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De la Shoah à Douadic

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De la Shoah à Douadic

Introduction : les équivoques du vocabulaire

Shoah est un terme hébreu signifiant « catastrophe ». Il s'est imposé pour qualifier l'extermination des Juifs d'Europe par les Nazis après la sortie, en 1985, du film fleuve de ce nom réalisé par le cinéaste Claude Lanzman. Il succède à « Holocauste », terme employé couramment dans les années 1970 (et toujours prédominant chez les anglo-saxons), mais dont le sens de sacrifice religieux avait une portée équivoque dans le contexte du judéocide (d'autant que les nazis ne se référaient à aucun dieu dans leur volonté d'anéantissement des prétendues « races inférieures »). Toutefois le mot « shoah » n'est lui-même pas exempt d'ambigüité : il crée un effet d'absolutisation qui rend incomparable le martyre juif,

« peuple élu » jusque dans l'horreur absolue, et le singularise des « génocides ordinaires » dont le XXe siècle a été trop riche (Arménie, Cambodge, Rwanda). Nombre d'historiens ont donc tendance à préférer la notion de Génocide juif, qui historicise l'extermination sans la relativiser d'une part, ni lui conférer un caractère exclusif d'autre part.

Selon la définition adoptée par la convention de l'ONU en 1948, est considéré comme un génocide « tout acte commis avec l'intention de détruire, totalement ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».

I- Les nazis et le génocide juif

a) la genèse de l'extermination

Consubstantiel de son obsession idéologique de la pureté raciale, le meurtre de masse est une des composantes majeures du nazisme. Il a d'abord frappé sa propre population : victimes de l'eugénisme nazi, quelque 70 000 handicapés physiques et mentaux allemands sont ainsi éliminés entre janvier 1940 et août 1941 par l' »action T4 ».

Le savoir-faire technique et le personnel expérimenté issus de cette politique d'euthanasie furent ensuite recyclés dans la mise en service des camps d'extermination.

La guerre va amplifier démesurément les tendances criminelles du régime hitlérien, dont la politique antisémite se déploie dès 1933. Même si des exactions massives avaient déjà été commises auparavant en Pologne, le conflit ne prend toutefois un caractère génocidaire avéré qu'à partir de l'invasion de l'URSS en juin 1941, qui est délibérément conçue comme une guerre d'anéantissement. L'éradication du “judéo-bolchevisme” et la conquête de l'espace vital indispensable à l'épanouissement de la race germanique (le fameux « Lebensraum ») sont son objectif central, indissociablement lié aux opérations militaires. La brutalité de celles-ci est favorisée par un cadre juridique spécial que les historiens ont dénommé les « ordres criminels ». Ces consignes prévoient l'élimination immédiate et sans jugement des commissaires politiques de l'Armée Rouge, ordonnent d'agir impitoyablement contre les partisans, les saboteurs et les Juifs, et limitent drastiquement les poursuites judiciaires contre les militaires allemands en cas de crimes commis contre les civils ou les prisonniers de guerre ennemis.

Naturalisée par la « brutalisation de la guerre », la politique d'occupation banalise la terreur à l'égard des populations civiles ennemies ainsi que la répression sauvage à l'encontre de toute forme de résistance. Les PG et les civils soviétiques meurent par millions, mais les Juifs sont déjà la cible principale des exactions. La cristallisation ultime

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de la persécution antisémite en extermination de masse s'opère probablement en décembre 1941. Elle suppose une décision politique prise au plus haut niveau. Même s'il n'en existe aucune trace, rien n'est concevable sans l'accord d'Adolf Hitler. Il semble très probable que la transgression fatale soit une réaction à la déclaration de guerre américaine, interprétée comme une agression de la « finance juive internationale ». Le premier signe avant-coureur concret de cette nouvelle orientation est la mise en place, dès l'automne 1941, du ferroutage des Juifs allemands vers les ghettos de l'Est par le service logistique du RSHA (ministère de la sécurité du Reich) que dirige Adolf Eichmann. Ultime étape exécutive, la planification technique de ce qui est dénommé par périphrase la « Solution finale » s'effectue lors de la conférence de Wannsee, qui réunit à Berlin le 20 janvier 1942 quinze hauts responsables du Troisième Reich sous la présidence de Heydrich, chef du RSHA et bras droit de Himmler.

