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Changements sociaux et économiques dans le bassin de Marennes-Oléron

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Academic year: 2022

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Jean Lavallée

Changements sociaux et économiques dans le bassin de Marennes-Oléron

In: Norois. N°168, 1995. pp. 641-648.

Résumé

Le but de cet article est d'étudier et d'analyser les changements sociaux et économiques des ostréiculteurs de Marennes-Oléron.

Dans le système de reproduction du mode de production, l'imagination et le dynamisme de la société ostréicole jouent un rôle principal dans le rapport des contraintes biologiques et des contraintes économiques.

Abstract

The purpose of this subject is the study and the analysis of social and economic mutations for breeders of oysters. In the reproduction system of production way, imagination and dynamism in the oyster society play a leading role in the relations between biological contraints and economic contraints.

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Lavallée Jean. Changements sociaux et économiques dans le bassin de Marennes-Oléron. In: Norois. N°168, 1995. pp. 641- 648.

doi : 10.3406/noroi.1995.6669

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/noroi_0029-182X_1995_num_168_1_6669

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CHRONIQUE DU CENTRE-OUEST

CHANGEMENTS SOCIAUX ET ECONOMIQUES DANS LE BASSIN DE MARENNES-OLÉRON

par Jean LAVALLÉE Docteur es Ethno-anthropologie

RÉSUMÉ

Le but de cet article est d'étudier et d'analyser les changements sociaux et économiques des ostréiculteurs de Marennes-Oléron. Dans le système de reproduction du mode de production, l'imagination et le dynamisme de la société ostréicole jouent un rôle principal dans le rapport des contraintes biologiques et des contraintes économiques.

ABSTRACT

The purpose of this subject is the study and the analysis of social and economic mutations for breeders of oysters. In the reproduction system of production way,

imagination and dynamism in the oyster society play a leading role in the relations between biological contraints and economic contraints.

Situé sur le littoral de la côte atlantique de la Charente-Maritime, le bassin de Marennes-Oléron est réputé pour sa production très spécifique : l'huître verte. Cet élément biologique est inhérent à un groupe social, celui des ostréiculteurs ; en outre, il présente trois caractéristiques fondamentales :

- ni maîtrisable, l'huître n'est pas "cultivable". Sa reproduction et sa croissance sont naturelles et indépendantes du producteur, et il n'existe aucun engrais et apport nutritif que ceux que lui offre la nature. L'homme n'est présent que pour l'a ider à se développer et s'approprier le coût du produit de la vente afin d'assurer la reproduction de ses rapports sociaux.

- ni quantifiable, l'huître présente un captage totalement imprévisible d'une année sur l'autre. Les connaissances empiriques comme celles des scientifiques concordent pour dénoncer des facteurs de températures trop basses ou trop fortes, de courantologie, de climats, de prédateurs... qui nuisent au bon déroulement du cycle du produit et l'homme affiche une incapacité totale à résoudre ces problèmes.

- ni contrôlable, l'huître ne peut être quantifiée avec exactitude par l'administrat ion. Les estimations qu'elle donne chaque année concernant le tonnage global d'huîtres restent très approximatives. Cela reviendrait à compter les épis d'un champ de blé sur plusieurs centaines d'hectares tous les ans et sur plus de trois années de croissance...

Mots-clés : Ostréiculture. Changement social. Économie. Contraintes. Stratégies.

Key words : Oyster-farming. Social change. Economy. Constraint. Strategy.

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Notre réflexion ethno-anthropologique portait plus précisément sur les rapports sociaux du mode de production ostréicole. Devant les contradictions entre

"contraintes biologiques" et "contraintes économiques", nous avions avancé l'hypo thèse selon laquelle l'huître, élément biologique, influe directement sur les rapports de production et que l'économique n'agit pas directement sur le produit marchand, mais à travers les rapports sociaux de production. Ces rapports servent de "filtre"

entre l'économie et le produit exclusif (1).

