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Les relations d’affaires entre chaurand frères et Guilbaud gerbier du cap : sources et problèmes pp. 130-147.

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LES RELATIONS D’AFFAIRES ENTRE CHAURAND FRERES ET GUILBAUD GERBIER DU CAP : SOURCES ET PROBLEMES

KOUAME AKA

Maître de Conférences d’Histoire Moderne Université de Cocody

Ce thème s’inscrit dans un programme d’étude sur les échanges dans l’At- lantique français au XVIIIe siècle. Les mécanismes du commerce des denrées coloniales et les modalités du commerce africain ayant été abordés dans mes travaux antérieurs1, il me restait à comprendre tout ce qui tourne autour de la vente des Noirs dans les îles à sucre. La création de Guilbaud Gerbier et Compagnie par les frères Chaurand et leurs amis installés au Cap, dans la partie du Nord de Saint-Domingue vise à résoudre ce gros souci des armateurs négriers.

L’Institut d’Etudes Avancées de Nantes en acceptant ce projet, m’a permis de me replonger dans les fonds Chaurand des Archives Départementales de la Loire Atlantique. Le présent travail fait le bilan de cette recherche conduite à Nantes d’octobre 2009 à juin 2010. L’objectif de ce travail est de présenter les sources devant servir de base à l’étude, de dégager quelques pistes de recher- che, en insistant sur les silences de la documentation.

1. LES INSTRUMENTS DE LA RECHERCHE : LES SOURCES

La question des sources est plus qu’importante en histoire car en tant que traces laissées par les activités du passé, elles constituent la matière première et la base de toute recherche historique. Par ailleurs l’historien veut toujours connaître la nature des témoignages, dans quelles conditions ils ont été produits, quelles sont leurs forces et leurs faiblesses afin de mesurer les qualités et les limites de son travail. Ce procédé montre aussi mon attachement à l’esprit de la collection Nouvelle Clio qui consacre dans chaque volume, la première partie à l’Etat de la documentation.

1 Kouamé Aka, Le commerce des sucres en France 1763-1793. Positions et contradictions. Thèse de Doctorat de 3e cycle, Université de Paris I Panthéon Sorbonne 1983,514p. Les cargaisons de traite nantaises au XVIIIe siècle. Une contribution à l’étude de la traite négrière française. UFR d’Histoire et Archéologie. Thèse pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Nantes en Histoire, 2005, 812p.

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Gerbier et Compagnie du Cap. Le Cap étant au XVIIIe siècle, en quelque sorte, la métropole commerciale de la colonie française de Saint-Domingue. Situé dans la partie du Nord de l’île, la mieux cultivée, la plus riche car la mieux ravitaillée en esclaves, « le Cap français » voyait affluer dans son port des centaines de navires.2

Mais les recherches entreprises pour trouver les traces des archives de cette société coloniale sont restées infructueuses. La fréquentation du site des Archives Nationales de Haïti n’a rien révélé. Gerbier l’un des associés du cap étant natif de Rennes, j’ai cherché en vain sur le site des Archives municipales de cette ville des papiers relatifs à la société. Tout ce qui a été trouvé, c’est une courte biographie du père, Pierre Jean-Baptiste Gerbier, avocat et juriscon- sulte. Rien n’a été repéré non plus dans les Archives de Bordeaux, premier port colonial français au XVIIIe siècle. Il me reste à chercher du côté des Archives d’Outre-mer à Aix où sont conservés les papiers provenant de Saint-Domingue, notamment les fonds des notaires du Cap où il est possible de trouver quelques actes concernant la société Guilbaud Gerbier et, éventuellement des Archives judicaires et pourquoi pas des références claires aux poursuites judiciaires exercées contre les débiteurs de la maison Chaurand.

La richesse des Archives de la Société Guilbaud Gerbier et compagnie du Cap, est prévisible car les lettres à l’Amérique révèlent qu’à plusieurs reprises, la maison Chaurand lui a fait passer des papiers importants : acte de la société, contrats de liaison d’habitation, procuration, sans oublier sa correspondance retour dont la maison nantaise n’a conservé aucune trace. Cette correspondance retour est très importante pour connaître les activités sur place de la société, les renseignements précis demandés par leurs associés nantais, les tableaux de vente des négriers, une liste plus exhaustive des débiteurs, l’état des rentrées des créances et le résultat concret des actions judiciaires.

Tout n’est pas perdu pour autant car les Archives de la maison Chaurand même si elles ne contiennent pas tout, sont un bon observatoire pour une parfaite compréhension des relations d’affaires entre une maison métropolitaine et une maison coloniale.

Les Archives des armateurs Honoré et Louis Chaurand frères, ont été découvertes fortuitement dans le grenier du Pré-Bernard à le Cellier à 19km de Nantes par le Père Dieudonné Rinchon. Ecoutons l’auteur raconter lui- même les circonstances de cette heureuse découverte : « en 1935 et 1937, recherchant, dans les châteaux et maisons de campagne de la banlieue de Nantes les Archives de la famille Portier-Lantino, armateurs des voiliers-négriers du capitaine Van Alstein, nous avons eu la bonne fortune de trouver dans le

2 P. Dieudonné Rinchon, Le trafic négrier d’après les livres de commerce du capitaine Gantois Pierre Ignace-Lievin Van Alstein. L’organisation commerciale de la traite des Noirs, Tome premier Nantes E. Gernoux, Paris, Librairie A. Vanelbe, Bruxelles, éd. Atlas, 1938, 349 p.sp.211

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grenier du Pré-Bernard à le Cellier (19 km de Nantes) toute la comptabilité des armateurs Honoré et Louis Chaurand frères, quatre vingt in folios dont les données s’échelonnent de 1774 à 1820… »3

Cette maison d’armement nantaise a été fondée par Honoré Chaurand père, d’origine provençale. Son nom, aux dires de du Halgouet, « apparaît sur les registres du port de la Loire de 1772 à 1775.. »4 De son mariage avec Marie Portier de Lantimo, fille d’un négociant de la place, naquirent : Honoré- Anne-Pierre Chaurand, l’aîné qui épousera Jeanne Deurbroucq, Pierre-Louis Chaurand (1750-1806), Louis Chaurand du Chaffault qui épouse sa cousine germaine, Thérèse Libault, « Joseph Chaurand de Lespinay et François- Alexandre Chaurand de la Ranjonière (qui) décédèrent sans alliance»5

A la fin de l’année 1776, Chaurand père abandonne son entreprise d’arme- ment à ses deux fils aînés, Honoré et Louis Chaurand.6 Le père Rinchon en fait plutôt remonter la fondation au 1er juin 1776. Le capital initial de 140 000 L est porté à 200 000, le 31 juin 1778.7

