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Le fait divers. ANNIK DUBIED Chercheuse à l'université catholique de Louvain

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Q U E S A I S - J E ?

Le fait divers

A N N I K D U B I E D

Chercheuse à l'Université catholique de Louvain M A R C L I T S

Professeur à l'Université catholique de Louvain Observatoire du Récit médiatique

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DES MÊMES AUTEURS

M. Lits, Récit, médias et société, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant ( « Pédasup » ), 1996.

M. Lits (édité par), La presse et les affaires, Bruxelles, Éd. Vie Ouvrière, 1995.

M. Lits, L'essai, Bruxelles, Didier Hatier ( « Séquences » ), 1994.

M. Lits (coordonné par), Le roi est mort. Emotion et médias, Bruxelles, Éd. Vie Ouvrière, 1994.

M. Lits, Le roman policier : introduction à la théorie et à l'histoire d'un genre littéraire, Liège, Éd. du CÉFAL ( « Paralittératures » ), 1993;

2 éd., 1999.

M. Lits (coordonné par), La peur, la mort et les médias, Bruxelles, Éd.

Vie Ouvrière, 1993.

M. Lits, L'énigme criminelle, Bruxelles, Didier Hatier ( « Séquences » ), 1991 ; 2 éd. revue et augmentée, 1993.

P. Yerlès et M. Lits, Le fantastique, Bruxelles, Didier Hatier ( « Séquen- ces » ), 1990 ; 2 éd. revue et augmentée, 1992.

M. Lits, Pour lire le roman policier, Bruxelles, De Boeck-Duculot ( « Formation continuée » ), 1989 ; 2 éd. revue, 1994.

M. Lits et P. Yerlès, Le mythe, Bruxelles, Didier Hatier ( « Séquen- ces » ), 1989 ; 2 éd. revue et augmentée, 1993.

ISBN 2 13 049871 X

Dépôt légal — 1 édition : 1999, juillet

© Presses Universitaires de France, 1999 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

A la une de tous les quotidiens, les scandales, les accidents et les crimes se succèdent : enquête de dix ans sur la mort du petit Grégory Villemin, tueurs fous sur le périphérique parisien, catastrophes aérien- nes et inondations, accidents en chaîne sur l'auto- route, assassins de vieilles dames ou de prostituées.

Dans les pages intérieures, dans les rubriques régiona- les, des vols de voiture, des cambriolages, des enlève- ments d'enfant, le procès des « amants diaboliques », à côté de retrouvailles émouvantes de proches « per- dus de vue », de déraillements de trains, de chômeurs gagnant à la loterie, de veaux à cinq pattes. Pendant ce temps, la télévision nous gave de reality shows, et chez les libraires, Paris Match concurrence le Nou- veau Détective. A la radio, Pierre Bellemare nous raconte quelques histoires tragiques, mais vraies.

Voilà comment va le monde, nous renvoyant une image de nous-mêmes, faite de violence et de passion, de désirs et de peurs, de ces pulsions élémentaires dont notre civilité acquise au fil des siècles tente de nous dégager, mais dont notre face obscure semble se délecter.

Dans cet humus passionnel, la rubrique des faits divers puise depuis plusieurs siècles son fonds perpé- tuellement réactivé de nouvelles étonnantes, choquan- tes, émouvantes, amusantes, déroutantes... Ce n'est pas d'aujourd'hui que les journaux télévisés et les magazines à sensation mettent en avant ces événe- ments, à des fins sans doute commerciales, mais qui répondent aussi à des besoins plus profonds, inscrits en nous. Il s'agit donc de remonter d'abord aux origi-

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nes du genre, dans ces canards et ces occasionnels qui circulent sous forme orale et sur de simples feuilles imprimées dans les villages et les campagnes, dès le XVI siècle. C'est là que se construit le genre du fait divers, qui sera développé dans la presse populaire dès la deuxième moitié du XIX siècle. Le fait divers s'adapte à chaque nouveau progrès technologique, occupant bientôt la radio, les magazines en couleur, la télévision et Internet. Le succès des reality shows au début des années 90 montre qu'il traverse les médias et les époques.

Il reste pourtant un genre difficilement saisissable, et les critiques se sont évertués à définir cet objet impur, dont le nom même désigne l'impossibilité de le réduire à un modèle unique. Nous tenterons cepen- dant de dessiner les contours du prototype du fait divers, avant de chercher à comprendre son rôle social. Est-il une autre forme d'opium du peuple, des- tiné à divertir les masses des vrais problèmes, ou joue-t-il un rôle cathartique de régulation, voire d'agrégation sociale ? La réponse ne peut être uni- voque, face à un objet par lequel les créateurs eux- mêmes sont attirés, en littérature comme au cinéma.

L'analyse d'un genre d'article de presse, relatant une vérité plus ou moins arrangée, s'élargit à ses implica- tions sociales et culturelles. Diversité encore, diversité toujours, parmi laquelle nous chercherons à mettre un minimum d'ordre.

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Chapitre I

LE FAIT DIVERS:

UNE VIEILLE HISTOIRE

Si le fait divers dans sa forme actuelle est abon- damment présent dans les médias, on ne peut ignorer que ce genre est attesté dès le XVI siècle. En effet, son extraordinaire richesse ne date pas d'hier, non plus que sa propension à s'épanouir dans plusieurs sup- ports. L'étude historique, même succincte, de l'évo- lution des canards, occasionnels et autres gazettes, jusqu'à l'apparition du terme « fait divers » dans le dernier tiers du XIX siècle, enrichit la connaissance actuelle du fait divers médiatique. A travers l'histoire, la chronique dessine un parcours qui permet notam- ment de comprendre à quel point la naissance de la grande presse a bouleversé le paysage du fait divers, malgré une étonnante stabilité qui éclaire le genre tel que nous le concevons aujourd'hui. Constance et diversité historiques résument en deux mots la pre- mière des caractérisations paradoxales du fait divers.

