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Un demi-siècle de politique culturelle en France

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Submitted on 29 Sep 2017

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To cite this version:

Philippe Poirrier. Un demi-siècle de politique culturelle en France. Diversité : ville école intégration, CNDP, 2007, pp.15-20. �halshs-00404794�

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La création en 1959 d’un ministère des Affaires culturelles, confié à André Malraux, ne répond pas à un véritable programme politique, mais vise essentiel- lement à conserver l’écrivain au sein du gouver- nement. La VeRépublique s’inscrit en réalité dans un long héritage. La IIIeRépublique avait déjà été confrontée, dès son installation à la fin du XIXesiècle, à la gestion d’un double héritage:

celui transmis, depuis le XVIIesiècle, par les diffé- rents régimes monarchiques, et celui, tout aussi essentiel, légué par la décennie révolutionnaire.

D’une part, l’État mécène, le système acadé- mique et la laïcisation de la censure, héritages monarchiques, marquent durablement les rela- tions entre le pouvoir et les arts. D’autre part, le «patrimoine national», le musée révolution- naire et la croyance dans les vertus civiques et éducatives des arts sont des legs incontesta- bles de la période révolutionnaire. À la Libé-

ration, la IVeRépublique a fait sien l’idéal démocratique issu du Front populaire et de la Résistance sans pour autant concrétiser une politique culturelle autonome.

LES MISSIONS DU MINISTÈRE DE LA CULTURE

Le ministère Malraux hérite de différents services issus principalement de l’Éducation nationale; et échoue à inté- grer les bibliothèques, la radio-télévision et la politique culturelle extérieure de la France.

Le décret du 24 juillet 1959 précise : « Le ministère chargé des affaires culturelles a pour mission de rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ; d’assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel, et de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit qui l’enrichissent. »

La revendication démocratique s’affiche donc dans les attendus de ce décret fonda- teur. Le souci égalitaire et la volonté de démocratisation culturelle sont essentiels.

La politique culturelle de Malraux s’inscrit dans la logique de l’État-providence. L’État se donne ainsi pour fin d’assurer à tous le même accès aux biens culturels. Deux poli- tiques concourent à matérialiser cette volonté : faire accéder tous les citoyens aux La Ve République se singularise par la création d’un ministère de la Culture. Cette autonomisation admi- nistrative est à l’origine de la mise en place d’une politique publique de la culture1. Les missions du ministère et la réception de cette politique ont évolué sous l’effet de la construction progressive d’un partenariat avec les collectivités locales, cependant que les évolutions récentes du modèle de politique culturelle suscitent de la part de nombreux observateurs de vives inquétudes2.

Un demi-siècle de politique culturelle en France

Philippe POIRRIER

1Nous nous permettons de renvoyer à Philippe Poirrier,L’État et la culture en France au XXesiècle, Paris, LGF, 2006 [2000]; et Philippe Poirrier (dir.),Art et Pouvoir.

De 1848 à nos jours, Paris, CNDP, 2006. Voir aussi : Philippe Tronquoy (dir.),

« Culture, État et marché »,Les Cahiers français, n° 312, janvier-février 2003 ; Emmanuel de Waresquiel (dir.),Dictionnaire des politiques culturelles de la France depuis 1959, Paris, Larousse-CNRS, 2001 ; et Guy Saez (dir.),Institutions et Vie culturelles, Paris, La Documentation française, 2005.

2Pascal Le Brun-Cordier, « La crise de la politique culturelle française », Contemporary French Civilization, n° 2005-1, p. 1-19; «Fin(s) de la politique cultu- relle ? »,La Pensée de midi, n° 16, octobre 2005 ; « Quelle politique pour la culture ? »,Le Débat, n° 142, novembre-décembre 2006.

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œuvres de la culture et étendre aux artistes les bienfaits de la protection sociale. La politique culturelle est en outre mise en avant dans la logique de modernisation portée par la République gaullienne. L’État doit jouer un rôle moteur de direction, d’impulsion et de régulation. Les années soixante-dix confortent l’administration centrale et assu- rent la pérennité de la structure ministérielle3.

À partir de 1974, une double ligne de force s’impose.

