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Les Magazins de Mme Leprince de Beaumont et renseignement privé et public du français en Europe (1750-1850)

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24 | 1999

Les auteurs classiques français dans l'enseignement du F.L.E. (18e et 19e siècles)

Les Magazins de Mme Leprince de Beaumont et renseignement privé et public du français en Europe (1750-1850)

Uta Janssens

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/dhfles/3017 DOI : 10.4000/dhfles.3017

ISSN : 2221-4038 Éditeur

Société Internationale pour l’Histoire du Français Langue Étrangère ou Seconde Édition imprimée

Date de publication : 1 décembre 1999 Pagination : p.151-159

ISSN : 0992-7654 Référence électronique

Uta Janssens, « Les Magazins de Mme Leprince de Beaumont et renseignement privé et public du français en Europe (1750-1850) », Documents pour l’histoire du français langue étrangère ou seconde [En ligne], 24 | 1999, mis en ligne le 22 janvier 2015, consulté le 27 mai 2021. URL : http://

journals.openedition.org/dhfles/3017 ; DOI : https://doi.org/10.4000/dhfles.3017 Ce document a été généré automatiquement le 27 mai 2021.

© SIHFLES

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Les Magazins de Mme Leprince de Beaumont et renseignement privé et public du français en Europe (1750-1850)

Uta Janssens

1 En 1981 une Polonaise, chercheur en littérature qui étudiait la réception des lettres françaises dans la Pologne du 18e siècle, s'exprima ainsi à propos des Magazins pédagogiques de Marie Leprince de Beaumont:

Chaque gouvernante française partant pour l'étranger avait dans sa valise ces volumes précieux, qui en un français très simple et élégant expliquaient d'une façon claire et méthodique toutes les matières dont "l'éducation domestique"

devait meubler les têtes de jeunes filles. Il y avait des textes d'instruction religieuse, des lectures mythologiques, historiques, géographiques, des contes de fées pour les plus petites, les contes moraux pour les adolescentes. En Pologne, comme dans les autres pays, dans chaque château, les jeunes filles étaient élevées selon la méthode de Mme Leprince de Beaumont.1

2 Cette affirmation, si exagérée qu'elle puisse nous paraître, s'avère être tout à fait conforme aux faits connus des spécialistes de la pratique pédagogique du 18e siècle.

(L'été passé encore, en visitant dans la Suède du nord un château du 18e siècle totalement isolé, j'ai trouvé dans sa bibliothèque la série complète des Magazins de Marie Leprince de Beaumont, et cela non pas en un seul exemplaire, mais en deux ou trois pour chaque volume!) Le fait est, tout simplement, que pour apprendre le français aux jeunes, les textes adéquats faisaient défaut jusqu'au milieu du 18e siècle, l'époque où Marie Leprince de Beaumont se mit à enseigner le français aux jeunes filles de la noblesse anglaise. Elle décida donc de combler cette lacune en rédigeant ses propres manuels. Télémaque et Gil Blas, qui auraient pu servir pour les garçons, étaient sans intérêt pour les jeunes filles et peu utiles à leur formation. En effet, Marie Leprince avait des idées bien précises sur l'enseignement et une grande confiance dans l'esprit féminin. Une fois engagée comme gouvernante pour enseigner le français, elle décida

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d'user de son poste pour apprendre à ses élèves un peu plus que la langue seule: «J'ai dessin d'en faire des Logiciennes, des Géomètres et même des Philosophes, -écrit-elle dans l'Avertissement au Magazin des Enfans2- je veux leur apprendre à penser, à penser juste, pour parvenu- à bien vivre.»

3 A une époque où l'éducation des jeunes filles consistait presque exclusivement à leur apprendre la vertu et les aptitudes sociales afin de les préparer à leur rôle dans la société et de les qualifier pour le mariage, c'était là un point de vue tout nouveau, qui d'ailleurs peut nous sembler plus militant et plus révolutionnaire qu'il ne l'était en réalité, bien qu'il soit indéniable que Marie Leprince de Beaumont fût elle-même une femme émancipée. Elle avait couru le monde, elle connaissait le monde et, perspicace, elle comprenait de quoi les femmes avaient besoin dans ce monde. Il suffit de jeter un regard rapide sur sa biographie pour en avoir une idée nette.

