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Submitted on 24 Feb 2021

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Andrea Bunzel. “ La Trilogie de Josèphe ” de Lion Feuchtwanger : Histoire et écriture romanesque.

Groupe de recherche Études germaniques et centre-européennes. Presses universitaires de la Méditer-

ranée, 312 p., 2007, 978-2-84269-750-1. �hal-03050112�

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La trilogie de Josèphe, de Lion Feuchtwanger

Histoire et écriture romanesque

Andrea B

UNZEL

Volume publié par le groupe de recherche Études germaniques et centre-européennes de l’Université Paul-Valéry de Montpellier



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Collection dirigée par

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Andrea B

La trilogie de Josèphe, de Lion Feuchtwanger.

Histoire et écriture romanesque

Bibliothèque d’études germaniques et centre-européennes, vol. VIII Montpellier,— ISBN---— ISSN-

Illustration de couverture : Friedrich Nerly (Erfurt-Venedig) Palazzo Contarini (Desdemonas Haus),

Aquarell, Pinsel in Sepia, Weißhöhungen, über Bleistift auf braünlichem Papier (auf Pappe aufgezogen)

bez. re. u. : Nerly f. V zia 

,cm

Angermuseum Erfurt (Deutschland), Inv. Nr

© Angermuseum Erfurt (Deutschland) Foto : Dirk Urban, Erfurt,

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Je remercie ici tous ceux qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à ce travail réalisé dans le cadre de l’équipe d’accueil (no ) : Études germa- niques et centre-européennes de l’Université Paul Valéry de Montpellier.

Ma reconnaissance va tout particulièrement à Monsieur Michel Vanoos- thuyse. Ses conseils, en tant que directeur de thèse, m’ont toujours été très précieux.

Merci également aux responsables de la Feuchtwanger Memorial Library (University of Southern California) qui m’ont permis de consulter sur place les journaux intimes de l’auteur, ainsi que d’autres documents non-édités.

Je tiens à préciser que ma thèse a été remaniée pour cette publicationet relue par MM. Michel Vanoosthuyse et François Schanen.

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Résumé/Abstract

Ayant été rédigée à la fois avant et pendant l’exil, la Trilogie de Josèphe constitue un maillon important pour l’étude du roman historique allemand de l’exil. Le premier tome, conçu comme une parabole, vise à mettre en garde les juifs allemands contre le sionisme radical, grâce à la mise en rapport de l’histoire des Juifs à l’époque de Flavius Josèphe avec leur situation dans la République de Weimar. L’argumentation de La guerre de Judée repose sur l’idée directrice que laRaison(au sens « humaniste » du terme) peut seule être garante d’une solution durable et pacifique de la question juive. Le deuxième tome, déjà rédigé en exil, révèle à quel point l’auteur est affecté par la dégra- dation du climat socio-politique en Allemagne. Le conflit central, qui oppose le nationalisme (pouvoir) au cosmopolitisme (esprit), n’est plus abordé de la même façon. Sans que l’auteur révise ses valeurs initiales, celles-ci sont relé- guées au rang d’un choix purement personnel, le deuxième tome ne poursui- vant plus d’objectif pédagogique. La question de l’utilisation de la violence contre la violence domine toutes les discussions (intradiégétiques), et trouve une réponse positive dans le troisième tome traitant (de nouveau par analo- gie) du régime totalitaire de l’empereur Domitien.

L’étude détaillée du système des personnages, de la structure temporelle et narrative du texte démontre que l’exil a influé de façon décisive, non seulement sur l’argumentation romanesque des deux tomes rédigés après, mais sur les techniques même d’écriture, voire de réécriture, employées par Lion Feucht- wanger.

Written both before and after Feuchtwanger’s exile, theJosephus Trilogyis an important link in the study of the German historical novel in exile. The first volume, written as a parable, was an attempt to warn German Jews against rad- ical Zionism by comparing the history of Jews at the time of Flavius Josephus with those under the Weimar Republic. The argument inThe Jewish Waris based on the dominant idea thatReason(in the Humanistic sense of the word)

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8 Résumé/Abstract

provides the only possible guarantee for a long-lasting peaceful solution to the Jewish question. The second volume, written in exile, reveals the extent to which the author had been affected by the deterioration in the socio-political climate in Germany. The key conflict, opposing nationalism (power) against cosmopolitanism (mind), is no longer dealt with in the same way. Not that the author has renounced his earlier values, but these are seen as a purely personal choice, the second volume no longer having an educational objective. The issue of the use of violence against violence dominates all the (intradiegetic) discus- sions and is given a positive response in the third volume dealing (once again by analogy) with Emperor Domitian’s totalitarian regime.

A detailed study of the relations between the characters, the temporal struc- ture and the textual narrative, reveals that Lion Feuchtwanger’s exile hadin- fluenced him decisively, not only in the reasoning behind the novel used in the two volumes published after, but in his actual writing and even rewriting.

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Tableau des abréviations

(I, ...) indique la citation d’un passage extrait du premier tome de laTrilogie:La guerre de Judée

(traduit par Jean-Claude Capèle), Fayard,. (II, ...) Lion Feuchtwanger,Les fils, Fayard,. (III, ...) Lion Feuchtwanger,Le jour viendra, Fayard,. (O I, ...) indique que la citation est extraite de l’original allemand

Der jüdische Krieg, AtV, Berlin,. (O II, ...) Die Söhne, AtV, Berlin,.

(O III, ...) Der Tag wird kommen, AtV, Berlin,.

C.O. Lion Feuchtwanger,Centum Opuscula (Eine Auswahl), Greifenverlag, Rudolstadt,.

J.I. Lion Feuchtwanger,Journal Intime,Special Collections, University of Southern California.

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Introduction

Leroman historique allemand de l’exilreprésente une unité spécifique, clas- sée, suivant l’angle de vue sous lequel se place l’analyse, tantôt dans le vaste champ du genre très controversé, le roman historique, tantôt dans le cadre de lalittérature allemande de l’exil. Pour paradoxal que cela puisse paraître, le roman historique allemand de l’exil, en tant que catégorie littéraire à part entière, doit, au tout début, sa propre existence au refus qu’il a suscité. Étant considéré très largement comme simple roman de consommation, dont le seul objectif est de divertir, le genre historique connut de violentes attaques au milieu des années trente. Il était inconcevable pour de nombreux critiques de l’époque que des auteurs d’un certain renom puissent se réfugier dans le passé alors que le présent exigeait de résister activement. En excluant clairement le roman historique de la littérature antifasciste militante, ce sont ses ennemis déclarés qui le considèrent, les premiers, comme constitutif d’un genre litté- raire particulier. À la même époque, et en parlant des mêmes ouvrages, Lukács introduit le terme de « roman historique de l’humanisme antifasciste ». Selon Lukács, ces créations littéraires annonceraient la fin du roman historique mar- qué par « la crise du réalisme bourgeois », la fin donc du roman « monumen- tal » qu’il avait qualifié de « décadent ». En effet, il lui reproche son manque de rapport au présent ainsi que son refus d’une reproduction « réaliste » de l’histoire. En revanche, Lukács reconnaît au roman historique des humanistes antifascistes un caractère protestataire, voire militant, qui assure cette liai- son entre le passé et le présent. Contrairement aux critiques allemands tels que Hiller, il lui accorde une certaine utilité dans le combat idéologique qui était à mener contre le fascisme. Cependant l’axiologie opposée qui ressort de ces deux prises de position différentes, nous importe peu. Ce n’est que la classification du roman historique des auteurs exilés, dans les années trente,

. Voir Kurt Hiller, « Zwischen den Dogmen », inDie neue Weltbühne, Jg., no,, p. .

. Voir Georges Lukács,Le roman historique, Paris,, p..