L’introduction d’une logique libérale renforce le relatif désen- gagement financier de l’État. À la fin du septennat giscar- dien, l’État culturel demeure faible et accorde la priorité au patrimoine. La politique culturelle n’est pas une priorité gouvernementale. Le budget et l’outil administratif sont fragilisés. Malgré le passage de Michel Guy au secrétariat d’État à la Culture (1974-1976), vécu comme un «printemps culturel » par les professionnels, le primat d’une logique libérale contribue à affaiblir les missions de service public du ministère. Au sein même de l’administration centrale, les regards se tournent vers le parti socialiste qui se dote d’un programme de gouvernement dans lequel il accorde une notable attention aux questions culturelles. L’impact réel des pouvoirs publics est débattu. En 1978, Augustin Girard suscite la polémique lorsqu’il reconnaît que la démo- cratisation culturelle est sans doute davantage en train de passer par les «industries culturelles» que par l’action de l’État4. En 1980, le bilan dressé par le poète Pierre Emmanuel, responsable du secteur culturel au sein du parti gaulliste, dénonce une absence de volonté politique et un ministère qui peine à afficher le sens de son action5.

L’arrivée de la gauche au pouvoir au début des années quatre- vingt conduit à une triple rupture. L’essentiel est la rupture quantitative qui se traduit, dès l’exercice 1982, par un double- ment du budget du ministère de la Culture.

De plus, le ministre Jack Lang, qui bénéficie du soutien du président François Mitterrand, sait incarner ce changement d’échelle. Enfin, une synergie entre la culture et l’économie est présentée comme une priorité. La politique des grands travaux témoigne également de l’affirmation du volet présidentiel de la poli- tique culturelle. Tous les secteurs de la poli- tique culturelle (la création davantage que le patrimoine) bénéficient de ces accroisse- ments quantitatifs et de ces ruptures quali- tatives. Le décret du 10 mai 1982 traduit une volonté de démocratie culturelle: « Le minis-

tère de la Culture a pour mission : de permettre à tous les Français de cultiver leur capacité d’inventer et de créer, d’exprimer librement leurs talents et de recevoir la formation artistique de leur choix ; de préserver le patrimoine culturel national, régional, ou des divers groupes sociaux pour le profit commun de la collectivité tout entière; de favoriser la création des œuvres d’art et de l’esprit et de leur donner la plus vaste audience ; de contribuer au rayonnement de la culture et de l’art français dans le libre dialogue des cultures du monde. »

À partir des années quatre-vingt-dix, le référen- tiel qui gouverne le sens des politiques culturel- les publiques enregistre un nouvel infléchisse- ment significatif : la défense de l’« exception culturelle» – bientôt rebaptisée «diversité cultu- relle» – estompe de plus en plus la référence à la démocratisation des pratiques culturelles6. La question, désormais récurrente, de la mondiali- sation de la culture offre l’opportunité de chan- ger l’échelle de la justification.Au-delà de la survie des secteurs du cinéma et de l’audiovisuel euro- péens, la politique culturelle est mobilisée pour préserver l’identité culturelle européenne. Les années suivantes, lors des négociations interna- tionales sur le commerce, la position française reste ferme et donne forme à l’attitude de l’en- semble de l’Union européenne. De surcroît, la France s’évertue à déplacer le lieu du débat, de l’Organisation mondiale du commerce vers l’Unesco. La convention sur la diversité culturelle adoptée le 20 octobre 2005 à l’Unesco est incontes- tablement une victoire de la position française.

3Vincent Dubois,La Politique culturelle : genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999 : Philippe Urfalino,L’Invention de la politique cultu- relle, Paris, Hachette, 2004 [1996].

4Augustin Girard, « Industries culturelles »,Futuribles, septembre-octobre 1978, p. 597-605.

5Pierre Emmanuel,Culture, noblesse du monde, histoire d’une politique, Paris, Stock, 1980.