L'histoire du groupe ostréicole est récente et a connu depuis un siècle et demi deux fractures qui ont vu se modifier ses rapports sociaux. Ces fractures correspon dent dans la réalité à deux disparitions d'huîtres comme élément biologique, celle de la "plate" (ostrea edulis Linné) et celle de la "portugaise" {crassostrea angulata Larmarck). Actuellement, une troisième huître dite "japonaise" ou "colombienne britannique" {crassostrea gigas), subit indirectement les conséquences d'une su rproduction liée à des changements profonds dans les rapports sociaux de product ion. C'est à travers ces trois étapes successives que nous allons observer dans quel le logique s'est réalisée la notion de passage (2) ou de changement dans le mode de production ostréicole.

I. — LA "PLATE", 1850-1920

Passons ici sur toutes les époques historiques où l'huître fut consommée depuis l'aube des temps (3) pour en venir d'emblée à la période précédant le début de l'o stréiculture proprement dite.

Dans le milieu du XIXe siècle, chacun venait pêcher sur les bancs d'huîtres sau vages pour des raisons diverses : pour une auto-consommation des riverains liée à celle d'autres coquillages (palourdes, coques, praires...) comme appoint à une nour riture frugale, pour assurer une position sociale auprès d'un riche propriétaire dont on était l'ouvrier ou le métayer, pour vendre ou échanger contre d'autres produits de nécessité et/ou de subsistance. Le plus souvent, en dehors du dimanche, ce sont surtout des femmes ou des enfants qui se rendaient sur les bancs ; la présence des femmes dans les champs ou sur les sites à sel était moins indispensable que celle des hommes. Ceux-ci les rejoignaient le plus souvent avec les enfants lors du repos dominical, hors du temps des moissons, des vendanges, du ramassage de la fleur de sel... (4).

A compter des années 1850, apparut l'amorce d'un véritable mode de production ostréicole. Afin de restaurer sa marine, "La Royale", Napoléon III avait trois object ifs en vue, en dehors du fait, anecdotique, qu'il adorait les huîtres :

- Tout d'abord débarrasser les côtes des nombreuses pêcheries qui pullulaient et gênaient le passage de ses vaisseaux de guerre en cas de conflit,

- Ensuite repeupler le littoral de gens qui acquéraient, par la proximité, des connaissances maritimes et qui seraient engagés comme "inscrits maritimes",

(1) Lavallée (J.), 1993, Thèse : "Entre terre et mer : l'homme de l'estran", Influences du changement social et économique : mode de production et rapports de parenté chez les ostréiculteurs de Marennes-Oléron. Bordeaux.

(2) Godelier (M.), 1980, "Rationalité et irrationalité en économie", Paris, FM/petite coll.

Maspéro, 2 T.

(3) Grêlon (M.), 1978, Saintonge, pays des huîtres vertes, La Rochelle, Rupella.

(4) Grêlon (M.), op. cit.

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- Enfin, pour attirer cette population sur la côte, faire émerger à partir de l'exis tant biologique un nouveau mode de production qui remplacerait celui des salines qui disparaissait en raison de la concurrence du sel mexicain et du sel de potasse de Lorraine.

L'ingénieur Coste et le commissaire De Bon furent chargés d'évaluer le potentiel huîtrier existant et la manière de capter le naissain, d'attacher les petites huîtres afin de pratiquer un élevage rationnel. Il fallut aussi légiférer afin de mettre un terme au pillage des hommes et créer une administration de police liée au Ministèr e de la Marine. Il fut mis en place un système de concessions sur l'estran "cédées à titre précaire et révocable" (5).

Ceux qui s'approprièrent ces concessions furent des hommes qui vivaient déjà sur le bassin côtier : des paysans borduriers, des pêcheurs, des sauniers, mais aussi des bourgeois (notaires, médecins, commerçants...) qui tous, possédèrent des parcs et/ou des claires comme ils avaient leurs vignes, leurs potagers... Ainsi s'organisait la profession :

M(*) {capteurs} M {parqueurs} M {affineurs} M {clients}

* Marchand.

