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Créativité musicale des personnes âgées ou la Création du Soi jusqu au bout

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Academic year: 2022

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Créativité musicale des personnes âgées ou la Création du Soi jusqu’au bout

SARAH CARLIEZ Psychologue clinicienne,

Musicothérapeute (Paris)

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“La créativité, c’est rendre riche les choses qui paraissent pauvres”

(Mlle M, atteinte de la maladie d’Alzheimer)

Depuis quelques années, la musicothérapie et les techniques psycho-musicales connaissent un essor important auprès des personnes âgées et tout particulièrement auprès des personnes atteintes de pathologies démentielles séniles (démence de type Alzheimer ou syndromes associés).

La musique est, en effet, un mode d'expression, de communication, de stimulation et de revalorisation particulièrement probant pour ces personnes dont la mémoire, le langage et l'intégrité psychique se voient altérés jour après jour. De nombreux professionnels témoignent de l'étonnante mémoire musicale des personnes démentes, de leur capacité à suivre une chanson, une mélodie ou un rythme. Dans les institutions gériatriques, on rencontre souvent des personnes sans repères et sans mémoire, se rappelant du refrain et des couplets d'une chanson, chantonner une mélodie d'autrefois ou battre le rythme d'une danse. Même les plus dégradés se balancent encore au rythme de la musique. Yolande Moyne* dit à ce sujet que "la musique est ce qui reste quand on a tout oublié"...

Pour introduire cet exposé, je vous propose une observation clinique, qui nous permettra d’appréhender l’ambiguité de la pathologie démentielle, marquée d’une part par un naufrage intellectuel irréversible et destructeur, et d’autre part par l’exacerbation des modalités de perception et de communication sensorielles. Toujours à travers une approche clinique, nous tenterons ensuite de comprendre la pathologie démentielle et son lien étroit avec la musique en tant que médiateur non-verbal et corporel. Enfin, nous verrons combien la créativité peut représenter pour la personne démente un ultime moyen de s’exprimer, de communiquer et de se sentir exister en tant que personne à part entière.

Madame G est atteinte d’une maladie de type Alzheimer doublée d’une démence vasculaire depuis de nombreuses années. Elle a de très importantes pertes de mémoire, une désorientation temporelle et spatiale complète et d’importants troubles aphasiques qui, ajoutés à une diminution considérable de la mémoire sémantique, rendent la communication verbale inintelligible voire impossible. Son langage est donc très réduit, sans lien et composé de nombreux néologismes (“je suis caracassée et charabotlée, c’est charobolant”). Elle ne se souvient plus de son nom et ne peut donner aucune indication ni sur son identité ni sur son histoire.

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Au début de chaque séance de musicothérapie, je propose un rapide exercice de mémoire sur la date du jour et sur les noms des participants. Lors de cet exercice, Madame G a le visage fermé et il lui arrive de me faire des grimaces ou exprimer son malaise (“je suis toute bébête”).

Elle ne peut répondre à aucune des consignes.

Lorsque j’enclenche une musique, son comportement et l’expression de son visage se transforment immédiatement. Son visage s’illumine et son corps se met quasi-instantanement en mouvement, accompagnant la musique comme un chef d’orchestre et improvisant une chorégraphie gestuelle.

Lors d’un séance, je propose au groupe une séance d’improvisation. Madame G choisit parmi les différents instruments un balafon (instrument neuf qu’elle découvre pour la première fois). A l’écoute de la chanson “La Mer” de Charles Trenet, Madame G se met à découvrir l’instrument et à harmoniser son rythme avec celui de la musique. Progressivement, elle appréhende l’ensemble de l’instrument, en montant vers les notes aiguës lorsque la musique écoutée augmente en intensité. Elle anticipe rythmiquement certaines séquences et enfin improvise un “contre-chant” rythmique. A la fin de la chanson, elle frappe plusieurs fois énergétiquement sur l’instrument en guise de point final et regarde le groupe avec un visage radieux, triomphant...

Créativité et vieillissement : antagonisme ou complémentarité ?

La notion de créativité prend, lorsqu’on parle du vieillissement, une dimension toute particulière. Le vieillissement n’est-il pas communément considéré comme étant le stade où ce qui a été créé dépérit pour aboutir à la mort? Peut-on encore créer quand le travail psychique essentiel consiste à faire des deuils successifs et lorsqu’enfin la démence entraîne la perte des liens avec les représentations, coupant par là-même l’accès à la dimension symbolique?