Ce parcours dans l'histoire du fait divers est un moyen d'éclairer l'objet actuel de l'étude ; ainsi le fait divers n'est pas considéré ici comme un matériau pour l'histoire, et il n'est pas question d'éclairer, par son étude, les époques qu'il a traversées ; plus partiel- lement, il s'agit de comprendre son évolution, afin d'éclairer sa forme contemporaine. Tout autre serait une véritable étude historique, travaillant la chro- nique en regard des époques où elle apparaît.

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I. — Une tradition orale

L'histoire du fait divers peut, selon les spécialistes, se diviser en deux grandes tendances : d'abord, dès le XVI siècle, une tradition de « faits divers » qui, même s'ils sont imprimés et illustrés d'images, sont consom- més collectivement en étant dits sur la place publique.

Puis, dès le XVII siècle, le développement d'une forme écrite du « fait divers » à travers les gazettes et les nouvelles à la main. Cette forme écrite cohabite avec la tradition orale jusqu'au XIX siècle, scindant le public en deux : d'une part les lettrés, capables de lire et donc de consommer individuellement les quelques faits divers transmis dans les journaux (des journaux qu'une frange seulement de la population a les moyens d'acheter), et d'autre part le public populaire, majoritairement analphabète, qui continue à consom- mer les faits divers en groupe, et par l'intermédiaire de récits parfois très complexes (textes, images, accompagnés ou doublés d'un boniment, d'instru- ments de musique, de pantomimes, de complaintes, d'images mobiles de lanternes magiques...).

L'apparition de la grande presse bouleverse défini- tivement cette dichotomie, et le « fait divers » pro- prement dit (par l'intermédiaire d'une presse de masse avec laquelle il est intimement lié) marque l'avènement d'une nouvelle ère, où la consommation sera d'abord et avant tout privée.

La forme moderne du fait divers semble s'inspirer des deux traditions, reflet de la consommation de la version « écrite » (celle des gazettes lues chez soi, indi- viduellement) alors même qu'elle s'inspire fortement de l'étoilement médiatique et de l'éclectisme de la ver- sion orale (celle des consommations publiques).

1. Occasionnels et « canards originels ». — Avec l'invention de l'imprimerie apparaissent des feuilles d'information non périodiques que l'on appelle

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« occasionnels ». Dès la fin du XV siècle, ces occa- sionnels informent le public des évolutions des campagnes guerrières, des faits et gestes des souve- rains ou encore des termes du dernier traité officiel.

Nés avec le progrès technique, ils perdureront jusqu'à la fin du XIX siècle, sans changer radicalement au fil des siècles. La naissance de la grande presse mar- quera leur disparition. A leur émergence, ils repré- sentent la première véritable démocratisation de l'information sur support écrit, cantonnée auparavant à une forme de diffusion manuscrite et à un public restreint en conséquence.

Parvenus jusqu'à nous en particulier grâce à la pas- sion de collectionneurs lettrés comme Pierre de L'Estoile, qui les a récoltés et regroupés au moment de leur parution, ces feuilles ne nous sont donc connues que très partiellement : destinées à un public populaire, hâtivement imprimées, elles n'étaient pas conçues pour durer, et la plus grande partie d'entre elles a disparu après avoir été consommée. Des quel- ques centaines, voire quelques milliers de feuilles imprimées pour un fait (certains cas particuliers étu- diés laissent imaginer des tirages de 2 000 ou 2 500 exemplaires par édition) il ne reste souvent qu'un seul, voire deux exemplaires parvenus jusqu'à nous, et l'on en est réduit à des hypothèses sur le nombre et le contenu de toutes celles qui ont disparu sans laisser de traces...

Jean-Pierre Seguin date le premier occasionnel trai- tant spécifiquement de fait divers de l'année 1529. Il montre comment, dès cette date, le nombre des feuil- les consacrées aux faits sensationnels augmente remarquablement, dans un mouvement de développe- ment marginal et quelque peu anarchique. Pour les

1. Chiffre donné par Roger Chartier, dans son étude « La pendue miraculeusement sauvée. Etude d'un occasionnel », in Roger Chartier (dir.), Les usages de l'imprimé, Paris, Fayard, 1987, p. 83-127.

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distinguer des occasionnels classiques, il choisit d'appeler «canards» ces «(...) imprimés vendus à l'occasion d'un fait divers d'actualité ou relatant une histoire présentée comme telle »

En réalité, le terme de « canard » n'apparaît que plus tard, au début du XIX siècle ; attesté notamment sous la plume de Balzac, il est de préférence utilisé pour désigner les canards de ce siècle. Leurs ancêtres, les « canards originels » de Seguin, nés au début du XVI siècle, sont les précurseurs des feuilles de fait divers non périodiques du XIX Ils instituent un savoir-faire qui ne se modifiera que très peu du début du XVI siècle jusqu'à l'extinction de ce mode de transmission de l'information.

Les « canards originels » sont plus couramment illustrés que les occasionnels classiques de l'époque.