Ces relations avec le marchand étaient basées sur la confiance et le contrat était oral.

Chacun de ces trois métiers (capteur, parqueur, affineur) n'occupait pas les hommes à temps complet sur une journée, mais ils durent s'initier à d'autres occu pations : coupe de branches de noisetiers, de fougères, d'osier pour les paniers... A la profession, d'autres métiers émergèrent, le maréchal-ferrant se spécialisa dans des pièces d'accastillage, les voiliers, les menuisiers construisirent des pinasses, les cordiers, les vanniers...

En 1876, la ligne de chemin de fer Saintes-La Tremblade (plus tard Saintes- Bourcefranc) ouvrit des horizons nouveaux à la commercialisation encore balbut iante. Les "écaillères", en costume traditionnel, pénétrèrent et s'initièrent à la cul ture urbaine mais sans succès et sans changement réel sur le bassin. Par contre les

huîtres se vendaient bien, et, au fur et à mesure que les lignes ferroviaires se déve loppaient, la production du coquillage s'accroissait avec l'adjonction de la "récla me". Par contre, l'anarchie régnait sur le bassin. Entre autres, les notables créaient des rapports de production capitalistes dans le sens où "la relation d'appropriation porte sur les moyens de production et le surtravail" (6). Par leur position sociale, ils s'étaient appropriés en toute illégalité des concessions qu'ils n'exploitaient pas eux-mêmes et qui, par là-même, ne devaient pas leur appartenir : ils tiraient bénéfi ce d'un produit de prestige en privant les réels travailleurs, concessionnaires de droit, d'une vente et d'une clientèle dont ils avaient besoin pour vivre. Et, à cette concurrence déloyale, ne s'ajoutaient pas en outre les contraintes écologiques de la production (prédateurs, tempêtes...) qui ne mettaient pas leur situation en péril, la contrainte de la conscription maritime et des éventuelles "levées" en cas de guerre.

En 1919, l'administration changea sa législation en donnant la préférence de l'accès aux concessions uniquement aux inscrits maritimes. La concession ne devint ni précaire, ni révocable, mais "cédée" pour une période de 25 ans. Les non-profes sionnels commencèrent à disparaître surtout lorsqu'en 1920 survint une épizootie qui frappa l'élément biologique de la "plate".

(5) Orfila (G.), 1990, Droit de la conchyliculture et de l'aquaculture marine. Saint-Jean- d'Angély, Bordessoules.

(6) Labica (G.), Bensoussan (G.), 1985, Dictionnaire critique du marxisme, Paris, Puf, 2e éd.

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644 JEAN LAVALLÉE II. — LA PORTUGAISE, 1920-1970

Cette huître est née d'un mythe nécessaire à la construction de l'histoire et de la profession ostréicole. Le "Morlaisien" transportait des huîtres portugaises desti nées au bassin d'Arcachon et avait rejeté, suite à un long refuge dû à une tempête, sa cargaison pourrissante dans la Gironde ; cette huître aurait proliféré, grâce aux courants, vers le bassin de Marennes-Oléron (7). En réalité, cette huître, collée aux coques des bateaux de commerce, était connue sur le bassin et se développa rapide ment au détriment de la disparition et de la "crève" de la "plate".

Traitée de vulgaire caillou par les puristes de la "plate", la croissance de la "por tugaise", son élevage plus prolixe, entraînèrent la chute des prix, atteignant ainsi la classe de la petite bourgeoisie devenue grande consommatrice. Les "puristes" qui appartenaient à l'aristocratie et à la grande bourgeoisie boudèrent cette huître qui

"vivait dans la vase et s'en nourrissait" . Les notables locaux qui possédaient des parcs, les abandonnèrent entraînant dans la misère ceux qui travaillaient pour eux et ceux qui les suivirent dans leurs propos de ne pas élever ce caillou vaseux (8).

Ces parcs furent récupérés par les professionnels qui virent là une chance d'ac croître leur concession et d'abandonner peu à peu leur métier d'origine devant le travail imposé par le jeu de l'offre et de la demande.