Il semble que le processus de créativité est justement au coeur du vieillissement et qu’il peut aider à passer cette crise de vie difficile. Il est pour cela nécessaire de faire un rapide détour par les théories psychanalytiques du vieillissement et notamment par le processus de sublimation qui y est tout à fait central et qui rejoint notre réflexion sur la créativité. En effet, selon Gérard Le Gouès*, chez le sujet âgé, “la sublimation en tant que source de plaisir substitutif est le meilleur moyen dont dispose l’appareil psychique pour lutter contre les effets négatifs des pertes (perte d’objet, perte de fonction, perte de soi)”. Pour lui, il y a sublimation “à chaque fois qu’une pulsion sexuelle est transformée en une production utile et belle”. La sublimation est un moyen de lutter

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contre la castration et surtout un moyen pour continuer la création du Soi jusqu’au bout. Elle permet alors de réalimenter et de restaurer le narcissisme sain nécessaire à l’équilibre psychique et à la bonne circulation de la libido. Le processus créatif et le plaisir de la création, en tant que principal résultat de cette sublimation, permet alors à la personne âgée de trouver un substitut aux pertes des investissements dans la vie sociale, affective et narcissique, lui permettant de s’inscrire dans la continuité et dans la transmission.

Que se passe-t-il cependant quand le vieillissement s’accompagne d’une dégénérescence pathologique du cerveau (démence de type Alzheimer ou formes parallèles), lorsque le phénomène de sublimation est annihilé et que la personne ne peut plus initier “consciemment” un processus créatif?

La démence ou le retour au perceptif

Voyons alors les caractéristiques principales du processus démentiel, cette détérioration globale, progressive et irréversible des fonctions intellectuelles. D’un point de vue neurologique, nous pouvons évoquer, selon le type de démence, une dégénérescence plus ou moins rapide de certaines zones du cerveau et des fonctions cognitives associées (dégénérescence diffuse ou plus ciblée, corticale et/ou sous-corticale), ce qui entraîne pertes de mémoire et d’orientation, aphasie, troubles moteurs, troubles du comportement, troubles de la personnalité etc.

Pour les psychanalystes, la démence est surtout un retour massif de la psyché au corps et au perceptif. Comme l’écrit Marion Péruchon*, on pourrait décrire l’involution psychique dans le sens inverse du schéma de l’évolution décrit par André Green (Soma <-> pulsion <-> affect <->

représentation de chose <-> représentation de mot <-> pensée réflexive), à savoir une sorte de

“déconstruction” de l’appareil psychique, induite par un décroissement de l’afflux libidinal et une progressive déliaison pulsionnelle. Cela entraînerait une grande difficulté à maîtriser les représentations et un épuisement de la mentalisation, de l’activité fantasmatique et de la richesse des associations verbales. Prises en charge moins efficacement, les excitations pulsionnelles vont avoir tendance à passer dans l’agir ou dans le corps. Par contre, l’affect, indépendant des représentations, survit, conservant sa valeur signifiante. Marion Péruchon illustre la persistance de cet affect :

“lorsque les associations verbales ont totalement démissionné, lorsque les représentations de mot se réduisent à un stock extrêmement réduit et répétitif, l’affect désinséré peut encore conserver sa valeur signifiante. C’est d’ailleurs là que sa fonction de représentation ou sa valeur cognitive,

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voire sa fonction mnésique, prendrait toute son ampleur. L’affect émerge alors pour signifier l’indicible”.

Guidée par l’affect et la perception, la personne âgée démente va ainsi communiquer d'une façon privilégiée sur un mode analogique, donnant une nouvelle importance aux mimiques, aux gestes, à l'intonation, au regard et au toucher. Elle est d’autant plus sensible à une voix agréable qu’elle ne saisit plus le sens de ce que dit la voix et d’autant plus sensible au toucher que celui-ci est plus “parlant” qu’un discours.

Musicothérapie : la musique comme repère et médiateur non-verbal

Nous pouvons dés lors comprendre que la musique, très liée à la perception, à l’affect et au corps, puisse prendre une place importante dans la prise en charge d’une personne démente. En tant que moyen de communication non-verbale, elle retrouve une place tout à fait centrale.