. Ibid., p..

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12 Introduction

comme nouveau genre littéraire, qui nous intéresse. L’appellation de « roman historique de l’humanisme antifasciste » chez Lukács est encore assez vaste et recouvre la création littéraire d’une « période transitoire » dans laquelle les auteurs auraient évolué de simples « intellectuels libéraux » en « démocrates révolutionnaires ». Bien qu’il renvoie de temps à autre à « l’émigration » de ces auteurs, il ne limite pas le corpus de son analyse aux seuls ouvrages écrits en exil. Ainsi, il regroupe, dans ce nouveau type de roman historique, le premier tome de laTrilogie de Josèphetout autant que le deuxième, seulement à des degrés différents d’évolution. Après la fin du IIIeReich, c’est l’appellation de

« roman historique allemand de l’exil » qui s’est imposée très largement, et ce, jusqu’à nos jours, souvent sans réajustement du corpus. Or, tandis que le pre- mier tome de laTrilogie,La guerre de Judée, peut être, au sens large, considéré comme un roman antifasciste, la simple date de sa rédaction, voire de sa paru- tion, l’exclut, sans équivoque, des romans d’exil. C’est cette imprécision, lar- gement répandue, dans la classification des ouvrages datant des années trente qui doit être, très certainement, tenue pour responsable de la négligence sur- prenante dont témoigne, depuis toujours, la critique littéraire à l’égard d’un roman clé tel que laTrilogie de Josèphe. En effet, il s’agit du seul roman histo- rique qui soit à la fois d’exil et d’avant l’exil, et qui devrait permettre, mieux que tout autre ouvrage, de découvrir les éventuelles spécificités du roman his- torique allemand de l’exil.

Il se dégage, somme toute, comme un malaise face à laTrilogie de Josèphe, et l’on rencontre fréquemment le phénomène très répandu qui consiste à passer sous silence ce que l’on craint de ne pouvoir expliquer.

Pendant longtemps, la critique allemande a négligé l’ensemble de la produc- tion littéraire de Feuchtwanger. Auteur à succès de son vivant, il a failli, par la suite, tomber dans l’oubli en RFA, tandis que la recherche est-allemande l’exploitait à des fins idéologiques, ne jugeant son œuvre qu’en fonction de sa seule aptitude à corroborer les thèses communistes. Le manque d’intérêt sus- cité par l’œuvre de Feuchtwanger, certes dû à ses prétendus liens avec le bloc soviétique, a été renforcé par des critiques souvent partiales et par là-même pré- judiciables à l’image de l’auteur. Tel est le cas du jugement émis dans un article de Marcel Reich-Ranicki, qui prétend ne concéder à l’œuvre de Feuchtwanger qu’une simple valeur de divertissement. En effet, concernant la réception de cet article par le public ouest-allemand, la notoriété du critique l’emporta visi- blement sur l’examen objectif d’une analyse par trop superficielle. Il semble- rait que les « concessions » que fit Feuchtwanger dans le souci de se rallier —

. Marcel Reich-Ranicki, « Lion Feuchtwanger oder Der Weltruhm des Emigranten », in Man- fred Durzak,Die deutsche Exilliteratur-, Stuttgart,, p.-.

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Introduction 13

« aussi » — au goût du grand public, ne lui ont pas été pardonnées par « les connaisseurs ».

Cependant, l’image de Feuchtwanger n’a pas été ternie exclusivement par la critique littéraire, la presse ouest-allemande en général ne lui était pas très favorable. Enencore, leDeutscher Anzeigerpublia un article qui témoigne d’une étonnante ignorance à l’égard de Feuchtwanger, le traitant, tout à la fois, de capitaliste endurci, de communiste convaincu et de belliciste irréfléchi.

C’est depuis une vingtaine d’années uniquement que l’on accorde à l’œuvre de Feuchtwanger la place qui lui revient au sein de la littérature du XXesiècle.

L’image de l’auteur a été « réhabilitée » à un tel point qu’aujourd’hui presque tous ses textes narratifs sont réédités en Allemagne, et qu’un certain nombre d’entre eux a été de nouveau traduit et publié en France. Contrairement à ce qu’avait craint Alfred Kantorowicz, à savoir que seulement les générations futures de l’an deux mille seraient à même d’apprécier l’œuvre de Feuchtwan- ger à sa juste valeur, la germanistique, notamment ouest-allemande, a com- mencé, ces dernières années, à combler ses lacunes. Cette tendance générale à la valorisation de l’œuvre feuchtwangérienne ne s’applique à laTrilogie de Josèpheque sous certaines réserves. De nombreuses études consacrent des cha- pitres plus ou moins longs à l’analyse de ce roman que Feuchtwanger lui-même semble avoir considéré comme son œuvre maîtresse; rares sont cependant les travaux qui se focalisent exclusivement sur laTrilogie, le plus récent remonte à. Arie Wolf, qui, dans son article « Lion Feuchtwanger et le judaïsme » exprime son profond regret face à ce hiatus dans la recherche, invoque comme cause la complexité de la matière, nécessitant des connaissances spécifiques dans des domaines aussi divers que la philosophie ancienne, l’histoire ou encore le judaïsme. L’appréhension de la richesse du sujet à traiter représente certainement l’un des vecteurs de la négligence dont témoigne la recherche à l’égard de la Trilogie. Mais nous serons amené à tenir pour responsable, en premier lieu, le manque de concordance idéologique qui se fait ressentir sur le plan intradiégétique entre les trois tomes ; cela a dû déconcerter plus d’un cri- tique. Il est très fréquent d’ailleurs que les tentatives d’analyse de laTrilogiese limitent vite à de simples résumés de son contenu, plus ou moins commentés.

. « Gültigen Anspruch auf dauernden Wert hat also nur, was die Massen bewegt und den Ken- ner ». Lion Feuchtwanger, « An meine Sowjetleser » (), inCentum Opuscula[C.O.], Rudol- stadt,, p..

. Anonyme, « “Dieser Krieg war unser Krieg” Lion Feuchtwangers Bekenntnis », inDeutscher Anzeiger,juillet, München.

. Lion Feuchtwanger,Briefwechsel mit Freunden.-, Bd.II, Berlin,, p..

. «Jahre später beginnt Lion Feuchtwanger seineJosephus-Trilogie. Es wird eines seiner besten Werke. Manche — er selbst gehört dazu — sagen sogar, es sei sein schönstes Buch ». Wil- helm von Sternburg,Lion Feuchtwanger. Ein deutsches Schriftstellerleben, Berlin,, p..

. Arie Wolf, « Lion Feuchtwanger und das Judentum », inLBI Bulletin,,, p./.

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14 Introduction

Une approche du contenu thématique du texte et des valeurs idéologiques sur lesquelles il est censé s’appuyer, ne suffit visiblement pas pour en saisir pleinement l’argumentation. Nous nous proposons donc d’étudier laTrilogie à partir des techniques d’écriture employés par Feuchtwanger afin de créer cette « illusion de réalité » qui lui permet de communiquer avec ses lecteurs.

Font partie intégrante des techniques d’écriture de laTrilogieles mécanismes de réécriture qui assurent le passage d’un type de discours (celui de l’historien) à un autre (celui du romancier).