Les réseaux de communication se multipliant rapidement, la "portugaise" prit un essor qui permit aux parqueurs de s'approprier le captage ou l'affinage afin de réali ser de plus gros bénéfices. Beaucoup de grands éleveurs et affineurs cédèrent leurs parcs et leurs claires à des petits ostréiculteurs pour devenir "grossistes", et établi rent des contrats d'exclusivité à ceux qui bénéficiaient de leurs concessions et de leurs claires. D'un autre côté, les marchands traditionnels disparaissaient entre les métiers qui se couplaient mais conservaient leurs réseaux de vente et compensaient ces pertes en argent et en temps en devenant courtiers et en développant leur clien tèle.

Une autre innovation fut celle du bateau à moteur. Ce dernier permit à l'homme de faciliter son travail sans pour autant l'alléger. Beaucoup d'opérations réalisées sur l'estran (tri, détroquage...) s'accomplirent à terre, à la cabane. La femme se vit alors "cantonnée" dans ces travaux répétitifs. Sa présence sur l'estran devenait par là-même de moins en moins indispensable par l'abandon de certaines techniques.

Le temps libéré fut compensé par du travail et cela eut aussitôt un effet d'accroiss ement de la production qui, lié au développement du réseau ferroviaire, à l'augment ation de la vente et à la faiblesse des prix, équilibra vers la hausse l'offre et la demande, tout en permettant aux producteurs de réaliser de plus gros profits. Aux dires de certains vieux ostréiculteurs, c'était l'El Dorado !

Toutefois l'apparition du moteur n'apporta pas que des améliorations dans les conditions de vie et de travail de l'ostréiculteur. Elle fut cause aussi de la dispari tion de quelques métiers attachés à la voile (voiliers, maréchaux-ferrants, cor- diers...) au profit d'autres, mécaniciens, vendeurs de fuel (la camionnette rempla çant aussi le cheval pour les déplacements d'huîtres).

A compter des années 1965-70, de nombreuses transformations firent leur appar ition sur le bassin, notamment avec l'extension du tourisme et du transport routier.

(7) Grêlon (M.), op. cit.

(8) Lavergne (M.), 1972, "L'ostréiculture dans la vallée de la Seudre", Poitiers, Norois n°72, pp. 313-334.

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Le développement du tourisme populaire provoqua un changement à plusieurs niveaux. Devant la "cherté" des villes balnéaires locales (vie, locations, ventes...), les vacanciers moins fortunés (congés payés) pénétrèrent l'arrière-pays avec des images de loisirs, d'argent dépensé facilement et, peu à peu, de résidences second aires... et s'en suivit la création d'emplois saisonniers liés au développement de l'hôtellerie, de la restauration et des supermarchés... Les ponts de la Seudre, d'Olé- ron, de nouvelles routes, des structures diverses (ports de plaisance) accélérèrent les migrations et l'intégration.

D'un autre côté, le tourisme offrit aux ostréiculteurs l'opportunité de créer une saison estivale et des points de vente directe dans la région dans le but d'accroître leurs bénéfices au détriment des courriers.

Les structures routières développées sur l'ensemble de la France permirent aux grossistes d'infiltrer un maillage de plus en plus important de pénétration grâce aux transports routiers et au grand déficit du système ferroviaire, plus rigide dans ses horaires, moins malléable et plus cher dans ses réseaux de transport.

Enfin, la prolongation du temps de l'obligation scolaire, de 14 à 16 ans, va aussi favoriser l'intégration des jeunes filles du bassin dans la société englobante et les images qu'elle projette (lycée, télévision, tourisme, journaux...). La motivation de ces jeunes filles à partir, ce sont aussi les images de leurs mères de plus en plus confinées dans leurs cabanes dans des travaux répétitifs peu valorisants, dans des conditions pénibles et peu enviables (froid, humidité, courants d'air provoquant l'arthrite, peu ou pas de congés sinon consacrés à l'entretien de la maison, "l'éleva ge des enfants"...).