Composés d'un titre en lettres grasses, d'un texte et souvent d'une image, leur format varie d'une seule grande feuille imprimée au recto jusqu'à des brochures de petit format et d'une quinzaine de pages. Imprimés grossièrement, sur un papier de mauvaise qualité, ils sont fréquemment accompagnés de gravures sur bois sommairement taillés. Les illustrations, à leurs débuts, sont bien souvent empruntées à d'autres imprimés : les imprimeurs puisent dans leur fonds d'images disponi- bles, modifient parfois l'un ou l'autre détail d'une gra- vure existante et l'utilisent pour le canard en question.

La pratique est semble-t-il courante à l'époque, même si, au fil des décennies, les illustrations auront ten- dance à se perfectionner et chercheront à cibler le moment crucial de l'histoire racontée ; un mouvement qui aboutira, au XIX siècle, à des images circonstan- cielles. Il n'en reste pas moins qu'au XVI siècle, faire tailler des bois coûte cher, et que les commandes d'une illustration spécifique sont rares.

1. Jean-Pierre Seguin, L'information en France avant le périodique.

517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, G.-P. Maisonneuve

& Larose, 1964, p. 8.

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Les canards qui sont parvenus jusqu'à nous trai- tent de calamités, de phénomènes célestes, de faits merveilleux, mais aussi de catastrophes naturelles, ou encore de crimes. Ainsi cet occasionnel titré :

Histoire nouvelle et prodigieuse d'une jeune femme, laquelle pendit son père pour l'avoir mariée contre son gré, ses refus, ses regrets et ses larmes, avec un vieillard impuissant en amour, jaloux de son ombre, et qui la tourmentait sans cesse. Exécutée à Nice en Piémont, le 14 jour de mars 1609

On le voit, le vocabulaire utilisé est emphatique, grandiloquent, voire mélodramatique ; il est aussi extrêmement stéréotypé : les histoires présentées sont le plus souvent « prodigieuses », « terribles », « épou- vantables », « horribles », « effroyables », selon leurs titres, qui sont généralement des titres-sommaires.

Le texte se charge, à grand renfort de vocabulaire mélodramatique, de rapporter l'histoire avec un souci du détail accentué. On est parfois surpris de constater à quel point les récits étaient crus, soucieux qu'ils étaient de transmettre les horribles détails et autres épisodes sordides des histoires rapportées.

L'illustration, quand elle est en rapport avec le canard lui-même, a pour but de « faire voir » de la manière la plus saisissante possible les événements au consommateur.

Les thèmes les plus répandus aux XVI et XVII siè- cles semblent être les apparitions diaboliques, les monstres et autres phénomènes surnaturels. Comme cet occasionnel de 1528, cité par Seguin et dont le titre est le suivant :

La terrible et espouventable comete laquelle apparut le XI Doctobre lan M. CCCCCXXVII en Westrie region Dale- maigne Item le merveilleux brandon de feu qui-quasi traversa toute la France et terrible bruit qu'il fist en passant dessus

1. Cité par Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993, p. 509-510.

2. In Jean-Pierre Seguin, L'information en France de Louis XII à Henri II, Genève, Droz, 1961, p. 88.

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Lyon le V davril M. CCCCC. XXVII. Item la pluie de pierres laquelle se fist es parties Dutalie le mesme jour et heure que le dessus du brandon de feu fut veu passer par-dessus Lyon.

A u XVIII siècle, les t r a i t s d ' h u m a n i t é d o m i n e r o n t à l e u r t o u r les a u t r e s t h è m e s d e la c h r o n i q u e , ce d o n t a t t e s t e p a r e x e m p l e u n p l a t d e faïence r e p r é s e n t a n t l ' h i s t o i r e d u m a r é c h a l des logis Gillet, p r o p o s é p a r M o n e s t i e r et C h e y r o n n a u d d a n s le c a t a l o g u e d e l ' e x p o s i t i o n q u ' i l s c o n s a c r è r e n t à l ' h i s t o i r e d u fait d i v e r s Le d e s s i n d e l'assiette m o n t r e ledit m a r é c h a l des logis se p o r t a n t a u s e c o u r s d ' u n e j e u n e fille a t t a q u é e p a r d e u x b r i g a n d s d a n s u n e forêt. L ' h i s t o i r e r e n d i t s o n h é r o s célèbre, et gazettes, p a n t o m i m e s et a u t r e s o b j e t s n a r r è r e n t le récit d e s o n exploit.

Les « c a n a r d s originels » des XVI et XVII siècles a c c o m p a g n e n t f r é q u e m m e n t leurs é v o c a t i o n s d e c o n - c l u s i o n s m o r a l e s s u r les signes divins q u i se m a n i f e s - t e n t à t r a v e r s les é v é n e m e n t s m e r v e i l l e u x , s u r n a t u r e l s o u h o r r i b l e s q u i s o n t r a p p o r t é s . C o m m e e n t é m o i g n e cet e x e m p l e cité p a r M a u r i c e L e v e r (p. 453).

Bref discours d'un merveilleux monstre né à Eusrigo, terre de Novare, en Lombardie, au mois de janvier, en la présente année 1578. Avec le vrai portrait d'icelui au plus près du naturel.

Au mois de janvier de la présente année 1578 est né d'une femme vieille à Eusrigo de Novare en Lombardie, un monstre lequel a sept têtes et sept bras et les jambes de bête, ayant le pied fourchu ainsi qu'un bœuf. En la tête principale, il y a un seul œil au front qui nous démontre l'orgueil et avarice avoir plus de cours parmi les républiques chrétiennes que l'amour d'un seul Dieu, et que par le vice nous mêlons et mixtionnons la brutalité avec la raison, méprisant et souillant l'image de Dieu qui est en nous, suivant plutôt notre sensualité comme bêtes brutes que la vertu, ainsi que devrions faire, qui est la cause que la nature étant corrompue nous produit tels et semblables monstres que pouvez voir au portrait ci-dessus tiré au vif au plus près du 1. Alain Monestier et Jacques Cheyronnaud, Le fait divers. Cata- logue de l'exposition tenue au Musée des arts et traditions populaires à Paris, 19 novembre 1982 au 18 avril 1983, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1982, p. 17.