Le fonds Chaurand est conservé aux Archives Départementales de la Loire Atlantique sous la côte 101J. C’est un fonds très important, un total, de «quatre vingt in folio dont les données s’échelonnent de 1774à 1820 »8. Dans le détail, il s’agit de :

- 25 registres de copies de lettres allant de 1782 à 1793 (101J.1-25). Cette abondante correspondance émanant des frères Chaurand peut être groupée en deux grandes catégories : les lettres à l’Amérique (101J-1à 8) le premier registre renferme les copies de lettres écrites entre 1782 et une partie de 1784 ; le second de 1784 à 1786 et le troisième de 1786 à 1787 ; le quatrième de 1787 à 1788, le cinquième de 1788 à 1789, le sixième de 1789 à 1790 ; le septième de 1790 à 1791 et le huitième de 1791 à 1793. Ce sont ces registres qui intéressent particulièrement le sujet. Le second groupe (101J.9 à 25) est, comme l’indique l’intitulé général, constitué de lettres d’Europe de 1775 au 11 novembre 1793. On y trouve néanmoins quelques lettres adressées soit à Guilbaud et Dubergier et Grieumard tous au Cap, à Gerbier père à Rennes, à l’oncle à Paris, à Madame Guilbaud, les traites de Guilbaud Gerbier payables dans Paris et quinze lettres adressées à Guilbaud (101J.24 et 101J.25). Au total, la correspondance renseigne sur les affaires confiées à la société du Cap par Chaurand frères, sur le cours des denrées à Nantes et sur les évènements en métropole.

- Sept livres d’armement et de désarmement 101J. 26 à 32 couvrant les années 1774 à 1787. Les livres de comptabilité sont aussi très utiles pour cette étude. Ce sont quatre livres de caisse (101J.24-32), un Carnet de caisse (8

3 P. Dieudonné Rinchon, Les armements négriers au XVIIIe siècle d’après la correspondance et la comptabilité des armateurs et des capitaines nantais. Bruxelles

4 H. ou Halgouet, Au temps de Saint-Domingue et de la Martinique, Rennes, 1941, p.31.

5 Idem, p.32.

6 Ibidem, p.32.

7 Le P. Dieudonné Rinchon, Les armements négriers au XVIII e siècle, op. cit., p.77.

8 Idem p.22.

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octobre 1774 - 30 mai 1780), deux Livres d’assurance (101J.35.36), un livre des marchandises entrées et sorties des magasins des veuves Chaurand et Libault (25 août 1784 -12 juin 1790), deux Livres de magasin (vente) (101J.48.49), deux registres de lettres et billets à payer (101J. 50.51), onze registres de Lettres et billets à recevoir, deux livres de location de magasin et un livre d’entrée et sortie de navires de la maison Chaurand (101J.78). Ce dernier livre n’est pas utilisé car la période couverte est hors de la chronologie de base. Beaucoup d’informations se recoupent. Exemple, des renseignements existant dans le journal se retrouvant dans le grand-livre et le livre de comptes courants.

Donc en dehors des copies de lettres, j’ai consulté entièrement les brouillards de factures (101J 45.47), les livres de comptes courants (101J.74.75) et les grands livres (101J.68.73), Les brouillards de facture se sont révélés d’une extrême importance. Chaurand frères y a consigné tous les comptes d’assurance et les factures de diverses marchandises achetées pour le compte de Guilbaud Gerbier et compagnie, quelques comptes d’armement dans lesquels la compagnie du Cap est intéressée et un compte de commissions que la société doit aux frères Chaurand pour leur intérêt dans les navires la Sainte Anne, premier, deuxième et troisième voyages et la Marie Marguerite, navires partis en traite aux côtes de Guinée.

Les livres de Compte Courant couvrent la période 1788-1790 et le Grand Livre, à partir de 101J.70, et concernant Guilbaud Gerbier et compagnie, la période 1785-1792. Les deux livres comptables rassemblent les mêmes objets, les comptes de Guilbaud Gerbier et Compagnie avec la maison Chaurand, ce qu’ils doivent et leurs avoirs, les comptes des navires, négriers et en droiture, le montant et les modalités de vente des nègres, les retours en denrées coloniales ou en lettres de change (les remises), les intérêts de la société du Cap dans les envois de denrées, ses primes et commissions, les sommes perçues au Cap pour le compte de Chaurand frères, les actions en justice contre divers débiteurs à Saint-Domingue.

Les sommes perçues par Chaurand frères pour leur capital dans la société en 1787, 1788 et 1789 et l’arrangement du 31 décembre 1789 avec la compagnie pour le paiement de 99601L.11s.7d. en cinq traites : en 1791, 1792, 1793, 1794 et 1795 avec les intérêts à chaque premier juillet, leurs primes et commissions diverses.

2. GUILBAUD GERBIER DU CAP, DÉBUT ET FIN D’UNE SOCIÉTÉ EN COMMANDITE COLONIALE

Les négociants-armateurs engagés dans le grand commerce maritime opèrent selon un modèle immuable, par un réseau dense de commissionnaires chargés d’exécuter leurs ordres d’achat. Ce modèle, utilisé en métropole sur les marchés régionaux, nationaux et internationaux des articles de commerce, fonctionne pareillement dans le commerce avec les îles.

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Au Cap où les frères Chaurand dirigent l’essentiel de leurs activités avec Saint-Domingue, ils écrivent à plusieurs correspondants. Par exemple dans le premier registre de correspondance rassemblant les copies de lettres de 1782 à 1784, pas moins de vingt correspondants sont recensés, soit environ 35% de la correspondance. Parmi eux, des amis mais aussi des sociétés constituées.

C’est le cas de Cosnay et compagnie, une lettre ; Grieumard, dix-neuf lettres ; Guilbaud et Dubergier, quatorze lettres ; Gourjon ainé et compagnie, trois lettres.

On sait avec certitude qu’avant la création de Guilbaud Gerbier et Compagnie, les frères Chaurand ont travaillé probablement de 1781 à 1784 activement avec Grieumard et après sa mort9, avec Guilbaud et Dubergier. Dans le deuxième registre (101J.2) qui couvre la période 1784-1786, vingt lettres sont adressées à cette maison et seulement neuf à la société Guilbaud Gerbier. Il faut attendre le troisième registre (101J.3) qui couvre les années 1786 et 1787 pour voir Guilbaud Gerbier et Compagnie prendre une place prépondérante dans les relations des frères Chaurand avec Saint-Domingue. En effet, du 27 février 1786 au 3 avril 1787, vingt quatre lettres sont adressées à la société ; quatre à Gerbier Vologé au Cap et une à Guilbaud.

