Rapport sur les applications des mathématiques aux sciences de l’homme, aux sciences de la société et à la linguistique
Mathématiques et sciences humaines, tome 86 (1984), p. 5-58
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RAPPORT
SUR LES APPLICATIONS DES
MATHEMATIQUES
AUX SCIENCES DE
L’HOMME,
AUX SCIENCES DE LA SOCIETE ET A LALINGUISTIQUE
Note liminaire
En novembre
1982,
un groupe de travailprésidé
par C. Houzel aesquissé
les
grandes lignes
d’unrapport
deprospective
enMathématiques.
Il a étéétabli la liste des
grands
thèmesqui
devraient être couverts par lerapport
et a
pressenti
pour chacun de ces thèmes un ouplusieurs responsables chargés
de
préparer
lapartie correspondante
durapport
deprospective.
C’est dansces conditions
qu’a
étéconfiée
à A. Lentin laresponsabilité
du thème"Applications
desMathématiques
aux Sciences del’homme,
aux Sciences de laSociété et à la
Linguistique".
L’objectif
durapport
deprospective
est double. D’unepart,
ils’agit
de
faire
lepoint
sur l’état actuel des recherches dans tous les domaines desMathématiques
pures etappliquées
en France etd’analyser
comment cestravaux s’inscrivent dans le contexte international. Par
ailleurs, partant
de cette
analyse
duprésent,
lerapport
doits’efforcer
dedégazer
lesévoZut2ons
probables
ou souhaitables de ces recherches au cours desprochaines
années. Un telrapport
s’avérera sans doute être un documentpré-
cieux
qui permettra
à de nombreuxchercheurs,
enparticulier
auxplus jeunes,
de se situer par
rapport
auxgrands
axes de recherche dans le domaine desMathématiques
et de leursapplications.
Il a paru à certains mathématiciens travaillant dans les
applications
desMathématiques
aux Sciences Humaines que cette initiative du C.N.R.S. créaitune occasion
unique
d’élaborer un documentqui puisse
aider notre communautéà
réfléchir
surelle-mêrie,
sur sontravail ,
sur sesméthodes,
sur samission et sur
l’image
que les autres sefont
d’elle.C’est à ce document que
Mathématiques
et Sciences humaines consacrele
présent
numérospécial.
Il a étérédigé
àpartir d’importantes
contribu-tions écrites dues à MM. M.
Barbut
A.Degenne,
J.P.Declès,
M.Gonzalez,
J.L.
Guigues,
B.Monjardet,
J.Petitot;
H. Rouanet.Les
critiques
et remarques écritesfaites
par MM. V.Duquenne,
M.Eytan,
R.
Grunig
à unepremière
version du texte ontpermis
de Z’améZ2orer. Le travail aégalement bénéficié
des observationsprésentées oralement,
lorsde
réunions,
par des personnes que l’on remercie mais que l’on ne saurait toutes citer car elles sonttrop
nombreuses.La
synthèse
est l’oeuvre de A. Lentin.Il va de soi que le texte que
publie Mathématiques
et Sciences humaines excède par sonampleur
la contribution demandée en vue duRapport
Général deProspective
quepubliera
le C.N.R.S.. Il convenait donc d’en extraire unrésumé aux dimensions
requises,
et c’est D. Bressonqui
a bien voulu secharger
de cette tâche. Le résumé sera inclus dans lerapport
deconjoncture
sur la recherche en
mathématiques
que le C.N.R.S.publiera prochainement.
INTRODUCTION
1.1. LES SCIENCES HUMAINES
I.1.1. A l’heure
actuelle,
les locutionsqui
tendent àprévaloir
dansl’usage
sont "Sciences de l’homme" et "Sciences de la société" - et la dichotomie
présen-
te sans doute
quelque
utilité.Cependant,
pour faire court, nous nous permet-trons de regrouper les sciences ainsi
désignées,
et aussi lalinguistique,
sous le terme
plus général
de "Sciences humaines"(en abrégé SH).