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naturel. D i e u p a r sa grâce, n o u s veuille préserver des sinistres é v é n e m e n t s q u e tels m o n s t r e s n o u s p r é s a g e n t . A m e n !

L e v e r s u g g è r e q u e c e s r é c i t s , s o u v e n t a n o n y m e s , é t a i e n t e n f a i t m a j o r i t a i r e m e n t r é d i g é s p a r d e s c l e r c s , q u i c h e r c h a i e n t à é d u q u e r le p e u p l e p a r u n i n t e r m é - d i a i r e l a r g e m e n t d i f f u s é . A p p a r e m m e n t , l a s a u v e - g a r d e d e s â m e s j u s t i f i a i t q u ' o n s e c o m p r o m î t d a n s d e s d e s c r i p t i f s d e d é b a u c h e e t d e s t u p r e , e t q u ' o n d é b o r - d â t m ê m e p a r f o i s , p a r e x c è s d e z è l e , l e s l i m i t e s a u t o r i - s é e s f i x é e s p a r l ' E g l i s e . A i n s i l e s t e x t e s d e c h r o n i q u e é t a i e n t - i l s , p o u r u n e p a r t i e d ' e n t r e e u x a u m o i n s , d e s - t i n é s à é d i f i e r , e t si m ê m e J e a n - P i e r r e C a m u s , é v ê q u e d e B e l l e y , j u g e a b o n a u X V I I s i è c l e d e s e c o m p r o - m e t t r e d a n s u n g e n r e v o i s i n d u c a n a r d c o m m e c e l u i d e s h i s t o i r e s t r a g i q u e s , c ' é t a i t b i e n d a n s l ' e s p o i r d e d o n n e r a u p e u p l e m a t i è r e à r é g l e r s a c o n d u i t e e t à a j u s t e r s a m o r a l e . L e s h i s t o i r e s t r a g i q u e s c o n s t i t u e n t , s o i t d i t e n p a s s a n t , u n i n t é r e s s a n t v e c t e u r d e t r a n s - m i s s i o n d e f a i t s d i v e r s : l a v o g u e , i n a u g u r é e e n I t a l i e à l a f i n d u X V I s i è c l e , v o u l a i t q u e c e s n o u v e l l e s r a c o n - t e n t d e s é v é n e m e n t s a u t h e n t i q u e s e t f u n e s t e s . F r a n - ç o i s d e R o s s e t , c o n s i d é r é c o m m e l ' u n d e s a n c ê t r e s d u r o m a n n o i r , p u b l i a e n 1 6 1 4 s o n r e c u e i l d ' m é m o r a b l e s e t t r a g i q u e s d e c e t e m p s , d o n t c e r t a i n e s , n o t e L e v e r ( p . 2 9 ) , s o n t d e s i m p l e s t r a n s c r i p t i o n s a m é l i o r é e s d e c a n a r d s d ' i n f o r m a t i o n . A s a s u i t e , o n l ' a v u , l ' é v ê q u e d e B e l l e y , p e u s o u c i e u x a p p a r e m m e n t d ' e u p h é m i s e r l a v i o l e n c e e t l e s t u r p i t u d e s q u ' i l y d é c r i v a i t , s e c o m p l u t l u i a u s s i d a n s l e g e n r e d e s h i s - t o i r e s t r a g i q u e s . . .

L e s f a i t s d i v e r s r a p p o r t é s d a n s l e s o c c a s i o n n e l s f r a p p a i e n t les i m a g i n a t i o n s , m ê m e s ' i l e s t d i f f i c i l e d e d é f i n i r a u t r e m e n t c e t e n s e m b l e d i s p a r a t e d e n o u v e l l e s . D e g r a n d e s c o n s t a n t e s d u fait divers i m p r i m é s'en d é g a g e n t c e p e n d a n t déjà ; choix très sûr des é v é n e m e n t s les plus p r o p r e s à séduire la clientèle, g o û t d u s e n s a t i o n n e l et d e l'horrible, solli- c i t a t i o n des faits e n f o n c t i o n d e l'effet à p r o d u i r e p a r exemple.

T r è s significative aussi l'existence d ' u n répertoire, d ' u n stock

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Le monde fictif, en tant que semble-réel, suscite des expérien- ces qui ne sont pas ressenties moins intensément que les expé- riences de la vie ordinaire. La distance entre le réel et le fiction- nel est donc moins importante qu'il n'y paraît. Ce qui se joue dans l'interaction lecteur/personnages n'est pas fondamentale- ment différent de ce qui se vit entre individus. (...) Ce qui diffère, c'est moins l'expérience en elle-même que ses modalités

Morgan Sportès joue explicitement sur cette confu- sion, puisque son livre Je t'aime, je te tue2 se présente comme un pastiche de faits divers, d'ailleurs complété par un « appendice statistique » sur la criminalité en France. A l'épigraphe « Au pied de la lettre » succède un « Avertissement. Toute ironie mise à part : ces articles sont des montages. Quiconque se reconnaî- trait dans les personnages de ces drames ne devrait s'en prendre qu'à ses fantasmes ». L'auteur reconnaît avoir « procédé à la synthèse de plusieurs faits divers » et ne livrer que des meurtres « authenti- ques ». Cela montre que la frontière entre réel et fic- tion est fragile et fluctuante, comme dans la bande dessinée de Bilal et Christin, Cœurs sanglants et autres faits divers, évoquée plus haut. Pierre Bellemare va encore plus loin en racontant, et publiant ensuite, des Histoires vraies, dont il atteste de la réalité, tout en précisant qu'il a modifié les noms, les lieux et les dates des événements « réels » qu'il relate. Par contre, la recension d'un « vrai » procès d'assises peut faire apparaître l'aspect spectaculaire de cette scène vécue, comme en témoigne cet extrait de presse :