DE QUAND DATE LA CRÉATION DE CETTE SOCIÉTÉ ?

La première certitude qu’on a c’est que Guilbaud Gerbier et Compagnie du Cap n’est pas une nouvelle création ; c’est la continuation de Guilbaud et Du- bergier sous une nouvelle raison sociale après le retrait de Dubergier pour des raisons pas très bien spécifiées et son remplacement par Gerbier. On se trouve donc en face d’un problème à résoudre : la nature de cette nouvelle société et sa durée de vie, l’identité des associés et les mises individuelles.

Je n’ai pas encore trouvé l’acte de la société qui existe bel et bien quelque part. Car le 29 septembre 1785, les frères Chaurand informent leurs associés du Cap que « M. Guilbaud est porteur d’une expédition d’un acte de la société » qu’ils doivent leur renvoyer revêtu de la signature de M. Gerbier10. François Guilbaud était en France, restait la signature de Gerbier Vologé déjà au Cap.

C’est ce document qui peut renseigner de façon précise sur ces différentes questions. A défaut, on peut se contenter des renseignements donnés çà et là dans la correspondance et la comptabilité des Chaurand. Ce sont assurément les seuls qui existent puisque le P. Dieudonné Rinchon qui, le premier, révèle la naissance de la société s’est contenté de citer une lettre de ces derniers à Seguineau frères de Port-au-Prince en 1785. On y apprend que Guilbaud Gerbier et Compagnie, à la différence de toutes les autres avec lesquelles ils ont travaillé jusque-là selon le modèle de la consignation, est une société en commandite.

9 On ne connaît pas la date précise de sa mort seulement signalée dans une lettre à Guilbaud et

Dubergier et Mallard le 24 janvier 1785. ADLA 101J.1.10 38. Du ruper 1785.

10 Archives Départementales de la Loire Atlantique ‘ADLA’ 101J-2 p.263-267 du 29 septembre 1785. M. Guilbaud Gerbier & cie Cap.

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« Nous faisons la commandite de cette maison qui sera gérée sous la raison de Guilbaud, Gerbier et Cie »11 écrivent-ils. C’est tout ce qu’on sait. Le P.

Rinchon signale aussi de façon erronée que « déjà la société en commandite entre en liquidation le 31 décembre 1787 »12. Cette dernière information pose le problème de la durée. D’abord la société entre en service à quelle date précise ? On dispose de deux indications. La première lettre à la société sous sa raison sociale de Guilbaud Gerbier et compagnie date du 29 septembre 1785. A cette date, l’acte de la société est déjà rédigé et revêtu certainement de la signature des associés présents en France. En effet, dans leur lettre à Dubergier le 17 août 1785, les Chaurand annoncent sa création et recherchent d’autres associés sur place à Saint-Dominique et notamment sa propre participation :

« La satisfaction que nous ressentons des nouvelles liaisons d’amitié et d’intérêt que nous venons de former avec M. Guilbaud serait complète s’il eut pu entrer dans vos arrangements d’y participer. Le plaisir du repos vous a fait décider vous-même Mr Guilbaud à prendre d’autres associés, puisse leur union être toujours aussi intime que la notre, … »13.

Toutefois, l’idée de création de la société remonte au moins au début de l’année 178514. Mais elle doit commencer à fonctionner « le 1er novembre prochain »15.

Quant à la cessation des activités, la date du 31 décembre 1787 avancée par le P. Rinchon16 comme celle de la liquidation est infondée. La correspondance et les livres comptables des Chaurand démentent formellement cette information.

L’analyse de la correspondance révèle de façon indiscutable que c’est à partir du 25 mai 1791 qu’elle change à nouveau de raison sociale pour devenir François Guilbaud et Compagnie qui continue de traiter avec Chaurand frères.

Puis, au début de l’année 1792, François Guilbaud devant se rendre en France pour des raisons de santé, il trouve un nouvel associé sur place pour continuer les activités de la maison. Ce nouvel associé est M. Rouge originaire de Lyon d’où la nouvelle raison sociale Guilbaud Rouge et Compagnie17, destinataire, du 25 février au 19 juin 1792 de toute la correspondance des Chaurand18.

La question des associés et leurs apports est pour le moment difficile à démêler sans l’acte de création. Y a-t-il d’autres associés en plus des trois noms connus : Chaurand frères, François Guilbaud et Gerbier ? Dubergier a-t-il accepté la proposition de Chaurand frères d’entrée dans la nouvelle société ? Rien n’est moins sûr, car son retrait de Guilbaud et Dubergier semble lié à un besoin de repos et c’est sur ses conseils que ce dernier a pris de nouveaux

11 Cité par P. Dieudonné Rinchon, Les armements négriers au VIIIè siècle, op ; cit., p.105.

12 Idem p.110.

13 ADLA 101J.2 f°.210 Mr Dubergier, du 17 août 1785.

14 Idem.

15 ADLA 101J.2. f°.52 (Cap) Mrs Guilbaud et Dubergier, du 18 février 1785.

« Le motif de la présente est de vous recommander un Gerbier passager sur notre horaire le Beauharnois que nous  avons intention d’associer à une maison de commerce que nous projetons de former chez vous »

16 Idem p.110.

17 ADLA.101J.8 f°.151 Guilbaud Rouge et Cie 25 (25 février 1792).

18 101J.8 copie de lettres d’Amérique 1791-1793 p.151-152 ; 156-157 ; 162-164 ; 175-176.

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associés. Par ailleurs, tout semble indiquer, au regard des allusions dans la lettre du 17 août 1785, qu’il n’était pas décidé à demeurer longtemps encore à Saint-Domingue.19 Que sait-on des associés ? Si on connaît les frères Chaurand, il n’en est pas ainsi de leurs deux associés au Cap. De Guilbaud, on sait tout juste qu’il est un bon ami20 des frères chaurand et la nouvelle société est présentée par ces derniers comme « des nouvelles liaisons d’amitié et d’intérêt que nous venons de former avec un Guilbaud »21. En tout cas, les deux familles se connaissent et s’apprécient. On ignore tout de son origine provinciale. Quand il est en France, les lettres lui sont adressées à divers endroits : à Bannières le 31 juillet et le 2 août 179022. Le 28 mars 1792, de retour du Cap, il débarque à la Rochelle ; le 11 avril 1792, il est à Bordeaux ; le 24 mai et le 2 juin, à Paris ; le 3 juin 1793 et le 11 juillet, à Rouen23. François Guilbaud et les frères Chaurand semblent constituer les piliers de la société et Guilbaud en est très certainement le gérant au Cap.