b) le génocide par tuerie

L'anéantissement des Juifs prend d'abord la forme d'un génocide passif, avec la création de ghettos où l'entassement, la sous-alimentation, les épidémies et les mauvais traitements provoquent une sévère sélection naturelle qui fait au moins 750 000 victimes.

Le principal ghetto d'Europe est celui de Varsovie, où s'entassent jusqu'à 380 000 habitants, et qui est finalement liquidé en avril 1943 après l'insurrection armée de ses derniers occupants. Amplifiant et accélérant cette destruction lente, la « Shoah par balles », selon l'expression de son historien le père Patrick Desbois, prend le relais dès l'invasion de l'URSS. Cette forme active de génocide est l'œuvre de détachements spéciaux, les Einsatzgruppen, qui ont déjà sévi en Pologne avant d'agir dans les territoires occupés à l'arrière du front de l'Est. Ces unités d’intervention (4 furent déployés en URSS) étaient composées de SS, d'agents du RSHA (Gestapo, Kripo, SD) et de troupes de réserve de la police (cf. Des Hommes ordinaires, 1994, la remarquable étude de l'historien américain Christopher Browning sur le comportement, les motivations et des actes du 101e bataillon de réserve de la police allemande), renforcés par des auxiliaires locaux. Leurs missions d'extermination ont pour objet l'élimination en masse des élites polonaises, des cadres soviétiques, puis des Juifs et des Tziganes. De 1940 à 1943, on leur impute l'assassinat d'un million et demi de personnes, essentiellement des Juifs. Le massacre collectif le plus emblématique perpétré par les Einsatzgruppen est celui de Babi Yar, où 33 000 Juifs sont exécutés les 29 et 30 septembre 1941. Mais ces meurtres massifs présentent plusieurs défauts : la lenteur, la visibilité (témoins et traces physiques) et aussi le caractère traumatisant de la besogne des tueurs sur le plan psychologique et moral.

c) le génocide industriel

Le stade suprême de la politique génocidaire est atteint avec la création des machines de mort plus efficaces et plus rapides que sont les camps d’extermination. Il en a existé six au total : Belzec, Chelmno, Maïdanek, Sobibor, Treblinka et Auschwitz-Birkenau.

Durant leurs trois années d'existence, leur unique finalité fut le gazage industriel des déportés raciaux. Toutefois, ces usines de la mort n'étaient pas de la même importance et n'employaient pas les mêmes techniques. Les cinq premières sont affectées à l'Action Reinhardt (extermination des Juifs de Pologne) et utilisent le monoxyde de carbone, à l'exception de Maïdanek où l'on s'est servi comme à Auschwitz du tristement célèbre Zyklon-B. Le sixième camp est donc celui d'Auschwitz, qui occupe une place à part dans l'organisation et la mémoire du judéocide nazi, dont il est devenu le symbole. Il s'agissait d'un immense complexe concentrationnaire formé de trois unités principales et d'une quarantaine d'installations annexes. On y trouvait un camp de concentration (qui était le camp principal d'Auschwitz à proprement parler), un camp de travail forcé (Auschwitz- Monowitz), et un camp d'extermination, celui de Birkenau. Équipé de quatre chaînes de

