Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 13 mai 2015 1093 empêchés de voir que notre "moi" était plus
que notre seul cerveau.» Mme Enders en vient ainsi à ferrailler avec René Descartes (1596- 1650). Pour elle, «le cerveau ne fait pas tout».
«Pourquoi ne pas ajouter, alors, notre grain de sel aux paroles de Descartes et déclarer :
"Je ressens, de sorte que je pense, donc je suis".» Faut-il noter que cette réécriture de Descartes nous vient d’outre-Rhin ?
D’outre-Rhin, aussi, cette conclusion :
«Vues au microscope, les bactéries sont de petits points lumineux sur fonds de ténè bres.
Mais ensembles, elles sont plus que cela : c’est une véritable communauté que chacun d’entre nous héberge. La plupart de ses mem- bres sont tranquillement installés dans les muqueuses et donnent des cours au système immunitaire, prennent soin de nos villosités intestinales, mangent ce dont nous n’avons pas besoin et fabriquent des vitamines. D’au- tres sont logés à proximité des cellules intes- tinales, les piquent de temps en temps ou fabriquent des toxines. Quand le bon et le mauvais vivent en bonne intelligence, le mau vais peut nous rendre plus forts et le bon prendre soin de nous et de notre santé».
Vivre en bonne intelligence ? On peut aussi, grâce à Actes Sud, prévoir de revoir le film de Buñuel. Darm mit Charm.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
lu pour vous
Coordination : Dr Jean Perdrix, PMU (Jean.Perdrix@hospvd.ch)
L’alcool : bon ou pas bon ?
L’ effet protecteur d’une consom
mation modérée d’alcool sur la mortalité est remis en cause par cette étude qui analyse dix cohor
tes de la Health Survey for England, recrutées entre 1998 et 2008.
Les patients (50 ans et plus) sont répartis en deux groupes en fonc
tion du mode d’autoévaluation de leur consommation : consomma
tion d’alcool hebdomadaire moyenne durant l’année écoulée (18 368 participants) ou consom
mation maximale quotidienne lors
de la semaine écoulée (34 523 participants). La comparaison entre «abstinents» et «buveurs»
retrou ve l’effet protecteur d’une consommation modérée d’alcool, mais après exclusion des anciens buveurs du groupe «abstinents», cet effet n’est retrouvé que chez les femmes de plus de 65 ans : celles consommant jusqu’à dix unités (10 g d’alcool pur) par semai ne (HR : 0,77 ; IC 95% : 0,630,94), toutes celles du groupe «consommation quoti
dienne maximale», avec un pic protecteur entre 3,1 et 4,5 unités (0,58, 0,390,87) et celles
consommant occasionnellement (2 fois ou moins de 2 fois par mois). Chez les hommes de 50 à 65 ans, l’effet protecteur est mi
nime. Selon les auteurs, l’inclusion d’anciens buveurs dans le groupe de référence explique entre autres les résultats ayant jusqu’alors conclu à un effet bénéfique de l’al
cool sur la mortalité. Un biais de sélection pouvant également être à l’origine de l’effet protecteur retrou vé ici chez les femmes plus âgées, d’autres études sont néces saires pour confirmer ces données.
Commentaire : En attendant ces clarifications, les recommanda
tions de l’OMS pour une consom
mation à faible risque restent
d’actua lité (maximum 21 unités par semaine pour les hommes, 14 uni
tés pour les femmes, un jour d’abstinence par semaine, maxi
mum 4 unités par occasion), faible risque signifiant bien que le risque existe d’une morbimortalité aug
mentée, notamment pour certains types de cancers.
Dr Pascale Della Santa Médecine de premier recours HUG, Genève
Knott CS, et al. All cause mortality and the case for age specific alcohol con
sumption guidelines : Pooled analyses of up to 10 population based cohorts.
BMJ 2015;350:h384.
1 Enders G. Le charme discret de l’intestin. Paris : Edi
tions Actes Sud, 2015. Traduit de l’allemand par Isabelle Liber.
Allergies : faut-il donner très tôt de l’arachide ?
Dans la prévention des allergies alimentaires, les mesures varient entre une privation totale d’aliments potentiellement allergènes jus qu’à un certain âge ou au contraire leur introduc
tion précoce. Dans le cas de l’allergie à l’ara
chide, qui touche maintenant 3% des enfants occidentaux, de nouveaux résultats mon trent qu’une consommation précoce et soutenue de produits à base de cacahuète est asso
ciée à une diminution significative du déve
loppement de cette allergie au moins chez les enfants à haut risque, c’estàdire ceux souffrant déjà d’eczéma sévère et/ou d’aller
gie à l’œuf.
Plus de 600 bébés âgés de 4 à 11 mois et faisant partie de cette catégorie à haut risque ont été séparés en deux groupes après un test cutané : d’un côté les enfants insensi bles (n = 530), de l’autre ceux présentant déjà une sensibilité (n = 98). Dans chacun de ces deux groupes, une partie des enfants a consom
mé du beurre de cacahuète à raison de 6 g de protéine d’arachide par semaine, tandis que l’autre en était privé. L’ allergie à l’arachide a ensuite été dépistée régulièrement, jusqu’à l’âge de 5 ans.
Il ressort de cette étude que dans le groupe où le test était négatif dès le départ, 13,7%
des enfants privés de beurre de cacahuète sont devenus allergiques à l’arachide, contre 1,9% seulement des consommateurs. Chez la centaine d’enfants qui avaient présenté un test positif au début de l’expérience, ces ré
sultats étaient respectivement de 35,3 et 10,6%. La consommation de beurre de ca
cahuète était de plus corrélée à des taux d’IgG et d’IgG4 plus élevés que chez les nonconsommateurs, comme lors d’une dé
sensibilisation.
Cette étude remet en question le bienfon
dé de priver les enfants d’arachide à titre préventif, en tout cas chez les enfants à haut risque. Il est nécessaire toutefois d’attendre des résultats à plus long terme, afin de dé
terminer notamment si l’allergie n’a été que différée.
Marina Casselyn Du Toit G, Roberts G, Peter H, et al. Randomized trial of peanut consumption in infants at risk for peanut al
lergy. N Engl J Med 2015;372:80313.
immunologie
D.R.
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