Quant à Gerbier, il est tout nouveau dans la colonie. Les traces de son passage au Cap à bord du Beauharnois, un navire de la maison Chaurand, figurent dans deux correspondances au début de 1785 : le 8 février et le 18 février 178524. Il est présenté comme un de leurs « amis intimes résident à Saint-Domingue ».

En fait d’ami, Gerbier est plutôt le fils d’un ami, Pierre Jean-Baptiste Gerbier, avocat à Rennes.25 Un autre parent, l’oncle, avocat à Paris est lui aussi bien connu des armateurs. Il entre dans la société en remplacement de Dubergier avec l’aide de Chaurand frères à la suite de l’échec de son établissement avec Hallard. Les deux hommes étant d’un caractère totalement opposé, n’ont pu s’entendre.26 En effet le 18 juillet 1785, Chaurand frères rassure le père qu’il a pour le fils des projets plus avantageux. Le 23 août suivant, ils lui annoncent la création de la société Guilbaud Gerbier et Compagnie. C’est l’écrivain au sein de la société Gerbier qui « écrit très facilement, doit s’attacher principalement à cette tranche ». Les deux principaux associés, Chaurand frères et François Guilbaud se sont bien entendus sur ce point avant le retour de ce dernier au cap.27

19 « Le plaisir du repos vous a fait décider vous-même Mr Guilbaud à prendre d’autres associés (…) vous y contribuerez beaucoup aussi Mr en accordant à cette maison vos bons conseils pendant tout le séjour que vous ferez à Saint-Domingue, nous osons vous flatter que vous ne cesserez jamais de la regarder comme la votre et que vous nous ferez toujours l’amitié d’y conserver votre logement tant quelle subsistera » ADLA.101J.2 Dubergier, …1785.

20 ADLA 101J2 60282-285 Mr Guilbaud du 10 ..1785. 101J24 fo 33-35. Bannières, Guilbaud ; du 31 JUILLET 1790.

21 Idem fo 210 Mr Dubergier du 17 août 1785.

22 ADLA 101J.24 copie des lettres d’Europe 10 juillet 1790- Saint 1791 fo 33-35 et fo 38-39.

23 ADLA 101J.24 copie des lettres d’Europe, 18 Août 1791.11 novembre 1793 fo 251-252 ; 261- 262 ; 304 et 311 ; 539 et 548.

24 ADLA 101J.16 Copie de lettres d’Europe 12 octobre 1784-2 juin 1785 Fo 243 lettre à Gerbier,avocat à Rennes du 8 février 1785. ADLA 101J.2 fo 52 lettre à Guilbaud et Dubergier du Cap du 18 février 1785.

25 De son nom est cité dans plusieurs contrats d’assurance.

26 ADLA.101J.17. fo 45. M. Gerbier de Vologe, Rennes, du 28 juin 1785 et M. Gerbier, avocat à Paris, du 28 juillet 1785.

27 ADLA 101J.70 fo 345-346. Cap M. Guilbaud Gerbier & Cie du 22 …1785.

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Combien chacun apporte dans le capital de la société ? On le sait pour Chaurand frères grâce aux livres comptables de la maison. La part respective des deux associés du Cap n’apparaît nulle part. On peut penser que leur apport consiste en travail. Chaurand frères engagent 100 000 L dans le capital pour lesquels ils perçoivent un intérêt annuel de 5% et 1/5 des bénéfices à la fin de chaque exercice28.

3. LES ACTIVITÉS DE LA MAISON GUILBAUD ET COMPAGNIE AU CAP

« Une société en commandite de vente de cargaisons humaines», tel est le sous-titre utilisé par le P. Rinchon pour annoncer l’activité de la société du Cap. En fait, il n’a pas cherché loin ; il s’est fié aux premières déclarations de Chaurand frères :

« Les expéditions et consignataires des négriers sont les affaires les plus lucratives des maisons de l’île (…) Nous avons décidé d’établir une maison à laquelle tous nos négriers s’adressent dans le principe et qui les fera passer dans les ports où les ventes seront les plus avantageuses »29.

Cette information à Séguineau frères de Port-au-Prince est bien réelle mais dans les faits, la vente des nègres ne fut pas la vocation exclusive de la maison du Cap ; les missions étaient plus étendues.

La première vente de noirs au Cap au compte de la nouvelle société a été effectuée en Août 1785 par Dubergier et Gerbier déjà arrivé dans la colonie, François Guilbaud étant encore en France. Il s’agit de la cargaison de l’Aima- ble Aline qui doit arriver de « Galbar ». Initialement, le navire était adressé à la maison Hallard et Gerbier. L’échec de leur collaboration explique l’annulation par Chaurand frères de cet arrangement. M. Dubergier y représentait François Guilbaud absent30. En fait, toutes les affaires en cours de la défunte société sont transférées à la nouvelle.

C’est en 1786, 1788 et 1792 que les livres comptables de Chaurand frères enregistrent les ventes effectuées par leurs associées du Cap.

28 101J.71 fo 169 et fo 170ou 101J 47 fo 268.

29 Cité par le P. Dieudonné Rinchon, Les armements négriers au VXIII è siècle, p.104.

30 ADLA 101J.2. fo 210 lettre à M. Dubergier au Cap du 18 Août 1785.

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Tableau des ventes de noirs à Saint Domingue par Guilbaud Gerbier et Cie 1786-179231

Années Date du compte de vente

Nom des négriers Nombre de têtes

de noirs montant de la vente (en

L)

1786

17 avril La Brune

(2e voyage)

305 608418

31 juillet La Jeanne Thérèse (2e voyage) capitaine Pacaud)

291 588680

16 septembre L’Alexandrine (ancien Luzitano)

1er voyage Capitaine Bisson

356 528 753

1788

28 avril La Jeanne Thérèse (3e voyage)

219 376 066

30 septembre Le Louis 182 299 258

1792

31 janvier L’Aimable Aline (2e voyage)