C’étaitle terme consacré à
l’époque
des Facultés des Lettres et Scienceshumaines ;
pas trop
obsolète,
croyons-nous, il dit encore bien cequ’il
veut dire.1.1.2. On considère
généralement
que les Sciences humaines comprennent(1)
lalinguistique
(2)
lapsychologie (3)
lasociologie (4)
lapolitologie
(5) l’anthropologie (et l’ethnologie) (6)
ladémographie
(7) l’écologie
(8)
lagéographie
humaine(9)
l’Histoire(et
lesdisciplines qui
lui sontliées).
Les "Sciences de l’homme"
seraient, plus particulièrement,
lalinguistique
etla
psychologie,
tandis que les "Sciences de lasociété",
ou "Sciencessociales",
seraient
plus particulièrement
lasociologie,
lapolitologie, l’anthropologie,
la
démographie
etl’écologie. Sociolinguistique, psychologie
sociale et autresdisciplines
charnières(qui apparaîtraient
dans une classificationplus
fineque celle
esquissée ci-dessus) témoignent
de l’absence d’une coupure nette entre les deux groupes.Science
humaine,
à coupsûr,
lagéographie
humaine peut à certainségards
être
rapprochée
des Sciences sociales.Et
pourquoi
abandonnerait-on l’Histoire ?1.1.3.
L’homme,
considéré dans la sérieanimale,
peut aussi être étudié dupoint
de vuebiologique.
On notera à ce propos que c’est aux Sciences de la v2e que le C.N.R.S. rattache lapsychologie.
Nous aurions pu arguer de ce fait pour considérer que lesapplications
desmathématiques
à lapsychologie
relevaient ent2érement d’un autre secteur de ceRapport
deConjoncture
dontl’initiative, précisément,
revient au C.N.R.S.. Nous nel’avons pas
fait,
estimant que c’eût été contraire au bon sens : il existe manifestement despsychologues
que leurspréoccupations rapprochent
au moinsautant des Sciences humaines que des Sciences de la vie.
1.1.4. Nous considérons que la "Sciences des
Organisations" (Management),
ainsi que la Recherche
Opérationnelle,
sont rattachées aux Sciences économi- ques,lesquelles
fontl’objet
d’une autrepartie
duRapport
deConjoncture.
1.2.
"MAT¡’IE~1AIIQUES
ET SCIENCES HUMAINES" ou"INFORMATIQUE
ET SCIENCES HUMAINES ?1.2.1. La dernière décennie a connu un
développement
considérable de l’utili- sation des ordinateurs par les Sciences humaines. Au début de cettepériode,
la confusion était souvent faire entre mathématisation d’une
discipline
et"emploi"
des machines à calculer.L’expérience
a vite montré que, si cesinstruments
puissants
rendaient aux chercheurs deprécieux services, leur
usage
pouvait
avoir aussi des effetsnégatifs,
leprincipal
étant l’absencede réflexion
préalable
sur lesquestions
à se poser quant àl’analyse
desdonnées
étudiées,
absence liée au manque demanipulation personnelle
ducorpus ; cette utilisation de
l’informatique
aainsi, paradoxalement,
entraîné une
régression
dans la mathématisation des Sciences humaines.Journées
d’études,
stages, Ecolesd’été, colloques
et actions diverses menées avecl’appui
du C.N.R.S. ou de la D.G.R.S.T. ont contribué à donnerau milieu des Sciences humaines une vue
plus
claire etplus
saine del’informatique.
L’idéequ’en
amont de l’ordinateur doit se trouver, fût-il pauvre - voire rudimentaire - un modèlemathématique,
cette idéecommence à faire son chemin.
z
1.2.2.
Aujourd’hui,
mathématisation et informatisation des Sciences humaines marchent defront,
sans trop de heurts. Certaines branches desmathématiques
passent
parL’informatique
pour trouver leursapplications
en SH. Semblablesapplications
peuventlégitimement apparaître
de ce fait comme étant desAPPLICATIONS DE
L’INFORMATIQUE.
