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Organisation du travail à l hôpital : comprendre l articulation des temporalités pour agir sur la transformation des situations de travail

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Academic year: 2022

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44ème congrès de la Société d'Ergonomie de Langue Française - 183

Organisation du travail à l’hôpital : comprendre l’articulation des temporalités

pour agir sur la transformation des situations de travail

Olivier Gonon Ergonome ERGOnova, 78 Chemin des 7 Deniers,

31200 Toulouse, France o.gonon@ergonova.fr

Béatrice Barthe Maître de Conférences en

Ergonomie Université Toulouse 2 Le Mirail, CLLE-LTC,

UMR 5263 CNRS Maison de la recherche, 5 allée Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9,

France

beatrice.barthe@univ-tlse2.fr

Gabin Gindro Ergonome ERGOnova, 78 Chemin des 7 Deniers,

31200 Toulouse, France g.gindro@ergonova.fr

Dans cette communication, les organisations hospitalières sont considérées du point de vue de la multiplicité des temporalités d’acteurs qui y coexistent. A partir d’un ensemble d’interventions, les auteurs soulignent les effets de la confrontation des temporalités sur le travail d’agents exerçant au sein de services de soins. Ainsi, les temporalités des acteurs extérieurs aux services de soins (restauration, blanchisserie…), d’acteurs internes (médecins notamment) et des patients influencent de façon déterminante le travail des agents (IDE et AS par exemple). Ces effets se traduisent notamment par une densification du travail qui, couplée à des exigences physiques et/ou psychiques, entraine une fragilisation de la santé des personnels et une dégradation de la qualité des services. Pour comprendre et transformer de façon performante le travail d’agents travaillant dans des services hospitaliers, il est donc indispensable d’identifier ces multiples temporalités, de mettre en évidence leurs articulations et contradictions et d’être en mesure de convoquer les organisations et temporalités des autres acteurs du système (au delà du service concerné) dans une réflexion macroscopique autour des situations de travail.

Mots-clés : hôpital, organisation, temporalités, repères pour la transformation / conception

Introduction

L’objet de cette communication est d’aborder l’organisation du travail à l’hôpital, sous l’angle de ses dimensions temporelles, et ce, à partir d’un ensemble d’interventions que nous avons menées dans différents services hospitaliers : une Unité de Psycho-Gériatrie, deux Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) et des Unités Médicales. Le constat établi lors de toutes ces interventions est le même : une confrontation des différentes organisations temporelles, ou temporalités, qui impacte fortement l’activité des agents, avec des répercussions sur leur santé et la qualité de leur travail. L’objectif est de proposer un cadre de lecture qui permette de rendre compte des liens complexes entre les multiples temporalités des acteurs à l’hôpital et l’activité de travail d’un agent hospitalier ou d’une équipe hospitalière. Pour comprendre et transformer le travail hospitalier au niveau local, l’intervention ergonomique passe nécessairement par une compréhension et des actions au niveau de ces diverses organisations temporelles.

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L’organisation du travail à l’hôpital : une imbrication de différentes temporalités

Le travail hospitalier se caractérise par des conditions de travail relativement lourdes et hétérogènes. La spécificité du travail dans ce secteur a été démontré, depuis de nombreuses années, par de nombreuses études (Estryn-Behar, 2008, Knibbe & Friele, 1996, Lert, Logeay, Chastang &

Luce, 1985). Ce secteur cumule de multiples contraintes telles qu'une pénibilité physique, une charge mentale accrue, des problèmes de transmission des informations, un risque de contagion réel, ... En plus de ces exigences, dont l’intensité varie sensiblement selon le statut du personnel soignant et les spécificités des services de soins, la continuité (24h/24h) de la prise en charge des patients (quotidienne et thérapeutique) exige la pratique d’horaires de travail atypiques (avec notamment plages horaires de 12h, travail de nuit, travail du week-end) et la nécessaire coordination des activités de l’ensemble des professionnels.

Exigences de prise en charge de patients en continu

Le suivi des patients, du début à la fin de leur hospitalisation, nécessite la coordination de différentes et multiples activités : les activités de soins mais également les activités liées à l’accueil et à la vie quotidienne. La coordination est définie comme l’agencement des différentes actions, dans un certain ordre, afin d'atteindre le but final de façon efficace.