4 Née en 1711 à Rouen dans une famille respectable et ayant perdu sa mère à l'âge de neuf ans, elle reçut son éducation dans l'institution religieuse d'Ernemont, dont la spécialité était de former des enseignants pour les petites écoles (comme on appelait en France les écoles libres pour enfants pauvres). A l’âge de 24 ans, après plusieurs années d'expérience dans l'enseignement, elle quitta le couvent et rejoignit son père à cette époque installé à Metz. Nous la trouvons ensuite à la cour de Lunéville comme gouvernante de la princesse Elisabeth-Thérèse de Lorraine, qui serait bientôt reine de Sardaigne. En 1737, Lunéville échut à l'ancien roi de Pologne, Stanislas Leszynski.

Restée à la cour, Marie Leprince gagna la faveur du roi grâce à ses performances de chanteuse et d'actrice dans les divertissements de la cour. C'est là qu'elle rencontra un gentilhomme libertin français, Grimard de Beaumont, qu'elle épousa en 1743 et qu'elle quitta deux ans après. Depuis lors, elle semble avoir eu un amant; elle eut en outre une fille, née en 1745, qu'elle déposa à l'hospice des enfants trouvés de Paris. N'est-ce pas une caractéristique des éducateurs professionnels d'être toujours de mauvais parents?

Libre de son amant et de son enfant, elle fit le voyage de Hollande d'où elle passa en Angleterre pour y commencer une carrière d'écrivain et de journaliste. Son premier ouvrage fut un roman didactique. Le Triomphe de la Vérité, publié en 1748, suivi en 1750 par les Lettres diverses et critiques, espèce de guide des parents et des éducateurs qui contenait des conseils pratiques pour l'éducation des enfants.

5 Au cours de la même année elle commença un périodique conçu d'après le modèle du Spectator anglais, intitulé Le Nouveau Magazin François, qui ne tarda pas à lui procurer sa réputation d'écrivain. Le Magazin contenait de brefs essais, des lettres, des commentaires, de même qu'un roman-feuilleton écrit par elle. Journaliste femme, elle ne fut pas sans être critiquée par ses collègues masculins, qui la provoquèrent à la contre-attaque satirique dans plusieurs éditoriaux dont voici un exemple:

Combien de femmes, dédaignant les puériles occupations que la malignité des hommes les vouloit forcer d'adopter, s'élèvent au-dessus de l'étroite sphère où on les avoit enfermées! Il est vrai que les hommes d'aujourd'hui commencent à se rendre justice sur cet article: ils s'emparent de la toilette et nous cèdent la plume.3

6 Ayant pris à cœur l'éducation des femmes, Marie Leprince de Beaumont abandonna le journal trois ans après afin de se consacrer exclusivement à un travail plus important encore: éduquer les jeunes et écrire pour eux. L'impérieuse vocation qu'elle se sentait d'enseigner s'exprime dans la Préface à l’Education Complète, manuel destiné à l'éducateur privé, qu'elle publia en 1753. «Dans le tems où je fus favorisée de la fortune, le plaisir [d'enseigner] pour moi sur-passoit tous les autres plaisirs,» écrit-elle en

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évoquant le temps qu'elle avait passé à Ememont. «On me voyoit toujours environnée d'une jeunesse nombreuse que j'enseignois gratuitement & sans autre but que de me satisfaire. Ce goût étoit né avec moi.»4

7 Cette Education Complète, ou l'abrégé de l'histoire universelle mêlée de géographie et de chronologie (3 petits volumes in-12, Londres 1753) était un abrégé de l'Histoire ancienne par Charles Rollin (1730-1738), complété de dialogues pédagogiques après chaque chapitre. En la raccourcissant rigoureusement et en y ajoutant les questions et les réponses, elle croyait avoir trouvé le moyen de rendre l'interminable histoire de Rollin

«à la Ibis utile et agréable» (I: vi). Sans être spécialement destiné ni à l'éducation des jeunes filles, ni à l'enseignement du français, ce manuel scolaire offrait une base solide à l'instruction des enfants en général; il s'adressait en particulier à tous ceux qui étaient novices dans cette profession, aux contours si vagues encore, de gouverneur ou de gouvernante:

L'art d'éduquer les enfans est le seul où l'on se croit maître sans avoir été apprenti, (écrit-elle dans l'Avertissement) Cet art est devenu la profession de tous ceux qui n'en ont point; la ressource des autres à qui leur incapacité ne permettoit pas de penser à faire autre chose [...] presque tous entrent dans cet emploi avec une incapacité totale (I: 1).

8 Cet instrument pédagogique eut un succès immédiat. En moins de dix ans trois nouvelles éditions se succédèrent; il fut publié en même temps à Leyde, à Amsterdam et à La Haye. Jusqu'en 1825, 19 éditions nouvelles, revues et corrigées, parurent en Hollande et en Angleterre de même que, pour autant que mes vérifications me permettent de l'affirmer, à Paris, Lyon, Rouen, Bruxelles, Berlin, Leipzig, Vienne et Berne. Le succès était surtout grand en Allemagne où, traduit par J.A. Schlegel, il fut considéré pendant tout un demi-siècle comme le meilleur manuel scolaire d'histoire.