Comment trancher ?
La
question
secomplique
du faitqu’il
n’existe pas de coupure entre lesmathématiques
etl’informatique :
l’une et l’autre ont parexemple
d’excellentes raisons derevendiquer l’ALGORITHMIQUE.
Dans tel cas, on n’hésite pas ; en voici un
exemple
extrême.Grâce aux
signaux
émis par des satellitesartificiels,
laGéographie
humainepeut suivre au
jour
lejour
les modifications que notreespèce
fait subir à laplanète :
tout le monde s’accordera pour attribuer àl’informatique
le mérite de décoder et traiter ces
signaux.
En d’autres
circonstances,
on resteperplexe.
Un castypique
est celuides
applications
de caractèrelinguistique. Ici,
la difficulté de trancher tient à ce que les outils et conceptsmathématiques qu’emprunte,
mais aussidéveloppe
etperfectionne, l’informatique fondamentale,
sont pour une bonne part ceux dont a besoin une certainelinguistique.
1.2.3. Dans la
présente partie
duRapport
deConjoncture,
on s’efforcera deprésenter
les choses dupoint
de vue desmathématiques "pures",
renvoyant pour les autrespoints
de vue à lapartie qui
traite des"Applications
del’informatique
et del’Intelligence
Artificielle".Pour fixer les
idées,
c’est dans cettepartie qu’il
conviendra derechercher,
entre autres, lesapplications
àLa
démographie historique (reconstitution
defamilles) L’analyse
etl’exploitation
de données électoralesL’exploitation
de la télédétection engéographie
et ailleursl’archéologie
---
La difficulté d’arbitrer entre
mathématiques
etinformatique, s’agis-
sant de leur attribuer telle
application,
redouble dans le cas de lastatistique.
1.3.
STATISTIQUE
ET SCIENCES HUMAINES1.3.1. Les
applications
du calcul desprobabilités
et de lastatistique
aux SH sont
nombreuses, diverses, importantes.
L’idéerépandue
selonlaquelle
les Sciences sociales seraient
"grandes
consommatrices de’statistiques’
"contient une part de vérité.
Le secteur "Probabilités et
statistique"
duRapport
deConjoncture présente plusieurs
aspectspertinents
pour les SH.(Nous
y renvoyonsen
particulier
pour tout cequi
concerne laDEMOGRAPHIE,
ainsi que pour lastatistique bayésienne.
En
conséquence,
on apris
leparti,
pour laprésente
tranche duRapport,
de ne pas y traitersystématiquement
de laSTATISTIQUE,
mais d’insis-ter sur les seuls
points qui paraissent appeler
de notre part des remarquesimportantes.
_
1.3.2. C’est dans son
acception
laplus large
que nous prenons ici le terme deSTATISTIQUE,
considérantqu’il
inclut parexemple
la théorie dessondages
et aussi toutes les
"Analyses
de données" de type"classique" (*),
dont l’usa-ge est si
répandu aujourd’hui
dans les SH.En matière
d’analyse
dedonnées,
lepoint
surlequel
nous mettronsl’accent est l’existence
d’analyses
"nonclassiques" -et
l’intérêtqu’il
y aurait à lesdévelopper davantage.
1.4. SUR LE PLAN
QUI
SERA SUIVI1.4.1. Deux
possibilités
s’offrent apriori
pour traiter desapplications
des
mathématiques
aux SH.. On peut
partir
d’une classification desmathématiques
et, pourchaque branche,
recenser lesapplications qu’elle
trouve dans les diverses SH.. On peut, à
l’inverse, partir
des SH.Adoptée
par un certain nombre de livres et manuelsd’enseignement supérieur,
lapremière façon
de faire peutparaître
laplus naturelle,
s’agissant
de s’adresser à des mathématiciens.Mais les SH sont certainement moins familières aux mathématiciens
(dans
leurgrande majorité)
que les Sciencesphysiques,
parexemple.