Mais le procès, deuxième acte du drame, risque bien de lais- ser d'autres séquelles. Car une affaire d'assises, c'est l'ouverture impudique et balisée des vannes du discours. C'est un montage accéléré de flash-back, de zooms avant, de tranches de vie mises bout à bout. C'est le lieu de toutes les irruptions dans l'intimité des vies privées. La cour d'assises est une fenêtre ouverte sur

1. Vincent Jouve, L'effet-personnage dans le roman, Paris, PUF ( « Écriture » ), 1992, p. 221-222.

2. Morgan Sportès, Je t'aime, je te tue, Paris, Seuil (« Point Vir- gule », n° 32), 1985.

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l'étrangeté, l'anormalité. Le public, béat, y est pénétré par le spectacle. Et ce spectacle, de surcroît, vaut son pesant de lignes dans la presse (...) (Le Vif - L'Express, 20 septembre 1991).

Il est v r a i q u e n o m b r e d e faits divers, q u i n e s o n t p a s l ' œ u v r e d ' é c r i v a i n s c o m m e F é n é o n o u M a r g u e r i t e D u r a s , q u a n d elle se m ê l e d e l ' a f f a i r e Villemin, ten- d e n t à se r a p p r o c h e r d u m o d è l e littéraire. L ' e x e m p l e le p l u s s i m p l e et le p l u s f r a p p a n t p e u t être t r o u v é d a n s la m u l t i p l i c i t é des f o r m u l e s d u t y p e « le feuille- t o n d e l'été » q u i d é s i g n e n t les a f f a i r e s c r i m i n e l l e s d é f r a y a n t la c h r o n i q u e lors des p é r i o d e s creuses. L e m o d è l e d u r o m a n - f e u i l l e t o n sert m a n i f e s t e m e n t d e r é f é r e n c e à cette c a t é g o r i e d ' a r t i c l e s . M a i s d ' a u t r e s récits d e p r e s s e e m p r u n t e n t les f o r m e s d e la n o u v e l l e littéraire p o u r se faire lire. E n t é m o i g n e , à titre d ' e x e m p l e , le d é b u t d e ce fait d i v e r s e x t r a i t d e L i b é r a - tion d u 9 d é c e m b r e 1991 :

Histoire de Jacqueline qui a dépecé son mari Troyes, envoyée spéciale

La brume avance sur la terre nue. La plaine hivernale, avec ses silos à grains pour tout monument, n'est pas gaie. Plus bas, dans le val d'Orvin, un tracteur solitaire cahote vers le hangar de tôle.

Bourdenay est déserté. Le village - presque un hameau, un triangle d'herbe drue pour toute place - s'est vidé de ses habi- tants. Le jour décline, les fenêtres ne s'illuminent pas. Tous sont là-bas, à Troyes. Bourdenay s'en est allé voir son « monstre ».

Les joues écarlates, les robes imprimées, les chaussures encore terreuses, les costumes du dimanche et le gamin coiffé à plat s'entassent sur les bancs de la cour d'assises. Une masse dense, en attente. Ils écoutent la femme fluette en veste blanche, le col boutonné jusqu'au cou, qui répond d'une voix posée aux questions. (...)

L a j o u r n a l i s t e a m a n i f e s t e m e n t é t u d i é F l a u b e r t e n classe, et c o n n a î t l ' i m p a c t d ' u n e d e s c r i p t i o n . C e p r e - m i e r p a r a g r a p h e o ù t o u s les t e r m e s s o n t négatifs, se t e r m i n a n t s u r le m o t « m o n s t r e » ; le s e c o n d p a r a - g r a p h e c o n s t r u i t e n o p p o s i t i o n a u p r e m i e r , q u i m o n t r e la f o u l e b i g a r r é e , p r ê t e p o u r u n e s c è n e d i g n e des c o m i c e s a g r i c o l e s ; l ' o p p o s i t i o n e n t r e les villageois et l'accusée. L e d é c o r est p l a n t é , et bien p l a n t é , p o i n t

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n'est besoin d'explications complémentaires pour situer les acteurs en présence et l'atmosphère dans laquelle le crime s'est déroulé.

Si l'on excepte les petits faits divers, relatant le tout-venant des accidents ordinaires de la vie, les arti- cles plus développés qui occupent les pages des maga- zines spécialisés ou les rubriques « Société » des quo- tidiens, présentent un travail stylistique indéniable.

Une étude des procédés descriptifs s'impose dans ces textes qui en regorgent. Les articles du Nouveau Détective, par exemple, sont essentiellement construits autour d'une mise en scène reconstituant scrupuleuse- ment le décor du drame et présentant longuement les principaux protagonistes. L'atmosphère, les effets de réel, les passages descriptifs y priment souvent sur l'avancée des actions, en recourant à cette figure de style fréquente dans la nouvelle, l'hypotypose.

Tout concourt donc à faire des faits divers de peti- tes fictions, dans une logique directement inspirée du roman-feuilleton, avec lequel la filiation est évidente, y compris dans la logique de sérialité souvent reprise.

