• Aucun résultat trouvé

Construire la valeur d’un service énergétique : la trajectoire de l’effacement diffus en France

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Construire la valeur d’un service énergétique : la trajectoire de l’effacement diffus en France"

Copied!
31
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-01174292

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01174292v2

Preprint submitted on 3 Feb 2016

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Distributed under a Creative Commons Attribution| 4.0 International License

Construire la valeur d’un service énergétique : la trajectoire de l’effacement diffus en France

Thomas Reverdy

To cite this version:

Thomas Reverdy. Construire la valeur d’un service énergétique : la trajectoire de l’effacement diffus en France. 2015. �halshs-01174292v2�

(2)

Etude de cas n° 19 Note finale

Construire la valeur d’un service énergétique : la trajectoire de l’effacement diffus en France

Janvier 2016

Thomas Reverdy

Université De Grenoble - PACTE Génie Industriel Grenoble-INP 46 av Félix Viallet

38031 Grenoble Cedex 1

Thomas.reverdy@grenoble-inp.fr

(3)

Résumé

Cette monographie propose de reconstituer la trajectoire institutionnelle d’une offre innovante, l’agrégation d’effacement des consommateurs non industriels. Cette trajectoire permet de comprendre comment un sujet a priori technique, l’intégration des activités d’effacements dans le marché de gros de l’électricité, a pu devenir un sujet « politique », ce qui a entrainé une grande instabilité institutionnelle. Le basculement du registre « technique » vers le registre « politique » s’est accompagné d’une intervention des autorités politiques dans les activités de régulation, activités a priori prises en charge par une autorité indépendante. Ce basculement provient d’une vaste polémique provoquée par l’entreprise Voltalis, premier acteur présent sur l’activité de l’effacement diffus. Cette polémique a affaibli le raisonnement économique défendu par l’autorité indépendante et donc sa crédibilité. Cette monographie reconstitue les débats politiques, juridiques et techniques qui ont accompagné et suivi cette polémique, ainsi que l’important travail technique et juridique qui a été nécessaire pour stabiliser le cadre de cette activité. Elle s’appuie sur une étude systématique des documents publics produits dans cette période et sur des entretiens avec quelques acteurs impliqués.

Points forts

- Soutien à la réponse de la demande - Abstractions technico-économiques - Politisation du marché de l’électricité - Incertitude juridique

Mots clés

Réponse de la demande, effacement diffus, marché de l’électricité, marché d’ajustement, marché de capacité, sociologie des marchés, expertise, Commission de Régulation de l’Energie

(4)

Abstract

Cette monographie propose de reconstituer la trajectoire institutionnelle d’une offre innovante, l’agrégation d’effacement des consommateurs non industriels. Cette trajectoire permet de comprendre comment un sujet a priori technique, l’intégration des activités d’effacements dans le marché de gros de l’électricité, a pu devenir un sujet « politique », ce qui a entrainé une grande instabilité institutionnelle. This monograph describes the path of an institutional innovation in the domain of the management of demand side: the aggregation of the withdrawal of consumers. This monograph explan how a technical issue has become a political ones. The switchover from 'technical' registry to 'policy' registry accompanied an intervention of the political authorities in regulatory activities, activities initially delegated to an independent authority. This shift comes from a wide controversy caused by the company Voltalis, first this actor present on this niche. This controversy that has weakened the economic reasoning defended by the independent authority and thus its credibility. This monograph reconstructs the political, legal and technical discussions which have followed this controversy, as well as the important technical and legal work which was needed to stabilize the framework for this activity. It relies on a systematic review of public documents produced in this period and on interviews with main actors.

Highlights

- Public support to the demand response - Economical reasonning

- Politicization of ambiguity and uncertainty - Electricity market regulation

Keywords: demand response, electricity market, adjustment market, capacity market, sociology of markets, expertise, Energy Regulatory Commission

(5)

Table des matières

1. L’agrégateur d’effacement diffus ... 3

1.1 Une discussion technique conduite au sein de RTE ... 4

1.2. La lutte entre les représentations abstraites ... 6

1.3. Le débat se politise et sort de l’argumentation technique ... 7

1.4. Les limites juridiques du raisonnement technique ... 10

1.5. La stabilisation de l’argumentation technique ... 11

1.6. Le travail législatif revient sur le raisonnement technique initialement validé ... 14

2. L’intégration de l’effacement dans le marché de capacité ... 16

2.1. La mise en valeur des incertitudes concernant le fonctionnement du marché ... 16

2.2. Malgré la controverse technique sur la pertinence d’un tel marché, la construction d’un compromis politique ... 17

3. Le calcul des bénéfices socio-économiques ... 18

3.1. De la prime à l’appel d’offre : l’effacement protégé des incertitudes du marché ... 20

3.2. L’épilogue : la réécriture de la loi sur la transition énergétique ... 21

3.3. Un business model inadapté au marché actuel ? ... 22

Conclusion ... 23

Remerciements ... 25

Bibliographie... 26

(6)

1 La libéralisation du secteur de l’électricité a créé un espace d’opportunités pour de nouvelles offres de services à destination des acteurs du marché, consommateurs, fournisseurs et gestionnaires de réseau. Or ce secteur reste très étroitement régulé, tout d’abord pour organiser la concurrence et faire fonctionner le marché de l’électricité, et ensuite pour déployer la politique énergétique. Cette régulation peut parfoit présenter un frein aux innovations dont un besoin d’accompagner les innovations par des adaptations des règles. Selon les cas, ces adaptations peuvent substancielles et s’affranchir des principes des règles existantes. Dans d’autres cas, ces adaptations s’exercent dans le cadre intellectuel des régulations existantes. Cette inscription institutionnelle a un effet non négligeable dans l’établissement de la valeur d’une nouvelle offre, qu’il s’agisse d’une valeur économique d’un service à des clients, ou d’une valeur associée aux externalités positives ou négatives que l’activité peut entrainer pour la collectivité.

La construction politique de la valeur d’un bien ou d’un service est une des questions centrales de la sociologie économique et de la sociologie des marchés (Kjellberg et al. 2013). Parmi l’ensemble des mécanismes qui peuvent contribuer à la construction de cette valeur, nous nous intéressons ici au processus de co-performation des marchés (Muniesa, Callon 2008), un processus porté par des acteurs diversifiés et qui mobilise des expertises techniques, économiques et juridiques (Mackenzie and Millo 2003). Ce processus est particulièrement déterminant dans les marchés très régulés que l’on trouve dans les secteurs récemment libéralisés : l’expertise économique est mobilisée pour décliner des règles juridiques comme les droits de propriété ou les règles de la concurrence, elle accompagne la sophistication de ces marchés (Mirowski, Nik-Khah 2007, Dumez, Jeunemaitre, 1998, Breslau, 2013). De même, comme ces secteurs restent fortement investis d’une dimension politique (libéralisation, transition énergétique…), les autorités politiques n’entendent pas abandonner le contrôle à des autorités indépendantes.