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mise à mort associant des chambres à gaz d'une capacité de 2000 personnes à un crématorium, celui-ci est le plus vaste et le plus perfectionné des camps de la mort. Son organisation rationalisée fondée sur la division du travail remplit une double finalité : la performance technique au service de la destruction intensive des êtres humains, et la banalisation du meurtre de masse. C'est à Birkenau que le gaz Zyklon-B, 36 fois plus rapide que le monoxyde de carbone, a été testé pour la première fois sur 600 prisonniers soviétiques le 3 septembre 1941. Sa localisation idéale sur un nœud ferroviaire en a fait le principal centre de l'extermination des Juifs déportés depuis toute l'Europe (c'est notamment la principale destination des Juifs déportés depuis la France). Sur les 2,7 millions de Juifs morts dans les chambres à gaz, 1 million ont péri à Birkenau. A leur arrivée dans les camps, une minorité des déportés raciaux (200 000 à Auschwitz) ont pourtant échappé à la mise à mort immédiate. Jugés aptes au travail lors de la « sélection » effectuée à la descente du train, ils étaient orientés vers les camps de concentration pour se fondre dans la masse des esclaves du nazisme dont le taux de mortalité, de 50% en moyenne, leur laissait une chance de survie.

d) un bilan homicide

Au total, entre 5 et 6 millions de Juifs (soit les 3/5 des Juifs d’Europe) ont ainsi été exterminés : le chiffre « consacré » des 6 millions a été cité lors du procès de Nuremberg mais, depuis, les historiens ont eu tendance à réduire cette estimation ; le principal auteur de référence actuel est l'historien juif américain Raul Hilberg, qui aboutit dans son ouvrage monumental sur La Destruction des Juifs d'Europe au chiffre de 5,1 millions de morts (en incluant ceux assassinés par les alliés de l'Allemagne). Le drame des Juifs ne doit toutefois pas éclipser totalement le sort des Tsiganes, qui ont subi un processus d'anéantissement similaire qui a fait environ 200 000 victimes. On ajoutera enfin que, sans avoir été soumis à une extermination systématique, les Slaves, considérés comme des êtres inférieurs, ont eux aussi connu d'épouvantables souffrances et une mortalité massive qui se chiffre par millions d'individus.

II- La place de la France dans l'extermination

a) la politique antisémite du régime de Vichy

La participation de Vichy à la persécution antijuive de la 2e Guerre Mondiale est double : elle superpose un volet franco-allemand à une dimension exclusivement franco- française.

L'antisémitisme d'état impulsé par le régime maréchaliste a pour socle le premier statut des Juifs, promulgué dès le 18 octobre 1940 et complété par un second statut en juin 1941. Ces textes organisent une discrimination systématique à l'encontre des Juifs, en particulier sur le plan professionnel : carrières administratives, professions libérales et accès aux études supérieures sont soit interdits, soit drastiquement restreints. Un décret d'internement frappe les Juifs étrangers. L'abolition du décret Crémieux de 1871 dépouille de la nationalité française les dizaines de milliers de Juifs algériens. S'y ajoutent des mesures de spoliation patrimoniale organisées en juillet 1941 : « l'aryanisation » des biens juifs touche ainsi 10 000 entreprises confisquées et 7000 liquidées dans la seule zone nord, mais cette loi s'applique aussi aux propriétés immobilières. Le Commissariat général aux Questions juives, créé en mars 1941 et dirigé successivement par Xavier Vallat puis par Louis Darquier de Pellepoix, est chargé de veiller à l'application de ces législations répressives.

Ces décisions, qui s'appliquent non seulement en zone occupée mais aussi en zone sud et dans les colonies, c'est à dire dans des lieux où les forces allemandes ne sont pas

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physiquement présentes, sont prises à l'initiative des autorités de Vichy. Elles ne répondent nullement à une exigence de l'occupant, qui mène lui-même par ailleurs sa propre politique d'exclusion des Juifs dans les régions qu'il contrôle militairement : port de l'étoile jaune en zone nord, interdictions d'accès à divers lieux publics et de spectacle, tampon Juif sur les papiers d'identité (il semble que plus de 140 000 personnes se soient soumises à cette obligation par légalisme). La persécution antisémite de Vichy s'inscrit en fait dans la logique de l'antijudaïsme idéologique traditionnel, qui s'était manifesté spectaculairement à l'occasion de l'Affaire Dreyfus, et qu'avait incarné à la fin du XIXe siècle la figure hystériquement judéophobe d'Édouard Drumont. C'est un antisémitisme discriminatoire par essence, mais sans dimension génocidaire. Même s'il s'y additionne, il ne doit pas être amalgamé avec le second volet de l'action anti-juive de Vichy, à savoir sa complicité criminelle dans la mise en œuvre de la « Solution Finale ».