L’aspect historique de laTrilogie, en terme de comparaison détaillée entre le roman et ses sources historiques, n’a jamais fait l’objet d’aucune étude. Une telle démarche a pu sembler superflue, au regard des idées théoriques expri- mées par Feuchtwanger à plusieurs reprises, et qui consistent à dire que l’his- toire n’a toujours été pour lui qu’un moyen de représenter les problèmes rela- tifs à son propre temps. Cependant, affirmer que le non-respect de l’histoire n’a pas d’importance concernant la qualité d’un ouvrage, ne veut pas dire qu’il est sans conséquences pour sa compréhension. À la simple lecture deLa guerre des Juifsde Flavius Josèphe, on pourrait être amené à croire que Feuchtwan- ger, du moins dans le premier tome, a tenté de reproduire fidèlement le che- minement de l’historien juif dans l’Antiquité judéo-romaine. En réalité, un monde sépare les deux ouvrages, et, telle la coupe de sardonyx dans les mains de Suger, lebellumde Flavius Josèphe, dans celles de Feuchtwanger, n’a déjà plus le même usage.

L’étude comparative entre un texte narratif et les textes historiques sur les- quels il repose, doit s’abstenir, bien entendu, de tout jugement de valeur ; cela peut ne pas toujours sembler évident, dans la mesure où le métadiscours lui- même a déjà bien souvent une connotation normative. En effet, lorsqu’on parle de « respect/non-respect » de l’histoire ou encore de « fidélité » aux faits référenciés, il s’agit incontestablement de termes qui, dans le langage habituel, ne sont pas neutres et impliquent un certain jugement de valeur. Pendant très longtemps, et ce dans la tradition de Lukács, il s’était installé un discours d’ordre normatif à l’égard du roman historique.

Lorsque cependant nous approchons le texte narratif en termes de commu- nication — communication entre l’auteur et le lecteur grâce à un « moyen rhé- torique » qui est le roman — le risque de porter un jugement dogmatique est réduit à néant. L’usage que fait l’auteur de l’histoire s’inscrit dans ce cas dans l’ensemble des techniques narratives qu’il met en œuvre afin de « programmer » son texte en vue d’assurer au lecteur une bonne compréhension de l’argumen-

. Lion Feuchtwanger, « Vom Sinn und Unsinn des historischen Romans », inInternationale Literatur,, p..

. Lukács,op. cit., p..

. Voir à ce sujet le chapitre « Le point de vue de l’esthétique normative » in Michel Vanoos- thuyse,Le roman historique. Mann, Brecht, Döblin, Puf, Paris,, p.-.

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Introduction 15

tation ainsi véhiculée. L’analyse de la manière d’utiliser des faits référenciés devient un critère d’études objectif et non tributaire de l’idéologie du critique.

Ce qui nous intéresse plus particulièrement, c’est de dégager lefonctionnement même de laTrilogie, c’est-à-dire d’analyser les mécanismes qui permettent à partir d’un simple projet d’ordre idéologique d’aboutir à une action roma- nesque concrète. Le roman sera donc considéré comme une « construction » intentionnelle ne pouvant obtenir un effet de vie que par la seule maîtrise de son « bâtisseur », des techniques, des matériaux et des outils qui sont à sa dis- position. Dans la mesure où l’utilisation, dans le roman, de faits historiques n’est qu’un outil parmi d’autres dont dispose l’auteur, tout autant que l’his- toire elle-même n’est qu’une partie du matériau au moyen duquel il bâtit son ouvrage, les mécanismes de réécriture ne seront pas, dans notre étude, traités séparément. Bien au contraire, ils le seront comme faisant partie intégrante des techniques de la construction romanesque en général.

L’analyse des techniques d’écriture ne viendra pas se substituer à celle, plus ancienne, qui tient compte avant tout du contenu de laTrilogieou des idéolo- gies sur lesquelles elle repose, mais elle se veut complémentaire de celle-là.

Notre objectif est non seulement de découvrir le fonctionnement de l’inter- action entre auteur et lecteur à travers le texte, mais de déceler son éventuelle modification au cours des trois tomes, rédigés sur une période de dix ans. Pou- vant être considérée, au sens large du terme, comme un ensemble thématique, la Trilogiene repose pas pour autant sur une unité de pensées homogènes.

Reste donc à étudier si la manière de communiquer avec le lecteur demeure identique dans les trois tomes, ou si l’exil a provoqué des répercussions jusque dans la forme.

LaTrilogierestant encore un ouvrage peu connu, voire souvent mésestimé, nous poursuivrons par une étude en deux temps. La première partie consis- tera davantage en une approche théorique du roman, qui devrait permettre de le resituer dans le contexte socio-politique, en permanente évolution, cor- respondant à l’époque de sa rédaction. Si l’on ne tient pas compte des tour- ments inhérents à la vie publique dans les années trente, l’argumentation roma- nesque dans les trois tomes ne pourra pas être pleinement perçue par le lec- teur. Le risque de faire valoir l’importance du récit historique proprement dit au détriment de l’aspect contemporain de la Trilogieaugmenterait nécessai- rement. Cependant, il s’avère que pour garantir une bonne compréhension de l’œuvre, la seule connaissance du contexte socio-politique dans lequel elle s’ins- crit n’est pas suffisante. Il est tout aussi indispensable de se référer à la vision du monde que l’auteur a au moment de la rédaction de chacun des trois tomes.

Elle peut être découverte grâce aux pensées idéologiques, voire philosophiques dont Feuchtwanger nous fait part dans de nombreux articles, et vérifiée grâce à la lecture d’autres ouvrages romanesques dont il est l’auteur — qu’ils soient historiques ou contemporains. Pour ce qui concerne plus particulièrement l’as-

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16 Introduction

pect historique de laTrilogie, nous tiendrons compte des écrits théoriques de Feuchtwanger. L’intérêt que porte l’auteur au genre historique, en tant qu’ins- trument argumentatif bien spécifique, remonte aux débuts de sa carrière litté- raire et reste inchangé jusqu’en, année de sa mort. Nous nous proposons donc d’étudier l’œuvre de Feuchtwanger en nous appuyant sur les différents critères idéologiques et théoriques émis par l’auteur lui-même. Pendant trop longtemps, ses romans historiques et en particulier saTrilogie de Josèpheont été jaugés au travers de valeurs qu’il ne partageait pas.

Une fois que sera reconstitué le cadre politique et théorique dans lequel s’ins- crit laTrilogie, nous consacrerons la seconde partie de notre travail à l’étude proprement dite du texte. L’analyse portera sur trois aspects majeurs, inter- venant d’une manière ou d’une autre dans la construction de chaque roman.

Sera étudié en premier lieu le fonctionnement dusystème des personnagesmis en place dans laTrilogie, et, dans un deuxième temps, lastructure temporelle du récit romanesque sous ses différents aspects, qui sont « la durée », « l’ordre » et « la fréquence ». Le dernier chapitre sera consacré aux questions qui relèvent plus particulièrement du domaine dela narration.

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Bilan de la recherche existante

Comme nous venons de le mentionner, il n’y a eu que trois études por- tant sur laTrilogie de Josèphe, voire seulement deux, si l’on tient compte du fait que Dieter Faulseit, dans sa thèse, traite parallèlement de laWartesaal- Trilogie. Cependant, la recherche s’est enrichie d’un certain nombre de travaux, incluant des parties plus ou moins longues qui traitent d’aspects bien délimités de laTrilogie.

Nous pouvons attribuer à Werner Jahn le mérite d’avoir été le premier à reconnaître la place qui revient à laTrilogie de Josèpheau sein de la littérature dite d’exil. En, du vivant de Feuchtwanger, leGreifenverlagde Rudolstadt inaugure, avec l’analyse de Jahn, sa nouvelle collection consacrée à la critique littéraire. Cette analyse porte spécialement sur les particularités de la concep- tion de l’histoire que Feuchtwanger fait sienne dans laTrilogie. Son analyse, souvent qualifiée de vulgarisatrice, ne doit pas être approchée par des critères scientifiques proprement dits. Dans la mesure cependant où, en tant que pre- mière étude sur ce sujet, elle a nécessairement influé sur celles qui suivirent, il nous paraît indispensable de porter notre attention sur les problèmes cruciaux qui émergent de ce travail.

