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Submitted on 13 Dec 2018
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Palestine. Le nationalisme, secret du religieux
Nicolas Dot-Pouillard
To cite this version:
Nicolas Dot-Pouillard. Palestine. Le nationalisme, secret du religieux. Olivier Da Lage. L’essor des
nationalismes religieux, Démopolis, pp.37-53, 2018. �halshs-01954077�
Palestine
Le nationalisme, secret du religieux
Nicolas Dot-Pouillard est Political Advisor au Center for Humanitarian Dialogue (HD), et chercheur associé à l’Institut français du Proche-Orient (Ifpo), à Beyrouth. Il est notamment l’auteur de Tunisie. La révolution et ses passés (Iremmo/L’Harmattan, 2013), De la théologie à la libération. Histoire du Jihad islamique palestinien (avec Wissam Alhaj et Eugénie Rébillard, La Découverte, 2014), et de La mosaïque éclatée.
Histoire du mouvement national palestinien. 1993-2016 (Éditions Acte sud et Institut des études palestiniennes, 2016). En novembre 2017, il a publié avec Marie Kortam une étude sur la jeunesse palestinienne au Liban pour le Norwegian People’s Aid (NPA) : Future Without Hope ? Palestinian Youth in Lebanon Between
Marginalization, Exploitation and Radicalization.
Nicolas Dot-Pouillard
En janvier 2006, le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) gagne les élections législatives palestiniennes – il avait boycotté un premier scrutin législatif dans les Territoires occupés (TO), dix ans plus tôt. Le Fatah du défunt président Yasser Arafat, décédé en novembre 2004, est depuis concurrencé par un mouvement islamiste idéologiquement proche des Frères musulmans 1 . Certes, en 2018, le Fatah tient encore les rênes de l’Autorité nationale palestinienne (ANP), embryon d’un futur et hypothétique État palestinien, en Cisjordanie. Mais le Hamas est fermement installé dans la bande de Gaza. A la coupure géographique de Territoires palestiniens qui n’ont pas de continuité territoriale est venue se superposer une division entre adversaires politiques. En mars 2005, le Hamas et le Fatah signent, au Caire, un accord de réconciliation promettant une réforme de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) : mais treize ans plus tard, l’antagonisme entre les deux mouvements est toujours de mise.
Cet antagonisme n’est pas réductible à une opposition entre des « laïcs » et des
« religieux ». Certes, la fondation du Hamas et du Mouvement du Jihad islamique en Palestine (MJIP 2 ) dans les années 1980 est contemporaine d’un moment historique où un « parler musulman 3 » s’est imposé au politique, sous les effets de la révolution
1 Les Frères musulmans, mouvement islamique transnational, ont été fondés en Égypte en 1928 par Hassan al-Banna (1906-1949).
2 Le Mouvement du Jihad islamique en Palestine (MJIP) est la seconde organisation islamiste palestinienne, derrière le Hamas. Sur l’histoire du MJIP, voir Wissam Alhaj, Nicolas Dot-Pouillard et Eugénie Rébillard, De la théologie à la libération. Histoire du Jihad islamique palestinien, Préface de Olivier Roy, La Découverte, Paris, 2013.
3 François Burgat, « Les mobilisations politiques à référent islamique », in Elizabeth Picard (Dir.), La
politique dans le monde arabe, Armand Colin, Paris, 2006.
iranienne de 1979, mais aussi des guerres d’Afghanistan. Il est aussi vrai que l’islam politique a pris à un moment le relais – en termes de radicalité du discours anti- impérialiste – de mouvements de gauche qui s’imposaient comme des forces incontournables au sein du mouvement national palestinien : le tiers-mondisme
révolutionnaire des années 1960 et 1970 était éloigné de toute dimension religieuse. À la suite de la défaite arabe de 1967 face à Israël, de jeunes Palestiniens se radicalisent à gauche. Le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) se réclame alors du marxisme-léninisme. Le Fatah s’inspire du modèle vietnamien de libération nationale.
D’islam, il est à une époque en apparence peu question.