Alors,
mieux vautpeut-être procéder,
non pas en fonction de ce que telou tel mathématicien
possède
audépart
dans sonbagage,
maisplutôt
de cequi
l’attend(ou l’attendrait)
au bout du chemin.(*)
Pour ce typed’analyse,
nous renvoyons donc au secteur"Probabilités
etStatistique", qui intègre
une contribution de L. Lebart.La solution de
compromis
que nousadopterons
est la suivante ayant aupréalable
classé les SH etregroupé
cellesqui présentent
des "besoinsmathématiques apparentés",
nous PARTIRONS DESPROBLEMATIQUES
propres auxSH, problématiques
que nousprésenterons
sur des casexemplaires (sans viser
à une
impossible exhaustivité).
A
partir
delà,
nous examinerons lesmathématiques qu’elles utilisent,
ou
pourraient
utiliser. Le caséchéant,
nous tenterons de caractériser les branches desmathématiques
dont les SH suscitent ou, pour lemoint,
stimulentla croissance. "
1.4.2. La section II traite des
applications
desmathématiques
à certainesSciences sociales et à la
psychologie.
La section III traite des
applications
à lalinguistique.
La section IV
présente quelques
réflexions sur l’avenir des Mathéma-tiques appliquées
aux Sciences humaines.Divers documents sont donnés en Annexes.
z
SCIENCES
SOCIALES,
PSYCHOLOGIE11.1. UN PREMIER
APERÇU
II.1.1. Pour commencer, insistons sur le fait
qu’en
Sciences sociales comme enpsychologie,
les données sont souvent de nature"qualitative" : relations,
ordres de
préférence
ou declassement, réponses
àquelque questionnaire,
etc.Ici, "qualitative" s’oppose
à"numérique",
mais n’est nullementincompatible
avec
"ordinale",
au sens d’un ordregénéralement partiel (mais
éventuellementtotal).
Les traitementsmathématiques
oustatistiques auxquels
peuvent être soumis ces donnéesappellent,
au moins dans unepremière phase,
les tâches sui-vantes :
(a) -
Classer(b) -
Ordonner(c) -
Résumer(ou agréger) (d) -
MesurerII.1.2.
(a,b) -
Les termes mêmes de "classer" et "ordonner"évoquent déjà
lesubstrat
mathématique
leplus profond
surlequel
onopère :
treillis desparti- tions,
treillis deGalois,
etc.Mais, d’après quels
critères classer ? Et comment classer ? Cesquestions
se
compliquent
du fait que les corpus de données que l’on traite en Sciences sociales et enpsychologie atteignent
couramment des taillesconsidérables, exigeant l’emploi
de l’ordinateur. Les SH ne détiennent certes aucunmonopole,
mais elles ont fortement incité au
développement, parfois
même à lacréation,
de méthodes
originales d’analyse
dedonnées, classification,
classification au-tomatique.
Elles continueront à pousser auprogrès
car, outre le"prêt-à-porter"
qui
leur esttoujours utile,
il leur faut souvent du "sur-mesures".(c) - "Résumer",
au sens dustatisticien,
c’estreprésenter
par une "valeur centrale" un ensemble de données observées. Il convient donc depouvoir
et desavoir
élargir
au cas des données ordinales et,plus généralement
des donnéesrelationnelles
(réseaux etc.)
des notionsimportantes
dont celle de médiane estpeut-être
laplus
fondamentale.Formellement,
"résumer" ne sedistingue
alorsplus
de"rechercher
uneagrégation
depréférences,
ou decritères",
pourparler
comme l’Economiste oule
Politologue.
(d) -
Vouloir "mesurer" certainsparamètres,
c’est poser laquestion
du passage du"qualitatif" au "quantitatif" :
àpartir
desopérations
mêmesqui
permettent de comparer oud’agréger
certaines donnéesordinales,
est-ilpossible
de définirune mesure
numérique
de celles-ci ? Sioui,
comment le faire au mieux ? Si non, peut-on au moins aboutir à desapproximations
raisonnables ?11.1.3. Les sections suivantes illustrent et
précisent
cesgénéralités
àpartir d’exemples importants
dans lapratique.