Pourtant, les ambitions politiques ne s’articulent pas naturellement avec l’expertise technico- économique. Dans le cas du marché de l’électricité, l’expertise technico-économique est portée par une communauté d’experts et de régulateurs qui partagent un même modèle de référence d’organisation de ce marché et un ensemble de connaissances qui permettent de le décliner techniquement. Ce modèle, inspiré du modèle théorique du marché walrasien, constitue une sorte de pivot autour duquel différentes adaptations sont explorées par les pays qui ont libéralisé leur secteur. Ces adaptations sont parfois justifiées simplement sur le plan technique. Mais dans de très nombreux cas, ces adaptations ont été produites sous la pression d’une partie des acteurs du marché, qui sont parvenus à faire reconnaître la nécessité d’aménagements substantiels (Reverdy, 2014). Ainsi le modèle « institué » de marché de l’électricité possède une certaine flexibilité connaît des adaptations dont on peut expliquer l’ampleur par l’intensité des controverses techniques et des pressions politiques.

Dans le cas des offres de service innovantes, les acteurs économiques qui font la promotion de ces offres interagissent avec les régulateurs et les acteurs politiques pour faire reconnaître la pertinence de leur service et obtenir qu’il puisse être articulé avec l’organisation existante du secteur. Dans cette situation, la logique du régulateur autonome ne sera pas nécessairement la même que celle du politique. Le régulateur autonome cherchera à intégrer cette offre en respectant un souci d’efficacité et d’équité conforme à sa doctrine technico-économique. Les acteurs politiques soutiendront cette activité si elle répond à un enjeu politique identifié. De façon à obtenir un soutien de son activité, un entrepreneur innovateur peut donc avoir un intérêt à s’adresser aux acteurs politiques plutôt que de s’appuyer sur l’autorité de régulation.

Cette monographie propose de reconstituer la trajectoire institutionnelle d’une offre innovante, l’agrégation d’effacement des consommateurs non industriels. Cette offre innovante a été portée par

(7)

2 un acteur du marché, Voltalis, qui en a défendu le principe et la valeur économique. L’effacement des consommateurs consiste à réduire la consommation d’électricité par une commande à distance des équipements. Un d’agrégateur d’effacement détient la possibilité de réduire la consommation d’un très grand nombre de consommateurs et valorise cette « option » auprès de l’opérateur de réseau ou du marché de l’électricité. Cette offre est tout à fait innovante et relève de la « gestion dynamique de la demande » et des « smart-grids », considérés comme un des leviers de la transition énergétique, en particulier pour faire face à l’augmentation de la production intermittente d’électricité, aux pics de consommation d’électricité, ou à toute situation momentanée de déséquilibre entre production et consommation.

Cette innovation présente un grand intérêt pour notre problématique car elle a traversé plusieurs instances de régulation sans qu’aucune d’entre elles ne soit parvenue à stabiliser le cadre dans lequel un agrégateur d’effacement intervient et est rémunéré : depuis 2006, sont intervenus à plusieurs reprises le Réseau de Transport d’Électricité (RTE), la Commission de Régulation de l’Énergie (CRE), le Gouvernement, le Conseil d’État, le Parlement, l’Autorité de la Concurrence, chacun venant corriger ou amender les décisions ou les règles prises auparavant. Et il existe encore une large incertitude sur la validité juridique des dernières décisions.

L’instabilité institutionnelle provient du fait que l’intégration de cette activité dans le marché de l’électricité a recourt à des raisonnements économiques abstraits qui permettent de la qualifier, d’en évaluer la valeur économique, et ensuite d’en définir les modalités par lesquelles elle peut être rémunérée. Or ce niveau d’abstraction peut donner prise à des acteurs qui ont intérêt à jouer sur les ambiguïtés et les incertitudes pour encourager une politisation des débats.

En conséquence, ces raisonnements économiques ne restent pas dans l’espace privé de la régulation technique mais circulent entre différentes instances de débat ou de production de règles : dans l’espace technique de l’expérimentation, dans les instances d’organisation des marchés (comme la CRE), dans l’espace public médiatique, dans les instances de décision politique (Parlement ou Gouvernement), dans les instances juridiques comme le Conseil d’État ou le Conseil Constitutionnel.

Chacune de ces instances n’imposent pas les mêmes exigences concernant les arguments présentés, elles n’ont pas les mêmes critères et les mêmes procédures pour garantir leur validité ou leur acceptabilité, de même qu’elles n’ont pas le même agenda, le même mandat institutionnel et les mêmes objectifs. Ces instances sont reliées entre elles par des règles et des délégations formelles, mais cet ensemble ne suffit pas à établir une fois pour toute une hiérarchisation des positions.

Cette monographie reconstitue la trajectoire de la régulation de cette innovation, en particulier son articulation au marché de l’électricité. Elle aborde tous les débats politiques, juridiques et techniques qui l’ont accompagnée. Elle s’appuie sur une étude systématique des documents publics produits dans cette période : documents techniques de RTE, avis de la CRE, de l’Autorité de la Concurrence, prises de position de Voltalis, discours politiques, discours parlementaires, textes de lois, mais aussi publications des économistes qui commentent les décisions. Elle s’appuie aussi sur des entretiens avec quelques acteurs impliqués, dont l’un des fondateurs de Voltalis, et actuel porte-parole de cette société, Pierre Bivas, mais aussi des experts économistes de différentes entreprises (autres agrégateurs, fournisseurs, régulateur, gestionnaire du réseau).

Cette monographie prend quelques libertés avec le déroulement temporel des négociations et des décisions de façon à isoler les principaux débats par thème. Après avoir présenté l’activité d’agrégation de l’effacement diffus, elle distingue, pour des raisons de lisibilité, la trajectoire de trois débats techniques concernant l’effacement diffus. Tout d’abord la valorisation de l’effacement, comme réduction ou comme report de consommation dans le cadre du mécanisme d’ajustement, et du marché spot de l’électricité. Ensuite, elle aborde la valorisation de l’effacement dans le cadre des mécanismes de capacité (appel d’offre et marché de capacité). Enfin, elle aborde la valorisation de

(8)

3 l’effacement par la mise en place d’une prime spécifique. Ces différentes valorisations de l’effacement ont été débattues en parallèle.

1. L’agrégateur d’effacement diffus

La production d’électricité en France a été ouverte progressivement à la concurrence depuis 2000. Il existe aujourd’hui trois acteurs principaux : EDF, GDF-Suez et E.ON France. Ces acteurs vendent l’électricité à leur client et sur le marché de gros. Il existe aussi une activité de commercialisation par ces mêmes acteurs, mais aussi par les distributeurs locaux et par les fournisseurs alternatifs, comme Direct Energie, Enercoop… L’électricité est acheminée par un réseau de transport et par des réseaux de distribution qui restent des monopoles publics, car ils sont considérés comme un monopole « naturel ». RTE (Réseau de Transport d’Electricité) est chargé du réseau de transport à haute tension et très haute tension. RTE organise physiquement les échanges de l’électricité de façon à ce que l’équilibre entre la production et la consommation soit garanti. Cet équilibre est assumé en grande partie par les acteurs du marché, grâce aux différents marchés de gros.