b) la participation de l'état français à la déportation des Juifs

En effet, Vichy va encore plus loin en prêtant le concours de ses forces de l'ordre à la persécution puis à la déportation des Juifs organisée par les nazis. Il s'agit d'un choix qui n'est nullement inscrit dans les termes de l'armistice de juin 1940, que certains vichystes anti-allemands (tel le général Weygand) auraient d'ailleurs voulu se contenter d'appliquer a minima. Mais la collaboration devient la ligne officielle du régime à partir de l'entrevue de Montoire le 24 octobre 1940. Elle résulte essentiellement d'un calcul opportuniste qui tient pour acquise la victoire inéluctable de l'Allemagne. Elle cherche donc à s'attirer les faveurs de Hitler (lequel n'est pas demandeur) de manière à assurer à la France régénérée un sort adouci dans l'Europe allemande de demain (espoir illusoire qui fait de la Collaboration un marché de dupes). Sus cet angle, contribuer à la déportation des Juifs est donc un moyen de se concilier les bonnes grâces de l'occupant. Mais cela traduit aussi la nécessité institutionnelle, pour l'État de Vichy, de ménager la tolérance allemande afin de faire reconnaître son autorité en zone occupée, paradoxe pervers qu'incarne parfaitement le secrétaire général à la police René Bousquet. Politiquement marqué au centre gauche (il est lié au Parti Radical) et de sensibilité anti-allemande, ce commis de l'état issu du corps préfectoral et dépourvu de sens moral conçoit l'exercice de la répression au service de l'ennemi comme un moyen de réaffirmation de la souveraineté nationale.

C'est ainsi que les 79 trains formés en France au profit de la Solution Finale ont été peuplés avec le concours parfois zélé des forces de l'ordre françaises, formalisé en août 1942 par les accords Bousquet-Oberg (chef suprême des SS et de la police allemande en France). Un recensement systématique identifie en amont les futures victimes des arrestations : le fameux fichier des Juifs de la préfecture de Paris est le symbole de ce préalable administratif de la déportation. La police et la gendarmerie participent activement aux rafles ordonnées par les autorités allemandes d'occupation. La plus emblématique est celle dite du Vel d'Hiv (du nom du Vélodrome d'Hiver où sont rassemblées les personnes arrêtées). Cette opération, qui mobilise 9000 policiers et gendarmes pour arrêter 13 000 Juifs parisiens les 16 et 17 juillet 1942, est l'exemple le plus connu du rôle des forces françaises dans la déportation, mais c'est aussi le plus parlant pour mettre en évidence les enjeux ambigus de leur implication. Les 13 000 personnes internées ne représentent qu'une grosse moitié des arrestations prévues : il y a donc eu des fuites préalables massives alertant les futures cibles, et un manque de zèle caractérisé chez un nombre significatif de policiers chargés des interpellations. Il n'empêche que le chiffre atteint représente, malgré tout, beaucoup plus de gens que les allemands n'auraient été en mesure d'en arrêter par leurs propres moyens. Sur un plan plus général, Vichy est également coupable de la livraison de dizaines de milliers de Juifs étrangers internés en zone Sud, ainsi que de la déportation des enfants décidée personnellement par Laval.