Elles voudraient donner une idée concrète de lafaçon
dont les Sciences sociales et lapsychologie
fontappel
aux mathéma-tiques.
’
II.2. SOCIOMETRIE. RELATIONS SOCIALES
II.2.1. Soit à
approfondir
l’étude d’une relation sociale observéeempiriquement.
Dans la tradition de la
sociométrie,
lapremière
ébauche du modèle est ungraphe,
valué ou non,
supposé représenter
l’état de la relation. Comment en faire appas- raître despropriétés caractéristiques ?
La
problématique classique
est la suivante :. Reconnaître des
classes,
ou,plus généralement,des
ensemblessignificatifs
d’un certain
point
de vue et formant un recouvrement.. Reconnaître une structure
hiérarchique.
. Mettre en évidence des éléments ayant un rôle
particulier
de par leurplace
dans la structure.
Le
développement
de la théorie desgraphes -
lui-mêmefavorisé
par ce genred’applications -
a fourni les outils combinatoires et lesalgorithmes
couramment utilisés et
enseignés aujourd’hui :
recherche decliques (un
motemprunté
à lasociologie !),
de composantes connexes, depoints
ou ensemblesd’articulation,
etc.D’autre part, les méthodes
statistiques
peuvent sedévelopper quasi
àl’infini mais n’entraînent pas
toujours
la conviction deschercheurs,
car lesrésultats obtenus ne sont pas
toujours
enprise
sur des concepts de lasociologie
ou de la
psychologie
sociale.Au
sujet
de lastatistique,
et d’unpoint
de vuefondamental,on
peutd’ailleurs noter ce
qui
suit.L’Espérance
des variables aléatoiresnumériques
étant une forme linéaire
positive
et normée surl’Espace
vectoriel des varia-bles aléatoires ayant même ensemble
d’éventualités,
il en résulte que leCalcul des
Probabilités,
sesrègles
et sesaxiomes,
peuvent être resitués dans le cadre del’Algèbre (cas fini)
et del’Analyse (cas infini)
linéaires.Or les variables que rencontre la sociométrie
quand
ellè traite de réseaux sociaux ne sont pasnumériques (ou vectorielles).
Quoi qu’il
ensoit,
on atteint assez vite les limites de la démarche"classique"
que l’onvient d’évoquer :
un renouvellements’impose.
Aux
Etats-Unis,
l’ "Ecole de Harvard" propose les modèles dits "block-models", analyse typologique :
lesalgorithmes (souvent statistiques)
et l’in-terprétation
alternent.En France
(Centre d’Analyse
et deMathématique Sociales, Degenne,
Flamentet
al.).
on considère commeparticulièrement important
leproblème
de la par- tition des tableaux en 0-1(donc
desgraphes
enparticulier)
en blocsréguliers.
Il
s’agit
de trouver unepartition
delignes
et unepartition
de colonnes(pour
ungraphe
elles peuventcoïncider)
telles que lesblocs obtenus,
ou bienne.contiennent que des 0, ou bien contiennent au moins un 1 dans
chaque ligne
et dans
chaque
colonne. Aussi bien dupoint
de vuemathématique
que dupoint
de vue
algorithmique,
lesproblèmes
sontlargement
ouverts.II.2.2. Une autre voie
qui
s’ouvre à la recherche part de l’idée que les rela- tions sociales nes’analysent
pas d’aboi--d comme des relationsbinaires,
maisque
l’objet premier
doit être le groupe social - les relations interindivi- duelles en découlant alors. C’est direqu’il
faut passer desgraphes
auxhyper- graphes ;
laproblématique classique
se transpose à ce niveau.II.2.3.
