapports spécifiques que la forme de vie humaine noue au monde macroscopique » (Hottois, 1984, p. 69). Dans l'écologie humaine, c'est la relation technique au monde qui est en cause et qui est mise en accusation car « à l'ordre naturel, elle substitue physiquement un autre ordre et un autre dynamisme qui, au mieux, encercle l'ordre naturel, le canalise ou l'englobe » (Hottois, 1984, p. 73). En géographie cette relation technique n'est pratiquement jamais en cause car, le plus souvent, elle est « naturalisée » dans l'exacte mesure où elle est prise comme allant de soi. C'est assez dire que la géographie et l'écologie humaine n'ont pas la même conception du temps : la première est plongée dans une quotidienneté qui lui voile l'évolution des choses tandis que la

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seconde est obsédée par une critique de la quotidienneté qui lui dévoile un futur chargé de crises et de catastrophes.

5. Plaidoyer pour un anthropocentrisme revisité

Ce qui précède montre assez clairement que malgré de remarquables convergences entre la géographie et l'écologie humaine, il existe aussi d'éton- nantes divergences qui échappent le plus souvent à l'analyse superficielle. Il ne s'agit pas de rapprocher deux « anthropocentrismes différentiels » pour fusionner deux disciplines qui ont, non seulement leur raison d'être mais encore des mérites incomparables, quant à notre appréhension et à notre représentation du monde. Les démarches, toutes parallèles qu'elles peuvent être, ne le sont jamais assez pour justifier une fusion qui n'aurait qu'une chance minime de déboucher sur un corpus unifié. En revanche, elles peu- vent l'une et l'autre contribuer à l'élaboration d'une éco-géographie pour reprendre le terme de J. Tricart et J. Kilian. Ce « point de vue » puisque tel est l'énoncé de J. Tricart et J. Kilian consiste à « étudier comment l'homme s'intègre dans les éco-systèmes, comment cette intégration est diversifiée en fonction de l'espace terrestre » (Tricart et Kilian 1979, p. 8). L'horizon déli- mité par ces auteurs ne va pas au-delà des prélèvements effectués par l'homme et des modifications que celui-ci imprime, volontairement ou non, à ces éco-systèmes. Ils ne s'en cachent d'ailleurs pas, déclarant qu'il revient à d'autres d'aborder le prélèvement des ressources sous l'angle social et poli- tique. Dans cette perspective, l'écogéographie débouche sur une science appliquée, utile à l'aménagement, mais qui laisse de côté des pans entiers de problèmes intéressant les écosystèmes humains depuis les analyses éco-éner- gétiques agricoles et industrielles jusqu'aux pathologies sociales en passant par les problèmes des nuisances, des pollutions et des déchets.

Il est d'une importance extrême qu'une écogéographie ne soit pas consi- dérée du seul point de vue de l'Umwelt (« monde autour ») mais encore du point de vue du Mitwelt (terme intraduisible qui signifie littéralement « le monde avec »). Cela change complètement la conception de l'anthropocen- trisme classique qui au lieu de placer l'homme « au milieu du monde » en fait un élément, certes privilégié, mais qui vit avec tout, à travers tout et par tout ce qui fait justement le monde. Le fait que l'homme traverse et soit traversé par tout oblige à reconsidérer notre position, à faire en quelque sorte une

« révolution de type copernicien » qui ne néglige pas l'environnement humain (Searles, 1986) par lequel, justement, nous craignons d'être sub- mergé. Il est tout à fait loisible de faire l'hypothèse que les relations inadap-

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tées que nous entretenons avec l'environnement non humain sont peut être responsables de nos psychoses et de nos névroses. En d'autres termes les rela- tions que nous entretenons avec l'Umwelt conditionnent probablement nos pathologies. Il ne s'agit pas de prendre la position des mouvements politiques écologistes qui, souvent, pour sauvegarder la nature sont enclins à créer des problèmes sociaux de diverses natures, mais il s'agit de faire comprendre que l'Umwelt est un Mitwelt avec lequel il convient d'apprendre à vivre comme l'a montré Thoreau (Thoreau, 1967).

Une véritable écogéographie est probablement en train de s'élaborer sur la base d'une pensée à laquelle des hommes comme G. Bateson et N. Georgescu-Roegen auront fourni les fondamentaux qui n'ont guère été utilisés jusqu'à maintenant. Le « double bind » du premier et l'application de la loi de l'entropie à l'économie du second sont effectivement capables d'orienter une éco-géographie humaine d'un nouveau style. Cela suppose évi- demment des concepts transdisciplinaires dont l'élaboration est encore à faire, pour la plus grande part, en tenant compte des trois logiques déjà évo- quées. Pour ce faire, il convient de penser à construire la réalité en termes relationnels.

Cette éco-géographie à inventer n'est pas destinée à se substituer à la géographie ni non plus à l'écologie humaine mais à fournir des modèles adap- tables à différentes échelles. Les derniers travaux de R. Thom (Thom, 1988), sur la théorie des saillances et des prégnances, dans la perspective du continu, pourraient inspirer ces modèles qui déboucheraient sur une intelligibilité nouvelle tout autant pour la géographie que pour l'écologie humaine.

Lectures recommandées

Bateson G., 1977, Vers une écologie de l'esprit, t. I et II, Paris, Gallimard.

Dardel E., 1952, L'homme et la terre, Paris, PUF.

Glacken J., 1967, Traces on the Rhodian Shore, Berkeley, University of California Press.

Lovelock ]., 1986, La terre est un être vivant, l'hypothèse Gaïa, Le Rocher.

Odum H., 1983, Systems Ecology, New York, Wiley.

Mots-clefs

Biomes, Ecologie, Ecosystème, Cosmologie, Ecologie humaine, Evolutionnisme, Cycle écologique, Ecologie urbaine, Gaïa,

Ecogéographie, Ecologie végétale, Période axiale.

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