Le marché de l’électricité doit établir en temps réel un équilibre (l’électricité ne se stocke pas) entre une consommation variable qui dépend des activités des consommateurs et des conditions météorologiques, et une offre elle-même variable, du fait de la défaillance d’équipements ou la production intermittente des énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire. Pour faire face à ces écarts, il est nécessaire de mobiliser des capacités suffisamment flexibles, comme l’hydraulique ou les centrales à gaz. Certaines centrales ne servent que quelques heures par an, mais nécessitent tout de même un entretien permanent pour pouvoir être activées à tout instant. L’utilisation des centrales thermiques à flamme a non seulement un coût financier très élevé mais aussi un coût pour l’environnement (rejet de C02…).

L’effacement des consommateurs intervient comme une alternative à la sollicitation des moyens de production, et doit donc être rémunéré de façon significative par le marché, au même titre que ces moyens de production. La prise en compte de cette alternative par le marché permet de convertir un problème critique d’investissement pour répondre aux pointes de consommation, en un espace pour des vraies opportunités économiques de maîtrise de la demande. D’ailleurs, l’effacement s’est développé au niveau industriel, chez les gros consommateurs dont l’arrêt de l’activité peut permettre la mise à disposition d’une puissance importante pour le réseau. Au lieu d’augmenter la production, l’effacement permet de ramener l’équilibre en libérant de la puissance sur le réseau.

L’entreprise Voltalis, créée en 2006, propose d’organiser l’effacement de la consommation des particuliers. C’est ce qu’on appelle l’effacement diffus. À l’aide d’un boitier électronique commandé à distance, Voltalis peut couper l’alimentation de différents appareils électroniques chez un petit consommateur (particuliers ou artisans, PME…) pour des petites durées. En installant son boitier chez de nombreux consommateurs, l’entreprise peut ainsi rendre disponible une quantité d’électricité suffisamment importante pour être prise en compte par RTE. Voltalis a choisi de ne pas rémunérer le consommateur pour sa participation, ce qui a pour avantage de réduire le coût pour l’entreprise, mais ce qui implique aussi que l’effacement n’ait pas de conséquences trop importantes sur le confort et l’usage de l’électricité, et donc limite les équipements concernés (chauffage, chauffe-eau) et la durée de l’effacement à une ½ heure. L’avantage du modèle de Voltalis est qu’il peut garantir à RTE une capacité d’effacement sur un délai court car l’entreprise commande automatiquement l’effacement, et non le particulier. Il est donc possible d’associer une baisse de la consommation à l’action de Voltalis et non à une pratique de consommation du particulier

(9)

4 indépendante1. Le second avantage est que Voltalis n’a pas besoin de rémunérer le consommateur effacé : celui-ci n’a pas eu à payer la consommation effacée.

Jusqu’à peu, l’entreprise Voltalis était le seul agrégateur qui s’appuie sur les consommateurs particuliers. Le modèle de Voltalis repose sur un pari économique assez audacieux quand on prend en considération le coût d’installation (et de maintenance) d’un boitier, estimé par Voltalis à 450 euros environ, la faible durée des effacements (20 mn à ½ heure), et la puissance mobilisable de 1 ou 2 kW. Les bénéfices proviennent uniquement de la valorisation de l’effacement par le réseau ou par le marché de l’électricité. Même si l’effacement évite la construction et le fonctionnement d’importantes installations de production d’électricité, il n’en reste pas moins qu’il exige un investissement initial très important dans une infrastructure domotique disséminée chez des particuliers.

Il y a donc une importante différence avec les effacements des consommations industrielles. Les consommateurs industriels sont a priori des cibles privilégiées pour l’effacement, pour une raison simple, les faibles coûts d’investissement et de gestion relativement à la puissance qui peut être effacée (étant beaucoup plus importante que les consommateurs individuels). Néanmoins, ces consommateurs industriels exigent d’être rémunérés pour cette flexibilité, rémunération qui va en réduction du gain de l’agrégateur.

Si Voltalis est encore la seule entreprise ayant investi dans une infrastructure d’effacement, elle n’est plus le seul acteur présent dans le domaine de la « réponse de la demande ». Les fournisseurs d’électricité (EDF, GDF Suez, Direct Energie …) se sont engagés dans des expérimentations importantes, dans le cadre des « Investissements d’avenir », avec des partenaires fabricants d’équipements de domotique et de gestion électrique et des partenaires en charge des services associés (développement des applications informatiques, relations avec la clientèle, installation et maintenance des équipements…). On trouve bien sûr l’effacement automatique parmi les stratégies de gestion de la demande, mais on trouve aussi des techniques où le consommateur est beaucoup plus impliqué, plus proche des tarifications incitatives proposées historiquement par EDF. Les acteurs se sont diversifiés : Direct Énergie, qui est aussi fournisseur d’électricité, se présente aujourd’hui comme un concurrent de Voltalis. L’entreprise Schneider Electric commercialise un kit d’équipement directement pour un consommateur final qui souhaite mieux gérer sa consommation.

Une des difficultés de la restitution de cette enquête est le positionnement particulier de l’entreprise Voltalis. Parce qu’elle a été longtemps le seul acteur innovateur et investisseur en matière d’effacement diffus, cette entreprise est donc une contributrice majeure au débat, dans l’espace politique comme au sein d’instance de régulation comme RTE et la CRE. Les autres acteurs (en particulier les fournisseurs ou les autres agrégateurs) se positionnent souvent en tant que collectif et rarement à titre individuel. Enfin, un des fondateurs de Voltalis, Pierre Bivas, incarne de façon très personnelle cette entreprise : il intervient dans les réunions techniques, il prend la parole dans les médias, il intervient régulièrement auprès des parlementaires.

1.1 Une discussion technique conduite au sein de RTE

La controverse concernant la rémunération de l’effacement a commencé quand Voltalis a cherché à faire reconnaître l’effacement auprès du Réseau de transport d’électricité (RTE) dans le cadre du mécanisme d’ajustement qui est un des mécanismes permettant l’équilibre en temps réel de la production et de la consommation sur le réseau.

1 L’action d’effacement est beaucoup plus difficile à démontrer quand l’agrégateur d’effacement doit négocier avec les particuliers des changements de comportements. La démonstration s’appuie alors sur des courbes de charge habituelles. Il est plus difficile d’éviter les effets d’aubaine.