Cependant,
même de cespoints
de vuepartiellement renouvelés,
lesréseaux sociaux sont vus comme des structures
figées,
alorsqu’il
faudraitétudier la
dynam2que
des relations. Lesmathématiques
à utiliser et àdévelop-
per sont celles
qui
permettent d’étudier les transformations d’ungraphe (ou
d’unhypergraphe)
dans le temps. Comment faire deschroniques qui
neconcernent pas seulement des indicateurs
statistiques globaux
mais aussi descaractéristiques qualitatives ?
Pour créer et nourrir la
problématique correspondant
à cesquestions,
il faut ouvrir un
dialogue
entre chercheurs en SH etmathématiciens,
avec lavolonté de le
poursuivre patiemment
aussilongtemps
que nécessaire. D’un pre- miercôté, impatients
de faire progresser concrètement leursdisciplines,
leschercheurs en SH attendent à court ou moyen terme des méthodes
opératoires,
etrelevant de
mathématiques qui
leur restent familières. De leurcôté,
les mathé-maticiens - certains d’entre eux du moins - ont à
rappeler
que lestopos
offrent
précisément
lapossibilité
de construire une théorie des ensemblesqui
soit vraimentdynam2aue
et ainsi de"dynamiser"
telle notionqui,
sous sonaspect
habituel,
seprésente
commestatique.
L’exemple
en cours nous aura doncpermis
de soulever laquestion
du rôleque
pourrait,
oudevrait, jouer
en SH la théorie descatégories.
11.2.4. Les études de relations sociales ont presque
toujours
été conduites par despsychosociologues
sur depet2ts
groupes et supposent connues toutes les donnéesempiriques
élémentaires. On voudraitpouvoir
passer à despopulations
de
grande taille,
cequi oblige
àprocéder
parsondages.
Dans cesconditions,
comment se
faire,
àpartir
d’unéchantillon,
uneopinion
sur des caractéristi- ques de structure et de forme d’un réseau ?Tel est, énoncé en termes très
généraux,
legrand
thème que soulèvent certainesapplications
desmathématiques
aux SH. Il estremarquable
que ce thème aitrapidement
suscité des travaux venant de combinatoriciens de haute stature, commeErdos,
ou destatisticiens,
comme Ove Franck(Lund)
et queprès
de 250 articles lui aient été consacrés
(d’après
une revue récente du Journalof Graph Theory).
Pour laFrance,
il faut citer des contributions récentes de A. Guénoche et F. de laVega.
Mais,
pour arriver à des résultatsmathématiques précis,
il faut avoirau
préalable
tiré du thèmegénéral
l’une des nombreuses formulations mathéma-tiques précises auxquelles
il peut conduire. On constate alors que, à mesurequ’une
théoriemathématique
se faitplus raffinée,
des résultatsqui pourraient
se montrer utiles dans les
applications
ont tendance à devenir de moins enmoins accessibles aux utilisateurs
potentiels,
de moins en moins connus d’eux.11.3.
MATHEMATIQUES
DES PREFERENCES II.3.1. IntroductionL’étude des
préférences
individuelles ou collectives est au carrefour deplusieurs disciplines : économie,
~gestion, psychologie, sociologie, docimologie,
politologie,
et mêmephilosophie,
et y a souvent donné lieu à l’utilisation de modèles ou méthodesmathématiques.
Certes, chacune de cesdisciplines
a saproblématique
propre : parexemple,
celle dupsychologue
cherchant à rendre compte des différences entrepréférences
individuelles observées n’est pas lamême que celle de l’économiste cherchant à construire à
partir
de ces mêmespréférences
un choix collectif "satisfaisant". Mais ce domaine despréférences
est
justement
un bonexemple
où la formalisationmathématique
éclaire cequi
peut être commun à des
problématiques
variées. Ainsi l’on voitapparaître
partout les mêmes
objets mathématiques
pour modéliser lespréférences
sur unensemble - structuré ou non -
d’options
de nature variée(candidats, opinions, objets, loteries, ...).
Il
s’agit
. de relations
(généralement binaires,
mais éventuellement n-aires ou-et-valuées).