III. — LA JAPONAISE OU COLOMBIENNE, 1971-?

Plus prolifique encore que la "portugaise" atteinte d'épizootie dans les années 60, cette huître est devenue à la portée de toutes les bourses malgré son caractère cérémoniel de consommation (dimanche et jours de fête) ancré chez le consommate ur. Elle verdit encore plus facilement. Elle vit en nombre plus important en des espaces plus réduits parce qu'elle est moins gourmande de plancton. Une dernière particularité, qui n'enlève pas les caractères "ni maîtrisable, ni quantifiable, ni contrôlable" de l'élément biologique, est de pouvoir être élevée sur des berceaux métalliques en "surélevé" (technique appliquée à partir des années 1956-57, peu de temps avant la disparition de la portugaise) en plus de l'élevage traditionnel "à plat" (sur le sol).

Cette technique de production offre deux particularités essentielles : celle d'oc cuper des terrains auparavant non propices à l'élevage "à plat", et celle d'amplifier la production en supprimant des tâches du procès de production "à plat" sans entraîner la disparition de ce dernier (râper, égaliser, pose de grillage, gratter...).

Afin d'écouler un stock de plus en plus important, les ostréiculteurs cherchèrent de nouveaux marchés. Ce fut Rungis ; puis les grandes surfaces comprirent qu'elles avaient beaucoup à gagner avec des produits de "second marché" (foie gras, caviar, huîtres) afin d'attirer la clientèle vers des produits de première nécessité : d'où des pseudo-ventes à prix coûtant. Le prix coûtant de l'huître, c'est le prix de vente pro posé par les professionnels au sein du Comité Interprofessionnel de la Conchyli- culture (C.I.C.). Ainsi des huîtres offertes à 9 F le kilo sont négociées à 6,50 F par les supermarchés qui les revendront à 9 F réalisant de cette manière une marge bénéficiaire sur le prix coûtant fixé par le C.I.C.. Les grossistes et les profession nels les plus nantis acceptèrent ces conditions parce qu'ils avaient de gros stocks à

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646 JEAN LAVALLÉE

écouler. Les entreprises plus modestes subirent, et subissent encore de nos jours, la loi de l'offre et de la demande imposée par ces grandes surfaces capitalistes.

D'autre part, ces dernières n'acceptent plus dans leurs rayons que les numéros d'huîtres les plus faciles à vendre auprès de leur clientèle laissant aux ostréiculteurs des huîtres difficiles à placer (une huître trop grosse ou trop petite rebuterait le consommateur. . . ) .

Aussi, afin de compenser la baisse et/ou la stagnation des prix, certains profes sionnels, ne pouvant investir dans un bassin trop exigu et largement concessionné, n'hésitèrent pas à renouer des contacts ou à installer des parcs d'élevage sur les bas sins bretons, normands... (déjà, certains ostréiculteurs de ces bassins extérieurs avaient obtenu des parcs de captage sur Marennes-Oléron afin de se pourvoir en jeunes huîtres). Les petites huîtres sont alors expédiées dans ces bassins et revien nent verdir dans les claires du bassin de Marennes-Oléron avant d'être commercial isées incognito sous le label Marennes-Oléron (9). C'est ce que nous appelons dans notre thèse "la part aveugle de l'échange" (10) ; cette part aveugle est d'autant plus aisée à pratiquer que l'huître est, rappelons-le, ni quantifiable, ni contrôlable...

et que l'administration est impuissante devant de telles pratiques, faute de moyens.

Cet accroissement de superficie sur des bassins extérieurs nécessite l'emploi d'un fils à temps complet sur l'exploitation avec le concessionnaire en créant des relations non plus de père à fils, mais de patron à ouvrier. Ensuite, afin de mieux maîtriser la production dans son ensemble et éviter le maximum de tractations avec les marchands et les courtiers, les concessionnaires vont cumuler les trois métiers au sein de la production (i.e. : capteur, éleveur, affineur) pour un seul, celui d'os tréiculteur. Les relations avec les grossistes et les courtiers vont s'envenimer par le manque de confiance qu'ils ont montré par leurs négociations désastreuses avec le

"grand commerce".