La participation de l'État français à la déportation des Juifs n'est donc absolument

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pas subalterne. Elle est au contraire essentielle : au total, les forces de police françaises sont responsables de 85 à 90% des arrestations de Juifs. Elles ont aussi assumé, en aval, la surveillance des sites de détention qui servaient d'antichambre aux convois pour l'Allemagne, dont les trois principaux - s'agissant des Juifs - étaient les camps de Drancy, Pithiviers et Beaune-la-Rolande (anecdote fameuse concernant le film Nuit et brouillard d'Alain Resnais, dont avait été censurée l'image dénonciatrice du képi d'un gendarme gardant le camp de Pithiviers).

En tout, 79 convois de déportés juifs sont partis en direction des camps de la mort, le premier de Compiègne le 27 mars 1942, et le dernier de Clermont-Ferrand le 18 août 1944. Près de 90 % de ces voyageurs sans retour ont été dirigés vers Auschwitz. Sur les 75 721 Juifs, dont 11 400 enfants, déportés de France dans cet intervalle (aux 2/3 étrangers ou apatrides, en vertu de la logique juridique vichyste qui prétendait préserver les ressortissants français), 2 566 survivants ont été comptabilisés à la Libération en 1945, soit environ 3 % des déportés. En y incluant les 3 000 décès survenus dans les camps d'internement avant la déportation et le millier de Juifs exécutés, le bilan de la « solution finale » en France atteint 80 000 victimes.

c) les réactions de la population française

De façon significative à partir de 1942, les persécutions antisémites (port de l'étoile jaune, premières rafles) soulèvent une émotion certaine, rapportée par les sondages du contrôle postal étudiés par Pierre Laborie. Ce sentiment sourd de répulsion dans l'opinion est en résonance avec la protestation publique que certaines autorités religieuses osent élever contre des actes qu'elles flétrissent comme contraires à la morale et à l'humanité (lettre pastorale de l'archevêque de Toulouse Mgr Jules Saliège, lue dans les églises de son diocèse le 23 août 1942, protestations du pasteur Marc Boegner, président de la Fédération protestante de France, notamment auprès du maréchal Pétain). Contrairement aux stéréotypes qui ont longtemps eu cours sur une France occupée supposée s'être vautrée avec complaisance dans l'abjection, un colloque historique réuni au Mémorial de Caen en novembre 2008 a sérieusement réévalué à la baisse l'ampleur supposée des lettres de dénonciation (dont les historiens ramènent le nombre de 5 millions à 200 000 !), ce qui réhabilite la dignité d'une population dont la soumission n'avait pas valeur de complicité.

Au demeurant, par-delà les 2 833 citoyens français officiellement honorés du titre de

« Juste parmi les Nations » pour leur aide active au sauvetage de Juifs, seule la solidarité au moins passive de la masse des Français peut justifier que les 3/4 des 330 000 Juifs de France aient échappé à leurs bourreaux, ce qui constitue le taux de survie le plus élevé de toute l'Europe occupée.

III- L'Indre et la Shoah

a) la persécution des Juifs dans l'Indre

Le département de l'Indre constitue un cas particulier dans la problématique de la persécution, dans la mesure où, pour la seule et unique fois de son histoire, il est devenu un territoire frontalier trois ans durant, en vertu du tracé de la ligne de démarcation. Cette situation explique notamment le taux élevé d'arrestations de Juifs opéré dans l'Indre jusqu'en 1942 par les forces de l'ordre françaises, en raison de la concentration de réfugiés ayant réussi à traverser clandestinement la ligne. Il est possible que cette affluence ait aussi suscité une forme de tension avec la population locale, si l'on se fie à un rapport du préfet en date du 1er août 1942 relatant que « de nombreux Juifs qui fuient la zone occupée continuent d’affluer dans le département de l’Indre. Possédant beaucoup d’argent en général, ils se ravitaillent dans les fermes en payant les denrées au-dessus de la taxe. [...]