Ce retour de l’élaboration psychique au perceptif et au corps a une double répercussion sur la dimension musicale : d’une part la mémoire musicale (de part son importante composante affective et sensorielle, renforcée par la répétition) est préservée au delà des autres pertes. D’autre part, le retour à une communication analogique et sensorielle, appuyée par une plus grande désinhibition, permet plus facilement d’exprimer des émotions par un médiateur sonore.

La prise en charge en musicothérapie des personnes démentes s’appuie alors sur ces deux facteurs, pour étayer le potentiel encore existant chez la personne et mobiliser ses ressources créatives. Dans les deux cas il s’agit de favoriser l’expression, la communication et renforcer l’estime de soi. Deux grands axes de travail se présentent ainsi pour la pris en charge de ces personnes :

-> Le travail sur la mémoire musicale

Cette mémoire musicale, préservée si longtemps, connait des modalités d’expression particulières. En effet, la reconnaissance musicale des personnes démentes s'exprime essentiellement par le corps (mouvements rythmés, chant, chantonnement) et non plus par une représentation précise dans la pensée ou la mémoire (ce qui peut se traduire par : "je ne connais pas la chanson que je viens de chanter par coeur"). Le corps accompagne quasi-systématiquement la musique, et ce marquage rythmique signifie plus qu'une reconnaissance, il est plus qu'un

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"mouvement réflexe", il semble indispensable. Ne pouvant plus être représentée abstraitement, la musique semble s’appuyer sur le corps pour retrouver un sens.

Quand les rythmes biologiques sont perturbés (désynchronisation des rythmes chronobiologiques, ralentissement de nombreuses fonctions,...) et que les rythmes de vie sont totalement décousus (sorte “d’arythmie” de la personne par rapport à son environnement), la musique représente bien souvent le seul repère encore maîtrisable, connu et prévisible pour les personnes démentes. Un musique au tempo régulier semble atténuer l'angoisse, donner un sentiment de sécurité et refaire un lien entre l'intérieur et l'extérieur. Madame B après l'écoute d'une chanson, nous dit : "Je suis contente de savoir ça et je m'y accroche, je suis dans mon bon ordre"...

Pour des personnes âgées en perte totale d’identité, reconnaître une musique, être capable d'en fredonner l'air et d'en battre le rythme constitue de toute évidence un moyen de se sentir exister. Il suffit pour cela d'observer les mines radieuses de ces personnes reconnaissant un air d'autrefois, murmurant la mélodie et soulevant les doigt au rythme des notes. Nous nous référons alors ici aux notions d’Identité Sonore (“délimitation subjective des phénomènes sonores appartenant à un individu - biologiques, culturels environnementaux - au travers desquels il se reconnaît, par lesquels il s’identifie”), et d’Identité musicale (composante musicale de l’identité sonore), définies par Édith Lecourt*, qui sont tout à fait centrales dans le travail en musicothérapie. Stimuler la mémoire musicale, permettre de se “reconnaître” dans la musique revient alors à redonner une part d’identité.

-> Le travail sur l’improvisation musicale

L’improvisation musicale s’appuie elle-aussi sur cette identité sonore et musicale, tout en sollicitant et en laissant jaillir les émotions et les perceptions du vécu présent. Le monde intérieur de la personne est alors traduit de façon assez “brute” par la voix, par des percussions corporelles ou sur des instruments de musique, traduisant le désir de communiquer, mais aussi celui de se défouler, de se libérer, de créer. Par le sonore, le thérapeute invite la personne démente à s’exprimer et peut entrer dans un “dialogue” avec elle, sur un mode analogique et souvent ludique.

Cette expression est facilitée d’autant que la déliaison psychique entraîné souvent une considérable désinhibition (plus ou moins marqué selon le type de démence et le niveau social).

Non-liées à des représentations (“il n’est pas convenable de taper aussi fort sur un tambour”), les

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défenses, les interdits et les conventions sociales s’effacent progressivement, laissant jaillir une forme d’expression authentique et permettant à la personne démente de laisser plus facilement libre cours à ses pulsions et à ses émotions. Suzanne Ogay*, citant Willems, fait le parallèle avec l’enfant pour lequel l’inspiration authentique disparaît avec l’arrivée des fonctions intellectuelles, en nous disant qu’ici, “l’improvisation se libère, se crée lorsque les opérations intellectuelles lâchent, s’abandonnent”...

Madame A est atteinte d’une démence fronto-temporale très avancée. Elle a encore accès au langage, mais vit dans un monde d’“hallucinations mnésiques” (images agréables du passé qui se prennent frauduleusement pour des perceptions dans le présent, selon Marion Péruchon).