Trois exemples peuvent le démontrer pour la presse à sensation. La couverture du magazine J'accuse de juillet-août 1990, titrée « Les polars vrais de l'été », pour montrer la narrativisation (voire la fictionnalisa- tion) des chroniques judiciaires. Les couvertures du magazine Le Nouveau Détective des 8 septembre 1988 et 23 février 1989, absolument identiques dans leur présentation : la photo du petit Grégory Villemin en médaillon, le nom, Grégory, traversant toute la page noire, souligné d'un trait rouge, le titre choc en gros- ses lettres jaunes « Les menteurs » d'un côté, « Ils ont tous peur » de l'autre. L'effet de série est clairement affiché, d'autant que d'autres couvertures du même magazine ont abondamment abordé cette affaire, dans des mises en pages fort proches. Le choix des couleurs, en outre, renvoie directement aux couvertu- res de la « Série noire », ce qui accentue la théma-

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tique criminelle et l'effet de collection. A l'été 1997, Paris Match va aussi présenter sa Série noire Paris Match. Retour sur les lieux du crime.

L'événement peut lui aussi être saisi et présenté sous la forme d'un récit à épisodes successifs. Chaque année sortent ainsi des feuilletons de l'été, construits autour d'une trame criminelle attractive. En Belgique, durant l'été 1991, ce fut l'assassinat du ministre d'État socialiste André Cools, relancé dans les médias l'été suivant par les révélations d'un truand repenti accusant un parlementaire du même parti d'avoir commandité le crime. Des journalistes interrogés sur leur pratique en parlent ainsi :

« On a produit de la passion. C'était la saga de l'été »,

« L'affaire Cools a fait son deuxième succès de roman de l'été », « C'était comme un feuilleton » (...) « Des amis m'ont dit que, pendant leurs vacances sur la côte belge cet été, les gens interrompaient leur apéritif du soir, à l'heure du journal télévisé, en disant "Je vais voir le Petit Van der Biest illustré."

C'était le folklore quotidien »

Il est vrai que cette affaire se lit comme un récit policier, dont elle emprunte la structure narrative. On peut dès lors se demander dans quelle mesure le récit journalistique, parce que mis en récit, et selon le mode des productions sérielles paralittéraires, ne subit pas une contamination fictionnelle qui modifie fondamentalement le traitement de l'information. Ce modèle gagne du terrain dans l'information, puis- qu'un hebdomadaire comme Globe Hebdo n'a pas hésité à titrer sa couverture relative à la fin de l'affaire Villemin « La Vologne. Le casting » (17 no- vembre 1993), proposant dans ses pages intérieures de construire ce fait divers tragique comme un film poli- cier, en juxtaposant la photo de chaque intervenant dans le drame à celle de deux acteurs susceptibles

1 In Frédéric Antoine (sous la dir. de), La médiamorphose d'Alain Van der Biest. Lectures d'une narration journalistique, Bruxelles, Ed. Vie Ouvrière, 1993, p. 79.

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d'endosser ce rôle dans un film potentiel. Dérive de l'information qui essaye de copier structures et atmosphères du genre policier pour séduire son public, confusion entre un réel de plus en plus obsédé par les affaires judiciaires et une mise en image ou en texte qui essaye de les mettre en perspective !

Lorsqu'un événement unique surgit, la tendance existe aussi de le raccrocher à des épisodes d'une série semblable. Le suicide de Pierre Bérégovoy fut l'occasion pour toute la presse de rappeler les affaires Boulin et Salengro, comme s'il était nécessaire, pour comprendre l'événement et mieux le situer, de l'intégrer à une série de faits semblables. L'effet de série joue là entre des épisodes apparemment étran- gers les uns aux autres, mais dont les similitudes per- mettent de recadrer l'événement inattendu quand il surgit.

Cet effet de série joue aussi dans les reality shows qui installent des « effets de fiction », par des mises en scène de l'événement, des reconstitutions, des cadrages, des techniques de montage qui construisent une gradation à suspense dans le récit, un accompa- gnement musical inspiré des musiques de films. Tous les éléments de « Perdu de vue » (TF1) renvoient au principe de la série policière : un enquêteur recherche un parent disparu et ne le retrouvera bien sûr qu'à l'extrême fin de l'émission après un suspense haletant.

La répétition de ces effets, d'une séance à l'autre, l'organisation séquentielle construite à chaque fois sur le même rythme, tous ces éléments visent à propo- ser une dynamique narrative qui reproduit le système de la sérialisation des feuilletons télévisés. Entre les séries télévisées du commissaire Maigret, de Derrick ou de Navarro, le feuilleton de l'affaire Gregory Vil- lemin au journal télévisé et les reality shows, la diffé- rence devient si mince qu'il n'est presque plus pos- sible de distinguer ce qui relève du réel et de la fiction. Tous ces personnages de papier et d'image

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envahissent notre quotidien et nous plongent dans une fiction policière généralisée.

V. — Fait divers et cinéma

Si l'écriture du fait divers, et ses préoccupations, quand il excède la pure description des faits pour occuper les pages « Société » des journaux, le rap- proche de la littérature, par une volonté d'esthé- tisation ou de recherche stylistique, sa dimension spectaculaire le rend aussi particulièrement ouvert aux adaptations télévisuelles et cinématographiques.

Nous avons montré combien les médias contempo- rains exploitent ce type d'événement, dans les magazines, mais aussi dans des fictions télévisées (cf. chap. II). Une série comme « C'est mon histoire » entretient délibérément la confusion entre réel et fic- tion, comme dans certaines nouvelles de Maupassant, ou dans les histoires racontées par Pierre Bellemare.