Cette coordination s'accomplit à plusieurs niveaux : entre les différents services par lesquels transitent les patients, entre les différents professionnels qui interviennent (médecins, internes, infirmiers, aides soignants mais également radiologues, diététiciens, personnels administratifs,...), entre les équipes de soins d'un même service (matin, après-midi et nuit) et entre les membres d'une même équipe de soins. Cette pluralité des interventions autour de chaque patient engendre une forte exigence en termes de transmission de l'information et de coordination des différentes actions de soins. Les moyens de circulation de l'information sont les feuilles de prescriptions des soins, les feuilles de suivi des malades, les temps de chevauchement entre les équipes et l'ensemble des discussions formelles et informelles entre les personnels hospitaliers. La circulation de l'information et la coordination des activités des agents doivent être efficaces pour l'atteinte des objectifs de soins et la sécurité des patients accueillis.

Coordinations organisationnelle et effective

D’un point de vue organisationnel, la coordination est généralement définie comme centrée sur les tâches, elle renvoie aux prescriptions. Ainsi, selon la sociologie du travail, la coordination est constituée par un ensemble de règles qui doivent être appliquées par les opérateurs afin de mettre en relation les différentes tâches qui leur sont attribuées (de Terssac & Lompré, 1994). Ces règles fixent la nature des tâches, les besoins en opérateurs et l'affectation de ces opérateurs aux différentes tâches. Selon les sciences des organisations, la coordination renvoie aux moyens fondamentaux par lesquels les organisations coordonnent le travail (Mintzberg, 1996).

Ces types de coordination organisationnelle, également appelés coordinations décidées d'avance ou hétéronomes par Maggi (1996) se distinguent, entre autre, de la coordination contextuelle ou auto- organisation qui fait référence à ce qui se passe réellement au niveau du travail des coéquipiers. Ce dernier niveau de coordination intéresse plus particulièrement l'ergonomie (Rabardel, Rogalski et Béguin, 1996), avec deux dimensions clés : la dimension temporelle (opérations effectuées en simultané ou en différé) et la dimension fonctionnelle (c'est-à-dire le degré de dépendance entre ces opérations) (Leplat & Savoyant, 1983).

Notre communication aborde ces deux dimensions de la coordination en se centrant plus particulièrement sur l’activité de coordination, d’agencement, d’ajustement permanent accomplis par les personnels hospitaliers (lorsque c’est possible) pour gérer les organisations temporelles des différents acteurs qui ont à prendre en charge des patients.

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Des temporalités à différentes échelles

Pour rendre compte des différentes échelles de temporalité nous nous basons principalement sur la classification proposée par Quéinnec sur les temps de travail (2007) :

- Le temps au travail qui se réfère à la temporalité de l’individu (caractéristiques temporelles du fonctionnement humain : rythmes biologiques, vieillissement,…),

- Le temps de travail qui renvoie à la temporalité d’un service, définie par le système horaire (horaires, cycles, durée et temps de relève),

- Le temps dans le travail qui concerne les temporalités liées à l’agencement des tâches dans une période déterminée (exigences temporelles des tâches qui dictent la distribution et le rythme de l’activité).

A partir de cette classification, on peut distinguer, à l’hôpital, à minima deux grands types de temporalité. Le premier concerne les temps « internes » aux individus, dans lequel on intègre la temporalité de l’individu (agents/opérateurs), mais également celle des patients (évolution de leur état physiologique et psychologique) dans le cas du secteur hospitalier (cela pourrait être le temps des « clients » dans d’autres situations). Le second type de temporalité, qui regroupe la temporalité d’un service et la temporalité liée à l’agencement des tâches, concerne plutôt des temps

« extérieurs ». Pour ce type de temporalité notre réflexion renvoie davantage aux effets des organisations effectives, celles réellement mises en œuvre, qu’aux effets des organisations prescrites. De notre point de vue, l’activité d’un agent [Infirmier(e) Diplômé(e) D’Etat (IDE), Aide Soignant(e), (AS), ou Agent des Services Hospitaliers (ASH), pour nos exemples] est donc potentiellement influencée par :

- La temporalité du collectif « immédiat » : constitué d’agents de la même profession ou de professions dont le collectif est fortement prescrit (le binôme IDE/AS par exemple)

- La temporalité des autres professionnels intégrés au service et participant au processus de prise en charge d’un patient : cadre infirmier, médecins, …

- La temporalité des autres unités ou services participant à la prise en charge médicale et/ou quotidienne des patients : radiologie, laboratoire, mais également blanchisserie, hôtellerie,…

Ces trois niveaux, du fait de leurs temporalités spécifiques, peuvent « s’entrechoquer » ou

« s’articuler » avec la temporalité des agents et celles des patients ou résidents. Appréhender ces liens, ainsi que leur caractère pénalisant ou non, nécessite d’analyser le travail des agents.