Pour ce qui est des Pays-Bas, je l'ai vu figurer encore, dans sa version française, au programme d'études d'un pensionnat vers le milieu du 19e siècle.

9 L’Education Complète était avant tout le fruit des activités pédagogiques que Marie Leprince de Beaumont avait déployées en France et à la cour de Lorraine en tant que gouvernante. En revanche, sa publication suivante était profondément enracinée en Angleterre: dans le Magazin des Enfans se trouvaient incorporées les expériences de l'enseignement du français qu'elle avait faites dans ce dernier pays. C'était un ouvrage original qu'elle avait rédigé en premier lieu pour son usage personnel dans l'enseignement pour les jeunes filles de plusieurs familles de la haute société londonienne. Dans sa structure, le Magazin avait été inspiré par le roman didactique, The Governess or the Little Female Academy, de Sarah Fielding (Londres, 1749), situé dans un internat anglais pour jeunes filles, dont la fondatrice et directrice, Mrs. Teachum, femme d'un caractère fort indépendant, encourage la débrouille et la créativité chez ses neuf élèves. De même que Marie Leprince l'avait fait dans son

10 Education, The Governess appliquait la méthode classique du dialogue ou «colloque»

entre professeur et élèves en alternance avec les leçons proprement dites. Du reste, ces leçons sont chez Sarah Fielding d'un ordre purement moral; elles sont issues des aventures que les jeunes filles ont vécues et qu'elles se racontent les unes aux autres;

ou bien elles proviennent des contes de fées que l'enseignant leur raconte pendant les heures de loisir. Les scènes se déroulent soit dans un jardin solitaire soit à la campagne où les élèves font des promenades quand elles ne visitent pas une ferme ou le château du voisinage.

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11 The Governess n'avait pas pour but de transmettre un savoir intellectuel mais de former le caractère; à cette fin, le texte devait être aussi agréable et divertissant que possible.

Transformer les leçons en jeux amusants afin d'éveiller chez l'élève le désir inconscient d'apprendre davantage, c'était appliquer une méthode que Marie Leprince avait déjà utilisée en France. Préconisée depuis une génération par Locke et Fénelon, cette méthode avait été mise en pratique pour la première fois par Mme de Maintenon à Saint-Cyr avant de se généraliser dans les établissements religieux partout en France.5

12 La nouveauté et l'originalité du Magazin des Enfans consiste à combiner l'enseignement intellectuel et moral sous une forme agréable et divertissante qui peut en même temps servir de moyen dans l'enseignement de la langue.

13 Educatrice née, Marie Leprince de Beaumont se proposait d'apprendre aux jeunes Anglaises confiées à ses soins davantage que le français seul; son éducation s'étendait, bien sûr, aux bonnes manières et aux bonnes mœurs, mais, en outre, aux sujets ordinairement réservés aux garçons: histoire, géographie, mythologie, sciences physiques et biologie. Son but pédagogique était de former le caractère en même temps que l'esprit de ses élèves. Elle considérait son enseignement comme

un moyen offert par la providence, pour former leur esprit & leur cœur. Ces deux parties sont les objets de mon travail, ce qui ne m'empêchera pas de donner tous mes soins à la grande affaire, pour laquelle on me paie, c'est-à-dire à l'étude de la langue françoise (xxiv).

14 Ses leçons présentées sous forme de dialogue étaient fondées en partie sur des histoires bibliques ou bien sur des contes de fées et sur des fables morales qui précédaient ou suivaient les «colloques». Parmi ses contes de fées bon nombre étaient de son propre cru. S'il lui arrivait de réécrire des contes existants -surtout ceux de Perrault-, c'est qu'elle les trouvait «d'un stile trop relevé» et qu'elle estimait que «le peu de morale qu'on y a fait entrer est noyé sous un merveilleux ridicule». De même, elle réécrivit certaines histoires bibliques, ce qui devait lui attirer les critiques venues de la part de quelques instituteurs protestants de Hollande. Rien n'explique mieux les raisons qu'elle avait de réécrire des textes existants ou de rédiger ses propres textes que le passage suivant de son Avertissement:

Le dégoût d'un grand nombre d'enfans pour la lecture vient de la nature des livres qu'on leur met entre les mains; ils ne les comprennent pas, & de là naît inévitablement l'ennui... Une fille de quinze ans qui commence à apprendre le François a besoin d'un stile aussi simple qu'une autre de cinq ans, qui lit dans sa langue maternelle. Qu'on juge par là de l'ennui que doivent donner aux pauvres enfans la lecture & la traduction de Téîémaque & de Gil Btas, auxquels on borne d'ordinaire toutes leurs lectures dans les écoles (xiii).