429 707074

Totaux 1782 3 108 249

Numériquement parlant, la maison du Cap n’a pas eu à s’occuper de beaucoup de négriers en sept ans d’exercice : six en tout. Mais cela n’est pas étonnant, les Chaurand comme les Drouin et les Bouteiller étudiés par Laure Pineau, alternent navires en droiture et navires négriers avec toutefois une forte concentration sur l’armement en droiture (le commerce américain) que sur le commerce négrier. 82% de l’armement Chaurand sont des navires en droiture contre seulement 18% pour la traite négrière, 50 navires contre 1132. Donc ni la propagande anti esclavagiste naissante en France ni les événements durant les cinq premières années de la Révolution, ne peuvent expliquer le petit nombre de négriers adressés à la société du Cap. Au total, ce sont 1782 noirs qui sont vendus par la nouvelle société pour une valeur de 3 108 249 L. On trouve dans les livres d’armements et de désarmements quelques tableaux de traite, quelques tableaux de vente, les paiements au comptant, ce qui reste à crédit et le calendrier des paiements avec les montants, l’emploi des fonds, les rentrées en denrées, les ventes à Nantes et les répartitions aux intéressés etc. Le Père Rinchon a même trouvé pour certains créanciers, la nature des paiements et la

31 ADLA : 101J.70 fo 131, 101J.71 fo 130, 138, 133, 135

32 Laure PINEAU, L’élite négociante nantaise dans le second tiers du XVIIIe siècle et au début du XIX e siècle : 1763-1815. A partir de l’exemple de six familles liées par le mariage et les affaires : Drouin, Bouteiller, Chaurand, Deurbroucq, Berthrand, Lincoln

Université de Nantes, UFR Histoire Sociologie, mémoire de DEA, 1999 ;130p jp103, 104, 105

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valeur en argent33. Quelques bribes d’informations de même nature se trouvant dans le Grand Livre.

On sait que tous les noirs ne sont pas vendus au Cap. Les Chaurand le précisent bien, Guilbaud Gerbier et Compagnie en font passer dans les ports où la vente promet d’être plus avantageuse. Ils y tiennent particulièrement et le leur rappelent dans quelques uns de leurs courriers. On a ainsi quelques détails concernant la cargaison de la Brune en 1786. Sur les 305 captifs, 86 sont adressés à Séguineau frères à Port-au-Prince et 150 à L. Corpion Burbé B. Dupius et Cie de Saint Marc. Au moment du compte, Séguineau frères n’en a vendu que 79 pour un montant de 119 495 L 10s. Le lot de Saint Marc est évalué à 3681.L.6d34.

Dans les cargaisons de Noirs, quelques uns sont atteints d’épilepsie : quatre sur la Jeanne Thérèse (2e voyage), une négresse et trois nègres ; quatre sur l’Aimable Aline (2e voyage). Ces malades, repris et les acheteurs remboursés, sont ensuite revendus selon la formule consacrée, judiciairement. Delauvrin et Gouyon ainé et Compagnie ont ainsi été remboursés, le premier reçoit 2500 L pour la négresse épileptique et les seconds, 4500 L pour les trois nègres épileptiques. La négresse épileptique est ensuite revendue à 80L 15s et les trois nègres, 476L.18s.1d35. Les quatre malades de l’Aimable Aline en 1792 ont été revendus respectivement : deux à 310L, le troisième à 104L10s et le quatrième, à 285 L.36

On a très peu de renseignements sur les acheteurs sauf Hamon de Vaujoyeux ainsi que ceux dont les noms apparaissent dans les poursuites judiciaires contre les débiteurs. Hamon de Vaujoyeux à Port-au-Prince a acquis 12 têtes de noirs de la cargaison de la Jeanne Thérèse suivant les comptes du 13 juillet et 15 décembre 1786. Le tout pour 30 000L : les six premiers de 15000L sont payables à 12 mois de vue et les six autres du même montant, à 18 mois. Sur ces achats, Guilbaud Gerbier et Compagnie lui fait une remise de 2400L37. Toujours en 1786, il achète encore 12 des noirs de l’Alexandrine dans les mêmes conditions que la première fois avec cette fois, une remise de 1200L. Il doit donc payer 28800L au lieu de 30 000 selon les mêmes termes, 12 et 18 mois.38

Les activités ne se limitent pas aux ventes des cargaisons. Les navires en droiture tiennent une place prépondérante dans l’armement nantais en général dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et des Chaurand en particulier.

Ces navires apportent des marchandises d’Europe pour les colons, souvent

33 Cf. le tableau de la vente des Noirs des navires la Pauline au Cap français dressé par le capi- taine Begoudon in P. Dieudonné Rinchon, op.cit.p.94

34 ADLA : 101J.70 grand livre 1784-mai 1787 fo 313 Guilbaud Gerbier et Cie leur compte avec effets dans le brune (2 voyage) fo 101J.71 fo 128.

35 ADLA.101J.jo fo 341.

36 ADLA 101J.71 fo 132.

37 ADLA. 101J.jo fo 341.

38 ADLA 101J.71. fo 133.

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à l’adresse des maisons consignataires et Guilbaud Gerbier et Compagnie n’est pas en reste. Mais ce qui est intéressant ici, ce sont les marchandises de toutes sortes « achetées d’ordre et pour compte de MM Guilbaud Gerbier

& Cie du Cap » et expédiées par divers navires. Les factures ne précisent pas leur destination finale. S’agit-il de commandes de quelques habitants par le truchement de cette maison ou de marchandises pour alimenter un commerce de détail tenu par la maison ? En effet chaque année de 1786 à 1788, des navires leur apportent des balles de toiles, des paniers d’huile fine, des rames de papier à lettre de Hollande, des grands carnets fins, des carnets de lettre de change, des rames de connaissements, des crayons, des plumes, des bottes de première de buis, des caisses de bougies, de houe et de serpes, des cuillères et écumoires de fer battu, des cloux à barriques, des cylindres, des pivots, des cercles en fer, des serres, des pinces, des masses, des chasses, des marteaux, des clefs, des plaques, des platines, des crapaudines, des cul d‘œuf, des boutons, des alluchons, des jeux de moulin à sucre, des casaques à nègres. En un mot, tout ce qui est nécessaire à l’entretien des sucreries, pour le bien-être des habitants et pour le commerce avec la métropole.

En 1786, 306 pièces de toile sont acheminées au Cap par l’Emmanuel et la Bonne Mère. Les combourg de Dinan y tiennent de loin la première place : 202 pièces soit 66,01%. Si on ajoute à cela les toiles sans nom blancs et jaunes (8) et les Halles (12pièces), Dinan apparaît de loin le premier fournisseur de toiles de Chaurand frères pour les îles : 226 pièces.

Le deuxième lieu de ravitaillement est Mortagne d’où les Chaurand tirent les Brin : brin ¾ et brin 7/8, 48 et 32 pièces soit 80 pièces. Les casaques à nègres sont signalées une seule fois. Le 23 avril, seul un ballot contenant 104 casaques est enregistré. C’est le signe que l’obligation d’habiller les esclaves est foulée au pied par les planteurs qui préfèrent s’occuper de leur propre bien-être.