Présentation sommaire des contextes des interventions

Les interventions qui ont permis de contribuer à cette réflexion, si elles ont été menées principalement dans le Secteur Hospitalier / Etablissement d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD), sont de natures très différentes, notamment au vu des demandes initiales.

Sont présentées ci-dessous quelques éléments de caractérisation de ces interventions de façon à montrer que notre réflexion sur les liens entre les temporalités, s’appuie sur des contextes diversifiés, et qu’elle est donc en partie généralisable.

Une intervention centrée sur la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles en lien avec la manutention et la manipulation

Cette première intervention concerne, pour un Centre Hospitalier (CH), la prévention des accidents du travail (AT) et des maladies professionnelles (MP) en lien avec la manutention d’éléments ou la manipulation de patients. La demande concerne plus précisément l’assistance dans l’identification des situations pathogènes et la mise en œuvre d’un plan d’actions. En termes de réponse, nous avons réalisé un diagnostic « macroscopique » à partir notamment d’indicateurs de santé (au niveau du CH), et ensuite des analyses du travail dans des unités / services les plus concernés par ces AT et MP ; l’objectif étant d’identifier précisément les différents facteurs à l’origine de ces AT et MP.

Parmi les analyses du travail réalisées, une étude spécifique menée au sein de l’EHPAD de ce CH nous permet d’exemplifier certains des liens qui nous intéressent.

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Une intervention sur la problématique des horaires de travail : réflexion sur le passage du 3x8h au 2x12h

Cette intervention concerne, pour un autre Centre Hospitalier, l’assistance et le conseil sur l’organisation des horaires de travail et notamment sur la pertinence, pour certaines unités, du passage d’une organisation horaire en 3x8h à une organisation en 2x12h. Au-delà des obligations réglementaires applicables au secteur hospitalier, la réponse au CH s’est centrée, d’une part sur une information/formation sur le sujet aux différents acteurs : ce que la littérature scientifique montre en termes d’effet sur la santé et l’efficacité ainsi que sur la façon dont l’ergonomie traite de la question des horaires en lien avec le contenu du travail (Barthe, 2008, Quéinnec, Teiger & de Terssac, 2008). D’autre part, la réponse s’est portée sur l’analyse de l’existant (organisation des horaires du travail et contenu des tâches), au sein d’unités en demande de transformation, de façon à évaluer les impacts futurs du passage éventuel en 2x12h. Parmi les études menées au sein du CH deux situations particulières nous ont permis d’alimenter notre réflexion. La première concerne une unité de Psycho-Gériatrie. L’objectif pour les intervenants était d’identifier les problématiques

« conditions et organisation du travail » à intégrer dans tout projet de réorganisation des horaires.

La seconde situation est l’EHPAD de ce CH. Pour cette situation l’objectif de notre recueil de données était notamment de comprendre le travail des AS et ASH pour intégration dans la réflexion sur les 2x12h.

Un diagnostic « centré » travail et handicap

Un troisième type d’intervention nous a également permis d’appréhender les liens les différentes temporalités : un diagnostic « centré » travail et handicap. La demande concerne la réalisation d’un diagnostic pour une salariée occupant un poste d’ASH au sein d’une clinique. Dans ce cadre, l’objectif est d’identifier les situations invalidantes et de proposer des pistes d’amélioration visant à réduire la pénibilité globale du poste pour cette ASH en particulier. Au sein de la clinique, cet agent est affecté à un pool de 7 ASH travaillant dans les locaux administratifs et dans 4 unités médicales (moyen et long séjour). Au regard des problématiques soulevées, l’étude a été élargie à l’ensemble des situations de travail concernant les ASH.

Liens entre temporalités et effets sur l’activité des agents

Les différentes interventions nous ont permis d’exemplifier la majorité des temporalités définies.

Par contre, nous n’appréhendons pas, dans la présentation de nos résultats, la temporalité liée au collectif immédiat.

Les temporalités en lien avec le patient : imposées et propres au patient

La vie du patient, au sein d’une unité de psycho-gériatrie par exemple, est rythmée par des événements inscrits dans un cadre temporel prescrit et relativement précis. Les événements les plus

« marquants » sont : le lever, les soins, la toilette, la prise du petit déjeuner, la visite du médecin, la prise du déjeuner, la visite de la famille, le goûter, le dîner, les soins et le coucher. L’organisation de la vie des patients à l’hôpital et la journée de travail (ou nuit) des agents sont donc rythmées par ces évènements horodatés et leurs conséquences. On peut donc dire qu’il y a une temporalité imposée par l’unité au patient, qui peut se confronter à une temporalité qui est « propre » au patient.