15 L'intrigue ou la structure du Magazin des Enfans suivait de près le modèle de Sarah Fielding. De nouveau, nous rencontrons une gouvernante telle que la Mrs. Teachum de Fielding, qui s'appelle maintenant Mlle Bonne, et les sept élèves d'âges différents portent, elles aussi, des noms génériques comme lady Sensée, lady Spirituelle, lady Tempête, lady Babiole, etc.; les leçons se déguisent en dialogues didactiques qui se font dans toutes sortes de situations. Dans le Magazin des Enfans tantôt le groupe fait une promenade, tantôt il boit du thé, tantôt il visite le zoo ou le marché aux poissons pour étudier les animaux; nous voyons les jeunes filles réunies autour d'une table, contempler une goutte de vinaigre au microscope; la géographie devient vivante sur les cartes qu'elles examinent à la bibliothèque, de même que l'histoire et la mythologie

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s'animent à l'aspect de gravures. Inutile de dire que tout cela transforme la lecture en divertissement.

16 Le Magazin fut publié en quatre petits volumes in-12, de 120 pages chacun, chaque volume couvrant sept journées de classe. Le premier volume parut en 1756, les trois suivants en 1757. Leur succès fut immédiat. La première édition londonienne fut bientôt réimprimée à Lyon (1758), à La Haye (1759) et à Leyde (1759). A partir de 1760, les éditions se succédèrent partout en Europe. Pour ne citer que les villes les plus importantes, leMagazin fut réimprimé, aux Pays-Bas, encore à Leyde, à La Haye et à Maastricht; en Allemagne, à Berlin, à Leipzig et à Francfort; ensuite à Londres, bien entendu, comme à Dublin et Glasgow, à Berne, Athènes, Vienne, Moscou, Saint- Pétersbourg et à Madrid, soit 115 rééditions au total jusqu'en 1883. Le Magazin fut même transcrit en caractères cyrilliques et grecs. Aussi les traductions ne se firent pas attendre; la première, en néerlandais, parut en 1758 déjà, suivie par d'autres en allemand, espagnol, portugais, russe, grec moderne, suédois, serbe et hongrois. En ce qui concerne l'Espagne il y en avait aussi une en catalan faite en 1790 qui s'est trouvée dans la bibliothèque de la duchesse d'Osuna.

17 Cet immense succès s'explique parce que, du point de vue pédagogique et littéraire, l'ouvrage combla une grande lacune. Les nombreux contes de fées qu'il offrait étaient de petits chefs-d'œuvre susceptibles de devenir la lecture préférée des enfants dans le monde entier. Bientôt ils parurent également en éditions séparées. Jusqu'à nos jours ils ont été réimprimés d'innombrables fois, que ce soit séparément dans des anthologies et des périodiques, ou dans des recueils.6 En bonne pédagogue, Marie Leprince présentait la plupart de ses personnages par couples tels que «Prince Fatal et Prince Fortuné»,

«Belotte et Laidronnette», «Blanche et Vermeil», etc. Avec «La Belle et la Bête», ce sont là les créations essentielles qui ont contribué le plus à perpétuer son renom (ressuscité par Cocteau en 1946!).

18 Le succès du Magazin des Enfans se renouvela par un Magazin des Adolescentes (1760) et par un Magazin des Jeunes Demoiselles (1764) d'abord intitulé Instructions pour les Jeunes Dames qui entrent dans le monde et se marient (Lyon, 1764). Ces deux écrits à l'usage d'élèves «avancées» résultèrent de l'expérience pédagogique que Marie Leprince n'avait cessé d'acquérir avec son petit groupe d'élèves où de nouvelles venues succédèrent aux élèves devenues grandes. Ces continuations, elles aussi, eurent un accueil très favorable: le Magazin des Adolescentes, immédiatement réimprimé en 1761 à Lyon, n'eut pas moins de 40 éditions entre 1760 et 1828 (et fut traduit en allemand, anglais, néerlandais, italien, espagnol, portugais, polonais, russe, grec et suédois). Le Magazin des Jeunes Demoiselles paraît avoir été populaire en particulier en Amérique, puisqu'il fut le seul à paraître aussi aux Etats-Unis, avec deux éditions à Philadelphie (1792 et 1800) et deux à New-York (1806 et 1816). Le premier Magazin, cependant, le Magazin des Enfans (réimprimé encore en 1883!) surpassa de loin les publications ultérieures en popularité; il devint à vrai dire la Bible des gouvernantes.