6Celle-ci reste néanmoins régulièrement mobilisée. En 1998, dans le cadre de la « Charte des missions de service public du spectacle vivant », Catherine Trautmann réaffirme les fondements de l’intervention publique en matière culturelle : « L’engagement de l’État en faveur de l’art et de la culture relève d’abord d’une conception et d’une exigence de la démocratie : favoriser l’accès de tous aux œuvres de l’art comme aux pratiques culturelles ; nourrir le débat collectif et la vie sociale d’une présence forte de la création artistique, en reconnaissant aux artistes la liberté la plus totale dans leur travail de création et de diffusion ; garantir la plus grande liberté de chaque citoyen dans le choix de ses pratiques culturelles. »

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DE L’ÉTAT TUTÉLAIRE À L’ÉTAT PARTENAIRE

En créant un ministère des Affaires culturelles, la République gaullienne conforte le rôle de l’État. Dans les domaines artistiques, cette place de l’État est renforcée par une représentation dominante, et ancienne, qui disqualifie les prétentions culturelles de la province. La faible territorialisation du ministère des Affaires culturelles demeure pourtant une donnée essentielle. La politique culturelle de l’État reste fondamentalement marquée par le poids des institutions culturelles parisiennes, même si les archives départementales et les biblio- thèques centrales de prêt affirment localement la présence de l’État. Le réseau de la décentra- lisation théâtrale, conforté au début des années soixante, demeure perçu comme un réseau essentiellement national. La politique de rupture avec les Beaux-Arts se dote certes d’un

« instrument » : les maisons de la culture.

L’objectif affiché est territorial, mais l’essentiel est de matérialiser l’action culturelle défendue par le ministère. Surtout, les maisons de la culture inventent une forme de partenariat entre l’État et les villes. La formule de co-gestion présente des avantages pour les deux parties.

Par leur caractère d’exemplarité, et les débats qu’elles ont suscités, ces quelques maisons de la culture ont joué un rôle non négligeable dans la prise de conscience des questions culturel- les par les villes.

Le ministère Duhamel (1971-1973) impulse une lente mise en place des services déconcentrés (directions régionales des affaires culturelles).

Le dispositif des chartes culturelles, lancé par Michel Guy (1974-1975), traduit une volonté de construire de nouveaux modes de relation entre l’État et les villes. À la fin des années soixante- dix, le partenariat entre l’État et les collectivi- tés locales est une réalité encore incertaine. La fragilité de la politique culturelle de l’État, au plan politique comme au plan budgétaire, contraste avec la montée en puissance des poli- tiques culturelles des collectivités locales.

L’arrivée de la gauche au pouvoir conduit à un reposition- nement des principaux acteurs des politiques culturelles publiques. La rencontre d’une politique étatique volonta- riste et de politiques locales dotées de moyens considéra- bles, d’une véritable cohérence d’ensemble et gérées par des services professionnalisés, explique l’embellie cultu- relle qui caractérise la décennie quatre-vingt. Les collecti- vités locales deviennent des acteurs des politiques publiques à part entière. L’action publique culturelle fonc- tionne dès lors comme un « système de coopération » (Guy Saez). L’État, qui peut s’appuyer sur des services décon- centrés renforcés, préconise la coopération entre les diffé- rents acteurs publics. Les «conventions de développement culturel» sont le principal outil de cette contractualisation.

Les formules contractuelles se multiplient au cours des années quatre-vingt-dix. De leur côté, les collectivités loca- les ont compris que la politique culturelle pouvait être un atout dans une politique d’image et de développement économique. Elles mènent des stratégies de coopération, différentes d’une collectivité à l’autre, adaptées à leur projet territorial, et savent saisir les opportunités offertes par l’État.

Les résultats sont divers selon les échelons considérés – les régions ont plus de mal à se situer que les départements et surtout les villes – et selon les secteurs culturels. Cette territorialisation n’est d’ailleurs pas synonyme d’un retrait de l’État et les professionnels des secteurs culturels restent attachés au pouvoir d’inspection, d’expertise et de régle- mentation de celui-ci. La vie culturelle en région – notam- ment au sein des grandes métropoles – ne relève plus de la

«hideuse province» jadis stigmatisée par Malraux7.

UN ACCUEIL CONTRASTÉ

La doctrine Malraux ne s’impose que progressivement.