Un deuxième groupe d’article tient une bonne place dans les envois, les instruments aratoires : houes, serpes, machettes. 300 houes, 150 serpes et 15 machettes sont fournies en partie par Gaudin fils et Dacosta frères. Puis, en rapport avec la plantation sucrerie, on peut signaler les clous à barriques, les 50 quarts, les écumoires de fer battu étamé et pour les négociants locaux, les lettres de change burinées : 1950 ; les rames de connaissement, les carnets de comptes et les rames de papier à lettre de Hollande, les crayons : 24 et les plumes : 100.

En 1787, encore de la toile Combourg de Dinan : 6088 aunes mais aussi des sacs : 1024, des plumes de Hollande : 1000, et de la Cire rouge, première et deuxième qualité, 530 paniers d’huile d’olive et 3 cours d’agriculture.

En 1788, encore des Combourg, 902 1/24 aunes mais surtout des articles pour les plantations : cylindres, pivots en entier et en pièces de rechange, des cercles de fer, des serres, des pinces, une masse, une chasse, 1 marteau, des clefs, des plaques, des cloux, des culs d’œuf, des platines, des boutons etc. En 1789, pas de toile mais des articles de plantation.

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Mais en vérité, l’entrée des Chaurand dans cette société en commandite fait partie de leur stratégie générale de s’installer au cœur de l’économie de plantation pour reprendre la formule heureuse de Laure Pineau Defois dont l’objectif primordial est de s’assurer une meilleure fourniture en denrées coloniales.

Liaisons d’habitation et acquisition d’habitation participent de cette stratégie.

Les manques de denrées, les frais d’attente de livraison et les retours à vide sont préjudiciables. Guilbaud Gerbier et Compagnie doit veiller à assurer aux navires de la maison Chaurand des retours suffisants et rapides en denrées coloniales.

Quatre denrées figurent dans les retours de Saint-Domingue à la consignation de Chaurand frères : café, sucres, indigo et coton. Mais deux produits dominent largement : le café, 50% des envoies et les sucres : sucre terré, commun et brut mais surtout le sucre terré, représentent un peu plus de 35%. L’indigo et le coton tiennent une place dérisoire. La place du café dans les envoies peut s’expliquer par son prix plus élevé à Nantes que le sucre. Ces denrées sont chargées sur des navires de la maison Chaurand ou sur d’autres navires nantais : la Brune, l’Aimable Aline, le St Honoré, l’Alexandrine, la Sainte Anne, la Flore, l’Abondance, la Liberté, le Jean-Baptiste, la Venus, la Nouvelle société, le Bénezet, la Fleur royale, le Nantais, la Magdelaine, et sur des navires d’autres ports du Ponant, exemple, le Bien Aimé, du Havre, Capitaine Le Brien.

Tous les produits ne sont pas adressés à Chaurand frères. Des planteurs chargent leurs productions sur les navires de la maison à la consignation d’autres négociants en payant le fret. Le fret est bas quand il y a trop de navires en rade et élevé dans le cas contraire. Le 27 février 1786 Chaurand l’évalue à 12 d au Cap en précisant que ce prix dure déjà depuis un bon moment39 et à 15 d à Port-au-Prince.

Ils recommandent donc d’y envoyer le Beauharnais faire son chargement40. Parmi ces consignataires métropolitains, des négociants bordelais, exemple Cochon Trop long. En juillet, septembre et octobre 1788, il reçoit du café chargé sur le Saint Ange, le Lynée, la Belle Aline, le jeune Edouard et le Prothée ; mais aussi d’autres négociants nantais : la société du Sénégal, Clanchy et Parran etc.

Les denrées chargées à l’adresse de Chaurand frères à Nantes ont une triple provenance. Les liaisons d’habitation constituent une première source de ravitaillement. Une liaison d’habitation est une sorte de contrat de livraison exclusive des produits de la plantation. Elles interviennent le plus souvent quand les planteurs ont d’énormes dettes envers l’armateur. La liaison d’habitation est pour l’armateur, le seul moyen de rentrer dans ses fonds. Le P. Dieudonné Rinchon qui a étudié cette question cite parmi ces relations d’affaires des Chaurand, les Beauharnais, propriétaires des exploitations de la Ravine et de la Cul. Les Beauharnais ne pouvant rembourser leurs dettes, les Chaurand se rendent acquéreurs de la Ravine. En 1785 Honoré Chaurand signe à Paris un contrat de ce type avec Dugas de Vallon. M. Dutrejet, les héritiers Deluyne, Pierre et Joseph de Thébaudières, le comte de Duras, entretiennent des

39 ADLA 101J.3 fo 28-33 de Chaurand frères à Guilbaud Gerbier et Cie au Cap du 27 février 1786.

40 P. Dieudonné Rinchon, op. cit., p.102-104.

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relations de ce type avec la maison nantaise.

Les Chaurand écrivent à leurs nouveaux associés du Cap de leur faire passer tous les produits de la plantation de De Thébaudière pour le bien de leurs intérêts41. Une lettre de Dugas de Vallon adressée aux Chaurand et transmise par eux à Guilbaud Gerbier, contient ses instructions d’adresser directement à ses créanciers nantais tous les revenus quelconques de ses trois habitations.42

Au début de leur association en septembre 1785, les Chaurand expliquent à leurs amis du Cap qu’ils font beaucoup d’affaires à Port-au-Prince, et notamment dans le quartier de Léogare où ils ont plusieurs liaisons d’habitation.

Ils les informent plus précisément sur celles qu’ils viennent de conclure avec le comte de Vandreuil et le comte de Duras dont parle le P. Rinchon. Ils ont leurs habitations au Cul de sac et au Morne Rouge dans la dépendance du Cap.

Ces derniers ont donné ordre à leur gérant, O. Gorman, de faire passer aux Chaurand tous leurs revenus. Chaurand frères confie donc à la maison du Cap le soin de s’occuper de tous les chargements de cette habitation43.

Avant de conduire ces affaires, et ce, depuis l’établissement de la société en commandite, les Chaurand demandent toujours à leurs associés tous les rensei- gnements nécessaires sur les habitations. Avec De Thebaudière, ils veulent avoir un inventaire et une estimation précise et honnête de ses biens ; connaître tous les droits fixes et immuables de son fils44. Apprennent-ils que Madame Dupuis a décidé de vendre son habitation, ils engagent Guilbaud Gerbier à se renseigner sur cette plantation : sa grandeur, la beauté du sol, sa valeur actuelle, ce qu’elle pourrait produire bien établie, les forces et autres frais à y faire, le nombre de ses créanciers connus, en somme, tout ce qu’un acheteur doit savoir45.