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Dans la plupart des villes, il est impossible de trouver le moindre logement ni aucune chambre dans les hôtels. [Le] ravitaillement [est] souvent désaxé dans les villes par cet afflux de bouches à nourrir ». Malgré la virulence manifestée par le milieu conservateur local à l'encontre de Léon Blum lors du Front Populaire, les efforts de la propagande collaborationniste et la concurrence pour les ressources en temps de pénuries, rien de probant n'atteste pourtant l'existence d'un antisémitisme plus marqué dans l'Indre qu'ailleurs. D'ailleurs il y avait un Juif, Max Hymans, parmi les députés du Front Populaire élus par l'Indre en 1936. En revanche, il semble qu'un réel sentiment de xénophobie s'y soit diffusé indistinctement à l'encontre des étrangers quelle que soit leur origine.

En dehors de l'effet de frontière lié à la ligne de démarcation, le sort des Juifs dans l'Indre rejoint le cas commun de toute la zone sud. Jusqu'à l'invasion de novembre 1942, l'antisémitisme d'état du régime de Vichy s'y applique dans toute sa rigueur. Les Juifs domiciliés dans le département font l'objet d'un recensement général en juillet 1941. Les réfugiés Juifs étrangers sont victimes de mesures d'internement. Après novembre 1942, l'occupation allemande fait peser un péril de mort sur les uns comme sur les autres, à qui obligation est imposée de faire apposer le tampon Juif sur leurs papiers d'identité. La déportation prélève au total 460 habitants de l’Indre tous motifs confondus, qu'ils soient raciaux et/ou politiques. Les deux tiers d'entre eux ne sont jamais revenus des camps.

Leurs destinations finales permettent d'entrevoir la place des Juifs dans ce martyrologue : 113 déportés ont été dirigés sur Auschwitz-Birkenau et 72 autres vers Maïdaneck. Ces deux camps d'extermination représentent donc 40% des déportés de l'Indre, ce qui fait des Juifs le principal contingent des arrestations parmi les résidents du département. Mais ce bilan est incomplet car il ne prend en compte que les habitants de l’Indre. Il faut y ajouter le sort de plusieurs centaines de Juifs d’origine étrangère (peut-être un millier ?) réfugiés ou internés dans l’Indre, qui y sont arrêtés lors de trois rafles importantes organisées en août 1942, février 1943 et mars 1944. La plupart furent ensuite déportés en Allemagne après une étape intermédiaire au camp de triage de Nexon, près de Limoges en Haute-Vienne.

L'anonymat des chiffres estompe de multiples tragédies humaines. Pour rendre un visage à la persécution des Juifs de l'Indre, on peut mettre en avant le cas emblématique du négociant Raymond Katz et de sa famille. Né à Châteauroux en 1888, cet ancien combattant de la Grande Guerre, propriétaire d'un important commerce de vêtements et président du tribunal de commerce de Châteauroux jusqu'en 1940, était un notable économique de la cité. Il fut d'abord marginalisé socialement et professionnellement par la législation de Vichy. Le 11 février 1944, il est arrêté par la Gestapo à son domicile de Châteauroux avec sa femme et sa fille Françoise, lycéenne de 17 ans. La famille est ensuite internée au camp de Drancy, puis déportée par le convoi N°72 qui arriva au camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau le 1er mai 1944 ; elle y fut anéantie. Seul survécut le fils aîné Jean Katz, clandestin entré dans la Résistance. Le nom de sa jeune soeur a été donné à l'école primaire des Capucins à Châteauroux en 1999.

b) le camp de Douadic

Douadic est l'un des trois camps d'internement pour étrangers installés dans l'Indre par le régime de Vichy. Des familles catholiques polonaises ont été placées à Bagneux, près de Vatan. Le Groupement de Travailleurs Etrangers de Montgivray (près de La Châtre) réunit des hommes seuls de toutes origines, parmi lesquels un certain nombre de Juifs qui furent déportés par la suite. Douadic est principalement un camp pour familles juives. Il a connu auparavant de multiples affectations. Il semble que la commune ait déjà accueilli un lieu d'internement lors de la Première guerre Mondiale. Un nouveau camp y est ouvert en 1939. Installé à proximité de l'étang de la Gabrière, ce site de 2,5 hectares est occupé par une vingtaine de baraquements initialement destinés à recevoir des prisonniers de guerre allemands. Mais les choses ne se déroulent pas tout à fait comme prévu, et il sert de lieu