L’éloignement de l’éducation populaire, la fracture de fait avec l’Éducation nationale, la rigueur et la complexité de normes administratives imposées par un État jacobin, la difficile collaboration entre différents ministères sont dénoncés par les militants de l’éducation populaire et les élus locaux. La popularisation de la raison, l’éthique de l’engagement et de la responsabilité restent beaucoup plus centrales dans l’approche que les associations d’éducation populaire se font de la politique culturelle que chez Malraux, pour qui l’essentiel est de provoquer le contact direct avec l’œuvre d’art et de faire reculer le provincia- lisme culturel. Mai 1968 déstabilise le minis- tère des Affaires culturelles et révèle l’émer- gence d’une double critique : la critique

7Philippe Poirrier et Jean-Pierre Rioux (dir.),Affaires culturelles et Territoires, Paris, La Documentation française, 2000.

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gauchiste attaque la conception malrucienne de la démo- cratisation culturelle ; les partisans de l’ordre dénoncent le soutien public à des artistes soupçonnés de subversion.

Les critiques, réactivées au début des années quatre-vingt- dix, mobilisent surtout les intellectuels8. Le débat témoi- gne aussi de la résistance de milieux académiques qui regrettent la dilution d’une conception intégratrice de la culture nationale. C’est aussi une nostalgie pour une certaine forme de médiation culturelle qui est issue de l’âge des Humanités et des Lumières. Par-delà la seule action des pouvoirs publics, c’est la légitimité du plura- lisme culturel, qui caractérise de plus en plus la société française, qui est pour une large part récusée. Le « relati- visme culturel » est stigmatisé9.

Les enquêtes sur les pratiques culturelles, lancées dans les années soixante-dix pour conforter les visées straté- giques du ministère, soulignent l’échec de la démocrati- sation culturelle et le maintien des barrières matérielles, sociales et symboliques qui limitent l’accès à la culture dite « classique ». Elles nourrissent désormais les polé- miques sur l’opportunité d’une politique culturelle10. La nécessité de mettre en œuvre une éducation artistique et culturelle dans le cadre de l’Éducation nationale s’affiche sur l’agenda politique depuis deux décennies sans pour autant se matérialiser véritablement. Les progrès réalisés dans cette direction demeurent fragilisés par les alter- nances gouvernementales et un manque de volonté poli- tique dans une conjoncture de réduction des dépenses publiques.

L’action volontariste des pouvoirs publics a cependant permis de maintenir une vie artistique relativement auto- nome des seules lois du marché et de faire fonctionner un réseau plus riche d’institutions culturelles sur l’ensemble du territoire. Le modèle français se caractérise par une forme d’économie culturelle mixte qui se fonde sur une étroite imbrication entre les secteurs public et privé. La forte légitimité de l’intervention de l’État, inscrite dans le cadre d’une République émancipatrice, le poids des gran- des institutions culturelles, la relation étroite avec les professionnels des arts et de la culture

confèrent au modèle français une singu- larité qui contraste avec bien des pays de l’Union européenne et d’Amérique du Nord. L’intervention directe de l’État, large- ment acceptée par l’opinion publique, accorde une place mineure aux dispositifs fiscaux et au mécénat privé.

L’heure n’est pourtant plus à l’esprit de mission, fondé sur un militantisme que parta- geait la majorité des acteurs du monde de la culture. Le ministère se présente de plus en plus comme une administration de gestion qui assume des missions de régulation, d’orienta- tion, de conseil et d’expertise. La thématique de la « refondation », initiée au milieu des années quatre-vingt-dix, est restée comprise sous la forme quelque peu réductrice d’une meilleure gouvernance à atteindre. Le ministère de la Culture participait à ce titre de la probléma- tique de la réforme de l’État11.

UN MODÈLE FRAGILISÉ

Depuis une dizaine d’années, le ministère de la Culture et de la Communication affiche, par- delà les alternances gouvernementales, sa volonté de moderniser ses missions et son fonctionnement pour répondre à un environ- nement national et international qui enregis- tre de profondes mutations. Dans le même temps, le sens, la lisibilité et les résultats des politiques publiques de la culture font débat.

La campagne électorale du printemps 2002 n’accorde cependant pas une grande place à la culture dans le débat public, même si la question de la politique publique de la culture est présente dans les programmes de tous les candidats. La présence de Jean-Marie Le Pen, candidat du Front national, au second tour des présidentielles suscite un réflexe « anti- fasciste » au sein des mondes de l’art et de la culture. La question des limites de la démo- cratisation culturelle est évoquée lors des débats sur l’état de la société française qui se font jour dans les semaines qui suivent ; sans pour autant contribuer à la proposition de solutions nouvelles.