Dans ses grandes lignes, la critique de Jahn correspond très étroitement à celle qu’avait formulée Lukács à l’égard du roman en question. Jahn confirme que le « défaut central » de laTrilogieréside dans le fait « que le peuple n’y est toujours qu’un objet et non pas un sujet agissant, ou le protagoniste».

C’est ce regard partial sur laTrilogiequi empêche Jahn de l’interpréter dans le contexte socio-politique des années trente. D’un côté, il surestime l’impor- tance des événements historiques proprement dits, en félicitant Feuchtwanger d’avoir donné une image fidèle des conditions de vie dans l’Antiquité romaine.

De l’autre, il découvre que la Trilogiea une actualité étonnante ; il la consi-

. Werner Jahn,Die Geschichtsauffassung Lion Feuchtwangers in seiner Josephus-Trilogie, Grei- fenverlag, Rudolstadt,.

. Jahn,op. cit., p..

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18 Bilan de la recherche existante

dère comme un appel lancé aux nations libres des années cinquante, pour réaliser un monde cosmopolite (dans les limites, bien entendu, qu’autorise la sphère d’influence du bloc soviétique). Ignorant totalement l’évolution de la situation politique en Allemagne entre la rédaction des différents tomes, Jahn approche laTrilogieen tant qu’unité thématique et idéologique. La seule dif- férence qu’il fait observer entre les trois tomes se rapporte à la valorisation de l’aspect économique, déjà relevée par Lukács, dans les deuxième et troisième tomes. L’étude de Jahn aboutit, elle aussi, à la conclusion lukácsienne, à savoir que Feuchtwanger était sur la bonne voie, celle qui repose sur le matérialisme historique, mais qu’il n’avait pas encore tiré les conséquences nécessaires pour trouver une vision du monde cohérente.

En ce qui concerne la thèse de Dieter Faulseit, consacrée à la représenta- tion des personnages dans laTrilogie de Josèpheet laTrilogie de la Salle d’at- tente, le projet et la réalité ne se recoupent pas. Faulseit se propose d’enrichir les interprétations du seul contenu des ouvrages en question par une analyse du style ; et ce, en partant de l’hypothèse que la forme d’une œuvre littéraire est nécessairement tributaire de la vision du monde à laquelle adhère son auteur.

Faulseit justifie le choix de son corpus par la similitude du contexte politique lors de la rédaction des deux trilogies, l’une contemporaine, l’autre historique.

Mis à part l’exposition proprement dite d’un grand nombre d’éléments stylis- tiques, Faulseit ne traite en rien les questions soulevées. Aucun parallèle n’est établi entre les deux trilogies, elles ne restent, tout au contraire, que juxtapo- sées. Aucune étude n’est faite avec l’objectif de dégager les éventuelles modifi- cations d’ordre formel qui auraient pu survenir entre les différents tomes de chacune des trilogies. Pour Faulseit, le monde des idées est strictement bipar- tite. Il se divise en marxiste et non-marxiste. Feuchtwanger faisant partie de cette dernière catégorie, Faulseit ne prend même pas le soin d’exposer la vision du monde de l’auteur exilé, laquelle est censée se refléter dans le choix des tech- niques d’écriture employées. Cette partialité est d’autant plus déplorable que Faulseit dégage malgré tout un grand nombre d’éléments particulièrement ins- tructifs, dans le cadre d’une approche technique, des romans feuchtwangériens.

La thèse de Ruth Rindfleisch qui date deconfirme, elle aussi, toutes les inquiétudes que la lecture du sous-titre idéologiquement très marqué peut nous donner : « Gestaltungsprobleme und Entwicklungstendenzen beim lite- rarischen Erfassen der Held-Volk-Beziehung im Roman mit vergangenheits- geschichtlichem Stoffdes deutschen bürgerlichen Realismus von/bis

». Ruth Rindfleisch a étudié laTrilogiedans le contexte socio-politique très bouleversé des années vingt à quarante, ce qui lui a permis de démontrer l’évolution que connaît l’argumentation romanesque dans les trois tomes. Elle

. Ibid., p..

. Dieter Faulseit,Die Darstellung der Figuren (spez. Figurentechnik) in den beiden Romantrilo- gien Lion Feuchtwangers (« Wartesaal-Trilogie » und « Josephus-Trilogie »), Diss., Leipzig,.

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Bilan de la recherche existante 19

n’approche pas le texte de façon isolée, mais l’intègre dans une suite chrono- logique, respectant son positionnement au sein de l’ensemble des ouvrages et des écrits théoriques de Feuchtwanger qui datent de la même époque. En ren- voyant à la production littéraire d’autres auteurs exilés, notamment Heinrich et Thomas Mann ainsi que Bertolt Brecht, elle ouvre le débat sur les ressem- blances et les dissemblances qui existent dans l’approche du combat commun mené contre le fascisme.

Malheureusement, Ruth Rindfleisch se contente d’appliquer dans son éva- luation les valeurs normatives du réalisme socialiste. Elle part de l’idée que le seul objectif vers lequel doit tendre un ouvrage antifasciste est de représenter la lutte des classes, et par là-même de souligner l’importance des effets qu’ont exercés les masses populaires sur le cours de l’histoire. Ainsi, la façon dont est traitéela relation entre le héros et le peupledevient le critère permettant de déterminer la « teneur » en réalisme de chaque roman. Il va sans dire qu’une vision aussi unilatérale débouche indubitablement sur des sur-interprétations, voire sur des erreurs d’interprétation.

La thèse d’Elke Nyssen, qui a été soutenue en , puis publiée quatre ans plus tard, ne présente pas d’intérêt majeur pour ce qui concerne laTrilogie.

Dans le cadre de son travail, Elke Nyssen ne consacre d’ailleurs qu’une dizaine de pages à l’étude de ce roman, et se fie très largement aux résultats obtenus par la recherche est-allemande. En attendant, Elke Nyssen soulève quelques questions qui jusqu’ici avaient été négligées. Pour ne citer qu’un exemple : elle se demande si le point de vue qu’avait adopté Feuchtwanger face à l’usage de la violence reste inchangé au cours des trois tomes, et elle y répond par la négative.

Pour ce qui est de la thèse de Holger Zerrahn, il est particulièrement éton- nant qu’un critique des années quatre-vingt puisse recourir aux résultats osten- siblement partiaux de la recherche est-allemande. Ainsi Zerrahn persiste à reprocher à Feuchtwanger de surévaluer, dans saTrilogie, l’importance de l’in- dividu au détriment du peuple, et de ne pas représenter de façon adéquate la situation politique et sociale dans l’Antiquité romaine. C’est vraisemblable- ment à cause de cette adhésion aux thèses de la recherche est-allemande, qu’il considère le chef de l’insurrection paysanne, Jean de Gischala, comme étant le personnage principal des deuxième et troisième tomes. Zerrahn reconnaît que le premier tome revêt un certain aspect contemporain, mais il le découvre là où il n’est visiblement pas. En effet, Zerrahn réduit l’argumentation du pre-

. Elle partage la maxime de Josef Pischel, à savoir : « Das Verhältnis zur Sowjetunion wird zum Prüfstein für die antifaschistische Konsequenz der emigrierten bürgerlichen Intellektuellen ».

Ruth Rindfleisch, p..

. Elke Nyssen,Geschichtsbewusstsein und Emigration. Der historische Roman der deutschen Antifaschisten-, München,.

. Holger Zerrahn,Exilerfahrung und Faschismusbild in Lion Feuchtwangers Romanwerk zwi- schenund, Bern,.