A ce propos, il est important de souligner un point majeur des conditions d’exécution du travail des agents dans le secteur qui nous intéresse : les différences entre patients et l’évolution d’un même patient sur une journée ou une semaine (voire sur une période plus longue). La variabilité du travail est liée en partie à l’état physique des patients mais également à l’évolution de leur état psychique / psychiatrique. D’un jour à l’autre, ou d’un patient à un autre, ces évolutions peuvent avoir des effets sur le temps que les agents vont passer à assister / aider / accompagner un patient. Par

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44ème congrès de la Société d'Ergonomie de Langue Française - 187 exemple, une dégradation subite de la santé d’un patient peut générer une dégradation de son autonomie, et donc obliger les agents à lui consacrer plus de temps ou de ressources. Mais dans certaines situations, il n’est pas possible d’allouer plus de temps ou de ressources à la réalisation de ces tâches « supplémentaires » (au détriment d’autres tâches), la temporalité du patient entre alors en confrontation avec le cadre temporel de l’unité qui peut être extrêmement rigide. Ainsi, peuvent se poser deux problèmes : la baisse de la qualité du service rendu auprès des patients ou résidents et la dégradation des conditions de travail. Concernant les conditions de travail, par exemple l’état du patient peut avoir un effet sur sa « coopération » dans les actes de soins et de la vie quotidienne ; coopération dont on sait qu’elle peut être un gain pour la préservation de la santé des agents.

La temporalité du service en contradiction avec les temporalités internes de l’agent et du patient

Les situations que nous évoquons dans cette communication révèlent des cadres temporels différents pour les agents. Si l’on se centre précisément sur des situations où le travail posté en 3x8h est de rigueur, on peut trouver des situations où les agents d’une même profession démarrent et terminent leur poste à des heures différentes : 6h-14h ou 6h30-14h30 par exemple. Au vu des activités de l’unité concernée par le début du poste du matin à 6h00 (EHPAD), le choix de démarrer une ! heure plus tôt est lié au fait de donner plus de temps aux AS du matin qui effectuent les toilettes des résidents. On peut souligner que le personnel se plaint (AS et IDE) de devoir se lever trop tôt le matin pour une prise de poste à 6h. En se centrant sur le cadre temporel prescrit du travail, on met donc en évidence pour cet exemple deux points majeurs :

- Le premier concerne l’inadéquation entre le cadre temporel prescrit par l’encadrement (en considérant l’interaction entre les horaires et le contenu du travail) et la temporalité de l’agent : on sait par exemple qu’il faut mieux éviter de démarrer une activité de travail trop tôt le matin du fait des effets négatifs observés sur la santé des personnels.

- Le second point concerne l’inadéquation entre le cadre temporel prescrit et la temporalité d’un patient : être réveillé à 6h du matin de façon récurrente pour la toilette n’est pas lié à une demande de tous les patients (dont certains ne se réveillent jamais « naturellement »). On peut donc inférer une altération de la qualité du sommeil pour certains patients ou résidents.

Ces données permettent notamment de montrer que le cadre temporel du service dans lequel s’inscrit l’activité de l’agent n’est donc pas toujours le résultat d’une volonté de le calquer sur les temporalités des patients/résidents. Pour cet exemple, débuter la journée à 6h du matin répond à la nécessité de pouvoir réaliser l’ensemble des toilettes des résidents : la solution retenue ici est donc d’attribuer des ressources temporelles supplémentaires pour la réalisation des ces tâches, au détriment des temporalités des résidents et de celles des agents.

L’activité de travail des agents influencée par les temporalités des professionnels intervenants dans les unités

Les analyses du travail montrent de façon récurrente que les liens entre les agents (IDE, AS et ASH) avec les autres professionnels ne sont pas toujours conçus en tenant compte de la nature de leur travail. Un des faits les plus marquants concerne la détermination de l’heure de la visite du médecin du service. Dans une des unités dans laquelle nous sommes intervenus, la visite du médecin démarre à 10h du matin. Cette visite implique que l’ensemble des patients soient levés, aient pris leur petit déjeuner et effectués leur toilette avant 10h. Cela exige également que tous les dossiers médicaux soient actualisés pour 10h.