8Voir notamment Marc Fumaroli,L’État culturel. Essai sur une religion moderne, Paris, De Fallois, 1991.

9Geneviève Gentil et Philippe Poirrier,La Politique culturelle en débat. Anthologie 1955-2005, Paris, La Documentation française, 2006.

10Olivier Donnat et Paul Tolila (dir.),Le(s) public(s) de la culture, volumeII, Paris, Presses de Sciences po, 2003.

11Un rapport fondateur : Jacques Rigaud,Pour une refondation de la politique culturelle, Paris, La Documentation française, 1996.

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La nomination de Jean-Jacques Aillagon, ancien directeur du Centre Georges-Pompidou, comme ministre de la Culture et de la Communication dans le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, est plutôt bien accueillie par l’ensemble des professionnels. Le texte qui définit les attribu- tions du ministre de la Culture et de la Communication ancre son action dans la conti- nuité. Pourtant, la baisse du budget 2003 de la Culture sera comprise comme un signe inquié- tant par les acteurs culturels, même si le minis- tre plaide pour la « sincérité des comptes ».

Plusieurs priorités sont affichées, et donnent lieu à des rapports administratifs: le patrimoine et la décentralisation, la violence et les moda- lités de l’offre culturelle à la télévision.

La volonté d’encourager le mécénat privé et de développer l’autonomie des grands établisse- ments culturels s’affirme à l’agenda ministé- riel. L’État est aussi interpellé par les partenai- res sociaux à propos du régime spécifique d’assurance chômage des intermittents du spectacle. En filigrane, c’est le maintien d’une part importante de l’activité culturelle qui est en jeu. L’enlisement du conflit social, qui affecte durement le calendrier et l’économie des festi- vals au cours de l’été 2003, fragilise la position politique du ministre de la Culture et de la Communication. La crise des intermittents aura au moins eu un mérite: démontrer que la ques- tion du financement de l’emploi culturel était l’un des impensés des politiques culturelles en France. Cette crise est en effet atypique : elle touche un secteur en croissance forte ; les acteurs défendent un statut hyper flexible; l’al- liance entre les employeurs et les salariés du secteur est une véritable exception ; le déficit

assurantiel est particulier, puisqu’il grandit quand l’em- ploi augmente. Le même scénario se joue depuis dix ans : les acteurs ont longtemps privilégié le statu quo.

L’intermittence a permis au cours des années quatre-vingt- dix un financement en trompe l’œil de la production cultu- relle. Mais la question a une portée beaucoup plus large, puisqu’elle touche à l’architecture même de la protection sociale et à l’évolution de l’État-providence12. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture et de la Communication à partir de mars 2004, tente d’apaiser la crise sans parvenir à convaincre l’ensemble des partenai- res sociaux.

La position de la France sur la scène internationale, en première ligne pour la défense de la diversité culturelle, contraste avec les orientations prises par le ministère de la Culture dont les marges de manœuvre, financières et stratégiques, semblent se réduire de plus en plus. De surcroît, la politique du ministère de la Culture conçoit surtout la diversité sous la forme de la diversité artistique et peine – modèle républicain oblige – à gérer les politiques menées selon une exigence de diversité qui relève des lieux ou selon les origines ethniques ou religieuses. Des tentati- ves sont perceptibles, mais restent relativement périphé- riques13 ou relèvent d’autres dispositifs, notamment dans le cadre des « politiques de la ville » 14. Jacques Rigaud ne manque pas de stigmatiser l’écart entre le discours et la réalité de la politique culturelle: «Tous les discours officiels sur la diversité culturelle et sur le message de la France gagneraient assurément en crédibilité si notre pays donnait des preuves plus tangibles de la place qu’il reconnaît aux œuvres de l’esprit, dans leur diversité, sur son propre sol et au dehors15. »Surtout, la montée en puissance des nouvelles technologies et les stra- tégies des industries culturelles, organisées à l’échelle mondiale, remettent en cause les modalités mêmes des dispositifs qui sont au cœur du modèle français de poli- tique culturelle16.