(10)

5 Le mécanisme d’ajustement est sollicité en temps réel par RTE quand un fournisseur ne parvient pas à répondre à la demande de ses clients. Chaque fournisseur est responsable de l’équilibre en temps réel entre ce qu’il injecte dans le réseau (ce qu’il produit ou ce qu’il achète sur le marché de gros) et ce que ses clients consomment2. Il est obligé de prévoir à l’avance les consommations pour fournir la quantité adéquate. Si ces clients consomment davantage et qu’il n’a pas la possibilité d’y répondre, RTE prend le relais et sollicite des producteurs ou des opérateurs d’effacement qui participent au mécanisme d’ajustement.

Le mécanisme d’ajustement a été mis en place par RTE dans le cadre de ses missions de service public définies par les lois sur l’énergie de février 2000 et d'août 2004. Le travail de régulation par RTE est encadré par un contrat de service public conclu avec l'État et exercées sous le contrôle de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE). La loi de 2000 sur l’énergie (modifiée en 2004) précise les conditions dans lesquelles RTE doit arbitrer entre les différentes solutions (augmenter la production ou libérer de la puissance en effacement des consommateurs finaux) pour ramener l’équilibre sur le réseau lors d’un déficit de production par rapport à la consommation : elle doit les sélectionner selon des critères techniques et selon la notion de « préséance économique ».

Autrement dit, elle doit prendre en considération d’abord l’offre la plus compétitive.

En dialogue avec Voltalis, RTE envisage dès 2007 d’intégrer les effacements des particuliers au mécanisme d’ajustement. Cette intégration nécessite une expérimentation afin de définir ses implications sur les différents acteurs du marché. L’expérimentation est plafonnée à 100 MW. C’est dans cette optique de définition des règles transitoires de mise en œuvre des effacements diffus que de nombreux échanges ont lieu entre RTE, la CRE mais aussi Voltalis et d’autres acteurs du secteur au cours de l’année 2007, grâce à un groupe de travail intitulé « GT Effacements Diffus » sur sollicitation de RTE regroupant les fournisseurs et l’agrégateur d’effacement, Voltalis. Cette nouvelle offre est prise au sérieux par la CRE et RTE, qui souhaitent encourager la gestion de la demande.

Les ingénieurs de RTE et de la CRE en charge de la conception des modalités d’organisation des marchés, ont l’habitude de procéder par des débats techniques approfondis où les acteurs parties prenantes expriment leurs demandes, auxquelles RTE répond en référence à un souci d’efficacité et de pertinence économique dans le cadre des moyens techniques disponibles. Les décisions sont généralement prises en accord entre les participants qui représentent chacun leur entreprise. La prise de décision collective est favorisée par l’échange approfondi d’arguments techniques, les participants présents, ingénieurs ou économistes, tiennent à défendre des arguments valides sur le plan technique et économique de façon à conserver leur crédibilité. Il est très rare que les différents entre experts soient médiatisés.

De l’avis de plusieurs observateurs, le débat autour de l’effacement diffus prend une tournure assez différente des discussions habituelles. Au cours de l’année 2008, les acteurs présents ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la question des transferts financiers occasionnés par l’activation des offres d’effacement. Les fournisseurs estiment que l’agrégateur d’effacement doit rembourser au responsable d’équilibre (c’est-à-dire le fournisseur du client qui a été effacé) l’électricité que ce fournisseur a « injecté sur le réseau ». Voltalis conteste cet argument et considère que l’agrégateur d’effacement n’a pas à payer pour une fourniture d’électricité alors que les consommateurs ont été effacés. Dans le cadre de l’expérimentation, RTE ne prend pas position et n’exige pas de Voltalis le versement d’une compensation aux fournisseurs effacés. Il estime que les volumes concernés sont trop peu significatifs et que cet acteur innovant doit être soutenu.

2 En ce qui concerne les particuliers, avec les compteurs traditionnels, il est très difficile de savoir exactement quand les consommateurs consomment : les fournisseurs, de même que RTE, s’appuient sur des courbes de charge estimées.

(11)

6 S’appuyant sur la définition du mécanisme d’ajustement proposée par RTE (à savoir, le mécanisme d’ajustement est un marché où l’on achète et l’on vend de l’électricité), les fournisseurs considèrent que l’opérateur d’effacements diffus doit rémunérer les fournisseurs (dont les clients se sont effacés) pour l’électricité injectée par ces fournisseurs, car l’opérateur d’effacements diffus valorise cette électricité dans le cadre du mécanisme d’ajustement.

Dans une stratégie d’apaisement, RTE envisage alors un compromis en proposant une répartition entre les acteurs du marché du versement au fournisseur effacé : un 1/3 du versement sera pris en charge par l’agrégateur, 1/3 par les fournisseurs, et 1/3 par le réseau. Mais cette solution ne convient pas à Voltalis conteste toujours toute versement par l’agrégateur.

En l’absence de consensus, RTE sollicite la CRE pour une clarification des règles. Les ingénieurs- économistes de la CRE cherchent à définir le plus « proprement possible » les modalités d’intégration de cette activité. Ils sollicitent Claude Crampes, un économiste de l’Ecole d’Economie de Toulouse, dont la crédibilité n’est pas contestée. La CRE publie donc une délibération le 9 juillet 2009, où elle explicite et justifie l’existence d’un versement vers le fournisseur effacé par l’agrégateur d’effacement. Or, cette compensation financière menace le « Business Model » de Voltalis, qui attaque donc immédiatement cette décision auprès des politiques, des journalistes, et du Conseil d’État.

1.2. La lutte entre les représentations abstraites

Examinons plus en détail les représentations et les arguments qui opposent Voltalis, les fournisseurs, RTE et la CRE. Il n’existe pas de règle « standard » en matière d’effacement diffus : l’activité d’effacement diffus est une activité nouvelle et la France est un des premiers pays à chercher à intégrer cette activité dans les mécanismes de gestion de l’équilibre et de marché.

Dans les premières expériences d’effacement industriel, il est prévu que l’opérateur d’effacement ait l’accord du responsable d’équilibre des sites effacés pour examiner les conséquences techniques et économiques de l’effacement. En ce qui concerne les particuliers, Voltalis demande à ce que l’effacement puisse être valorisé sans ce type d’accord, considérant qu’un tel accord le rendrait dépendant des fournisseurs en place et entraverait l’effacement. RTE tentent donc l’organiser l’intégration de l’effacement diffus dans le mécanisme d’ajustement, sans qu’un tel accord soit nécessaire.