Entre nationalisme et religion : des rapports complexes
Cependant, la montée progressive de courants islamistes au sein du mouvement national palestinien à partir des années 1980 ne se résume pas à un « tout religieux », et il faut se garder de toute vision linéaire de l’histoire : il n’est pas certain qu’un nationalisme religieux se soit simplement substitué dans le temps à un nationalisme séculier en Palestine, séparant le religieux du politique. Déjà, en décembre 1931, le Congrès musulman de Jérusalem réunit, autour du mufti palestinien Hajj Amin al- Husseini (1895-1974), de nombreuses personnalités politiques et religieuses du monde arabe afin de défendre le caractère islamique de la Palestine sous mandat britannique. Le fondateur du Parti populaire algérien (PPA), Messali Hadj (1898- 1974), ainsi que l’un des pères du nationalisme tunisien, fondateur du parti Destour, Abdel Aziz Thaalbi (1876-1944), participent à ce congrès. En octobre 1935, le Cheikh Ezzedine al-Qassam meurt sous les balles britanniques, non loin de la ville de Jénine : né en Syrie en 1871, ancien élève de la prestigieuse université d’al-Azhar, au Caire, il symbolise l’alliance à l’époque entre un nationalisme palestinien émergeant et les idées panislamiques.
Les concepts de nationalisme religieux et de nationalisme séculier – ou laïc – pour analyser l’histoire la plus contemporaine du mouvement national palestinien ne pourraient aboutir qu’à des impasses. Pour un mouvement comme le Fatah, qui n’est pas islamiste, l’islam demeure pourtant une référence centrale : dans un contexte d’occupation et de colonisation, l’islam demeure pour le Fatah une « ressource morale 4 », fondé sur un « sens commun éthico-politique et populaire 5 ». Si l’islam s’intègre si parfaitement au phrasé nationaliste du Fatah, c’est aussi que la religion est un « mécanisme de défense 6 » évident pour des populations soumises à l’occupation
4 Fabien Truong, Loyautés radicales. L’islam et les mauvais garçons de la nation, Editions La Découverte, Paris, 2017, p 21.
5 André Tosel, Le Marxisme du XXème siècle, Editions Syllepse, Paris, 2009, pp 128-138.
6 Matthieu Renault, « Damnations. Des usages de la religion chez Frantz Fanon », Revue Théorèmes.
Enjeux des approches empiriques de la religion, Association de la revue Théorèmes, 2013, en ligne :
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israélienne – ou à l’exil. Pour le Hamas, l’affaire est différente : inspiré de la doctrine des Frères musulmans, son horizon fondateur, moins que la libération de la Palestine, était à l’origine celui d’une pure société islamique. Avec le temps, le Hamas est devenu pragmatique : c’est le nationalisme qui est venu tempérer son islamisme. Si le Fatah témoigne d’un nationalisme islamisé, le Hamas témoigne d’un islamisme nationalisé. Le Mouvement du Jihad islamique en Palestine offre un troisième exemple quant à l’articulation entre nationalisme et religion en Palestine. Pour le MJIP, l’objectif d’un État islamique en Palestine semble secondaire. Son islam est à ce point nationalisé qu’il apparaît comme un moyen – moins qu’un but – en vue de la
« libération » d’un territoire : c’est un mouvement islamo-nationaliste.
Les trois cas étudiés – le Fatah, le Hamas et le Mouvement du Jihad islamique en Palestine – renvoient donc à des usages distincts du religieux et du politique en Palestine : le premier est un nationalisme islamisé, le second est un islamisme
nationalisé, le troisième est un islamo-nationalisme. Cependant, dans les trois cas, une question se pose : est-ce le religieux qui surdétermine le nationalisme, ou, au
contraire, est-ce le nationalisme qui surdétermine le religieux ? Le secret du
nationalisme palestinien est-il l’islam, ou, au contraire, le secret du religieux est-il le nationalisme ?