Toute la journée, Madame A erre dans l’institution et parle aux personnages de son hallucination (ses parents, ses frères et soeurs,...), qui se confondent avec les personnes réelles rencontrées (l’aide-soignante étant prise pour sa mère etc). Madame A chante continuellement une mélodie rythmée, toujours la même, comme pour remplir son “vide” intérieur (sorte de ritournelle enfantine ponctuée régulièrement par deux points d’orgue vigoureux). Elle improvise presque toujours des paroles sur cette mélodie, donnant à l’ensemble des accents de rap. Elle dialogue ainsi avec ses interlocuteurs réels et imaginaires :

Ma maman elle est gentille, Et le petit papa aussi, Et vous êtes bien mignonne, Et tous les autres là aussi, Bien sur (...)

Créer pour communiquer et pour continuer à exister

Lorsqu’on parle de “Créativité” chez une personne âgée démente, il importe donc de nuancer ce terme et de le situer dans une perspective particulière.

Nous ne nous situons plus alors dans une perspective symbolique, musicologique ou esthétique reconnue culturellement, mais dans un processus qui permet d’exprimer des sensations et émotions non-représentables et non-verbalisables.

En effet, dans le processus démentiel, la production musicale ne peut plus faire écho à une

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représentation mentale et la dégénérescence rend difficile la symbolisation et l’ “imagination”.

Cependant, on peut parler de processus de créativité, comme ayant une fonction essentielle d’expression, de communication et permettant à la personne de continuer à “être” et à “agir”.

Nous sommes alors dans la conception de Winnicott*, qui évoque “la créativité dans son acception la plus large, sans l’enfermer dans les limites d’une création réussie ou reconnue, mais bien plutôt en la considérant comme la coloration de toute une attitude face à la réalité extérieure”.

Si la personne démente ne peut plus “penser” de manière structurée et ne peut plus transmettre cette pensée par le langage ni argumenter son cheminement, elle n’en est pas moins capable d’éprouver des émotions et de les exprimer. La colère contre une aide-soignante un peu brusque, la peur de se sentir perdu dans l’institution, mais aussi la joie à la vue d’un visage souriant ou le plaisir d’être touché ne peuvent plus être élaborés.

L’expression musicale par le biais de l’improvisation, peut alors aider à canaliser ces émotions, leur donner un réceptacle, leur permettre d’être entendus et partagés sur un mode non- verbal. L’expression créative par la voix ou par des instruments de musique permet alors de “dire”

la tension, la tendresse, la joie, la colère ou la peur. “Le langage créatif sonore n’a, en effet, pas de caractère ni de valeur esthétique, mais un objectif thérapeutique, dit à ce sujet Suzanne Ogay*.

Faire fonctionner les capacités de création afin de supporter les pertes et l’angoisse, est d’ordre thérapeutique (...) Dans la notion de créativité, nous pouvons admettre des choses aussi simples qu’une nouvelle façon de se déplacer ou de sautiller sur un rythme musical ; une autre manière à soi d’utiliser un instrument de musique ; ou des variations dans l’activité vocale (...) Chanter, fredonner, bourdonner voire gémir ou soupirer avec le soutien d’un instrument utilisé par le thérapeute est aussi une expression personnelle de soi, même si cela ne constitue qu’une plainte” .

La production musicale, sitôt exprimée, non-reliée à une représentation et non-fixée dans la mémoire, est souvent aussitôt “oubliée” en tant que création. Or, l’émotion ou le plaisir éprouvés lors de cette création ont une répercussion à plus long terme. On peut observer une diminution de l’agressivité, une pause dans les déambulations, et une transformation de l’humeur.

Monsieur B est atteint d’une maladie d’Alzheimer. Il a encore accès au langage mais connait de gros troubles de mémoire et d’orientation. Angoissé et conscient d’une partie de ses troubles, il erre toute la journée dans l’institution à la recherche de repères. Je l’invite à une

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séance de musicothérapie, en même temps que Madame L (que nous appellerons “Léonie”). Dés que je présente Léonie à MonsieurB, il la regarde avec émotion et commence une improvisation chantée sur son prénom “Léonie, Léonie, tu seras toujours jolie etc”. Quelques instants plus tard, je lui reparle de cette improvisation. Il ne s’en souvient pas et, se tournant vers Léonie, lui demande comment elle s’appelle... Monsieur B a éprouvé une émotion à la vue de Léonie, qu’il a exprimé par une création vocale dans l’instant, mais sans la lier à une représentation. Même s’il ne se souvient alors plus de Léonie, il a eu un moment de plaisir, il a donné un moment de plaisir et il a joué, par cette improvisation galante, un rôle valorisant dans une interaction.