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20 Bilan de la recherche existante

mier tome à une simple représentation critique du fascisme en Allemagne et sous-estime très largement la composante juive du roman. Pour finir, notons que Zerrahn méconnaît la conception que Feuchtwanger a de l’art et du devoir de l’artiste, en lui prêtant un caractère élitiste, qui refuserait d’attribuer à l’art une quelconque fonction sociale.

En , Klaus Ulrich Werner apporte une contribution précieuse à la recherche dans le domaine de la littérature d’exil. Il tente de découvrir, à travers trois ouvrages différents — dont laTrilogie de Josèphe— les thèmes romanesques spécifiques de l’exil. Pour ce qui concerne laTrilogie, Werner se propose d’analyser les éventuelles modifications que la problématique centrale (à savoir le conflit opposant nationalisme et cosmopolitisme) aurait pu subir, en raison de l’émigration forcée de son auteur. Le simple fait que laTrilogie figure parmi les romans sélectionnés par Werner, témoigne de sa grande sen- sibilité face à la position privilégiée de ce texte au sein de la création littéraire de l’exil. L’étude de laTrilogieque Werner nous propose excelle par la perspi- cacité et l’objectivité de son interprétation tout autant que par la clarté de sa structure, et représente par là-même un maillon important de la recherche sur cet ouvrage. Werner tient compte également de la spécificité du roman, due à son appartenance au genre historique. Il énumère les sources essentielles dont s’est inspiré Feuchtwanger afin de créer son univers romanesque, et dévoile, dans leurs grandes lignes, les similitudes, ainsi que les différences entre les deux personnages de Josèphe, l’historique et le romanesque. Werner limite pres- qu’exclusivement sa comparaison entre les textes historiques et le récit fictif au simple dénombrement des divergences relevées, et à la biographie du seul per- sonnage de Josèphe : ce fait est certainement dû au cadre restreint de l’étude qu’il peut consacrer à laTrilogieau sein de son travail. C’est peut-être la restric- tion du champ de l’étude de laTrilogieà son seul contenu qui peut être tenue pour responsable des conclusions parfois erronées que Werner tire de ses ana- lyses. En effet, il sous-estime le caractère contemporain du premier tome, ce qui l’amène, dans les deuxième et troisième tomes, à prendre pour trait spécifique de l’exil ce qui est une technique d’écriture employée par Feuchtwanger tout au long des trois tomes. Werner met en doute la validité des écrits théoriques de Feuchtwanger, pour ce qui concerne le roman historique. Considérant que l’aspect contemporain des romans historiques de Feuchtwanger reste minime, il qualifie de simple défense le discours que l’auteur prononça en  afin d’expliquer l’objectif qu’il poursuit avec le genre historique.

En, Stefan Dreyerprocède à une classification périodique des romans de Lion Feuchtwanger entreet; dans ce cadre, il consacre une étude

. Klaus Ulrich Werner,Dichter-Exil und Dichter-Roman. Studien zur verdeckten Exilthematik in der deutschen Exilliteratur-, Frankfurt/M,.

. Stefan Dreyer,Schriftstellerrollen und Schreibmodelle im Exil. Zur Periodisierung von Lion Feuchtwangers Romanwerk-, Frankfurt/M., Bern u.a.,.

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Bilan de la recherche existante 21

spécifique à chacun des trois tomes de laTrilogie de Josèphe. Ce travail permet de situer davantage les différents tomes dans le temps, voire de déterminer la place qui leur revient à l’intérieur de l’œuvre feuchtwangérienne, en les inscri- vant dans une continuité créatrice. Dreyer s’intéresse plus particulièrement à la représentation de la problématique très spécifique de l’artiste dans la société de l’époque, et par là-même aux procédés de mise en abyme qui peuvent être décelés dans les différents ouvrages. Il tient compte également de l’accueil des romans en question par la presse de l’émigration, ce qui n’avait jamais été fait auparavant de manière aussi systématique. L’aspect problématique de l’ana- lyse de Dreyer vient du fait qu’il considère laTrilogie, dans toutes ses impli- cations, comme un ensemble. Dreyer succombe, lui aussi, à la tentation trop simpliste de vouloir découvrir avant tout une représentationstricto sensudu national-socialisme allemand dans le premier tome. Lui aussi reste persuadé que Feuchtwanger avait souhaité créer une analogie entre le nationalisme des juifs dans le roman et celui des Allemands dans les années trente. Si l’analyse de Dreyer n’apprécie pas à sa juste valeur l’argumentation romanesque du pre- mier tome, elle honore davantage celle des deux tomes suivants. En effet, il est le premier à concéder une valeur argumentative à la représentation du schisme dans le deuxième tome, laquelle jusque-là avait été considérée dans sa seule dimension historique et sociale. Il relève également, dans le deuxième tome, les premiers indices d’une évolution vers une individualisation de la probléma- tique romanesque, jusqu’ici passée sous silence.

Avant de clore ce bilan, nous aimerions faire observer l’existence de deux excellentes études qui tiennent compte tout particulièrement de l’aspect « juif » de l’œuvre de Feuchtwanger. La première en date, celle d’Arie Wolf, consacre intégralement sa seconde partie à l’analyse de laTrilogie de Josèphe, toujours d’un point de vue judaïque. La deuxième est de Doris Rothmund, et esquisse parfaitement bien le contexte socio-politique et idéologique de la création feuchtwangérienne, en mettant l’accent, entre autres, sur l’existence de l’auteur en tant que juif allemand.

. Le problème s’affiche déjà dans le titre du travail qui annonce une analyse des ouvrages à partir de, alors queLa guerre de Judéedate d’avant.

. Arie Wolf, « Lion Feuchtwanger und das Judentum », inBulletin des Leo-Baeck-Instituts, Jerusalem,.

. Doris Rothmund,Lion Feuchtwanger und Frankreich. Exilerfahrung und deutsch-jüdisches Selbstverständnis, Frankfurt/M.,.

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Première partie

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L’histoire de l’œuvre

Lion Feuchtwanger, né enà Munich, est le fils aîné d’une famille juive orthodoxe. Adolescent, il découvre dans la riche bibliothèque de son père les écrits de l’historien juif Flavius Josèphe qui vécut aux environs des années

àaprès J.-C. Dans son ouvrageLa guerre des Juifs, rédigé entreet, Flavius Josèphe décrit la révolte des Juifs contre leurs occupants romains. Le premier tome de laTrilogiede Feuchtwanger sera inspiré directement de cet ouvrage.

Lors de son voyage de noces, qui, en, l’amena à Rome, Feuchtwan- ger visita l’Arc de Triomphe de Titus. Les deux bas reliefs ornant les murs intérieurs représentent des scènes de la destruction de Jérusalem, au premier siècle de l’ère chrétienne. Feuchtwanger décide alors d’étudier la vie de Flavius Josèphe qui joua un rôle prépondérant dans le conflit opposant les Juifs aux Romains et qui a dû passer sous l’Arc. Le projet d’écrire un roman au sujet de l’historiographe « ambigu » remonte à cette époque. Cependant, ce ne sera que dix-huit ans plus tard, en, que Feuchtwanger fera de ce personnage de l’Antiquité le « héros » de saTrilogie. Pour lui, Flavius Josèphe incarnait pleinement, à cette époque, le sentiment conflictuel opposant le nationalisme (juif) au cosmopolitisme (romain/allemand). Comme nous le verrons dans le prochain chapitre, qui traitera de son écrit « Nationalisme et judaïsme », Feuchtwanger privilégie le principe de la « raison » à toute autre forme de réaction, face aux problèmes que rencontrent ses coreligionnaires au moment de la République de Weimar.