Ces conséquences vont avoir d'autres effets sur l'unité de production. De fait, si le concessionnaire a embauché un enfant sur l'estran, la place de la femme est réduite uniquement aux travaux complémentaires et répétitifs dans la cabane, amplifiés par une plus grande production dans et hors bassin. D'autre part, beau coup de circuits de vente directe vont constituer le salaire du fils, durant le week- end, avec un surcroît de travail pour lui seul ; ces circuits viseront aussi à masquer l'ensemble du coût réel de la production que seul maîtrise le père-concessionnair e (11). Enfin, de plus en plus attirées vers l'extérieur, les filles cherchent à se marier soit avec un jeune homme extérieur au bassin, soit avec un jeune ostréicul teur qu'elles tenteront d'amener à quitter son groupe professionnel en lui présentant que l'argent gagné ou "donné" par son père n'est qu'un appoint au regard du salaire féminin. Le chômage actuel et la récession économique semblent de nos jours peu contredire ces pratiques féminines.

IV. — LES EFFETS DU CHANGEMENT SOCIAL ET ÉCONOMIQUE Au cours de ces changements successifs et des effets du changement dans sa forme actuelle la plus développée, l'histoire du groupe ostréicole révèle, que pour accroître leur capital et leur production en raison des contraintes biologiques liées (9) Lavallée (J.) op. cit., et "Fraudes dans les claires", Journal Sud-Ouest (Charente- Maritime), 31 janvier 1994.

(10) Lavallée (J)., op. cit.

(1 1) Lavallée (J.),op. cit.

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à des contraintes naturelles, et pour réaliser une plus-value après avoir pénétré le commerce capitaliste, les ostréiculteurs n'ont d'autres choix que :

- d'élever avec intensité (ce qui est impossible au niveau des connaissances scientifiques actuelles),

- de réinvestir (ce qui est quasiment impossible devant l'exiguïté du bassin (12).

Ils vont donc chercher des solutions sous deux formes :

- en s'appropriant les concessions des non-producteurs qui n'ont pas pu ou su s'adapter et s'intégrer comme après chaque disparition d'huîtres,

- en s'ouvrant sur l'extérieur en tissant des liens avec d'autres producteurs pour assurer la reproduction du mode de production (13),

d'où l'importance du développement des échanges et des relations. Ceci nous conduit à établir que l'insuffisance des forces de production au niveau individuel est compensée par des relations sociales établies rationnellement en fonction des objectifs de production à atteindre (14) à deux niveaux :

- Dans l'organisation de la famille comme unité de production. Conformément à la logique de la valorisation du capital, il s'agit de dégager de la plus-value relative par un accroissement de la productivité et une réduction des coûts de la production.

Malgré le fait qu'il s'agisse encore d'une exploitation de type "familial", "dans le processus capitaliste plus vaste où ces unités de production sont intégrées, leur viabilité économique repose sur une extraction dramatique de travail non-payé"

(15). L'ostréiculteur est maître de ses moyens de production, mais c'est le capital qui, ne pouvant s'approprier ces moyens de production (les concessions appartien nent en dernier ressort à l'Etat), lui impose d'adjoindre un fils comme force de tra vail complémentaire dans une relation patron-ouvrier et non plus père-fils. Toutef ois, ce fils investi n'aura pas le salaire d'un ouvrier, il bénéficiera des ventes directes (10 à 15 % de la production), l'ensemble du capital étant masqué par le concessionnaire qui exerce une forme de chantage en faisant miroiter la succession de la concession, succession admise par l'administration pour un fils d'ostréicult eur, ostréiculteur lui-même.

- Dans des relations extérieures, tissées avec d'autres producteurs ou, au début, par le biais d'administrations complaisantes (Vendée, Bretagne, Normandie, Etang de Thau...).