Pour définir le rôle de l’effacement dans le mécanisme d’ajustement, RTE et la CRE s’appuient sur définition précise de ce mécanisme. Ils partent de l’hypothèse que le mécanisme d’ajustement s’appuie essentiellement sur un mécanisme de marché. Ce mécanisme est sollicité par RTE quand un des acteurs du marché (B) ne parvient pas à produire l’électricité qu’il s’est engagé à produire ou s’il ne parvient pas à satisfaire les consommateurs qu’il s’est engagé à satisfaire. RTE choisit alors, sur le marché d’ajustement, entre les offres des producteurs (capacités supplémentaires) et celles des opérateurs d’effacement pour rétablir l’équilibre. En passant par ce « marché », RTE n’achète pas seulement un service qui contribue à rétablir l’équilibre du réseau, il achète de l’électricité qui est ensuite vendue au fournisseur (B) qui a été défaillant et qui en a besoin pour ses propres consommateurs. La seule façon pour l’agrégateur d’effacement de participer au mécanisme d’ajustement est donc de s’intégrer dans ce marché, et donc d’y vendre de l’électricité. Or l’opérateur d’effacement ne produit pas cette électricité mais il l’obtient d’un fournisseur (A), qui s’était engagé à l’approvisionner pour ses clients (en tant que « responsable d’équilibre ») et que ses clients n’ont pas consommée. S’il peut fournir cette électricité au mécanisme d’ajustement, c’est parce que le fournisseurdes clients effacés (A) a respecté ses engagements en termes de fourniture au réseau. Il est donc logique que l’agrégateur d’effacement rémunère le fournisseur (A) pour cette

(12)

7 électricité qu’il a injectée, au moins au niveau de prix de la fourniture (ce que les clients lui auraient payé s’ils n’avaient pas été effacés).

Selon la CRE, cette organisation du marché d’ajustement permet d’expliciter la règle de « préséance économique » entre production et effacement formalisée dans le code de l’énergie. Le respect de l'ordre de préséance économique implique un classement des offres en fonction de leur contribution économique au "surplus social". Autrement dit, le marché doit permettre d’orienter les acteurs vers une solution économique optimale pour l’ensemble des acteurs. Grâce à l’explicitation du mécanisme d’ajustement, elle démontre que l’optimisation du "surplus social" rend nécessaire un versement du prix de l'énergie effacée au fournisseur qui l'a injectée3.

L’argumentaire de Voltalis s’appuie sur une formalisation plus simple du problème de déséquilibre et de l’ajustement. Il considère que, en situation de déséquilibre, l’alternative de RTE est de solliciter des équipements de production supplémentaires ou de solliciter un effacement des consommateurs.

Du point de vue de l’équilibre du réseau, les deux solutions seraient équivalentes : c’est pourquoi l’effacement doit être rémunéré au même niveau que la production de pointe. Ce raisonnement a le mérite de la simplicité. Il n’a pas besoin de passer par les abstractions que sont le mécanisme d’ajustement, les responsables d’équilibre, les profils de consommation… Il découple le problème de l’équilibre du réseau, qui est de la responsabilité de RTE, des transactions entre les fournisseurs.

Ainsi, en réponse à l’argumentaire de la CRE, Voltalis propose que ce soit le fournisseur (B) à l’origine du besoin d’ajustement, qui rémunère le fournisseur (A) pour l’énergie que ce dernier a injectée mais que ses clients n’ont pas consommée4.

Dans son avis, la CRE reprend le raisonnement de Voltalis qu’elle réfute de la façon suivante : si le fournisseur en défaut (B) devait payer le fournisseur effacé (A), le fournisseur en défaut paierait non seulement la pénalité d’ajustement (qui intègre la valeur de l’électricité) mais également le coût de la rémunération du fournisseur (A). Or cette option ne respecterait pas la contrainte primordiale de préséance économique car elle « génèrera un coût supplémentaire » au fournisseur (B). Comme le critère de préséance économique « s’évalue au niveau global du système », l’agrégateur d’effacements diffus doit rémunérer le producteur (A) pour l’énergie injectée. Par l’intégration de ce versement dans le prix de l’offre des opérateurs d’effacement, cette mesure permet d’éviter l’apparition d’un coût supplémentaire pour le mécanisme global.

Néanmoins, l’argumentation technique de la CRE est plus sophistiquée que celle de Voltalis. Elle est moins accessible pour les observateurs qui cherchent, par des simplifications, à se faire leur propre opinion. . Ainsi, un observateur peut se demander pourquoi distinguer un fournisseur (A) et un fournisseur (B), puisqu’il n’existe qu’un seul acteur dominant, EDF ? Pourquoi l’agrégateur devrait-il payer pour le fournisseur ? Pourquoi passer par une abstraction aussi sophistiquée pour donner une valeur à l’effacement ? Du fait de sa simplicité, l’argumentation de Voltalis parait moins susceptible d’une manipulation ou d’un biais.

1.3. Le débat se politise et sort de l’argumentation technique

Face à l’argumentation technique de la CRE, le fondateur de Voltalis, Pierre Bivas cherche à déplacer le débat sur le plan politique. Tout d’abord en sollicitant directement le gouvernement, ensuite, en ayant recours aux médias. La capacité de Pierre Bivas à porter le débat dans les instances politiques

3 Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 9 juillet 2009 portant communication sur l’intégration des effacements diffus au sein du mécanisme d’ajustement.

4Voltalis. (2009). Comment EDF a circonvenu la CRE en lui faisant adopter le point de vue des fournisseurs au détriment des consommateurs, donc préférer toujours plus de production, à une économie d’énergie et renforcer la position dominante d’EDF en France . Paris.

(13)

8 tient à sa légitimité personnelle et son parcours. Pierre Bivas n’est pas vraiment un « outsider » : il est Polytechnicien et Ingénieur des Mines. En 1995, il a été conseiller technique au cabinet de M.

Hervé Gaymard alors Secrétaire d’État Santé et de la Sécurité sociale et en 1996 conseiller de M.

Jacques Barrot en charge du Travail et des Affaires sociales. Il possède donc des marqueurs sociaux qui lui permettent d’être légitime auprès des institutions et des acteurs du domaine. Voltalis est aussi soutenu par le groupe MOMA pour « MOdélisation Mesure et Application », dirigé par plusieurs membres du Corps des Mines, qui ont une expérience de cabinets ministériels ou de direction dans de grandes entreprises françaises.

L’écoute dont bénéficie Voltalis tient aussi à la pertinence politique de son argumentation La veille de la décision de la CRE, Voltalis adresse un courrier5 à M. Sarkozy, président de la République au pouvoir, ainsi qu’à ses ministre M. Borloo et Mme Lagarde. Cette lettre demande au président d’agir pour que l’avis de la CRE « reconnaisse pleinement l’utilité du nouveau métier et pour cela mettre fin aux entraves absurdes d’EDF visant à le tuer à peine né, lui faisant porter une taxe versée à EDF pour compenser les économies d’énergie réalisées ». Dans ce courrier, l’autorité et l’expertise économique de la CRE sont occultées pour faire de cette controverse un combat entre EDF et Voltalis (la CRE n’est citée que 3 fois tandis qu’ « EDF » apparait 19 fois). De même, l’argument écologique est mobilisé.

Pierre Bivas dénonce un lobbying attribué à EDF, qui « accentue sa pression sur la CRE pour qu’elle décide cette semaine même d’instaurer une taxe sur les économies d’énergie ». Il avance que l’effacement diffus permettra une réduction de « 30% des émissions de CO2 imputables à l’électricité ».