La rédaction du premier tome prit environ dix-sept mois (de janvier

à juin ). Le roman fut édité, en , chez Propyläen à Berlin et sor- tit simultanément dans un certain nombre de langues étrangères. La guerre de Judéeeut un succès immédiat et l’accueil par la presse internationale fut généralement favorable. Cependant, il semblerait que l’essence même de l’ar- gumentation romanesque n’ait été véritablement saisi que par très peu de cri- tiques. Pour la majorité d’entre eux, notamment pour la critique anglophone,

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26 L’histoire de l’œuvre

le roman se résume à une représentation captivante de l’histoire judéo-romaine.

Le seul rapport à l’actualité que l’on concède à ce roman historique se résume souvent à la constatation que Feuchtwanger a utilisé un langage moderne, au travers duquel il aurait réussi à nous faire ressentir les événements de l’Anti- quité comme s’ils étaient contemporains.

Sans vouloir retracer tout l’historique de la réception du roman — ceci ayant déjà été fait, de façon très détaillée, par Stefan Dreyer — nous aime- rions toutefois faire remarquer que parmi les critiques qui ont reconnu le carac- tère contemporain de l’œuvre, nous pouvons rencontrer les interprétations les plus scabreuses, les plus contradictoires. Tantôt, « l’insigne des Maccabées » apparaît comme l’équivalent de la croix gammée, tantôt comme recueil de paroles antisémites. Le seul critique qui semble avoir véritablement saisi la portée de l’argumentation romanesque est Gustav Krojanker. Bien que, en tant que sioniste et résidant en Palestine, il n’approuve pas, personnellement, la solution que Feuchtwanger propose aux problèmes juifs, il apprécie (dans un article particulièrement long et détaillé) le roman à sa juste valeur.

Par crainte de représailles, le Propyläen-Verlag cesse, en mars, d’éditer et de commercialiserLa guerre de Judée. Comme Feuchtwanger avait publié, à cette époque, un certain nombre d’articles dans la presse étrangère, qui dénon- çaient les machinations des nazis, il fut l’une des cibles favorites de la « nou- velle presse allemande ». C’est par tous les moyens que l’on a essayé, à partir de mars, de discréditer sa réputation. Aux articles qui se limitent à démentir les accusations que l’auteur avait formulées à l’égard de l’Allemagne, s’ajoutent toutes sortes de diffamations, traitant Feuchtwanger de menteur cupide et d’in- grat envers son pays d’origine.

Lemai, La guerre de Judée, comme beaucoup d’autres livres, fut victime des flammes. Trois jours plus tard, la commercialisation des romans de Feuchtwanger et de ceux de onze autres écrivains, « qui nuisaient à la répu- tation de l’Allemagne », fut officiellement interdite.

Lemai, la fameuse « liste noire » atteignit également les bibliothèques publiques. Tandis que, pour la plupart des écrivains mis à l’index, le retrait de leurs ouvrages était remis au bon jugement du bibliothécaire, les écrits de douze auteurs devaient être extirpés sans condition — dont ceux de Feucht- wanger.

. Stefan Dreyer,Schriftstellerrollen und Schreibmodelle im Exil,op. cit., p.-.

. « Das Hakenkreuz erscheint in Palästina als “Zeichen des Makkabi”. Wie in München das B.H. (Braune Haus) war damals in Jerusalem die “Blaue Halle” Zentrale. » Rudolf Frank, « Der jüdische Krieg », inDie Literatur,, H., p./. cité d’après Dreyer, p..

. « ... [eine] Fundgrube für alle, die Zitate gegen das Judentum suchen ». Colin Ross, « “Der jüdische Krieg”. Zum neuen Buche Feuchtwangers », inNeue Züricher Zeitung,//, Blatt

. cité d’après Dreyer, p..

. Gustav Krojanker, « Vom Weltbürgertum. Zu Feuchtwangers Roman “Der jüdische Krieg” », inJüdische Rundschau,//, no, p..

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L’histoire de l’œuvre 27

Mais, pour autant,La guerre de Judéene reste pas non éditée. En juin

déjà, Feuchtwanger note dans son journal intime qu’il a reçu les premières épreuves de la nouvelle édition allemande, probablement de Querido à Amster- dam.

La guerre de Judée avait été conçue, dès le départ, comme première par- tie d’un roman qui devait comprendre deux tomes. Ce n’est qu’enque Feuchtwanger décide d’en faire une trilogie. Il explique cette décision comme suit :

À l’origine, le roman Flavius Josèphe ne devait comprendre que deux parties.

En, lorsque je publiai la première partie, le deuxième et dernier tome était entièrement conçu et en grande partie rédigé.

Mais en mars, les nazis ont pillé ma maison à Berlin et détruit le manuscrit de ce second tome, de même que toute la documentation qui s’y trouvait.

Il m’apparut très vite qu’il était impossible de restituer le manuscrit perdu dans sa forme originelle. Cette expérience m’avait fait découvrir bien des aspects nou- veaux quant au sujet traité dansFlavius Josèphe— le nationalisme et le cosmo- politisme : l’ancien cadre du roman avait volé en éclats et je fus donc contraint de le traiter en trois tomes. (II,)

Bien que ces explications, qui figurent à la fin du deuxième tome, proviennent de l’auteur lui-même et qu’elles n’aient, à ce jour, jamais été contestées, nous avons des raisons légitimes de supposer que ce deuxième tome originel n’a jamais existé, si ce n’est sous une forme très rudimentaire. Qu’est-ce qui nous amène à contredire une information si formellement attestée ? C’est l’auteur lui-même qui, dans ses journaux intimes, l’infirme implicitement. En effet, pour chacun de ses écrits, Feuchtwanger avait noté, au jour le jour, l’état de son avancement. Prenons au hasard des extraits de son journal intime de:

avril: Correction du quatrième livre du « Josèphe ».

avril: Le quatrième livre « Alexandrie » définitivement bon à tirer.

avril: Travaillé moyennement. L’incendie du Temple.

avril: Terminé complètement le sommaire du dernier livre.

La rédaction de chacun de ses ouvrages est commentée de cette façon très détaillée. Il en est de même pour ses projets littéraires. Le seul livre qui n’est jamais mentionné, est le deuxième tome initial du « Josèphe ». Dans les mois qui lui restaient entre la fin de la rédaction du premier tome (en été ) et son voyage aux États-Unis (de décembre à mars ), d’où il fut

. J.I.,Special Collections, University of Southern California.

. Les inscriptions relatives aux jours que nous avons élidés (entre leet leavril, ainsi qu’entre leet leavril), mentionnent elles aussi le travail au roman. C’est seulement parce que Feuchtwanger se limite à noter : « Josèphe » ou « Un peu de Josèphe » que nous n’avons pas jugé nécessaire de les reproduire ici.

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28 L’histoire de l’œuvre

obligé de partir directement en exil, Feuchtwanger mentionne seulement un article qu’il était en train de rédiger: « Sens et non-sens du nationalisme ».

L’article est probablement identique à celui qu’il intitulera « Judaïsme et natio- nalisme ». Nous supposons que Feuchtwanger avait esquissé le plan de son deuxièmeJosèpheen même temps que celui du premier tome et qu’il avait ras- semblé, peut-être même étudié, le matériau historique nécessaire. Il est cepen- dant invraisemblable qu’il ait commencé à l’écrire. La perte de ces ébauches a dû être à tel point douloureuse pour l’auteur que, rétrospectivement, le tra- vail investi a dû lui sembler plus important qu’il n’avait été dans la réalité.

L’existence du manuscrit achevé et détruit par les nazis (laquelle est attestée par tous les travaux sur Feuchtwanger), n’est donc vraisemblablement qu’un mythe ; mythe nourri par l’auteur (comme par sa femme) pour des raisons personnelles ou (pourquoi pas ?) commerciales.