Concernant Dugas de Vallon, ils veulent connaître la situation de tous ses débiteurs et les moyens nécessaires pour retirer de ses biens tous les revenus dont ils sont susceptibles.46

Le deuxième groupe de fournisseurs est constitué de débiteurs aux négriers.

Il s’agit de tous ceux qui achètent au comptant des têtes de noirs ou à crédit selon un terme convenu au moment de la vente. Le paiement se faisant en denrées, le navire charge les paiements au comptant et à crédit. Ce sont les remises. A titre d’exemple, en 1786, Hamon de Vaujoyeux achète aux négriers de la maison Chaurand, la Jeanne Thérèse (2e voyage) et l’Alexandrine (1er voyage), 24 têtes de nègres. Les comptes de vente lui accordent deux échéances précises : 12 mois pour 6 noirs acquis de la Jeanne Thérèse et 6 autres de l’Alexandrine et 18 mois pour les 12 autres, 6 de la Jeanne Thérèse et 6 de l’Alexandrine.

41 ADLA 101J.1 fo lettres des Chaurand à Guilbaud Gerbier et Cie, du 29 septembre 1785.

42 ADLA 101J.2 fo 345-346. Lettre des frères Chaurand à M. Guilbaud Gerbier et Cie d Cap. Du 22 novembre 1785.

43 ADLA 101J.2 fo 370-371. Lettre des frères Chaurand à M. Guilbaud Gerbier et Cie du Cap.

Du 22 septembre 1785

44 ADLA 101J.2 fo Lettre de Chaurand frères à M. Guilbaud Gerbier et Cie, du 16 septembre 1785.

45 ADLA 101J.2. Lettre de Chaurand frères à M. Guilbaud Gerbier et Cie du 10octobre 1785 46 ADLA 101J.2 fo 345-346

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Quand le navire est plein, le surplus de denrées est chargé sur d’autres bâtiments. C’est ainsi qu’on retrouve pour le compte de la Brune (2e voyage), des remises de Guilbaud Gerbier en 119 Barriques et 5 tierçons de sucre terré chargés sur le St Honoré ; des remises de Terryan frères en 5 frêts d’indigo du Comte de Treville, de 5 Boucauds ¾ de café par le Discret ; 9 barriques de sucre terré par le St Honoré et par le Necker, 4 boucauds de café et par la Fleur Royale, 8 boucauds de café. Les exemples peuvent être multipliés.

Quand les débiteurs n’honorent pas leurs dettes, des actions en justice sont engagées contre eux par Guilbaud Gerbier et Compagnie occasionnant divers frais.

Des procédures judiciaires sont ainsi engagées contre les débiteurs de l’Alexandrine (1e voyage), de l’Aimable Aline (2e voyage), du Louis (1er voyage).

Les noms de ces débiteurs sauf quelques rares fois, ne sont pas mentionnés dans les livres de comptes des Chaurand. On connait en 1789 le cas de Le Breton, débiteur de la Bonne Mère et en 1791, Cassanet et Barillon, Ballon de Méan et Ladebat. Pour payer cette dernière dette de 7200l, une traite est tirée sur Laffont de Ladebat à Bordeaux à 16 mois de vue (1 avril 1788) 47.

La troisième origine, est constituée par la production de leurs propres plantations.

Les Chaurand ont acquis des plantations à Saint-Domingue : l’habitation au Cul-de- Sac, quartier de Port-au-Prince, propriété autrefois de la famille Lathan ; leurs deux caféières près de Jérémie, la Castache et le Chapelet, gérées par M. Dutrejet48 et le contrat à réméré de 10 ans signé avec De Thébaudière. Leurs agents chargent à leur adresse, leur production personnelle tirée de ces plantations.

Pour l’heure, il est difficile, voire impossible de tenter une quelconque quantification des denrées coloniales chargées à leur adresse par leurs associés de Cap. Il faut pour cela une chronologie claire de tous envois du Cap. Les recherches continuent et on ne peut voir plus clair qu’en croisant plusieurs sources.

En plus de la vente des captifs, du recouvrement des créances sous forme de denrées, des renseignements fournis à la maison Chaurand et du charge- ment des navires en vue de leur prompt retour, Guilbaud Gerbier et Compagnie s’occupe aussi de payer tous les frais de séjour des navires tant au Cap qu’à Port-au-Prince, les frais occasionnés par les procès et d’intéresser Chaurand frères dans les marchandises chargées sur les navires. La maison nantaise y gagne en prime et commission. En retour, elle les recommande à d’autres armateurs. En 1785, au début de leur liaison, à Langevin frères de Nantes, une maison puissante et fort riche faisant beaucoup d’affaires. Chaurand frères entrevoit dans cette relation de bonnes affaires en perspective. Il leur recom- mande pour cela d’avoir « tous les égards possibles aux choses dont ils vous chargeront ». Dans l’immédiat, Langevin frères qui arme un petit négrier promet

47 Voir pour les détails ADLA 101J371 compte de l’Alexandrine (1er voyage) fo 129 Effets de comp- te de navire la Jeanne Thérèse (2e voyage) fo 130 Effets de compte de navire la jeanne Thérèse (3e voyage) Guilbaud Gerbier & Cie/ compte avec effets du navire l’Aimable Aline (2e voyage) 48 P. Dieudonné Rinchon, op cit., P102-103.

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de faire la vente au Cap en adressant le navire à la maison Guilbaud Gerbier49. C’est dans cette même perspective que Chaurand frères les charge aussi de s’occuper des affaires de créance impayée de M. Vicrimes et Jacquemel de Lyon. M. Fourneau et Compagnie qui s’en occupaient ont été dessaisis à leur profit. Il s’agit de poursuivre Corneille Ainé, débiteur infidèle en le forçant à payer tout ou partie de sa dette50.

Ils les intéressent par ailleurs dans divers armements à Nantes. Ainsi, en 1788 Guilbaud Gerbier et Compagnie détient 7/256e d’intérêt dans l’armement et la mise hors de la Sainte Anne dans son deuxième voyage pour Angole ; 1/16e d’intérêt dans le désarmement et la vente de la coque de la Marie Marguerite, premier voyage et dans la Société du Sénégal en association avec Aubry de la Fosse. Chaurand frères s’occupent aussi de leurs avoirs avec d’autres armateurs. Aubry de la Fosse bien sûr mais aussi Libault et Parran dans l’armement de la Sainte Anne, premier voyage dans lequel ils sont intéressés pour 48/1152 ou dans le second voyage où ils comptent pour 7/256e. Chaurand frères s’occupent enfin de négocier dans Paris, notamment chez Féline et Chol Boscary, les traites du Cap.