Quelques jours plus tard, le communiqué de presse concernant l’avis de la CRE possède un titre qui témoigne de la stratégie d’argumentation polémique : « Comment EDF a circonvenu la CRE en lui faisant adopter le point de vue des fournisseurs au détriment des consommateurs, donc préférer toujours plus de production, à une économie d’énergie et renforcer la position dominante d’EDF en France » (communiqué de presse publié en 2009).

A de nombreuses reprises, Voltalis se présente comme un entrepreneur innovateur freiné par les monopoles historiques. La décision de la CRE permettrait aux fournisseurs historiques de « préserver aussi longtemps que possible leur emprise dominante, et gagner le temps de mettre au point une solution concurrente directement inspirée de la nôtre (celle de Voltalis), puis à partir de cette emprise sur l’amont, s’étendre aux services aval compteurs, quitte à biaiser la concurrence ». Selon Voltalis, l’avis de la CRE relève d’une « corruption des esprits ». Sa stratégie est d’affaiblir la représentation donnée par la CRE du mécanisme d’ajustement pour conduire l’auditoire sur son propre raisonnement, construit autour de l’évidence selon laquelle, du point de vue de l’équilibre du réseau, production d’électricité et effacement sont des solutions équivalentes.

Voltalis mobilise aussi un argumentaire environnemental, en soulignant la cohérence avec le Grenelle de l’Environnement. Il s’aligne sur une représentation partagée selon laquelle l’effacement est assimilable à une action de réduction de la consommation, action qui a une valeur politique positive. Il déclare que ses installations permettent d’éviter à EDF d’avoir recours à des « centrales aux énergies fossiles, chères et polluantes ». Cet argumentaire environnemental, de même que la figure de l’innovateur contre le monopole historique et rapidement relayé par le parti Europe Écologie les Verts et par l’association Sortir du Nucléaire qui dénoncent un « racket organisé », une

« prime au gaspillage énergétique ».

Le raisonnement abstrait utilisé par la CRE pour expliciter le mécanisme d’ajustement offre à Voltalis de nombreuses prises qui lui permettent de la décrédibiliser. Ainsi, Voltalis déclare que la CRE « s’est placée du point de vue des fournisseurs, qui se plaignent du manque à gagner, et non du point de vue

5 Dossier de Presse de Voltalis de Juillet 2009, accessible sur son site internet.

(14)

9 des consommateurs qui bénéficient de l’économie d’énergie réalisée ». Le terme de « manque à gagner » comporte ici une certaine ambiguïté. Pour un lecteur qui n’a pas compris l’abstraction qu’est le marché d’ajustement, le « manque à gagner » concerne une électricité que les consommateurs n’auront pas consommée, et donc, qui n’aurait pas été produite. C’est ainsi que l’expression « manque à gagner » a été interprétée par Europe Écologie les Verts et l’association Sortir du Nucléaire qui s’insurgent : « cela signifie que, si un ensemble de clients d’EDF acceptent de réduire leur consommation, EDF exige d’être payé comme s’ils avaient consommé ! ». Or dans le contexte du marché d’ajustement, ce « manque à gagner » correspond à une électricité que le fournisseur s’est engagé à approvisionner, qu’il a effectivement produite et qui a été valorisée par l’agrégateur.

En utilisant ce type de simplification et d’évidence, Voltalis parvient à introduire le doute sur la CRE et sur les influences qu’elle aurait pu subir, en particulier de la part d’EDF. Il parvient à convaincre bon nombre d’auditeurs, des écologistes et des élus de tout bord, disposés à croire qu’EDF, compte tenu de sa position dominante, est en mesure de manipuler les instances de régulation et les expertises économiques. Ce discours est très fortement diffusé dans les médias et est particulièrement lisible dans l’espace médiatique et politique. Tout au long de l’été 2009, de nombreux médias relaient et commentent la décision de la CRE. On trouve pour chaque journal un nombre significatif d’articles : Le Monde (7 articles), Le Figaro (7), Le point (4), Libération (8), Le Nouvel Observateur (4), Les échos (3), L’usine nouvelle (6). On retrouve dans ces articles les termes employés par Voltalis dans ses déclarations. Voilà un exemple des quelques titres : « Pourquoi dédommager EDF ? » « Quand EDF combat les économies d'énergie », « Quand les «économies d’énergie» se heurtent au marché de l’électricité ».

Dans un entretien accordé à Libération, Pierre Bivas assure que le développement de l’activité de Voltalis pourrait « éviter la hausse des tarifs de 20 % que réclame Pierre Gadonneix, le patron d’EDF ».

Le débat politique sur la hausse des tarifs est souvent évoqué par les journalistes pour introduire le sujet. En se positionnant comme une alternative aux hausses des tarifs, Voltalis se présente comme au service du consommateur. EDF est érigée en ennemi commun des consommateurs et des entrepreneurs innovants comme Voltalis.

Mais le succès médiatique de l’argumentaire de Voltalis tient aussi au fait que l’entreprise incarne une ambition que personne ne conteste. Pour la majorité des politiques intéressés par les enjeux énergétique, la nécessité d’un développement de la modulation des consommations est devenue une évidence. C’est pour cela que cette entreprise, qui est la seule à porter une solution concrète, est particulièrement entendue. De plus, grâce à ce débat très médiatisé, sa légitimité dans l’espace politique est acquise : Pierre Bivas est régulièrement sollicité lors des débats parlementaires. Les soutiens de Jean Louis Borloo ou d’Europe Ecologie Les Verts ont donné à Voltalis une légitimité qu’elle ne possédait pas dans la sphère technique de la mise au point du mécanisme d’ajustement où l’expertise économique prévaut.

Le principal résultat de cette médiatisation et de cette politisation des débats est l’implication des acteurs politiques. Jean Louis Borloo alors ministre d'État, ministre de l'Écologie, de l'Énergie, du Développement et de l'Aménagement durables, dénonce le 22 juillet 2009, « l’existence d’obstacles juridiques et financiers au développement d’offres innovantes d’économies d’énergie ». Le ministre dit vouloir remédier à cette situation et annonce l'installation d'un groupe de travail qui devra « proposer les évolutions nécessaires au cadre légal », avec pour objectif prioritaire de « favoriser les économies d'énergie et dans le respect des intérêts de chacune des parties prenantes ».

Mais la difficulté que rencontrent RTE et la CRE tient à la nouveauté de ce concept. La CRE est le premier régulateur à avoir statué sur les conditions de l’intégration de l’effacement diffus dans un marché de l‘électricité. Ailleurs dans le monde, le débat n’est pas stabilisé. Il est particulièrement

(15)

10 intense aux Etats-Unis. La puissante commission de régulation de l’énergie américaine, la Federal Energy Regulation Commission, ou FERC, a apporté en 2010 un soutien aux partisans de l’effacement et de la réponse de la demande en statuant (Order 745 Demand Response Compensation in Organized Wholesale Energy Markets) que l’électricité effacée peut être valorisée sur les marchés spot avec la même valeur qu’une énergie produite, malgré l’opposition d’une partie de ses membres.