. de fonctions
numériques (notes, graduations, utilités,...)
. de familles de lois de
probabilités (associées
à toutepartie
de l’ensembled’options
et modélisant unepréférence "stochastique").
Dans les
paragraphes suivants,
nousdéveloppons
les trois aspectsprin- cipaux
de l’étudemathématique
despréférences,
sans nous interdire d’éventuels recoupements avec lesparties
du rapport d’ensemble consacrées à l’économiemathématique
ou àl’analyse
des données.11.3.2. Modèles
mathématiques
de lapréférence
individuelleLes
premières expressions mathématiques
de lapréférence
individuelle ontpris
la forme d’une fonction
numérique
dite d’utiZ2té(Bernoulli),
et dans lesnombreux
développements contemporains
de modèles depréférences,
leproblème
de
l’utilité,
c’est-à-dire celui desreprésentations numériques
despréférences
a été central
(faisons
brièvementallusion,
car nousn’y
reviendrons pas, auxthéories
axiomatiques
de Von Neumann etSavage,
pour lapréférence
sur desdécisions aux
conséquences
aléatoires ouincertaines).
Il faut noter
ici·que
ceproblème
dereprésentation numérique
fait rentrerune bonne part de ces travaux dans le cadre de ce
qu’on
peutappeler
la théoriedu mesurage, i.e. des
homomorphismes
desystèmes
relationnels dans dessystèmes numériques, développée
actuellement par des auteurs commeFalmagne,
Krantz,Luce, Roberts, Suppes, Tversky,
etc.("Measurement theory").
Une
conséquence
immédiate du modèle d’utilité est que lapréférence
estun
préordre
total sur l’ensemble desoptions,
donc que les relations depréfé-
rence stricte et d’indifférence sont
transitives,
et que toutes lesoptions
sont
comparables.
C’est ce modèle depréordre
total que Pareto mettra à la base de saconception
de l’utilité"ordinale",
non sans s’attirerdéjà
lescritiques
de ceuxqui
constatent que l’indifférence n’est pas nécessairement transitive(ceci
à cause d’unphénomène
de seuil de discrimination bien connudes
psychophysiciens
et de Poincaré!).
Mais il faudra attendre les travauxd’Halphen
et Luce(1955-56)
pour voirapparaître
un modèle où iln’y
apréférence
stricte entre deuxoptions
que si leur différence d’utilitédépasse
un certain
seuil ;
c’est le"quasi-ordre" (semiorder) ;
si dans cemodèle,
l’indifférence n’estplus
nécessairementtransitive,
les deux autres condi-tions
(parfois
tout aussi peuréalistes)
sont conservées. De nombreux travauxrécents autour des
"quasi-ordres partiels"
ou des "familleshomogènes
de semi-ordres" tendent à s’affranchir de ces
conditions,
tout en conservant des pro-priétés
dereprésentabilité ;
on peut y noter uneimportante
contributionfranco-belge (Cogis, Doignon, Flament, Jacquet-Lagrèze, Monjardet, Olivier, Roubens, Roy, Vincke).
Dans le domaine de la
"préférence stochastique" (i.e.
celui où le choixpréférentiel
individuel estincertain),
la notion d’utilité a servi de cadreaux modèles élaborés par des
psychologues. Ainsi,
pour les modèles d’utilité aléatoire(Thurstone, 1927),
l’utilité d’uneoption
est une variablealéatoire,
la
probabilité
du choix entre deuxoptions
se ramenant à laprobabilité
d’unedifférence
positive
de leurs utilités. Pour les modèles d’utilité constante(tel
celui de Luce,1959, qui
l’obtient àpartir
d’axiomes "raisonnables" surla
préférence stochastique),
laprobabilité
de choix d’uneoption
est unefonction des utilités-constantes - des
options comparées.
Dans des travauxrécents,
on examine les conditionsd’équivalence
de ces deux types demodèles.