19 En 1768 Marie Leprince de Beaumont quitta Londres et s'installa à Annecy, en Savoie, pour vivre près de sa fille qu'elle avait retirée des enfants trouvés en 1751 et qui s'était mariée avec un médecin français, un parent éloigné.7

20 Tout en continuant à écrire des ouvrages pédagogiques, elle abandonna l'enseignement de la langue pour se consacrer à d'autres classes sociales. Ainsi parurent en 1768 à Lyon un Magazin des Pauvres, des Artisans, des Domestiques et des Gens de Campagne, en 1773 à Liège un Menteur Moderne ou Instruction pour les Garçons et ceux qui les élèvent (12 volumes

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in-12) et en 1779, de nouveau à Lyon, un Magazin des Dévotes. Mais ni ces ouvrages, ni ses romans épistolaires (dont une Nouvelle Clarisse), ni d'autres textes édifiants qu'elle ait écrit n'entrent dans le sujet qui nous occupe ici.

21 Le fait le plus important qui se dégage de notre étude c'est que Marie Leprince fut l'une des premières, sinon la première parmi les professeurs du français comme langue étrangère, à fournir un manuel conçu dans ce but précis; un manuel qui non seulement combinait l'enseignement de la langue avec la transmission des connaissances intellectuelles et culturelles, mais encore avec une éducation morale. Quel éducateur saurait aller au-delà de cet idéal? Et que la gouvernante idéale telle que la présente le Magazin des Enfans ne fut pas une fiction pure mais bien une image fidèle de son auteur, il est permis de le penser, puisqu'en 1771 ses anciennes élèves britanniques se rendirent en groupe à sa retraite d'Annecy pour une visite-surprise chez leur chère Mlle Bonne qui fêtait ses soixante ans.

22 De nombreuses correspondances de l'époque, imprimées ou manuscrites, témoignent de la réputation et du succès de la méthode pédagogique de Marie Leprince de Beaumont. Qu'il suffise ici de deux sources pour s'en convaincre. Voici d'abord le témoignage venu de la part d'une directrice hollandaise d'un pensionnat français pour jeunes filles à Gouda, qui écrivit en 1829:

Une impression de jeunesse nous reste parfois ajamáis dans la mémoire; ainsi, l'impression qu'a produite sur moi la lecture du Magazin des Enfans par Mme Leprince de Beaumont, en est une que je n'oublierai plus jamais. On sait qu'à l'époque où cet ouvrage parut, les bons livres pour enfants étaient fort rares. Qui s'étonnera donc que ce magasin si bien adapté aux enfants et si bien compris d'eux, fût comme dévoré par la jeunesse? 8

23 Le second témoignage se trouve dans la correspondance d'un grand pédagogue allemand du 18e siècle, Christian Furchtegott Gellert, qui en 1760 écrivit à une jeune femme:

Quand j'imagine que dans la maison de vos chers parents vous auriez l'occasion d'instruire quelques enfants confiés à vos soins, telle une Beaumont avec son Magazin des Enfans, je dirais que, ni pour vous-même ni pour le monde, vous ne sauriez rien faire de plus glorieux ni de plus utile.9

NOTES

1. Nikliborg, Anna (1981): «La jeunesse polonaise et le livre français au siècle des Lumières,»

Europe, 59eannée, vol. 625. p. 11.

2. Londres, 1756, vol. I, p. xi

3. Le Nouveau Magazin François, vol. IV, 1750, p. 11.

4. Education Complète, ou l'abrégé de l'histoire universelle mêlée de géographie et de chronologie, Londres, 1753, Avertissement, p. 7.

5. Voir Prévôt, Jacques (1981): La première institutrice de France: Mme de Maintenon. Paris

6. Une nouvelle édition parut encore en 1985 en France chez Nathan. En Hollande un recueil de ces contes était encore utilisé dans la première classe de français dans l'enseignement secondaire pendant les années '60.

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7. Cette fille deviendra d'ailleurs la grand-mère de Prosper Mérimée.

8. Magazijn voor Kinderen, seconde éd., Utrecht, 1840, t. I, pp. 22 et sv. (citation traduite par l'auteur).

9. Reynolds, John F. ed. (1983-1996): CK Geliert's Briefwechsel. Berlin et New York, vol.1-4, p. 160.

AUTEUR

UTA JANSSENS Université de Nimègue

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