La critique de la politique culturelle est de nouveau d’actualité. Bien des observateurs soulignent le manque de perspectives, la perte de sens et les «impasses de la politique culturelle17». L’heure est au désenchante- ment, alors même que le débat public sur ces questions peine à surmonter les seules logiques corporatistes. Au sein des partis politiques et chez les élus locaux, la ques- tion de la politique culturelle ne s’affiche

12Pierre-Michel Menger,Les Intermittents du spectacle. Sociologie d’une excep- tion, Paris, Éditions de l’EHESS, 2005.

13Un état des lieux : « Démocratisation culturelle, diversité culturelle, cohé- sion sociale »,Culture & Recherche, n° 106-107, décembre 2005.

14Emmanuel Négrier, « Politique, culture et diversité dans la France urbaine contemporaine »,inAlain Cagnon et Bernard Jouve (dir.),Les Métropoles au défi de la diversité culturelle, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2006.

15Jacques Rigaud, « Libres propos sur la diversité culturelle »,L’Observatoire, n° 30, été 2006, p. 23-24.

16De nombreux exemples sont développés par Françoise Benhamou dans Les Dérèglements de l’exception culturelle, Paris, Le Seuil, 2006.

17« Les impasses de la politique culturelle »,Esprit, mai 2004.

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guère comme une priorité, même si quelques réflexions sont élaborées18. La difficile conjoncture sociale et les trans- formations qui affectent l’économie nationale contribuent à déplacer les principaux enjeux qui gouvernent l’agenda politique.

Le renforcement de la déconcentration, très net au cours des années quatre-vingt-dix, alimente également ce senti- ment de désenchantement. L’échelon régional est désor- mais l’échelon normal de gestion, de coordination et d’ani- mation des politiques publiques de la culture. Le niveau central ne conserve que les affaires d’intérêt national ou international, et doit limiter son rôle à la conception, l’ani- mation, l’orientation, l’évaluation et le contrôle. Aussi, les directions régionales des affaires culturelles, confortées en crédits et en personnels, deviennent les interlocuteurs de tous les services culturels, des élus locaux, et leur fonction de relais financier des services centraux du ministère se trouve renforcée.

Cependant, les directions centrales du ministère ont davan- tage subi que souhaité ce processus de renforcement de la territorialisation du ministère. De plus, certains acteurs culturels, notamment dans le spectacle vivant, perçoivent la déconcentration comme une dilution des politiques nationales de la culture. Dans le même esprit, la relance de la décentralisation, qui pour la première fois affecte plus directement les secteurs patrimoniaux, suscite de réelles réserves, aussi bien du côté de certains secteurs de l’ad- ministration centrale que chez les élus locaux, qui crai- gnent un transfert de charges sous couvert d’un transfert de compétences.

EN CONCLUSION

La dernière décennie a vu se renforcer quelques tendances lourdes qui affectent l’ensemble des politiques publiques de la culture : la profes- sionnalisation des acteurs des mondes de l’art et de la culture, la modernisation de la gestion et l’autonomie des établissements culturels, le partenariat et la contractualisation entre l’État et les collectivités locales, le recours encouragé au mécénat privé. Le désenchantement, res- senti par de nombreux acteurs, affecte surtout les finalités générales de la politique culturelle dans une conjoncture marquée à la fois par une globalisation des enjeux à l’échelle inter- nationale, une territorialisation croissante des politiques publiques, une société française multiculturelle qui remet en question les certi- tudes du modèle républicain et une interroga- tion renouvelée sur les formes de l’art et de la culture que les pouvoirs publics choisissent, ou non, de soutenir. Ces mutations, plus ou moins accompagnées par les pouvoirs publics, fragi- lisent les fondements traditionnels de l’inter- vention de l’État dans les domaines artistique et culturel.

PHILIPPE POIRRIER est professeur d’histoire contemporaine à l’uni- versité de Bourgogne.

philippe.poirrier@u-bourgogne.fr

18Par exemple, le remarquable travail de formation et de réflexion mené sous l’impulsion de l’Observatoire des politiques culturelles de Grenoble, dirigé par René Rizzardo puis Jean-Pierre Saez. Voir aussi les quatre volumes:

Culture publique, Paris, Sens & Tonka, 2004-2005.

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