On peut alors rejoindre C. Rivemale*, qui affirme que “La musique ainsi créée surgit dans l’instant, hors du temps, hors d’un quotidien difficile, et cette rencontre sonore provoque au hasard, l’harmonie”.

Initier une mélodie ou un rythme, ou bien savoir suivre et peut-être même prendre des initiatives par rapport à l’improvisation du groupe (anticiper la fin, rajouter des variantes, jouer sur les nuances, surprendre l'autre,...) sont alors des facteurs importants de renarcissisation pour ces personnes habituellement toujours mises en échec : je suis capable de m'y inscrire dans cette musique ou ce rythme, je suis dans le bon temps, je peux renvoyer une image positive de moi- même. Je peux dire avec mon corps ce qui fait sens à mon corps et à ma mémoire affective, mais qui ne fait plus sens dans ma tête et que je ne peux plus exprimer avec des mots.

La personne démente va par ce biais retrouver une place valorisante dans un groupe. Elle n'est plus celle qui est systématiquement perdue, mais un membre participant et même stimulant du groupe. Très souvent, les improvisations finissent par des rires ou même des fou-rires et on entend des expressions du type "C'est pas mal!", "on est bons", "on va monter sur les planches", qui remplacent les formules habituelles du type "je n'ai plus de tête, ne me demandez pas, je ne sais pas"...

On observe fréquemment les autres patients, mais aussi le personnel, complimenter la personne démente sur la qualité d'une interprétation entendue à travers la porte de la salle de musique. Ces compliments sortent pour un instant la personne démente de son image déficitaire et ont incontestablement un effet à long terme dans sa prise en charge, dans sa reconnaissance et dans son intégration.

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Conclusion

La musique constitue de toute évidence un outil très prometteur dans la prise en charge des pathologies démentielles. Elle stimule la mémoire et l’identité, permet de s’inscrire à nouveau dans un temps et représente l’un des derniers supports de communication.

La créativité, en tant que seul élément constructif face aux pertes dues à la pathologie démentielle, permet à la personne âgée de continuer à exister, à produire et à interagir sur un mode revalorisant, ludique et plaisant.

Même une expression discrète, entendue, prise en compte et mise en valeur par le thérapeute ou le groupe dans une création musicale, permet à la personne démente de “reprendre de la valeur”

par rapport à son environnement et par rapport à elle-même.

Quelle qu’en soit la qualité “musicologique”, il parait important de considérer cette expression de soi comme étant une “création”, afin de reconnaître à la personne démente la capacité de construire et de transmettre malgré ses pertes.

Si, comme le définit l’un de nos dictionnaires français, “créer”, c’est “tirer du néant”, les musicothérapeutes en gérontologie ont un travail considérable mais au combien précieux à réaliser pour aider les personnes âgées démentes à ne pas sombrer dans le gouffre de l’involution démentielle, mais à mobiliser les ressources restantes pour “continuer la création du Soi” jusqu’au bout...

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Références

- LE GOUÈS, G. : L’âge et le principe de plaisir - introduction à la clinique tardive, éditions Dunod, Paris, 2000

- OGAY, S. : Alzheimer, communiquer grâce à la musicothérapie, éditions l’Harmattan, Paris, 1996.

- OGAY, S. : Psychogériatrie et créativité, in La relation thérapeutique en musicothérapie dans différents champs d’application, in Actes des 3èmes rencontres Genevoises de Musicothérapie, 1992, p.47-51.

- LECOURT, E. : Le sonore et les limites du soi, in Bulletin de psychologie, XXXVI, n° 360, 1982, p. 577-582.

- MOYNE-LARPIN Yolande : Musique au fil de l’âge, les techniques psychomusicales en gérontologie, Desclée de Brouwer, Paris, 1994

- RIVEMALE, C., Musique et mémoire, in Musique, thérapie et animation, Chronique Sociale, 1996.

- PÉRUCHON Marion : Le déclin de la vie psychique, Dunod, Paris, 1994.

- WINNICOTT D.W. : Jeu et réalité, NRF, Paris, 1971

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