On nous montre un épisode de série télévisée, joué par des acteurs, mais terminé par une postface authentifiant le récit grâce au témoignage de la per- sonne qui a véritablement été au centre du fait divers reconstitué et fictionnalisé. Un procédé dont ont usé et abusé les reality shows, mélangeant reconstitution avec des comédiens et scènes rejouées par les vérita- bles protagonistes du drame.

Dès les débuts du cinéma, les réalisateurs ont repris des héros criminels pour nourrir leurs scénarios. Les aventures des frères James, de Billy-the-Kid, d'Al Capone, de Bonnie and Clyde ou de Dillinger vont inspirer nombre de films à succès En France, l'affaire Dominici ou la vie mouvementée de Jacques Mesrine vont inspirer des films plus ou moins fidèles aux événements réels. La plupart des grandes affaires

1. Cf. Michel Ciment, Le crime à l'écran. Une histoire de l'Amérique, Paris, Gallimard (« Découvertes », n° 139), 1992.

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criminelles, comme l'affaire Dutroux, vont ainsi don- ner lieu à une adaptation cinématographique. En relançant la polémique sur l'influence que ces images, souvent très violentes, exercent sur les spectateurs. La folle cavale parisienne de Florence Rey et Audry Maupin, le 4 octobre 1994, qui se terminera par un lourd bilan (cinq tués dont le jeune meurtrier) entraî- nera de longs débats dans la presse. Est-ce la vision du film d'Oliver Stone, Natural born killer (Tueurs nés) qui les a incités à commettre ces crimes ? Il n'y a pas de réponse objectivement valable à cette question, qui relance le rôle de la médiatisation des faits divers dans notre société, accentué par leur mise en images (lesquelles ont un impact plus puissant que les mots) et le jeu souvent trouble entre réel et fiction.

C'est la réflexion qui est sous-jacente à un film de fiction construit comme un reportage, C'est arrivé près de chez vous (1992). Ce film primé à Cannes ne part pas d'un fait divers réel, mais reconstitue l'univers d'une équipe de reportage télévisé enquêtant sur un tueur en série, jouant ainsi sur la parenté entre les effets de peur immédiate, celle qui peut nous assaillir au coin de la rue, et de peur médiate, que nous ressentons face à une fiction. Il y aurait une forme d'analogie entre notre comportement dans la vie quotidienne et notre manière de recevoir les infor- mations médiatisées par la presse écrite, la radio ou la télévision, par l'entremise de phénomènes d'identifi- cation ou de projection.

Ce détour par le cinéma n'est pas innocent au moment où la frontière entre factuel et fictionnel est de plus en plus souvent franchie. Les reality shows qui occupent désormais une part substantielle de nos petits écrans entraînent une double question. Où est la frontière entre le réel et sa représentation ? Peut-on faire du spectacle avec la peur des gens ? Ce n'est pas un hasard si C'est arrivé près de chez vous sort à ce moment précis de l'évolution du système médiatique

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et a connu un tel succès. Il pose exactement des ques- tions éthiques liées au surgissement grandissant du fait divers : peut-on transgresser impunément cette frontière qui semblait si prégnante, jusqu'où peut-on aller dans la monstration de l'horreur ? En outre, peu après la sortie du film, la ville de Mouscron, en Bel- gique, où furent tournées certaines séquences, fut confrontée à un cas de tueur fou. Quand surgit ce fait divers, la presse évoqua aussitôt l'influence potentielle du film précité sur ce tueur. « Agressions en série à Mouscron : c'est arrivé près de chez nous. Comme au cinéma » titre La Nouvelle Gazette ( 15 sep- tembre 1992). Le même jour, la une de La Dernière Heure présente une photo de l'affiche du film Orange mécanique surmontée du titre « Le meurtrier de Mouscron s'inspire-t-il d'un film ? Comment le cinéma déchaîne la violence ». Nord Éclair, pour sa part, présente l'encadré suivant en une : « Le tireur de Mouscron. La réalité dépasse-t-elle la fiction ? Un tireur qui crée la psychose en ville, un film belge "qui va plus loin dans l'intensité de la violence"... ». Nous sommes entièrement plongés, avec cette affaire, et la manière dont elle est médiatisée, dans l'univers du roman policier et du film à suspense. La confusion entre le monde de la fiction et la réalité quotidienne est à son comble ; la peur se répand dans la popula- tion et est affichée dans les médias. Phénomène d'autant plus inquiétant que les conclusions de la police prouveront que le meurtrier n'avait pas vu le film incriminé et que l'amalgame reposait uniquement sur des coïncidences. Cet événement et son traitement journalistique viennent conforter l'hypothèse de l'analogie entre les peurs immédiates et les peurs médiates. Dans ce film, analyse Philippe Marion,

la peur factuelle, tout à coup, se mêle à la peur fictionnelle.

Scandaleusement cette fois. La peur s'y confond avec une incertitude, une indécidabilité, un malaise. Les repères éthiques et médiatiques que nous avons l'habitude de mobiliser pour

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reconnaître le vrai, le factuel, sont soumis à rude épreuve. (...) Dans C'est arrivé près de chez vous, plus d'un spectateur a res- senti l'envie de ne plus rien voir. Mais souvent trop tard, comme si la réalité nous avait pris en t r a î t r e

Q u a n d le fait d i v e r s p a s s e à l ' i m a g e , c'est p o u r n o u s i n q u i é t e r d ' u n e a u t r e m a n i è r e e n c o r e , e n n o u s l a i s s a n t d a n s cette f a s c i n a t i o n t r o u b l e face a u crime, a u s a n g , à l ' a n o r m a l q u i n o u s p e r m e t d ' i n t e r r o g e r n o t r e r a p p o r t à l'existence et a u x a u t r e s . C e q u i e x p l i q u e la p e r m a n e n c e d u fait divers à t r a v e r s les é p o q u e s , c o m m e à t r a v e r s ses d i v e r s a v a t a r s t r a n s m é - d i a t i q u e s .