De l’avis des fournisseurs, de RTE et de la CRE, cette décision aurait été justifiée par la nécessité de développer cette politique jusqu’alors freinée par les pratiques commerciales des fournisseurs. La FERC est très soucieuse de développer la réponse de la demande car elle estime que l’absence d’élasticité de la demande vis-à-vis du prix de l’électricité rend possible les très fortes hausses des prix des producteurs (l’absence d’élasticité serait à l’origine de la crise californienne). Comme la FERC ne dispose pas des moyens de contraindre les États, responsables de la régulation du marché de détail, elle cherche à imposer l’intégration de la réponse de la demande dans le marché de gros et en des termes très incitatifs pour les agrégateurs d’effacement. Le coût de cette mesure pour les opérateurs de réseau sera compensé par le fait que le prix de l’électricité de pointe baissera avec le développement de l’effacement. Néanmoins, la FERC reconnait que cette mesure doit être réévaluée en fonction d’un « net benefit test », c’est-à-dire que cette mesure apporte toujours un bénéfice économique global supérieur à son absence. Elle prévoit donc une évaluation économique a posteriori pour décider du maintien ou non de cette mesure.

La décision de la FERC de valoriser l’effacement au même niveau que la production, crée une forte incertitude en France sur la régulation de l’effacement. Le fait que l’autorité équivalente, aux États- Unis, pays précurseur en matière de régulation de l’énergie, ait pris parti en faveur de l’équivalence entre effacement et production, contribue à affaiblir la crédibilité de la CRE. D’ailleurs, deux économistes réputés, universitaires et consultants, Jean-Marie Chevalier et Fabien Roques, publient le 20 mai 2010 dans le journal Les Échos, une tribune qui reprend le même raisonnement que Voltalis et que la FERC pour critiquer la décision de la CRE : « (…) le cadre réglementaire actuel ne permet pas le développement des effacements de la demande. Les entreprises qui proposent d'effacer la demande (au moyen de boîtiers intelligents) sont tenues de compenser les producteurs pour l'électricité que les effacements les ont empêchés de vendre. Ceci paraît contraire aux lois de fonctionnement des marchés, et brise la symétrie entre production et effacement de la demande. »

1.4. Le raisonnement technique soumis à l’épreuve juridique

Le 3 mai 2011, le Conseil d’Etat décide d’annuler la décision du 9 juillet 2009 de la CRE. Selon le Conseil d’Etat, la délibération de la CRE revêt un caractère impératif qui « détermine l'un des paramètres essentiels de l'équilibre économique du mécanisme d'effacement diffus. À ce titre elle doit être regardée comme faisant grief et susceptible de recours devant le juge de l'excès de pouvoir ». Il reconnait que RTE peut mettre en place une expérimentation concernant les effacements diffus sur le mécanisme d’ajustement. En revanche, il indique que « les modalités de cette expérimentation doivent respecter les principes généraux prévus par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 ». Or selon le Conseil d’État, aucun article n’indique qu’il est nécessaire de reverser le prix de l'énergie effacée au fournisseur qui l'a injectée. Le Conseil d’État a donc estimé que la CRE avait « méconnu la portée de ce texte législatif ». Le Conseil d’État conteste que « l’appréciation économique d’une offre puisse porter sur les effets indirects sur la collectivité dans son ensemble » en estimant qu’il revient au législateur, et non à la CRE, d’apprécier « les choix d’équité et de durabilité des systèmes ». Il rappelle à la CRE que « la loi doit être appliquée telle qu’elle est votée et non telle que le souhaiterait le régulateur. » Le Conseil d’État a estimé que la CRE avait ajouté un paramètre à la loi à savoir que

« pour que le système soit profitable pour tous à long terme, il faut que les fournisseurs d’énergie, qui apporte la matière première, à partir de laquelle les intermédiaires vont s’enrichir par le jeu entre ceux qui consomment peu et ceux qui consomment beaucoup, soient rémunérés ».

(16)

11 Le Conseil d’État ne conteste pas le raisonnement économique de la CRE. Mais il conteste à la CRE le droit d’établir de nouvelles obligations en s’appuyant sur un raisonnement économique. L’avis de la CRE a utilisé une représentation abstraite, une définition des échanges opérés sur ce marché, une définition de ce qui y est vendu et acheté (on y vend de l’électricité et non des contributions à l’équilibre), et donc une définition des échanges financiers entre les acteurs qui n’était pas dans la loi. La CRE s’est arrogé le droit de construire cette abstraction technique qui réorganise les responsabilités de chacun. Le rapporteur du Conseil d’État aurait évoqué le terme de « fiction » pour désigner ce détour abstrait.

Il est très difficile d’évaluer la portée de la controverse politique et si celle-ci a influencé la décision du Conseil d’État, qui s’est prononcé sur la base d’arguments juridiques et non techniques. Cette controverse et son retentissement politique ont contribué à relativiser le raisonnement technico- économique de la CRE et donc à reconsidérer cette décision technique comme une décision politique. Effectivement, le Conseil d’Etat a exprimé la nécessité d’organiser une audition de Voltalis et de la CRE ainsi que de plusieurs temoins comme l’économiste David Spectir ou l’ancien président de la CRE, Jean Syrota. Ces deux témoins, sollicités par Voltalis, ont avancé plusieurs arguments critiques vis-à-vis de la décision de la CRE : l’absence de prise en compte des économies d’énergie, le raisonnement tenu par la FERC…

Dès lors que le raisonnement de la CRE a été débattu et est devenu un raisonnement potentiellement contestable, le Conseil d’État a considéré que la CRE ne s’est pas contentée de décliner le droit sur un plan technique. D’autres raisonnements étaient possibles et donc d’autres valorisations de l’effacement. Pour clarifier le droit, la CRE se serait aventurée dans la production du droit. Cette décision s’inscrit aussi dans un contexte de rivalité entre la CRE et les parlementaires qui ont le sentiment que la CRE se fait le porte-parole d’une politique de la concurrence et d’un modèle de marché qui entrave sa politique énergétique.

La légitimité de la CRE sort affaiblie de cette décision. Le Conseil d’État lui refuse un rôle qui était pourtant attendu : mobiliser l’expertise économique pour concevoir les dispositions techniques d’organisation du marché. C’est aussi le cas de l’argumentation abstraite et du modèle de marché défendu par RTE et la CRE. La décision du Conseil d’État offre à Pierre Bivas une formidable ressource pour défendre ses arguments. Ainsi, dans plusieurs tribunes, il affirme que « Voltalis ne vole pas l’énergie destinée aux consommateurs » et que « Voltalis ne vend pas à RTE de l’énergie produite par d’autres ». Il explique que le versement de l’opérateur d’effacement au fournisseur est « économiquement absurde » car « il n’y a aucune raison pour que le revenu d’une entreprise soit indépendant de ce que ses clients achètent ou non ». Il détourne la notion de « surplus social » utilisée par le CRE pour justifier le versement auprès du fournisseur : « La loi n’impose pas de taxer l’ajustement diffus au nom de la notion de « surplus social » ».