D’autre part, on retrouve dans les contributions actuelles aux modèles de
préférence stochastique
la même évolution que pour les modèles depréférence
certaine i.e. la remise en
question
depropriétés
initialement admises(comme
la "transitivité
stochastique")
auprofit d’hypothèses plus
réalistes. On peut citer à cetégard
les travaux(notamment,
enFrance,
parGonzalez)
autourdes modèles de "différences additives" et d’
"élimina~ion
paraspects"(Tversky) qui
tous deux dérivent lespropriétés
observées de lapréférence stochastique
d’une théorie du processus
préférentiel.
Finalement,
on ne peutquitter
cesujet
des modèles individuels depréférence,
sans remarquer que ceux-ci restenttoujours
des idéalisations despréférences observées,
etqu’il
se pose donc desproblèmes d’ajustement
detels modèles aux données de
préférences
recueillies par telle ou telle méthode(cf.,
parexemple,
leproblème classique d’ajustement
d’un ordre total à unerelation de
tournoi,
obtenue par une méthode decomparaison
parpaires).
Lestravaux dans cette direction
rejoignent
desproblèmes d’optimisation
enagrégation
despréférences évoqués
en II.3.4.II.3.3.
Analyse
des donnéespréférentielles
La
question posée
ici est celle de ladescription
d’un ensemble depréférences exprimées
sur les mêmesoptions.
Si l’on se borne à vouloir un "résumé"(au
sensstatistique)
de cespréférences
on se trouve ramené à desproblèmes d’agréga-
tion des
préférences
étudiés auparagraphe
suivant. Si par contre, l’on s’in- téresse à la diversité despréférences
et à leurcomparaison,
on débouche surles
analyses
de donnéespréférentielles.
A unpremier niveau,
on définit descoefficients d’accord entre deux ou
plusieurs préférences (Kendall, etc.)
dont on a montré ultérieurement
qu’ils pouvaient
s’obtenir comme distances ouinerties normées dans des espaces euclidiens où sont codées
les préférences (cf.,
notamment,Degenne 1973).
Pour cesreprésentations géométriques
despréférences,
il faut mentionner enparticulier
les travaux menés en Franceautour de la notion de
"permutoèdre",
i.e. desreprésentations polyédriques
desordres ou
préordres
totaux(Guilbaud, Rosenstiehl,
Kreweras,Benzécri, Jacquet- Lagrèze, Feldman, Hogasen, ...).
A un secondniveau,
un courant actuellementtrès
actif,
dont on peut faire remonterl’origine
à des travaux de Coombs dans les annéescinquante, développe
des méthodes visant àreprésenter
lespréférences
et les
options
surlesquelles
ellesportent,dans
des espaceseuclidiens- (ce qui
conduit à une utilité
multidimensionnelle).
Ceproblème
dereprésentation conjointe
est résolu par diversestechniques
type"analyse
decorrespondance"
ou "multidimensional
scaling",
pourlesquelles
nous renvoyons au rapport surl’analyse
de données. On se contentera icide signaler
les recherches en cours sur d’autres types dereprésentations,
noneuclidiennes,
comme celle dansl’espace métrique
associé à un arbre(Tversky)
ou lecodage
dans desproduits
directsd’ordres totaux
(problème
de la "dimension" d’unordre).
11.3.4. Théorie
mathématique
du choix collectif etagrégation
despréférences
Le
problème
du choix collectifapparaît
dans demultiples
domaines : l’élection de candidats par uneassemblée,
où il a donné lieu auxpremières
découvertesde
paradoxes
et travauxmathématiques
par Borda et Condorcet(1786) ;
la recherche par des économistes commeBergson
ou Hicks de fonctions de bien-être socialsatisfaisantes
("welfare economics") qui
a motivé les travauxd’Arrow,
etc.Dans la formalisation
arrowienne,
on travaille avec des fonctions("social
choice
function")
dont l’entrée est un"profil
depréférences" (constitué
par la donnée pourchaque
individu de "l’assemblée" de sapréférence
sur les"candidats")
et la sortie un classementunique, anpelé préférence collective ;
de