Ce n’est qu’en maique Feuchtwanger se consacre de nouveau à son projet d’écrire une suite à son romanLa guerre de Judée. Lejuin, il décide d’en faire deux tomes. Un an et demi plus tard, leaoût, il envoie les dernières corrections à son éditeur, le Querido Verlag. Le roman sort la même année sous le titre « Les fils » (« Die Söhne »). L’accueil de ce tome par la presse fut également favorable, mais la vente, du moins de l’édition allemande, n’arrivait pas à satisfaire son auteur. Les deux phénomènes, c’est-à-dire les bonnes critiques comme la mauvaise vente, s’expliquent par la situation d’exil.

En, de nombreux livres d’auteurs émigrés avaient déjà vu le jour, et l’in- térêt que pouvait susciter l’apparition d’un nouveau roman, notamment histo- rique, n’était plus le même qu’en.

Pour ce qui est des critiques, il n’est pas étonnant qu’elle restent très modé- rées, vu qu’elles paraissent essentiellement dans la presse de l’émigration et qu’elles proviennent souvent de la plume de collègues écrivains (Zweig, Mar- cuse, Weiskopf).

Dreyer résume, à juste titre, la tendance générale de toutes ces critiques à deux idées principales. Premièrement, c’est le caractère problématique du genre historique qui est évoqué dans la plupart des articles. Deuxièmement, presque chacune des critiques atteste, dans le deuxième tome, un rapport direct à la situation politique de l’époque, sans pour autant expliciter lequel. Dreyer explique ce phénomène par le besoin des émigrés de considérer chaque roman de l’émigration comme ayant une fonction immédiate dans la lutte contre le fascisme.

. J.I.,Special Collections, University of Southern California.

. Les négociations avec les éditeurs remontent cependant à la fin de l’année. Ledécembre, Feuchtwanger écrit dans son journal intime : « Vormittags Secker da. Der Vertrag über Josephus II perfekt. »J.I.,Special Collections, University of Southern California.

. . November: « Die deutsche Ausgabe der Söhne geht mässig... »J.I.,Special Collec- tions, University of Southern California.

. Voir aussi Stefan Dreyer,op. cit., p..

. Dreyer, p..

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L’histoire de l’œuvre 29

Quelques jours seulement après l’achèvement de son deuxième tome, Feucht- wanger esquisse un premier plan pour la suite de son roman. Il ne se mettra cependant à l’œuvre que quatre ans plus tard, c’est-à-dire en octobre . La plus grande partie du troisième tome sera terminé dans la villa Valmer à Sanary-sur-mer, une petite ville au bord de la Méditerranée, où l’auteur vit depuis son départ en exil. En mai , alors que le troisième tome n’était pas encore achevé, il fut incarcéré au camp des Milles près d’Aix-en-Provence, où, suite au déclenchement par les Allemands de « l’offensive ouest », on ras- semblait tous les hommes de nationalité allemande. Feuchtwanger y avait déjà passé quelques jours après l’entrée en guerre de la France, en septembre. En raison de fortes protestations anglaises, il avait cependant été vite relâché. Lors de sa deuxième incarcération, Feuchtwanger passa environ un mois aux Milles.

Craignant l’approche des troupes allemandes, lejuin (jour de la signature de l’armistice), on transporta par train les détenus jusqu’à Bayonne, où l’on espérait pouvoir les embarquer. En raison d’une rumeur totalement infondée qui courait à Bayonne, disant que les Allemands devaient arriver incessam- ment dans la ville, on fit repartir le train jusqu’à Nîmes, où les détenus furent incarcérés au camp de Saint Nicolas. C’est de ce camp que fuira Feuchtwan- ger en juilletgrâce à l’aide de sa femme qui avait contacté Hiram Bing- ham, consul américain à Marseille. Comme celui-ci avait ordre de Roosevelt de secourir Feuchtwanger où qu’il soit, ce dernier sera hébergé clandestine- ment dans la maison privée du consul jusqu’à son départ pour les États-Unis.

C’est à Marseille, dans la maison du consul américain, que Feuchtwanger ter- minera la rédaction du troisième tome. Les corrections et l’édition de celui-ci attendront l’arrivée de l’auteur à New York.

Comme le manuscrit du troisième Josèphe voyageait avec la valise diplo- matique du consul, depuis Marseille (rappelons que Feuchtwanger avait dû prendre un bateau à Lisbonne), Feuchtwanger commença, dans un premier temps, à écrire l’histoire de son internement (qui sera publié sous le titreLe diable en France). Lorsque le manuscrit du troisième Josèphearrive, il inter- rompt cependant ce travail et termine laTrilogiequ’il avait commencée plus de dix ans auparavant. Le troisième tome sera édité enchez « The Viking Press » à New York, sous le titreJosephus and the Emperor. Pour l’édition alle- mande, il faudra attendre , où Bermann-Fischer à Stockholm publiera Der Tag wird kommen.

On connaît peu l’accueil du troisième tome par la presse. À partir de, Feuchtwanger ne tient plus de journal intime, ou du moins, s’il y a eu des journaux intimes ultérieurement, ils ne sont pas conservés. Dans ses lettres, l’auteur se limite à annoncer la date de la parution du troisième tome, ainsi qu’à regretter les difficultés pour trouver un bon traducteur. Pour ce qui est des articles parus dans la presse, nous n’en avons trouvé qu’un seul, qui date

. Leaoût, il note dans son journal intime : « Plan zum. Josephus »J.I.,Special Collections, University of Southern California.

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30 L’histoire de l’œuvre

de, et qui ne tient compte que du seul aspect juif dans le troisième tome.

Selon cette critique, ce dernier serait une simple confirmation que l’assimila- tion n’est pas la bonne solution pour les juifs. À aucun moment elle ne tient compte du parallèle entre le despotisme de Domitien et la situation allemande dans les années trente.

. Manfred George, « Der Tod des Josephus. Lion Feuchtwangers letzter Josephus-Roman » in Aufbau, New York, vol. VIII,, no,.., p..

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« Nationalisme et judaïsme »

En, entre l’apparition du premier et du deuxième tome de laTrilogie, Lion Feuchtwanger et Arnold Zweig ont défini, dans un travail commun, ce qui leur semblait être « le devoir du judaïsme ». Dans le cadre de cet ouvrage, Feuchtwanger publia un essai qu’il intitula « Nationalisme et judaïsme ». Cet écrit apparaît d’une importance primordiale pour une bonne compréhension de la Trilogie, et plus particulièrement pour le premier tome, La guerre de Judée. Feuchtwanger semble avoir rédigé essentiellement ce texte à l’attention des partisans sionistes, afin de leur rappeler les dangers que comporte une vision trop matérialiste du concept de « nation ». Pour cela, il procède à un examen successif des quatre éléments qui sont généralement à la base du natio- nalisme : un territoire commun, une race commune, une histoire commune et une langue commune.

Feuchtwanger considère que le nationalisme juif ne relève d’aucune de ces quatre composantes. Certes, au début de notre ère, les Juifs auraient commis l’erreur grave de s’être engagés dans un nationalisme territorialiste. Feuchtwan- ger admet, sans pour autant prendre parti pour les Romains, qu’au temps de l’Empire, les nationalistes se trouvaient dans le camp des Juifs et non pas dans celui des Romains. Cependant, il considère que les Juifs, ayant payé chèrement leur nationalisme territorialiste, n’en oublieront jamais le non-sens. La racine de leur nationalisme n’apparaît pas non plus, selon l’auteur, au plan racial ou historique.