1.5. La stabilisation de l’argumentation technique

Alors que la décision du Conseil d’État semble donner raison à Voltalis contre la CRE et RTE, les autres acteurs de l’effacement, qui interviennent auprès de clients industriels et qui sont probablement moins menacés dans leurs Business Models, se désolidarisent de Pierre Bivas et valident le raisonnement de la CRE. Ils s’accordent sur le fait que, du point de vue strict du bon fonctionnement du mécanisme d’ajustement, l’agrégateur doit rémunérer le fournisseur effacé.

La CRE fait appel à des économistes universitaires réputés dans le domaine de l’énergie : J. M.

Glachant, Y. Perrez, C. Crampes, T-O. Léautier, M. Rious. Ces chercheurs sont régulièrement sollicités par la Commission européenne ou par les régulateurs. Ils publient alors quelques articles de presse et quelques travaux scientifiques. Dans leurs travaux, il y a consensus autour de la rémunération du fournisseur effacé par l’agrégateur d’effacement.

(17)

12 Par ailleurs, la décision de la FERC est restée très violemment contestée par les fournisseurs d’électricité américains, ainsi que des économistes prestigieux comme W.W Hogan, professeur d’économie à Harvard, puis Richard J. Pierce, professeur de droit à la George Washington University.

Tous deux rappellent que la mise en équivalence des « négawatts » et des « mégawatts » doit rester purement métaphorique. Richard J. Pierce propose que la valeur de l’effacement soit égale à l’écart entre le prix de marché spot (« prix marginal » à un instant t) et le prix de vente de la fourniture au consommateur. Pour expliquer pourquoi, du point de vue de l’ensemble du système, un effacement n’a pas la même valeur qu’une activité de production, il prend une situation où le coût de production est supérieur à la valeur d’usage ce qui est le cas pour l’électricité lors des pointes. Un consommateur peut avoir intérêt à renoncer à consommer si sa valeur d’usage de l’électricité (qui peut être estimée comme équivalente au prix de la fourniture) est inférieure au coût pour la produire, qui est donné par le prix de marché. L’effacement devient donc intéressant quand le prix de marché est supérieur au prix de la fourniture plus le coût de gestion de l’effacement. Le coût de gestion de l’effacement doit donc être inférieur à l’écart entre le prix de marché et le prix de la fourniture pour qu’il soit utile au consommateur. Il est donc difficile d’imaginer que l’effacement puisse être valorisé au niveau du prix de marché sans que cela ne crée un déséquilibre économique, sans que cela n’entraine le développement d’une activité d’effacement qui n’aurait aucun intérêt économique.

RTE poursuit les discussions au sein d’un groupe de travail nommé CURTE (Comité des clients Utilisateurs de RTE). Le Conseil d’État ayant invalidé l’avis de la CRE, il faut trouver une nouvelle règle. Un groupe de travail propose l’extension du modèle contractuel, utilisé pour l’effacement des consommateurs industriels, dans lequel fournisseurs effacés et opérateur d’effacement détermineraient eux-mêmes et entre eux le montant de la compensation. Cette solution est d’ailleurs la solution privilégiée dans les autres pays européens.

Mais selon Voltalis, ce type d’arrangement n’est pas acceptable. La nécessité de contracter entre agrégateur et responsable d’équilibre placerait l’agrégateur dans une relation de dépendance économique totale vis-à-vis d’un fournisseur, qui pourra utiliser son pouvoir économique pour empêcher l’agrégateur de se développer. Pour anticiper une contestation de cette proposition, la CRE demande officiellement à l’Autorité de la Concurrence de se prononcer. La CRE souhaite savoir si le fait qu’un opérateur d’effacement ait besoin d’obtenir l’accord du fournisseur « peut soulever, dans son principe, une difficulté au regard de l’application des règles du droit de la concurrence et notamment du libre jeu de la concurrence au sein du mécanisme d’ajustement ? » Or, l’Autorité de la concurrence se prononce contre une telle règle qui serait selon elle contraire au droit de la concurrence6 : elle valide le raisonnement de Voltalis concernant la dépendance que cet arrangement introduirait des agrégateurs visi à vis des responsables d’équilibre.

Du fait de la décision de l’Autorité de la Concurrence, il n’y a plus d’obligation d’un accord entre agrégateurs et fournisseurs effacés. Ce qui permet à Voltalis de ne pas avoir besoin de rémunérer les fournisseurs effacés. À partir du mois août 2012, le Comité des clients utilisateurs de RTE prend note de la décision de l’Autorité de la concurrence et recherche un cadre expérimental alternatif. Ce cadre établit à nouveau la nécessité d’un versement régulé de la part de l’opérateur d’effacement vers le fournisseur du site effacé en l’absence de relation contractuelle entre ces acteurs.

Malgré quelques décisions défavorables, Pierre Bivas ne baisse pas les bras. Il est sollicité à l’Assemblée Nationale le Mardi 10 avril 2012 à l’occasion de la Commission d’enquête sur les coûts de l’électricité, présidée par le Député Ladislas Poniatowski. Il rencontre un écho positif auprès des députés, aucun ne conteste ses propos. La stratégie argumentative est toujours la même : elle

6 Autorité de la concurrence. (2012). Avis n° 12-A-19 du 26 juillet 2012 concernant l’effacement de consommation dans le secteur de l'électricité. Paris.

Références

Documents relatifs

Souvent présenté comme une nouvelle révolution énergétique et économique, l’usage des technologies numériques à l’échelle métropolitaine soulève aussi de nombreux enjeux en

Si elles sont perçues comme agressives, cela peut précipiter le ralliement d’Etats vers la Chine est donc contre les Etats-Unis, la Russie par exemple.. Lorsqu’un

Fidèle à sa tradition interdisciplinaire, le Centre Études internationales et Mondialisation de l’UQAM réunit, à l’occasion du premier anniversaire des attentats, l’ensemble

Les réorientations de la politique étrangère américaine Faculté de science politique et de droit - UQAM Titulaire intérimaire de la Chaire Raoul-Dandurand.

Mais si on ne donne que le signal fiscal, cela ne va rien changer, parce qu’il y a d’autres questions à traiter au niveau de la ville : il faut améliorer la qualité de l’espace

Jamais que par absence, mais il est fondamental, de la même manière que sur le plan local je suis un grand défenseur de ces APM, parce que c’est une bonne manière d’impliquer

Vice-directeur de la Direction du Développement de la Confédération (DDC), délégué à l’aide humanitaire et chef du Corps suisse d’aide humanitaire (CSA), Manuel Bessler dirige

Pour moi et certains d’entre nous, ce slogan de 68 symbolise nos engagements politiques et sociaux des années 60-70 (du Vietnam à l’UNEF, des idées autogestionnaires à