Ces contraintes imposées par la temporalité du médecin ont pour effet de densifier le travail des agents entre 6h30 et 10h00, ce qui génère de nombreuses plaintes de la part des agents relatives notamment à leur état physique. On peut noter ici qu’une des préconisations de notre intervention s’est centrée sur une réflexion collective (médecin compris) pour répartir les tâches réalisées entre 6h30 et 10h00 sur la totalité de la matinée.

Si dans cette situation les effets sur les agents sont remarquables, d’autres observations montrent que les effets de cette densification se portent plutôt sur la qualité du travail : la seule possibilité

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pour les agents de pouvoir réaliser leur travail est de se créer des marges de manœuvre, validées ou non par l’encadrement. Ainsi, nous avons pu observer que des priorisations pouvaient être effectuées sur la nature des toilettes à réaliser le matin : toilette « sommaire » (mais considérée comme suffisante) ou toilette « complète » prenant plus de temps (plutôt prévue une fois par semaine).

Sans entrer dans une réflexion (nécessaire) sur l’évaluation des effectifs qui permettent de prendre en charge de façon performante des patients au sein d’un service, on peut voir là qu’une densification du travail peut être le résultat d’une inadéquation entre les temporalités des professionnels, ce qui laisse entrevoir des possibles quant à l’amélioration des conditions de travail de ces personnels.

Des difficultés dans les liens avec les temporalités d’autres unités ou services

Nos observations montrent également que l’activité des agents de ces unités est influencée par les temporalités d’autres services. On peut considérer deux grandes catégories de services connexes : ceux qui participent directement à la prise en charge médicale du patient (hospitalisation, bloc opératoire, réanimation,…) et ceux qui sont plutôt en appui du service (blanchisserie, hôtellerie,…).

Pour une de nos interventions, nous avons pu montrer que la nature des liens entre une unité de soins et la blanchisserie peuvent engendrer des difficultés. Au sein de l’unité, dans l’objectif de préserver la santé des ASH, l’encadrement leur a permis de stocker les sacs de linge sale dans deux charriots (au lieu d’un seul initialement). Cela permet d’éviter de limiter les efforts verticaux de soulèvement des sacs de linge sale du fait que chacun des 2 chariots est rempli à moitié.

L’organisation de la blanchisserie (temporelle et matérielle) ne permet pas d’intégrer 2 chariots par service dans les camions qui servent pour transporter les sacs jusqu'à la blanchisserie (multiplication du nombre de trajets par 2). Ainsi, les opérateurs de la blanchisserie qui viennent récupérer les sacs de linge sale réintègrent tous les sacs dans un seul chariot, ce qui entraine une manipulation nouvelle pour ces opérateurs, ainsi que des « tensions » entre les 2 services / professions. L’organisation temporelle effective du service de blanchisserie ne permet donc pas de fonctionner correctement du point de vue de ce qui a été décidé par les responsables des 2 services.

Les effets en retour s’observent sur les relations entre les professionnels dont les logiques d’organisation se trouvent en contradiction.

Pour une autre intervention dans l’un des EHPAD présentés, les contraintes imposées par les livraisons des repas, qui sont liées aux organisations temporelles des services de restauration collective, ont des effets importants sur l’activité des agents. Ainsi, le dîner est livré à 17h30 pour distribution auprès des résidents, ce qui est estimé être trop tôt par l’ensemble des agents de l’unité, qui voient leur activité se densifier l’après-midi, de façon à être « prêt » pour la réception et ensuite le service du dîner. Cette densification, liée à une perte d’au moins 1 heure de temps (par rapport à d’autres unités), oblige les agents à se presser dans la réalisation de leurs tâches et donc à prendre des risques en termes de santé.

Un autre exemple concerne les contraintes horaires fixées par des services de transports externes de patients (véhicule sanitaire léger, taxi, …) lors de départ ou de transfert entre établissement. La prise de rendez-vous est fixée indépendamment des temporalités des différents agents interagissant avec les patients concernés. Le service de transport externe « impose » donc un horaire en fonction de ses propres contraintes d’organisation de tournée. Pour le personnel, l’organisation des soins et du ménage pour un patient « sortant » est contraint et variable selon le prescrit ou les pratiques mises en place. Un patient, qui doit partir à 9h, doit avoir réalisé sa toilette et reçu les soins nécessaires avant 9h. Sa chambre doit ensuite être nettoyée pour le nouvel « arrivant ». Les personnels réorganisent donc dans le temps la réalisation de leurs tâches (individuelles et collectives) pour intégrer l’ensemble de ces contraintes.