E n effet, d u XVI siècle à n o s j o u r s , à t r a v e r s textes, i m a g e s fixes et a n i m é e s , d a n s des récits d ' é v é n e m e n t s réels, f i c t i o n n a l i s é s o u f a n t a s m é s , le fait d i v e r s h a b i t e n o t r e m é m o i r e collective et tisse le fil d e n o s p e u r s , d e n o s a n g o i s s e s , d e n o s f a s c i n a t i o n s aussi. D a n s le p r o - l o n g e m e n t des m y t h e s et l é g e n d e s des t e m p s a n c e s - t r a u x , il m e t e n scène la c a r t e i m a g i n a i r e d e n o t r e société. D a n s les q u o t i d i e n s et les m a g a z i n e s , à la télévision c o m m e a u c i n é m a , le fait divers, d a n s sa r e l a t i o n e x a c t e d ' é v é n e m e n t s a v é r é s m a i s a u s s i d a n s la r é a p p r o p r i a t i o n fictionnelle d e c r é a t e u r s , est le lieu o ù se d é v o i l e l ' i n n o m m a b l e , le s u r p r e n a n t , ce q u i e x c è d e le c a d r e n o r m é d e la socialité o r g a n i s é e . P o u r cela, il c o n t i n u e r a à e x i s t e r à t r a v e r s les n o u v e a u x a v a t a r s t e c h n o l o g i q u e s et m é d i a t i q u e s . Q u e l q u e soit le s u p p o r t , il c o n t i n u e r a à a s s u m e r cette f o n c t i o n sociale, m a l g r é t o u t e s les f o r m e s d e r é p r o b a t i o n o u d e c o n d a m n a t i o n m o r a l e d o n t il fera e n c o r e l'objet.

1. Philippe Marion, « Fictions de la peur. Peur immédiate et peur médiate », in Marc Lits, La peur, la mort et les médias, Bruxelles, Éd. Vie Ouvrière, 1993, p. 177.

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B I B L I O G R A P H I E

LIVRES

Auclair Georges, Le mana quotidien. Structures et fonctions de la chro- nique des faits divers, Paris, Anthropos, 1982 ( 1 éd., 1970).

Augé Marc, Bougnoux Daniel, Debray Régis, Gaillard Françoise, Morin Edgar et Rushdie Salman, Diana crash, Paris, Descartes

& Cie ( « Faits divers »), 1998.

Barillaud Marie-Christine, Bièque Jacqueline et Dahlet Patrick, Un chien peut en écraser un autre. Le fait divers. Aspects théoriques, pédagogiques, documentaires, Paris, CIEP, 1990.

Drachline Pierre, Le fait divers au XIXe siècle, Paris, Hermé, 1991.

Duclos Denis, Le complexe du loup-garou. La fascination de la vio- lence dans la culture américaine, Paris, La Découverte ( « Essais » ), 1994.

Évrard Frank, Fait divers et littérature, Paris, Nathan ( « 128 » ), 1997.

Gicquel Roger, La violence et la peur, Paris, Éd. France-Empire, 1977.

Kalifa Dominique, L'encre et le sang. Récits de crime et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, 1995.

Lacour Laurence, Le bûcher des innocents. L'affaire Villemin, Paris, Plon, 1993.

Lecerf Maurice, Les faits divers, Paris, Larousse, 1981.

Lever Maurice, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993.

Lits Marc (coordonné par), La peur, la mort et les médias, Bruxelles, Éd. Vie Ouvrière, 1993.

Mannoni Pierre, La peur, Paris, PUF (« Que sais-je ? », n° 1983), 2 éd., 1988.

Monestier Alain et Cheyronnaud Jacques, Le fait divers. Catalogue de l'exposition tenue au Musée des arts et traditions populaires à Paris, 19 novembre 1982 au 18 avril 1983, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1982.

Reik Theodor, Le besoin d'avouer. Psychanalyse du crime et du châti- ment, Paris, Payot ( « Petite Bibliothèque Payot » ), 1997.

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Seguin Jean-Pierre, L'information en France avant le périodique.

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& Larose, 1964.

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Archipel, « Littérature et fait divers », n° 4, décembre 1991.

Autrement, « Le fait divers. Annales des passions excessives », n° 98, avril 1988.

Feuilles, « Le fait divers. Détails exacts et circonstanciés », n° 3, décembre 1982.

La Recherche photographique, « Le fait divers », n 16, 1994.

Le Français aujourd'hui, « Le fait divers. Un drôle de type à l'école... », n° 84, décembre 1988.

Romantisme. Revue du XIXe siècle, « Le fait divers », n° 97, 1997.

Tangence, « Autopsie du fait divers », n° 37, septembre 1992.

ARTICLES OU CHAPITRES DE LIVRES

Auclair Georges, « Fait divers et pensée naïve », Critique, n° 197, octobre 1963. p. 893-906.

Barillaud Marie-Christine, Bièque Jacqueline et Dahlet Patrick. « Le fait divers : une didactique de l'insensé. "Au fond, pourquoi pas ?" », Le Français dans le monde, n° 194, Paris, Larousse, juillet- août 1985. p. 76-88.

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Références

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