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d'hébergement pour les réfugiés de l'Exode. À partir de novembre 1940, il est placé sous la houlette du Commissariat à la lutte contre le chômage et se mue en « Centre de séjour surveillé » destiné aux ressortissants étrangers : espagnols, allemands et polonais s'y succèdent. En février 1941, le camp prend la dénomination de « Centre d'accueil de Douadic ». Supervisé par le Service social des étrangers, il héberge des travailleurs étrangers, puis des prisonniers de guerre français libérés en instance de démobilisation.

Sans perdre sa raison sociale, il élargit sa vocation en 1942. Il est en effet alors utilisé comme camp de ramassage et de triage des Juifs étrangers ramassés dans l'Indre lors de la grande rafle d'août 1942 (210 individus). On y sépare les internés déportables, rapidement dirigés vers Nexon, des cas pouvant bénéficier d'exemptions. Le 26 octobre 1942, Douadic devient un « Centre de regroupement d’Israélites en vue de leur transfert en zone occupée », tout en demeurant simultanément « Centre d'accueil pour les étrangers ».

Il sert à nouveau de camp de regroupement lors des rafles de février 1943 et mars 1944 dans l'Indre. En dehors de ces périodes, où les personnes arrêtées ne séjournent que brièvement à Douadic avant leur transfert vers Nexon, le camp connaît un flux constant de départs et d’arrivées, alimenté par des transferts incessants d’un camp à l’autre. A la date du 14 octobre 1942, 139 israélites étrangers séjournent à Douadic, dont 45 hommes, 78 femmes et 16 enfants de moins de 12 ans. Les hébergés sont 74 en mai 1943, puis 233 (dont 122 juifs) en octobre suivant, et 75 en juillet 1944. Les conditions de vie conjuguent promiscuité et privations, mais les résidents ne sont pas maltraités physiquement. Les lieux ne sont gardés par les GMR que momentanément lors des grandes rafles. Le reste du temps, seuls sont présents à demeure les employés civils du Service social des étrangers.

Les internés travaillent dans le camp, et quelques-uns dans les fermes d'alentour. Au fil du temps, la population hébergée est de plus en plus hétéroclite et pas seulement juive.

Jusqu'à 22 nationalités sont représentées simultanément à Douadic (y compris même un Chinois). En 1944, un contingent de prostituées venues du camp de Brens (dans le Tarn) est l'objet des soucis de la sous-préfecture du Blanc en raison de la turbulence de ces dames !

Peu avant la Libération, le camp, dont plusieurs employés sont membres de la Résistance, sert de lieu de stockage pour du matériel de guerre parachuté, et un poste émetteur clandestin y est même implanté. Douadic demeure Centre d’accueil pour étrangers jusqu’en octobre 1944. A cette date, il retrouve sa vocation originelle de camp de prisonniers de guerre allemands placé sous la garde des F.F.I., puis finit sa carrière comme Centre départemental d’internement des collaborateurs. Il est définitivement fermé au printemps 1945.

Guillaume LÉVÊQUE.

Sélection bibliographique :

Philippe BARLET & Jacques MERLAUD : La Nasse, Douadic 1942-1945 (DVD, 5e Planète, 2006)

Jacques BLANCHARD : Le camp de Douadic. Centre de triage avant déportation et centre n°11 bis du service social des étrangers, 1939 – 1945 (Celles-sur-Belle, 1994)

Bernard BRUNETEAU : Le siècle des génocides (Armand Colin, 2004)

Sébastien DALLOT : L’Indre sous l’occupation allemande, 1940-1944 (De Borée, 2001)

Patrick DESBOIS : Porteur de mémoires (Michel Lafon, 2007)

Raul HILBERG : La Destruction des Juifs d'Europe (3e édition, Folio-histoire, 2006)

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