Ces différents éléments de diagnostic issus de nos interventions montrent donc les liens forts qui existent entre l’activité des agents au sein d’une unité hospitalière et les temporalités imposées notamment de l’extérieur du service. Il s’agit donc de pouvoir redonner des marges de manœuvre aux agents, c'est-à-dire des moyens de faire face aux contraintes de leur travail, en agissant sur les temporalités des acteurs extérieurs. Concernant la livraison des repas pour l’EHPAD par exemple,

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44ème congrès de la Société d'Ergonomie de Langue Française - 189 il s’agit de prévoir la livraison des repas à une heure plus tardive permettant aux agents du service de ne pas subir une densification de leur travail. Cette prescription, du fait qu’elle aura nécessairement un effet sur l’organisation et les conditions du travail des personnels qui préparent les repas, doit également prendre en considération leurs besoins. La recherche de solutions doit donc se baser sur un compromis entre les besoins de ces 2 services.

Le caractère imprévisible de certaines temporalités

Lorsque l’on intègre les différentes temporalités dans une réflexion sur leurs effets sur l’activité des agents, il ne faut pas négliger le caractère imprévisible du travail des personnels hospitaliers. Cette imprévisibilité est liée au moins à deux éléments : le fait de devoir gérer une dégradation non prévue de la santé de patients et les déficits dans les transferts d’informations pertinents entre les services et/ou les professionnels (horaires des entrées et sorties par exemple). De notre point de vue, cette imprévisibilité des temporalités (d’autres services) rend encore plus complexe la gestion de son propre temps au travail, puisqu’il faut constamment intégrer des éléments non prévus dans une imbrication de multiples temporalités déjà très contrainte.

Pour exemple, dans l’une de nos interventions (« centrée » travail et handicap), le diagnostic réalisé sur l’activité des ASH a permis de montrer comment une tâche imprévue (planification aléatoire) et non prescrite (non intégrée à la fiche de poste) peut avoir des conséquences importantes. Le départ des patients nécessite de la part des ASH un nettoyage de « fond en comble » de la chambre avant l’arrivée d’un nouveau patient (dans la même journée). D’une part, cette charge représente en moyenne 1 à 2 h de travail (selon le niveau de salissure dépendant du temps de présence du patient dans la chambre), mais n’est pas intégrée au travail prescrit. D’autre part, les départs sont difficilement planifiables et les agents du service l’apprennent le matin même. Cette tâche est donc réalisée en temps masqué et nécessite de la part des ASH une réorganisation de leur travail (individuelle et collective). Elle ne peut être réalisée « dans les temps » qu’au détriment de la santé des agents (intensification du travail) ou de la qualité de leur travail, qui peut se traduire par réduction des opérations de ménage « classiques » pour gagner du temps. Cette régulation sur la qualité du ménage peut ensuite se retourner contre les ASH, car le niveau de salissure plus important le lendemain nécessite plus de temps de nettoyage (« boucle infernale » et accroissement des risques de Troubles Musculo-Squelettiques par exemple).

Il est donc important de permettre le plus possible aux agents de prévoir au mieux l’évolution de leur charge de travail au cours de la journée (également d’un jour à l’autre). Cela nécessite de reconstruire des liens entre les acteurs avec pour objectif d’optimiser le transfert des informations qui vont permettre ces prévisions.

Conclusion

Pour conclure cette communication, on peut considérer que l’activité de chaque agent est liée en partie aux caractéristiques immédiates de son environnement de travail (facteurs matériels, architecturaux, liés aux patients…), mais également aux temporalités d’acteurs ou de services qui peuvent sembler dans un premier temps éloignés de la réalisation des tâches.

Lorsque l’on met en évidence les effets des différentes temporalités, l’action sur ces dernières n’est pas aisée, car souvent chaque temporalité est le résultat d’une négociation dans un contexte particulier, sans prise en compte du système global.

Améliorer le travail d’agents dans le secteur hospitalier nécessite donc d’avoir une approche systémique des temporalités des différents acteurs impliqués dans la prise en charge d’un patient.

L’amélioration d’une situation de travail dépend de la capacité que l’on a à convoquer les organisations et les temporalités des autres acteurs du système dans une réflexion plus macroscopique autour des situations de travail. Un des enjeux réside également dans le fait d’articuler les temporalités tout en « partageant » équitablement entre les différents acteurs du système les impacts négatifs et positifs sur leurs activités réciproques.

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Références

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