La société Guilbaud Gerbier et Compagnie du Cap, c’est donc une bonne affaire qui profite autant à Chaurand frères qu’aux associés.

4. LES RETOMBÉES FINANCIÈRES DE L’ENTREPRISE

Les informations dont on dispose sont trop éparses pour permettre une bonne évaluation de ce que chaque partie gagne dans la société. Par ailleurs si on connaît ce que les Chaurand doivent retirer de leurs 100 000L dans le capital, on ignore tout de ce qui revient aux autres associés. On ne peut donner qu’une vision très partielle et théorique des gains étant entendu qu’on ignore les dépenses d’exercice de la société qu’il faut soustraire nécessairement des avoirs.

Pour Guilbaud Gerbier et Compagnie, je ne dispose que du montant de ses intérêts dans divers armements, dans les chargements de denrées coloniales, les primes et commissions qui lui sont dues. Ces données très incomplètes proviennent non de la comptabilité de la maison du Cap mais de celle des Chaurand. Sans oublier que les gains à Saint-Domingue dans les ventes d’articles de France et ceux obtenus de diverses autres activités telles que les affaires traitées pour d’autres armateurs et particuliers ne sont pas comptabilisés.

Les six références d’intérêt de la société : 4 en 1788 et une fois en 1789 donnent un total de 126427L 9s 7d. Leur 1/10e d’intérêt dans diverses chargements de denrées calculés et arrêtés à Nantes par Chaurand frères s’élèvent respectivement : compte du 1er juillet à 29L 4s 3d ; compte du 25 novembre à 208L.11s et celui du 31 décembre 1789 à 261L.16s.6d soit, pour l’intérêt de 1/10e en 1789, la somme totale de 1099L.11s.9d51.

49 ADLA 101J.2 fo 345-346. A Monsieur Guilbaud Gerbier et Compagnie du 22 septembre 1785.

50 ADLA 101J.2 foe 266.

51 ADLA 101J.47 fo 250 et 251.

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On connaît un peu mieux ce que l’investissement rapporte à Chaurand frères.

Le capital investi 100 00L, leur procure annuellement 5000L. payés en 1786, 1787, 1788 et 1789. L’investissement est même remboursé intégralement en 1790. Restait dû le 1/5e des bénéfices annuels de la compagnie pour lesquels un échéancier est établi en 1790. Cette fois, il s’agit de payer annuellement le capital et les intérêts.

Capital Intérêt 1er juillet 1791 19920.6.3 8964.2.9 1er juillet 1792 19920.6.3 4780.17.6 1er juillet 1793 19920.6.3 3585.13.3 1er juillet 1794 19920.6.3 2390.8.10 1er juillet 1795 19920.6.3 1195.4.6

C’est un total de 12 0517L.18s.5d selon l’acte passé à Nantes le 22 juillet 179052. Ont-ils pu récupérer toute leur mise, je l’ignore pour le moment.

Je l’ai déjà dit, Chaurand frères, perçoit en plus une série de commissions : 1% sur la valeur des denrées à la consignation d’autres négociants. Ainsi concernant les produits à la consignation de Cochon Trop Long de Bordeaux, la maison perçoit en 1788 successivement 260L.18s.9d, 314L.3s.3d, 132L.7s.6d, 340L.10s.9d et 159L.14s. soit, 1207L 14s 6 d. Sans oublier les primes et com- missions perçues sur les intérêts de la société dans les marchandises chargées sur ses navires, sur les négociations d’assurance et le ½ % de commission le banquier. Comme on le voit, les intérêts de la maison vont au-delà du partage des profits de la commission dans les ventes de négriers à Saint-Domingue.

On voit aussi que les profits de la traite doivent tenir compte de tous ces gains complémentaires.

CONCLUSION

On l’a bien compris, les sources sont incomplètes. Les archives de Guilbaud Gerbier et Compagnie restent introuvables pour le moment. Cette lacune prive d’une meilleure connaissance de la compagnie et de ses activités au Cap. On est aussi mal renseigné sur les débiteurs aux navires, l’aboutissement des procès et sur le rythme de rentrée des créances. Le fonds Chaurand est très riche mais d’un maniement difficile pour un non initié aux subtilités de la comptabilité de l’époque. C’est pourtant, pour le moment, la seule source disponible pour comprendre la nature des affaires que les deux maisons liées par l’intérêt traitent ensemble.

52 ADLA 101J.74

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Le versant colonial se résume en gros à la réception, par la maison en commandite, des négriers en provenance des côtes d’Afrique, les cales chargées de nègres. Les instructions sont de les vendre de façon avantageuse pour les armateurs et si possible au comptant. Y arrive-t-elle et au prix de quelle acrobatie ? L’arrivée d’un négrier implique des démarches administratives et des frais. Ces frais sont payés soit par le capitaine soit par la compagnie. On n’est pas bien renseigné sur ces opérations financières.

GUILBAUD ET GERBIER SONT LIÉS D’AMITIÉ AUX FRÈRES CHAURAND.

Mais faute d’informations précises sur ces négociants installés à Saint- Domingue, on imagine mal la profondeur de cette amitié. On sait seulement que les frères Chaurand ont une confiance absolue en François Guilbaud. Jamais, ils n’ont eu à se plaindre de lui. Au contraire, son avis est recherché avant tout engagement financier important avec un planteur des environs du Cap. Que gagnent-ils dans cette relation d’affaires avec Chaurand frères ? Probablement beaucoup, vu ce qu’ils doivent payer annuellement à la maison nantaise au titre de ses intérêts pour le capital investi dans l’entreprise. Mais les renseignements sont trop épars pour qu’on puisse en tirer une conclusion définitive. On est en revanche mieux renseigné sur les profits de Chaurand frères.

Le plus gros profit provient de la rémunération de son capital de 100 000L dans la société du Cap. Mais il y a une foule d’intérêts et de commissions qui, sans être de gros montants, ne sont pas moins des gains supplémentaires. En définitive Guilbaud Gerbier et Compagnie du Cap est un bon investissement pour la maison nantaise.

SOURCES

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ADLA 101J70 Grand Livre 22 décembre 1787-avril 1793 ADLA 101J74 Livre de compte courant 1788-1789

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BIBLIOGRAPHIE

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Références

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