Ainsi, nous nous trouvons devant trois cas de figure représentant les stratégies développées par les ostréiculteurs depuis déjà deux décennies :

- soit en augmentant le nombre de travailleurs familiaux en investissant la force de travail dans un second fils sur des parcs extérieurs,

- soit en renouant des liens familiaux avec des ostréiculteurs expatriés faute d'héritage mais issus du bassin de Marennes-Oléron,

- soit en passant des contrats d'échange (des petites huîtres contre des grosses, prêtes à la commercialisation ; location de concession contre des huîtres...) avec (12) Iturra (R.), "Changement et continuité, la paysannerie en transition dans une paroisse galicienne", Paris, in "Transitions et subordinations au capitalisme" , pp. 107-145, éd.

Maison des Sciences de l'Homme.

(13) Godelier (M.), op. cit.

(14) Iturra (R.), op. cit.

(15) Narotsky (S.), 1991, "L'étau idéologique casa, famille et coopération dans le processus de transition", Paris, in Transitions et subordinations au capitalisme, pp. 57-81, éd. Maison des Sciences de l'Homme.

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des producteurs extérieurs et, éventuellement, en tissant des liens matrimoniaux afin de consolider les contrats d'échange.

D'autre part, si "l'utilité recherchée s'oriente vers la satisfaction économique du producteur" (16), les stratégies mises en place individuellement par les producteurs peuvent mettre en péril l'élément biologique, et la pression que le commerce exerce sur la production s'aggravera par la conjonction de deux phénomènes :

- la surproduction (le bassin ne peut contenir qu'une quantité maxima d'huîtres ; au-delà, par manque de nourriture, elles risquent l'épizootie),

- la vente de la totalité de la production à un seul client qui peut à tout moment menacer le producteur de rompre le contrat d'achat et d'exercer ainsi un chantage perpétuel.

L'exploitant oppressé exerce à son tour une domination sur sa famille en impos ant une division sociale et sexuelle du travail dans ses rapports de parenté, créant alors au sein de la famille des rapports sociaux de production.

La rationalité économique propre aux sociétés capitalistes qui est "celle d'indivi dus concurrents, propriétaires des moyens de production" (17), dynamise des fac teurs tels que stratégies, imagination et relations sociales. Ces stratégies s'expli quent par la réciprocité qui lient les ostréiculteurs et le commerce au gré :

- des fluctuations du marché capitaliste, auquel est assujetti le travailleur ostréi cole,

- des fluctuations dues aux aléas de l'élément biologique fragile (caractère "ni maîtrisable") et de plus en plus fragilisé par la surproduction et l'envahissement de nouvelles huîtres extérieures (caractère "ni contrôlable").

Il s'agit de deux formes de fluctuations liées mais aussi contradictoires sur les quelles les ostréiculteurs n'ont aucun pouvoir et que leur impuissance politique (groupe trop faible en nombre, multiplication des syndicats...) contraint à accepter.

Ces hommes n'ont pas la maîtrise de l'élément biologique, ni des capitaux, mais ils doivent s'appuyer sur des pratiques, des stratégies et une symbolique traditionnelle qui leur sont familières. Il n'en reste pas moins que les ostréiculteurs ne gèrent leur propre condition qu'en menant des stratégies manipulatrices de leurs ressources, les huîtres ; la réorganisation de l'ostréiculture comme système en mal de repro duction se heurte à des difficultés liées à l'évolution de la société capitaliste fran çaise.

CONCLUSION

L'organisation sociale des ostréiculteurs renferme des rapports sociaux de pro duction nouveaux, des rapports capitalistes régis par une logique qui vise la maxi misation de leur capital au détriment de l'élément biologique et de ses contraintes.

Ce sont ces rapports et leur logique, qui se combinent avec des rapports non- capitalistes fondés sur une rationalité visant la reproduction physique et sociale de la famille, qu'ils remplacent de plus en plus.

(16) Godelier (M.), op. cit.

(17) Godelier (M.), op. cit.

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