Pour Feuchtwanger, les références essentielles du judaïsme sont, avant tout, le produit d’une mentalité commune, d’une spiritualité collective. L’essence même du peuple juif y puiserait toutes ses racines, et induirait une forme de consensus au sein de tous ses membres, déterminant le sens du Bienou du Mal. Leur concept se résume dans la phrase : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît ». À la différence du reste du monde « blanc », ce principe fondamental ne s’ancre pas uniquement sur l’autel de la raison, mais devient « instinct ». C’est la continuité d’une tradition millénaire qui, toujours

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32 « Nationalisme et judaïsme »

selon l’auteur, fait la différence entre Juifs et autres peuples blancs. Le natio- nalisme juif diffère de celui des autres peuples dans la mesure où il ne s’inscrit que dans le cadre d’une revendication immatérielle, à savoir leur appartenance confessionnelle. Et, selon Feuchtwanger, c’est en réaction à ces certitudes spiri- tuelles que les nazis rencontrent dans le judaïsme leur ennemi héréditaire. Leur haine du judaïsme s’avive au contact de leur matérialisme sectaire.

Partant de cette vision spirituelle du nationalisme juif, Feuchtwanger s’in- terroge sur le sionisme. Sans pour autant être hostile aux idées sionistes, il met en garde ses coreligionnaires contre le danger de transformer le nationa- lisme juif, jusque-là cosmopolite, en nationalisme territorial. Le « véritable » sionisme, souhaité par Feuchtwanger, est une hégémonie de l’esprit et unique- ment de l’esprit. Il conçoit Jérusalem, non comme une capitale politique, mais comme le siège d’une université. Pour lui, le sionisme n’a de sens que lorsqu’il reste imprégné de l’idée fondamentale du judaïsme, à savoir sa mission messia- nique.

Feuchtwanger considère que de nombreux juifs se sont trouvés confrontés à la décision de choisir entre le pouvoir et cette mission, et qu’il n’y en a eu que très peu qui ont pu faire coïncider les deux. Il démontre que dans ses romans, respectivementJuif SüssetLa guerre de Judée, il avait essayé de décrire le par- cours d’un juif cherchant à s’extirper du « pouvoir » pour accéder à « l’esprit ».

Il aspire à une fusion entre l’Occident et les sagesses séculaires de l’Orient.

L’indécision des juifs pour opter en faveur du « pouvoir » ou de « l’esprit » lui semble, à son époque, particulièrement d’actualité. La tentation de répondre aux attaques du pouvoir par une volonté de pouvoir lui paraît importante et naturelle. Mais il considère que rien ne serait plus absurde que d’opposer à un fascisme allemand un fascisme juif.

La spécificité du « véritable » nationalisme juif résiderait dans la non vio- lence. Sa finalité serait la conquête de l’esprit sur la matière. Il serait cosmopo- lite et messianique. À la différence du nationalisme d’autres peuples, il n’aspi- rerait pas à se consolider, mais à se diluer dans un monde uni.

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Le roman historique dans la théorie

1 Généralités

Contrairement à l’avis courant, communément adopté dans la critique, la première intervention de Lion Feuchtwanger en faveur du roman historique ne date pas de , mais remonte bien à novembre , quand l’auteur prononça un discours radiodiffusé par soixante-seize émetteurs américains sous l’intitulé « Pourquoi lisons-nous des romans historiques ? ». Le texte de cette allocution fut publié le même jour et en langue allemande dans l’édition du matin du quotidienBerliner Tageblattsous le titre « Roman historique — Roman d’aujourd’hui !». Dans ses grandes lignes, et en dépit d’une accen- tuation légèrement divergente des différents aspects abordés, cette première prise de position comporte déjà presque tous les éléments en gestation que nous retrouverons de façon étayée dans les suivantes. En effet, lorsqu’en

à Paris, à l’occasion du congrès pour « la défense de la culture contre la guerre et le fascisme » Feuchtwanger expose son point de vue sur le « Sens et non- sens du roman historique »face à un auditoire international, il ne s’agit que d’une reprise. Discours qu’il reproduira d’ailleurs enquasi textuellement dans un article appelé « Éloge du roman historique». L’idée nouvelle, qui est introduite endans la conception feuchtwangérienne du genre historique, est l’utilisation du roman historique comme d’unearme.

D’une manière générale et indépendamment de la notion d’arme, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement plus en détail, nous pouvons consta- ter que Feuchtwanger souhaite se battre sur deux fronts : lutter, à la fois, contre ceux qui préconisaient que l’histoire devait rester la « chasse gardée » des his-

. Lion Feuchtwanger, « Historischer Roman — Roman von heute ! », inBerliner Tageblatt, Morgenausgabe, no,...

. Lion Feuchtwanger, « Vom Sinn und Unsinn des historischen Romans », inInternationale Literatur,.

. Lion Feuchtwanger, « Loblied auf den historischen Roman », inGreifen-almanach,.

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34 Le roman historique dans la théorie

toriens, et combattre l’idée répandue qui consiste à dire que le regard sur le passé est une forme de fuite face aux responsabilités politiques quotidiennes.

Plus de vingt ans après ses premières explications théoriques, il consacrera les deux dernières années de sa vie à la rédaction d’un livre sur la poésie his- torique. Das Haus der Desdemona oder Grösse und Grenzen der historischen Dichtungest resté inachevé. Déjà le titre dévoile la position de l’auteur vis-à- vis de l’histoire. La maison de Desdemone, pourtant si présente dans l’esprit de tous, n’a jamais existé. Elle n’est que le fruit de l’imagination d’un peintre.

Nous allons nous intéresser essentiellement aux deux premiers témoignages de Feuchtwanger, l’un ayant été diffusé au moment de la rédaction du premier tome de laTrilogie, l’autre ayant été prononcé à l’époque où l’auteur travaillait au deuxième tome. En outre, les idées principales formulées restent identiques jusqu’en/.

2 Le roman historique comme arme

Avant de porter notre attention plus particulièrement sur les aspects théo- riques qui sont restés identiques à travers les différentes étapes de la vie de l’au- teur, il nous semble important de revenir un peu plus en détail sur la notion d’« arme » que Feuchtwanger introduit à la fin de son discours prononcé en

et qui disparaîtra de nouveau dansDesdemona. Le besoin de considérer le roman historique comme un outil de combat ne peut être apprécié à sa juste valeur si on l’isole du contexte politique dans lequel ce besoin a été ressenti. En été, de nombreux écrivains exilés se sont entendus pour la création d’une nouvelle association : « Schutzverband Deutscher Schriftsteller » (SDS). Dans le cadre de cette institution, le poète allemand Johannes R. Becher soumit un projet pour créer un congrès international des écrivains antifascistes. Face au scepticisme formulé par Brecht concernant cette initiative, il tenta d’y intéres- ser deux écrivains qui jouissaient d’une grande notoriété, tant en Allemagne qu’à l’étranger, Heinrich Mann et Lion Feuchtwanger. Lors de l’assemblée générale du SDS en janvier, les deux auteurs y adhérèrent effectivement, en tant que membres du comité de direction, ce qui assura d’avance le suc- cès du futur congrès. Celui-ci eut lieu duaujuin. On se rencontra à Paris afin de réfléchir à « la défense de la culture ». Une centaine d’antifascistes intervinrent sur des thèmes très divers. C’est dans ce cadre là que Feuchtwan- ger tint son discours sur « Sens et non-sens du roman historique ».

Face à l’actualité brûlante de ce congrès, le sujet que choisit Feuchtwanger peut, à première vue, paraître hors-contexte et l’auteur introduit lui-même son discours en soulignant qu’il traitera d’un thème « éloigné ». Alors pourquoi

. En, il en publie d’ailleurs un extrait : Lion Feuchtwanger, « Zum historischen Roman », inDer Bienenstock, Blätter des Aufbau-Verlages, no, Berlin,.

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