Le Fatah, ou le nationalisme islamisé
Le Fatah ne fut jamais un mouvement islamiste. Opposé au Hamas depuis l’année 1987 – date de la fondation du Mouvement de la résistance islamique – il réprime même violemment la formation islamiste au cours des années 1990. Le politique n’est pourtant pas binaire, et ne divise pas « laïcs » et « islamistes » : être opposé à un mouvement islamiste ne signifie en aucun cas n’avoir qu’un rapport d’étrangeté au fait religieux. L’ancien président palestinien, Yasser Arafat, se donna des origines hiérosolymitaines, et souhaita se faire enterrer à Jérusalem – les Israéliens s’y opposèrent en 2004. Sa volonté relève de l’évidence : Le Dôme du rocher, qui surplombe le troisième lieu saint de l’islam, a depuis longtemps intégré l’imaginaire national palestinien. Sous sa présidence, depuis janvier 1996, la symbolique de Jérusalem gagne en importance : la colonisation israélienne de sa partie arabe
s’accroît. En septembre 1996, les Israéliens percent un tunnel non loin des lieux saints musulmans : pour la première fois, en Cisjordanie, des policiers palestiniens
affrontent les forces armées israéliennes. La visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des
Mosquées en septembre 2000 renforce la symbolique d’une Jérusalem arabe et
islamique attaquée : la seconde Intifada est celle de Jérusalem – et Yasser Arafat la
soutient.
Les politiques islamiques du Fatah
Pour le Fatah, la question islamique est une problématique ancienne. Certains de ses membres fondateurs étaient proches des Frères musulmans : ainsi de Khalil al-Wazir (Abou Jihad), numéro deux de l’OLP, assassiné par les Israéliens en avril 1988 à Tunis. Dans les années 1950, de jeunes Frères musulmans palestiniens se détournent de la confrérie : la Palestine n’attend ni les États arabes, ni un utopique État islamique transnational, ni une islamisation de la société par le bas prônée par les Frères
musulmans. En 1979, le Fatah est fasciné par la révolution iranienne. Il n’adhère pas au dogme chiite, mais il voit dans le soulèvement iranien une occasion historique : Téhéran ferme son ambassade israélienne, et la donne à l’OLP. Yasser Arafat se rend à Téhéran le 17 février 1979. Il est accompagné par 59 délégués de l’OLP. L’Unité (al-Wahda), une publication proche d’une tendance maoïsante du Fatah, affiche l’image d’un Yasser Arafat prenant dans ses bras l’Ayatollah Khomeyni (1902-1989), et titre : « la rencontre des deux révolutions » (Liqa’ al-Tahwratein) 7 . Au début des années 1980, la même tendance maoïsante du Fatah se convertit à l’islam politique : sous les effets de la révolution iranienne, les jeunes gauchistes de la Brigade étudiante fondée en 1973 fondent les Brigades du Jihad islamique (Saja, Saraya al-Jihad al- islami). Organiquement membres du Fatah, elles collaborent avec Abou Jihad, et lancent de sévères attaques contre les troupes israéliennes dans les Territoires occupés dans la première moitié des années 1980 8 .
En août 1989, le Fatah réunit son cinquième congrès à Tunis. Les congressistes appellent à « l’établissement d’un État palestinien arabe et démocratique, dans lequel vivent musulmans, chrétiens et juifs avec des droits et obligations égaux ». La
perspective n’est pas celle d’un État islamique : mais la religion n’est pas évacuée d’un « combat pour la libération de la Palestine qui est une obligation arabe et religieuse 9 ». La Loi fondamentale palestinienne du 29 mai 2002 précise dans son article 4 que l’islam est « la religion officielle de la Palestine 10 ». Le respect de toutes les autres religions monothéistes est garanti. Les principes de la charia sont la
principale source du droit. À partir de septembre 2000, le Fatah entre de plain-pied dans la seconde Intifada. Sa rhétorique est tout autant nationaliste que religieuse. Sa branche armée, les Brigades des Martyrs d’al-Aqsa (BMA), ont un drapeau : il affiche le Dôme du rocher à Jérusalem, cerclé de deux kalachnikovs.
7 Al-Wahda. Sawt al-Mudafi ‘ in ‘an al-Watan wa-l-Muqawama (L’Unité. La voix des défenseurs de la patrie et de la résistance), numéro daté du 24 février 1979, archives personnelles de l’auteur.
8 Muin al-Taher, « Min Malamih al-Sumud fi-Lubnan ila I ‘ da al-Ta’assis fi-Filastin » ( Des
caractéristiques de la résistance au Liban à la refondation en Palestine), Entretien avec Elias Khoury et Michel Nawfel, Majalla al-Dirasat al-filistiniya (Revue d’études palestiniennes), N 94, Beyrouth, Printemps 2013.
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